C. PERMETTRE AUX PROFESSIONNELS DU CIRQUE DE POURSUIVRE LEUR ACTIVITÉ TANT QU'ELLE EST AUTORISÉE, ET PRÉVOIR UN ACCOMPAGNEMENT FINANCIER PROPORTIONNÉ À LEUR PRÉJUDICE AU-DELÀ
1. L'interdiction générale de la détention d'animaux sauvages par les cirques n'a jamais été l'option privilégiée par le Sénat
La rapporteure tient au préalable à témoigner de sa solidarité à l'égard d'une profession qui a été profondément heurtée d'être incluse par défaut, et d'un bloc, dans une loi sur la « maltraitance animale », alors qu'elle n'a, collectivement, contrevenu à aucune loi de la République, et qu'elle a au contraire enchanté les enfants sur plusieurs générations.
L'intitulé de la proposition de loi a été une première blessure pour les circassiens, tout un pan de notre patrimoine, hérité d'une tradition séculaire, ayant été réduit à ce seul aspect : si certaines dérives ont pu être observées chez certains professionnels, elles ne sont en aucun cas caractéristiques de toute une profession.
C'est la raison pour laquelle, à l'initiative du Sénat, le texte avait été renommé « proposition de loi visant à renforcer les liens entre humains et animaux », avant d'être adopté finalement sous le nom de « loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes ».
La seconde blessure est malheureusement moins symbolique et a des implications concrètes radicales. Nul ne conteste, en effet, que les circassiens sont profondément attachés à leurs animaux, et nul n'ignore que l'itinérance est dans la grande majorité des cas, pour ces circassiens, un mode de vie.
Aussi l'article 46 de la loi les conduit-il à opérer un choix déchirant entre leurs animaux ou l'itinérance, participant, nolens volens, de la stigmatisation des gens du voyage et de leur culture.
Si l'évolution des attentes sociétales justifiait un relèvement des normes en matière de bien-être animal, en particulier s'agissant du transport, la rapporteure déplore qu'une approche indiscriminée ait finalement été retenue, aboutissant à une interdiction identique quelle que soit l'espèce. Les professionnels du cirque sont détenteurs d'un certificat de capacité attestant de leurs qualifications, et venaient en outre de procéder à de coûteux réaménagements dans la suite de relèvements successifs des normes7(*).
En outre, cette interdiction générale traduit, aux yeux de la rapporteure, une insuffisante prise en compte des avis scientifiques, qui auraient dû conduire le législateur à privilégier l'approche retenue par le Sénat - une liste d'interdictions progressives, espèce par espèce, voire par individus, puisqu'il est difficile, par exemple, d'assimiler des félins nés en captivité à des animaux sauvages8(*).
2. À court terme, il faut appliquer « la loi, toute la loi, mais rien que la loi » et permettre aux cirques avec animaux sauvages de continuer leur activité jusqu'à l'interdiction fixée à 2028
Le délai de sept ans obtenu de haute lutte par le Sénat pour l'interdiction de détention, de transport et de spectacles, pour les animaux sauvages itinérants9(*), était la moindre des choses pour laisser aux professionnels le temps de se préparer. C'est, du reste, cette période de transition qui garantit que la responsabilité de l'État du fait des lois ne soit pas engagée en raison d'un préjudice anormal et spécial10(*) causé aux professionnels du cirque.
En dépit de ce délai de sept ans, la rapporteure entend alerter les pouvoirs publics sur le fait que les circassiens connaissent d'ores et déjà des difficultés chroniques pour exercer leur activité, de nombreuses mairies refusant leur installation sur un terrain de la commune sous la pression d'administrés eux-mêmes invités, par des associations de protection animale, à manifester leur désapprobation.
Il est essentiel pour la bonne acceptabilité des interdictions fixées à 2028 que les ministres chargés de l'application de ces interdictions accompagnent les professionnels du cirque et, d'ici à cette date, s'engagent à user de tous les moyens légaux pour faciliter leur activité.
La rapporteure constate que la responsabilité de cette impasse est collective et juge, par conséquent, que l'issue à cette impasse ne peut être également que collective :
- elle est d'abord celle de l'État, qui se montre incapable de faire respecter l'État de droit s'agissant pourtant d'une activité légale, contrôlée et encadrée, jusqu'en 2027 ;
- elle est également celle des associations de protection animale, dont la rapporteure regrette qu'elles aient communiqué avec trop d'entrain sur « l'interdiction des animaux dans les cirques » sans mentionner le délai de sept ans avant son entrée en vigueur, ni la possibilité, maintenue, de faire participer des animaux domestiques ou de rente à des spectacles itinérants - des spectacles de chiens savants, par exemple au Havre, ou de camélidés n'ont pu se tenir dans plusieurs communes ;
- cette responsabilité est ensuite celle de certains maires, qui ont pris pour certains des délibérations illégales par anticipation de l'entrée en vigueur de l'interdiction du 1er décembre 2028 ;
- enfin, certains circassiens eux-mêmes ont pu occasionner des dommages, en particulier sur les pelouses, ou en se raccordant illégalement au réseau d'eau ou d'électricité, suscitant la méfiance des maires.
