B. LA CRÉDIBILISATION DE LA STRATÉGIE DE SOUTIEN PUBLIC À LA DÉCARBONATION DE L'INDUSTRIE EST NÉCESSAIRE AU REGARD DE L'ENVELOPPE LIMITÉE PROGRAMMÉE DANS LE CADRE DU PLAN FRANCE 2030
1. La consolidation des aides exceptionnelles à la décarbonation de l'industrie financées par le plan France 2030 nécessite d'améliorer l'information du Parlement et le respect du principe d'additionnalité
a) Améliorer l'information du Parlement sur l'évolution du plan France 2030
Les crédits budgétaires du plan France 2030, à la différence des crédits conventionnels gérés par les ministères, bénéficie d'un cadre budgétaire exceptionnel en application duquel l'intégralité des autorisations d'engagements (AE) de chaque action est consommée au moment de la signature de la convention entre l'État et les opérateurs par laquelle l'État délègue aux opérateurs la gestion des crédits. Ce circuit extrabudgétaire a pour but de préserver la capacité du secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et des opérateurs du plan à privilégier des investissements et des enjeux de long terme sans être atteints par des décisions de réduction à court terme des dépenses publiques.
Ce cadre extrabudgétaire, qui aménage les modalités d'application du principe d'annualité budgétaire aux investissements du plan France 2030, a une double conséquence. Premièrement, il implique que le Parlement, qui voit son pouvoir budgétaire limité par ce circuit spécifique, bénéficie d'une information complète, régulière et détaillée des dépenses engagées dans le cadre du plan France 2030.
Deuxièmement, les dépenses prises en charge par le plan France 2030 doivent impérativement être strictement des dépenses « d'avenir », c'est-à-dire ayant pour but la prise en compte d'enjeux de long terme, au risque sinon de transformer le plan France 2030 en voie de contournement du cadre budgétaire classique pour des dépenses qui pourraient être prises en charge par les crédits conventionnels des ministères. Pour éviter cela, le législateur a fixé les grands principes d'une doctrine d'investissement en application desquels le plan doit financer des projets : innovants ou de transformation de la base industrielle du pays ; sélectionnés selon une procédure ouverte et objective ; sélectionnés en tenant compte d'un retour sur investissement ; cofinancés ; sélectionnés selon une procédure transparente dont les éléments sont rendus publics77(*).
En premier lieu, les modalités d'information du Parlement dans le cadre du plan France 2030 sont largement perfectibles et l'évolution de près d'un cinquième de l'enveloppe dédiée à l'objectif de décarbonation de l'industrie entre l'automne 2023 et le printemps 2024, sans que le Parlement en ait été informé, illustre la nécessité de renforcer sensiblement l'information du Parlement sur l'usage des crédits du plan.
Les modalités d'information obligatoires du Parlement prévues par la loi reposent notamment sur la transmission d'un bilan financier trimestrielle aux commissions chargées des finances de chaque assemblée et sur la transmission, aux commissions chargées de finances et aux commission compétentes, pour information et avant leur signature, des projets de convention entre l'État et les opérateurs du plan ou d'éventuels redéploiements entre les différentes actions.
Ces obligations formelles d'information restent de portée limitée, comme l'ont déjà souligné les critiques formulées par' la Cour des comptes78(*), et ne permettent pas suffisamment aux assemblées parlementaires d'être régulièrement informées sur les objectifs et leviers du plan.
En effet, l'architecture conventionnelle du plan France 2030, qui reprend la maquette budgétaire de la mission « Investir pour la France de 2030 », répartit les crédits du plan, pour son volet dirigé, selon le niveau de maturité technologique (TRL) des projets soutenus. Par conséquent, l'information obligatoire prévue par la loi auprès du Parlement ne prévoit pas d'information relative à la répartition entre les dix-sept objectifs et leviers du plan.
Il est paradoxal que le Parlement ne soit pas dûment informé de la répartition de l'enveloppe globale entre ces différents objectifs et leviers alors même que le Gouvernement et le Président de la République ont choisi de privilégier une communication et une présentation du plan selon une matrice organisée autour de ces dix-sept « grands défis ».
Une des conséquences de ce défaut de communication est que le Parlement n'est pas informé régulièrement de la déclinaison des 54 milliards d'euros du plan entre les dix-sept objectifs et leviers du plan.
