III. UNE ÉPIDÉMIOLOGIE QUI RESTE MAL CONNUE

A. DES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES

Les études épidémiologiques conduites sur le covid long se heurtent aux difficultés de diagnostic : certains patients risquent d'être exclus de ces études faute de reconnaissance de leur maladie, tandis que d'autres, souffrant potentiellement d'affections sans lien avec la covid-19, peuvent être inclus par erreur. Faute d'une définition harmonisée, les études portant sur cette maladie utilisent des critères qui peuvent différer, notamment concernant la documentation de l'infection, les symptômes considérés et la temporalité par rapport à la phase aiguë.

Il en résulte une difficulté à comparer les résultats, qui peut être accentuée par des facteurs de confusion et des biais de sélection liés au mode de recrutement des participants (à l'hôpital ou en population générale, par échantillonnage aléatoire ou par participation volontaire, en personne ou à distance, etc.). Dans de nombreux cas, l'absence ou la mauvaise construction du groupe de contrôle rend difficile de déterminer si les symptômes sont directement liés à la covid-19 ou s'ils auraient pu se manifester en l'absence d'infection161(*).

B. DES RÉSULTATS DIVERGENTS

En raison de ces obstacles et biais méthodologiques, il existe une grande variabilité des données épidémiologiques concernant l'incidence du covid long et une difficulté d'aboutir à des résultats concordants162(*).

Plusieurs méta-analyses ont récemment tenté de dresser une tendance sur la base des résultats de la littérature. Ainsi, une méta-analyse incluant 41 études a relevé des taux de prévalence de symptômes après 28 jours allant de 9 à 81 %, avec une prévalence globale de 43 % (54 % chez les patients hospitalisés et 34 % chez les non-hospitalisés)163(*), tandis qu'une autre étude portant sur 1,2 million d'individus a évalué la prévalence des principaux symptômes évocateurs d'un covid long 12 semaines après l'infection à 5,7 % pour les patients n'ayant pas nécessité d'hospitalisation, 27,5 % pour les patients hospitalisés et 43,1 % pour les patients pris en charge en unité de soins intensifs164(*). Dans son avis, le Covars fait état de plusieurs études relevant une incidence supérieure à 30 % à la suite d'une infection symptomatique et jusqu'à plus de 50 % pour les cas ayant nécessité une hospitalisation165(*). Au regard de ces différentes données, le consensus scientifique estime l'incidence de cette maladie entre 10 et 30 % des cas non hospitalisés et entre 50 et 70 % des cas hospitalisés166(*).

En mars 2023, une publication a estimé, en utilisant l'hypothèse prudente d'une incidence de 10 %, que, dans le monde, au moins 65 millions de personnes auraient été concernées, à un moment donné, par un diagnostic de covid long167(*). Néanmoins, directement liée au taux d'incidence retenu et au nombre estimé de cas de covid, cette évaluation est empreinte d'une grande incertitude et certaines estimations proposent des nombres plus de 2 fois supérieurs168(*).

En novembre 2022, Santé publique France a mené une enquête afin d'évaluer le nombre de personnes touchées par cette maladie169(*). Parmi l'échantillon de plus de 10 000 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine interrogées, 48 % déclaraient une infection confirmée ou probable par le SARS-CoV-2 plus de 3 mois auparavant. Parmi celles-ci, 8 % présentaient les critères d'une affection post-covid-19 selon la définition de l'OMS, soit 4 % de la population d'étude170(*). Aussi, Santé publique France estimait le nombre d'adultes concernés par un covid long à plus 2 millions en France métropolitaine. Du point de vue de la gravité de l'affection, un impact sur les activités quotidiennes au moins modéré était déclaré par 2,4 % des personnes interrogées et un impact fort ou très fort par 1,2 % de celles-ci. Sur la base de ces résultats, le Covars estime, dans son avis, que plusieurs centaines de milliers de Français seraient encore aujourd'hui invalidés dans leur quotidien par un covid long.

Ces résultats sont concordants avec ceux d'autres études populationnelles menées à l'étranger. À l'automne 2022, soit à la même période que l'enquête de Santé publique France, 3,3 % de la population adulte britannique présentait des symptômes persistants depuis plus de 4 semaines171(*). Ces symptômes avaient un impact négatif sur les activités quotidiennes dans 73 % des cas, avec une capacité « fortement limitée » à mener ces activités pour 16 % d'entre eux. De même, au cours de cette même année 2022, la prévalence du covid long a été estimée à 4,6 % dans la population adulte canadienne172(*) et à 6,0 % chez les adultes états-uniens173(*).

Chez les enfants et adolescents, les premières données disponibles ont suggéré que l'incidence du covid long serait plus faible que chez les adultes. En 2021, une analyse de la littérature avait estimé que 2 à 5 % des enfants ayant été infectés par le SARS-CoV-2 auraient développé un covid long174(*). Cependant, des méta-analyses plus récentes ont abouti à des proportions supérieures, plus proches de celles observées en population adulte : la prévalence du covid long serait de 25,24 % après 4 semaines175(*) et de 16,2 % après 3 mois176(*). À nouveau, on peut observer des résultats qui varient fortement selon les études et un manque récurrent de groupe de contrôle permettant de conclure quant à la responsabilité causale de l'infection et de dresser des conclusions robustes177(*). Pour le Covars, le taux d'incidence de cette maladie chez les enfants, marqué par une forte sous-détection, serait compris entre 10 et 25 %, soit un intervalle de proportion similaire à celui observé dans la population adulte.


