Rapport d'information n° 387 (2022-2023) de Mme Nadine BELLUROT et M. Jérôme DURAIN , fait au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023
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L'ESSENTIEL
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I. UNE FILIÈRE JUDICIAIRE EN CRISE DANS LA
POLICE NATIONALE, QUI NE PARVIENT PLUS À RÉPONDRE AUX ENJEUX DE
LA CRIMINALITÉ DU XXIE SIÈCLE
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II. LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE
NATIONALE : UNE RÉORGANISATION PROMETTEUSE MAIS DONT LE
DÉPLOIEMENT PRÉCIPITÉ A PROVOQUÉ DE NOMBREUSES
INQUIÉTUDES
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III. LA NÉCESSITÉ D'UN MORATOIRE POUR
PERMETTRE LA RÉUSSITE DE LA RÉORGANISATION DE LA POLICE NATIONALE
AU NIVEAU JUDICIAIRE
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IV. RÉÉQUILIBRER LES EFFECTIFS ENTRE
LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION AFIN DE FAIRE FACE AUX STOCKS
PRÉOCCUPANTS DE PROCÉDURES ET D'ASSURER LE BON FONCTIONNEMENT DE
LA FUTURE FILIÈRE JUDICIAIRE
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I. UNE FILIÈRE JUDICIAIRE EN CRISE DANS LA
POLICE NATIONALE, QUI NE PARVIENT PLUS À RÉPONDRE AUX ENJEUX DE
LA CRIMINALITÉ DU XXIE SIÈCLE
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LISTE DES PROPOSITIONS
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PREMIÈRE PARTIE
LES DIRECTIONS DÉPARTEMENTALES DE LA POLICE NATIONALE : DES EXPÉRIMENTATIONS INÉGALES ET UNE GÉNÉRALISATION CONTRARIÉE
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A. L'HISTORIQUE DE LA RÉFORME
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B. LES TENANTS ET ABOUTISSANTS DE LA RÉFORME
AUJOURD'HUI PROPOSÉE
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A. DES EXPÉRIMENTATIONS À
GÉOMÉTRIE VARIABLE ET AUX ENSEIGNEMENTS MODESTES
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B. LA GÉNÉRALISATION DES DDPN :
UNE PRÉPARATION DÉFAILLANTE ET UNE MISE EN oeUVRE
DÉSORDONNÉE
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C. UNE RÉFORME MAL NÉE ET PORTEUSE
DE NOMBREUSES INQUIÉTUDES
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A. L'HISTORIQUE DE LA RÉFORME
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DEUXIÈME PARTIE
REPENSER LA RÉFORME DE LA POLICE NATIONALE EN LUI DONNANT DU TEMPS ET EN LA COMPLÉTANT PAR UNE RÉFLEXION PLUS LARGE SUR L'EFFICACITÉ DE CE SERVICE PUBLIC
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A. DES GAINS POTENTIELS RÉELS MAIS
FORCÉMENT LIMITÉS : L'OBJECTIF DE CRÉER UNE
RÉFORME « GAGNANT - GAGNANT »
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B. L'UNICITÉ DE COMMANDEMENT AU NIVEAU
LOCAL
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C. UNE RATIONALISATION TERRITORIALE QUI DOIT
PERMETTRE DE CONTINUER À TRAITER L'ENSEMBLE DU SPECTRE DE LA
CRIMINALITÉ
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1. Un niveau national définissant la
doctrine d'emploi de l'ensemble des services de police judiciaire, assurant
la coordination et réalisant le traitement de la criminalité
la plus complexe
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2. Un niveau zonal de coordination et de
traitement des affaires les plus complexes, nécessitant les
interventions des offices nationaux ou une coordination des services de la
zone
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3. Au niveau départemental,
généraliser l'organisation en trois niveaux de la filière
investigation
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1. Un niveau national définissant la
doctrine d'emploi de l'ensemble des services de police judiciaire, assurant
la coordination et réalisant le traitement de la criminalité
la plus complexe
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A. DES CONDITIONS QUI NE SONT PAS AUJOURD'HUI
RÉUNIES POUR CONDUIRE LA RÉFORME DE MANIÈRE SEREINE
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B. AVANCER EN TEMPS MASQUÉ SUR LES
NÉCESSAIRES MODIFICATIONS RÈGLEMENTAIRES, L'ACCOMPAGNEMENT
NUMÉRIQUE ET LES REGROUPEMENTS IMMOBILIERS
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C. LA NÉCESSITÉ D'UNE CONCERTATION
CONTINUE ET SINCÈRE, TANT AU NIVEAU LOCAL QUE NATIONAL
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A. DES GAINS POTENTIELS RÉELS MAIS
FORCÉMENT LIMITÉS : L'OBJECTIF DE CRÉER UNE
RÉFORME « GAGNANT - GAGNANT »
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EXAMEN EN COMMISSION
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COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS EN COMMISSION
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Audition de M. Frédéric
Veaux,
directeur général de la police nationale
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Audition du Général de corps
d'armée Bruno Jockers,
major général de la gendarmerie nationale
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Audition de M. Éric
Dupond-Moretti,
garde des sceaux, ministre de la justice
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Audition de M. François
Molins,
procureur général près la Cour de cassation
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Audition de M. Gérald
Darmanin,
ministre de l'intérieur et des outre-mer
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Audition de M. Frédéric
Veaux,
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LISTES DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
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PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS
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TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
N° 387
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er mars 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l' organisation de la police judiciaire ,
Par Mme Nadine BELLUROT et M. Jérôme DURAIN,
Sénatrice et Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
L'ESSENTIEL
Le projet de réforme de l'organisation territoriale des services de la police nationale initié par le ministre de l'intérieur et porté par le directeur général de la police nationale (DGPN) a été à l'origine de vives contestations qui ont commencé à l'été 2022. Celles-ci tiennent notamment aux répercussions supposées de ce projet sur les services exerçant des missions de police judiciaire dans la police nationale.
La commission des lois du Sénat a en conséquence créé en son sein une mission d'information relative aux conséquences de cette réforme sur la police judiciaire dès le 14 septembre 2022. Quelques jours après était annoncée une mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale1 ( * ) puis, en octobre 2022, une mission confiée aux inspections générales de l'administration, de la justice et de la police nationale2 ( * ).
Les travaux de la commission des lois du Sénat visaient à évaluer la pertinence de l'organisation actuelle de la police judiciaire dans la police nationale, à se positionner sur le projet proposé par l'exécutif et, le cas échéant, à formuler des propositions permettant de préserver l'efficacité des services d'investigation.
Après deux déplacements, plus de 120 personnes entendues parmi lesquelles l'ensemble des représentants de la police et de l'autorité judiciaire des départements expérimentateurs, la commission des lois formule 22 recommandations qui s'ordonnent autour de deux axes :
- prévoir un moratoire de la réforme jusqu'aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 , afin de pouvoir préparer son entrée en vigueur dans de bonnes conditions sans mettre en difficulté la sécurité des grands évènements à venir ;
- rééquilibrer au plus vite les effectifs entre voie publique et investigation, afin de faire face aux stocks préoccupants de procédures judiciaires dans la police nationale et d'assurer le bon fonctionnement de la future filière investigation.
I. UNE FILIÈRE JUDICIAIRE EN CRISE DANS LA POLICE NATIONALE, QUI NE PARVIENT PLUS À RÉPONDRE AUX ENJEUX DE LA CRIMINALITÉ DU XXIE SIÈCLE
A. UN FONCTIONNEMENT EN SILO DES SERVICES EXERÇANT DES MISSIONS DE POLICE JUDICIAIRE AU SEIN DE LA POLICE NATIONALE, INADAPTÉ À LA CRIMINALITÉ DU XXIE SIÈCLE
La police judiciaire est chargée, comme en dispose l'article 14 du code de procédure pénale, « de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs ». Elle s'exerce sous le contrôle et la direction de l'autorité judiciaire.
Au niveau national, la police nationale traite environ 70 % de la délinquance générale et plus de 83 % de la grande criminalité. En dehors de la préfecture de police de Paris, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire dans la police nationale : la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).
