II. EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 29 mai 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission a examiné le rapport, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de Mmes Élisabeth Doineau et Cathy Apourceau-Poly, rapporteures, sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons entendre à présent la communication de la rapporteure générale Élisabeth Doineau et de Cathy Apourceau-Poly à l'issue des travaux de la mission d'information qu'elles ont conduite, au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé.
Je vous rappelle que les travaux de nos collègues s'inscrivent dans le programme de contrôle de la Mecss pour la session 2023-2024, dont le bureau de la commission a pris acte à la fin de l'année dernière.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - J'illustrerai mon propos à l'aide de plusieurs diapositives.
Si la fiscalité comportementale est parfois qualifiée de « fiscalité puritaine », nous n'avons évidemment pas abordé le sujet dans une optique moralisatrice. Il ne s'agit pas de dire qu'il est mal de boire de l'alcool ou de manger gras, sucré ou salé - tant que c'est avec modération. La situation est plus compliquée dans le cas du tabac, puisque la quasi-totalité des fumeurs sont des usagers quotidiens ou presque. Or c'est le fait d'être un fumeur quotidien, plus que le nombre de cigarettes fumées, qui est dangereux pour la santé.
Le sujet de notre rapport est particulièrement important. Il s'agit en effet, en utilisant la fiscalité comme point d'entrée, de nous interroger sur les politiques de lutte contre le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et l'obésité.
Pourquoi nous interroger sur ces politiques ? Parce que ces comportements et pathologies entraînent un nombre élevé de décès prématurés, qu'ils réduisent considérablement le bien-être de nos concitoyens, qu'ils ont un coût élevé pour les finances publiques, et, enfin, parce qu'il existe un consensus technique sur ce qu'il convient de faire pour mettre en place des politiques de prévention efficaces.
Deux informations sont essentielles. D'abord, le tabac, l'alcool et l'obésité tuent globalement en France plus de 100 000 personnes par an, soit trente fois plus que les accidents de la route. Ensuite, leur coût net pour les finances publiques est globalement supérieur à 10 milliards d'euros selon les estimations usuelles. Il est plus élevé encore, si on prend en compte le fait que les personnes concernées produisent moins, ce qui a bien entendu des conséquences sur les recettes.
Nous nous sommes efforcées d'adopter autant que possible une approche évaluative, afin d'aborder sans polémique ce sujet qui déchaîne les passions.
Nous avons aussi voulu faire preuve de pragmatisme, en nous fixant pour règle de ne retenir que des mesures effectivement susceptibles d'être mises en oeuvre.
L'industrie du tabac n'est pas une industrie comme une autre, du fait bien sûr de la létalité de sa production, mais aussi de l'intensité de son lobbying. Les États membres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont, pour cette raison, adopté en 2003 une convention-cadre pour la lutte antitabac, ratifiée en 2004 par la France, qui, notamment, oblige les pouvoirs publics à la transparence dans leurs relations avec l'industrie du tabac. Cette convention est explicitement citée dans le guide déontologique à destination des sénateurs. Nous nous sommes évidemment conformées à une exigence de transparence. En particulier, les représentants de l'industrie du tabac ont été auditionnés par la Mecss en plénière.
J'en viens à la première partie de notre présentation, relative au constat - lequel, vous vous en douterez, est un constat d'échec.
Dans le cas du tabac, cet échec est d'autant plus paradoxal que les moyens mis en oeuvre sont considérables. La fiscalité du tabac s'élève à 14 milliards d'euros par an. Elle représente plus de 80 % du prix d'un paquet de cigarettes. La France fait partie des six États où ce prix est le plus élevé.
Par ailleurs, la fiscalité n'est évidemment pas le seul outil de lutte contre le tabagisme. On pourrait donc s'attendre, compte tenu des moyens mis en oeuvre, à un éclatant succès de la politique menée en la matière. Or c'est tout le contraire.
Si l'on s'intéresse à la santé publique, l'indicateur pertinent n'est pas le nombre de cigarettes vendues, mais la proportion de fumeurs quotidiens. C'est en effet le fait de fumer régulièrement, plus que le nombre de cigarettes fumées, qui suscite le risque sanitaire.
Dans la plupart des pays de l'OCDE, le tabagisme a baissé de manière continue depuis les années 1960. Le fait que cette baisse soit ancienne, constante et quasi systématique suggère qu'elle a reposé sur des phénomènes sociaux plus que sur des politiques publiques. Or la France se distingue par rapport aux autres pays, comme on le voit sur le graphique, puisque le tabagisme est demeuré quasiment stable depuis cette période.
On observe une baisse du tabagisme après l'adoption de la loi Évin en 1991 et après les deux principales hausses de fiscalité, entre 2003 et 2004 puis entre 2018 et 2020. Les hausses de taxe sont donc efficaces. Toutefois, d'autres phénomènes, peut-être indépendants des politiques publiques, qui se sont produits dans la plupart des autres pays, ne se sont manifestement pas produits chez nous.
J'en viens maintenant à l'alcool.
L'alcool ne pose pas de problème tant qu'il est consommé avec modération. Par ailleurs, chacun sait que la consommation d'alcool a fortement baissé en France depuis les années 1960. À l'époque, il était normal de boire du vin quasiment à chaque repas. Ce n'est heureusement plus le cas aujourd'hui.
Toutefois, l'alcool demeure un problème majeur de santé publique.
Le graphique de gauche montre comment la consommation d'alcool pur par habitant a évolué depuis les années 1960 dans les États de l'OCDE. Nous avons clairement un problème : malgré sa forte baisse, la consommation d'alcool reste aujourd'hui en France supérieure à ce qu'elle était dans la plupart des pays de l'OCDE dans les années 1960. Aujourd'hui, dans l'OCDE, seuls trois États affichent une consommation d'alcool par habitant supérieure à celle de la France : la République tchèque, l'Autriche et la Lettonie.
Le graphique de droite montre que, en France, 10 % de la population sont à l'origine de près de 60 % de l'alcool consommé. Le modèle économique de la filière complique donc la lutte contre la consommation nocive d'alcool.
