EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 juin 2024, la commission d'enquête a examiné le rapport de la commission d'enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France.

M. Roger Karoutchi, président. - Nous procédons aujourd'hui à l'examen du projet de rapport de notre commission d'enquête.

Nos auditions de personnalités d'horizons divers pendant près de cinq mois nous ont permis d'éclairer nos visions respectives de la situation et des évolutions souhaitables de l'entreprise TotalEnergies. Un travail serein et sérieux a abouti à un projet de rapport que vous avez pu consulter dès la semaine dernière et qui vous a été, de nouveau, communiqué au début de cette réunion.

Les propositions de modification qui ont été déposées sont la marque d'éléments de différenciation entre nous. Il nous revient, après la présentation liminaire du rapporteur, de les examiner et de nous prononcer.

Si, au terme des votes, nous ne parvenions pas à une solution consensuelle, la tradition du Sénat s'opposerait à l'adoption d'un rapport amendé contre l'assentiment du rapporteur, et je ne le souhaiterais pas davantage. Nous nous bornerions alors à constater que les divergences qui prévalent entre ses membres ne permettent pas à la commission d'enquête de valider et de publier un rapport commun. Chacun resterait libre ensuite de s'exprimer à l'extérieur, évidemment dans le respect des règles de confidentialité propres aux travaux d'une commission d'enquête.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - À mon tour, je salue la richesse, la qualité et la sérénité de nos travaux qui ont permis de mieux nous connaître quand, à leur ouverture, des réserves, des doutes, voire des suspicions entre nous pouvaient sembler légitimes aux uns et aux autres. Nous avons su les dépasser, respectant l'esprit et la lettre de la mission qui nous était confiée. Le Sénat peut s'enorgueillir de ces travaux, ainsi que du projet de rapport qui en résulte.

Le document comprend des recommandations notables, dans lesquelles nous nous efforçons de traduire l'équilibre qui s'est dégagé de nos travaux et de nos discussions. Il rappelle l'enjeu majeur pour la France d'être un pays exemplaire en matière de lutte contre le dérèglement climatique et de transition énergétique.

Il souligne la possibilité d'apporter à cet effet des améliorations à nos mécanismes institutionnels. Le rôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) y est notamment mis en évidence, de même que la nécessité de renforcer les moyens humains et de contrôle dont elle dispose pour se prononcer sur les mobilités professionnelles entre les secteurs public et privé ou formuler des recommandations de déport.

Nous insistons sur le devoir de vigilance des entreprises, que le Parlement européen promeut de son côté, et sur les modalités qui permettront aux magistrats de s'en saisir concrètement. Il s'agit également d'encourager les dynamiques déjà à l'oeuvre dans le monde de la finance, de la banque et des assurances. Au cours de nos auditions, les représentants du Crédit agricole, d'AXA ou de BNP Paribas nous ont délivré des messages forts quant à leurs nouvelles orientations sur la voie de la transition énergétique. Dans le domaine de l'actionnariat, les sociétés cotées sont toujours plus nombreuses à consulter leurs actionnaires sur leur stratégie de décarbonation, avec la pratique dite du Say on climate.

Enfin, nous relevons la nécessité d'inscrire dans la loi l'obligation de définir une trajectoire nationale de décarbonation et d'investissement dans l'énergie décarbonée. Des discussions sur une proposition de loi en ce sens ont d'ailleurs eu lieu au sein de la commission des affaires économiques du Sénat.

Bien que, pour sa part, le groupe TotalEnergies ait incontestablement engagé des investissements dans les énergies renouvelables, il n'en maintient pas moins d'autres investissements et projets dans les énergies fossiles. Nous les scrutons avec attention, nous nous interrogeons sur plusieurs d'entre eux, nous en contestons certains, par exemple quand ils ont trait à la Russie, à l'Azerbaïdjan, à l'Ouganda, à la Tanzanie ou au Mozambique.

