EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 29 juin 2023, la commission d'enquête a examiné le rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, cinq mois après l'installation de notre commission d'enquête, nous sommes réunis une dernière fois, pour la présentation de notre rapport. Notre commission d'enquête a balayé de façon extrêmement large le spectre des politiques publiques menées en matière de rénovation énergétique. Sans prétendre que notre travail est exhaustif, il me semble que peu de personnes susceptibles d'être auditionnées sont passées à travers les mailles de notre filet.
Je tiens à remercier le rapporteur de la fluidité de nos échanges. Les choses se sont bien passées, en raison de notre respect mutuel. Je remercie également tous les membres de la commission d'enquête, en particulier ceux qui sont présents ce matin, et qui ont été les plus assidus lors de nos auditions. Vous êtes très sollicités, mais le travail de la commission d'enquête a été remarquable, précis, consciencieux et calme. Nous aboutissons à un rapport facile d'accès, qui apporte quelque chose à l'existant.
Avant d'examiner le rapport que va nous présenter notre collègue Guillaume Gontard, il me revient de vous rappeler les obligations réglementaires et juridiques qui pèsent sur le fonctionnement d'une commission d'enquête lors de la phase d'adoption du rapport.
Comme je l'ai indiqué lors de notre première réunion, les travaux de la commission d'enquête sont secrets tant qu'ils n'ont pas été rendus publics. Cette règle du secret s'impose à chacun d'entre nous au sujet du contenu du rapport, et ce jusqu'à la conférence de presse, qui aura lieu mercredi 5 juillet à 16 h 30. Aucune communication, sous aucune forme, traditionnelle ou via les réseaux sociaux, n'est donc possible avant l'expiration du délai permettant au Sénat de se constituer en comité secret. Par ailleurs, l'article 226-13 du code pénal prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation, dans les vingt-cinq ans, d'informations ou de travaux non publics d'une commission d'enquête.
C'est la raison pour laquelle des exemplaires nominatifs vous ont été remis contre émargement, et il vous faudra les remettre au secrétariat de la commission d'enquête à l'issue de la réunion.
Si, à l'issue de l'examen, vos groupes politiques ou vous-même souhaitiez faire figurer formellement une contribution ou une position divergente, je vous remercie de la transmettre au secrétariat de la commission d'enquête d'ici à demain, 17 heures.
Comme nous l'indiquons depuis le début de nos travaux, l'ensemble des comptes rendus des auditions et l'étude de législation comparée seront publiés dans le tome II du rapport. Enfin, sauf objection, le compte rendu de notre réunion de ce jour sera publié à fin du rapport, comme de coutume.
Une fois ces rappels et formalités effectués, je vous propose de nous intéresser au fond. Avant de passer la parole au rapporteur, je rappelle quelques points.
Notre commission a été constituée mi-janvier 2023 à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires dans le cadre de son droit de tirage. Depuis cette date, le travail accompli a été considérable. Nous avons tenu 21 séances plénières et réalisé trois déplacements : en Isère, dans les Alpes-Maritimes et à Bruxelles, auprès des institutions européennes. Au total, nous avons auditionné 174 personnes et siégé pendant plus de 66 heures. Le tome I du rapport fait près de 200 pages et son tome II, près de 900 pages.
Je tiens enfin à vous remercier et à relever l'état d'esprit très constructif dans lequel nous avons travaillé et procédé aux auditions, cherchant, d'une part, à comprendre pourquoi notre pays peinait à atteindre les objectifs fixés et, d'autre part, à imaginer des solutions. À cet égard, dans un domaine où, par le passé, plusieurs ont opté pour des objectifs flatteurs à long terme, mais plus déclaratoires que réalistes, notre commission a opté pour des propositions pragmatiques, à rebours d'une vision maximaliste, en demeurant ancrée dans les territoires et à l'écoute des professionnels. C'est à mon sens l'une des forces de notre travail et l'un des grands défis de la politique publique de rénovation des logements que de s'appuyer sur les acteurs de terrain, de déployer une vraie chaîne de confiance et de développer une filière industrielle française.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, je voudrais à mon tour corroborer les propos de la présidente et me réjouir du travail accompli collectivement, important, que nous avons réalisé dans de bonnes conditions. Je remercie Mme la présidente : nous sommes parvenus à trouver une bonne méthode, qui nous a permis d'aller au fond des choses et de trouver des solutions pragmatiques allant dans le sens de l'intérêt général. Je remercie également les collègues membres de la commission d'enquête pour le travail fourni.
Le rapport que je vous présente aujourd'hui s'articule en trois parties : un rappel des enjeux de la rénovation énergétique afin de comprendre pourquoi nous sommes appelés à effectuer ces travaux importants ; le diagnostic que nos investigations permettent de porter sur l'état de cette politique publique ; et enfin, les propositions que nous pouvons formuler pour que notre pays relève le défi de la rénovation, atteigne l'objectif de neutralité carbone qu'il s'est fixé à l'horizon 2050 et réussisse concrètement à accélérer le rythme des rénovations.
Commençons par les enjeux. La France compte un peu plus de 37 millions de logements, dont plus de 80 % sont des résidences principales. Selon l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), 5,2 millions - soit 17 % - de résidences principales sont classées F et G, les pires étiquettes énergétiques. Les logements classés E représentent 22 % du parc, et les logements classés D un tiers. Seulement 5 % d'entre eux sont classés A et B. Au total, les deux tiers du parc sont donc concernés par la rénovation énergétique, si l'on considère que l'objectif fixé par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) est d'atteindre d'ici à 2050 un parc neutre en carbone, c'est-à-dire composé principalement de logements classés A, B et, dans une moindre mesure, C.
Cet état des lieux fait apparaître quatre grands enjeux : écologique, social et sanitaire, urbain, et enfin industriel.
L'enjeu écologique est bien entendu de parvenir à limiter l'ampleur du réchauffement climatique et d'atteindre la neutralité carbone en 2050. À cet égard, le logement représente les deux tiers du bâtiment, qui pèse 48 % de la consommation nationale d'énergie et 28 % des émissions de gaz à effet de serre. Ces chiffres indiquent l'ampleur de la tâche, dans le domaine de la décarbonation comme dans celui de la sobriété, puisqu'il faut pouvoir faire face au changement énergétique impliqué.