Les rapporteurs relèvent à cet égard que l'annexe générale (« jaune » budgétaire) relative aux investissements d'avenir du projet de loi de finances pour 2024 a marqué une amélioration dans l'information du Parlement en adoptant une présentation structurée par objectifs et leviers dans sa troisième partie. Il est toutefois à relever que ce document ne propose pas de présentation synthétique de l'enveloppe programmée pour chacun des dix-sept objectifs et leviers, alors même qu'une telle présentation figure dans des documents publiés en 2023 par le comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA)79(*) et par la Cour des comptes80(*).
Or cette maquette initiale, qui répartit les crédits entre les dix-sept objectifs et leviers du plan, constitue la colonne vertébrale stratégique du plan France 2030. Par conséquent, eu égard à la spécificité du cadre extrabudgétaire préalablement rappelé, il serait légitime que le Parlement soit informé rapidement de toute évolution dans cette répartition.
Dans la maquette initiale de répartition du plan, le montant total des aides atteint 57 milliards d'euros, l'écart de trois milliards d'euros avec le montant des crédits du plan étant expliqué par « une fourchette haute des besoins de programmation pour atteindre les objectifs fixés ».
Le 23 octobre 2023, une réunion interministérielle d'arbitrage a permis une reprogrammation des enveloppes initiales pour ramener à 54 milliards d'euros le montant total du plan.
L'objectif de décarbonation de l'industrie (objectif n°3) a été un des objectifs dont l'enveloppe a été la plus réduite à l'issue de cet exercice de reprogrammation, en passant de 5,5 milliards d'euros à 4,5 milliards d'euros, soit une réduction de 18 % des crédits prévus.
En dehors du contrôle budgétaire mené par les rapporteurs, les parlementaires n'ont pas été préalablement informés de cet exercice de reprogrammation et n'ont pas été destinataires, en parallèle du débat budgétaire de l'automne 2023, de la maquette de répartition actualisée entre les dix-sept objectifs et leviers du plan France 2030.
Les rapporteurs relèvent à cet égard que cette information n'a pas fait l'objet d'une communication par le secrétariat général pour l'investissement alors même qu'elle a des conséquences directes sur la visibilité des acteurs 'industriels quant à l'engagement de la puissance publique pour financer les aides à la décarbonation de l'industrie, dès lors que le montant initial programmé de 5,5 milliards d'euros a lui-même fait l'objet d'une large diffusion de la part des ministères et opérateurs en charge du plan. En l'absence de transparence sur la reprogrammation des crédits du plan, la réduction d'un milliard d'euros de l'enveloppe fragilise la crédibilité de la parole publique.
Recommandation n°5. Informer le Parlement de toute évolution de la maquette de répartition des crédits du plan France 2030 entre les dix-sept objectifs et leviers du plan et transmettre chaque année, avec le projet de loi de finances, la maquette de répartition actualisée des crédits du plan (SGPI, DB).
b) Garantir l'effectivité du principe de non-substitution des crédits du plan France 2030
En deuxième lieu, une partie des aides au déploiement des solutions de décarbonation présente un risque de substituabilité avec les aides financées par les crédits ministériels conventionnels.
En effet, dès lors que les crédits du plan France 2030 sont exemptés du cadre budgétaire classique, il est impératif qu'ils financent des actions exceptionnelles gérées « de manière étanche par rapport au reste du budget »81(*). Ce principe de non-substitution, vise à garantir que les crédits du plan ne se substituent pas aux crédits conventionnels, ce qui transformerait le plan en voie de contournement de la rigueur des procédures budgétaires conventionnels.
Or, dans le périmètre de l'objectif de décarbonation de l'industrie, il apparaît que certaines des aides financées par le plan présentent un risque de non-conformité avec le principe de non-substitution.
En particulier, depuis 2021, les aides versées par l'Ademe dans le cadre de l'appel à projet annuel « Biomasse Chaleur Industrie Agriculture Tertiaire » (BCIAT) ont été financées, sur le plan budgétaire, par trois programmes différents.
En premier lieu, les crédits conventionnels et pérenne du programme budgétaire 181 « Prévention des risques » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » abondent chaque année le « Fonds chaleur » de l'Ademe dont l'AAP annuel BCIAT constitue l'un des modes d'intervention.
