B. UN RÔLE DES RÉSEAUX SOCIAUX TOUTEFOIS RELATIVISÉ

Ces différents éléments ont conduit à faire émerger l'idée d'un rôle prépondérant des réseaux sociaux dans le développement des fausses informations. Toutefois, malgré des effets indéniables, la littérature scientifique a récemment relativisé cette vision qui a pu être qualifiée de « panique morale » et nécessiterait plus de nuances376(*).

1. Un regard nuancé sur le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion et le partage des fausses informations

L'idée d'un rôle majeur des réseaux sociaux dans le développement des fausses informations a été alimentée par une étude publiée en 2018 dans le journal Science377(*), suggérant que les fausses informations s'y répandaient plus rapidement et plus largement que les informations vérifiées, mais dont les conclusions ne pourraient être généralisées à l'ensemble des fausses informations378(*). Des travaux ultérieurs, notamment menés au cours de la pandémie, ont montré que les informations ne suivaient pas nécessairement des schémas de diffusion différents selon leur véracité379(*) et que les informations fiables pouvaient même être plus largement partagées que les fausses informations380(*).

De plus, si les contenus de mésinformation et de désinformation peuvent parfois être très largement partagés, cette action ne doit pas nécessairement être perçue comme une marque d'approbation mais peut répondre à d'autres intentions, comme celle de corriger l'information ou l'expression d'un scepticisme ou d'une moquerie381(*).

2. Une contribution relativement limitée des fausses informations pour l'information du public

Il est aujourd'hui extrêmement difficile d'évaluer avec précision la proportion exacte de fausses informations présentes sur les réseaux sociaux, notamment parce que cela nécessite de reconnaître leur inexactitude382(*). Cette évaluation est en outre rendue plus difficile dans le cas de formats non textuels, comme sur Instagram, YouTube ou TikTok. Cette part est également susceptible de varier considérablement en fonction de la plateforme, du sujet, du moment et du pays considérés.

L'étude préalablement citée portant sur 2,7 millions de tweets a fait valoir que 4 % des liens partagés renvoyaient vers des sites internet connus pour diffuser de fausses informations383(*). Une analyse systématique des fausses informations liée à la covid-19 sur diverses plateformes a, quant à elle, estimé une prévalence allant de 0,2 % à 28,8 %384(*).

Toutefois, l'utilisation des réseaux sociaux doit être considérée dans la perspective plus large du régime informationnel dans sa globalité. Plusieurs études ont montré que les individus souhaitant s'informer ont peu recours aux réseaux sociaux385(*) et qu'ils consultent prioritairement des sites d'information reconnus comme fiables386(*). Aussi, les fausses informations ne représenteraient qu'une faible part de l'ensemble des informations consommées : entre 4 et 5 % du temps consacré par les Français à consulter des informations en ligne concernerait des sources non fiables387(*).

En outre, si la crise a été marquée par une « infodémie », il est à noter que l'augmentation de la consommation d'informations pendant cette période a principalement bénéficié aux sites d'information dignes de confiance388(*).

3. Des acteurs qui peinent à élargir leur cible

Corollaire des bulles épistémiques présentées précédemment, les fausses informations ont une faible capacité à atteindre un large public. D'après une étude menée sur la thématique vaccinale entre janvier 2020 et octobre 2021 sur Twitter, le public touché par les contenus critiques aurait été principalement celui des utilisateurs déjà particulièrement défiants à l'égard des vaccins389(*).

En effet, les individus ont tendance à privilégier les informations qui correspondent à leurs convictions ou qu'ils sont enclins à accepter. Aussi, les visites des sites connus pour publier de fausses informations seraient principalement le fait de citoyens qui douteraient des médias traditionnels et dont les points de vue seraient déjà fortement polarisés390(*).

Par conséquent, les fausses informations seraient susceptibles de n'avoir qu'un faible impact sur les attitudes et comportements, en dehors d'un potentiel renforcement de croyances préexistantes391(*).

4. Un recul critique qui limite la portée des fausses informations

L'exposition à une fausse information ne conduit pas nécessairement à y croire - ce serait même plutôt rare392(*). Plusieurs études ont montré que les internautes détenaient une bonne capacité de discernement quant à la véracité des informations rencontrées sur les réseaux sociaux393(*) qui bénéficient d'une faible confiance394(*).

En France, une étude expérimentale portant sur les vaccins contre la covid-19 a montré que l'exposition à de fausses informations n'avait qu'un effet limité sur les intentions vaccinales395(*). On peut également souligner une certaine divergence entre la dynamique de la circulation des discours critiques à l'égard des vaccins sur Twitter - restée relativement constante au cours de la pandémie - et l'évolution des intentions vaccinales, suggérant un impact limité des mobilisations critiques sur ce réseau social396(*).


* 376 a) E. Mitchelstein et al., Soc. Media Soc. 2020, 6, 2056305120984452 ( https://doi.org/10.1177/2056305120984452) ; b) A. Jungherr et al., Soc. Media Soc. 2021, 7, 2056305121988928 ( https://doi.org/10.1177/2056305121988928) ; c) D. A. Scheufele et al., J. Appl. Res. Mem. Cogn. 2021, 10, 522 ( https://doi.org/10.1016/j.jarmac.2021.10.009) ; d) S. Altay et al., Soc. Media Soc. 2023, 9, 2056305122115041 ( https://doi.org/10.1177/20563051221150412).