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la SNBC a fixé l'objectif de rénover 370 000 logements pour les faire atteindre le niveau du label bâtiment basse consommation (BBC) d'ici à 2030, puis 700 000 logements entre 2030 et 2050. Comme vous le savez, nous en sommes loin. Comme il y a souvent une confusion dans la définition des différents types de rénovations, nous ne disposons pas du chiffre exact des rénovations globales effectuées, mais il est compris entre 50 000 et 100 000. Or la future directive européenne sur l'efficacité énergétique des bâtiments renforcera l'objectif de réduction globale des émissions, puisqu'elle le portera en 2030 à 55 % par rapport à 1990, ce que le secrétariat général à la planification écologique a récemment traduit en augmentant de 30 % les objectifs de réduction d'émission assignés au bâtiment.
Le second grand enjeu est social et sanitaire. On estime qu'environ 5,6 millions de ménages souffrent de précarité énergétique, c'est-à-dire peinent à régler leurs factures ou sont contraints de réduire leur consommation. On sait par ailleurs que cette situation a un impact direct sur la santé : selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les risques de maladie seraient accrus de 50 %. Cette réalité a bien entendu été aggravée par la hausse des prix de l'énergie. On ne peut qu'être interpellé par le coût des boucliers mis en place, qui selon un récent contrôle budgétaire effectué par notre collègue Christine Lavarde s'élèvent à plus de 63 milliards d'euros pour un impact à court terme, alors que les budgets consacrés à la rénovation énergétique sont beaucoup moins importants.
Le troisième enjeu est urbain, patrimonial et paysager. Deux tiers des surfaces artificialisées seraient liés à de nouveaux logements, et 80 % des logements qui seront occupés en 2050 seraient déjà construits. La réduction de l'artificialisation, la densification et la revitalisation des centres anciens sont clairement des objectifs de la rénovation. Il y a aussi une dimension patrimoniale et paysagère : la rénovation ne doit pas conduire à une banalisation ou même à une destruction du caractère propre de nos régions ; au contraire, il est espéré qu'elle contribue à leur valorisation et à leur durabilité.
Enfin, le quatrième grand enjeu est économique et industriel. Pour notre pays, il est essentiel que les dépenses considérables en matériaux ou en équipements ne se traduisent pas par des importations, mais contribuent à créer de véritables filières industrielles. Nous le savons, la demande de pompes à chaleur s'est fortement accélérée en raison des aides publiques, à tel point que le marché français est devenu le second marché européen. Mais en quelles proportions ces pompes sont-elles fabriquées en France ou en Asie ? Lorsque l'assemblage est réalisé en France, quelle proportion de la valeur ajoutée est-elle nationale ou européenne ? Il y a un quasi-monopole chinois sur les compresseurs.
Face à ces enjeux, quels sont les grands constats de la commission d'enquête ? Globalement, on pourrait parler de « chantier en cours », entre risques de découragement, progrès réels et outils à améliorer.
Le premier constat est certainement un risque de découragement face à l'instabilité, la complexité et un reste à charge souvent trop élevé.
Cela a été souligné par la plupart des personnes que nous avons auditionnées : l'absence de constance empêche autant les entreprises de se positionner que les particuliers de se décider. Il y a eu des changements de pied brutaux comme l'abandon du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et la création de MaPrimeRénov', tournée vers les ménages modestes, même si la réforme a été positive. Mais à l'intérieur du dispositif MaPrimeRénov', le détail et les conditions des aides changent tous les ans, parfois plus fréquemment encore. Il en est de même pour accéder aux certificats d'économies d'énergie, les fameux CEE. Autre exemple, le service d'accompagnement des particuliers à la rénovation a changé cinq fois de nom et deux fois de mode de financement dans les années récentes ; même les professionnels s'y perdent et nous ont avoué leur découragement.
Cette instabilité qui nourrit la complexité voudrait contrer la fraude, mais n'y parvient pas complètement. Sans généraliser, la demande d'une aide MaPrimeRénov' a viré au cauchemar pour nombre de ménages en raison d'un système entièrement dématérialisé où le droit à l'erreur n'existe pas, et qui peut devenir kafkaïen. À l'issue des démarches, des demandes restent insatisfaites et d'autres aboutissent à des montants moindres qu'espérés.
La confiance est également érodée par les fraudes. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a indiqué que plus de 10 000 plaintes avaient été déposées sur sa plateforme SignalConso dans ce secteur, qui la mobilise dans une proportion beaucoup plus importante que d'autres. Nous savons également que ce domaine est propice aux escroqueries et aux démarchages abusifs, parfois téléphoniques, de prétendus conseillers France Rénov' ou de fausses entreprises bénéficiant du label reconnu garant de l'environnement (RGE).
La difficulté vient également du fait que ces travaux coûtent cher : une rénovation globale représente plusieurs dizaines de milliers d'euros. Ils laissent un reste à charge élevé et sont longs à être rentabilisés. Pour les plus modestes, le reste à charge est souvent supérieur à 30 % du coût des travaux, ce montant pouvant représenter entre une année entière et une demi-année de revenu du ménage, ce qui n'est pas supportable.
Cela étant, tout n'est pas négatif : on constate une massification réelle des gestes de rénovation, mais qui n'a pas créé une dynamique de rénovation globale. C'est le second grand constat et l'enjeu central.
Selon l'ONRE, en 2020, 2,1 millions de logements ont bénéficié d'au moins une des quatre principales aides pour leur rénovation énergétique : CITE, MaPrimeRénov', CEE ou TVA à 5,5 %. Il s'agit d'une réelle satisfaction, mais, nous le savons, beaucoup de ces rénovations sont très partielles et parfois même contre-productives. Le cas de MaPrimeRénov' est très parlant. C'est un vrai succès, avec plus de 650 000 demandes en 2021 et 2022, permettant des gains énergétiques 40 % supérieurs à ceux du CITE. Mais seulement 10 % des demandes concerneraient des rénovations globales ; en dehors des dispositifs consacrés à ce type de rénovation, dans 72 % des cas, la demande est simplement celle d'un changement de mode de chauffage au profit d'une pompe à chaleur. Si cela est positif en matière de décarbonation, cela ne contribue pas à faire disparaître les passoires ou à réduire la précarité énergétique, si rien n'est fait sur l'enveloppe. Cela peut également être dangereux au niveau de la stabilité du réseau électrique, la demande étant accrue les jours de pointe, ou en généralisant la climatisation.
