B. LES ÉMEUTIERS : UN PROFIL SOCIO-DÉMOGRAPHIQUE À PEINE ESQUISSÉ, DES MOTIVATIONS DIFFICILES À APPRÉHENDER
1. Le nombre et le profil-type des émeutiers : un portrait inachevé
a) Un premier profil-type issu des travaux des inspections, arrêté au 31 juillet 2023
Dans leur rapport conjoint publié en septembre 2023, l'IGA et l'IGJ40(*) fournissent, à partir des données alors disponibles et en se fondant sur les seules condamnations définitives prononcées au 31 juillet 2023, une première esquisse du profil-type des émeutiers.
Sur le plan socio-démographique, l'émeutier serait ainsi « un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfant, hébergé souvent par ses parents, ayant un diplôme de niveau secondaire, maximum baccalauréat, plutôt en activité »41(*).
Dans le détail, 91 % des émeutiers définitivement condamnés sont des hommes, 71 % sont de nationalité française42(*), 87 % sont célibataires et sans enfant à charge, 61 % ont un emploi, une activité professionnelle ou suivent une formation (donc 39 % sont au chômage ou sans activité).
(1) La jeunesse des émeutiers condamnés jusqu'au 31 juillet 2023
Auditionné le 5 juillet 2023, le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin avait indiqué que, parmi les 3 500 personnes interpellées à cette date, la « moyenne d'âge se situ[ait] [...] entre 17 et 18 ans », les mineurs représentant un tiers d'entre elles. Sans être en mesure de fournir un comparatif détaillé à la mission d'information, le ministre a affirmé que les émeutiers de 2005 étaient « bien plus âgés que les interpellés » de l'été de 2023.
L'étude de l'IGA et l'IGJ confirme la jeunesse des émeutiers. En effet, au sein de l'échantillon considéré, près de trois-quarts des individus majeurs condamnés ont moins de 25 ans43(*), alors même que les 18-24 ans ne représentent 8 % de la population française. Plus éloquent encore, 70 % des atteintes aux biens publics et 63 % des atteintes à l'ordre public ont été commises par des individus âgés de 18 à 22 ans.
Répartition par tranches d'âge des émeutiers définitivement condamnés au 31 juillet 2023
Âge des émeutiers condamnés |
Part du total des émeutiers condamnés |
Part dans la population44(*) |
18-19 ans |
29 % |
2,44 % |
20-21 ans |
26 % |
2,39 % |
22-24 ans |
18 % |
3,44 % |
Sous-total : |
73 % |
8,28 % |
25 ans et plus |
27 % |
70, 61 % |
Source : commission des lois à partir des données de l'Insee et de l'IGA/IGJ45(*)
Lors de leur audition par la mission d'information, l'IGA et l'IGJ ont indiqué n'avoir, conformément à leur lettre de mission, traité de la situation des mineurs que lorsqu'ils se trouvaient en situation de coaction avec des majeurs. Le profil de ces mineurs, qui représentent tout de même 28 % des auteurs définitivement condamnés au 31 juillet 2023, est comparable à celui des jeunes majeurs. Il s'agit de garçons dans 96 % des cas, 81 % sont de nationalité française et plus d'un tiers d'entre eux sont franciliens.
S'agissant du profil judiciaire des émeutiers, les premières données exploitées révèlent que 57 % des personnes condamnées n'avaient aucun antécédent judiciaire. Parmi les 43 % ayant des condamnations antérieures, il s'agissait dans près de la moitié des cas de condamnations récentes (datant de moins de 18 mois). Ainsi, plus de la moitié des personnes interpellées et condamnées n'étaient pas des « délinquants d'habitude » : les faits commis au cours des émeutes constituent donc, pour ces derniers, un premier passage à l'acte ayant donné lieu à une réponse judiciaire.
Cette première quantification a été corroborée par les témoignages recueillis par la mission d'information, à commencer par les élus, qui se sont trouvés au coeur de la gestion de ces événements.
Victime d'une violente agression au cours de ces émeutes, la maire de Pontoise, Stéphanie Von Euw, a ainsi affirmé que, dans sa commune, « les événements sont restés localisés et ont été circonscrits aux deux quartiers prioritaires. Les émeutiers étaient donc des habitants locaux. Ils étaient très jeunes et mes (ses) agresseurs devaient avoir entre 14 et 17 ans »46(*). Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps, évoque quant à lui avoir été confronté à de « très jeunes émeutiers ». Lors du déplacement de la mission d'information à Évry-Courcouronnes, il a également été fait état au rapporteur de la présence d'individus très jeunes, de 12 à 15 ans, parmi les émeutiers.
C'est également la jeunesse des émeutiers qui pourrait expliquer, d'après les services du renseignement territorial, la rapidité et l'intensité de l'embrasement. En effet, ces émeutes se sont notamment caractérisées par leur déclenchement à un moment singulier de l'année, correspondant à une période charnière entre la fin de l'année scolaire et les départs en vacances ou la mise en place d'activités estivales. Ce contexte est allé de pair avec un certain « désoeuvrement », rendant les jeunes concernés plus réceptifs aux incitations à commettre des violences.
Par ailleurs, un processus « d'identification » à Nahel Merzouk aurait contribué à la surreprésentation des mineurs parmi les émeutiers. D'après le chercheur en science politique Sebastian Roché, auditionné par la mission d'information47(*), « l'identification au profil de la personne tuée » constitue l'un des principaux mécanismes de déclenchement d'une émeute, la mort d'un jeune occasionnant un « choc moral important » qui se traduit, en réaction, par une effusion de violences.