Si nous en sommes là, c'est parce que la politique de lutte contre la consommation nocive d'alcool a été singulièrement timide, beaucoup plus que celle contre le tabagisme.
Cette timidité a amené la Cour des comptes, dans une note de 2021 sur les enjeux structurels en matière de santé, à estimer que, contrairement à la lutte contre le tabagisme, les pouvoirs publics « n'ont pas engagé d'effort notable afin de réduire la consommation d'alcool ».
La loi Évin de 1991, qui interdit totalement la publicité pour le tabac, l'autorise sur la quasi-totalité des supports pour l'alcool, à l'exception de la télévision et du cinéma. Les contraintes portent en fait sur le contenu : on n'a pas le droit de parler d'autre chose que d'éléments factuels. Il n'est pas autorisé, par exemple, de chercher à associer une boisson alcoolisée à la convivialité. Les publicités doivent mentionner le fameux slogan « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé ». Depuis 2009, la publicité est autorisée sur internet, ce qui, rétrospectivement, n'apparaît pas une bonne chose, tant les infractions sont nombreuses.
Par ailleurs, l'alcool est relativement peu taxé. Les recettes fiscales sont de seulement 4 milliards d'euros par an, contre 14 milliards d'euros pour le tabac. Surtout, le vin n'est quasiment pas taxé, ce qui prive de fait la fiscalité de l'alcool de tout effet sur la santé.
Enfin, après le tabac et l'alcool, nous avons examiné la fiscalité comportementale dans le champ nutritionnel. Il s'agit d'un sujet relativement récent, dans lequel les politiques sont tout juste initiées.
En 2012, le législateur a franchi un premier pas en instaurant la « taxe soda », qui se compose en fait de deux taxes : l'une sur les boissons à sucres ajoutés, l'autre sur les boissons édulcorées. La France a été l'un des premiers pays à décider de la mise en oeuvre de cette fiscalité, et une cinquantaine d'État dans le monde y ont recours aujourd'hui.
Ces politiques rencontrent donc un succès certain, alors qu'à l'inverse, les taxes sur les produits alimentaires solides se développent peu. Il n'existe pas en France de taxe à visée comportementale sur les aliments autres que les boissons.
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 a cherché à donner une dimension véritablement comportementale à la taxe sur les boissons sucrées, parce qu'elle ne produisait pas d'effet incitatif - ou plutôt désincitatif - dans son format précédent. Son barème linéaire a donc été modifié pour le rendre progressif. En revanche, cette réforme n'a pas concerné la taxe sur les boissons édulcorées, qui a conservé un barème linéaire et qui produit peu d'effet.
Ces deux taxes ont permis de récolter 486 millions d'euros de recettes en 2023, un montant en augmentation depuis 2018.
Pourtant, malgré la réforme de 2018, le bilan de la « taxe soda » est mitigé : l'augmentation des prix des boissons sucrées a été très faible - inférieure à 2 % par rapport au prix des boissons édulcorées -, et la moindre consommation de sucres est évaluée à moins d'un gramme par mois par habitant.
Enfin, sauf dans certains cas, les producteurs n'ont pas vraiment diminué le taux de sucre de leurs produits - ce que l'on appelle l'effet de reformulation - pour réduire le poids de la taxe qu'ils doivent payer.
Ce bilan décevant s'explique par le format de la taxe, trop complexe - elle présente quinze paliers ! - et trop progressif, qui ne produit pas d'effet de seuil significatif pour inciter les consommateurs ou les industriels à modifier leur comportement. D'autres modèles existent, nous le verrons par la suite.
D'ailleurs, tant que les recettes fiscales continuent d'augmenter, on peut considérer que la taxe ne décourage pas suffisamment la consommation des boissons sucrées.
Enfin, d'autres mesures sont mobilisées pour essayer de structurer une politique nutritionnelle, avec plus ou moins de succès. Les chartes d'engagements volontaires qui permettent à l'État de contractualiser avec des filières de production pour améliorer la composition nutritionnelle des produits, sur la base du volontariat, ont eu un effet très limité. De même, la loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, dite loi Gattolin, est aujourd'hui dépassée et très largement insuffisante.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je prends le relais pour vous présenter la seconde partie de notre exposé, relative aux propositions. Celles-ci se décomposent en quatre parties : des propositions transversales, puis des recommandations relatives au tabac, à l'alcool, et enfin à la nutrition.
Il nous apparaît d'abord important que les recettes fiscales générées par les accises comportementales puissent être davantage orientées vers le financement de campagnes d'information et de sensibilisation - toutes les personnes auditionnées sont allées dans ce sens - , ou vers des dispositifs de soutien à l'achat de produits alimentaires favorables à la santé. Cette affectation est de nature à renforcer l'acceptabilité des taxes et crée un lien direct entre l'objet de la taxe et l'utilisation de ces recettes.
Ensuite, nous avons voulu souligner que la prévention doit être globale, alors qu'elle n'est aujourd'hui concentrée que sur le tabac. Une véritable politique de prévention de la consommation excessive d'alcool et de la mauvaise alimentation est nécessaire. Il faut pour cela cibler les publics, en priorité les jeunes et les adolescents, et travailler en partenariat avec les institutions scolaires et les collectivités locales, qui agissent au plus près des populations pour proposer des outils pragmatiques.
Enfin, nous devons nous donner les moyens de faire respecter la réglementation en vigueur concernant les interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs. C'est loin d'être le cas aujourd'hui - neuf débits de boissons sur dix ne respectent pas la loi. C'est un constat d'échec. Nous proposons d'alourdir les sanctions, qui n'ont pas d'effet dissuasif, et de renforcer les contrôles par une vérification des données d'identité pour s'assurer de l'âge lors de l'achat en magasin et en donnant compétence aux agents de la répression des fraudes.
J'en viens maintenant aux propositions concernant la lutte contre le tabagisme. Compte tenu des enjeux et de l'activité intense de communication et de lobbying de l'industrie du tabac, je suis obligée de m'attarder un peu sur le sujet.
