C. DES ACTIONS EN DIRECTION DES RÉSEAUX SOCIAUX

Le rôle potentiellement néfaste des réseaux sociaux dans la propagation de fausses informations justifie que des actions spécifiques soient menées en direction de ces plateformes. Au cours de la crise, plusieurs réseaux - notamment Facebook, YouTube et Twitter - ont utilisé des stratégies de « nudging », incitant les utilisateurs à une certaine vigilance quant à la véracité des informations rencontrées ou partagées, dont l'efficacité a été confirmée par plusieurs travaux académiques expérimentaux451(*). Ces initiatives doivent être encouragées et accompagnées d'actions visant à fournir des conseils en littératie numérique, qui ont également montré leur efficacité452(*).

L'architecture des réseaux sociaux détermine l'éditorialisation des contenus mis en ligne et est, à cet égard, susceptible d'engendrer de lourdes conséquences en termes de mésinformation et de désinformation. Récemment, le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act)453(*) a exigé des plateformes numériques qu'elles informent leurs utilisateurs sur les modalités selon lesquelles elles personnalisent les contenus et, pour les plus grandes d'entre elles (utilisées par plus de 45 millions de citoyens européens par mois), qu'elles offrent la possibilité d'utiliser un système de recommandation ne reposant pas sur du profilage. En outre, ces très grandes plateformes doivent analyser annuellement les risques systémiques qu'elles génèrent et prendre les mesures nécessaires pour les atténuer. Dans ce cadre, un dialogue doit être entrepris avec ces plateformes afin de faire évoluer leurs algorithmes pour qu'ils minimisent la diffusion et les éventuels impacts des fausses informations. Pour ce faire, les contenus provenant de créateurs de contenus et d'institutions fiables pourraient notamment être promus, comme le recommande Laurent Cordonier.

Des efforts doivent également être menés pour améliorer la modération des contenus sur ces plateformes, aujourd'hui fortement automatisée et relativement défaillante. Cette ambition est portée par le règlement européen sur les services numériques qui impose aux plateformes la mise en oeuvre d'une modération effective, en proposant des outils de signalement simples d'accès et d'utilisation et en coopérant avec des « signaleurs de confiance »454(*) dont les signalements sont traités en priorité.

D. BÂTIR LA CONFIANCE DE LA POPULATION

La mésinformation et la désinformation sont étroitement liées à la confiance de la société envers les institutions et les sources fiables d'information. Le renforcement de cette confiance, qui apparaît comme une priorité, doit être mené en amont des situations de crise, au cours desquelles elle est difficile à gagner et a plutôt tendance à s'éroder. En effet, puisque les individus sont plus fréquemment exposés à des informations fiables qu'à de fausses informations, renforcer la confiance dans les premières offrirait de plus grands bénéfices qu'augmenter la méfiance envers les secondes455(*).

La construction d'une confiance dans l'information ne peut passer que par la diffusion d'une information de confiance. Celle-ci se doit d'être bâtie sur la base de l'état des connaissances scientifiques et ne pas céder aux sirènes de la sur-simplification, sous peine de générer des imprécisions s'éloignant de la réalité scientifique. Les institutions doivent s'exprimer de manière coordonnée et cohérente, afin de ne pas créer ce sentiment de cacophonie ou de dissensus qui a malheureusement pu être observé pendant la crise sanitaire456(*).

La communication politique apparaît également comme un facteur clef dans la construction de cette confiance. Celle-ci doit faire preuve de transparence et reconnaître la responsabilité et la capacité de discernement de la population. Au début de la crise sanitaire, la communication gouvernementale sur l'usage des masques a pu faire prospérer l'idée d'une communication insincère. Aussi, au cours de l'été 2022, 60,5 % des répondants à une enquête française estimaient que les autorités avaient volontairement caché certaines informations au public457(*). L'adhésion de la société aux décisions politiques dépend de la qualité des informations et des justifications qui lui sont apportées, notamment en cas de divergences - qui peuvent être légitimes - avec d'éventuels avis d'expertise.

Or, selon cette même enquête, seuls 42,6 % des déclarants estimaient que les raisons scientifiques des décisions prises pour gérer la pandémie avaient été bien expliquées. A posteriori, la reconnaissance des erreurs commises, compréhensibles dans un contexte d'urgence et de connaissances mouvantes, est aussi primordiale pour instaurer un lien de confiance. Il est enfin essentiel de maintenir une distinction claire entre les discours scientifique et politique, afin d'éviter une vision partisane de la science et de provoquer une perte de confiance tant dans la science que dans la politique.


* 451 a) G. Pennycook et al., Psychol. Sci. 2020, 31, 770 ( https://doi.org/10.1177/0956797620939054) ; b) G. Pennycook et al., Nature 2021, 592, 590 ( https://doi.org/10.1038/s41586-021-03344-2) ; c) G Pennycook et al., Ann. Am. Acad. Pol. Soc. Sci. 2022, 700, 152 ( https://doi.org/10.1177/00027162221092342) ; d) A. A. Arechar et al., Nat. Hum. Behav. 2023, 7, 1502 ( https://doi.org/10.1038/s41562-023-01641-6).
Toutefois, ces interventions n'étant pas spécifiques, elles sont également susceptibles d'affecter les informations fiables.

* 452 a) A. M. Guess et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA 2020, 117, 15536 ( https://doi.org/10.1073/pnas.1920498117) ; b) Z. Epstein et al., HKS Misinformation Review 2021 ( https://doi.org/10.37016/mr-2020-71).

* 453 Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE ( https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv%3AOJ.L_.2022.277.01.0001.01.FRA&toc=OJ%3AL%3A2022%3A277%3ATOC).

* 454 En France, ce statut sera fourni par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

* 455 A. Acerbi et al., HKS Misinformation Review 2022 ( https://doi.org/10.37016/mr-2020-87).

* 456 Évidemment, cela n'implique pas d'éclipser les potentiels dissensus scientifiques, qui doivent au contraire être explicités et expliqués.

* 457 ORS PACA, Enquête SLAVACO Vague 5 : Qui a (encore) peur de la covid-19 et jugements sur l'action des pouvoirs publics durant l'épidémie, 2022 ( http://www.orspaca.org/sites/default/files/note-slavaco-n5.pdf).

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