(2) Les mineurs déférés à l'occasion des violences urbaines : un profil relativement homogène
Les mineurs déférés à la suite des émeutes de l'été 2023 présentent un profil relativement homogène, marqué par des fragilités sociales mais dans une proportion bien inférieure à celles constatées chez les jeunes habituellement ancrés dans la délinquance.
Une enquête conduite par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)48(*) à l'issue des émeutes permet de mieux cerner le profil de ces mineurs, à partir de l'exploitation de 513 recueils de renseignements socio-éducatifs (RRSE) établis lors des procédures de déferrement.
Plus de 98 %49(*) sont des garçons, dont la moyenne d'âge s'établit à 16 ans. Sur l'échantillon considéré, la moitié des mineurs sont âgés de moins de 16 ans, et 90 %50(*) d'entre eux sont de nationalité française.
Âge des mineurs déférés
Source : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
Comme pour les majeurs, une majorité des mineurs déférés suite aux émeutes n'a aucun antécédent judiciaire sur le plan pénal. En effet, pour plus de deux tiers (68,2 %) d'entre eux, il s'agissait des premières poursuites pénales. Ainsi, seule une petite minorité de ces mineurs étaient déjà ancrée dans la délinquance avant leur participation aux violences urbaines de l'été 2023.
Dans le même ordre d'idées, près de trois-quarts (73,2 %) de ces mineurs étaient inscrits dans un établissement scolaire ou de formation. Là encore, ce chiffre, s'il est inférieur à la moyenne nationale (97,2 % des 14-17 ans), est très largement supérieur à la proportion constatée parmi les mineurs habituellement déférés (33 %).
Du point de vue familial et socio-économique, les mineurs déférés présentent des situations globalement plus fragiles et instables que la moyenne.
Configurations familiales des mineurs déférés
Mineurs déférés lors des émeutes de l'été 2023 |
Moyenne des mineurs déférés en 201951(*) |
Moyenne nationale |
||
Situation familiale |
Famille où les deux parents sont ensemble |
39,5 % |
33 % |
66, 3 %52(*) |
Orphelin d'au moins un parent |
7 % |
13 % |
3,6 % |
|
Au moins un des parents non connu |
5,2 % |
14 % |
Source : commission des lois à partir des données de la DPJJ et de l'INSEE
Comme le montre le tableau ci-dessus, la situation familiale des mineurs déférés pour leur participation aux émeutes apparaît plus fragile que dans la population générale. En particulier, près de 60 % d'entre eux sont issus d'une famille monoparentale, alors que cette structure ne représente que 25 % des familles au niveau national.
Toutefois, comme le notent les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), « l'ampleur des écarts avec la population générale est loin d'être aussi importante que dans d'autres études portant sur les mineurs suivis par la PJJ »54(*).
Un constat similaire résulte de l'analyse de la situation économique et sociale du foyer dont sont issus ces mineurs. S'ils appartiennent majoritairement à des familles de milieux populaires (80 % des parents relevant des catégories socioprofessionnelles des ouvriers, employés ou inactifs), leurs situations socio-économiques sont jugées moins défavorables que « celles repérées chez les jeunes ancrés dans la délinquance »55(*).
Catégories socioprofessionnelles des parents des mineurs déférés
Parents des mineurs déférés à l'occasion des émeutes de l'été 2023 |
Population générale (hors retraités) |
||
Mère |
Père |
||
Employés |
52,5 % |
22,3 % |
24 % |
Ouvriers |
2 % |
32,5 % |
19 % |
Inactifs |
28,3 % |
21,1 % |
13 % |
Sous-total : |
82,8 % |
75,9 % |
56 % |
Cadres et professions intellectuelles supérieures |
2,2 % |
4,6 % |
15 % |
Source : commission des lois à partir des données de la DPJJ et de l'Insee
En ce sens, l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) a indiqué à la mission d'information que les mineurs interpellés au cours des émeutes « étaient majoritairement des jeunes de 16 ans et moins, beaucoup de primo délinquants, souvent scolarisés, parfois brillants, sensiblement différents de nos publics habituels ».
Ainsi, bien que les mineurs déférés dans le cadre des émeutes de l'été 2023 appartiennent majoritairement à des milieux populaires et plus défavorisés que la moyenne, le constat d'une « marginalité sociale » semble, d'après l'ensemble de ces données, devoir être nuancé.
b) Des données lacunaires qui fragilisent cette première approche
Si ces premières études permettent de construire un premier « profil-type » de l'émeutier, la mission d'information tient à souligner leur insuffisance.
(1) Une approche par le seul « traitement judiciaire » des émeutes
D'une part, les données statistiques disponibles sur les participants aux émeutes présentent nécessairement un caractère incomplet dès lors qu'elles sont uniquement fondées sur le traitement judiciaire des émeutes. Or, se pose la question de savoir si cet échantillonnage est bien suffisamment significatif pour refléter le phénomène dans son intégralité, cette interrogation étant elle-même en lien avec celle du nombre réel de participants aux émeutes.
Le ministre de l'intérieur a ainsi affirmé, lors de son audition56(*) par la commission des lois, qu'entre 8 000 et 12 000 personnes avaient participé aux violences urbaines entre le 27 juin et le 5 juillet 2023. Or, approximatif, ce chiffre paraît également contestable.
En effet, le ministère de la justice comptabilisait, au 10 juillet 2023, 4 282 personnes placées en garde à vue57(*). Cela signifierait que les forces de sécurité intérieure seraient parvenues à interpeller entre le tiers et la moitié de l'ensemble des émeutiers, ce qui semble d'autant plus improbable qu'au cours des auditions, les représentants de la police et de la gendarmerie nationales interrogés ont souligné que priorité avait été donnée pendant les premières nuits d'émeutes - qui ont aussi été les plus intenses - au maintien de l'ordre et à la protection des personnes et des biens, l'interpellation et la « judiciarisation » des émeutiers n'étant pas l'objectif premier. En outre, comparé au nombre de communes touchées par les émeutes (672), ce chiffre impliquerait un nombre moyen de 18 émeutiers par commune, ce qui paraît faible.
