F. LA RÉPONSE JUDICIAIRE : UNE MOBILISATION INÉDITE DE L'ENSEMBLE DE LA CHAINE PÉNALE AU RENDEZ-VOUS DES ÉVÈNEMENTS EN DÉPIT DU MANQUE D'OUTILS MATÉRIELS ET LÉGISLATIFS ADAPTÉS À CERTAINES ÉVOLUTIONS
La mission salue la systématisation et la rapidité de la réponse pénale des émeutiers au cours de l'été 2023, impliquant une réorganisation en urgence des tribunaux et une mobilisation inédite de l'ensemble de la chaine pénale pour faire face à l'augmentation des procédures, singulièrement de comparutions immédiates.
Elle rappelle la nécessité de faciliter la poursuite immédiate des auteurs d'infractions en contexte émeutiers et de garantir le prononcé rapide de sanctions afin d'une part, d'assurer un meilleur suivi des émeutiers, notamment par le prononcé de mesures interdisant la fréquentation de certains lieux ou de certaines personnes, et d'autre part, d'envoyer un message clair de fermeté et de dissuasion aux individus tentés d'adopter des comportements délicieux similaires.
Fort de l'analyse de terrain exprimée par les acteurs de la chaine pénale rencontrés, la mission suggère plusieurs propositions visant à améliorer le traitement judiciaire des émeutiers et mettre ainsi fin au sentiment d'impunité dont peuvent jouir des émeutiers opérant par groupe de plusieurs dizaines de personnes et par le biais de messageries en ligne privées ou de fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux.
Elle propose ainsi de :
· renforcer et adapter l'arsenal pénal aux évolutions des comportements et modes opératoires des émeutiers ;
· améliorer la répression et la prévention des violences urbaines perpétrées par des mineurs ;
· perfectionner le traitement judiciaire en période d'émeutes urbaines ou de crise.
1. Renforcer et adapter l'arsenal pénal aux évolutions des comportements et modes opératoires des émeutiers
Comme développé supra, l'arsenal pénal actuel est désormais inadapté aux nouveaux comportements des émeutiers et à leurs profils.
Ainsi, il apparait nécessaire de le renforcer et d'y apporter des adaptations afin d'en accroitre le caractère dissuasif et répressif, et de doter les magistrats de l'ensemble des outils permettant d'individualiser les peines prononcées.
En sus des renforcements de sanctions détaillées plus haut148(*), il est proposé, sur le modèle des dispositions de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, de favoriser le développement de travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires au cours d'émeutes.
Comme l'a indiqué la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) au rapporteur, « la peine de travail d'intérêt général peut être prononcée par le tribunal afin de substituer aux courtes peines d'emprisonnement une sanction individualisée, resocialisante et efficace pour lutter contre la récidive. La personne condamnée effectue alors un travail sans rémunération dans l'intérêt collectif, qui vise à réparer le tort commis à la communauté et restaurer le lien de confiance. Les collectivités et établissements publics, les associations et les entreprises chargées d'une mission de service public peuvent accueillir les personnes condamnées à une peine de travail d'intérêt général ».
Compte tenu de la nature du TIG, la mission a jugé particulièrement bienvenue cette mesure introduite par le Sénat, en ce qu'elle améliore concrètement et pragmatiquement la répression d'infractions commises à l'endroit des personnes dépositaires de l'autorité publique. Elle souhaite en conséquence en faciliter le prononcé pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires, notamment de biens publics, au cours d'émeutes.
Le rapporteur souhaite, néanmoins, insister sur le sens particulier de cette peine qui s'apparente à la réalisation d'un travail gratuit pour la collectivité et appelle, lorsque cela est possible et adapté à la personnalité du condamné, à ce que celui-ci puisse effectuer sa peine de TIG au sein d'une collectivité territoriale.
De façon analogue, la mission propose d'adapter le contenu du stage de citoyenneté, défini localement dans le ressort de chaque tribunal, au profil spécifique des émeutiers. Une telle mesure permettrait de renforcer l'individualisation des peines toute en territorialisant la réponse pénale apportée aux émeutes.
Enfin, compte tenu du nombre d'émeutiers ayant agi en dissimulant volontairement leurs visages, le rapporteur s'étonne du faible nombre de condamnations du fait de la participation délictueuse à un attroupement, aggravé par la dissimulation volontaire du visage. Ainsi aggravée, ce délit est puni de trois ans d'emprisonnement - permettant ainsi la réquisition des données de connexion - et 45 000 euros d'amende. La mission appelle, dès lors, l'autorité judiciaire à systématiser l'utilisation de cette circonstance aggravante afin non seulement de faciliter l'identification des auteurs et leur localisation et d'autre part, à mieux réprimer ce comportement délictueux largement adopté par les émeutiers.
Pour mémoire, définie à l'article 431-3 du code pénal, la participation délictueuse à un attroupement consiste, après deux sommations, à continuer de participer à un attroupement - l'attroupement étant caractérisé comme un « rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public ». Est alors encourue une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Proposition n° 22 : Renforcer et adapter l'arsenal pénal aux nouveaux comportements émeutiers :
· Systématiser les poursuites en cas de dissimulation du visage aggravant le délit de participation à un attroupement ;
· Sur le modèle des dispositions de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, favoriser le développement de travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires au cours d'émeutes ;
· Adapter le contenu du stage de citoyenneté, défini localement dans le ressort de chaque tribunal, au profil spécifique des émeutiers.
2. Améliorer la répression et la prévention des violences urbaines perpétrées par des mineurs
Comme détaillé ci-avant, de nombreux mineurs, souvent primo-délinquants, se sont rendus coupables de violences urbaines à l'été 2023.
