N° 640

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mai 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les aides à la décarbonation
de l'
industrie du plan France 2030,

Par MM. Laurent SOMON et Thomas DOSSUS,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La décarbonation de l'industrie constitue l'un des 17 « grands défis » financés par le plan France 2030. Il apparait cependant que l'enveloppe actualisée de 4,5 milliards d'aides programmées ne correspond pas aux annonces faites en matière de réduction des émissions de l'industrie.

MM. Laurent Somon et Thomas Dossus, rapporteurs spéciaux chargé des crédits de mission « Investir pour la France de 2030 », ont présenté le 29 mai 2024 les résultats de leur contrôle sur les aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030.

I. LE PLAN FRANCE 2030 FINANCE 4,5 MILLIARDS D'EUROS D'AIDES POUR RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DES SITES INDUSTRIELS QUI REPRÉSENTENT 18 % DES ÉMISSIONS SUR LE TERRITOIRE

A. LES 50 SITES INDUSTRIELS LES PLUS ÉMETTEURS SE SONT ENGAGÉS À DIVISER PAR DEUX LEURS ÉMISSIONS EN DIX ANS EN S'APPUYANT SUR LES AIDES À LA DÉCARBONATION DE L'INDUSTRIE DU PLAN FRANCE 2030

L'industrie manufacturière représente, avec 18 % des émissions totales, un des premiers secteurs émetteurs de gaz à effet de serre (GES) en France. La trajectoire de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre actuellement en vigueur1(*) prévoit une réduction de 37 % des émissions du secteur industriel entre 2015 et 2030. Alors que la stratégie nationale bas-carbone fait actuellement l'objet d'un exercice d'actualisation par décret qui n'a pas été précédé d'un débat au Parlement malgré le dépassement du délai limite de juillet 2023 fixé par la loi2(*), la mise en place d'instruments de soutien à l'investissement adaptés est une condition nécessaire au respect par la France de ses engagements nationaux et européens qui ont été réhaussé depuis 2020.

Le secteur industriel se caractérise par une forte concentration des émissions de GES et les « 50 sites » industriels les plus émetteurs sur le territoire français représentaient en 2019 des émissions de 43 millions de tonnes équivalent dioxyde de carbone (MtCO2éq) soit 54 % des émissions du secteur industriel et 10 % de l'ensemble des émissions sur le territoire national.

Le Président de la République a engagé, après les avoir reçus en novembre 2022, un exercice de contractualisation avec les groupes industriels concernés pour fixer une trajectoire de décarbonation des 50 sites industriels les plus émetteurs consistant, à diviser par deux en dix ans leurs émissions. Dans ce cadre, les aides du plan France 2030 ont été identifiées comme le vecteur principal du soutien à la décarbonation des grands sites industriels.

Les crédits de France 2030 dédiés à la décarbonation visent principalement

qui représentent

soit à eux seuls

 
 
 

sites industriels
très émetteurs

d'émissions annuelles

des émissions de gaz à effet de serre en France

B. LE PLAN FRANCE 2030 PRÉVOIT UNE ENVELOPPE DE 4,5 MILLIARDS D'EUROS POUR SOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT DE SOLUTIONS FRANÇAISES DE DÉCARBONATION ET LEUR DÉPLOIEMENT SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

Le plan France 2030, doté d'un montant total de 54 milliards d'euros, consacre l'un de ses dix-sept objectifs et leviers à la décarbonation de l'industrie. L'enveloppe dédiée à cet objectif s'élève, après reprogrammation, à 4,5 milliards d'euros. Les aides se décomposent en deux branches : d'une part le soutien au développement en France de solutions de décarbonation, qui est un soutien à l'offre de décarbonation, et d'autre part l'apport financier par des investissements destinés à décarboner l'industrie sur le territoire, soit un soutien à la demande de décarbonation.

Aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030

Aides au développement de solutions de décarbonation de l'industrie (branche 1)

448 M€

Aides au déploiement de solutions de décarbonation (branche 2)

4 045 M€

dont décarbonation des petits sites industriels (volet 1)

670 M€

dont décarbonation des sites très émetteurs (volet 2)

3 375 M€

TOTAL

4 493 M€

Source : commission des finances

La première branche, dédiée au développement de solutions de décarbonation, représente 448 millions d'euros soit 10 % de l'enveloppe totale de l'objectif. Elle finance à la fois des projets de recherche, menés par des organismes nationaux (CNRS, CEA notamment), et de développement, menés par des industriels, comme la construction de démonstrateurs pour tester des solutions de décarbonation.

La seconde branche, qui soutient les investissements industriels de décarbonation, est dotée de 4 milliards d'euros dont 670 millions d'euros dédiés aux petits sites industriels (volet 1) et 3,4 milliards d'euros dédiés aux sites industriels très émetteurs (volet 2), en particulier aux 50 sites industriels les plus émetteurs ayant concerté avec l'État une trajectoire de réduction de leurs émissions.