D'après une estimation produite par l'Ifop58(*), le nombre d'émeutiers pourrait davantage s'approcher des 50 000, ce qui semble plus crédible et cohérent En effet, en retenant ce chiffre, les interpellations représenteraient 8,5 % des émeutiers, le nombre moyen d'émeutiers par commune s'établirait à 7459(*) et le nombre d'émeutiers serait à peu près équivalent à celui des forces de sécurité intérieure mobilisées pendant les émeutes (soit 45 000 agents).
Même à supposer que les émeutiers aient été au nombre de 12 000, la mission d'information juge les échantillons utilisés jusqu'à présent insuffisants pour établir une image fidèle du profil des émeutiers, en particulier s'agissant de leur âge. À cet égard, Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS, estime que « nous n'avons aucune idée précise de l'âge des protagonistes - ni en 2005, ni en 2023. Qu'ils soient jeunes ne fait pas de doute mais cela reste vague »60(*).
(2) Une étude statistique arrêtée au 31 juillet 2023 qui ne prend pas en compte les enquêtes judiciaires toujours en cours
D'autre part, certains biais statistiques appellent à considérer les données disponibles avec prudence. Qu'elles concernent les personnes interpellées ou celles définitivement condamnées, les données sur lesquelles s'appuient les premières analyses présentent par définition l'inconvénient de ne concerner que les émeutiers qui « se sont fait attraper » immédiatement au cours des émeutes.
Comme le relevait le chercheur en sociologie Marwan Mohammed lors de son audition, « les données sur le profil des émeutiers déférés, que l'on tire du rapport de l'IGA et de l'IGJ, concernent surtout les amateurs qui se sont fait attraper sur le fait. Les personnes les plus organisées sont identifiées beaucoup plus tard et se font arrêter petit à petit »61(*).
De fait, les auditions ont permis de confirmer que le travail d'enquête judiciaire se poursuivait toujours pour identifier les auteurs de délits commis pendant la période des émeutes.
Or, si les personnes interpellées en flagrant délit par les services de police étaient les moins connues, les représentants de la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) relèvent en effet que, sur « les enquêtes au long cours qui font actuellement l'objet d'une réponse pénale, on retrouve grâce à la [police technique et scientifique] des personnes très connues des services de police ».
Subsiste donc une « partie immergée de l'iceberg »62(*) qui échappe à l'ensemble des acteurs, et qui semble davantage être constituée de personnes inscrites dans des parcours de délinquance d'habitude, plus organisées et rompues aux manifestations violentes et à l'opposition avec les forces de sécurité intérieure. Devant la mission d'information, Sebastian Roché a abondé également en ce sens, estimant qu'il existe « une distorsion, entre la composition de la population interpellée et la composition de la population émeutière : on peut raisonnablement supposer que, dans les moyens qu'ils mettent en oeuvre, les participants les plus actifs aux émeutes anticipent le risque d'être interpellé, ce que fait beaucoup moins aisément le pillard opportuniste ».
Dès lors, la jeunesse et la surreprésentation des primo-délinquants parmi les personnes condamnées pourraient - au moins partiellement - être relativisées, à mesure que les enquêtes concernant les faits les plus graves aboutiront.
Dans ce contexte, et plus de neuf mois après la fin des événements, la mission appelle donc le Gouvernement à mieux exploiter les données dont il dispose afin de produire une véritable analyse du profil des émeutiers, démarche indispensable pour comprendre les dynamiques qui ont été à l'oeuvre à l'été 2023.
2. La violence émeutière : entre pulsion contestataire et défiance de l'autorité
Plusieurs éléments d'explication sur l'origine des émeutes ont été avancés lors des auditions conduites par la mission d'information. Celle-ci n'a pas souhaité trancher le débat sur la motivation réelle des émeutiers - sans aucun doute multifactorielle et variable d'un territoire à l'autre, voire d'un individu à l'autre. En revanche, ces éléments font clairement apparaître que si l'élément déclencheur des émeutes a bien été le décès de Nahel Merzouk, les motivations des émeutiers n'ont pas été, loin s'en faut, liées à ce seul évènement.
a) Entre la violence émeutière et les motivations politiques initiales : un lien incertain
Si le décès de Nahel Merzouk à Nanterre constitue l'élément déclencheur des émeutes survenues à l'été 2023, le lien entre celui-ci et le déchaînement de violences qui s'en est suivi apparaît relativement faible.
En effet, le rapport conjoint de l'IGA et l'IGJ fait état d'une très faible corrélation entre le décès de Nahel Merzouk et les motivations invoquées par les émeutiers : moins de 8 %63(*) des personnes appartenant à l'échantillon analysé invoquent l'émotion provoquée par la mort de Nahel Merzouk comme la motivation de leur passage à l'acte. De même, la contestation de l'action des forces de l'ordre n'est mentionnée que dans 10 % des cas.
En outre, des motivations politiques ou idéologiques n'ont été exprimées par les auteurs que dans 0,3 %64(*) des cas. Ce constat doit être relié avec celui de l'échec des différentes tentatives de récupérations politiques. Interrogés par la mission d'information, les différents services de renseignement ont souligné l'absence de « convergence » entre la colère émeutière et les groupes militants d'ultragauche. De facto et bien qu'aient été observées certaines tentatives65(*), aucune des personnes entendues par la mission d'information dans le cadre de ses travaux n'a affirmé avoir pu établir une convergence entre les revendications politiques issues de ces milieux militants et les violences urbaines.