En deuxième lieu, les crédits conventionnels et temporaire du programme 362 « Écologie » de la mission « Plan de relance » ont également financé, en 2021 et en 2022, les aides attribuées à des bénéficiaires de l'AAP annuel BCIAT.
Enfin en troisième lieu, depuis 2023, les crédits exceptionnels et extrabudgétaires du programme 424 « Financement des investissements stratégiques » de la mission « Investir pour la France de 2030 » financent également les aides attribuées à certains bénéficiaires de l'AAP annuel BCIAT, avec la particularité que les crédits du plan France 2030 ne peuvent financer que des projets dans le secteur industriel, lesquels doivent respecter des critères de sélection additionnels.
Financement budgétaire des aides
attribuées dans le cadre
de l'AAP annuel BCIAT
(en AE consommées et en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les données de l'Ademe
Le schéma de financement des aides aux projets d'installations biomasses de production de chaleur dans l'industrie attribués dans le cadre de l'AAP annuel BCIAT témoigne d'un risque de substitution des crédits du plan France 2030 à des crédits ministériels conventionnels.
En effet, la hausse du nombre de projets candidats dans le secteur industriel à l'AAP annuel BCIAT aurait pu être absorbée par une hausse des crédits conventionnels qui abondent le Fonds chaleur de l'Ademe. À l'inverse, la réduction des autorisations d'engagement (AE) conventionnelles de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » (programme 181) consommées par l'attribution d'aides de l'appel BCIAT en 2022 et en 2023 a été compensée par un abondement par des crédits exceptionnels issus du plan France 2030.
Le choix de mettre en place un système de double abondement, voire de triple abondement au regard des crédits du plan de relance mobilisés en 2021 et en 2022, se traduit par une confusion des sources de financement des aides de ce dispositif qui sont financées dans certains cas par des crédits ministériels soumis au cadre budgétaire traditionnel et dans certains cas par des crédits extrabudgétaires du plan France 2030 qui ne sont pas soumis au même encadrement.
Pour éviter ce type de schéma de financement, et renforcer le respect du principe de non-substitution qui est une condition de la légitimité du cadre extrabudgétaire dont bénéficie le plan France 2030, les rapporteurs relèvent que le secrétariat général pour l'investissement pourrait appliquer un principe d'abondement exclusif en application duquel les dispositifs d'aides financés par le plan France 2030 ne bénéficient d'aucun autres financements du budget de l'État.
Recommandation n°6. Consacrer un « principe d'abondement exclusif » en application duquel les dispositifs d'aide financés par le plan France 2030 ne peuvent pas être simultanément financés par d'autres programmes du budget de l'État (SGPI).
2. L'enveloppe de quatre milliards d'euros d'aides au déploiement des solutions de décarbonation de l'industrie prévue dans le cadre du plan France 2030 ne permet de couvrir que 18 % des besoins de financement identifiés pour atteindre les objectifs climatiques de la France à horizon 2030
L'objectif de décarbonation de l'industrie du plan France 2030, annoncé par le Président de la République lors du lancement du plan le 12 octobre 2021 est une stratégie « extrêmement onéreuse » qui repose sur « des investissements massifs de plusieurs centaines de millions d'euros par site industriel »82(*).
Les investissements de décarbonation sont des investissements à réaliser par des sociétés privées. Cependant, pour que les industriels soient incités à réaliser ces investissements il faut une aide publique suffisante pour que l'investissement ne dégrade pas la compétitivité des sociétés concernées. Comme l'a souligné le Président de la République : « sans un investissement public, c'est impossible, c'est insoutenable ».
Le travail de planification réalisé par la direction générale des entreprises (DGE) auprès des industriels et en particulier auprès des groupes contrôlant les cinquante sites industriels les plus émetteurs a permis de dégager une estimation du besoin de financement public à 22 milliards d'euros à horizon 203083(*). L'enveloppe de financement public à hauteur de 4 milliards d'euros dans le cadre du plan France 2030 ne couvre par conséquent que 18 % du besoin total de financement identifié.
Besoin de financement public au soutien
de la
décarbonation de l'industrie
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les données de la DGE
Cette estimation correspond à un déficit de financement, c'est-à-dire au montant des dépenses publiques nécessaires pour couvrir les surcoûts induits par la décarbonation et déclencher les investissements sans que les industriels ne perçoivent une sur-rémunération grâce à leur investissement. C'est une estimation globale des besoins de financement pour la décarbonation de l'industrie pour atteindre un objectif de réduction de 45 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur d'industrie entre 1990 et 2030. Une partie d'entre eux seront couverts par des dispositifs en dehors de l'enveloppe de l'objectif de décarbonation de l'industrie du plan France 2030, dont notamment le Fonds chaleur de l'Ademe ou la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France.