* 377 S. Vosoughi et al., Science 2018, 359, 1146 ( https://doi.org/10.1126/science.aap9559).

* 378 S. Altay et al., Soc. Media Soc. 2023, 9, 2056305122115041 ( https://doi.org/10.1177/20563051221150412).

* 379 M. Cinelli et al., Sci. Rep. 2020, 10, 1 ( https://doi.org/10.1038/s41598-020-73510-5).

* 380 C. M. Pulido et al., Int. Sociol. 2020, 35, 377 ( https://doi.org/10.1177/0268580920914755).

* 381 a) N. Johansen et al., HKS Misinformation Review 2022, 1 ( https://doi.org/10.37016/mr-2020-93) ; b) M. J. Metzger et al., Media Commun. 2021, 9, 3409 ( https://doi.org/10.17645/mac.v9i1.3409).

* 382 M. J. Lazer et al., Science 2018, 359, 1094 ( https://doi.org/10.1126/science.aao2998).

* 383 M. Osmundsen et al., Am. Political Sci. Rev. 2021, 115, 999 ( https://doi.org/10.1017/S0003055421000290).

* 384 E. Gabarron et al., Bull. World Health Organ. 2021, 99, 455 ( https://doi.org/10.2471/BLT.20.276782).
Sur d'autres sujets de santé, notamment sur les produits du tabac et les drogues, la part de fausses informations pourrait être plus importante. Voir : V. Suarez-Lledo
et al., J. Med. Internet Res. 2021, 23, e17187 ( https://doi.org/10.2196/17187).

* 385 L. Cordonier et al., Comment les Français s'informent-ils sur Internet ? Analyse des comportements d'information et de désinformation en ligne, Étude de la Fondation Descartes, 2021 ( https://www.fondationdescartes.org/2021/03/comment-les-francais-sinforment-ils-sur-internet/).

* 386 R. Fletcher et al., Measuring the reach of « fake news » and online disinformation in Europe, Reuters Institute Factsheet 2018 ( https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/our-research/measuring-reach-fake-news-and-online-disinformation-europe).
Sur les sujets médicaux, les médecins représentent le canal d'information le plus utilisé et celui qui bénéficie de la plus grande confiance. Voir : L. Cordonier,
Information et santé. Analyse des croyances et comportements d'information des Français liés à leur niveau de connaissances en santé, au refus vaccinal et au renoncement médical, Étude de la Fondation Descartes, 2023 ( https://www.fondationdescartes.org/2023/10/information-et-sante/).

* 387 L. Cordonier et al., Comment les Français s'informent-ils sur Internet ? Analyse des comportements d'information et de désinformation en ligne, Étude de la Fondation Descartes, 2021 ( https://www.fondationdescartes.org/2021/03/comment-les-francais-sinforment-ils-sur-internet/).
Des proportions similaires sont observées à l'étranger. Voir : S. Altay
et al., JQD:DM 2022, 2, 1 ( https://doi.org/10.51685/jqd.2022.020).

* 388 S. Altay et al., JQD:DM 2022, 2, 1 ( https://doi.org/10.51685/jqd.2022.020).

* 389 M. Faccin et al., PLoS ONE 2022, 17, e0271157 ( https://doi.org/10.1371/journal.pone.0271157).

* 390 A. Guess et al., HKS Misinformation Review 2020, 1 ( https://doi.org/10.37016/mr-2020-004).

* 391 S. Altay et al., Soc. Media Soc. 2023, 9, 2056305122115041 ( https://doi.org/10.1177/20563051221150412).
Il est toutefois nécessaire de souligner que l'adhésion à des informations erronées sur la sécurité de la vaccination a une incidence sur le recours à la vaccination. Voir : D. Romer
et al., Vaccine 2022, 40, 6463 ( https://doi.org/10.1016/j.vaccine.2022.09.046).

* 392 H. Mercier, Rev. Gen. Psychol. 2017, 21, 103 ( https://doi.org/10.1037/gpr0000111).

* 393 a) R. Fletcher et al., Inf. Commun. Soc. 2019, 22, 1751 ( https://doi.org/10.1080/1369118X.2018.1450887) ; b) A. Acerbi et al., HKS Misinformation Review 2022 ( https://doi.org/10.37016/mr-2020-87).

* 394 L. Cordonier, Information et santé. Analyse des croyances et comportements d'information des Français liés à leur niveau de connaissances en santé, au refus vaccinal et au renoncement médical, Étude de la Fondation Descartes, 2023 ( https://www.fondationdescartes.org/2023/10/information-et-sante/).

* 395 C. de Saint Laurent et al., Cogn. Res.: Princ. Implic. 2022, 7, 87 ( https://doi.org/10.1186/s41235-022-00437-y).
Une étude menée au Royaume-Uni et aux Etats-Unis a toutefois montré que l'exposition à des fausses informations était susceptible de diminuer l'adhésion vaccinale contre la covid-19. Voir : S. Loomba
et al., Nat. Hum. Behav. 2021, 5, 337 ( https://doi.org/10.1038/s41562-021-01056-1). Une étude menée avant la pandémie avait également observé un effet similaire. Voir : D. Jolley et al., PLoS One 2014, 9, e89177 ( https://doi.org/10.1371/journal.pone.0089177).

* 396 M. Faccin et al., PLoS One 2022, 17, e0271157 ( https://doi.org/10.1371/journal.pone.0271157).

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