D'abord, ce graphique montre le principal motif d'optimisme. Alors qu'il y a dix ans, le tabagisme quotidien au lycée était de 30 %, soit équivalent à celui du reste de la population, il s'élevait à 6 % en 2022. Si l'industrie du tabac ne trouve pas le moyen de contrecarrer cette évolution, le remplacement générationnel devrait permettre à la France de connaître enfin, au cours des prochaines décennies, la baisse du tabagisme qui a eu lieu dans les autres pays.
Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire. La principale proposition que nous faisons est de reprendre l'augmentation de la fiscalité du tabac. Cela peut a priori sembler paradoxal, si on considère que la France est à la fois l'un des pays où la fiscalité du tabac est la plus élevée et où le tabagisme est le plus élevé.
Toutefois, on a vu que l'étonnante stabilité du tabagisme en France, qui la distingue des autres pays, remonte aux années 1960, soit bien avant les hausses de fiscalité de ces vingt dernières années.
Par ailleurs, les principales hausses de fiscalité, celles de 2003-2004 et de 2018-2020, ont correspondu à deux des trois principales baisses du tabagisme, la dernière étant consécutive à la loi Évin de 1991. Il y a donc bien une efficacité des hausses de taxe.
Le graphique permet d'objectiver ce phénomène. Les années où le prix des cigarettes augmente de moins de 4 %, le tabagisme augmente généralement. En revanche, quand le prix des cigarettes augmente de plus de 4 %, le tabagisme diminue presque toujours.
La direction générale de la santé (DGS) nous a donc indiqué préconiser une hausse continue du prix des produits du tabac - une véritable augmentation, pas une simple indexation sur l'inflation, comme c'est actuellement le cas.
La fiscalité est d'ailleurs indiquée par l'OMS comme la mesure antitabac la plus efficace.
La reprise de l'augmentation du prix des produits du tabac permettrait en outre de conforter l'éloignement des jeunes du tabagisme, qui est le sujet le plus stratégique.
La hausse de la fiscalité du tabac suscite, comme chacun sait, l'opposition de l'industrie du tabac et des buralistes. Il apparaît pourtant que les hausses de fiscalité ne sont pas la principale cause de la baisse du nombre de buralistes. En moyenne, quand le prix augmente, la baisse des ventes est proportionnellement moindre, de sorte que les bénéfices des buralistes augmentent. Le tabac n'en joue pas moins un rôle de produit d'appel.
Le principal argument avancé par l'industrie du tabac pour s'opposer à une hausse de la fiscalité est que, selon elle, l'augmentation des prix en France susciterait une explosion du marché parallèle, notamment illégal. L'industrie du tabac communique abondamment à ce sujet, dans la presse et à l'attention des élus.
Toutefois, ses estimations du marché parallèle sont explicitement contestées par la direction générale des finances publiques (DGFiP), la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), dont les évaluations sont beaucoup plus faibles. Il faut avoir la modestie de reconnaître qu'on ignore l'ampleur exacte du marché parallèle. Le programme national de lutte contre le tabac 2023-2025 de la DGDDI prévoit d'ailleurs la réalisation d'une enquête plus approfondie sur celui-ci.
Par ailleurs, l'augmentation du marché parallèle indiquée par l'industrie du tabac est beaucoup moins spectaculaire si on l'exprime en nombre de cigarettes, et non en pourcentage du nombre total de cigarettes, la hausse étant alors concentrée sur 2021 et 2022. Et en supposant que cette hausse corresponde à une réalité, il resterait à prouver qu'elle vient bien de la hausse de prix de 2018-2020.
La cigarette électronique ne nous semble pouvoir jouer qu'un rôle assez faible dans la diminution du tabagisme. Nous vous proposons donc de laisser les autorités sanitaires faire leur travail d'évaluation et de ne pas faire de propositions à ce sujet.
Le tabac à chauffer est beaucoup plus dangereux que la cigarette électronique. Il nous semble donc nécessaire de résister au lobbying de l'industrie du tabac, qui demande d'abaisser sa fiscalité. Dans la LFSS pour 2023, nous avions voté des dispositions permettant de rapprocher la fiscalité du tabac à chauffer de celle du tabac classique.
La proposition n° 4 consiste à augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu'en 2040 (soit 5 % avec une inflation de 1,75 %). C'est en effet le taux à partir duquel la prévalence du tabagisme baisse en France.
Il nous semble qu'on pourrait augmenter le prix des produits du tabac non seulement par la fiscalité, mais aussi par une augmentation de la part du prix de vente revenant aux buralistes, fixée réglementairement.
La proposition n° 5 est le corollaire de la précédente. Pour qu'une hausse de la fiscalité soit socialement acceptable, il faut renforcer la lutte contre le marché parallèle.
La proposition n° 6 ne concerne pas le tabac, mais les produits contenant de la nicotine. Actuellement, si on excepte la cigarette électronique, ces produits peuvent être vendus aux mineurs. Cela concerne notamment les billes de nicotine. Nous préconisons d'interdire cette vente aux mineurs, conformément à une récente proposition de loi de notre collègue Alexandra Borchio-Fontimp. Comme elle, nous proposons que ces produits ne puissent être vendus que dans des bureaux de tabac ou des magasins spécialisés.
La proposition n° 7 pourrait sembler inutile, puisqu'elle préconise de maintenir le droit inchangé. En réalité, les industriels du tabac font un lobbying intense pour alléger la fiscalité sur le tabac à chauffer. Il nous semble donc utile de réaffirmer notre opposition à cette revendication.
J'en viens maintenant à nos propositions relatives à l'alcool.
Selon l'OFDT, quasiment aucun État européen producteur de vin ne taxe ce produit. Les seules exceptions sont la France et la Grèce, qui ne le taxent presque pas.
Lors du Printemps social de l'évaluation de 2023, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un rapport comprenant divers chapitres thématiques, dont l'un, rédigé par Cyrille Isaac-Sibille et Thierry Frappé, était consacré à la fiscalité comportementale applicable aux boissons. Ce rapport va assez loin dans ses propositions, préconisant notamment d'augmenter la fiscalité du vin.