La DCSP traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police, soit 98 % des faits constatés et 96 % des faits élucidés . Elle est en charge de la lutte contre la petite et moyenne délinquance , en particulier la délinquance de voie publique, les violences contre les personnes, les violences intrafamiliales, les violences urbaines ainsi que la lutte contre le trafic local de stupéfiants. Elle constitue une direction généraliste comptant 65 000 personnels dont 14 874 sont affectés à la filière judiciaire
La DCPJ , quant à elle, est une direction spécialisée en charge de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée . Elle emploie 5 640 personnels dont 3 800 enquêteurs répartis entre les services centraux et territoriaux.
Chacune de ces directions dispose d'une grande autonomie de fonctionnement , tant en termes opérationnel que de gestion des ressources humaines ou de gestion budgétaire. Cette organisation fragmentée apparaît toutefois peu lisible et inadaptée . Cela s'ajoute à un mode de fonctionnement fortement centralisé et vertical , chacun des services déconcentrés ne rendant en pratique compte qu'à sa direction centrale sans qu'il n'y ait suffisamment d'interactions entre services au niveau local, ce qui pèse sur l'efficience de l'action de la police nationale .
Nous assistons aujourd'hui à l'émergence de nouvelles formes de criminalité marquées par l'internationalisation des phénomènes criminels , l'individualisation de la société ou encore le développement des nouvelles technologies . De nouvelles formes de criminalité ont également émergé, qui mêlent supra territorialité - voire déterritorialisation (avec la cybercriminalité par exemple) - et autonomisation des groupes à l'échelon local. Ce lien très fort entre délinquance locale et trafics d'envergure internationale nécessite une circulation fluide de l'information entre les services en charge de la « délinquance du quotidien » et ceux luttant contre la criminalité organisée afin de mettre en place des synergies et une stratégie globale de lutte contre la délinquance et la criminalité.
B. UNE FILIÈRE JUDICIAIRE EN CRISE PROFONDE
À ces évolutions de la société s'ajoute une perte d'attractivité croissante de la filière judiciaire dans la police nationale. Les causes de la « désaffection » de la police judiciaire sont multiples et relativement bien connues. Peuvent ainsi être cités :
- la complexification de la procédure pénale , sous l'influence notamment du droit européen ;
- la responsabilité et la charge mentale pesant sur les enquêteurs : un simple oubli procédural peut avoir pour conséquence la nullité de la procédure, ce qui entraîne chez les enquêteurs un sentiment d'insécurité juridique ; leur responsabilité personnelle peut par ailleurs être engagée ;
- le sentiment chez les enquêteurs que les décisions prises par les tribunaux ne sont pas à la hauteur des investigations réalisées ;
- des cycles horaires et des régimes indemnitaires qui sont moins favorables dans les services d'investigation que pour les personnels affectés à la voie publique ;
- la priorité affichée depuis quelques années en faveur des services de voie publique au détriment de ceux de l'investigation, afin de « mettre davantage de bleu sur le terrain ». Cela conduit à un sentiment de manque de considération chez les enquêteurs et décourage les vocations.
Cette désaffection de la filière judiciaire se combine et entretient un phénomène préoccupant d'engorgement des procédures . Ainsi, les stocks de procédures sont aujourd'hui très importants et concernent tant les contentieux de masse (comme les infractions routières ou les atteintes aux biens) que les infractions délictuelles et criminelles graves. Ils sont cependant particulièrement inquiétants au sein des services de la sécurité publique , la DCSP ayant évalué son stock de procédures à 1 552 696 au 30 juin 2022.
Les conséquences de cet engorgement des procédures sont de trois ordres :
- morales , avec un métier d'enquêteur qui est de plus en plus négativement perçu et un découragement croissant des personnels en poste ;
- opérationnelles , car le nombre de dossiers par enquêteur est désormais déraisonnable pour permettre une conduite sereine des enquêtes ;
- sociétales , avec une dégradation constante de la qualité des procédures pénales, des délais de traitements accrus et incompatibles avec les attentes des justiciables, ainsi que des modalités de traitement dégradées.
II. LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE : UNE RÉORGANISATION PROMETTEUSE MAIS DONT LE DÉPLOIEMENT PRÉCIPITÉ A PROVOQUÉ DE NOMBREUSES INQUIÉTUDES
A. UNE DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE, SELON UNE ORGANISATION PAR FILIÈRE
Dans le prolongement des recommandations du livre blanc de la sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a engagé à partir de la fin 2019 un projet d'unification des différents silos de la police nationale à l'échelle départementale, autour d'une logique de filière métier .
En substance, il s'agit de rassembler dans de nouvelles « directions départementales de la police nationale » (DDPN) la plupart des services opérationnels de la police nationale, à savoir les services de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement.
À l'échelle de la police nationale, cette réforme vise à mettre fin au cloisonnement entre les filières et à assurer une meilleure circulation de l'information au niveau local entre les différents métiers de la police nationale.
À l'échelle de la police judiciaire, cette réforme vise à créer une nouvelle filière investigation unifiée , rassemblant au sein d'une même direction l'ensemble des services exerçant des missions de police judiciaire.
B. UNE CONDUITE À VUE DU PROJET DE RÉORGANISATION
La première étape de cette réforme a consisté en une expérimentation de ce nouveau schéma organisationnel dans plusieurs territoires d'outre-mer ainsi que dans huit départements hexagonaux.
Chronologie des expérimentations dans les
départements
de l'Hexagone et des outre-mer
Source : commission des lois du Sénat
Si trois années se sont écoulées depuis le lancement des premières expérimentations, il demeure extrêmement délicat d'établir un bilan. Quelques points de satisfaction émergent indéniablement s'agissant des directions territoriales de la police nationale (DTPN) mises en place dans les territoires ultramarins. Compte tenu de la forte spécificité de ces territoires, il serait néanmoins imprudent de déduire de ces seuls retours d'expérience la pertinence de la réforme à l'échelle nationale. Les premiers éléments d'évaluation des huit directions départementales de la police nationale (DDPN) hexagonales laissent quant à eux transparaître des résultats hétérogènes et à la portée concrète réduite, voire inexistante dans plusieurs cas . La conduite à droit constant de ces expérimentations faisant obstacle à toute modification d'ampleur des organigrammes ou réaffectation de personnels, leur succès repose de fait sur la bonne volonté des parties prenantes. Si de véritables gains organisationnels et opérationnels peuvent être décelés dans certains départements, en particulier en Savoie, nombre de DDPN s'apparentent davantage à des « coquilles vides » dont la mise en place n'a eu aucun effet sur les pratiques existantes .
Ces expérimentations ne sont cependant pas dépourvues d'enseignements, en ce qu'elles permettent, d'une part, d' entrevoir les gains potentiels de la réorganisation et, d'autre part, de mettre en évidence les nombreux défis qui devront être surmontés pour mener à son terme une éventuelle généralisation des DDPN.
L'insuffisance de la préparation du projet de généralisation porté par le ministère de l'intérieur est à cet égard manifeste. Le manque de concertation et le caractère erratique de la communication ont directement alimenté les doutes autour d'un projet lui-même inabouti, aux contours flous et changeants . Le projet a ainsi suscité dans les rangs de la police judiciaire une levée de boucliers d'autant plus notable que cette institution est réputée pour sa discrétion. Les principaux points de crispation tiennent à la crainte des enquêteurs de la DCPJ de se voir éloignés de leur coeur de métier pour traiter du flot de « la délinquance du quotidien » et à la pertinence du choix du département comme échelon de référence.
Par ailleurs, force est de constater que la conduite du projet de réorganisation a souffert d'un défaut de lisibilité et de transparence. De fait, celle-ci a plus ressemblé à une succession d'ajustements en réaction aux contestations qu'au déroulé d'une stratégie claire suivant un calendrier prédéterminée. Ces défaillances en cascade ont inévitablement généré une forte incompréhension chez des enquêteurs qui ne disposaient pas d'un niveau d'information suffisant pour apprécier les effets de la réforme sur leur situation individuelle.
Il doit par ailleurs être relevé que ce conflit qui s'est cristallisé au cours de l'été 2022 s'étend également au monde judiciaire. Les magistrats du parquet ont notamment exprimé de vives inquiétudes quant aux conséquences de la réforme sur leurs prérogatives en matière de libre-choix du service instructeur ou de direction et de contrôle des investigations. Cette opposition est la conséquence directe d'une association trop timide du ministère de la justice aux travaux, et ce alors que les conséquences de la création de la filière investigation sur l'activité du parquet auraient justifié un dialogue renforcé.