Le projet de rapport s'inscrit parfaitement dans l'actualité. Il importe que notre pays affirme, au travers de TotalEnergies, sa souveraineté énergétique en réduisant sa double dépendance à des régimes politiques peu recommandables et à des énergies fossiles qu'il ne produit pas sur son sol. M Patrick Pouyanné déclarait récemment dans la presse que, malgré son attachement à la France, il n'excluait pas que la cotation principale du groupe TotalEnergies dont il est le président-directeur général s'effectue à l'avenir, non plus à la Bourse de Paris, mais à celle de New York. Il y va encore de notre souveraineté énergétique et l'État doit reprendre toute sa place dans le capital de ce groupe.

M. Roger Karoutchi, président. - Venons-en à l'examen des propositions de modification portant sur le projet de rapport et sur les propositions de recommandations.

M. Philippe Folliot. - D'ordre rédactionnel, la première proposition de modification rerédige la dernière phrase de l'alinéa 7 en page 18 du rapport pour indiquer que les efforts de TotalEnergies pour engager sa transition énergétique sont supérieurs à ceux des majors anglo-saxonnes mais également à ceux des compagnies nationales des pays producteurs de pétrole et de gaz.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Cet ajout ne me pose pas de difficulté.

Dans la même phrase, je suggère à mon tour deux modifications rédactionnelles : « La commission d'enquête reconnaît » remplacerait avantageusement « La commission d'enquête n'a pas de mal à reconnaître » et, dans la formulation « les efforts réalisés par TotalEnergies pour engager fermement sa transition énergétique », nous supprimerions opportunément l'adverbe dont la pertinence de l'emploi n'est pas évidente.

La proposition de modification n° 1, ainsi rectifiée, est adoptée.

M. Roger Karoutchi, président. - Présentée par les membres du groupe Les Républicains, la deuxième proposition de modification concerne l'intervention possible de l'État sur TotalEnergies. Dans sa rédaction actuelle, le projet de rapport recommande, d'une part, une prise de participation de 5 % au sein du capital du groupe, équivalant à environ 7 milliards d'euros, d'autre part, le recours au dispositif de l'action spécifique.

Nous sommes tous convenus dans nos débats qu'une participation de 5 % au capital ne permettrait pas à l'État d'influer sur les principales décisions et évolutions du groupe, qu'elles soient relatives à sa nationalité, à la localisation de sa cotation ou à la répartition des blocs d'actionnariat. En revanche, l'action spécifique, que l'État détient du reste dans d'autres entreprises françaises, par exemple Thales, en ce qu'elle donne immédiatement accès aux organes de gouvernance que sont, selon le cas de figure, le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, permet de disposer d'un réel pouvoir de décision.

La proposition de modification vise à entériner ce constat en tenant compte de la situation dégradée de nos finances publiques. Elle continue d'évoquer la prise de participation publique au capital de TotalEnergies à hauteur de 5 % comme un moyen d'accroître le droit de regard de l'État sur une entreprise stratégique, mais elle ne la recommande pas. La recommandation se concentrerait sur la détention par l'État d'une action spécifique au capital de TotalEnergies.

Il s'agit avant toute chose, pour notre groupe politique, constant dans sa demande envers l'État de réaliser des économies et de réduire la dépense publique, d'un choix de cohérence et de crédibilité.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - La réintroduction d'une participation de l'État était l'un de nos points d'accord. Elle se justifie au titre des dynamiques actionnariales en cours et permettrait de rééquilibrer les actionnariats européen et nord-américain, tout en envoyant un signal. Bien que le texte évoque un financement par redéploiement du portefeuille de l'Agence des participations de l'État, j'entends la demande et j'accepte de supprimer cette recommandation.

Dans le texte du rapport lui-même, ne pourrait-on pas néanmoins laisser, au moyen d'une formulation large, le champ plus ouvert sur les différentes modalités de prise de participation au capital de TotalEnergies ? Nous pourrions par exemple conserver la phrase : « Face à ces évolutions, qui portent en elles un risque de changement de nationalité du groupe, la commission d'enquête a mené une réflexion sur la réintroduction d'une participation publique au capital de TotalEnergies et ses modalités. » Cette formulation ne conclut pas à une participation de l'État, mais permet de souligner que la commission y a réfléchi, ce qui correspond, me semble-t-il, à la réalité de notre débat.