De même, il résulte des travaux de la mission que les émeutes n'ont pas davantage trouvé leur origine dans des mouvements séparatistes qui auraient attisé ou accompagné les violences, pas plus qu'elles n'auraient en retour conduit à la mobilisation réelle de groupuscules de l'ultradroite. En ce sens, on peut donc estimer que les émeutes ne résultent pas d'entreprises de déstabilisation à caractère national menées contre la République et ses valeurs. En revanche, en plusieurs points du territoire, des actions concertées ont bien cherché à prendre le contrôle de l'espace public et à s'opposer par la force à l'action locale des pouvoirs publics.
De fait, l'absence de revendications politiques clairement formulées ne doit pas occulter l'existence d'une colère, violemment exprimée à l'encontre des institutions et des symboles et représentants de l'autorité publique.
D'une part, les motifs politiques du passage à l'acte, à commencer par la mort de Nahel Merzouk, ont davantage été invoqués par les auteurs de violences résidant à Nanterre et, plus largement, en région parisienne. À l'inverse, au cours des auditions menées à Laval, en Mayenne, la mission d'information a pu constater qu'aucune revendication n'avait été exprimée par les émeutiers en lien avec ce décès. Ainsi, le phénomène « d'identification » et le ressentiment exprimé à l'égard de l'action des forces de l'ordre semblent avoir été avoir été plus significatifs dans les motivations des violences qui se sont déployées à proximité de l'épicentre des émeutes.
Comme l'a souligné Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice, « les revendications liées au décès de Nahel Merzouk étaient ainsi beaucoup plus fortes à Nanterre ou dans la couronne de l'Ouest francilien qu'à Saint-Brieuc ou à Marseille »66(*). Cette dernière observation s'inscrit en cohérence avec le constat d'une première phase « émotionnelle »67(*) des émeutes dont la « charge politique » semble avoir été plus affirmée. Les acteurs judiciaires des départements d'Île-de-France ont, d'ailleurs, particulièrement perçu « un ressentiment ancien à l'égard des forces de l'ordre » parmi les personnes déférées.
D'autre part, les cibles choisies par les émeutiers constituent un indice pour appréhender leurs motivations, même lorsque ces dernières ne sont pas formalisées expressément. Le chercheur en science politique et directeur de recherche Fabien Jobard considère, à cet égard, que « les cibles des émeutiers nous renseignent suffisamment sur leurs motivations. Il faut bien admettre en effet que le rapport à la politique d'une fraction de la population française - urbaine, masculine, principalement issue des populations coloniales - est d'abord un rapport à la police et aux abus policiers ».
Si elles apparaissent très marginalement liées à l'élément déclencheur des émeutes que constitue la mort de Nahel Merzouk, les violences commises par certains émeutiers ont bien été irriguées par une colère vis-à-vis de l'État, et s'inscrivent dans une démarche de contestation de leur autorité et de leur légitimité.
b) Les raisons de la colère
Dans le cadre de ses travaux, la mission d'information a interrogé dix chercheurs en sociologie et en science politique spécialisés sur les questions de la délinquance, afin d'analyser la nature de la colère exprimée lors des émeutes. Elle observe une certaine continuité avec les interprétations émises suite aux émeutes de 2005, qui prennent leur source dans le constat d'une marginalisation socio-économique persistante de certains territoires.
(1) Le constat commun d'un isolement délétère des banlieues et des quartiers défavorisés
Les chercheurs en sociologie et en science politique auditionnés par la mission ont unanimement évoqué, à la genèse des émeutes urbaines, l'isolement des quartiers dont sont originaires les jeunes ayant participé aux émeutes.
Appréhendé par les notions de « ghettoïsation » pour Nathalie Heinich, docteur en sociologie et directrice de recherche au CNRS, d'« exclusion » pour François Dubet, professeur émérite de sociologie à l'université de Bordeaux, ou encore de « ségrégation » pour Marco Oberti, chercheur en sociologie et professeur à Sciences Po, cet isolement, tant sur le plan social, spatial, économique que scolaire, témoigne d'un désancrage, subi ou entretenu, entre les jeunes émeutiers et le reste de la population.
(a) Une ségrégation économique qui alimenterait un sentiment d'abandon
Les travaux de Marco Oberti mettent en exergue une forte corrélation entre la ségrégation résidentielle et les violences urbaines de l'été 2023. Ils soulignent que les villes touchées par les émeutes ne sont pas nécessairement confrontées à une pauvreté généralisée, mais abritent quelques quartiers extrêmement démunis qui agrègent les difficultés68(*). Cette corrélation s'étend également au domaine scolaire, avec une surreprésentation des collèges publics dénués de mixité sociale parmi les communes concernées par les émeutes.
Selon François Dubet, la société française, malgré son processus d'assimilation culturelle, continuerait de marginaliser économiquement les habitants des cités, contrairement à d'autres pays exempts des épisodes émeutiers comme l'Allemagne et où l'intégration économique serait plus marquée pour certaines communautés immigrées.
Les analyses consécutives aux émeutes de 2005 mettaient déjà en lumière l'importance de la ségrégation économique dans la cristallisation des tensions sociales. En novembre 2005, la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), dans une étude consacrée aux violences urbaines, constatait déjà, selon le journaliste David Dufresne, que « les jeunes des cités étaient habités d'un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française [...] se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l'absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société française. » 69(*)
Soulignant l'impact de la ségrégation économique sur le ressentiment et le sentiment de relégation sociale, les DCRG concluaient par ces mots prémonitoires : « il est à craindre désormais que tout nouvel incident fortuit (décès d un jeune) provoque une nouvelle flambée de violences généralisées »70(*).