Ce faisant, le projet de départementalisation de la police nationale s'est progressivement imposé comme un sujet incontournable dans l'agenda politique et médiatique.
Chronologie du projet de réorganisation de la police nationale
Source : commission des lois du Sénat
III. LA NÉCESSITÉ D'UN MORATOIRE POUR PERMETTRE LA RÉUSSITE DE LA RÉORGANISATION DE LA POLICE NATIONALE AU NIVEAU JUDICIAIRE
A. LES CONDITIONS DE LA RÉUSSITE D'UNE RÉFORME D'INTÉGRATION DE LA POLICE NATIONALE
La réforme envisagée de la police nationale est en réalité une réforme de la gouvernance de la police nationale plus que de l'institution elle-même . Son enjeu principal est l'attribution opérationnelle des responsabilités et la rationalisation des moyens après des années de spécialisation et de dispersion qui ont abouti au paradoxe de directions obligées à définir leurs interactions par voie de protocoles... S'agissant des services exerçant des missions de police judiciaire , la réforme vise à mettre fin à leur fonctionnement en tuyaux d'orgues et à permettre une meilleure communication, une rationalisation des compétences et la création d'outils plus adaptés aux spécificités des métiers de l'investigation.
Afin de répondre aux craintes qu'elle a suscitées, la réforme devra établir des règles claires s'agissant du choix des futurs directeurs départementaux de la police nationale . Il s'agit d'un enjeu crucial, puisque c'est en fait un nouveau métier qui doit être défini : il reviendra aux futurs directeurs d'être porteurs d'un nouveau projet et non de se comporter en tant que représentants de l'une des filières métier placées sous leur autorité. Leur indépendance à l'égard des politiques s'agissant des missions judiciaires de la police nationale doit en particulier être garantie.
Plus avant, l'organisation de la chaine de commandement et des prérogatives de chacun , notamment s'agissant de la dichotomie avancée entre autorité hiérarchique des directeurs départementaux et autorité fonctionnelle des représentants de la filière au niveau territorial supérieur, devra être clarifiée .
Enfin, l'organisation territoriale qui sera retenue devra permettre de continuer à traiter de l'ensemble du spectre de la criminalité . Les rapporteurs considèrent que l'organisation la plus pertinente devra se faire en trois niveaux, permettant de traiter les différents degrés de la délinquance :
- au niveau national , la direction nationale de la police judiciaire devra être chargée de définir la doctrine d'emploi de l'ensemble des services de police judiciaire, d'assurer leur coordination et de conduire les enquêtes s'agissant des faits les plus complexes nécessitant l'intervention des offices centraux ou la coordination d'un grand nombre de services sur l'ensemble du territoire national ;
- le niveau zonal devra disposer d'une autorité sur les services de police judiciaire départementaux afin d'assurer la coordination de leurs actions. Il devra également pourvoir traiter la criminalité organisée, complexe ou présentant une particulière gravité, notamment grâce à l'implantation d'antennes des offices centraux. Cet échelon devra disposer de moyens humains et budgétaires propres pour réaliser ses missions ;
- au niveau départemental , l'organisation en trois niveaux des services de police judiciaire retenue dans les territoires ultramarins devra être généralisée : ainsi, s'il serait irréaliste de prévoir le déploiement de services de traitement de la criminalité la plus complexe dans l'ensemble des départements, le caractère interdépartemental de ces services devra être préservé et des garanties permettant son effectivité déployées. L'existence d'un service traitant de la criminalité intermédiaire devra par contre être généralisée dans l'ensemble des départements.
B. NE PAS RÉFORMER LA POLICE CONTRE LA POLICE ET PRENDRE LE TEMPS D'ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT : LA VOIE DU MORATOIRE
La généralisation des directions départementales de la police nationale d'ici à la fin de l'année 2023 n'est aujourd'hui ni réaliste ni raisonnable : les conditions ne sont pas réunies pour conduire sereinement la réforme dans le respect du calendrier annoncé par le ministre de l'intérieur le 14 février 2023.
Ainsi, les expérimentations lancées dans l'hexagone sont trop limitées pour pouvoir tirer de réelles conclusions, la généralisation se heurte à des obstacles structurels qui ne pourront être surmontés dans les temps , en particulier en matière de regroupements immobiliers, de mise à niveaux des outils numériques et d'édiction des mesures règlementaires d'application. En outre, l' acceptabilité de la réforme par les personnels suppose de ne pas agir dans la précipitation. Aujourd'hui, force est de constater que le climat social dégradé est peu propice au lancement d'une transformation de cette envergure.
Plus encore, la France va accueillir d'ici 2024 un nombre inédit d'évènements de portée internationale . Généraliser les DDPN avant ces échéances apparaît à la fois précipité - car le projet est objectivement inabouti - et imprudent - dans la mesure où la désorganisation des forces de sécurité qui pourrait en découler ferait peser un risque majeur sur la sécurité de ces évènements.
Sans remettre en cause le bien-fondé de la réforme et ses gains potentiels, il est donc impératif de la soumettre à un moratoire jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
D'ici cette date, plusieurs chantiers sont à mener . Il convient, d'une part, de lancer de véritables préfigurations - et non plus des expérimentations - dans l'Hexagone en sortant de la contrainte du droit constant. Il est nécessaire, d'autre part, d'avancer en temps masqué pour poser les jalons indispensables à la réussite de la réforme. Ni la modification de près de 180 textes règlementaires, ni la mise en cohérence de l'architecture numérique des applications de la police nationale avec sa nouvelle organisation, ni la mise en place de regroupements immobiliers ne peuvent se faire du jour au lendemain.
Afin de ne pas reproduire les erreurs passées, il s'agirait également de profiter de ce délai pour conduire une concertation continue et sincère , tant au niveau local que national, tant auprès des policiers que des magistrats.
IV. RÉÉQUILIBRER LES EFFECTIFS ENTRE LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION AFIN DE FAIRE FACE AUX STOCKS PRÉOCCUPANTS DE PROCÉDURES ET D'ASSURER LE BON FONCTIONNEMENT DE LA FUTURE FILIÈRE JUDICIAIRE
A. TRAITER LA CHAINE PÉNALE DANS SON ENSEMBLE EN RÉÉQUILIBRANT LES EFFECTIFS ENTRE LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION
Si la réforme a pour ambition d'améliorer le traitement du flux des affaires judiciaires par la police nationale, elle ne vise pas à résorber les stocks de ces affaires , qui se sont constitués au fil des années et risquent d'augmenter fortement en raison des orientations données à la répartition des effectifs entre voie publique et investigation.
Elle en a cependant été le révélateur . Cette problématique d'ampleur a en effet été mise en lumière à l'occasion des contestations des personnels des services de police judiciaire qui craignaient - et craignent encore - que la réforme ne conduise à ce qu'ils soient mis à contribution pour permettre la résorption des stocks d'affaires accumulés dans les services de la sécurité publique.
Une telle orientation serait cependant déraisonnable, inefficace et profondément nuisible à la protection de la société puisque, d'une part, le nombre d'enquêteurs dans les services de la police judiciaire n'est pas suffisant pour permettre un apurement de ces stocks et que, d'autre part, cela mettrait en péril le traitement de la criminalité organisée.
Un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est donc indispensable . Le doublement des effectifs sur la voie publique n'aura en effet de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle . Sans cela, c'est toute la chaine pénale qui sera engorgée, sans amélioration de la réponse pénale. Ce renforcement des effectifs devra être particulièrement important s'agissant de la hiérarchie intermédiaire dans les services d'investigation.
Il devra également permettre de renforcer le traitement des thématiques actuellement en souffrance . Les rapporteurs considèrent que des effectifs dédiés au traitement de certains contentieux sont aujourd'hui, en proportion des effectifs totaux, insuffisants, et que des équipes dédiées doivent être créées . C'est notamment le cas pour le traitement des contentieux en matière économique et financière, pour lesquels l'autorité judiciaire se trouve régulièrement en difficulté pour saisir un service spécialisé.
Une réflexion devra également être conduite sur les moyens alloués aux personnels réalisant des missions de police judiciaire au sein de la police nationale . Cette réflexion devra s'étendre à leurs conditions de travail . Ainsi, une évolution de leurs outils numériques - et plus particulièrement du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) - est nécessaire.