Nous devons cependant être réalistes. Nous connaissons la teneur des débats concernant l'alcool. La France n'augmentera pas significativement la fiscalité du vin.
Une solution plus pragmatique serait d'instaurer un prix minimum de vente par unité d'alcool, comme c'est notamment le cas en Écosse depuis plusieurs années.
Par exemple, si on fixait un prix minimum à 60 centimes pour 10 grammes d'alcool, une bouteille de vin de 75 centilitres ne pourrait pas être vendue à moins de quatre ou cinq euros. Or certaines bouteilles sont vendues à deux euros.
La proposition n° 8 consiste à préconiser la poursuite des réflexions sur l'instauration d'un prix minimum par unité d'alcool. Actuellement la filière s'y oppose, craignant que la marge générée revienne aux vendeurs et aux grandes surfaces. Nous souhaiterions qu'elle bénéficie uniquement au producteur.
Le rapport de 2023 de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale préconisait non seulement d'augmenter la fiscalité du vin, mais aussi d'instaurer un prix minimum par unité d'alcool.
Je précise que le prix minimum par unité d'alcool ne relève pas des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
La proposition n° 9 consiste à mieux encadrer la publicité de l'alcool. Actuellement, les sanctions sont soit insignifiantes, soit inapplicables. Dans le cas d'internet, où la publicité est autorisée depuis 2009, les règles sont peu respectées, en particulier par les influenceurs. Nous vous proposons donc de retenir des peines plus dissuasives et adaptées et d'interdire la publicité pour l'alcool sur internet.
La proposition n° 10 consiste à élaborer et à rendre public un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool, sur le modèle des programmes nationaux de lutte contre le tabac. C'est une recommandation qu'avait formulée la Cour des comptes en 2016. Un tel programme national permettrait de fixer des objectifs clairs et favoriserait la cohérence des actions menées.
Pour terminer, nous avons également formulé des propositions dans le champ nutritionnel, pour créer les conditions d'un environnement favorable à la santé.
Concernant le format de la « taxe soda », il nous semble nécessaire de le réformer à nouveau pour lui donner une portée réellement comportementale et renforcer son efficacité. C'est l'objet de la proposition n° 11.
Le cas du Royaume-Uni est tout à fait éclairant : ce pays a mis en place une taxe sur les sodas en 2018, qui pèse sur la quantité totale de sucres dans les boissons, et non sur les seuls sucres ajoutés comme en France. Il n'y a que deux tranches fiscales, contre quinze en France !
L'effet incitatif est d'autant plus fort que les paliers entre les niveaux de taxe sont élevés. Au final, l'effet de la taxe britannique a été dix fois supérieur à celui de la taxe française si l'on compare la moindre quantité de sucres consommés.
Par ailleurs, il est ressorti de nos travaux qu'une taxe bien expliquée aux contribuables et comprise des consommateurs est relativement bien acceptée. C'est pourquoi nous recommandons d'accompagner cette réforme d'une communication claire, en insistant sur le fait que les recettes de ces taxes pourront être affectées au financement d'actions de prévention en santé (proposition n° 12).
Pour aller plus loin, il ne faut pas se limiter à l'outil fiscal. La définition d'une politique nutritionnelle nécessite en effet d'autres mesures.
Tout d'abord, le choix de recourir à des outils non contraignants pour faire évoluer la composition des produits alimentaires des produits - c'est-à-dire réduire les taux de sucre, de sel, de gras - n'a pas fait ses preuves. La Cour des comptes a fait le même constat dans un précédent rapport sur la lutte contre l'obésité.
Sur le modèle d'autres pays, comme l'Autriche ou le Danemark, des standards de composition nutritionnelle pourraient être fixés pour certains catégories d'aliments. C'est le sens de notre proposition n° 13. Cette mission serait confiée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je rappelle que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait recommandé d'agir en ce sens dès 2017.
En parallèle, le soutien à la consommation de fruits et de légumes, avec un dispositif de chèque alimentaire, pourrait être prévu. C'est ce qui avait été proposé par la Convention citoyenne pour le climat en 2020. Le Gouvernement avait souscrit à cette idée avant d'y renoncer. Il a seulement été inscrit dans la loi d'août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience que le Gouvernement remettrait au Parlement une étude d'impact dans les six mois sur les conditions de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire - nous l'attendons toujours.
Parce que cette mesure nous semble importante, nous voulons, avec la proposition n° 14, rappeler le Gouvernement à ses engagements et disposer de cette étude d'impact pour que le Parlement puisse en débattre et décider de la possibilité d'expérimenter ce dispositif.
La question du marketing nutritionnel nous apparaît aussi très importante et nous l'avons largement discutée avec tous les acteurs rencontrés. Les études démontrent que l'exposition à la publicité a une influence forte sur les comportements alimentaires, et c'est particulièrement vrai pour les enfants et adolescents.
La loi Gattolin, qui régule la publicité durant les programmes télévisés destinés aux enfants de moins de 12 ans, est aujourd'hui dépassée. Internet échappe à toute régulation, alors qu'il s'agit du premier média visionné par les adolescents. De plus, les tranches horaires visées par la loi Gattolin ne représentent que moins de 1 % des programmes vus par les enfants. Donc, sur la base de travaux très précis conduits par Santé publique France, nous proposons d'encadrer beaucoup plus fortement la publicité pour des aliments qui affichent une mauvaise composition nutritionnelle, et pas seulement à la télévision (proposition n° 15).
Concernant le Nutri-Score, enfin, la réglementation européenne ne permet pas d'imposer un affichage obligatoire nouveau sur les emballages alimentaires. C'est le règlement de 2011 qui interdit de nouvelles mentions obligatoires. Le logo reste donc volontaire pour les industriels. Toutefois, et c'est encourageant, six autres pays européens - la Belgique, l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, le Luxembourg et les Pays-Bas - se sont coordonnés avec la France pour la mise en oeuvre du Nutri-Score.
Là encore, les études montrent non seulement que les produits qui seraient étiquetés D ou E affichent peu le Nutri-Score, mais aussi que cet outil influence le choix des consommateurs. C'est pourquoi l'activité de plaidoyer de la France pour un Nutri-Score obligatoire doit être poursuivie et renforcée, comme l'indique notre proposition n° 16.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour ce travail de longue haleine, qui a nécessité de nombreuses auditions.