Il faut ajouter qu'à ce stade, les mesures d'économie d'énergie et d'émission de gaz à effet de serre sont dites « conventionnelles », c'est-à-dire théoriques. Un rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de 2020 pointait que, dans le cadre des CEE, les gains réels ne représentaient vraisemblablement que 59 % des gains théoriques. Il nous faudra attendre les résultats de l'étude lancée en début d'année 2023 par l'ONRE, qui exploitera les données réelles des compteurs intelligents d'un million de ménages pour y voir plus clair sur cet aspect fondamental.
Le troisième grand constat est le manque de fiabilité des principaux outils en cours de déploiement de la rénovation énergétique.
La loi Climat et résilience votée à l'été 2021 constitue le cadre de la politique de rénovation. Elle a mis en place des outils et surtout un calendrier de déploiement et d'obligations qui s'étale jusqu'en 2034. Cela assure une certaine visibilité et prévisibilité, ce qui est une bonne chose. Pour porter un jugement équilibré, il faut aussi considérer que certains outils en sont à leurs prémices, ou que certaines obligations ne sont pas encore entrées en vigueur.
De nos investigations ressortent toutefois six difficultés principales, autour du diagnostic de performance énergétique (DPE), du RGE, de l'Accompagnateur Rénov', des copropriétés, du bâti ancien et enfin du pilotage global de la politique de rénovation.
Tout d'abord, il apparaît assez clairement que le diagnostic de performance énergétique, rendu opposable, est devenu l'instrument central de la politique de rénovation avant même d'être réellement fiabilisé. On se souvient du scandale du « nouveau » DPE à l'été 2021, qui aboutissait à un nombre bien trop important de passoires énergétiques. Cela a été pour partie corrigé, mais il est encore usuel qu'un même logement reçoive une note différente selon le diagnostiqueur. Le bâtiment est malade, mais le thermomètre qu'est le DPE donne une température différente selon le médecin, comme cela a été souligné lors des auditions.
Le label Reconnu garant de l'environnement doit désigner les entreprises compétentes pour procéder aux opérations de rénovation qui bénéficient d'une aide publique, mais il est au moins autant contesté par les artisans que par les clients. Les entreprises le trouvent trop complexe, les clients l'estiment insuffisamment protecteur. De fait, il impose les mêmes obligations à une entreprise artisanale et à une multinationale : un seul référent formé et cinq chantiers à contrôler, c'est peut-être trop pour la première et rien pour l'autre. Actuellement, seules 60 000 entreprises du bâtiment sont labellisées, soit 15 % du total des entreprises du secteur. Beaucoup d'entre elles l'ont abandonné, car leurs clients ne peuvent pas prétendre à une aide significative, par ailleurs trop complexe à obtenir.
L'Accompagnateur Rénov', quant à lui, devrait garantir la bonne orientation des ménages et permettre d'éviter les escrocs, mais il est toujours en cours de déploiement. Si la commission d'enquête ne peut donc pas en dresser un bilan, ses travaux ont démontré que sa création provoquait une réelle inquiétude de la part des collectivités comme des plateformes locales d'information déjà installées et efficaces, qui ne comprennent pas bien comment ce nouvel acteur prendra place dans l'existant ou comment il sera financé. Il suscite aussi la méfiance des meilleurs connaisseurs des pratiques frauduleuses, qui craignent qu'en l'absence de contrôles suffisants une véritable entente de malfaiteurs ne s'installe sous la forme de circuits en vase clos allant de l'accompagnateur à l'entreprise contrôlant les travaux, comme c'est déjà en partie le cas.
Quatrième écueil identifié : les copropriétés. La temporalité des prises de décision et la nécessité de rendre les copropriétaires solidaires n'ont pas été réellement prises en compte. Dans un même immeuble, chaque appartement peut avoir un DPE différent et si celui qui a une mauvaise étiquette souhaite faire des travaux avant 2025 ou 2028, ceux qui peuvent attendre bloqueront toute décision. Il est en outre quasiment impossible de préparer un dossier de copropriété sur plusieurs années quand les aides changent tous les ans, voire plus souvent.
Cinquièmement, le bâti ancien, c'est-à-dire datant d'avant 1948, n'a pas été pris en compte. Le cas des maisons alsaciennes à colombages isolées par l'extérieur avec du polystyrène est bien connu des membres de la commission. Mais beaucoup d'autres cas pourraient être cités. Le bâti ancien apparaît comme un véritable impensé de la politique de rénovation énergétique alors même qu'il représente un tiers des logements ! D'ailleurs, plus d'un tiers de ces logements sont classés F ou G alors qu'ils sont souvent les plus durables, faits en matériaux locaux et les plus agréables à habiter l'été. C'est incompréhensible.
Enfin, même si des progrès ont été accomplis ces dernières années avec la création d'un coordinateur entre les ministères du logement et de la transition écologique ou très récemment avec celle du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), qui n'a toutefois aucun poste consacré à la rénovation, le pilotage interministériel est encore clairement insuffisant. Beaucoup ont ainsi été surpris d'apprendre que le ministère de la culture, qui exerce la tutelle sur les écoles d'architecture ou qui est responsable de la conservation du patrimoine, n'avait, jusqu'à récemment, jamais été associé à la politique de rénovation !
Pour répondre à ces enjeux en tenant compte du constat que je viens de vous présenter, je vous propose d'adopter une vingtaine de propositions correspondant à quatre axes principaux : une stratégie stabilisée, ambitieuse et solidaire ; le retour de la confiance grâce à la fiabilisation des outils et l'ancrage dans les territoires ; le développement des moyens de financement ; et, enfin, la structuration d'une filière industrielle.
Le premier axe est celui d'une stratégie stabilisée, ambitieuse et solidaire. Les grands objectifs de la politique de rénovation ont déjà été fixés, à commencer par celui de la neutralité carbone en 2050. Il n'y a pas lieu de chercher à les modifier, voire à les accélérer, ce qui ne serait guère réaliste. Il faut plutôt chercher à savoir comment les atteindre. On a besoin d'une stratégie claire qui n'ait pas pour seul objectif de décarboner mais aussi de rénover réellement, de faire disparaître les passoires et la précarité énergétique. La sobriété et l'isolation sont au moins aussi importantes, car l'électrification totale du parc n'est sans doute pas supportable par le réseau et par les capacités actuelles ou futures de production. Il nous faut donc garder un mix énergétique équilibré et résilient, ouvert à plusieurs énergies et plusieurs technologies. La géothermie, les réseaux de chaleur et la biomasse doivent se développer. De même, alors que 40 % des Français et 60 % des logements sociaux sont chauffés au gaz, il est déraisonnable d'envisager une interdiction à court terme.
