A. DES EXPÉRIMENTATIONS À GÉOMÉTRIE VARIABLE ET AUX ENSEIGNEMENTS MODESTES

1. Une expérimentation de la réorganisation progressive et selon des modalités variables

La préparation du projet de réorganisation de la police nationale s'est constituée autour de quatre vagues successives d'expérimentation dans sept territoires d'outre-mer et huit départements hexagonaux . Les premières DTPN ont été créées il y a trois ans en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, tandis que les DDPN les plus récentes ont vu le jour il y a tout juste un an ( cf. carte ci-après ).

Si les principes directeurs guidant ces quinze expérimentations sont similaires, les réalités qu'elles recouvrent s'avèrent particulièrement diverses . Toute tentative de bilan de ces expérimentations suppose dès lors de s'astreindre à plusieurs précautions méthodologiques.

Il existe premièrement une différence majeure entre le projet tel qu'il est conduit dans les outre-mer et dans l'Hexagone . Les DTPN ultramarines disposent d'un fondement juridique ad hoc 33 ( * ) , ce qui a concrètement permis de remodeler l'organigramme et d'opérer des réaffectations de personnels, tandis que les DDPN hexagonales ont été mises en place à droit constant. Les DDPN préfigurateurs ne s'appuyant que sur une lettre de mission, leurs marges de manoeuvre sont de facto minimes. Comme l'a reconnu le DGPN le 28 septembre 2022 lors de son audition par la commission des lois, « l'efficacité du dispositif repose principalement sur la bonne volonté des personnes concernées ».

Deuxièmement, les conséquences de l'expérimentation peuvent être significativement différentes selon les caractéristiques intrinsèques du territoire concerné . Les caractéristiques de la délinquance locale peuvent ainsi rendre plus ou moins pertinente la nouvelle organisation. Si l'on prend l'exemple des outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française se démarquent par une délinquance relativement contenue tandis que des départements tels que la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe ou encore Mayotte doivent composer avec des infractions beaucoup plus violentes ou des taux d'homicides très largement au-dessus de la moyenne. De même, l'impact de la réorganisation est plus ou moins marqué selon l'organisation locale des services de la police nationale et de l'autorité judiciaire . Il est logiquement plus ou moins perceptible selon le degré d'implantation de la DCPJ et de la DCPAF ou le nombre de juridictions judiciaires présentes sur le ressort du département 34 ( * ) .

Chronologie des expérimentations dans les départements
de l'Hexagone et des outre-mer

* L'expérimentation a également débuté à partir respectivement des 1 er janvier 2020 en Nouvelle-Calédonie et 2022 en Polynésie française ; le lancement des expérimentations a également été anticipé aux Antilles à la fin de l'année 2021 du fait du conflit social en cours.

Source : commission des lois du Sénat 35 ( * )

2. Un bilan relativement positif dans les outre-mer, mais des marges de progrès qui subsistent

Les DTPN mises en place dans les territoires d'outre-mer concernés par les expérimentations sont conformes en tout point à la logique de nouvelles « filières métier » au coeur du projet de réforme. S'agissant de la police judiciaire, les services territoriaux de la police judiciaire (STPJ) sont, sous réserve de quelques exceptions 36 ( * ) , le résultat de la fusion de l'ensemble des services de la DCSP, de la DCPJ et de la DCPAF exerçant des missions de police judiciaire . Hormis en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte ( cf. encadré infra ), le choix a été fait de structurer la filière en fonction des degrés de gravité des infractions . Ce faisant, le champ de compétence de l'ensemble des services d'enquête a été pour l'essentiel préservé et les personnels ont dans l'ensemble pu continuer à exercer leurs missions dans leur coeur de métier.

L'organisation du STPJ issue de la réforme repose schématiquement sur trois divisions distinctes dont la compétence correspond au « niveau » des infractions relevées : la division de l'appui judiciaire (DAJ) pour le niveau 1 ; la division de l'investigation de proximité (DIP) pour le niveau 2 ; la division de l'investigation spécialisée (DIS) pour le niveau 3.