M. Dominique de Legge. - Nous n'avons pas abouti à cette conclusion !

M. Roger Karoutchi, président. - Il ne s'agit pas d'une conclusion. Dans ma proposition de modification, il est indiqué que la participation de l'État a été envisagée.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Dans un esprit de compromis, nous pourrions accepter cette demande du rapporteur, à condition de compléter le texte par une phrase précisant que la commission d'enquête n'a pas retenu cette option.

M. Roger Karoutchi, président. - Je le répète : dans ma proposition de modification, il est précisé clairement que l'option d'une prise de participation de 5 % n'a pas été retenue. C'est donc qu'elle a été évoquée lors de nos travaux. De plus, elle n'apparaît pas dans les recommandations.

Je suis d'accord pour rectifier ma proposition de modification afin de conserver le dernier paragraphe du a) légèrement modifié et d'insérer un nouveau paragraphe précisant que nous n'avons pas retenu cette option et que nous envisageons d'autres modalités, plus ciblées, de présence de l'État au capital de TotalEnergies.

Mme Sophie Primas. - C'est parfait !

La proposition de modification n° 2, ainsi rectifiée, est adoptée. En conséquence, la proposition de modification n° 3 n'a plus d'objet.

Mme Catherine Belrhiti. - Il s'agit, au sein de la recommandation n° 4, après les mots « en mettant un terme à la production d'électricité à partir du charbon dès 2027 », d'insérer les mots « , sauf en cas de menace pour la sécurité d'approvisionnement en électricité ». Les centrales thermiques de Cordemais, en Loire-Atlantique, ou Émile-Huchet, en Moselle, ont pleinement joué leur rôle pour sécuriser le système électrique lorsque nous en avons eu besoin.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Nous avons eu ce débat sur la qualification de la menace en commission des affaires économiques. Les textes en vigueur évoquent une menace « grave ». J'aimerais autant que nous conservions cette formulation. Il y a une volonté très forte de soutenir le processus de conversion de la centrale de Cordemais, comme de l'ensemble des centrales à charbon encore en activité, vers la bioénergie.

M. Roger Karoutchi, président. - Madame Belrhiti, acceptez-vous de rectifier votre proposition de modification et de retenir la formulation « , sauf en cas de menace grave pour la sécurité d'approvisionnement en électricité » ?

Mme Catherine Belrhiti. - Je suis d'accord.

M. Dominique de Legge. - Je suis frappé de voir le nombre de recommandations - j'en ai listé près d'une quinzaine - qui s'éloignent grandement du sujet de notre commission d'enquête, à savoir les activités de TotalEnergies. Les propositions de modification que nous proposons sont tout à fait fondées et intéressantes, mais elles sont sans rapport avec l'objet de notre commission d'enquête.

Mme Catherine Belrhiti. - Je suis tout à fait d'accord, mais le texte proposé est de portée générale.

M. Dominique de Legge. - C'est bien le problème !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je me réjouis que nous ayons trouvé des points d'accord au sujet des moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour le respect par TotalEnergies des orientations de la politique étrangère et climatique de la France.

Néanmoins, une partie du rapport et certaines propositions de modification, qui traitent certes de sujets cruciaux pour l'avenir de la France, de l'Europe et de notre planète, n'ont pas été discutées dans le cadre de cette commission d'enquête et s'éloignent de son champ premier. Je m'abstiendrai donc sur l'ensemble des propositions de modification, de même que sur le rapport lui-même.

Je refuse en effet de voter des propositions de modification visant à supprimer des recommandations qui vont certes dans le sens d'une meilleure protection du climat, mais qui n'ont pas été expertisées ni débattues. Pour moi qui suis parlementaire depuis peu, le seul fait qu'une disposition ait été votée à l'Assemblée nationale ou au Sénat n'est pas un argument suffisant. Je suis un peu perplexe : je salue le travail accompli, mais une grande partie du rapport s'écarte du sujet de la commission.

M. Roger Karoutchi, président. - Il n'est pas rare que les commissions d'enquête du Sénat formulent des recommandations qui dépassent très largement leur cadre initial.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Rien n'oblige pour autant à les adopter.

M. Roger Karoutchi, président. - Il est naturel qu'une commission consacrée à l'activité de TotalEnergies aborde les problèmes de souveraineté énergétique de la France. Ce rapport a bien un lien, direct ou indirect, avec TotalEnergies. Le titre même de la commission d'enquête contient les termes « obligations climatiques et [...] orientations de la politique étrangère de la France ».