B. CRÉER DE VÉRITABLES PARCOURS DE CARRIÈRE DANS L'INVESTIGATION POUR LUTTER CONTRE LA DÉSAFFECTION DU JUDICIAIRE
La création d'une filière judiciaire unifiée constitue une opportunité d'offrir aux personnels qui la composent de véritables parcours de carrière en son sein.
D'abord en matière de formation , puisque la complexification des enquêtes, quel que soit le niveau de délinquance concerné, du fait des évolutions de la criminalité et de la procédure pénale, nécessite le recours à des personnels d'un haut niveau de technicité ou disposant de compétences particulières. Des formations « sur mesure » pourraient ainsi être élaborées en fonction du degré de spécialisation des unités d'affectation des enquêteurs.
Ensuite en matière d'opportunités d'évolution de carrière et d'avancement ouverts aux personnels constituant la filière investigation. Deux voies de spécialisation pourraient être envisagées : vers des enquêtes plus complexes et vers l'encadrement de groupes d'enquêteurs plus généralistes, ce qui contribuerait à répondre notamment au déficit d'encadrement actuel dans les services de la sécurité publique.
C. ASSURER LE RESPECT DES PRÉROGATIVES DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE
La contestation de la réforme de l'organisation de la police nationale a également été l'occasion de mettre en lumière les difficultés de l'autorité judiciaire à faire respecter ses prérogatives, qui doivent être solennellement rappelées.
Aux termes de l'article 39-1 du code de procédure pénale , le procureur de la République met en oeuvre , en tenant compte du contexte propre à son ressort, la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général. Or, la définition des priorités assignées par les parquets aux services d'enquêtes se heurte parfois aux priorités définies par le préfet aux services de voie publique. Il convient donc de rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires , en demandant au préfet d'ajuster ses orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire. Un dialogue croissant entre préfets et procureurs est ainsi nécessaire pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire .
Les magistrats disposent du libre choix du service enquêteur , comme l'indique l'article 12-1 du code de procédure pénale. Dans les faits cependant, ce principe se heurte déjà fréquemment aux capacités de traitement limitées de certains services spécialisés . Ainsi, au-delà de cette affirmation de principe, c'est en fait l'affectation et la répartition dans le temps des moyens humains entre les différents services appelés à réaliser des investigations qui est en jeu. Il convient ainsi de renforcer l'effectivité de ce principe , par exemple en assurant un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire, en inscrivant dans les textes règlementaires l'intégralité des services que l'autorité judiciaire pourra saisir dans la nouvelle organisation de la police nationale, en prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction des moyens alloués par enquête , et en instaurant une obligation du chef de filière investigation et du directeur départemental de la police nationale de rendre compte aux procureurs de l'état des procédures et de l'état d'avancement de certaines enquêtes.
La commission considère en outre qu'il serait nécessaire que les doctrines nationales en cours d'élaboration rappellent formellement et solennellement les grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire que sont :
- le placement de la police judiciaire sous la direction, le contrôle et la surveillance de l'autorité judiciaire ;
- les prérogatives de l'autorité judiciaire s'agissant notamment de la mise en oeuvre des priorités de politique pénale ;
- le secret de l'enquête et de l'instruction ;
- la préservation de la possibilité pour le procureur de la République ou le juge d'instruction de choisir librement le service d'enquête en charge des investigations ;
- la préservation d'une capacité à lutter contre l'ensemble du spectre de la criminalité, depuis la criminalité organisée ou financière à la délinquance du quotidien, en passant par la délinquance intermédiaire présentant un ancrage interdépartemental ou interrégional.
LISTE DES PROPOSITIONS
SE DONNER LE TEMPS DE RÉUSSIR LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE, PRINCIPALEMENT QUANT À SES MISSIONS DE POLICE JUDICIAIRE
Proposition n° 1 : Établir un état des lieux précis, objectif et fiable du nombre de procédures en attente de traitement par service et de leur ancienneté.
Garantir le traitement de l'ensemble du spectre de la criminalité par la police nationale
Proposition n° 2 : Mettre en place une formation spécifique des futurs directeurs départementaux de la police nationale (DDPN) destinée à favoriser l'acquisition d'une vision véritablement transversale des missions et des moyens disponibles, ainsi que la maîtrise des leviers à mobiliser pour optimiser leur allocation. Prévoir l'habilitation en tant qu'OPJ comme condition pour l'accès à ces fonctions.
Proposition n° 3 : Garantir la possibilité effective pour les procureurs et magistrats instructeurs de saisir directement le niveau national ou les offices centraux pour les affaires de criminalité les plus complexes.
Proposition n° 4 : Confier aux directions zonales la possibilité de mobiliser, à la demande des magistrats, des filières d'investigation en appui d'autres filières de leur ressort pour le traitement des affaires complexes ou interdépartementales ; conserver des moyens d'investigation au niveau zonal pour le traitement d'affaires nécessitant la mobilisation de services très spécialisés.
Proposition n° 5 : Prévoir la possibilité pour les magistrats de saisir la direction zonale dans le cas où une affaire sensible rendrait nécessaire de confier l'investigation à une autre direction départementale que celle où les faits se sont produits.
Proposition n° 6 : Conserver la compétence interdépartementale des services de police judiciaire existants et dénommer « directeur territorial de la police nationale » le DDPN du siège de ces services.
Proposition n° 7 : Garantir la possibilité de saisine directe des directions territoriales de la police nationale par les procureurs de l'ensemble des départements sur lesquels s'étend la compétence supradépartementale du service investigation.
Proposition n° 8 : Généraliser les sûretés départementales autonomes dans l'ensemble des départements, positionnées sur le traitement du spectre moyen des infractions.
Prendre le temps d'accompagner le changement : la voie du moratoire
Proposition n° 9 : Afin de garantir la sécurité des grands évènements à venir sans sacrifier une réforme potentiellement bénéfique, soumettre la réorganisation de la police nationale à un moratoire jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Proposition n° 10 : Substituer de véritables préfigurations aux expérimentations conduites dans l'Hexagone, actuellement trop contraintes par la logique du droit constant.
Proposition n° 11 : D'ici aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, poser les jalons indispensables à la réussite de la réforme en matière de modifications règlementaires, d'accompagnement au numérique et de regroupements immobiliers.
Proposition n° 12 : Mettre en place un cadre de concertation formalisé et régulier avec les représentants des personnels de la police nationale en général et de la police judiciaire en particulier.
Proposition n° 13 : Associer davantage les magistrats au pilotage de la mise en place de la filière investigation, tant au niveau central que local.
TRAITER LA CHAINE PÉNALE DANS SON ENSEMBLE EN RÉÉQUILIBRANT LES EFFECTIFS ENTRE LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION
La question des moyens : augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire et mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale
Proposition n° 14 : Rééquilibrer les effectifs dans la police nationale entre investigation et voie publique, en se concentrant notamment sur le taux d'encadrement du corps de conception et d'application dans l'investigation.
Proposition n° 15 : Créer des équipes supplémentaires dédiées au traitement de certains contentieux aujourd'hui délaissés, comme par exemple les affaires en matière économique et financière.
Proposition n° 16 : À court terme, développer des procédures de traitement en masse des stocks d'affaires judiciaires par le bais de :
- l'adoption par les Parquets d'instructions permanentes permettant aux services de police et de gendarmerie de classer certaines procédures d'initiative ;
- le développement des opérations de traitement en temps réel sur site, y compris dans le cadre de la mise en place d'équipes policières dédiées à l'apurement des stocks de procédure dans des circonscriptions en difficulté.
Proposition n° 17 : Dans le cadre de la loi annoncée de programmation pour la justice, prévoir une augmentation du nombre de magistrats afin d'assurer le bon fonctionnement de la chaîne pénale dans son ensemble.
Proposition n° 18 : Remplacer le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) par un logiciel plus ergonomique et plus adapté aux défis actuels de la filière judiciaire de la police nationale. Prévoir une interconnexion entre les bases utilisées par les différents services.
