III. ASSURER AUX COMMUNES LES MOYENS FINANCIERS DE LEUR LIBERTÉ : POUR DES FINANCEMENTS LISIBLES ET PRÉVISIBLES

La question des moyens financiers des communes est une question importante qui ne peut cependant être étudiée indépendamment du reste de l'architecture des finances locales. D'autres instances du Sénat ont porté leur réflexion sur cette architecture en même temps que la mission conduisait ces travaux. Il en est ainsi allé du groupe de travail « Décentralisation », présidé par le Président Gérard Larcher130(*).

Renvoyant aux propositions ambitieuses formulées par ce groupe de travail, le rapporteur s'est attaché, dans le cadre des travaux de la mission, à retenir quelques principes, simples, de nature à conforter l'autonomie des communes et à leur garantir une certaine prévisibilité de leurs ressources.

A. RESTAURER UNE AUTONOMIE FINANCIÈRE RÉDUITE À PEAU DE CHAGRIN

Il n'y a pas de liberté sans moyens. Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales est vidé de sa portée si l'autonomie financière des collectivités n'est pas garantie.

L'article 72-2 de la Constitution pose comme principe que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».

Or, comme l'a mis en lumière le rapport de la mission d'information de la commission des finances sur les suites à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les scénarios de financement des collectivités territoriales131(*), force est de constater que l'autonomie financière du bloc communal s'est réduite au cours des dernières années.

Optiquement, il est vrai, le ratio d'autonomie financière des communes et intercommunalités s'élèverait à 70,9 %.

Cependant, comme les auteurs du rapport de la mission d'information de la commission des finances le relèvent, l'autonomie ainsi entendue couvre, non seulement « les impositions dont les collectivités fixent l'assiette ou le taux mais également les impôts partagés entre l'État et les collectivités territoriales, à la condition que le mode répartition retenu par le législateur maintienne un lien avec les collectivités concernées, par le biais du taux ou de l'assiette. [...] Le législateur organique a donc retenu une définition large de la ressource propre, en y incluant non seulement les ressources fiscales sur lesquelles les collectivités ont un certain pouvoir, mais aussi celles sur lesquelles elles n'ont aucune prise ».

Or, ces dernières années, les collectivités locales, et plus particulièrement les communes, ont connu plusieurs modifications substantielles de leurs recettes fiscales, modifiant la structure de leurs ressources.

En effet, la taxe professionnelle a été transformée132(*) et la taxe d'habitation sur les résidences principales supprimée par la loi de finances pour 2020133(*), sort qu'a aussi connu la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), du fait de la loi de finances pour 2023134(*).

À ce jour, les principaux impôts locaux dont bénéficient les communes sont les suivants :

- la taxe foncière sur le bâti (TFB) ;

- la taxe foncière sur le non bâti (TFNB) ;

- la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) ;

- la cotisation foncière des entreprises (CFE).

En 2021, ces impôts fonciers ont représenté 40 % des ressources fiscales des communes135(*).

S'ajoutent à ces impôts locaux certaines taxes : taxe d'enlèvement d'ordures ménagères (TEOM), taxe sur les logements vacants (TLV), taxe de balayage, taxe sur les cessions de terrains devenus constructibles, taxe sur les friches commerciales et taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI).

Enfin, pour compenser les suppressions d'impôts locaux, les communes se sont vues affecter des fractions d'impôts nationaux. Mais, s'il s'agit bien de ressources fiscales, elles ne participent pas de l'autonomie fiscale des communes puisque celles-ci n'en maîtrisent ni le taux ni l'assiette.

Or, si l'on s'attache au seul ratio d'autonomie fiscale, excluant ces fractions d'impôts locaux, on constate, comme le relève la Cour des comptes, que, entre 2017 et 2021, les ressources fiscales locales des communes sont passées de 51,9 milliards d'euros à 47,5 milliards d'euros. Le taux d'autonomie fiscale au sens strict est donc tombé de 41,3 % à 35,5 %136(*).

Le rapporteur considère que continuer sur cette pente serait nier aux communes la maîtrise d'une part essentielle de leurs ressources, qui présente aussi un enjeu démocratique, puisqu'elle établit un lien entre le citoyen électeur et le citoyen contribuable. Il appelle donc à garantir et renforcer l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

En outre, le rapporteur estime que l'autonomie financière ne doit pas être remise en cause par une modification de la nature des attributaires de la DGF : celle-ci doit demeurer communale, sauf en cas de conclusion d'accord local visant à l'intercommunaliser.

En 2021, cette dotation était de 26,19 milliards d'euros en 2021 et répartie de la manière suivante : 11,75 milliards d'euros aux communes, 6,52 milliards d'euros aux communautés de communes et 7,93 milliards d'euros aux départements137(*).

Dans le deuxième fascicule de son rapport sur les finances publiques locales pour 2022, la Cour des comptes recommande de « verser la dotation globale de fonctionnement (DGF) au seul niveau des EPCI et laisser ensuite la possibilité de procéder à une répartition de droit commun ou dérogatoire ».138(*) Elle préconisait déjà une telle mesure dans son rapport sur les finances publiques locales d'octobre 2014.

Le principe d'une DGF territoriale ou intercommunale n'est pas nouveau. En effet, depuis 2010, la DGF peut être attribuée à l'intercommunalité. L'article L. 5211-28-2 du CGCT dispose qu'« afin de permettre une mise en commun des ressources, un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut percevoir, en lieu et place de ses communes membres, les montants dont elles bénéficient au titre de la dotation globale de fonctionnement prévue aux articles L. 2334-1 et suivants, sur délibérations concordantes de l'organe délibérant et de chacun des conseils municipaux des communes membres. ».

La Cour des comptes note, dans le rapport précité, que cette mesure n'a jamais été mise en oeuvre. Il suffit de l'opposition d'une seule commune pour empêcher son instauration². Les critères de répartition doivent ensuite être acceptés à la majorité qualifiée.

Le rapporteur s'oppose fortement à la recommandation de la Cour des comptes et estime préférable d'en rester au droit en vigueur : l'attribution automatique de la DGF des communes à leur EPCI dépossèderait, encore un peu plus, les communes de leur liberté d'agir.

Proposition n° 3 : Assurer aux communes les moyens financiers de leur liberté : pour des financements lisibles et prévisibles.

Sous-proposition n° 1 : Conserver aux communes un financement par de la fiscalité locale et une dotation globale de fonctionnement.


* 130  Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation présidé par Gérard Larcher « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur pouvoir d'agir ».

* 131  Rapport d'information n° 41 (2022-2023) fait par Charles Guéné, Jean-François Husson et Claude Raynal, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales, fait au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022.

* 132 Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

* 133 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 134 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 135 Cour des comptes, Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution, communication à la commission des finances du Sénat, octobre 2022, p. 31.

* 136 Cour des comptes, Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution, communication à la commission des finances du Sénat, octobre 2022, p. 44.

* 137 Cour des comptes, Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution, communication à la commission des finances du Sénat, octobre 2022, p. 159.

* 138 Cour des comptes, Les finances publiques locales, fascicule 2, octobre 2022, p. 121-123.