Comme l'ont démontré les auditions conduites par le rapporteur, l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs judiciarisés pour des faits en lien avec les émeutes, singulièrement âgés de moins de treize ans, invite à faire évoluer les mesures de poursuites et d'instruction leur étant applicables, afin de permettre aux magistrats de bénéficier de l'ensemble des moyens nécessaires à la sanction des mineurs participant aux émeutes, y compris de moins de treize ans, sans revenir sur le principe d'une distinction entre les mesures applicables aux majeurs et aux mineurs ainsi qu' entre les différents stades de la minorité.
En conséquence, sur le modèle des dispositions votées par le Sénat en janvier 2024 dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste149(*), la mission propose d'adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants.
À cette fin, elle suggère de :
· permettre le placement sous contrôle judiciaire des mineurs primo délinquants pour les infractions en lien avec la participation à des groupements, y compris pour des infractions dont les peines encourues sont inférieures à cinq ans - afin de permettre le prononcé de telles mesures en cas de participation délictuelle à un attroupement ou de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ;
· de rendre possible, de façon analogue, le placement en centre éducatif fermé et le placement sous surveillance électronique mobile de tels mineurs, afin d'établir rapidement les conditions de leur éloignement des violences urbaines ;
· faciliter le passage en audience unique sur la culpabilité et la sanction de mineurs impliqués dans ce type d'infractions, afin de permettre un prononcé le plus rapide possible des sanctions à l'encontre des émeutiers.
Proposition n° 23 : Sur le modèle des dispositions votées par le Sénat en janvier 2024 dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants :
· Permettre le placement sous contrôle judiciaire des mineurs primo délinquants pour les infractions en lien avec la participation à des groupements ;
· Permettre, de façon analogue, le placement en centre éducatif fermé et sous placement électronique mobile de tels mineurs ;
· Faciliter le passage en audience unique sur la culpabilité et la sanction de mineurs impliqués dans ce type d'infractions.
3. Perfectionner le traitement judiciaire en période d'émeutes urbaines ou de crise
Enfin, des retours d'expériences recueillis par la mission au cours de ses déplacements et auditions, il est apparu que certaines mesures opérationnelles devaient rapidement être déployées afin de garantir et d'assurer un traitement judiciaire efficace en contexte de crise ou d'émeutes.
En effet, si la mobilisation de la chaine pénale est à saluer, force est de constater qu'elle a dû se concrétiser en dépit de sérieux manques de planification préalable, d'équipements matériels performants et adaptés aux preuves recueillies par les services enquêteurs et au cours d'une grève des agents de greffe.
Ainsi, pour remédier à ces difficultés, la mission préconise quatre principales évolutions.
En premier lieu, il lui apparait indispensable d'établir, en préservant les acquis et les singularités de fonctionnement de chacun des tribunaux, un schéma organisationnel de gestion des crises pour la mobilisation des acteurs judiciaires, sur la base des retours d'expériences de la gestion des émeutes de l'été 2023.
En deuxième lieu, elle invite les acteurs judiciaires à systématiser sur l'ensemble des ressorts les bonnes pratiques déployées à l'occasion des émeutes de l'été 2023, notamment l'utilisation des « fils rouges » des forces de l'ordre pour établir des procès-verbaux de contexte et fluidifier les relations entre les agents interpellateurs et les services d'enquêtes. En l'occurrence, une telle mesure a permis, d'après les policiers entendus à Évry-Courcouronnes, de pallier l'incomplétude et l'imprécision des fiches de mise à disposition remplies par les agents interpellateurs, qui obèrent les chances de poursuites judiciaires à l'encontre des émeutiers interpellés. En outre, cela a permis de limiter le temps passé par les agents interpellateurs sur ces procédures pour rendre effective leur pleine mobilisation sur le terrain pour mettre fin aux débordements persistants.
En troisième lieu, le rapporteur insiste sur la nécessité d'équiper, dans les plus brefs délais, l'ensemble des tribunaux de salles et de moyens techniques pour visionner et écouter les enregistrements des caméras piétons et les données extraites des sources numériques. Ces preuves numériques tendent à se multiplier et sont particulièrement nombreuses pour des procédures impliquant des groupes de mineurs en situation émeutières. Dès lors, il apparait indispensable d'adapter les équipements de l'autorité judiciaire en conséquence.
Enfin, lors de son déplacement au tribunal judicaire de Lyon, la mission a été alertée sur les difficultés rencontrées au cours des émeutes de l'été 2023 pour réquisitionner des agents de greffe alors grévistes pour assurer le traitement de l'ensemble des dossiers liés aux violences urbaines. Si le mécanisme de réquisition des magistrats est robuste et éprouvé, il apparait que celui des agents de greffe n'a pas été actualisé. Ainsi, il est souhaitable de permettre en situation de crise ou d'émeutes la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la chaine judiciaire, notamment en assouplissant le mécanisme de réquisition des greffiers.
Proposition n° 24 : Assurer un traitement judiciaire efficace en contexte de crise ou d'émeutes
· Établir, sur les retours d'expériences des émeutes de 2023, un schéma organisationnel de gestion des crises pour la mobilisation des acteurs judiciaires ;
· Systématiser les bonnes pratiques comme l'utilisation des « fils rouges » des forces de l'ordre pour établir des procès-verbaux de contexte ;
· Équiper l'ensemble des tribunaux de salles et d'équipements pour visionner et écouter les enregistrements des caméras piétons et les données extraites des sources numériques ;
· Permettre en situation de crise ou d'émeutes la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la chaine judiciaire, notamment en assouplissant le mécanisme de réquisition des greffiers.
* 148 Voir supra la partie II C, relative à l'usage des réseaux sociaux.
* 149 Proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par François-Noël Buffet. Texte n° 59 (2023-2024) adopté par le Sénat le 30 janvier 2024.