B. LA PÉNURIE SUR CES EMPLOIS : DES BESOINS FORTS, UNE ATTRACTIVITÉ FAIBLE
La profession de secrétaire de mairie se caractérise aujourd'hui notamment par une pyramide des âges très défavorable. En 2022, 25 % de ces agents avaient plus de 58 ans et 60 % plus de 50 ans5(*). Sur la décennie à venir, ce sont donc des départs massifs en retraite qui doivent être anticipés.
Or, en l'état, les perspectives de recrutement ne
sont pas bonnes. La plupart des communes de moins de
2 000 habitants rencontrent des difficultés pour attirer et
fidéliser dans l'emploi de secrétaire de mairie.
Au 10 mars 2023,
1 919 postes6(*) étaient à pourvoir et de nombreux postes
de secrétaires de mairie sont actuellement vacants, les communes les
plus touchées étant souvent les plus petites. L'ampleur des
difficultés de recrutement est telle qu'en septembre 2022 le
panorama de l'emploi territorial a rangé ce métier au premier
rang des professions les plus en tension au niveau de la fonction publique
territoriale (ce métier était en
2ème place en 2020 et
en quatrième en 2018).
À l'origine de ces problèmes d'attractivité, plusieurs facteurs viennent se cumuler pour décourager ou freiner les candidatures.
Parmi les revendications des secrétaires de mairie aujourd'hui, beaucoup s'attachent à l'absence de cadre d'emplois pour leur métier. Un tel dispositif lui accorderait, selon les secrétaires, une visibilité mieux assurée, une reconnaissance administrative plus nette et un déroulement de carrière plus précisément balisé.
Qu'est-ce qu'un cadre d'emploi ? Les cadres d'emplois regroupent les fonctionnaires territoriaux qui sont soumis au même statut particulier. Ils comprennent plusieurs grades et sont eux-mêmes regroupés en filière. La fonction publique territoriale compte ainsi 53 cadres d'emplois, répartis en 10 filières. À titre d'exemples de cadres d'emplois, on peut citer : les attachés territoriaux, les techniciens territoriaux, les infirmiers de sapeurs-pompiers professionnels, les gardes champêtres, les conservateurs territoriaux du patrimoine, les psychologues territoriaux, les agents sociaux territoriaux, les éducateurs territoriaux de jeunes enfants, les animateurs territoriaux... Par commodité, ces cadres d'emplois sont regroupés en filières, qui désignent le secteur d'activité commun à plusieurs d'entre eux : filières administrative, technique, culturelle, sportive... La notion de cadre d'emplois est en quelque sorte l'équivalent, pour la fonction publique territoriale, de la notion de corps en vigueur dans la fonction publique d'État et la fonction publique hospitalière. Cette notion n'a cependant pas de valeur juridique à proprement parler. Source : site www.vie-publique.fr |
La « charge mentale » revient régulièrement dans les témoignages recueillis auprès des secrétaires de mairie. Elle vient se cumuler à la charge de travail.
La fonction impose en effet de se frotter constamment aux lourdeurs et à la complexité administratives. L'inflation des normes, dont ont récemment rendu compte nos collègues Françoise GATEL, présidente, et Rémi POINTEREAU, premier vice-président, dans leur rapport « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! »7(*), joue ici un rôle incontestablement préjudiciable. Être secrétaire de mairie en milieu rural demande des connaissances à mettre à jour, eu égard aux évolutions sur le plan législatif et réglementaire, ou encore du fait de la dématérialisation des procédures comptables et budgétaires.