Proposition n° 19 : Inscrire l'amélioration de l'efficacité de la filière investigation dans le long terme, en construisant de véritables parcours de carrière en son sein à l'aide :
- du développement de formations spécifiques aux métiers de l'investigation bénéficiant à l'ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire ;
- d'une meilleure valorisation de ces formations dans le déroulement de carrière des personnels ;
- de la construction d'opportunités de carrières au sein de la filière, en prévoyant deux voies de progression : vers des enquêtes plus complexes et vers l'encadrement de groupes d'enquêteurs plus généralistes ;
- de la meilleure considération dans leur rémunération des sujétions particulières assumées par les personnels de la filière investigation.
Réaffirmer pour les magistrats le libre choix du service d'enquête afin d'assurer le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire
Proposition n° 20 : Rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires en demandant au préfet d'ajuster ses orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire. Mettre en place un dialogue entre préfets et procureurs de la République pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire.
Proposition n° 21 : Garantir le principe du libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire en :
- assurant un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire dans le cadre des comités semestriels de suivi de la LOPMI ;
- inscrivant dans les textes règlementaires l'intégralité des services que l'autorité judiciaire peut saisir dans la nouvelle organisation de la police nationale ;
- prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction sur les moyens alloués par enquête ;
- instaurant une obligation du chef de filière investigation et du directeur départemental de la police national de rendre compte au procureur de l'état des procédures et de l'état d'avancement de certaines enquêtes.
Proposition n° 22 : Prévoir un rappel exprès et solennel des grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire dans les doctrines nationales en cours d'élaboration.
PREMIÈRE PARTIE
LES DIRECTIONS
DÉPARTEMENTALES DE LA POLICE NATIONALE : DES
EXPÉRIMENTATIONS INÉGALES ET UNE GÉNÉRALISATION
CONTRARIÉE
I. LE CONSTAT : UNE ORGANISATION EN TUYAUX D'ORGUE DE LA POLICE NATIONALE UNANIMEMENT RECONNUE COMME INSATISFAISANTE
A. DES POLICES PLUTÔT QU'UNE POLICE
1. Une organisation ancienne de la police nationale
L'organisation de la police nationale dans sa forme actuelle est ancienne, puisque la dernière réforme organisationnelle d'ampleur de cette institution date de 1966 . La loi n° 66-492 du 9 juillet 1966 portant organisation de la police nationale , dite loi « Frey », a ainsi permis la création de la direction générale de la police nationale au sein du ministère de l'intérieur, rassemblant les personnels de la sûreté nationale et ceux de la préfecture de police de Paris.
Historiquement en effet, la construction et la structuration des forces de sécurité intérieure se sont réalisées au niveau municipal , le commissaire de police étant chargé de diriger la police municipale sous l'autorité du maire, afin d'« assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publique ». À compter du début du XXe siècle, plusieurs villes connaissent une étatisation de leur police municipale en raison soit d'une administration insuffisante, soit des besoins de gestion de l'ordre public et de la sécurité : les polices des villes concernées sont alors placées sous l'autorité des préfets de département.
L'étatisation progressive des forces de police ne permet cependant pas de pallier les faiblesses liées à la multiplicité des commandements, à l'absence de coordination, à la diversité des personnels, des statuts et des rémunérations. Un débat en faveur d'une police d'État émerge alors.
Parallèlement, les premiers services de police judiciaire sont créés au début du XX e siècle à l'initiative de Georges Clemenceau, alors Président du Conseil et ministre de l'intérieur, et de Célestin Hennion, alors directeur de la sûreté générale. Ce projet visait à mieux armer les forces de l'ordre face à des bandes de malfaiteurs tirant parti du perfectionnement des moyens de communication et des outils de mobilité pour agir sur des aires géographiques de plus en plus importantes . C'est dans ce contexte de progression et de transformation de la criminalité qu'a été créé un contrôle général des services de recherches judiciaires 3 ( * ) , ancêtre de la direction centrale de la police judiciaire, avec comme bras armé douze brigades régionales de police mobile 4 ( * ) chargées de la lutte contre la criminalité à l'échelle nationale. Ces brigades, surnommées brigades du Tigre , avaient « pour mission exclusive de seconder l'autorité judiciaire dans la recherche et la répression des crimes et délits de droit commun » 5 ( * ) , cette exclusivité les distinguant des autres services actifs dont le champ de compétences intégrait notamment les missions de maintien de l'ordre public et de lutte contre la délinquance du quotidien.
Cette ambition est résumée par Georges Clemenceau dans une circulaire du 4 avril 1908, où il est indiqué que le Gouvernement a « voulu faire rechercher et poursuivre par des agents expérimentés se déplaçant rapidement, investis d'une compétence étendue, les malfaiteurs de toutes catégories auxquels l'extension et le perfectionnement des moyens de communication offrent de jour en jour des facilités plus grandes d'évasion et que trop souvent ne peuvent atteindre les polices locales, indépendantes les unes des autres, sans contact de commune à commune, enfermées dans d'étroites et infranchissables juridictions » 6 ( * ) .
La police nationale est créée par la loi du 23 avril 1941 dans l'ensemble des communes de plus de 10 000 habitants et dans les communes n'atteignant pas ce seuil désignées par le ministre de l'intérieur . La police nationale est alors organisée au niveau régional. Au moment de la Libération, l'ordonnance du 16 novembre 1944 met en place une direction générale de la sûreté nationale qui comprend l'ensemble des services de police de la France, à l'exception de ceux de Paris.
Paris dispose en effet d'un statut spécifique en matière d'organisation des forces de police . La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) concernant la division du territoire français et l'administration a mis en place une préfecture de police à Paris. Dans cette ville qui n'aura pas de maire jusqu'en 1977 7 ( * ) , la préfecture de police est dirigée par un préfet et est chargée de la police criminelle de droit commun, de la police administrative et de la police de renseignement.
La création de la direction générale de la police nationale en 1966 permet ainsi de regrouper les personnels parisiens et les personnels exerçant sur le reste du territoire sous un même statut , les fonctionnaires de police étant alors répartis en cinq corps au sein de deux hiérarchies parallèles. Les fonctionnaires en tenue, chargés des missions de sécurité publique sur le terrain, étaient divisés entre le corps des gardiens de la paix et gradés et le corps des commandants et officiers. Les fonctionnaires en civil, chargés de la police judiciaire, étaient divisés en trois corps : les enquêteurs, les inspecteurs et les commissaires.
Cette division de la police nationale entre deux hiérarchies était cependant critiquée. C'est ainsi qu'en 1995, une réforme des corps et carrières est réalisée 8 ( * ) , permettant l'unification de la police nationale en trois corps, ce qui a eu pour effet de supprimer l'existence de deux chaînes hiérarchiques distinctes et autonomes pour les missions de police judiciaire et pour les missions de voie publique :
- le corps de maîtrise et d'application, réunissant les gradés et gardiens de la paix et les enquêteurs de police ;
- le corps de commandement et d'encadrement, unifiant les inspecteurs de police et les commandants et officiers ;
- le corps de conception et de direction, rassemblant les commissaires de police.
Ainsi, depuis les lois des 23 avril 1941 et 9 juillet 1966, l'organisation des directions et services de police nationale n'a pas été fondamentalement modifiée. Seules quelques créations ou fusions de services sont intervenues ponctuellement afin d'adapter l'organisation de la police nationale à l'évolution de la délinquance et de la criminalité. La logique sous-jacente d'exclusivité des missions reste ainsi encore aujourd'hui la règle dans le fonctionnement de la police nationale .
2. Un fonctionnement en silo des services exerçant des missions de police judiciaire au sein de la police nationale
La police judiciaire est chargée, comme en dispose l'article 14 du code de procédure pénale, « de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs ». Elle s'exerce sous l'autorité des magistrats, le rôle de l'autorité judiciaire en matière de contrôle et de direction de la police judiciaire ayant été consacré comme principe à valeur constitutionnelle 9 ( * ) .
L'exercice de la police judiciaire est attribué par la loi aux officiers de police judiciaire (OPJ), aux agents de police judiciaire (APJ), aux agents de police judiciaire adjoints (APJA), ainsi qu'aux fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire 10 ( * ) . Il est majoritairement réalisé par la police et la gendarmerie nationales.
La direction nationale de la police nationale, composée de près de 15 000 personnels, traite environ 70 % de la délinquance générale et plus de 83 % de la grande criminalité . En dehors de la préfecture de police de Paris, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire : la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).