* 161 Pour une vision critique des méthodologies employées, voir notamment : T. B. Høeg et al., BMJ Evid. Based Med. 2023, sous presse ( https://doi.org/10.1136/bmjebm-2023-112338).

* 162 Pour des revues de la littérature, voir les analyses publiées par la Haute Autorité de santé et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies : a) Haute Autorité de santé, Symptômes prolongés à la suite de la covid-19 : état des lieux des données épidémiologiques (avril 2023), 2023 ( https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2023-04/reco445_analyse_litterature_epidemio_mel.pdf) ; b) Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, Prevalence of post COVID-19 condition symptoms: a systematic review and meta-analysis of cohort study data, stratified by recruitment setting, 2022 ( https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/documents/Prevalence-post-COVID-19-condition-symptoms.pdf).

* 163 C. Chen et al., J. Infect. Dis. 2022, 226, 1593 ( https://doi.org/10.1093/infdis/jiac136).

* 164 Global Burden of Disease Long COVID Collaborators, JAMA 2022, 328, 1604 ( https://doi.org/10.1001/jama.2022.18931).

* 165 Covars, Avis du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) du 7 novembre 2023 sur le syndrome post-covid, ses enjeux médicaux, sociaux et économiques et les perspectives d'amélioration de sa prise en charge, 2023 ( https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-11/avis-du-covars-du-7-novembre-2023---syndrome-post-covid-29943.pdf).

* 166 H. E. Davis et al., Nat. Rev. Microbiol. 2023, 21, 133 ( https://doi.org/10.1038/s41579-022-00846-2). Pour l'OMS, 10 à 20 % des personnes infectées par le SARS-CoV-2 seraient concernées par un covid long. Voir : OMS, Maladie à coronavirus (COVID-19) : affection post-COVID-19, 2023 ( https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/coronavirus-disease-(covid-19)-post-covid-19-condition).

* 167 H. E. Davis et al., Nat. Rev. Microbiol. 2023, 21, 133 ( https://doi.org/10.1038/s41579-022-00846-2).

* 168 La méta-analyse précédemment citée ayant identifié une incidence du covid long de 43 % avait par exemple estimé ce nombre à 200 millions. Voir : C. Chen et al., J. Infect. Dis. 2022, 226, 1593 ( https://doi.org/10.1093/infdis/jiac136).

* 169 Santé publique France, Enquête « COVID long - Affection post-COVID-19, France métropolitaine », septembre - novembre 2022. Premiers résultats, 2023( https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/enquetes-etudes/enquete-covid-long-affection-post-covid-19-france-metropolitaine-septembre-novembre-2022-premiers-resultats).

* 170 On peut noter une variation importante selon la définition retenue, avec une prévalence pouvant aller jusqu'à 13,1 % en utilisant la définition de l'Office for National Statistics britannique. Voir : J. Coste et al., Clin. Microbiol. Infect. 2024, sous presse ( https://doi.org/10.1016/j.cmi.2024.03.020).

* 171 Office for National Statistics, Prevalence of ongoing symptoms following coronavirus (COVID-19) infection in the UK: 3 November 2022, 2022 ( https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/healthandsocialcare/conditionsanddiseases/bulletins/prevalenceofongoingsymptomsfollowingcoronaviruscovid19infectionintheuk/3november2022).

* 172 Statistique Canada, Symptômes à long terme chez les adultes canadiens ayant obtenu un résultat positif à la covid-19 ou ayant soupçonné une infection, janvier 2020 à août 2022, 2022 ( https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221017/dq221017b-fra.htm).

* 173 N. D. Ford et al., Morb. Mortal. Wkly Rep. 2023, 72, 866 ( https://doi.org/10.15585/mmwr.mm7232a3).

* 174 P. Zimmermann et al., Pediatr. Infect. Dis J. 2021, 40, e482 ( https://doi.org/10.1097/inf.0000000000003328).

* 175 S. Lopez-Leon et al., Sci. Rep. 2022, 12, 9950 ( https://doi.org/10.1038/s41598-022-13495-5).

* 176 L. Jiang et al., Pediatrics 2023, 152, e2022060351 ( https://doi.org/10.1542/peds.2022-060351).

* 177 J. Hirt et al., Arch. Dis. Child 2023, 108, 498 ( https://doi.org/10.1136/archdischild-2022-324455).
Il est nécessaire de souligner la difficulté de construire des groupes de contrôle en population pédiatrique, en raison d'une part importante de formes asymptomatiques de la covid-19 et du faible nombre de tests réalisés dans cette population.
D'après certaines études de cohorte, l'augmentation des symptômes chez des enfants infectés par rapport à un groupe de contrôle ayant été testé négativement serait relativement faible. Voir : S. Rao
et al., JAMA Pediatr. 2022, 176, 1000 ( https://doi.org/10.1001/jamapediatrics.2022.2800).

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