L'organisation du STPJ à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie

Un choix différent a été fait à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, où les STPJ issus de la réforme ne sont pas calqués sur le niveau de gravité des infractions mais organisés autour d'unités thématiques :

- une organisation mahoraise autour de trois pôles : le premier traite les infractions liées à l'immigration et reprend les anciennes prérogatives propres de la PAF. Le deuxième opère le traitement judiciaire en temps réel des infractions de droit commun, tandis que le dernier est construit autour de « groupes d'enquêtes spécialisés » visant à traiter le haut du spectre de la délinquance. Alors que Mayotte ne comportait pas de service de police judiciaire avant la réforme, celle-ci a permis un indispensable rapprochement avec la « sphère PJ » ;

- la création de cinq unités en Nouvelle-Calédonie traitant de catégories d'infractions déterminées : il s'agit des unités de traitement judiciaire, d'atteintes aux personnes, d'atteintes aux biens, de lutte contre les stupéfiants et l'unité économique et financière. L'autre particularité de la Nouvelle-Calédonie réside dans le maintien d'une compétence judiciaire autonome pour les services de la PAF , exclusivement en matière de travail dissimulé et de fraude documentaire. Une réflexion est néanmoins en cours quant à l'adoption de l'organisation par niveaux d'investigation.

L'expérimentation du modèle STPJ dans les outre-mer s'est traduite par des effets positifs réels mais dont la portée reste limitée . Les DTPN entendus par les rapporteurs ont unanimement mis en avant les avantages retirés de la réforme, parmi lesquels l'unicité de commandement, la fluidité de la circulation de l'information entre les filières, la possibilité d'une allocation plus fine des moyens par un STPJ disposant d'une vision globale d'allocation des moyens ou encore la prise en charge des déferrements par les services de sécurité publique, délivrant ainsi les personnels de la police judiciaire de tâches chronophages et extérieures aux enquêtes. Concrètement, ces progrès peuvent par exemple se matérialiser par l'établissement d'un état-major unique rédigeant des notes de synthèse plus largement partagées ou par la mise à disposition d'une fréquence radio commune.

En pratique, certaines difficultés ont néanmoins été rencontrées dans la mise en oeuvre de la réorganisation . Comme le relève l'audit réalisé à la demande du ministère de l'intérieur sur la mise en place des DTPN 37 ( * ) , celle-ci a pu se traduire à ses débuts pas une diminution de la rémunération de certains agents en Guyane ou par des redéploiements de matériels entre les services particulièrement mal vécus par les personnels. Par ailleurs, le cloisonnement des systèmes informatiques entre les différents services est presque systématiquement présenté comme un facteur bloquant.

Les DTPN entendus par la mission d'information estiment néanmoins que la réforme a permis de surmonter les limites d'une coopération entre les différentes composantes de la police nationale principalement informelle et dépendante du volontarisme des acteurs . Certains dressent un bilan particulièrement élogieux de la nouvelle organisation, par exemple à Mayotte, où elle est décrite comme « mature depuis septembre 2022 », en Nouvelle-Calédonie, où « le sentiment d'appartenance à cette nouvelle entité est aujourd'hui ancré dans les esprits » ou encore en Guyane où elle est qualifiée de « réussite ».

Les magistrats sont en revanche plus partagés sur les conséquences de la réorganisation, avec des appréciations qui peuvent considérablement varier . La plupart des magistrats du parquet interrogés par les rapporteurs relèvent l'absence d'évolution significative dans le traitement des affaires judiciaires, avec quelques gains marginaux 38 ( * ) . Les modalités de mise en oeuvre de la réorganisation se sont en revanche avérées particulièrement dysfonctionnelles dans certains territoires . Le procureur de la République à Fort-de-France se montre ainsi particulièrement critique. En Martinique, il aurait été signifié au parquet en début d'expérimentation que seul le DTPN pouvait être saisi, tandis que le DTPN et le chef du STPJ imposeraient au quotidien d'être les seuls interlocuteurs du parquet, en particulier au cours des réunions bimensuelles de police judiciaire. A également été évoqué un cas où les premiers relevés d'une scène d'homicide auraient été effectués par un fonctionnaire de la PAF qui n'était par nature pas formé à la gestion de ces dossiers sensibles.