La direction centrale de la sécurité publique (DCSP) 11 ( * ) traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police, soit 98 % des faits constatés et 96 % des faits élucidés. Elle constitue une direction généraliste comptant 65 000 personnels dont 14 874 sont affectés à la filière judiciaire. Ces personnels sont répartis par départements, au sein de 92 directions départementales de la sécurité publique et 280 circonscriptions de sécurité publique (CSP). Ainsi, la DCSP compte 300 services d'investigation se composant de neuf sûretés départementales autonomes compétentes sur le ressort de leur direction départementale et de 280 sûretés départementales ou urbaines compétentes sur le ressort de leur circonscription de sécurité publique. Des directions zonales de la sécurité publique 12 ( * ) existent également dans chaque zone de défense et de sécurité, qui ont un rôle de conception, de coordination, d'orientation et de contrôle des directions départementales de la sécurité publique.
La DCSP a pour mission de lutter contre la petite et moyenne délinquance , en particulier la délinquance de voie publique, les violences contre les personnes, les violences intrafamiliales, les violences urbaines ainsi que la lutte contre le trafic local de stupéfiants. Elle s'est déjà réorganisée à plusieurs reprises afin de s'adapter à la massification du traitement de la délinquance. C'est ainsi qu'en 2020, une filière judiciaire unique a été établie au sein de cette direction, compétente de la prise de plainte jusqu'aux affaires criminelles, mettant fin au partage du judiciaire entre les sûretés départementales et les services de voie publique.
La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) 13 ( * ) , héritière des brigades du Tigre, est une direction spécialisée en charge de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée , notamment financière ou relative aux atteintes graves aux personnes. Elle emploie 5 640 personnels dont 3 800 enquêteurs répartis entre les services centraux et territoriaux. Au niveau central, neuf offices centraux et quatre sous-directions opérationnelles sont chargés de lutter contre la criminalité de plus haut niveau. Le niveau central assure ainsi la centralisation des informations opérationnelles sur les menaces criminelles relevant de la compétence de la DCPJ, la conduite des enquêtes nécessitant une grande technicité ou la coordination de l'action d'une multiplicité de services d'enquête sur l'ensemble du territoire national, la gestion des outils français de coopération internationale en matière policière, la conception et la gestion des outils au service de l'investigation, et l'analyse de l'évolution des phénomènes criminels et des groupes criminels structurés. Le maillage territorial de la DCPJ s'articule autour de sept directions zonales ou régionales 14 ( * ) , 18 directions territoriales et 34 services de police judiciaire.
Source : direction générale de la police nationale
À ces deux directions s'ajoute la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) 15 ( * ) , à laquelle est rattaché l' Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM) 16 ( * ) , regroupant 70 enquêteurs. L'OLTIM est en charge du démantèlement des réseaux et filières en bande organisée favorisant l'immigration irrégulière, la fraude documentaire, ou l'emploi des étrangers sans titre. Au niveau territorial, la DCPAF dispose de 45 brigades mobiles de recherche (BMR) . Unités spécialisées à vocation judiciaire, les BMR sont chargées de lutter contre les filières d'immigration irrégulière, de démanteler les structures de travail illégal recourant à la main d'oeuvre étrangère, et de neutraliser les officines de fabrication et de falsification des documents de circulation ou de séjour ainsi que les formes organisées d'immigration irrégulière.
Enfin, le service national de la police scientifique est chargé de piloter l'ensemble de la police technique et scientifique de la police nationale et les laboratoires de police scientifique. Il comprend 1 245 personnels.
L'organisation des services exerçant des
missions de police judiciaire
dans la gendarmerie nationale
En matière de police judiciaire, la gendarmerie nationale est organisée en trois niveaux.
Au niveau central , la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) de la direction des opérations et de l'emploi est chargée de proposer une stratégie et de définir la doctrine d'emploi de la gendarmerie pour l'exécution des missions de police judiciaire. Cette sous-direction comprend également quatre offices centraux chargés de la coordination et des enquêtes de haut niveau dans leurs domaines de compétences.
Au niveau régional , des sections de recherche et des sections d'appui judiciaire, services spécialisés, sont placés sous l'autorité du commandant de la région de gendarmerie.
La majeure partie des unités réalisant des missions de police judiciaire sont cependant placées au niveau départemental , où les unités territoriales que sont les brigades territoriales autonomes (BTA) et les communautés de brigades, au plus près du terrain, peuvent bénéficier de l'appui de brigades de recherche (au niveau de chaque compagnie) ou de brigades départementales de renseignement et d'investigation judiciaire (au niveau du groupement de gendarmerie départementale). Toutes sont placées sous un commandant de groupement, lui-même placé sous l'autorité du préfet.
L'organisation des services exerçant des
missions de police judiciaire
à la préfecture de police de
Paris
L'organisation de la police à Paris est, on l'a vu, spécifique. La préfecture de police est compétente à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ainsi que sur les emprises des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, du Bourget et de Paris-Orly.
Au sein de la préfecture de police de Paris, la police judiciaire est essentiellement exercée par deux directions :
- la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) , chargée de la lutte contre la grande délinquance et les organisations criminelles. La DRPJ comprend trois services départementaux de la police judiciaire à Bobigny, Créteil et Nanterre, trois districts de police judiciaire à Paris, et quatre groupes interministériels de recherche (un par département). Elle comprend également 14 brigades centrales spécialisées intervenant sur l'ensemble du ressort de la préfecture de police ;
- la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) , chargée des affaires de petite et moyenne délinquance. Elle comprend 79 circonscriptions de sécurité de proximité (CSP) réparties au sein de quatre directions territoriales de sécurité de proximité implantées dans chacun des départements. Chaque CSP dispose d'un ser vice de l'accueil et de l'investigation de proximité (deux services pour la CSP de Bobigny). À l'échelon départemental, les directions territoriales de sécurité de proximité disposent d'une sûreté territoriale (ST) venant en appui des services de l'accueil et de l'investigation de proximité.
Au sein de la DSPAP, d'autres services exercent des missions de police judiciaire sur des thématiques spécifiques : c'est le cas de la sous-direction de la lutte contre l'immigration irrégulière , chargée d'enquêtes d'initiative en matière de démantèlement de filières d'acheminement et d'aide au séjour sur le territoire national ainsi que du traitement judiciaire des infractions de travail dissimulé et d'habitat indigne, ou de la sous-direction régionale de police des transport s qui dispose d'une sûreté régionale des transports chargée du traitement judiciaire de la délinquance commise sur l'ensemble des réseaux ferrés d'Ile-de-France et des faits commis dans les transports de surface lorsqu'ils résultent d'interpellations réalisées par ses services.
3. Le libre choix de l'autorité judiciaire dans la saisine des services exerçant des missions de police judiciaire
Comme l'indique l'article 12 du code de procédure pénale, la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la République . Ainsi, si l'organisation des services de la police nationale relève des prérogatives du ministère de l'intérieur et de l'outre-mer et non du ministère de la justice, l'autorité judiciaire assure la direction, le contrôle et la surveillance de la police judiciaire .
Pour conduire ses enquêtes, l'autorité judiciaire a le libre choix de la formation saisie , en application de l'article 12-1 du code de procédure pénale.
La répartition des contentieux entre les différents services s'effectue cependant en pratique en fonction du lieu de commission des faits, de leur degré de complexité, de leur gravité ou encore de leur sensibilité . Globalement, les services de sécurité publique sont chargés de la lutte contre la petite et moyenne délinquance, des violences contre les personnes, des violences urbaines et du trafic local de stupéfiants tandis que la répression des formes spécialisées organisées ou transnationales de la criminalité et du terrorisme est toujours confiée à des services spécialisés , qu'il s'agisse des sections de recherche de la gendarmerie ou des services de police judiciaire dans la police nationale.
La frontière peut cependant être ténue entre le contentieux de masse et la criminalité organisée. C'est la raison pour laquelle deux protocoles cadres ont été conclus entre la direction des affaires criminelles et des grâces, dépendant du ministère de la justice, et respectivement la direction générale de la police nationale 17 ( * ) et la direction générale de la gendarmerie nationale 18 ( * ) , dépendant du ministère de l'intérieur. Ces protocoles envisagent les conditions de répartition des missions de police judiciaire entre les services d'investigation de la gendarmerie nationale et de la police nationale et, plus spécifiquement au sein de cette dernière, entre la DCSP et la DCPJ. Ils tiennent compte de l'organisation et de la représentation territoriale des services concernés : la sécurité publique a ainsi vocation à être plutôt saisie d'affaires de dimension locale tandis que les affaires nécessitant des investigations ou la coordination d'investigations d'ampleur nationale sont davantage du ressort des services de la police judiciaire.