La proposition de modification n° 4, ainsi rectifiée, est adoptée.

Mme Sophie Primas. - La proposition de modification n° 5 - symbolique ! - vise à rappeler que le nucléaire est une énergie décarbonée. Il serait tout de même très étrange que notre commission d'enquête achève ses travaux sans avoir énoncé une seule fois le mot « nucléaire ».

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Ce n'est pas le symbole que je préfère, mais il s'agit d'une modification factuelle. Avis favorable.

La proposition de modification n° 5 est adoptée.

Mme Catherine Belrhiti. - Je demande, par la proposition de modification n° 6, la suppression de la recommandation n° 6, qui va à l'encontre de nombreux projets de transition énergétique dans les territoires. En Moselle par exemple, elle entraînerait l'interdiction de l'exploitation du gaz de houille, alors même que nous sommes en passe de remporter notre procès contre l'État sur cette question. Nous venons par ailleurs de découvrir un gisement d'hydrogène blanc, c'est-à-dire naturel. Cette recommandation nous empêcherait également de l'exploiter.

Mme Sophie Primas. - La proposition de modification n° 7 vise à mentionner l'intérêt pour notre pays d'avoir une politique de labellisation nationale, voire européenne, de projets miniers durables. En effet, l'électrification de la France ne se fera pas sans minerais et métaux rares. Ces derniers sont aujourd'hui exploités et extraits dans des conditions sociales et environnementales discutables. Il s'agit d'éviter l'exportation de problèmes sociaux et environnementaux.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Le code minier est un élément très important de notre réglementation. Comme nous l'avons rappelé dans le rapport, il est très largement consensuel. Or la proposition de Mme Belrhiti le remet en cause, ainsi que la sortie des hydrocarbures telle qu'elle a été votée par le Parlement.

En revanche, la proposition de modification de Mme Primas renforce favorablement le texte, en ce qu'elle définit les conditions de fonctionnement des projets miniers.

Je suis donc défavorable à la proposition de modification n° 6 et favorable à la proposition de modification n° 7.

M. Roger Karoutchi, président. - La recommandation n° 6 appelle à moderniser le droit minier pour sortir plus rapidement des énergies fossiles. Dans son premier alinéa - « en maintenant l'interdiction de la fracturation hydraulique » -, elle ne dit pas autre chose que la loi.

Pour ce qui est de son alinéa 2 - « en envisageant la suppression de certaines dérogations à la sortie des énergies fossiles (gaz de mine et substances connexes) » -, sommes-nous capables de trouver une formulation qui convienne à tout le monde ?

M. Pierre-Alain Roiron. - Nous suivrons l'avis du rapporteur : nous voterons contre la proposition de modification de Mme Belrhiti et pour la proposition de modification de Mme Primas.

Globalement, et parce qu'il s'agit d'un texte de compromis, nous avons décidé de ne présenter aucune proposition de modification sur le projet de rapport.

M. Roger Karoutchi, président. - Si je puis me permettre, la formulation « en envisageant » donne le sentiment d'une volonté d'aller plus loin. Que pensez-vous de la formulation « en étudiant », qui est plus neutre ?

Mme Catherine Belrhiti. - Prenons garde à ce que le texte n'empêche pas toute exploitation.

M. Roger Karoutchi, président. - Envisager de supprimer n'est pas supprimer.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Je propose « en évaluant la suppression ».

Mme Catherine Belrhiti. - Le mot « suppression » subsiste. C'est dangereux. Je rappelle que mon territoire est en conflit avec l'État sur ce sujet.

M. Roger Karoutchi, président. - La loi permet déjà la suppression de certaines dérogations. La formulation « en évaluant la suppression » ne va pas plus loin.

Mme Catherine Belrhiti. - C'est très flou. Pourquoi tout simplement ne pas supprimer cette phrase ?

M. Yannick Jadot, rapporteur. - L'objectif de la loi est de sortir des énergies fossiles. Respectons son esprit.

M. Roger Karoutchi, président. - La loi va plus loin que la formulation proposée, et nous l'avons votée.

Je propose que la proposition de modification n° 6 soit rectifiée pour remplacer, au sein de la recommandation n° 6, le mot « envisageant » par le mot « évaluant ».