Le deuxième point important est de favoriser systématiquement les rénovations efficaces, dans un parcours accompagné et cohérent, pour conduire à une rénovation globale. Tout doit concourir à rendre ces démarches plus avantageuses que le geste isolé et sans lendemain.
Je crois également qu'il nous faut confirmer le caractère solidaire de la rénovation et l'objectif, par des aides appropriées, consistant à tendre vers un reste à charge minimal et cohérent avec le revenu des ménages.
Il nous faut également garantir la stabilité de cette stratégie et du volume financier des aides en l'insérant dans une programmation budgétaire jointe à la future loi de programmation sur l'énergie et le climat qui sera examinée à l'automne.
Enfin, il faut assurer le pilotage interministériel de cette politique au niveau du Premier ministre grâce à un SGPE renforcé et en associant le ministère de la culture.
Le deuxième axe doit viser à redonner confiance dans les outils de la politique de rénovation. Là aussi, nous avons cinq propositions principales.
Il faut faire du DPE un outil incontestable. Cela passe par la formation et la professionnalisation des diagnostiqueurs au travers, notamment, de la délivrance, accompagnée de contrôles, d'une carte professionnelle. Cela passe par une nouvelle réforme du calcul du DPE pour prendre en compte le bâti ancien, corriger les biais en défaveur des petites surfaces et intégrer le confort d'été à la note. Pour le bâti ancien, en attendant ces évolutions et pour une période maximale de deux ans, c'est-à-dire d'ici à 2025, nous proposons de revenir à l'ancien DPE sur factures. L'intégration du confort d'été paraît également incontournable, les études faisant ressortir la surmortalité à l'occasion des vagues de chaleur. Dans ces conditions, il sera logique que le DPE devienne obligatoire pour toute demande d'aide à la rénovation et pour enclencher un parcours. Le DPE doit entraîner la création du carnet d'information du logement, qui est obligatoire depuis cette année.
Nous avons aussi la conviction qu'il faut replacer les collectivités locales au coeur du dispositif, notamment pour réussir l'accompagnement des ménages. Il est vraiment important de s'appuyer sur les dynamiques et expérimentations locales et sur tous les dispositifs déjà en place qui fonctionnent. Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' ne doit pas renouveler l'erreur des dispositifs CEE ou de MaPrimeRénov', entièrement dématérialisés et gérés depuis Paris. Les collectivités locales doivent être le point d'entrée de l'information et de l'accompagnement, et il doit être le lieu où pourra se formaliser un parcours et où s'agrégeront les demandes d'aides. Il convient également que ce service soit financé sans grever le budget de fonctionnement des collectivités, grâce à un programme de CEE adapté ou à une dotation de l'État. Ce sont des réseaux locaux d'information et d'accompagnement qui apporteront aux ménages confiance et garantie d'efficacité.
Dans mon esprit, ils s'articuleront avec les entreprises du territoire, qui doivent retrouver toute leur place dans la rénovation. Aujourd'hui, la rénovation se fait largement sans les entreprises artisanales. Il faut y remédier. Non seulement le label RGE doit pouvoir être attribué sur chantier, mais comme cela se fait déjà pour le gaz ou l'électricité, elles doivent tout simplement pouvoir faire valider leur chantier sur la base d'un contrôle a posteriori et les rendre éligibles aux aides.
Il faut enfin beaucoup mieux lutter contre la fraude. Il y a des contrôles, mais ils ne sont pas coordonnés et leurs résultats ne sont pas partagés entre l'Anah, les CEE, le RGE ou la DGCCRF. Il faut lever ces obstacles. Il faut alourdir les sanctions pénales contre les escrocs qui, par exemple, usurpent la qualité de conseiller France Rénov' ou le label RGE et portent préjudice aux fonds publics. Il faut généraliser la possibilité de prononcer une amende en pourcentage du chiffre d'affaires pour frapper au portefeuille. Il faut accroître les moyens de la DGCCRF qui a perdu 1 000 postes en quinze ans. Enfin, il faut que les consommateurs soient mieux informés de leur droit et que toute publicité ou tout site internet faisant la promotion de la rénovation renvoie obligatoirement vers France Rénov'.
Le troisième axe consiste à assurer le financement de la rénovation énergétique et le déploiement des différents outils existants.
Tout d'abord, en cohérence avec la volonté de favoriser les rénovations les plus efficaces, il est proposé de porter les crédits de MaPrimeRénov' à 4,5 milliards d'euros dès 2024, ce qui représente une augmentation de 1,6 milliard d'euros ; de tripler les aides à la rénovation globale pour les ménages les plus modestes en portant le plafond d'aide de 30 000 euros à 45 000 euros. Pour ces ménages, l'audit énergétique et l'accompagnement doivent pouvoir être gratuits. Les travaux pour améliorer le confort d'été et d'autorénovation doivent également pouvoir être pris en charge.
Il est ensuite proposé de déployer beaucoup plus largement l'éco-prêt à taux zéro et le prêt avance rénovation en levant les blocages. Avec la hausse des taux, l'éco-PTZ a retrouvé tout son intérêt. Il reste néanmoins trop complexe et ses plafonds méritent d'être significativement rehaussés pour accompagner les rénovations les plus efficaces. Un plafond de 70 000 euros serait adapté. Quant au prêt avance rénovation, il est pour le moment un échec : seulement une centaine de ces prêts ont été attribués. Cela s'explique par des conditions trop restrictives qui ne sont pas justifiées, notamment de rang d'hypothèque, et le fait qu'il ne soit pas à taux zéro pour les plus modestes.
Enfin, en matière d'aides, il faut assurer le couplage des différentes aides entre elles et entre aides et prêts. Les conditions d'obtention de MaPrimeRénov' et des CEE doivent être harmonisées et surtout rendues transparentes pour les demandeurs. De même, le couplage de l'éco-PTZ avec MaPrimeRénov' doit être conforté avec des montants améliorés.