In fine , le bilan de l'expérimentation des DTPN en outre-mer peut être regardé comme plutôt positif . Les voix divergentes demeurent minoritaires et les rapporteurs considèrent, sans les sous-estimer, que les difficultés soulevées sont transitoires et ne remettent pas en cause la pertinence de la réforme dans ces territoires.

Ils estiment néanmoins que les résultats demeurent modestes et ne sauraient présager du bien-fondé de cette nouvelle organisation de la police nationale en métropole . De par leurs spécificités, les territoires d'outre-mer constituent en effet un terrain bien plus favorable à la réforme que l'Hexagone . Le bassin de délinquance y est par nature local, tandis que l'insularité dispense en général de toute réflexion sur l'échelon de rattachement pertinent des effectifs de police judiciaire. Par ailleurs, de nombreux territoires ne bénéficiaient pas d'une implantation de la DCPJ, limitant d'autant les conséquences concrètes de la réorganisation. Certains territoires, à l'instar de Mayotte, ont enfin bénéficié de renforts d'effectifs importants sur la période récente, si bien qu'il peut être délicat de distinguer ce qui relève de la réorganisation en elle-même ou de facteurs exogènes dans l'amélioration des chiffres de la délinquance 39 ( * ) .

3. Dans l'Hexagone, des expérimentations « au jour le jour » pour des résultats très inégaux
a) Une contrainte du droit constant qui laisse les expérimentations au milieu du gué

Il est bien plus délicat de faire le bilan de l'expérimentation du « format DDPN » dans l'Hexagone. Celle-ci ayant été menée à droit constant, toute modification de l'organisation des services, de la nomenclature budgétaire ou encore de l'affectation des personnels était exclue. Comme l'a notamment souligné la direction des affaires criminelles et des grâces, « les DDPN n'ont en l'état pas d'existence légale » et « cette spécificité ne permet que difficilement d'évaluer l'ensemble des implications de [leur] création ». Dans la pratique, les rapporteurs ont en effet pu constater que la démarche s'apparente plus à des « cartes blanches » accordées aux DDPN préfigurateurs pour favoriser de bonnes pratiques qu'à des expérimentations en bonne et due forme .

On ne peut du reste que s'interroger sur le choix d'une méthode ne permettant pas la mise en place pleine et entière de l'organisation dont l'expérimentation est souhaitée . Il en résulte un biais systématique dans les conclusions pouvant en être tirées sur l'opportunité de la réforme, dans la mesure où il sera toujours possible d'affirmer que les gains observés auraient pu être obtenus en dehors de toute réforme structurelle. In fine , le principal intérêt de ces expérimentations est donc plus modeste. Il réside moins dans les améliorations effectivement constatées que dans la mise en évidence de celles qui pourraient potentiellement être obtenues si le dispositif était complètement déployé .

b) Des expérimentations dont la portée concrète peut varier du tout au tout

Les auditions et déplacements réalisés par les rapporteurs ont révélé une importante diversité de situations dans les départements concernés par l'expérimentation . Si certains se sont engagés pleinement dans la démarche, en particulier la Savoie, avec quelques résultats tangibles à la clé, certaines expérimentations semblent n'avoir donné lieu à aucune modification des pratiques et organisations existantes. À cet égard, l'exemple le plus frappant est celui de membres de l'autorité judiciaire qui, n'ayant pas été informés préalablement de l'expérimentation, ont indiqué aux rapporteurs n'avoir pris conscience de son existence que plusieurs mois après son lancement. Outre la contrainte du droit constant précité, cette grande hétérogénéité s'explique par la conjugaison de trois principaux facteurs :

- un facteur temporel : moins d'une année s'étant écoulée depuis le lancement de la deuxième vague d'expérimentation, le recul est limité. Il l'est d'autant plus qu'un moratoire de fait s'est appliqué en réaction à la multiplication des oppositions à partir de l'été 2022. Dans cinq des huit départements, la DDPN n'a donc réellement été mise en oeuvre que quelques mois ;

- un facteur méthodologique : l'équipe projet nationale a, dans un premier temps, fait le choix d'accorder une grande marge de manoeuvre aux DDPN préfigurateurs pour adapter l'expérimentation aux spécificités de leurs territoires. Ce n'est qu'à partir de l'été que le cadrage national a été renforcé ;

- un facteur humain : dans ce contexte, l'effectivité de l'expérimentation dépend directement, d'une part, de la capacité et de la volonté du DDPN préfigurateur pour la porter et, d'autre part, de l'assentiment du responsable de la filière investigation.