(b) Une ségrégation sociale qui serait entretenue par un sentiment d'appartenance
L'enclavement de ces quartiers, au sein desquels la mobilité sociale renforce leur paupérisation, contribuerait également au développement d'une forme de « séparatisme social »71(*).
Selon le professeur de sociologie Didier Lapeyronnie, « pour que se constitue un ghetto, il faut à la fois une fermeture d'un territoire vis-à-vis du reste de la société et la construction, dans cette cité, d'une contre-société ou d'un mode de vie particulier »72(*). La dynamique de « ghettoïsation » résulterait de l'interaction entre une réalité objective, liée aux conditions concrètes d'insertion socio-économique des résidents, et des certitudes subjectives, relatives à leur perception individuelle de marginalisation, d'injustice sociale et de faible appartenance citoyenne73(*).
Dans ce contexte, le quartier serait à la fois, selon l'interprétation fournie par François Dubet, « ce qui vous exclut et, en même temps, ce qui peut, en tout cas chez les jeunes, vous donner une identité par des mécanismes de renversement, de fierté » 74(*).
Le chercheur en sociologie Thomas Sauvadet décrit notamment une culture juvénile, où les bandes joueraient un rôle central en offrant une identité et un sentiment d'appartenance à leurs membres. « La bande implique une dynamique transgressive et une appropriation de l'espace. [...] En se réunissant, ces garçons développent une sorte de pouvoir, de puissance liée à celle, collective, du groupe »75(*). Cette influence « économique, culturelle, guerrière et politique » tendrait à rendre ces quartiers imperméables à toute influence extérieure, à commencer par celle des institutions républicaines.
Face à ce constat commun d'un enclavement socio-territorial des émeutiers, les chercheurs interrogés par la mission d'information relient les émeutes à l'existence d'une dynamique protestataire, qui s'appuierait précisément sur cette expérience de la relégation sociale, notamment dans leurs rapports aux institutions76(*).
(2) L'assise protestataire des émeutes : une expression politique inachevée ?
Selon l'analyse de Sebastian Roché77(*), docteur en science politique et directeur de recherche au CNRS, les émeutes seraient systématiquement déclenchées par des incidents lors d'interventions policières. Cette émotion s'associerait à un second mécanisme latent et indirect, tenant à une accumulation de frustrations liées à des pratiques policières incomprises, telles que des contrôles d'identité répétitifs, et à une perte de confiance dans l'institution.
Ce rapport de force avec les institutions et en particulier la police serait, selon l'analyse de l'ACAT-France et de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), une dimension importante de l'expérience de vie des jeunes issus des quartiers défavorisés. Auditionné par la mission d'information, le réalisateur Djigui Diarra, issu du quartier de la Grande Borne à Grigny (Essonne), a ainsi évoqué des rapports « incandescents » entre la population et la police. Selon lui, la violence des émeutiers serait avant tout le résultat d'une « déshumanisation d'une partie de la population », d'une injustice généralisée et de « brutalités policières » perçues comme une forme de discrimination, « tout cela form[ant] un cocktail explosif ». En conséquence, « la possibilité de rêver et de croire dans les institutions chez certains habitants de ces quartiers est sapée très tôt, d'où l'expression d'une défiance et d'un rejet »78(*). Un tel ressentiment s'exprimerait également à l'égard de l'institution scolaire, qui symboliserait, aux yeux de ces jeunes, une forme d'échec79(*).
Face à ce sentiment de stigmatisation, seules les pratiques de ces institutions seraient remises en question par les résidents des quartiers marginalisés, tandis que leur autorité demeurait préservée80(*). Comme le souligne Fabien Jobard, docteur en science politique et directeur de recherche au CNRS, les enquêtes de victimation dans les territoires du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis frappés par les émeutes révèlent trois caractères distinctifs : le niveau élevé de délinquance, une forte insatisfaction vis-à-vis de la police, mais également une très forte demande de police. Dès lors, selon le chercheur, « il n'est pas trop tard pour ajuster l'offre à la demande ; il est trop tard quand il n'y a plus de demande, comme c'était le cas dans certaines villes des États-Unis au milieu du XIXe siècle. Alors, en effet, il s'agissait bien de sécession. »81(*)
Aussi, selon cette analyse, les émeutes exprimeraient une forte insatisfaction, mais elles porteraient également une demande d'État, notamment en matière de sécurité, et ainsi des revendications politiques.
D'après le chercheur en sociologie Marwan Mohammed et le docteur en science politique Antoine Jardin, les émeutes participeraient ainsi à la construction d'une existence politique pour les quartiers défavorisés, offrant une plateforme pour exprimer des revendications et des frustrations souvent négligées par les canaux institutionnels traditionnels.
Les émeutes représenteraient, in fine, un moyen pour les groupes marginalisés d'exprimer leur voix politique. Elles témoigneraient, selon Denis Merklen, sociologue et professeur à l'université Sorbonne-Nouvelle, de l'existence d'une « politicité » populaire, c'est-à-dire d'une expérience et d'une pratique de l'expression politique propres à ce groupe social, qui se distinguent par ailleurs des mobilisations typiques (manifestations et grèves) de l'ancienne classe ouvrière82(*).
À cet égard, l'organisation de la marche pour l'égalité et contre le racisme d'octobre 1983, à la suite des épisodes émeutiers qui ont touché le quartier des Minguettes à Vénissieux à l'été 1983, aurait révélé la présence de revendications concrètes sous-tendant un mouvement qui, dans sa forme violente, n'apparaissait pas comme une expression politique. D'après François Dubet, cette transformation réussie des moyens d'expression d'une souffrance et d'une crise sociale s'est accomplie grâce à l'action d'acteurs locaux engagés qui ont su canaliser la révolte en un mouvement articulé83(*).