Concernant les copropriétés, il convient tout d'abord de rendre les copropriétaires solidaires face à la rénovation énergétique en s'appuyant sur le DPE collectif qui doit devenir opposable dans les copropriétés pour l'application des interdictions de louer prévues par la loi Climat et résilience. Une fois cette convergence acquise, il sera d'autant plus facile d'abaisser les majorités nécessaires pour prendre les décisions de contracter des emprunts, notamment en passant aussi souvent que possible à la majorité simple. Il convient également d'expérimenter le tiers financement et les contrats de performance énergétique.
S'il y a surtout, dans le logement individuel, un enjeu d'accompagnement et d'accès aux aides pour réduire le reste à charge et, dans les copropriétés, des problèmes de solidarité et de prise de décision, dans le logement social, c'est avant tout une question de financement qui se pose. Le logement social est prêt techniquement et le secteur a la volonté de faire rapidement, mais la rénovation du parc implique un investissement de l'ordre de 9 milliards d'euros par an, que les bailleurs ne peuvent porter sans l'aide de l'État, dans un contexte marqué par la réduction de loyer de solidarité décidée en 2017 et par la hausse des taux du livret A. Il est possible d'agir sur l'endettement, mais, fondamentalement, les bailleurs ont besoin de fonds propres. C'est pourquoi il est proposé que l'État débloque, dès 2024, un soutien de 1,5 milliard d'euros puis inscrive un engagement cohérent avec les objectifs de rénovation dans la programmation budgétaire demandée et dans le pacte de confiance qui doit être signé avec le mouvement HLM.
J'en viens au dernier axe de nos propositions, qui porte sur la structuration de la filière française de la rénovation.
Il y a tout d'abord un énorme enjeu de formation, puisqu'on estime à 200 000 le nombre de professionnels qui doivent être formés, de l'ouvrier à l'architecte. Ce sont de nouvelles technologies, de nouveaux équipements mais aussi de nouveaux matériaux, y compris biosourcés, qu'il faut apprendre à poser et à utiliser ou des techniques propres aux bâtiments anciens et patrimoniaux.
Il convient ensuite de soutenir les filières industrielles et les filières de matériaux françaises. C'est vrai des équipements et matériaux traditionnels, dont il faut favoriser la relocalisation ou le développement en France contre des importations, notamment en s'appuyant sur un « CarbonScore », mais aussi des obligations de déclaration environnementale. À titre d'exemple, il faut soutenir l'objectif du SGPE de porter de 350 000 à 1,3 million la production nationale de pompes à chaleur d'ici à 2030, avec une valeur ajoutée à 90 % française, et la création ou la consolidation de 60 000 emplois dans le secteur.
L'effort doit aussi porter sur la filière des matériaux biosourcés, qui présentent de très nombreuses qualités, du stockage du carbone au confort d'été. Il convient pour l'essentiel de bonifier les aides, de les insérer aux commandes publiques et de les accompagner pour faciliter leur certification.
Il est ensuite proposé de développer la filière de la géothermie et les réseaux de chaleur. Des obstacles réglementaires doivent être levés et les crédits du Fonds chaleur de l'Ademe doivent être doublés et portés à 1 milliard d'euros dès 2024.
Enfin, il y a aussi toute une filière de la rénovation du bâti ancien à créer pour le protéger de la banalisation et de la destruction. Outre la réforme du DPE, que j'ai déjà évoquée, il faut encourager la prise de conscience, le recensement de ce petit patrimoine et adapter les gestes de rénovation pour préserver son esthétique et ses qualités. Cela passera aussi par un développement de la formation, des outils de financement spécifiques élargis à travers notamment la Fondation du patrimoine et un cadre réglementaire enfin clarifié, car le décret de la loi Climat et résilience en la matière est toujours attendu.
Ainsi, après cette présentation forcément trop rapide des résultats de six mois de travail, j'ai la conviction que, à ce stade, la politique de rénovation énergétique ne doit plus en être à définir ses grands objectifs ou à chercher à convaincre, mais à se mettre pragmatiquement à l'ouvrage, afin de relever le défi et de donner à chacun les moyens de s'engager. L'envie d'agir et d'accélérer est là et on retrouve dans ce sujet tout le sens étymologique du mot écologie, dont la racine grecque désigne la science de la maison, de l'habitat et, par extension, de l'environnement.
La rénovation énergétique des logements est clairement l'occasion, en agissant à son échelle pour de meilleures conditions d'habitation, d'agir, de manière globale, contre le gaspillage des ressources de la planète et la dégradation de l'environnement.
C'est l'objectif que nous avons, je crois, tous poursuivi en nous investissant dans cette commission d'enquête.
Mme Sabine Drexler. - Ce rapport est très attendu. Effectivement, il ne se passe pas une semaine sans que nous soyons interpellés sur les questions qu'il soulève. Les auditions que vous avez menées étaient passionnantes. Je me suis intéressée, particulièrement, à celles qui évoquaient le patrimoine bâti non protégé et à la manière dont il est traité par les politiques de rénovation énergétique. Sur ce sujet, avec Laurent Lafon, président de la commission de la culture, nous avons alerté il y a plusieurs semaines les ministères de la culture et de la transition écologique. En effet, j'ai constaté qu'il y avait, en Alsace, toujours plus de gestes de rénovation énergétique mettant en péril l'existence même du patrimoine ancien non protégé. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, a alors demandé à la commission de la culture du Sénat de lui fournir un rapport sur ces problématiques. Les préconisations qui y figurent convergent avec les propositions que vous venez de nous présenter.
Le bâti d'avant 1948 représente un tiers du parc immobilier français. Sa rénovation présente donc un enjeu important, mais cela ne doit pas se faire à n'importe quel prix. Il faut se rappeler qu'il est moins énergivore qu'il n'y paraît et que l'empreinte environnementale de sa construction est, depuis longtemps, amortie. Sa réhabilitation, si elle est réalisée de manière vertueuse, ne nécessite qu'une quantité de matériaux faible et au bilan carbone réduit, puisqu'il s'agit de matériaux naturels, durables, pouvant être extraits localement ou récupérés. Ces arguments nourrissent l'idée qu'il faut rechercher des solutions pour adapter le bâti ancien, plutôt que de le détruire, au profit de constructions neuves. Malheureusement, la législation n'est pas adaptée ; elle risque donc de porter une atteinte irréversible au patrimoine de notre pays. En effet, comme le souligne votre rapport, pour répondre de manière rapide et massive aux enjeux climatiques, nous avons mis en place des dispositifs uniformes qui ne correspondent ni aux besoins ni au comportement du bâti ancien. Au bout du compte, les modalités de calcul du DPE ne traduisent pas les performances réelles de ce bâti. Ainsi, 60 % du bâti datant d'avant 1948 a été classé comme passoire thermique dans le cadre des diagnostics réalisés au premier trimestre 2023. Les prescriptions de travaux ne sont pas adaptées à ce type de bâti ; elles vont affecter sa valeur patrimoniale et engendrer des pathologies qui rendront sa dégradation irréversible et son occupation impossible.