Les rapporteurs partagent la conclusion des inspections générales lorsqu'elles estiment qu' il existe deux catégories de DDPN avec, d'un côté, des expérimentations « dont la mise en oeuvre est ambitieuse et conforme aux objectifs initiaux des acteurs locaux » 40 ( * ) et, de l'autre, des DDPN « dans lesquelles la dynamique n'a jamais atteint ce niveau et est plus ou moins retombée mi-2022 au profit d'une réflexion, demandée par l'échelon central, sur les organisations cibles ».

Au niveau organisationnel, la mise en place des DDPN s'est traduite, dans le meilleur des cas, par la mise en place d'un état-major commun - par exemple en Savoie ou dans les Pyrénées-Orientales. L'organisation de réunions plus ou moins régulières entre les différentes unités judiciaires facilitent la circulation de l'information et, lorsqu'elles se font à « dossiers ouverts », l'établissement de rapprochements . À titre d'exemple, des réunions de coordination se tiennent sur une base hebdomadaire dans le Pas-de-Calais et mensuelle dans le Calvados. De même, les notes du renseignement territorial ou les synthèses de la sécurité publique sont plus largement partagées. S'agissant des conflits de compétence, la répartition entre les différents services est plutôt clarifiée et le besoin de protocoles moins prégnant 41 ( * ) .

Des gains opérationnels marginaux peuvent ensuite être relevés , en particulier du fait d'une répartition plus adaptée des missions entre les différents services exerçant des missions de police judiciaire. Dans la plupart des départements, le traitement judiciaire des étrangers en situation irrégulière interpellés est systématiquement opéré par la PAF, tandis que la prise en charge des déferrements revient à la sécurité publique. Ces évolutions sont probablement les manifestations les plus visibles et les plus répandues des expérimentations. Elles peuvent, par exemple, être retrouvées dans le Pas-de-Calais, le Haut-Rhin, l'Oise, le Calvados 42 ( * ) ou encore le Puy-de-Dôme. Il est également possible de citer la création ponctuelle de structures d'enquêtes ad hoc réunissant des personnels de différents services exerçant des missions de police judiciaire - à l'instar de la « task force » consacrée aux violences intrafamiliales ou de la nouvelle cellule « fraudes - avoirs criminels » dans le Pas-de-Calais, ou l'établissement de canaux radios communs.

Une allocation optimisée des moyens matériels , principalement ceux de la police technique et scientifique, ou numériques peut également être relevée, de même que la mise en place de formations communes .

De manière générale, les services centraux de la police nationale dressent un bilan plutôt positif de la réforme . La DGPN valorise trois principaux aspects : le renforcement de la coordination et de l'échange ; l'optimisation de la présence des effectifs sur le terrain ; un gain immédiat en efficacité sur différentes missions 43 ( * ) .

Du côté du ministère de la justice, un premier bilan contrasté avait été communiqué au DGPN par le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG), dans un courrier en date du 12 octobre 2021. Celui-ci faisait état d'un accueil plutôt favorable des juridictions situées sur les territoires d'expérimentation, dès lors que le niveau 3 était détaché de l'échelon départemental, d'une meilleure collaboration entre les services et d'une fluidification des co-saisines. Néanmoins, il avait également émis plusieurs points d'alerte . Le courrier mentionne ainsi « une application disparate qui a pu nécessiter des ajustements sur le terrain » du principe du libre choix du service enquêteur et, dans certains départements, « un non-respect du rôle des procureurs dans l'élaboration et la priorisation de la politique pénale ». Si ces difficultés semblent s'être pour partie résorbées, les rapporteurs estiment toutefois que ce premier bilan aurait dû servir de signe annonciateur des difficultés à venir.

