Réponse de Christiane Lambert
J'avoue qu'il n'est guère aisé de prendre la parole après les témoignages de M. Durand et de Mmes Bacot et Testud.
En tant que femme, mère et, depuis peu, grand-mère, je suis particulièrement interpellée. Dans notre société parfois tumultueuse, la famille doit être le cadre de protection, de confiance et d'amour qui construit des personnes. On peine à imaginer que de tels actes aient pu exister. Et pourtant, ils ont existé !
J'ai toujours beaucoup aimé venir m'exprimer devant le Sénat, une assemblée dont les membres sont des hommes et des femmes de territoires et dont la qualité d'écoute est très appréciable à une époque où prévalent punchlines et effets de tribune.
Je dédie ce prix à toutes les femmes agricultrices, qui représentent aujourd'hui 30 % de la profession. Les femmes, longtemps invisibilisées - le mot « agricultrice » n'est entré dans Le Larousse qu'en 1961, année de ma naissance -, sont créatrices de liens. Leur sensibilité s'exprime dans l'action et dans l'engagement, avec comme moteur et comme carburant l'intérêt général et le besoin d'être utiles aux autres.
Je veux également partager cette distinction avec des gens qui ont compté pour moi, depuis le lancement de mon exploitation agricole du Cantal en 1980, quand j'avais dix-neuf ans : mes parents, qui m'ont transmis des valeurs chrétiennes et terriennes, véritable fil conducteur de mon engagement ; les responsables des Jeunes agriculteurs qui m'ont inspirée et donné le goût du militantisme, comme Michel Teyssedou et Michel Fau.
J'ai toujours défendu le lien, que certains s'acharnent aujourd'hui à distendre, entre agriculture et environnement - ceux qui entretiennent au quotidien les paysages, les espaces et la biodiversité, ce sont les agriculteurs et les agricultrices -, en mettant l'accent sur la formation, notamment dans le cadre de mes fonctions au sein de l'Institut de formation des cadres paysans, lancé sur l'initiative de Michel Debatisse et à la présidence de Vivea, le fonds de formation des entrepreneurs du vivant, durant douze ans aux côtés de ma directrice Béatrice Dingli.
Ayant côtoyé plusieurs présidents de la FNSEA, comme Luc Guyau, Jean-Michel Lemétayer et Xavier Beulin, je savais que la fonction était exigeante et stressante, mais qu'elle donnait aussi la capacité de changer les choses et d'être utile aux autres. C'est ce qui m'a conduite à l'accepter à la suite du décès brutal de Xavier Beulin. J'ai pu compter sur mon numéro deux, Jérôme Despey, ainsi que sur de nombreux collaborateurs et collaboratrices avec lesquels j'ai tissé des relations fortes, comme Pascale Gélin, qui fut ma directrice pendant vingt-trois ans, et tant d'autres femmes : Rachel, Florence, Anne, Marion, Patricia. Cela m'a permis d'obtenir des augmentations des revenus agricoles grâce aux lois alimentation et aux dispositifs fiscaux et assurantiels obtenus, d'améliorer les retraites des agriculteurs et des agricultrices et enfin d'améliorer l'image de la profession, en faisant connaître et rayonner l'agriculture au-delà des cercles traditionnels.
Au moment de mon départ de la présidence de la FNSEA, la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam, présidente de l'assemblée parlementaire de l'Otan, m'a accordé le prix du rayonnement international, car j'assure la présidence du Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne (Copa), qui représente 21 millions d'agriculteurs et leurs familles. Je préside ainsi le syndicat européen avec des convictions européennes chevillées au coeur et au corps.
Je souhaite enfin évoquer celui sans lequel rien n'aurait été possible : mon mari, Thierry. Il est l'eau, je suis le feu. C'est lui qui restait aux côtés de nos enfants pendant que je partais quatre ou cinq jours par semaine. Tous trois ont aujourd'hui de belles situations professionnelles : Guillaume travaille dans le domaine des chiffres, c'est tout à fait l'ADN de mon mari ; Thibaut nous a rejoints dans l'exploitation, à notre grande satisfaction ; et Pauline, en plus d'être chargée d'études sur les fermes laitières bas carbone dans un institut de recherche, a choisi récemment de faire la traite trois matins par semaine et le week-end chez un éleveur voisin. L'amour des animaux, c'est quelque chose qui ne s'explique pas : ça se vit.
Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat de cette reconnaissance et de cette mise en valeur de parcours particuliers. Lorsque je vois les étoiles dans les yeux d'agricultrices qui m'entendent parler d'elles, lorsque des agriculteurs me disent qu'ils sont fiers et heureux de la manière dont je les ai défendus, je me dis que je ne me suis pas engagée pour rien. C'est pour moi une immense satisfaction. Merci encore ! (Applaudissements.)
Annick Billon, présidente. - Chère Christiane Lambert, je vous remercie de nous avoir montré que l'on pouvait être une femme engagée, battante, et réussir sa vie personnelle. Votre parcours est inspirant : vous pouvez servir de modèle pour tant de jeunes filles, et même de jeunes hommes, sur l'ensemble du territoire national.