Mme Catherine Belrhiti. - Je reste sceptique, mais je ne m'opposerai pas à cette rectification.

Les propositions de modification nos 6, ainsi rectifiée, et 7 sont adoptées.

Mme Sophie Primas. - La proposition de modification n° 8 tend à rédiger comme suit l'alinéa 7 de la recommandation n° 8 : « en réexaminant les financements de l'État en faveur de la transition énergétique (aides à l'acquisition de véhicules propres, fonds vert) ».

Au regard de l'état de nos finances publiques, il me semble préférable de procéder à un rééquilibrage budgétaire et à de nouveaux arbitrages, y compris en faveur des aides à l'acquisition de véhicules propres ou du fonds vert, plutôt que de créer de nouvelles dépenses. Vous connaissez notre obsession sur ce sujet !

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Compte tenu de l'attachement du Sénat au fait que le fonds vert alimente le budget des collectivités locales, je m'étonne que l'on veuille supprimer la référence aux moyens des collectivités pour mettre en place la transition. L'enjeu est assez fort. Les dirigeants des grandes entreprises que nous avons auditionnés ont souligné la nécessité de soutenir cette transition et d'éviter le schéma allemand, un exemple catastrophique, notamment dans le secteur automobile. Avis défavorable.

Mme Sophie Primas. - Il s'agit non pas de dire que l'on renonce aux investissements de l'État dans ces filières, mais que des arbitrages - ce mot pourrait d'ailleurs être ajouté - en faveur de la transition énergétique sont nécessaires. Nous voulons réorienter les budgets sans augmenter les dépenses de l'État.

M. Roger Karoutchi, président. - En effet, il s'agit non pas de réduire les financements de l'État de 400 millions d'euros, mais de procéder à des arbitrages. Le fonctionnement du fonds vert par exemple - de nombreuses dépenses y sont affectées sans être franchement liées à la transition écologique... - n'est pas très clair. Dans ces conditions, ne faut-il pas réviser globalement ou « arbitrer » les financements de l'État en faveur de la transition énergétique ?

Mme Sophie Primas. - Je propose la formulation suivante : « en réexaminant l'arbitrage des financements de l'État en faveur de la transition énergétique ».

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Je ne vois pas ce qu'apporte cette nouvelle formulation.

M. Roger Karoutchi, président. - Mme Primas, maintenez-vous votre proposition de rectification ?

Mme Sophie Primas. - Oui, monsieur le président.

M. Dominique de Legge. - La référence aux 400 millions d'euros est factuelle et inutile. La question est celle des choix et des équilibres.

La proposition de modification n° 8, ainsi rectifiée, est adoptée.

M. Philippe Folliot. - La proposition de modification n° 9 tend à compléter la recommandation n° 8.

Lors de son audition, j'avais interrogé M. Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, sur d'éventuelles prises de participation de son groupe dans des entreprises françaises qui fabriquent des panneaux photovoltaïques. Somme toute, nous avons cherché à sortir d'une dépendance à l'égard de la Russie pour entrer dans une dépendance à l'égard de la Chine ! M. Pouyanné avait répondu par la négative, arguant d'une trop faible compétitivité de nos entreprises, mais il s'était montré favorable à ce que la réglementation française prévoie une obligation d'utiliser 30 % de panneaux français.

Ma proposition de modification tend à imposer 30 % de panneaux photovoltaïques fabriqués dans l'un des pays membres de l'Union européenne pour les projets de plus de 3 mégawatts-crête. Aujourd'hui, 96 % des panneaux photovoltaïques qui sont installés en France viennent de Chine ; il faut agir !

Pour ne pas compliquer la vie du particulier qui installe des panneaux photovoltaïques sur sa toiture, nous proposons un seuil qui correspond à des projets d'une certaine taille. Par cette proposition de modification, nous donnerions un signal fort en faveur de l'industrie européenne, et donc - on l'espère - nationale, de fabrication de panneaux photovoltaïques.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Le rapport, qui fait notamment référence au Buy European Act, évoque largement la question de la souveraineté. Alors que nos objectifs en matière d'installation de panneaux photovoltaïques sont très ambitieux, les dernières usines françaises et européennes ferment sous le coup du dumping chinois. Je suis d'autant plus favorable à la proposition de M. Folliot que le seuil proposé me semble très raisonnable : pour les batteries électriques, nous réfléchissons plutôt à des seuils de 50 % ou 60 %.