Ces solutions standardisées correspondent à celles qui sont le plus proposées ; elles sont aussi les moins coûteuses, en plus d'être les seules à faire l'objet de subventions. Les propriétaires sont donc triplement encouragés à y recourir.
Puisque l'interdiction progressive des locations de passoires thermiques va donner lieu à la multiplication de vacances dans le bâti ancien, celles-ci vont augmenter la crise du logement et la désertification des centres anciens. Les immeubles non entretenus seront voués à la démolition.
Beaucoup redoutent la banalisation des caractéristiques architecturales de nos régions en raison de travaux non adaptés et de la disparition des savoir-faire traditionnels. Elle pose une question écologique en raison de la consommation inutile et coûteuse de matériaux importés, des désordres sur le bâti ancien qu'elle va provoquer, de la multiplicité des déchets qu'elle implique.
Ces arguments doivent être pris en compte pour permettre une transition énergétique plus respectueuse du bâti ancien. Nos attentes sont d'autant plus légitimes que les directives européennes sur la performance énergétique des bâtiments rendront possibles les exceptions aux règles de rénovation et de performance pour les bâtiments ayant un intérêt architectural ou historique.
J'espère que le ministère se saisira de vos propositions.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, Mme Drexler, de vous être montrée aussi volontariste sur ce sujet. Grâce à vous, nous avons compris qu'il y avait des manques. Il est positif que vous ayez mené de front ces sujets, à la fois à la commission de la culture et au sein de notre commission d'enquête.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce rapport contient des éléments déterminants pour l'action publique.
Premièrement, comme notre collègue, je voudrais pointer cette pulsion « uniformisatrice » qui saisit notre pays : quand il y a un problème, on ne trouve qu'une solution. Ne faudrait-il pas suggérer la constitution de commissions régionales chargées d'évaluer le patrimoine d'intérêt historique ? Elles pourraient mettre en valeur une culture populaire diffuse, qui irait au-delà des éléments patrimoniaux les plus saillants. Elles pourraient, en outre, proposer des solutions technologiques pour aller plus loin que le DPE. À défaut, le rouleau compresseur financier et la standardisation technique auront raison des maisons à colombages en Alsace, en Normandie ou ailleurs.
Deuxièmement, les copropriétés restent un enjeu très important. Dans la proposition n° 16, il est écrit : « développer des solutions de tiers financement pour les travaux de rénovation énergétique des copropriétés ». Cela renvoie-t-il à une proposition que j'ai portée et qui permettrait aux copropriétés de contracter des prêts longue durée et de les rembourser via une cotisation annuelle ? Je connais des copropriétés en attente d'une réponse claire sur ce point précis.
Enfin, un habitat me semble oublié, c'est celui d'insertion ou d'urgence, c'est-à-dire celui qui est géré par les associations. Le statut de leur habitat est varié : ils en sont parfois propriétaires ; dans d'autres cas, ce sont des HLM. Les associations ne sont certes pas touchées par l'interdiction locative, mais elles ne bénéficient d'aucune aide à la rénovation. Je pense qu'un travail spécifique est nécessaire, d'autant plus que ces logements - des passoires thermiques, le plus souvent - appartiennent dans de nombreux cas à des propriétaires privés qui, au bout du compte, récupéreront des logements interdits à la location. Dans ce contexte, il me semble pertinent de mettre en avant le bail à réhabilitation. La Fédération des associations et des acteurs pour la promotion et l'insertion par le logement (Fapil) me disait récemment avoir remis au goût du jour une pratique des années 1990 : le propriétaire d'une passoire thermique, de bonne volonté, autorise des travaux de rénovation dans le cadre d'un bail de réhabilitation, perçoit ou non un loyer pendant cette phase de transition et récupère son bien quelques années plus tard. C'est une autre forme de tiers financement. C'est certainement un outil à promouvoir dans le rapport, à l'attention des associations.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Effectivement, ce qui a été dit sur l'hébergement d'urgence est important. Nous sommes démunis face à cette question.
M. Franck Montaugé. - Je veux souligner la dimension pédagogique de ce travail, un travail remarquable qui, je l'espère, sera remarqué et fera l'objet d'une large diffusion dans nos territoires. En tout cas, je m'y emploierai de mon côté, auprès des parties prenantes, professionnels, bailleurs, etc.
Je me réjouis, tout d'abord, des propositions qui sont faites du point de vue de l'organisation territoriale. Elles sont essentielles à la réussite des politiques qui pourraient émaner de ces propositions.
Ensuite, il me semble que la question de la fiscalité est peu abordée : or elle est centrale dans la mesure où la rénovation énergétique s'inscrit dans les grands chantiers de la transition écologique. La question d'une fiscalité écologique non punitive se pose à nous à l'échelon national.
Par ailleurs, je pense qu'il serait intéressant de se poser la question des indicateurs de performance à retenir pour le pilotage de la politique de rénovation énergétique que nous voulons : des indicateurs simples, compris de tous, capables de donner du sens à cette action publique. Nous devons fournir à nos concitoyens les outils pour l'apprécier.
Y aura-t-il, au-delà de la communication qui sera faite autour de ce rapport, une éventuelle proposition législative, soit dans le cadre du prochain projet de loi de finances, soit, comme je le souhaiterais, au travers d'un texte spécifique ?
Mme Amel Gacquerre. - Merci et bravo pour ce rapport qui reflète le travail à 360 degrés que vous avez réalisé. Tout y est, en particulier les constats partagés, notamment sur les outils comme le DPE ou le label RGE ; c'est satisfaisant de voir dans ces pages ce qui nous préoccupe depuis longtemps. Merci d'avoir rappelé la nécessité d'une volonté politique forte dans ce domaine, mais aussi d'une gouvernance et de financements.