M. Bernard Jomier. - En introduction, vous menez une réflexion sur l'intérêt de la fiscalité comportementale. La dénomination ne me paraît pas bonne. Les sénateurs Catherine Deroche et Yves Daudigny s'interrogeaient également sur cette notion dans le rapport d'information de 2014 de la Mecss, Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales. La question des comportements est en effet complexe : il serait sans doute plus approprié de parler de « fiscalité sanitaire ». Nous entendrions ainsi mieux son objectif. La fiscalité est instituée soit pour générer des recettes, soit pour améliorer des indicateurs de santé.
Plus loin, vous parlez, à plusieurs reprises, d'un « constat d'échec ». Il me semble que la situation est plus contrastée. Certes, la consommation de tabac reste trop importante, mais la tendance n'est pas si négative que cela. À ce titre, le taux minimal d'augmentation du prix que vous proposez n'est pas très important. Les études montrent pourtant qu'une hausse substantielle, en un seul coup, est nécessaire pour réduire la consommation. Les augmentations annuelles n'ont pas d'impact, et apparaissent davantage comme un moyen d'augmenter les recettes de l'État, ce qui prête le flanc à la critique. Il vaut mieux augmenter la fiscalité de 15 % d'un coup que de 5 % à trois reprises.
En outre, l'industrie du tabac est l'une des plus corruptrices au monde. Nous devrions aller vers une révision de la directive européenne sur les produits du tabac. Or, chacun s'en souvient et le film Une affaire de principe le raconte bien, la dernière révision de 2012 a été l'objet d'un scandale sans nom. Le commissaire européen John Dalli, accusé de corruption par l'industrie du tabac, a été poussé à la démission. Il était pourtant totalement innocent. Il s'agissait d'une manipulation montée par les industriels pour le compromettre. C'est dire jusqu'où va ce lobby !
L'industrie du tabac est en train de glisser vers la commercialisation de produits sans fumée. Comment devons-nous réagir à cette réorientation stratégique ? L'outil de la fiscalité permettra-t-il d'y répondre ?
Enfin, Frédéric Valletoux, alors qu'il était député, avait déposé une proposition de loi afin de lutter contre les marchés parallèles. Le débat est d'une hypocrisie sans nom. Il est bien connu que l'industrie du tabac suralimente les marchés du Luxembourg ou d'Andorre pour nourrir le marché parallèle. Et après cela, les industriels tentent de nous expliquer qu'il faudrait baisser les taxes pour lutter contre ce phénomène !
Concernant l'alcool, il ne faudrait pas que le réalisme soit une résignation. Je comprends la difficulté à défendre certaines mesures, mais demandons-nous d'abord ce qui est utile pour la santé. Vient ensuite l'arbitrage politique entre les différents intérêts.
Je vous remercie d'avoir posé la question de l'instauration d'un prix minimum de l'alcool. Ainsi, les hypocrisies apparaissent. Ce prix minimum n'est pas une hausse de la fiscalité et n'a pas d'impact sur les filières considérées. En revanche, il en a un sur la santé publique, en en améliorant les indicateurs. Une filière qui s'oppose au prix minimum de l'alcool s'oppose à la réduction de la consommation de son produit et fait fi de son impact sanitaire. Nous pourrons avoir le débat lors de l'examen du prochain projet de loi de finances. La présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes a dit qu'elle inscrirait ce point à son ordre du jour.
Vous êtes-vous penchées sur l'effet de la fiscalité sur l'équilibre des comptes sociaux ? Je me félicite que vous souhaitiez un meilleur fléchage des recettes de la fiscalité vers la prévention.
M. Alain Milon, président de la Mecss. - Je félicite Élisabeth Doineau et Cathy Apourceau-Poly pour leur travail remarquable. Leurs conclusions et propositions sont assez innovantes, en particulier l'instauration d'un prix minimum de l'alcool. Que les recettes de la fiscalité comportementale servent à la prévention est une bonne idée, mais elle n'est pas évidente à transcrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je trouve que les rapporteures ne sont pas allées assez loin sur le sucre. Certaines entreprises intègrent du sucre dans les aliments pour bébé alors que ce n'est pas utile. Inscrivons l'interdiction de cette pratique dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mme Florence Lassarade. - Merci aux rapporteures pour la qualité de leur travail. On cherche à combattre des addictions par des taxes. Or, il y a des addictions de toutes sortes. Actuellement, nous sommes confrontés à un problème d'obésité. Dans le cadre de la mission d'information sur la périnatalité, nous avons vu que le taux d'obésité avait augmenté de 20 % en vingt ans chez les femmes enceintes. Les coachs sportifs recommandent certains produits contre l'obésité, comme les barres hyper-protéinées, or elles sont nocives et, souvent, les mères qui en consomment en proposent à leurs enfants au petit déjeuner.
L'hypertension est un fléau lié à l'obésité et, sans doute, à la consommation excessive de sel. Dans votre proposition n° 13, vous suggérez de fixer des quantités maximales de sel dans les aliments. Qu'en est-il des eaux pétillantes, très riches en sel ?
On note une déconsommation constante de vin alors que le vin n'est presque pas taxé. Finalement, est-ce que ce sont les taxes qui incitent à moins consommer ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Merci aux rapporteures pour la qualité de leurs auditions. J'ai été étonnée d'entendre que la politique de lutte contre le tabac était un échec. On pourrait plutôt parler d'« essoufflement » de cette politique. La seule approche qui ait fonctionné a été systémique, incluant notamment l'interdiction de la publicité et l'interdiction de fumer dans les lieux publics clos, le paquet neutre et le Mois sans tabac. Il s'agissait de modifier les représentations. Et en effet, les jeunes, désormais, ne cherchent plus à fumer pour ressembler au « cow-boy Marlboro ».