Mme Sophie Primas. - Pour ma part j'y suis extrêmement favorable !

La proposition de modification n° 9 est adoptée.

Mme Sophie Primas. - Je retire la proposition de modification n° 11.

La proposition de modification n° 11 est retirée.

Mme Sophie Primas. - Les propositions de modification nos 10, 12 et 13 tendent à supprimer des recommandations qui auraient pour effet, en introduisant de nouvelles obligations, de complexifier la vie des entreprises.

Nous passons notre temps, au Sénat ou dans nos discours politiques, à prôner la simplification. Or nos grandes entreprises en particulier sont déjà engagées, au travers de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou d'autres dispositifs dont elles s'emparent de façon volontaire et bénévole, dans la poursuite d'objectifs de cette nature.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Le texte du rapport vaut non pas obligation, mais simplification. À aucun moment, il n'y est écrit, comme le recommandent pourtant la commission climat et finance durable (CCFD) de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou la Cour des comptes dans son dernier rapport, qu'il faut rendre obligatoires par exemple les résolutions Say on Climate. Nous ne défendons pas cette position dans le rapport.

Une pratique de ces résolutions s'est installée ; elle est fortement recommandée. En réalité, nous proposons une simplification, en harmonisant le cadre de ces démarches volontaires et en incitant les entreprises à adopter ce type de résolutions. Nos institutions de contrôle, celles qui sont en charge des marchés financiers, ou encore le code dit Afep-Medef suggèrent un cadre harmonisé. Dans le cadre de la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et du reporting extrafinancier, toutes les entreprises seront de toute façon concernées. Pour ces raisons, je suis défavorable à ces propositions de modification.

Nous pourrions peut-être préciser que nos recommandations ont un caractère non contraignant, mais ces dernières semblent assez claires : il n'y est nullement question d'obligation.

En matière de Say on pay ou de Say on climate, TotalEnergies fait preuve d'une certaine activité. Il adopte des résolutions climat et la part du revenu variable de son président liée à la RSE est de 39 %. Nous souhaiterions clarifier la part du climat dans ce revenu variable.

L'objectif est aussi que les assemblées générales et les conseils d'administration des entreprises travaillent plus facilement sur ces sujets.

Mme Sophie Primas. - J'entends ce que vous dites, fort habilement. Néanmoins, je vous renvoie à la recommandation n° 23. À l'alinéa 1, il est écrit : « Développer le Say on climate au sein des entreprises cotées soumises à la directive CSRD, par le biais d'un vote consultatif périodique des actionnaires en assemblée générale ordinaire concernant la stratégie climatique. » Vous appelez donc à l'organisation d'un vote régulier. C'est, me semble-t-il, une forme d'obligation.

L'alinéa 2 - « Encadrer juridiquement le contenu des résolutions consultatives Say on climate afin d'harmoniser les pratiques des émetteurs » - pourrait permettre d'établir une sorte de guide. À cet égard, j'entends votre argument sur la simplification : il peut être intéressant de définir un cadre.

L'alinéa 1, en revanche, va dans le sens d'une obligation. La formulation « Encourager les entreprises à développer le Say on climate [...] » me paraît plus neutre et vous dites vous-même qu'elles le font.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Comme nous l'indiquons dans le rapport, beaucoup d'entreprises, notamment les entreprises cotées, sont actives dans ce domaine. Dans son rapport de 2022, l'Autorité des marchés financiers propose de développer le Say on climate et fait des recommandations très concrètes pour encadrer cette pratique, qu'elle souhaite promouvoir. Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) lui-même appelle à mettre en place les résolutions Say on climate. Nous allons dans cette direction.

Mme Sophie Primas. - Les entreprises y vont sans nous ; laissons-les y aller seules !

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Je suis favorable à la formulation « encourager les entreprises ».

Mme Sophie Primas. - Je rectifie donc la proposition de modification n° 10 en ce sens. Je suis par ailleurs disposée à conserver l'alinéa 2 de la recommandation n° 23 tel qu'il est rédigé.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - C'est entendu.