France 2030 soutient à la fois le développement de solution de décarbonation et leur déploiement dans le tissu industriel

II. LE VOLUME DES AIDES À LA DÉCARBONATION DE L'INDUSTRIE DU PLAN FRANCE 2030 ET LEUR RYTHME DE DÉPLOIEMENT NE SONT PAS PROPORTIONNÉS AUX OBJECTIFS DE RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE L'INDUSTRIE

A. LES AIDES À LA DÉCARBONATION DU PLAN FRANCE 2030 NE PERMETTRONT PAS D'ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DES SITES INDUSTRIELS

Les aides du plan France 2030, qui bénéficient d'un cadre de gestion extrabudgétaire visant à éviter que les mesures d'économies budgétaires ne se fassent au détriment des investissements d'avenir, ne doivent pas devenir un instrument de compensation des réductions de crédits budgétaires conventionnels de certains ministères. Les rapporteurs constatent qu'une partie des aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030 ont servi à compenser la réduction des crédits budgétaires du ministère chargé de l'écologie dédié à certains guichets d'aide.

Pour garantir une gestion étanche entre les investissements d'avenir et le reste du budget, les rapporteurs proposent de consacrer un principe d'abondement exclusif en application duquel les aides financées par le plan France 2030 ne pourraient pas être simultanément financées par les crédits ministériels conventionnels.

L'objectif de décarbonation de l'industrie du plan France 2030 était initialement doté d'une enveloppe de 5,5 milliards d'euros. Le Gouvernement a, dans le cadre d'un exercice de reprogrammation du plan France 2030 décidé en octobre 2023 qu'il n'a pas rendu public, réduit d'un milliard d'euros l'enveloppe dédiée à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030. Les rapporteurs relèvent que l'absence de publicité et de communication au Parlement autour de cette reprogrammation nuit à la crédibilité de l'engagement public en faveur de la décarbonation de l'industrie et à la visibilité des industriels sur le soutien public aux investissements de décarbonation.

Les crédits exceptionnels du plan France 2030 ne doivent pas se substituer à des crédits ministériels soumis au cadre budgétaire conventionnel

Aides au déploiement des solutions de décarbonation de l'industrie
du plan France 2030

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances

La réduction de 20 % des aides du plan France 2030 en faveur du déploiement des solutions de décarbonation est d'autant moins compréhensible qu'elle va à rebours de l'engagement pris par le Président de la République de doubler l'enveloppe d'aide pour la porter à 10 milliards d'euros si les industriels fixaient des objectifs suffisamment ambitieux en matière de réduction de leurs émissions, condition que les industriels ont rempli dans le cadre de la concertation au sujet des « 50 sites ».

Alors que l'écart est désormais de 6 milliards d'euros entre les aides financés par France 2030 et l'enveloppe globale annoncée par le Président de la République, les rapporteurs estiment qu'il est urgent que le Gouvernement rende un arbitrage clair sur le montant total de l'enveloppe de soutien à la décarbonation de l'industrie et se positionne sur les instruments budgétaires mobilisés pour atteindre cette enveloppe à horizon 2030.

B. LE DÉPLOIEMENT DES AIDES À LA DÉCARBONATION DE L'INDUSTRIE DU PLAN FRANCE 2030 DOIT ÊTRE ACCÉLÉRÉ EN SIMPLIFIANT ET EN CLARIFIANT LES PROCÉDURES D'ATTRIBUTION DES AIDES

Dans un contexte de révision à la hausse des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur industriel programmée dans le cadre de la prochaine stratégie nationale bas-carbone (SNBC-3), le déploiement rapide des aides à la décarbonation du plan France 2030 est nécessaire pour accélérer le rythme de décarbonation de l'industrie.

France 2030 c'est

dont

et

 
 
 

d'aides à la décarbonation de l'industrie

des aides attribuées aux bénéficiaires finaux

des aides versées aux bénéficiaires finaux.

Or, plus de deux ans après le lancement du plan France 2030 par le Président de la République en octobre 2021, les rapporteurs relèvent que seulement 30 % des aides à la décarbonation de l'industrie ont été attribués aux bénéficiaires finaux3(*) et seulement 1 % décaissées à leur profit4(*). Ce délai de déploiement des aides risque à la fois de remettre en cause la réalisation des investissements lourds en infrastructures pour réduire les émissions avant 2030 et de fragiliser l'équilibre financier des bénéficiaires eu égard à l'inflation pendant la période d'instruction qui n'est pas systématiquement répercutée sur le montant de l'aide demandée.

Pour accélérer le rythme de déploiement des aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030 et conséquemment les investissements en faveur de la décarbonation des sites industriels, les rapporteurs relèvent que la procédure d'attribution des aides peut être clarifiée et simplifiée. Ils proposent notamment des modalités pour simplifier les dossiers de demande, accélérer le délai d'obtention d'une aide et lisser dans le temps les dépôts de demande.

Délai moyen d'obtention d'une aide à la décarbonation de l'industrie
du plan France 2030

(en mois)

Source : commission des finances, d'après les données de l'Ademe


* 1 Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif à la stratégie nationale bas-carbone (SNBC-2).

* 2 Art. L. 100-1 A du code de l'énergie.

* 3 Au 29 février 2024.

* 4 Au 31 décembre 2023.

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