Des évolutions institutionnelles contribuant à l'accroissement de la charge de travail des secrétaires de mairie Nul ne peut contester l'alourdissement insidieux des missions des secrétaires de mairie du fait d'un certain nombre de tendances de fond ayant caractérisé nos territoires sur la période récente. Tout d'abord, le transfert de compétences de l'État en direction des collectivités territoriales a élargi le champ de responsabilité des communes et de leurs secrétaires de mairie. De même, le désengagement de l'État dans les territoires s'est traduit par une moindre expertise dans les services déconcentrés et un moindre accompagnement des communes, l'ingénierie territoriale étant abandonnée aux collectivités territoriales. Enfin, l'émergence du niveau intercommunal et la création d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) a pu engendrer : - un partage de responsabilité peu clair entre l'EPCI et la commune ; - une intégration se traduisant par une charge de travail supplémentaire au niveau de la commune ; - le développement d'un sentiment de déclassement ou de dépossession chez les secrétaires de mairie. En 2020, le centre de gestion (CDG) de la fonction publique territoriale de Lozère a conduit une enquête auprès des secrétaires de mairie du département. Il en est notamment ressorti parmi les verbatims que « les conditions de travail se dégradent au rythme des réformes qui me font perdre mes repères, changent constamment les méthodes de travail, et demandent une capacité d'adaptation permanente face aux diverses situations [...] ». |
Bien que majoritairement exercé par des agents relevant du statut de fonctionnaire et bénéficiant de ce fait d'une garantie d'emploi, le métier de secrétaire de mairie se caractérise cependant par une réelle forme de précarité dans la fonction. La proximité de cet agent avec le maire peut en effet avoir des conséquences en cas de changement de maire : à l'issue de nouvelles élections municipales, un renouvellement de majorité peut faire apparaître des différents à l'origine d'une remise en question du titulaire du poste de secrétaire de mairie.
L'une des spécificités de cette profession réside, en outre, dans le fait que très souvent l'emploi occupé est un emploi à temps non complet. La commune n'a ni les moyens budgétaires ni vraiment le besoin de pourvoir un poste à temps plein. Souvent, dans les communes rurales, les contrats ne donnent ainsi pas un volume suffisant d'heures travaillées et un traitement trop faible, ce qui conduit les secrétaires de mairie à exercer dans plusieurs communes. De fait, le temps de travail moyen d'un secrétaire de mairie est de 25 heures par semaine, 62 % des secrétaires de mairie étant à temps non complet et 38 % sur des postes à temps complet.
Le cumul des postes à temps non complet rime bien évidemment avec un cumul d'employeurs, donc de maires, dont il s'agit de conquérir puis de conserver la confiance, et de logiciels, dont l'usage est spécifique à chaque commune. Autant de facteurs qui viennent alourdir la charge de travail et la charge mentale pesant sur les secrétaires de mairie.
Ces conditions de travail comportent, en zone rurale, un handicap supplémentaire, puisqu'elles induisent des déplacements longs et fréquents. Il n'est pas rare que les secrétaires de mairie doivent, dans la même semaine et avec leur véhicule personnel, se déplacer d'une mairie à l'autre, parfois distantes de plusieurs dizaines de kilomètres. Le télétravail ne constitue pas une alternative à ces déplacements dans la mesure où les fonctions impliquent entre autres des permanences d'accueil du public en mairie.
À la contrainte de mobilité s'ajoutent donc les temps de trajet, les coûts de déplacement et la fatigue accumulée.
Enfin, le niveau de traitement ne constitue guère un encouragement à embrasser sans réserve cette fonction. Ainsi, par exemple, un adjoint administratif (donc un agent de catégorie C) principal de 1ère classe, avec 32 ans d'ancienneté, occupant un emploi de secrétaire de mairie, ne percevra qu'une rémunération de 13,75 euros de l'heure, soit à peine supérieure au SMIC horaire brut (11,52 euros). Ni le niveau de recrutement ni l'ancienneté ne permettent donc d'établir un écart suffisamment notable avec le salaire minimum pratiqué dans le privé, sans parler des rémunérations du privé à même niveau de qualification et d'ancienneté.
* 5 Source : Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et FNCDG.
* 6 Sénat, rapport pour avis n° 466 (2022-2023) sur la proposition de loi visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie.
* 7 Sénat, rapport d'information n° 289 (2022-2023).