Dans le périmètre strict des aides au déploiement des solutions de décarbonation du plan France 2030, l'enveloppe initiale de 5 milliards d'euros devait permettre de couvrir les investissements permettant d'atteindre une réduction des émissions de 10 millions de tonnes de carbone.
Dans son discours devant les dirigeants des cinquante sites industriels les plus émetteurs du 8 novembre 2022, le Président de la République, en amont du travail de planification réalisée par la direction générale des entreprises et les industriels, et pour inciter les industriels à proposer des trajectoires ambitieuses, a pris l'engagement de doubler l'enveloppe d'aide publique à la décarbonation de l'industrie pour la porter à 10 milliards d'euros si les engagements pris par les industriels permettait d'atteindre la cible de réduction des émissions de 20 millions de tonnes de carbone à horizon 203084(*).
À l'issue du travail de planification réalisé avec les cinquante sites les plus émetteurs, la direction générale des entreprises a publié les contrats de transition écologique (CTE) des cinquante sites les plus émetteurs et elle a indiqué que, dans le scénario ambitieux, les engagements pris par les industriels atteignaient un volume global de réduction des émissions de 22 millions de tonne de carbone à horizon 203085(*).
Par conséquent, dès lors que la cible fixée par le Président de la République était atteinte par les industriels, le pouvoir exécutif était en mesure de donner aux acteurs du secteur une visibilité claire sur l'hypothèse de doublement de l'enveloppe d'aide pour la porter à 10 milliards d'euros comme l'avait annoncé le Président de la République.
Aucune des réponses écrites transmises aux rapporteurs dans le cadre de ce contrôle ne permette d'indiquer clairement l'arbitrage rendu par l'exécutif sur cette hypothèse de doublement de l'enveloppe d'aide à la décarbonation.
A contrario, quelques semaines après que les industriels ont atteint l'objectif qui leur avait été fixé par le Président de la République, la reprogrammation du plan France 2030 intervenue le 23 octobre 2023 s'est traduite par une réduction d'un milliard d'euros de l'enveloppe d'aide au déploiement des solutions de décarbonation du plan France 2030 qui a été portée de cinq à quatre milliards d'euros. La différence avec l'annonce faite par le Président de la République atteint donc désormais six milliards d'euros. Par surcroît, le manque de visibilité des industriels sur le niveau réel d'engagement budgétaire de l'État à court et moyen terme sur le déploiement des solutions de décarbonation de l'industrie réduit la portée de l'exercice de planification engagée par le ministère chargé de l'industrie.
Aides au déploiement des solutions de
décarbonation de l'industrie
du plan France 2030
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances
Si lors de leur audition du cabinet du ministre chargé de l'industrie, il a été indiqué aux rapporteurs que le volume global de 10 milliards d'euros d'aide à la décarbonation de l'industrie serait bien atteint, aucune précision n'a pu être apportée sur le véhicule budgétaire de ces aides, ni sur leur échéancier de déploiement. Il a en revanche été clairement indiqué aux rapporteurs que les crédits du plan France 2030 ne contribuerait pas au-delà des quatre milliards programmés dans la maquette actualisée du plan86(*).
Les rapporteurs estiment dès lors qu'il existe un problème de méthode dans la manière dont le Gouvernement gère la programmation pluriannuelle de ses aides au déploiement des solutions de décarbonation dans l'industrie. Selon les termes du Président de la République, la méthode doit être de se doter « d'une vision globale » assortie « d'une planification nationale » dans le but de donner aux industriels « de la visibilité pluriannuelle »87(*). Au regard du flou qui existe sur le montant total des aides au déploiement des solutions de décarbonation de l'industrie, les rapporteurs estiment que la crédibilité de la parole publique et la visibilité des acteurs concernés serait renforcée par une prise de position claire sur l'hypothèse de doublement des aides à la décarbonation de l'industrie.