C'est pourquoi l'obligation de médiation créée à l'article 157 de la loi 3DS11(*), dans le cadre des commissions départementales des professions foraines et circassiennes12(*) (CDPFC), en ce qu'elle « force » la concertation entre professionnels, État et collectivités territoriales, sous l'autorité du préfet, semble une voie plus prometteuse qu'une nouvelle circulaire aux préfets. Elles sont la bonne enceinte pour résoudre les différends au plus près des réalités locales, tout en respectant la libre administration des collectivités territoriales et sans aller jusqu'à des actions juridiques, telles que des déférés préfectoraux sur les délibérations jugées illégales.
Leur déploiement, qui n'était encore effectif que dans 30 % des départements au début de l'année 2023, doit se poursuivre, en lien avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Assemblée des maires de France (AMF).
Recommandation n° 4 : déployer sur l'ensemble du territoire les commissions départementales des professions foraines et circassiennes (CDPFC) prévues par la loi « 3DS », et prévoir une concertation systématique dans ce cadre entre collectivités territoriales et professionnels du cirque, en cas de litige sur le lieu d'installation.
Si cette solution reposant sur l'intelligence collective n'aboutissait pas, il conviendrait de remettre à l'ordre du jour des deux assemblées la proposition de loi sénatoriale sur le délit d'entrave13(*).
3. À moyen terme, le Gouvernement devra renforcer l'accompagnement des professionnels s'il veut assurer une transition apaisée
La rapporteure déplore en outre qu'il n'y ait toujours pas, à ce jour, de plan d'accompagnement sérieux des professionnels du cirque. Les changements politiques intervenus en 2022 ont pu expliquer une partie du retard pris, mais les auditions ont également permis de mettre au jour une priorisation délibérée d'autres dossiers, qui peut certes s'entendre, mais qui a des répercussions concrètes sur les cirques. Déboussolés, déjà contraints à cesser leur activité pour certains, ils sont en attente d'un véritable itinéraire d'accompagnement.
La loi ne prévoit pas explicitement d'indemnisation - mais ne l'exclut pas non plus - pour l'arrêt de l'activité de la majorité des cirques qui résultera nécessairement de l'interdiction de l'itinérance de la faune sauvage captive, l'itinérance et les animaux sauvages étant deux composantes indissolubles de leur modèle économique. Tenu au respect de l'article 40 de la Constitution, le Parlement n'avait pu prévoir une telle indemnisation, mais le Sénat avait appelé au déploiement d'un accompagnement à la hauteur.
Le Gouvernement mentionne régulièrement les 2,4 millions d'euros d'aide au nourrissage et au soin des animaux accordés pendant la pandémie de Covid-19, comme s'il s'était agi d'une première étape du plan d'accompagnement, une façon de raisonner qui n'est évidemment pas acceptable pour ces professionnels.
L'enveloppe prévue initialement, de l'ordre de 20 millions d'euros, a finalement été portée à 35 millions d'euros sur trois ans, soit une hausse significative, mais qui reste largement sous-dimensionnée. Deux difficultés techniques compliquent le calibrage de ces aides :
- premièrement, le Gouvernement semble vouloir appliquer le régime de minimis, alors ces plans ne correspondent pas à une aide sectorielle, mais à l'indemnisation d'un dommage ;
- deuxièmement, plusieurs cirques n'ont pas tenu de comptabilité.
À nouveau rencontrés par la rapporteure, les circassiens ont témoigné du caractère dérisoire des montants proposés des « primes à l'abandon », de l'ordre de 3 000 € pour un lion ou un tigre, à mettre en regard avec les années d'apprentissage perdues et avec la forte valeur sentimentale de ces animaux pour leurs propriétaires.
Pour autant, il faut souligner que cette enveloppe doit servir à indemniser à la fois le dommage économique pour tous les détenteurs d'un certificat de capacité faune sauvage captive pour une ou plusieurs espèces (les « capacitaires »), la reconversion éventuelle de ces mêmes personnes, et la perte de leurs animaux, qui seront confiés à des refuges, pour les professionnels qui ne souhaitent ou ne peuvent continuer leur activité sur un site fixe.
Il va de soi qu'en contrepartie, le délai fixé à deux ans après le vote de la loi (1er décembre 2023) pour l'interdiction d'acquisition, de commercialisation et de reproduction doit être pleinement respecté par les circassiens, la discussion avec les services de l'État les engageant à ne pas contourner la loi par des naissances ou des ventes non enregistrées dans le fichier i-Fap.