Il estime cependant que cette capacité, propre à toute démocratie, de transformation de la révolte en revendication est aujourd'hui considérablement affaiblie par le repli des quartiers sur eux-mêmes. Sous l'effet des mobilités sociales, ces derniers sont privés des enseignants, des travailleurs sociaux et des militants qui étaient autrefois leurs porte-paroles. Ce recul des acteurs locaux de la démocratie, et plus largement cette « crise démocratique » des banlieues, se répercuterait sur la capacité des émeutes à évoluer vers des mouvements sociaux constructifs.
La réduction, dans ces quartiers, de la capacité d'expression à la seule violence est qualifiée par Nathalie Heinich d'impulsive et de destructrice. S'inspirant des travaux de Norbert Elias, la chercheuse considère ce mouvement comme procédant d'un relâchement des valeurs morales et sociales qui font corps dans une société84(*). Un vide social serait créé, dans lequel la délinquance pourrait proliférer et une violence opportuniste pourrait s'exprimer.
3. L'effet de groupe : une « euphorie collective » au service d'une violence émeutière opportuniste
Il ressort des témoignages et des données recueillis par la mission d'information que l'opportunisme a tenu une place prépondérante dans les motivations des émeutiers. Le passage à l'acte opportuniste désigne, avant tout, une participation aux émeutes motivée par un « effet de groupe » et un sentiment d'appartenance, voire la curiosité et la recherche « d'adrénaline ».
Certains chercheurs en sociologie entendus par la mission estiment qu'une telle « dimension ludique » sous-tend nécessairement toute mobilisation de cette nature. Ainsi, selon Marwan Mohammed, « la révolte, la colère, l'indignation n'empêchent pas de rendre l'exercice ludique et de l'alimenter par des formes d'excitation, de compétition honorifique, d'adrénaline, de recherche d'un sentiment d'exister »85(*).
Néanmoins, l'effet d'entraînement semble avoir été un levier singulièrement puissant de participation aux émeutes de l'été 2023, qu'il s'agisse des affrontements avec les forces de sécurité intérieure ou des pillages. Si ce mobile est particulièrement observé parmi les auteurs de vols, ce sont près de 41 % des personnes condamnées issues de l'échantillon analysé par l'IGJ et l'IGA qui font état d'une motivation de nature « opportuniste ». En effet, les auteurs de dégradations et violences à l'encontre des forces de l'ordre invoquent prioritairement « l'influence du groupe » (29 % d'entre eux) et « la curiosité et la recherche d'adrénaline » (23 %) comme motifs de leur passage à l'acte.
Cet effet d'entrainement a incontestablement été facilité et amplifié par l'usage majeur des réseaux sociaux, qui ont « donné à voir » à un nombre considérable de personnes ce qu'il se passait « près de chez eux ». Ainsi, lors de son déplacement à Laval, ont été évoqués devant la mission d'information les cas d'individus jeunes, habitant dans les communes avoisinantes, qui seraient venus « pour en être » et participer à un phénomène qu'ils jugeaient « exceptionnel » et d'autant plus attirant qu'il comportait une promesse d'appropriation facile de biens de consommation de valeur.
Le climat insurrectionnel qui a caractérisé la seconde phase des émeutes a davantage donné lieu à « une coalition de petits groupes de jeunes, rassemblés parfois par opportunisme, avec une charge politique plus faible qu'auparavant »86(*). Dans ce contexte, la massification des pillages et leur diffusion à l'ensemble du territoire constituent l'un des principaux signaux de cet opportunisme.
Entendu par la mission d'information, Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration, estime que « l'importance du nombre de magasins pillés est relativement inédite dans l'histoire des violences urbaines en France, et ce phénomène revêt très clairement un caractère opportuniste »87(*).
Or, cette dimension opportuniste n'est pas exclusive d'un degré d'organisation parfois très poussé. Aussi, les services du renseignement territorial ont indiqué avoir observé qu'un grand nombre pillages avaient été orchestrés par des délinquants expérimentés et organisés, qui ont initié des expéditions via les réseaux sociaux, avant d'être suivis par des individus opportunistes, profitant de ce contexte chaotique. À Laval, les représentant de la gendarmerie et de la police nationale ont fait état de « repérages » préalables par les émeutiers, afin de planifier de la manière la plus efficace les exactions à venir. À Évry-Courcouronnes, des magasins de centre-ville, et surtout le centre commercial, ont fait l'objet d'un véritable pillage organisé, concentré sur les biens qui pouvaient faire l'objet d'une revente rapide et lucrative.
Témoins de ces faits, certains élus auditionnés ont également été frappés par ce niveau d'organisation, à l'instar de la maire de Pontoise, Stéphanie Von Euw, pour qui « il y a eu des pillages, mais ciblés : ont été volés des denrées et des biens qui pouvaient ensuite être revendus. La logique de ces personnes est donc bien de nature mercantile »88(*).
Le cas de Laval : un déferlement de violence inattendue fondé sur des motivations principalement opportunistes
« Ils voulaient détruire et puis ils font leurs courses » a relaté à la mission d'information le commissaire Nicolas Guerrand, directeur départemental de la sécurité publique (DDSP).
À Laval, commune de 50 000 habitants située au coeur du département rural de la Mayenne et épargnée par les émeutes de 2005, la soudaineté et la gravité sans précédent des troubles survenus au cours des nuits du 27 au 30 juin 2023 a surpris.