Alors que la situation dégradée des finances publiques se traduit par une forte contrainte pesant sur les dépenses publiques dans les années à venir, le Gouvernement doit renforcer la lisibilité de son action par des annonces claires et sincères sur sa trajectoire budgétaire en matière d'aide à la décarbonation de l'industrie.
Recommandation n°7. Rendre un arbitrage clair sur l'hypothèse de doublement des aides au déploiement des solutions de décarbonation de l'industrie et préciser le cas échéant le véhicule budgétaire et la trajectoire pluriannuelle de financement pour crédibiliser cet engagement et donner de la visibilité aux acteurs du secteur (ministre chargé de l'industrie).
En complément des autres leviers de décarbonation de l'industrie, les solutions de capture et de séquestration du carbone (CCS88(*)) constituent une technologie utile pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet serre (GES) du secteur industriel sur le territoire français, en particulier dans le cas des émissions de carbone non-énergétiques pour lesquelles il n'existe pas aujourd'hui de procédé alternatif économiquement viable.
Dans le cadre du travail de planification écologique mené par la direction générale des entreprises et les quatre grands filières industriels89(*), trois de ces quatre filières ont identifié les technologies de capture et de séquestration du carbone comme un levier déterminant pour la décarbonation de leurs sites industriels. La filière chimie estime par exemple que ces technologies constituent parfois « la seule option de décarbonation à court terme pour certains sous-secteurs de la chimie en France, les autres voies de décarbonation étant doit insuffisamment matures soit confrontées à un manque de disponibilité d'énergie et de matière première bas-carbone »90(*). Le développement des solutions de capture et de séquestration du carbone est également identifié comme un levier par la filière « mines et métallurgie » et surtout par la filière « ciment » qui y voit un « levier incontournable » de la décarbonation de la filière dès lors que le processus industriel de décarbonatation du calcaire, central dans la production du ciment, est à l'origine de deux tiers des émissions de la filière91(*).
Le 23 juin 2023, la Première ministre a présenté la stratégie nationale relative à la capture, au stockage et à l'utilisation du carbone, ou « stratégie CCUS », qui a été mise en consultation jusqu'au 29 septembre 2023.
Les grandes orientations stratégiques publiées par le Gouvernement consacre le soutien de la puissance publique au déploiement de ces technologies comme solution de réduction des émissions résiduelles incompressibles. La stratégie nationale de juin 2023 fait par surcroît une estimation du volume des émissions de carbone évitées par le déploiement de ces technologies dans le secteur industriel. Le potentiel des « émissions négatives » permises par la capture et la séquestration de carbone dans l'industrie est estimée par le Gouvernement entre 4 et 8 MtCO2 par an à échéance 2023 et entre 15 et 20 MtCO2 par an à échéance 2050. Les rapporteurs relèvent que, dans son avis sur la stratégie CCUS publié en novembre 2023, le Haut Conseil pour le climat estime que l'objectif fixé pour 2030 « apparaît ambitieux, au regard des projets déjà engagés et du peu de maturité des phases de stockage ».
La stratégie CCUS présente également un séquençage en trois phases du déploiement des solutions de capture et de séquestration du carbone : une phase 1 (2026-2030) de déploiement sur les zones industrielles de Dunkerque, du Havre et de Fos-sur-Mer ; une phase 2 (2028-2033) de déploiement dans les Pyrénées, dans l'estuaire de la Loire et dans les bassins aquitain et parisien ; enfin une phase 3 (après 2033) dans la région Grand Est.
La stratégie CCUS estime le volume des investissements nécessaires au déploiement de ces technologies entre 11 et 18 milliards d'euros92(*). La stratégie mentionne également le fait qu'un soutien public sera nécessaire dès lors que le prix actuel du carbone dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) n'est pas suffisant. Si pour la modalité du soutien public, la stratégie évoque la mise en place de « contrat carbone pour différence » (CCfD93(*)), le document publié par le Gouvernement ne permet pas d'identifier clairement les financements publics pluriannuels associés au déploiement de cette stratégie.
Les déclarations publiques du Président de la République ont régulièrement évoqué le financement du déploiement des solutions de capture et de séquestration du carbone (CCS) par le plan France 2030. À titre d'illustration, les rapporteurs relèvent ainsi que le Président de la République a déclaré en novembre 2022 qu'il souhaitait « que France 2030 puisse pleinement contribuer »94(*) à la stratégie CCUS. Plus récemment, les rapporteurs relèvent qu'en décembre 2023, dans un discours dans lequel il présentait les axes prioritaires du plan France 2030, le Président de la République a cité « les technologies de captage, de transport et de stockage du carbone »95(*).