Il faudrait également adopter une politique systémique contre l'alcool. Je regrette l'absence de campagne multi-entrées. On devrait déjà commencer par interdire la publicité pour l'alcool. En outre, pour fonctionner, le signal du prix doit être visible et annoncé. L'évolution progressive du prix des cigarettes a entraîné une habituation.
Là où la politique contre le tabac a en effet été un échec, c'est en matière d'inégalités. Comment faire pour que les 20 % les plus pauvres ne surconsomment pas de tabac ? Certaines habitudes sont parfois difficiles à empêcher. J'ai entendu que les boissons sucrées donnaient un effet illusoire de satiété, par exemple. Pour réduire les inégalités de santé, il faut surtout s'attaquer à la pauvreté.
Bernard Jomier suggérait de parler de « fiscalité sanitaire ». Parlons plutôt de « fiscalité de santé », ce qui englobe les inégalités de santé dans la réflexion.
Pour lutter contre le marché parallèle du tabac, il faut limiter l'approvisionnement en tabac d'un pays à la quantité correspondant à la consommation locale.
M. Bernard Jomier. - C'est l'objet du texte défendu par M. Valletoux.
Mme Raymonde Poncet Monge. - On croit défendre nos filières viticoles, mais le vin qui sera pénalisé par le prix minimum de l'unité d'alcool est importé. Au contraire, on pourra ainsi protéger les niches de vin de meilleure qualité.
Le lobby du sucre est comparable à celui du tabac. Il offre des animations aux enfants pour les inciter à consommer du sucre.
Mme Véronique Guillotin. - Merci aux deux rapporteures pour la qualité de leur travail. J'ai reçu plusieurs fois des représentants de lobbies du vin, venus m'expliquer l'effet néfaste du prix minimum de l'alcool. Je suis très contente que celui-ci soit recommandé par le rapport. Je suis un peu déçue, en revanche, d'une sorte de résignation sur l'alcool qui laisse entendre que l'on ne pourrait pas faire grand-chose. L'impact de ce produit sur la santé publique est réel. Il faut donc des actions ciblées. Certes, le modèle économique de ce secteur ne doit pas être négligé, mais ce n'est pas la priorité de la commission des affaires sociales. J'ai demandé aux représentants de la filière du vin comment ils se projetaient dans l'avenir, en cas de baisse de la consommation. Ils m'ont répondu que ce n'était pas mon problème... Cela a signé la fin de la conversation.
Je ne me résigne pas à l'inaction.
Les chèques alimentaires pour l'achat de fruits et légumes sont une excellente proposition. Il faudrait défendre le slogan : « Faire comme avant », c'est-à-dire donner des légumes et des fruits aux enfants plutôt que des gourdes de compote, qui provoquent un pic de sucre. Retrouvons de bonnes habitudes. En Alsace, des chèques de ce type sont proposés dans les centres communaux d'action sociale.
Je vis à cinq minutes en voiture du Luxembourg, où les produits du tabac coûtent moins cher qu'en France. Un décret publié le 29 mars dernier supprime toute limite explicite au nombre de cigarettes pouvant être achetées par un particulier dans un autre Etat de l'Union européenne. La seule limite éventuelle est qu'il est difficile, si l'on achète quinze paquets par jour, d'affirmer que c'est pour sa consommation personnelle. J'aimerais bien connaître le taux de consommation de tabac des habitants du Luxembourg et celui des habitants des zones frontalières qui s'y approvisionnent.
Je suis plus optimiste que les rapporteures sur l'évolution de la consommation de tabac. Insistons sur la réussite que traduit le moindre taux de consommation chez les jeunes. Les politiques doivent cibler les publics en amont de l'entrée dans le tabagisme, avant que les habitudes ne soient ancrées, car après, il sera difficile de s'en défaire.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je voudrais remercier tous ceux qui ont participé aux auditions de la Mecss, car elles ont été passionnantes. La position de certains, dont les industriels du tabac, était connue d'avance.
Nous avons réalisé un travail énorme, au cours d'une quarantaine d'auditions. Il a été compliqué de choisir, ce matin, quelles informations mettre en avant. Aussi, je vous invite à lire notre rapport.
Je remercie Bernard Jomier pour ses remarques, auxquelles nous souscrivons pleinement. Fallait-il conserver le titre de « Fiscalité comportementale » ? Ce que nous voulons, c'est améliorer la santé des Français. Ainsi, si nous avons insisté sur les morts évitables, c'est pour vous interpeller, et ce n'est pas la fiscalité en tant que telle qui nous a intéressées. Certains ont avancé que nous cherchions à augmenter les taxes pour combler le trou de la sécurité sociale, mais ce n'est pas du tout le cas ! Nous voulons surtout qu'il y ait moins de malades à soigner et moins de personnes affaiblies par des addictions.
Le rapport d'information de 2014 qu'a cité notre collègue Bernard Jomier mentionnait la notion de « contribution de santé publique ». Nous avons pris le parti de rester sur la « fiscalité comportementale » par souci de clarté. Tous ceux qui ont intérêt à ce que leurs produits continuent d'être vendus en grande quantité veulent dire « stop » à la fiscalité quand d'autres souhaitent l'augmenter. De notre point de vue, la fiscalité est un outil, mais s'il n'est pas accompagné, il n'a plus aucun intérêt en termes de santé. D'où l'inclusion dans notre rapport de dispositions sur la publicité et sur l'information.
Quand nous employons, dans le cas du tabac, le mot « échec », ce n'est pas pour dire que les politiques n'auraient pas eu d'effet - nous affirmons le contraire -, mais pour souligner le fait que la prévalence du tabagisme quotidien est aujourd'hui l'une des plus élevées de l'OCDE, et est à peu près la même que dans les années soixante, ce dont on ne peut se satisfaire.
Dans le cas de l'alcool, s'il est vrai qu'en France la consommation par habitant a été divisée par deux depuis les années soixante, elle reste supérieure à ce qu'elle était dans la plupart des pays à cette période. Par ailleurs, aujourd'hui, dans l'OCDE, seuls trois États ont une consommation d'alcool par habitant supérieure à celle de la France. Nous ne pouvons rester inactifs.