Au-delà de ces frictions initiales, les expérimentations semblent avoir eu relativement peu d'effets sur le terrain . La principale évolution réside dans l'augmentation du nombre de co-saisines, mais dans de faibles proportions . Si certains procureurs de la République ont certes indiqué apprécier le fait de disposer d'un interlocuteur unique et mieux à même de les orienter vers le service d'enquête le plus pertinent, d'autres n'ont pas souhaité modifier leurs pratiques. Les rapporteurs estiment que ces différences tiennent moins à l'état d'avancement des expérimentations conduites localement qu'à la qualité des relations interpersonnelles.

Si les bénéfices retirés des expérimentations doivent être appréciés à leur juste valeur, les rapporteurs invitent néanmoins à les relativiser. Une part non négligeable d'entre eux résulte d'évolutions de bon sens qui auraient probablement pu être conduites en-dehors des DDPN. Du reste, ils ne sauraient masquer les difficultés structurelles auxquelles ont pu se heurter les préfigurateurs dans la mise en oeuvre de l'expérimentation. Il en va ainsi de l'éclatement des implantations immobilières qui pénalise lourdement la circulation d'information ou du cloisonnement des systèmes informatiques qui oblige parfois à jongler entre les différents droits d'accès. La mutualisation des fonctions supports de directions au zonage différents représente par ailleurs un défi considérable. Si ces difficultés sont aujourd'hui identifiées par la DGPN, elles n'ont pas été traitées dans le cadre d'expérimentations dont le périmètre n'incluait pas la mutualisation des fonctions supports et, dans tous les cas, leur résorption nécessitera du temps et des investissements de long terme.

Au-delà de l'aspect matériel, la bonne mise en oeuvre du projet suppose au préalable de trancher des questions de fond encore en suspens . Il en va ainsi de la nature de l'autorité exercée par les directeurs zonaux sur les directeurs départementaux - hiérarchique ou fonctionnelle - ou de celle exercée sur les services interdépartementaux de police judiciaire lorsqu'ils interviendront en-dehors du département de rattachement.

Ces avancées ne sauraient non plus masquer le fait que certaines expérimentations n'ont débouché sur aucune transformation concrète . Dans l'Hérault ou le Puy-de-Dôme par exemple, les travaux demeurent essentiellement prospectifs et visent à identifier des pistes d'amélioration sans traduction opérationnelle immédiate. Certaines expérimentations ont ainsi pu être qualifiées de « coquille vide ». Du reste, les rapporteurs ont été frappés par la coexistence de discours parfois radicalement différents selon les personnes interrogées . Pour un même territoire, l'expérimentation a ainsi pu être présentée dans une même journée comme positive par un interlocuteur et comme inexistante par d'autres.

La Savoie et l'Hérault : deux expérimentations aux réalités opposées

La Savoie et l'Hérault sont deux départements emblématiques de la diversité des expérimentations . Comme cela est relevé dans le rapport des inspections générales, la Savoie est le département où le projet est le plus abouti, tandis que l'expérimentation n'a pas dépassé un stade embryonnaire dans l'Hérault .

Outre la création d'un état-major commun, l'expérimentation de la DDPN en Savoie a notamment permis, au niveau opérationnel, la mise en place d'une unité commune aux niveaux 2 et 3 de la lutte contre les stupéfiants et, au niveau organisationnel, de bureaux communs d'analyse et des statistiques ou de maîtrise des risques, associant des effectifs de l'ensemble des filières. Le volontarisme du préfigurateur, l'implication de la filière investigation et l'association des personnels ont progressivement permis de construire l'adhésion autour d'un modèle mis en place par paliers. Des résultats quantitatifs peuvent par ailleurs être relevés , en particulier une augmentation de 10  % du taux d'élucidation et 30  % des enquêtes d'initiative. De manière générale, la Savoie a su exploiter au maximum un terrain favorable à la DDPN , notamment en ce qu'un projet de restructuration immobilière était d'ores et déjà engagé.