Le niveau de saisine est cependant variable d'un territoire à l'autre , car il dépend tout à la fois des choix opérés par l'autorité judiciaire et des moyens capacitaires présents dans les territoires. Les protocoles-cadres nationaux ont ainsi parfois été déclinés au niveau local sous l'égide des parquets.
Ces protocoles constituent des cadres souples et adaptables, ne remettant pas en cause le libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire . Les principes de répartition qu'ils contiennent sont seulement indicatifs et n'excluent pas la possibilité pour le magistrat de décider de la saisine d'un autre service, au regard de circonstances particulières. L'autorité judiciaire apprécie ainsi pour chaque saisine la nature et la sensibilité des faits, la complexité et l'étendue territoriale des recherches à entreprendre, ainsi que la charge pesant sur les services d'enquête avant de se prononcer sur la formation choisie. Elle peut aussi solliciter une co-saisine entre une pluralité de services d'enquête, peu important leur direction d'appartenance, lorsque l'ampleur ou la technicité des investigations à mener l'exige.
B. UNE ORGANISATION QUI N'EST PLUS TAILLÉE POUR RÉPONDRE AUX MUTATIONS DE LA CRIMINALITÉ
1. Une organisation complexe, cloisonnée et peu efficiente
Chacune des directions de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire dispose d'une grande autonomie de fonctionnement , tant en termes opérationnel que de gestion des ressources humaines ou de gestion budgétaire. À titre d'exemple, la DCPAF et la DCPJ sont organisées aux niveaux interdépartementaux et zonaux, tandis que la DCSP est principalement organisée autour de l'échelon départemental, l'échelon zonal constituant un simple niveau de coordination.
Cette organisation fragmentée apparaît peu lisible et inadaptée . Cela s'ajoute à un mode de fonctionnement fortement centralisé et vertical , chacun des services déconcentrés ne rendant en pratique compte qu'à sa direction centrale sans qu'il y ait suffisamment d'interactions avec les autres services au niveau local, ce qui pèse sur l'efficience de l'action de la police nationale .
Comme le soulignait le livre blanc pour la sécurité intérieure publié le 16 novembre 2020 19 ( * ) , « la police nationale d'aujourd'hui s'est constituée progressivement par la création de structures spécialisées qui ont été conçues pour accomplir des missions particulières (police aux frontières, police judiciaire, police technique et scientifique, renseignement, maintien de l'ordre, protection des hautes personnalités, intervention spécialisée) ». Elle est ainsi « marquée par sa verticalité qui, au fil du temps, a juxtaposé des services aux compétences croisées ». Le livre blanc indiquait également que « l'état des lieux a confirmé une attente partagée d'un pilotage renforcé et affirmé, d'une plus grande lisibilité, de décloisonnement, de déconcentration et donc de conjuguer une fierté d'appartenance à une grande et puissante maison avec une agilité retrouvée ».
Le fonctionnement de la police nationale, souvent qualifié de fonctionnement en silos ou en tuyaux d'orgue , ne permet pas une approche globale et pluridisciplinaire dans la compréhension et le traitement des problématiques de sécurité intérieure. Ainsi, et comme l'indique Philippe Dominati dans son récent contrôle budgétaire de la Direction centrale de la police judiciaire, « la police nationale souffre ainsi d'un manque de cohésion et d'unité, qui génère des pertes d'information, d'efficacité et parfois même des logiques de concurrence et réduit finalement la possibilité de mettre en oeuvre une stratégie globale d'emploi des forces sur les différents territoires » 20 ( * ) .
Ces constats s'appliquent également aux services assurant l'exercice de la police judiciaire au sein de la police nationale . L'on constate des conflits de compétence, positifs ou négatifs, mais aussi des rivalités entre services. Plus largement, la faiblesse de la circulation de l'information ne permet pas l'appréhension globale d'un phénomène tant à l'échelle d'un territoire qu'à l'échelon national.
Ainsi, au quotidien, chacun des services de police travaille dans sa logique propre sur son territoire , sans nécessairement interagir avec les autres composantes de la police nationale, et ce d'autant plus que les échelons territoriaux ne sont pas identiques selon les directions.
Le renforcement des relations opérationnelles au niveau local entre les services de la DCSP et de la DCPJ constitue ainsi un axe de réflexion ancien au sein de la police nationale et des mécanismes ont progressivement été institués pour formaliser la coordination entre ces deux unités de la police nationale . À titre d'exemple, les services de sécurité publique élaborent des synthèses judiciaires et envoient des télégrammes afin d'informer les services de la police judiciaire de tous les faits de délinquance. Les services de la police judiciaire peuvent demander leur saisine pour tout fait les intéressant - avec l'accord de l'autorité judiciaire. Des co-saisines peuvent également être mises en oeuvre. Des structures de mise en commun des moyens d'enquête et de coordination ont également été instituées . C'est, par exemple, le cas des CROSS , les cellules de renseignement opérationnel en matière de stupéfiants, ou des groupes interministériels de recherche ( GIR ).
Il existe également un protocole entre les deux directions de la police nationale exerçant la majeure partie des missions de police judiciaire afin de fluidifier leur fonctionnement . Ainsi, le dernier protocole relatif à la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire a été conclu le 13 mai 2016. Ce protocole poursuit deux objectifs : le partage et la valorisation de l'information et du renseignement criminel par la mise en commun d'outils de collecte d'informations et de données, et le renforcement des relations opérationnelles avec la mise en oeuvre des moyens d'appui nécessaires.
En dépit de ce protocole, des conflits de compétence peuvent encore survenir . S'il peut s'agir de conflits positifs lorsque les deux directions souhaitent conserver la poursuite des investigations, comme dans le cas d'une découverte de quantités importantes de stupéfiants, il s'agit plus fréquemment de conflits négatifs. Dans ce cas, il revient au Parquet de trancher afin de contraindre tel ou tel service à prendre le dossier. Dans la police nationale, il s'agit fréquemment de dossiers économiques et financiers de moyenne complexité, dont la technicité rebute les enquêteurs de sécurité publique, mais que les services de police judiciaire estiment ne pas relever naturellement de leur champ de compétences. Dans la majeure partie des cas, il a été indiqué aux rapporteurs que le refus de la saisine par les services de police judiciaire conduisait les procureurs à se tourner vers la sécurité publique.
Plus dérangeant encore, un déficit de communication est majoritairement admis . À titre d'exemple, le directeur territorial de la police nationale de Martinique, entendu par les rapporteurs, a indiqué au cours de son audition que : « les conflits de compétence concernant les enquêtes judiciaires étaient peu fréquents entre l'antenne PJ et la DDSP, les critères de compétence des unités étant bien définis. En revanche, la circulation de l'information pouvait manquer de fluidité, aucun service n'ayant une vision globale sur les dossiers de l'autre service. »
2. Une organisation qui n'est plus adaptée à la criminalité du XXIe siècle
Cette organisation cloisonnée ne semble aujourd'hui plus adaptée à la criminalité qui affecte notre société.
L'on assiste en effet aujourd'hui à l'émergence de nouvelles formes de criminalité, marquées par l'internationalisation des phénomènes, l'individualisation de la société ou encore le développement des nouvelles technologies . La délinquance d'aujourd'hui se structure essentiellement autour des trafics de stupéfiants, d'armes ou des filières d'immigration clandestine mais, fait nouveau, les mêmes personnes s'immiscent désormais dans différents types d'actes de délinquance. Ainsi, l'on est désormais loin du grand banditisme où des gangs de braqueurs écumaient la France. C'est ce que le Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée (SIRASCO) 21 ( * ) qualifie de « décloisonnement » des groupes criminels . Ainsi, l'association remplace l'opposition et la logique entrepreneuriale se développe .
De nouvelles formes de criminalité ont également émergé , qui mêlent supra territorialité - voire déterritorialisation (avec la cybercriminalité, par exemple) et autonomisation des groupes à l'échelon local . Les réseaux peuvent ainsi être très structurés à l'échelon international, avec des ramifications au niveau local, mais également qualifiés d'artisanaux, dans le cas de certains trafics de drogue en provenance de Guyane. Les modalités de la criminalité ont évolué, puisque les nouvelles technologies de l'information sont désormais largement utilisées - ubérisation de la livraison de stupéfiants par exemple - et le niveau de violence a fortement augmenté.