À la page 37 du rapport, nous avons réalisé un chiffrage indicatif de l'impact de l'alcool, du tabac et de l'obésité sur les finances publiques, en prenant notamment en compte l'effet de la perte de PIB sur les recettes. Le coût net pour les finances publiques serait de plusieurs dizaines de milliards d'euros.
Alain Milon, nous vous remercions, en tant que président de la Mecss, d'avoir soutenu l'inscription de ce rapport au programme de travail de la Mecss. Votre préconisation d'interdire l'ajout de sucre dans certains aliments pour bébé est cohérente avec la proposition n° 13.
Florence Lassarade, vous avez surtout parlé d'obésité et des produits protéinés et salés. Dans les différents programmes de l'État relatifs à l'alimentation et à la santé, des demandes sont faites aux producteurs. Néanmoins, dans le cadre des chartes d'engagement, seuls les boulangers ont mis en oeuvre une politique efficace de diminution de la quantité de sel dans le pain, à hauteur de 30 % d'ici à 2025. De grands cuisiniers font aussi des efforts pour diminuer le sucre dans leurs desserts, mais ces engagements ne sont pas suffisamment suivis par les principaux industriels. En tant que présidente d'une épicerie sociale, quand je vois les étiquettes des produits que je distribue, pizzas ou plats préparés, je suis consternée ! Nous allons travailler sur le sujet localement avec la Banque alimentaire, mais il est grand temps d'agir à la base, c'est-à-dire avec ceux qui produisent ce genre de produits. Si nous ne faisons rien, les gens risquent de s'habituer à mal s'alimenter dès le plus jeune âge. Tout est question de dosage et de santé personnelle, car certains sont plus sensibles au sucre et au sel.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Le mot « échec » n'a été employé que sur le tabagisme.
Mme Raymonde Poncet Monge. - L'échec concerne plutôt les deux autres sujets.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Certes, mais il concerne aussi le tabagisme. J'ai souhaité inscrire ce terme pour créer un choc, car le tabagisme est quasiment resté à un taux stable depuis les années 1960. Eu égard aux nombreuses campagnes qui ont été menées et aux moyens mis en oeuvre, on ne peut pas parler de « réussite ». Cela dit je ne vois pas d'objection à parler, comme certains collègues, d'« essoufflement ».
Toutefois, l'échec ne veut pas dire qu'il faut arrêter la prévention. Au contraire, il convient de continuer les démarches, de les amplifier et de réfléchir à d'autres campagnes ou à de nouveaux moyens d'action. Il est également important de s'adapter à la société d'aujourd'hui, notamment à l'influence des réseaux sociaux sur les jeunes.
Les pays frontaliers représentent un vrai souci. J'habite dans le Pas-de-Calais, dans une commune limitrophe de la Belgique ; nos habitants s'y rendent chaque semaine pour faire le plein d'essence et pour acheter des cartouches de cigarettes. Nous parlons de santé publique, alors même qu'un récent décret supprime toute limite explicite du nombre de cigarettes en provenance de l'Union européenne.
M. Xavier Iacovelli. - Je soutiens complètement ce rapport. Merci à nos deux rapporteures pour l'important travail qu'elles ont effectué. Si l'on pouvait changer le terme de « fiscalité comportementale » en « fiscalité sanitaire », ce serait plus logique. En effet, la question est avant tout de santé publique et notre responsabilité est de faire en sorte que les prix soient encadrés pour cela.
Sur le sucre et l'obésité, j'avais déposé un amendement lors de l'examen du PLFSS pour 2024, voté à la quasi-unanimité du Sénat, visant à instaurer des taxes pour l'industrie agroalimentaire. Cette dernière nous empoisonne au quotidien, car le sucre est aussi addictif que la cocaïne ! Il ne faut pas taxer les consommateurs, mais contraindre les industriels à diminuer le taux de sucre dans leurs produits. Malheureusement, cet amendement a été écarté après application de la procédure prévue à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Le débat devrait être reporté à la discussion du PLFSS pour 2025.
Le Nutri-Score a été une très belle invention, d'autant que 60 % des industriels le respectent. Mais ceux de nos concitoyens qui ont de petits revenus regardent le prix plutôt que le Nutri-Score, et cela au détriment de la santé de leurs enfants. Il faudrait que les taxes soient plus importantes sur les produits de mauvaise qualité. Je ne sais pas s'il est possible d'instaurer une taxe différenciée selon la qualité nutritionnelle à l'échelle européenne, mais il faut y travailler, car l'obésité touche souvent les plus précaires.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Exactement !
M. Xavier Iacovelli. - En tant qu'élus, nous devons veiller à ce que la restauration dans les collectivités locales soit exemplaire. L'enjeu porte non seulement sur la santé, mais aussi sur l'économie. En effet, les maladies liées à l'obésité représentent un coût de 13 milliards d'euros par an pour la sécurité sociale. Et je ne parle pas de la baisse de productivité que vous avez détaillée dans votre rapport. C'est un vrai sujet de santé publique qui dépasse les clivages partisans.
Mme Chantal Deseyne. - Je voudrais revenir sur le volet de la qualité nutritionnelle, car pas moins de 18 maladies sont induites par le surpoids. Généraliser le Nutri-Score est une bonne mesure, mais l'on pourrait aussi contraindre les industriels de l'alimentation ultra-transformée à modifier la composition de leurs préparations. Je ne suis pas hostile aux taxes, mais on risque de faire payer les plus précaires. Lors des auditions que nous avions organisées dans le cadre de notre mission d'information sur le surpoids et l'obésité, une sociologue nous expliquait que, pour faire plaisir à leurs enfants, les parents aux revenus modestes leur donnaient un soda ou un pain au lait industriel, soit des produits moins chers, mais de mauvaise qualité. Il faut donc développer l'éducation au bien-manger, éventuellement avec des cours de cuisine dispensés dans des associations ou bien grâce à un chèque pour acheter des fruits et légumes.