Il faut néanmoins souligner que la réorganisation a initialement suscité quelques frictions avec l'autorité judiciaire . Celles-ci sont notamment relevées dans le courrier du DACG au DGPN du 12 octobre 2021 où il est fait état de « l'absence de prise en compte des orientations de politique pénale définies par le ministère public », en particulier dans le domaine de la lutte contre le blanchiment, et de « l'inadéquation des moyens humains à certaines priorités nationales telles que les violences intrafamiliales, mais également en matière économique et financière ».

La réalité est toute autre dans l'Hérault, où les évolutions sont restées relativement superficielles . Si des groupes de travail visant à identifier des pistes d'amélioration ont été mis en place en début d'expérimentation, la dynamique s'est interrompue à partir de l'été lorsque des demandes de remontées d'organigramme ont été effectuées par l'équipe projet nationale. Ce revirement de stratégie soudain a provoqué un sentiment de découragement chez les personnels. Le constat des députés Ugo Bernalicis et Marie Guévenoux dans leur rapport précité est à cet égard sans appel : « la réforme n'a en pratique pas été mise en oeuvre » 44 ( * ) .

Le meilleur résumé de ce paysage disparate provient finalement de la DCPJ, qui a indiqué aux rapporteurs qu'il existait « autant de modèles de DDPN que de sites expérimentateurs ».

Au vu des limites intrinsèques de ces expérimentations, les rapporteurs considèrent qu'il n'est pas possible d'en tirer des conclusions définitives sur l'opportunité d'une généralisation immédiate. Elles ont néanmoins le mérite de mettre en évidence les bénéfices qui peuvent être attendus de la réforme autant que l'ampleur des défis qui devront être surmontés pour la mener à bien.


* 33 Respectivement le décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale pour la première vague d'expérimentation ultra-marine et le décret n° 2021-1876 du 29 décembre 2021 porta nt création des directions territoriales de la police nationale de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion, et de la Polynésie française pour la seconde vague.

* 34 Une juridiction est implantée dans les Pyrénées-Orientales contre deux en Savoie et quatre dans le Pas-de-Calais. Des évolutions différentes en ont résulté, le parquet de Béthune ayant par exemple été désigné comme chef de file dans le Pas-de-Calais tandis que la Savoie a fait le choix d'une harmonisation de leur politique pénale ou de la rédaction d'instructions conjointes (Source : direction des affaires criminelles et des grâces).

* 35 Basemap from OpenStreetMap contributors (ODbl license) - Made from Khartis.

* 36 En Guyane, la PAF a par exemple conservé plusieurs unités judiciaires, dont un quart des personnels sont affectés à l'aéroport Félix Eboué.

* 37 Inspection générale de l'administration, inspection générale de la justice, inspection générale de la police nationale, Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale , janvier 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/rapport-igaigpnigj-reforme-de-police-nationale.

* 38 Le procureur de la République à Papeete note par exemple que la réorganisation a permis « un apport en ressources OPJ venant de la DPAF auparavant non utilisées pleinement », tandis que le procureur de la République à Basse-terre relève une plus grande disponibilité des services de la DCPJ dans son ressort.

* 39 Selon les données transmises par le procureur de la République à Mamoudzou, le stock de dossiers à Mayotte a été réduit par trois en deux ans pour s'établir à environ 2 000 aujourd'hui, tandis que le taux d'élucidation a augmenté de 40 points (85% aujourd'hui) et que le volume d'affaire élucidée a doublé sur la période (3 320 au 19 novembre 2022 contre 1 740 sur la totalité de l'exercice précédent.

* 40 En Savoie et, dans une moindre mesure dans le Haut-Rhin.

* 41 Certains sont néanmoins toujours appliqués, par exemple dans le Haut-Rhin.

* 42 Un exemple concret est celui des opérations de surveillance en gare de Caen. Alors que celles-ci étaient auparavant conduites aléatoirement par la PAF et par la sécurité publique sans coordination préalable, elles sont désormais menées conjointement.

* 43 Contribution écrite transmise aux rapporteurs.

* 44 Assemblée nationale, rapport d'information n° 821 (2022-2023) du 8 février 2023 M. Ugo Bernalicis et Mme Marie Guévenoux sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale . Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/reforme_police_judiciaire_creation_ddpn .

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