En parallèle de cette mise en avant du financement de la stratégie CCUS par le plan France 2030, les rapporteurs relèvent que l'enveloppe du plan dédiée à l'objectif de décarbonation de l'industrie (objectif n°3) ne permettra pas au plan de participer de manière substantielle à la stratégie CCUS. Les aides directes aux solutions CCUS financées dans le cadre de cet objectif correspondent à une enveloppe prévisionnelle de 26 millions d'euros gérées par l'Ademe pour financer des études de faisabilité dans le domaine de la capture et de la séquestration du carbone (CCS), soit seulement 0,6% de l'enveloppe globale du plan France 2030 dédiée à la décarbonation de l'industrie. '''''
Au regard des différentes annonces qui font état d'un financement de la stratégie CCUS par les crédits du plan France 2030, les rapporteurs relèvent que l'écart important entre les montants d'aide programmés dans le cadre de l'objectif de décarbonation de l'industrie du plan et les besoins d'investissements de grande envergure nécessaires pour déployer les solutions de capture et de séquestration du carbone nuit à la lisibilité et à la crédibilité de la stratégie CCUS. L'établissement d'un volet financier associé à la stratégie, faisant apparaître clairement la contribution du plan France 2030, serait de nature à crédibiliser la mise en oeuvre de la stratégie CCUS.
Recommandation n°8. Compléter la stratégie nationale de capture, stockage et utilisation du carbone (CCUS) par un volet financier qui indique le montant des aides publiques associées à chaque phase de déploiement et préciser la contribution des investissements d'avenir à cette stratégie (DGE, SGPI).
* 77Art. 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, B du I.
* 78 La Cour estime notamment que « l'information est présentée de manière très détaillée, par action, ce qui ne donne pas de vision globale (...) qui serait le bon niveau d'appréciation politique de l'impact ». Cour des comptes, décembre 2015, Le programme d'investissement d'avenir. Une démarche exceptionnelle, des dérives à corriger.
* 79 CSIA, juin 2023, France 2030. Lancement maîtrisé d'un plan d'investissements à impacts majeurs, p. 36.
* 80 Cour des comptes, avril 2023, Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Investir pour la France de 2030 », p. 94.
* 81 A. Juppé et M. Rocard, novembre 2009, Investir pour l'avenir. Priorités stratégiques d'investissement et emprunt national, p.15.
* 82 Président de la République, discours du 12 octobre 2021 à l'occasion de la présentation du plan France 2030.
* 83 Réponse de la DGE au questionnaire des rapporteurs.
* 84 « Ce que je veux ici prendre comme engagement, c'est que nous serons au rendez-vous de cet effort et nous doublerons l'accompagnement aux financements publics ». Discours du Président de la République du 8 novembre 2022 à l'occasion de la réunion avec les dirigeants des cinquante sites industriels qui émettent le plus de gaz à effet de serre en France.
* 85 Gouvernement, 22 novembre 2023, dossier de presse « Signature des contrats de transition écologique de l'industrie », p.9.
* 86 Réponse du SGPI au questionnaire des rapporteurs.
* 87 Discours du Président de la République du 8 novembre 2022 à l'occasion de la réunion avec les dirigeants des cinquante sites industriels qui émettent le plus de gaz à effet de serre.
* 88 Carbon Capture and Storage (CCS).
* 89 Chimie ; matériaux de construction ; mines et métallurgie ; agroalimentaire.
* 90 Conseil national de l'industrie, juin 2023, Feuille de route de décarbonation de la chimie en France, p. 15.
* 91 Conseil national de l'industrie, mai 2023, Feuille de route de décarbonation de la filière « ciment », p. 14.
* 92 Gouvernement, juin 2023, Stratégie CCUS. Capture, stockage, et utilisation du carbone, p. 11.
* 93 Carbon Contract for Différences.
* 94 Discours du Président de la République du 8 novembre 2022 à l'occasion de la réunion avec les dirigeants des cinquante sites industriels qui émettent le plus de gaz à effet de serre en France.
* 95 Discours du Président de la République du 11 décembre 2023 à Toulouse à l'occasion des deux ans du plan France 2030.