Mme Brigitte Devésa. - L'alimentation et l'obésité en France sont un drame et nous l'avions montré dans notre rapport d'information Surpoids et obésité, l'autre pandémie. Je vous félicite, mesdames les rapporteures, pour votre travail remarquable. Je suis ravie que vous cherchiez à relancer le Nutri-Score. En effet, lors de nos auditions, nous avions constaté que les industriels français n'étaient pas proactifs sur ce sujet. Si l'on instaure une taxe, il ne faudrait pas que ce soit les plus pauvres qui en pâtissent. Je suis d'accord avec Raymonde Poncet Monge, c'est sur la pauvreté qu'il faut agir.
À l'ONU, 193 pays ont adopté l'Agenda 2030 : ce programme en faveur du développement durable définit 17 propositions pour éradiquer les inégalités concernant la pauvreté, la santé, etc. Sa recommandation n° 3 vise notamment à promouvoir le bien-être à tous les âges. Étant rapporteure sur le dossier de contrôle Entreprises et climat, dans le cadre de la délégation aux entreprises, je me rends compte qu'il est indispensable de mettre en place toutes ces recommandations si l'on veut améliorer la situation. Quelle est votre réflexion à cet égard ?
Mme Céline Brulin. - Ce débat me semble très intéressant. En effet, on pourrait orienter la consommation des gens en fonction de certains objectifs de santé. Mais il ne faut pas oublier les dimensions sociale et culturelle du problème. Vous avez raison, madame la rapporteure générale, de rappeler que le soupçon selon lequel l'enjeu est surtout de remplir les caisses de l'État et d'atténuer le déficit de la sécurité sociale est réel, et il va l'être de plus en plus. Par conséquent, les recettes de cette fiscalité doivent être orientées a minima sur des campagnes de prévention et d'éducation, dans un objectif de santé publique. Je souscris aussi à votre proposition de revenir à la source du problème : de grands groupes et des lobbies offrent sciemment de nouveaux produits qui sont néfastes à la santé et qui créent des addictions. Nous sommes les premiers acteurs de notre santé, mais nos concitoyens ne peuvent pas être tenus comme seuls responsables face aux nouveaux phénomènes de société qui se développent.
Quant à la publicité, la réglementation est moyenâgeuse. Aujourd'hui, internet et les réseaux sociaux jouent un rôle considérable pour susciter des consommations qui ne sont pas bonnes pour la santé.
M. Daniel Chasseing. - Je veux à mon tour féliciter les rapporteures pour ce travail.
Je ne crois pas qu'on puisse parler d'un échec dans la lutte contre le tabagisme, puisque l'usage du tabac chez les jeunes est passé de 30 % en 2011 à 6 % en 2022. Ce n'est sûrement pas suffisant, mais ce n'est quand même pas rien.
Les buralistes évoquent le sentiment d'une explosion du marché parallèle, même dans les départements ruraux non frontaliers. Cela ne semble pas être le cas. Il est important d'avoir un état des lieux précis.
Il faut également bien faire savoir que le tabac à chauffer est aussi dangereux que le tabac.
En ce qui concerne l'alcool, je trouve positif de ne pas avoir augmenté la fiscalité sur le vin. Nous devons travailler avec la filière pour que nos actions profitent aussi aux producteurs. Je note que, dans les départements ruraux notamment, nombre de services d'addictologie ont fermé, certainement par manque de médecins... Or nous savons que 10 % des consommateurs représentent 60 % de la consommation. Il est donc très important de maintenir ces services en vue d'un accompagnement intensif. Il faut aussi mener des campagnes d'information auprès des jeunes sur les dangers d'une addiction massive, même ponctuelle.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Nous devons effectivement travailler avec les collectivités locales et les acteurs locaux pour lutter contre les addictions, en particulier chez les jeunes. C'est, pour beaucoup, une affaire d'éducation : chacun doit bien avoir conscience qu'il n'a qu'une vie et qu'il faut protéger sa santé.
Les préoccupations de Brigitte Devésa trouvent un écho dans des stratégies nationales, notamment le programme national nutrition santé (PNNS) 2019-2023, qui vise une baisse de 20 % de la fréquence de surpoids et d'obésité chez les enfants et adolescents, et dans la stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc), plus globale. Pour autant, je note que nous ne disposons pas d'un tel programme sur l'alcool, d'où notre proposition d'un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool.
Par ailleurs, je note que les industriels sont simplement « invités » à mettre en place des démarches volontaires, par exemple au travers de chartes ou d'engagements collectifs, et que tout cela est trop faible. Nous pensons qu'il faut travailler sur l'idée de trouver de nouvelles formules à leurs produits avec une meilleure qualité nutritive. Le mouvement est très lent ! Par exemple, un limonadier a diminué la quantité de sucre dans ses produits ; malheureusement, ce type d'initiative est très rare. Nous devons trouver un moyen pour forcer les choses.
Enfin, sur le Nutri-Score, les industriels sont trop frileux : le logo est surtout appliqué pour les produits qui ont un bon classement, pas pour les autres... Nous devons trouver, au niveau européen, les moyens d'aller plus loin.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Les élus sont souvent inventifs sur le terrain et les idées qu'ils développent - ateliers cuisine, cueillettes, aides à la préparation de repas, etc. - pourraient utilement être reprises et mises en oeuvre plus largement.
Je veux revenir sur un point très important. Ce sont les catégories sociales les plus pauvres qui mangent le plus mal. Les conditions sociales difficiles expliquent aussi en partie la prévalence des addictions. Nous ne devons pas nous voiler la face ! Il faut donc aider particulièrement ces populations. C'est pour cette raison que je ne souhaite pas que nous proposions ce qui pourrait ressembler à une punition : si nous fiscalisons certains produits - je ne parle pas à cet instant de l'alcool ou du tabac -, cela aura des conséquences directes sur les familles et nous devons y prendre garde.
Je crois par ailleurs qu'il faut taxer les régimes protéinés, car les conséquences peuvent être graves.
En ce qui concerne le sucre, nombre de médecins sont très inquiets sur l'importance du sucre ajouté dans les aliments. Cela crée une addiction larvée.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je veux insister sur la responsabilité de chacun et sur le fait que nous devons, avec les acteurs locaux, sensibiliser la population dès le plus jeune âge.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.