La proposition de modification n° 10, ainsi rectifiée, est adoptée.

Mme Sophie Primas. - Dans le même esprit, la proposition de modification n° 12 rectifiée tend à remplacer le mot « généraliser » par le mot « encourager » et donc à rédiger ainsi la première phrase de la recommandation n° 25 : « Encourager les entreprises à mettre en place des comités climatiques ou RSE au sein de leur conseil d'administration, notamment en poursuivant les actions menées au niveau de l'État actionnaire ».

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Avis favorable.

La proposition de modification n° 12, ainsi rectifiée, est adoptée.

Mme Sophie Primas. - De la même façon, il est proposé, par la proposition de modification n° 13 rectifiée, de remplacer le mot « généraliser » par le mot « encourager » et de rédiger ainsi la recommandation n° 26 : « Dans le prolongement de la pratique actuelle, encourager les entreprises cotées à prendre en compte des critères en lien avec le climat dans la détermination de la part variable de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux, notamment en poursuivant l'action de l'APE. »

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Avis favorable.

La proposition de modification n° 13, ainsi rectifiée, est adoptée.

M. Philippe Folliot. - J'avais déposé une proposition de modification portant sur la recommandation n° 27, mais elle n'a pas été distribuée.

La recommandation n° 27 vise à « instituer un site internet public dédié qui permettrait à l'issue d'un délai suffisant de collecter des documents d'archives non publics des entreprises du secteur de l'énergie concernant des décisions relatives à la lutte contre le changement climatique ». La notion de « délai suffisant » est trop floue et sujette à contentieux. C'est la raison pour laquelle je proposais de supprimer cette recommandation.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Nous pourrions remplacer l'expression « délai suffisant » par « un délai à définir ».

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La constitutionnalité de ce que nous avons écrit a été vérifiée, je suppose...

M. Roger Karoutchi, président. - La remarque de Philippe Folliot me semble judicieuse. Nous pourrions écrire : « Instituer un site internet public dédié qui permettrait de collecter des documents d'archives non publics des entreprises du secteur de l'énergie concernant des décisions relatives à la lutte contre le changement climatique. » Cela n'engage pas à grand-chose, à dire vrai, mais nous supprimons ainsi l'expression litigieuse.

M. Philippe Folliot. - Cette recommandation touche les stratégies des entreprises. La règle qui s'applique de manière générale est qu'il faut rendre ces documents publics après trente ans. Je ne voudrais pas qu'on mette le doigt dans un engrenage qui rende les choses complexes pour les entreprises et difficilement gérables pour tous ceux qui auront à traiter d'éventuels contentieux en la matière.

M. Roger Karoutchi, président. - Inutile d'imposer un délai, au fond. Le rapporteur accepte-t-il cette modification rédactionnelle ?

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Oui.

Il en est ainsi décidé.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission d'enquête adopte le rapport ainsi modifié ainsi que les annexes, et en autorise la publication.

Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.

M. Roger Karoutchi, président. - Je rappelle que le secret s'impose, y compris sur les réseaux sociaux, à l'issue de cette réunion jusqu'à l'expiration du délai prévu pour la demande de constitution du Sénat en comité secret. Il n'est donc pas possible pour les membres de notre commission de communiquer sur l'issue de nos travaux avant le milieu de la semaine prochaine.

Les groupes politiques pourront transmettre au secrétariat de la commission d'enquête, d'ici le lundi 17 juin, une contribution de taille raisonnable - quatre ou cinq pages - afin que celle-ci soit insérée dans le rapport. Celui-ci sera publié à l'issue du délai réglementaire, la semaine prochaine.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Merci à tous, je suis très heureux que ce rapport ait été adopté.

M. Roger Karoutchi, président. - Au début de nos travaux, il n'était pas évident que nous puissions aboutir en raison du champ particulier de la commission d'enquête. Je considère que le travail a été bien fait. Qu'il y ait des divergences, des différences, des oppositions, c'est le débat démocratique normal. Nous aboutissons à un rapport équilibré, dont la qualité fait honneur au Sénat ; personne n'a obtenu tout ce qu'il voulait, mais les groupes peuvent déposer une contribution.

Merci à tous !

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