Recommandation n° 5 : augmenter l'enveloppe provisionnée pour l'accompagnement des professionnels du cirque, afin de garantir une transition la plus sereine possible en sortant les circassiens du désarroi, et exiger de ces derniers en contrepartie la transparence sur le nombre d'animaux sauvages captifs pour un meilleur suivi.
4. Des conditions d'accueil satisfaisantes pour l'ensemble des parties prenantes doivent être trouvées pour les animaux
Le décret en Conseil d'État devant préciser les conditions dans lesquelles le ministre chargé de la protection de la nature peut déroger aux interdictions i) d'acquisition, de commercialisation et de reproduction, ainsi que ii) de détention, de transport et de spectacles, pour les animaux sauvages itinérants des cirques, n'a pas encore été pris.
Si le Gouvernement indique dans son échéancier préparer ce texte pour novembre 2023, il serait préférable de le prendre rapidement, pour permettre, en bonne logique, de définir les contours concrets du principe « pas d'interdiction sans solution » fixé dans la loi, avant l'entrée en vigueur des premières interdictions.
Cette condition avait été introduite dans la loi à l'initiative du Sénat, pour que ne s'ajoute pas, pour les circassiens, à la perte de leurs animaux vécue par eux comme un « arrachement », la crainte que ces animaux soient accueillis dans des conditions non satisfaisantes du point de vue du bien-être animal, en particulier s'ils sont cédés à l'étranger voire s'ils sont menacés d'euthanasie.
Recommandation n° 6 : prendre de toute urgence le décret définissant les contours du « pas d'interdiction sans solution » satisfaisante pour le bien-être des animaux de cirque, établi dans la loi.
Il est également à déplorer que, dans l'appel à manifestation d'intérêt lancé par le Gouvernement pour trouver des solutions d'accueil aux animaux, aucun dossier présenté par des professionnels du cirque n'ait été retenu.
D'après les services du ministère de l'écologie, cet AMI « refuges » a été un succès, vingt-trois dossiers ayant été déposés, et neuf ayant été sélectionnés, pour un montant total de quatre millions d'euros. Il serait la preuve qu'il sera possible de trouver des places pour héberger ces animaux, soit dans des refuges tenus par des associations, soit dans des zoos - à supposer que ces derniers soient intéressés par des animaux de cirque au patrimoine génétique moins contrôlé.
Il est en outre dommage que la dizaine de cirques se disant prêts à se fixer n'aient pas eu cette possibilité ou ne soient pas davantage accompagnés pour des études de marché sur l'opportunité de s'établir dans tel ou tel bassin de population. De nombreux circassiens n'imaginent pas de confier leurs animaux à des associations « animalistes ».
Enfin, le Gouvernement a jugé que le cadre juridique applicable aux cirques fixes (art. L. 413-11 code de l'environnement) ne nécessitait pas l'arrêté d'application prévu à l'article 46, un tel cadre, qui s'étendrait désormais à ces cirques fixes, étant selon lui déjà établi dans le droit existant pour les zoos. Il est toutefois permis de douter de la pertinence de maintenir un cadre unique pour des activités aussi différentes, bien qu'il faille veiller également à ne pas bousculer l'équilibre économique des zoos en créant un statut « au rabais » avec des règles plus souples.
Recommandation n° 7 : accompagner davantage les cirques dans des projets d'établissements fixes et envisager la définition d'un statut spécifique pour les cirques fixes, distinct de celui des zoos.
* 7 Arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000 023 816 607/
* 8 C'est, du reste, la raison pour laquelle les animaux sauvages en captivité sont protégés par le même régime pénal que les animaux domestiques en matière de sévices graves ou d'actes de cruauté (article 521-1 du code pénal).
* 9 Art. L. 413-10 du code de l'environnement
* 10 Selon la jurisprudence CE, 14 janvier 1938 - Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette », complétée par la jurisprudence CE, 30 juillet 2003 - Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre.
* 11 Article 157 de la loi dite « 3DS » : « Lorsque l'exploitant d'un cirque itinérant rencontre des difficultés pour s'établir sur le domaine public d'une commune, le représentant de l'État dans le département, saisi d'une demande en ce sens, organise une médiation entre l'exploitant et la commune concernée. La médiation tend à rechercher un terrain d'établissement pour l'exploitant. »
* 12 Décret n° 2022-376 du 17 mars 2022 modifiant le décret n° 2017-1501 du 27 octobre 2017 relatif à la Commission nationale des professions foraines et circassiennes.
* 13 Proposition de loi n° 23 (2018-2019) de M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi. En ligne :