Il y a un véritable enjeu de pédagogie à renforcer auprès de nos concitoyens pour rappeler l'importance d'une approche qualitative, plus que quantitative, dans le domaine de la rénovation énergétique.
En matière d'innovation, il faut souligner l'approche locale, vous l'avez d'ailleurs évoquée. Nous découvrons dans nos territoires, en effet, une richesse sur laquelle nous ne capitalisons pas assez, qui est même limitée en raison d'un manque à la fois de financements et de volonté.
Je termine avec un élément qui n'est pas dans votre rapport mais qui mériterait d'être mentionné, par exemple dans sa conclusion : il concerne la rénovation des bâtiments publics. Il est impossible de ne pas l'évoquer parce que c'est bel et bien le chantier du siècle, un enjeu à 500 milliards d'euros. Il y a là la matière pour une future commission d'enquête...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Il est vrai que nous nous sommes concentrés sur le logement, d'autant plus qu'une mission d'information portait sur le bâti scolaire.
Mme Christine Lavarde. - Merci pour ce travail et ce rapport ; j'y ai même découvert des dispositifs financiers dont j'ignorais l'existence, probablement parce qu'ils sont peu efficaces, d'après ce que j'en ai lu.
Il faut que nous nous intéressions aux propriétaires-bailleurs, pour lesquels les incitations à la rénovation ne sont pas assez fortes. Dans la mesure où ils ne bénéficieront pas des économies de chauffage, louer une passoire thermique n'est pas un problème à leurs yeux. Il est donc nécessaire de renforcer les aides dont ils pourraient bénéficier.
Il sera intéressant de voir la manière dont ce rapport sera utilisé ou non pour le nouveau « jaune » budgétaire du projet de loi de finances pour 2024, jaune qui ne correspond pas à ce que nous avions demandé puisque nous souhaitions quelque chose de plus simple et de plus précis, qui compte les rénovations globales, de façon à cerner les progrès réalisés en matière d'amélioration du logement.
Dans tous les cas, votre rapport est une excellente photographie de ce qui existe à ce jour et du chemin à parcourir pour décarboner le monde du logement.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Madame Drexler, il y a bien un enjeu très fort avec le bâti ancien. Cette question permet d'ailleurs d'aborder celle des matériaux biosourcés et des techniques de rénovation. Nous nous en sommes aperçus, par exemple, à l'occasion de la visite des Grands Ateliers de L'Isle-d'Abeau, où il était question de techniques comme le pisé ou le torchis de terre, qui ne sont pas faciles à appréhender, que l'on soit artisan ou architecte. Formation et information sont donc, à cet égard, importantes, notamment pour permettre aux gens de prendre connaissance du bâti dans lequel ils vivent et de son intérêt, ou encore de contrer des solutions de rénovation inadaptées que l'on voudrait leur imposer.
Le DPE devient par ailleurs un outil central à l'échelon européen, qu'il convient de faire progresser. Il s'agit en effet d'un indicateur utile pour les citoyens, qui voient par ce biais qu'ils peuvent faire évoluer le bâtiment qu'ils occupent. Il faut également s'en servir encore davantage comme d'un vecteur d'informations, notamment sur les modes de rénovation à employer pour le bâti ancien.
J'en viens aux propos de Marie-Noëlle Lienemann. De grands dispositifs standards s'appliquent effectivement partout, alors que le rapport a montré qu'il existait une multitude de réalités - bâti traditionnel, copropriétés, logement social, etc. - auxquelles il faut s'adapter, en faisant presque du sur-mesure. Or ce ciblage manque à présent dans les politiques publiques. Le pilotage local me paraît à cet égard essentiel, car il permet de s'adapter aux spécificités des territoires.
Nous pourrions effectivement compléter le rapport par une alerte relative à l'hébergement d'urgence, pour une meilleure prise en compte de cette spécificité. Le bail à réhabilitation compte par ailleurs parmi les dispositifs qui permettent d'avancer.
Pour répondre à Franck Montaugé, la dimension pédagogique intervient à tous les stades de la rénovation énergétique. Bien qu'il fasse peur et agisse comme une contrainte, le DPE constitue un outil bien identifié, qui a le mérite d'exister. Il faudrait s'en servir davantage comme d'un outil de sensibilisation, en l'associant au carnet de santé du bâtiment. Comme dans le cadre du contrôle technique des véhicules, nous saurions alors quels travaux ont été réalisés ou non, quels sont les progrès attendus, etc.
Concernant l'organisation territoriale, l'un des risques de la politique actuelle est qu'elle se déconnecte de ce qui a été fait sur les territoires. De nombreux territoires ont en effet mis en oeuvre des dispositifs - agence locale de l'énergie et du climat (Alec), plateforme de rénovation, etc. - qui ont produit des résultats importants, notamment sur la rénovation globale. Ne pas en tenir compte risquerait de décourager les élus locaux. Si un accompagnement est bien nécessaire sur ce point, il ne faut donc pas s'affranchir de ce qui existe déjà ni des expérimentations qui peuvent être menées dans les territoires.
En matière de fiscalité, nous avons quelques propositions. Les indicateurs de performance apportent en la matière une certaine visibilité.
Il faudra certainement une démarche législative. Le rapport présente un état des lieux complet, mais les propositions qu'il comporte devront aussi déboucher sur un travail législatif.
Il faudra peut-être aussi réfléchir à la rénovation des bâtiments publics. Plusieurs amendements au projet de loi de programmation militaire (LPM) ont trait à l'évolution du bâti de l'armée. La mission d'information intitulée « Le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique » vient également de rendre son rapport. Nous avons donc toute la matière nécessaire pour avancer et présenter des propositions précises.
Pour répondre à Amel Gacquerre, un travail pédagogique est effectivement à mener auprès des citoyens. Concernant les matériaux biosourcés, il faut s'appuyer sur les innovations locales et les filières qui peuvent se construire dans les territoires. Cela renvoie à la question dont nous avons débattu sur l'interdiction des chaudières au gaz. À force de se focaliser sur les pompes à chaleur et l'électricité, on oublie tout ce qui peut se faire par ailleurs dans les territoires. Or il est important de s'appuyer sur les actions et les filières locales, d'autant qu'il s'agit de véritables opportunités économiques qui se construisent souvent en lien avec l'agriculture.
Il me paraît intéressant aussi d'intégrer au rapport la spécificité des propriétaires bailleurs évoquée par Christine Lavarde, et la nécessité de mieux les accompagner.