Les émeutiers étaient tout au plus une quarantaine et se caractérisaient par leur jeunesse, comme en témoigne le cas d'un enfant de 13 ans impliqué dans les troubles. Leur motivation a semblé principalement opportuniste, avec des actes de pillage ciblant des biens matériels ludiques, comme des téléviseurs et des trottinettes. L'usage de tirs de mortier à répétition visant les forces de l'ordre et les pompiers est apparu comme un moyen tactique de couvrir les actions de saccages et de pillages et, dans cet objectif, de faire reculer et de déstabiliser les forces de l'ordre.
Ces émeutes ont également été marquées par des tentatives de mise en scène et une recherche de médiatisation par les participants de leurs actes à travers la publication de vidéos, illustrant un désir de reconnaissance couplé à une exacerbation des tensions entre bandes liées à la structuration latente du trafic de stupéfiants dans ce territoire. C'est ainsi avant tout l'oisiveté d'une jeunesse livrée à elle-même et désabusée qui a été mise en exergue par les acteurs sociaux rencontrés par la mission.
Bien que mus principalement par des actes de pillage, les émeutiers n'en ont pas moins démontré un certain degré d'organisation, comme en témoigne la livraison par camion de mortiers d'artifice depuis Le Mans ou Rennes, qui remet en question le caractère spontané des troubles, souvent mis en avant.
Des violences urbaines circonscrites à deux quartiers paupérisés et touchant principalement des lieux dédiés à la consommation ou aux loisirs.
Les troubles urbains ont été circonscrits à deux quartiers prioritaires dans la ville : Les Fourches et Saint-Nicolas. Peuplés par moins de 15 % de la population lavalloise, ces quartiers se distinguent par une précarité socio-économique exacerbée, marquée par un taux de chômage trois fois supérieur à la moyenne municipale et un taux de pauvreté allant de 37 % aux Fourches à 72 % à Saint-Nicolas.
À Saint-Nicolas, les violences ont entraîné la destruction complète du restaurant McDonald's par un incendie et des actes de vandalisme contre divers commerces, dont un magasin Conforama, une compagnie d'assurance et un bar-tabac. Les émeutiers ont tenté, par la suite, de prendre pour cibles les hypermarchés à proximité. Parallèlement, aux Fourches, le centre de loisirs a été la cible d'une attaque, entraînant des dommages estimés à 600 000 euros. Au total, sept entreprises privées ont fait l'objet de pillages ou de dégradations, tandis qu'aucun bâtiment public n'a été délibérément pris pour cible.
La greffe d'un contexte national sur des enjeux purement locaux
Historiquement, la ville de Laval avait toujours été épargnée par les violences urbaines d'ampleur nationale.
Répondant à un contexte national, les émeutes de 2023 ont, en ce sens, marqué un tournant. Mais cette affirmation doit être nuancée par le constat que les cibles des émeutes semblaient dépendre de l'existence de tensions propres à chaque quartier, comme le montre l'attaque du centre de loisirs des Fourches suite à un conflit antérieur entre un jeune et le personnel. Preuve également de l'ancrage local de ces émeutes, le coup d'arrêt brusque des violences est, en partie, lié à l'opposition des résidents des quartiers à de nouvelles dégradations.
Une action des forces de sécurité intérieure efficace mais fragilisée, le premier soir, par l'absence d'un continuum de sécurité et de toute anticipation
Malgré une réponse des forces de l'ordre efficace, celle-ci a été fortement entravée par l'absence de coordination entre la police nationale et municipale, avec seulement sept policiers municipaux pour une ville qui en nécessiterait quarante selon les estimations du diagnostic de sécurité.
L'absence d'hostilité manifestée auparavant à l'égard des forces de l'ordre a participé à la sous-estimation de la montée des violences. Prise au dépourvu la première nuit, la police nationale, avec seulement 13 agents en service nocturne, s'est retrouvée dans l'incapacité de se diviser pour répondre aux troubles dans le quartier des Fourches, tandis qu'elle assurait la protection de la zone commerciale de Saint-Nicolas, devenant, alors, la cible d'attaques à l'aide de mortiers d'artifice.
Dès le deuxième jour, les effectifs ont été renforcés. La DDSP, de taille modeste, a pu bénéficier du soutien des gendarmes en effectuant des patrouilles avancées. Ainsi, 24 militaires étaient présents la deuxième nuit. Le phénomène a été maîtrisé dès la troisième nuit grâce à une présence dissuasive des forces de l'ordre.
Toutefois, dans ce contexte d'urgence inédit, le maintien de l'ordre a prévalu sur la judiciarisation des faits. La seule comparution immédiate ayant eu lieu a conduit à une relaxe. Ultérieurement au déplacement, quatre autres individus ont été interpellés et jugés par le tribunal judiciaire de Laval, deux d'entre eux ont été également relaxés faute de preuves suffisantes à leur encontre. Les émeutes de juin et juillet 2023 ont ainsi accéléré les discussions entre la préfecture de la Mayenne et la ville de Laval concernant le déploiement de la vidéoprotection, avec notamment l'installation de nouvelles caméras dans le quartier des Fourches.
* 40 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.
* 41 Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice, audition du 25 octobre 2023.
* 42 75 % sont nés en France.
* 43 Plus précisément, les 18-19 ans représentent 29 % des personnes condamnées, les 20-21 ans représentent 26 %, et les 22-24 ans, 18 %.
* 44 Population totale estimée au 1er janvier 2023. Source Insee - pyramide des âges - bilan démographique 2022
* 45 À partir d'un panel de 395 personnes définitivement condamnées au 31 juillet 2023.
* 46 Audition du mercredi 20 décembre 2023.
* 47 Audition du mardi 16 janvier 2024.
* 48 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « Étude flash sur le profil des mineurs déférés à la suite des émeutes urbaines », 27 novembre 2023.