Le développement des financements des pompes à chaleur - lesquelles représentent 70 %, voire 80 %, du financement MaPrimeRénov' - soulève en revanche une question. On se focalise en effet sur la décarbonation, pour laquelle les pompes à chaleur peuvent effectivement s'avérer efficaces. Cependant, elles ne permettent pas d'agir sur tous les aspects de la rénovation énergétique : sobriété énergétique, confort, etc. Il faut se montrer vigilant par rapport à cette dérive vers une solution de facilité, souvent choisie pour des raisons d'affichage.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous ajouterons des éléments relatifs à l'hébergement d'urgence à la proposition n° 17. Nous sommes effectivement assez démunis quant à la meilleure façon d'accompagner les opérateurs de ce secteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Concernant la fiscalité, une partie du rapport a trait à la TVA à 5,5 %.
Nous verrons comment le rapport pourra être utilisé dans des véhicules législatifs. Cela pourra se faire par le biais du projet de loi de finances pour 2024. La programmation pluriannuelle de l'énergie, attendue à l'automne, devrait être aussi l'occasion de présenter des propositions. Une proposition de loi à part entière pourra également être rédigée par ailleurs.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La phrase « Le bail à réhabilitation devrait être davantage promu » pourrait-elle être ajoutée au contenu de la proposition n° 3 ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je n'y vois pas d'inconvénient.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je passe à présent la parole à Mme Christine Lavarde pour la présentation de sa proposition de rédaction.
Mme Christine Lavarde. - Cette proposition consiste à compléter ce qui est décrit à la page 94 du rapport afin d'inciter davantage les propriétaires-bailleurs, notamment tous ceux qui ont des loyers plafonnés, à effectuer des travaux de rénovation énergétique. Cela se ferait par le biais du dispositif Loc'Avantages, qui inclut une dimension sociale.
En l'état actuel des choses, l'horizon d'investissement de ces travaux est beaucoup trop long. Les propriétaires-bailleurs ne peuvent tirer aucun avantage des travaux entrepris, qui ne présentent donc aucun intérêt.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Le bail à réhabilitation, dispositif, très utilisé dans les années 1990 pour la modernisation du parc ancien, était tombé un peu en désuétude. Il présentera dans ce contexte un regain d'intérêt.
La proposition de modification de Mme Christine Lavarde complétée par Mme Marie-Noëlle Lienemann est adoptée.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Au-delà des matériaux biosourcés, le score carbone pourrait-il être étendu à d'autres éléments, comme la construction ou la rénovation ? Nous pourrions envisager de constituer de la sorte de véritables référentiels de décarbonation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Si je comprends votre volonté, cette demande me paraît néanmoins sortir du cadre du rapport. Il ne me semble donc pas opportun de l'y inclure.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
La commission d'enquête adopte, à l'unanimité, le rapport ainsi modifié et en autorise la publication.
Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci à tous. C'est un long travail qui a été réalisé. Lorsque nous avions décidé de traiter le sujet de la rénovation énergétique, nous voyions bien qu'il s'agissait d'un véritable problème. En effet, si la nécessité d'intervenir fortement sur la rénovation thermique des bâtiments fait l'unanimité, force est de constater que l'on n'atteint jamais les objectifs fixés en ce domaine. Il était important de comprendre les raisons de cette situation, d'autant que les financements n'ont pas manqué.
Le diagnostic présenté dans le rapport me semble donc aussi important que les propositions qu'il contient. Ces dernières ne sont pas des solutions simplistes. C'est au contraire un travail de dentelle. Des dispositifs adaptés aux différents types de logements et aux territoires sont en effet nécessaires, cela ressort particulièrement du rapport.
Parler de rénovation thermique et énergétique des bâtiments ouvre en outre sur d'autres réflexions, relatives à la seconde vie des bâtiments, ou aux travaux de surélévation. Ce sujet est également lié à l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols. La question qui se pose est la suivante : comment reconstruire, et comment mieux construire ? Cela ouvre d'autres perspectives intéressantes.
Je suis satisfait de ce travail, qui me semble riche de propositions précises. Il n'y a plus qu'à espérer qu'elles soient largement reprises. Nous allons nous y atteler, notamment par le biais du PLF à venir. Je réitère mes remerciements à l'ensemble des personnes qui ont contribué au rapport.
M. Franck Montaugé. - Serait-il possible de produire un document synthétique, de type PowerPoint, pour communiquer sur le rapport ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ce n'était pas prévu, mais cela peut se faire. Nous allons y réfléchir.
Je rappelle que le rapport doit rester confidentiel et secret dans le cadre des formalités propres à toute commission d'enquête. Il sera présenté à la presse mercredi 5 juillet prochain à 16 h 30. Tout le monde pourra s'en saisir ensuite. Il sera d'ailleurs intéressant de voir comment la presse s'appropriera le sujet, et parviendra à le vulgariser dans ses articles, sachant qu'il est rare que des articles vraiment complets paraissent sur cette question, hormis dans la presse spécialisée. Les papiers se focalisent en effet souvent sur un point particulier, comme les chaudières à gaz. Nous essaierons d'aiguiller les journalistes pour qu'il soit question plus du fond que de l'écume.
Mme Christine Lavarde. - Si la commission d'enquête a l'intention de traduire ses propositions en dispositions législatives dans le projet de loi de finances pour 2024, il faudrait que l'on y travaille ensemble.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Oui, cela peut se faire, mais à titre personnel, car la commission d'enquête sera dissoute lors de la remise de son rapport.
Mme Christine Lavarde. - En tant que rapporteur spécial de la commission des finances, je suis toute disposée à en discuter en septembre.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je suis tout à fait favorable à un travail en commun pour traduire nos propositions en dispositions concrètes dans le projet de loi de finances. Il existe par ailleurs une mission d'information sur la rénovation énergétique des bâtiments à l'Assemblée nationale, qui doit rendre ses conclusions prochainement et dont il sera intéressant de connaître les orientations, afin que nous trouvions le meilleur consensus possible entre les deux chambres sur le sujet.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous acceptons donc votre proposition, Mme Lavarde.
Mme Christine Lavarde. - Le projet de loi de finances ne sera connu que le 20 septembre prochain, il faudra agir en amont, sachant qu'il est peut-être question de moderniser le dispositif MaPrimeRénov'.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à tous.