* 49 Seuls 1,9 % des dossiers concernent des filles, qui représentent habituellement 13 % des affaires concernant des mineurs.
* 50 Plus de 82 % sont nés en France.
* 51 Selon une étude de la Direction de protection judiciaire de la jeunesse, « Étude relative aux mineurs déférés », octobre 2020.
* 52 Selon l'enquête annuelle de recensement de 2020 de l'Insee.
* 53 Cécile Flammant, « L'orphelinage précoce continue de diminuer au début du XXIe siècle », Population & Sociétés, n° 580, août 2020. Le taux d'orphelinage augmente avec l'âge : il est de 0,9 % à 6 ans, de 2,2 % à 11, de 3,6 % à 15 et de 5,1 % à 18 ans.
* 54 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « Étude flash sur le profil des mineurs déférés à la suite des émeutes urbaines », 27 novembre 2023.
* 55 Ibid.
* 56 Audition du mercredi 5 juillet 2023.
* 57 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « Étude flash sur le profil des mineurs déférés à la suite des émeutes urbaines », 27 novembre 2023.
* 58 Ifop - Le Point, « Émeutes : premiers éléments de diagnostic », n° 236, 17 juillet 2023.
* 59 Avec une estimation de 50 émeutiers dans les 543 villes de moins de 20 000 habitants.
* 60 Hugues Lagrange, Émeutes, deux mois après : une colère en quête de motifs, Institut Montaigne, 4 septembre 2023.
* 61 Audition du mardi 16 janvier 2024.
* 62 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.
* 63 Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration, audition du mercredi 23 octobre 2023.
* 64 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.
* 65 Certains magistrats ont pourtant fait état, d'après l'inspection générale de la justice (IGJ), de tentatives de récupération et de mobilisation politiques de la part de militants : « Au sein de certaines salles d'audience, [...] ont été observées des personnes issues de collectifs, d'associations ou de groupes d'ultra gauche, dès les premières audiences de comparutions immédiates. Ainsi, dans un TJ de région parisienne, est noté un public constitué majoritairement par des personnes tenant des propos pouvant être associés à l'ultra gauche (...). À Lyon, alors que comparaît au cours de débats apaisés un prévenu qui ne porte aucune revendication, une personne connue de la justice pour son activisme politique, accompagnée de plusieurs militants, provoque l'évacuation de la salle d'audience puis, fait sans précédent, de celle des pas perdus. Selon les propos de la procureure de la République, à Marseille où des militants de l'ultra gauche perturbent l'audience, le renseignement territorial a observé des activistes tentant de convaincre des jeunes en sortie de plage de se rendre au TJ et de manifester. »
* 66 Audition du 25 octobre 2023.
* 67 D'après Marco Oberti et Maela Guillaume Le Gall, « ce premier temps agrège des populations hétérogènes (jeunes des quartiers militants antiracistes et associatifs, population indignée de l'acte du policier, élus locaux, parents voire black-bloks » (« Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France », publié le 10 octobre 2023).
* 68 La présence de quartiers prioritaires de la ville (QPV) multiplie par sept le risque d'émeutes (Marco Oberti et Maela Guillaume Le Gall, Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France, oct. 2023).
* 69 Audition du mercredi 7 février 2024.
* 70 L'avis du Conseil national des villes sur les émeutes urbaines de novembre 2005 (2006) évoque également « un grand sentiment d'abandon et de dégradation dans les quartiers, couplé à un sentiment d'enfermement, sentiments qui engendreraient un « ras le bol général » ».
* 71 Mucchielli, Laurent. « 1. Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère », Véronique Le Goaziou éd., Quand les banlieues brûlent...Retour sur les émeutes de novembre 2005. Édition revue et augmentée. La Découverte, 2007, pp. 11-35.
* 72 Entretien pour Le Monde, « Les relations entre les habitants des ghettos et la ville se dégradent », propos recueillis par Luc Bronner, publié le 29 décembre 2008, également cité par Luc Bronner, La loi du ghetto. Enquête dans les banlieues françaises, ed. Calmann-Lévy, 2010.
* 73 Selon l'analyse de Bruno Domingo, audition du 6 décembre 2023. Cf également : E. Maurin, Le Ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Seuil, Paris, 2004 et Mucchielli, Laurent. « 1. Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère », Véronique Le Goaziou éd., Quand les banlieues brûlent...Retour sur les émeutes de novembre 2005. Édition revue et augmentée. La Découverte, 2007, pp. 11-35.
* 74 Audition du mercredi 6 décembre 2023.
* 75 Audition du mercredi 8 novembre 2023.
* 76 Cf. l'analyse sur les émeutes de 2005 de Michel Kokoreff, « Sociologie de l'émeute. Les dimensions de l'action en question », Déviance et Société, vol. 30, no. 4, 2006, pp. 521-533.
* 77 Audition du mardi 16 janvier 2024.
* 78 Audition du mercredi 7 février 2024.
* 79 François Dubet, audition du mercredi 6 décembre 2023.
* 80 Marwan Mohammed, audition du mercredi 16 janvier 2024.
* 81 Audition du mercredi 6 décembre 2023.
* 82 Ibid.
* 83 Audition du mercredi 6 décembre 2023.
* 84 Audition du mercredi 8 novembre 2023. Nathalie Heinich reprend les notions développées par Norbert Elias dans son ouvrage intitulé Sur le processus de civilisation (1939) et identifie un processus de « décivilisation ».
* 85 Audition du mercredi 16 janvier 2024.
* 86 Bruno Domingo, professeur de sociologie à Sciences Po, audition du mercredi 6 décembre 2023.
* 87 Audition du mercredi 23 octobre 2023.
* 88 Audition du mercredi 20 décembre 2023.