Ces nouvelles formes de criminalité ont été qualifiées par le SIRASCO de « néo banditisme ». Il s'agit d'un « banditisme nouveau issu des cités sensibles, se différentiant d'un "milieu" traditionnel fort affaibli par le succès des investigations policières, et un changement de générations. Il recouvre des groupes criminels organisés divers, mais tous structurés autour du trafic de stupéfiants. Leur particularité est de privilégier les "circuits courts" au sein du réseau, limitant les intermédiaires, et conférant un sentiment de puissance démesuré à de petits malfaiteurs n'en ayant pas l'envergure » 22 ( * ) . Grand banditisme et crime organisé trouvent également leur source dans la petite et moyenne délinquance ainsi que dans le trafic de stupéfiants.
Ce lien très fort entre délinquance très locale et trafics d'envergure internationale nécessite une bonne circulation de l'information entre les services en charge de la « délinquance du quotidien » et ceux luttant contre la criminalité organisée afin de mettre en place des synergies et une stratégie globale de lutte contre la délinquance et la criminalité. Il existe en effet un continuum entre la délinquance de masse , traitée en majorité par les services de sécurité publique, et les groupes criminels organisés dont s'occupent ceux de la police judiciaire.
C. LE RÉSULTAT : UNE FILIÈRE JUDICIAIRE EN CRISE
1. Une perte d'attractivité continue de la filière judiciaire
À ces évolutions de la société s'ajoute une perte d'attractivité croissante de la filière judiciaire dans la police nationale .
Les causes de la « désaffection » de la police judiciaire sont multiples et relativement bien connues.
Il s'agit en premier lieu de la complexification de la procédure pénale , sous l'influence notamment du droit européen. Les obligations procédurales se sont ainsi accrues, sans que le temps alloué aux forces de sécurité intérieure pour réaliser ces actes ait augmenté en conséquence, en particulier au stade de la garde à vue. Le temps utile pour l'investigation a ainsi été largement réduit.
Il s'agit en second lieu de la responsabilité et de la charge mentale pesant sur les enquêteurs : un simple oubli procédural peut avoir pour conséquence la nullité de la procédure, ce qui entraîne chez les enquêteurs un sentiment d'insécurité juridique. Plus encore, la responsabilité administrative voire pénale de l'agent peut être mise en cause en cas d'erreur de jugement ou de retard de traitement d'un dossier. À titre d'exemple, la responsabilité administrative des agents est désormais systématiquement examinée en cas de décès d'une victime de violences intrafamiliales , sans que les effectifs aient été augmentés pour traiter ces dossiers malgré l'accent mis sur la lutte contre ces violences.
Troisième cause à cette désaffection, les enquêteurs estiment souvent que les décisions des tribunaux ne sont pas à la hauteur des investigations réalisées , soit parce que les suspects sont relaxés ou peu condamnés soit, en raison de l'allongement de la durée des enquêtes, parce qu'ils ne disposent pas de visibilité sur le résultat - c'est en particulier le cas pour l'instruction et en matière économique et financière. Cela entraîne un fort découragement chez les enquêteurs.
Quatrième cause : des cycles horaires et des régimes indemnitaires moins favorables dans l'investigation que pour les personnels affectés à la voie publique. Ainsi, alors que les policiers en tenue sont, dans leur majeure partie, passés à des régimes cycliques leur permettant de disposer d'horaires fixes de travail et surtout de repos, les enquêteurs travaillent majoritairement sous un régime hebdomadaire, avec des permanences organisées le weekend . Ils sont cependant également susceptibles d'intervenir la nuit et le weekend lorsqu'ils travaillent sur une enquête. Il s'agit donc d'un métier devant composer avec une certaine imprévisibilité (rappels, astreintes, permanences, dépassements horaires, etc .), pour lequel l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est moins bien assuré que dans la filière de la voie publique.
De l'avis général, le régime indemnitaire ne compense que peu ces sujétions . Ainsi, la prime OPJ s'élève depuis le 1 er janvier 2023 à 1 500 euros par an. Elle a été récemment - et heureusement - revalorisée et réservée aux postes demandant effectivement l'exercice de cette qualification. La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur dite « LOPMI » a cependant permis la création d'une prime dite de « voie publique » s'élevant à 1 200 euros par an, réduisant d'autant le bénéfice de la prime OPJ.
Enfin, la priorité affichée depuis quelques années en faveur des services de voie publique au détriment de ceux de l'investigation, afin de « mettre davantage de bleu sur le terrain » conduit également à un sentiment de manque de considération chez les enquêteurs et décourage les vocations. Les outils numériques des métiers de la voie publique se sont ainsi largement améliorés dans les dernières années, avec notamment l'arrivée des logiciels NEO ou des caméras piéton, tandis que les outils numériques des métiers de l'investigation comme le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) sont obsolètes et dysfonctionnels, alors même que la numérisation porte un espoir de simplification du métier.
Ainsi, perte de sens, complexification de la procédure et charge mentale forte conduisent à une désaffection pour le judiciaire qui entraîne, comme le soulignait auprès de la commission François Molins, procureur général près la Cour de cassation, un déficit des vocations et d'attractivité et, par suite, de nombreuses vacances de postes au sein de ces métiers augmentant d'autant la charge de travail sur les personnels en poste. Le rapport annexé à la LOPMI indique ainsi qu'il y avait 17 000 officiers de police judiciaire au niveau national, pour 19 262 cartographiés et un besoin estimé à 22 000.
2. Des services d'investigation en souffrance, en particulier du côté de la sécurité publique
La désaffection pour le judiciaire dans la police nationale, combinée aux évolutions de la société, conduit à une augmentation du stock d'affaires à traiter et à une situation de grande difficulté, en particulier au sein des services d'investigation de la sécurité publique.
Ainsi, comme l'a indiqué la direction des affaires criminelles et des grâces aux rapporteurs, les stocks de procédures sont aujourd'hui très importants et ils concernent tant les contentieux de masse (comme les infractions routières ou les atteintes aux biens) que les infractions délictuelles et criminelles graves, telles les infractions en matière économique et financière ou les atteintes aux personnes. Ainsi, au 31 mai 2021, 2 638 979 procédures étaient dénombrées par les parquets généraux et les parquets, tous services confondus 23 ( * ) . Cet engorgement des procédures, s'il peut être constaté dans l'ensemble du territoire, est toutefois particulièrement prégnant dans les grandes agglomérations et les services de police plutôt que dans les ressorts ruraux et les services de gendarmerie.
Si l'on aurait pu considérer que ces stocks étaient directement issus de deux phénomènes concomitants, la pénalisation croissante de la société et l'orientation actuelle de prise de l'ensemble des plaintes par les services de police et de gendarmerie, il s'avère que le nombre de procédures enregistrées chaque année est globalement stable depuis 2012 (hors crise sanitaire). L'on constate cependant parallèlement une diminution du nombre d'affaires traitées par les parquets depuis 2006, ce qui confirme la constitution de stocks au sein des services de police et de gendarmerie .
Nombre de procédures enregistrées par les services d'enquête
Sources : Direction des affaires criminelles et des grâces, à partir de PULSAR Registre (STSI²) pour la gendarmerie nationale et de l'« État 4001 » (SSMSI) pour la police nationale
Affaires pénales traitées annuellement
par les parquets
depuis 2001 selon l'orientation
Sources : Direction des affaires criminelles et des grâces - Cadres des parquets pour la période 2001-2013 et SDSE/SID-Cassiopée pour les années suivantes, traitement DACG-PEPP
La constitution de stocks au sein des services de police et de gendarmerie s'explique principalement par la désaffection pour le judiciaire mentionnée ci-dessus et par le manque d'effectifs dans les services d'investigation.
Si tous les contentieux semblent concernés par la constitution de ces stocks , à l'exception depuis peu des violences intrafamiliales qui sont désormais traitées en priorité - mais au détriment des autres affaires -, la constitution de stocks est particulièrement massive au sein des services de la sécurité publique , la DCSP ayant évalué son stock de procédures à 1 552 696 au 30 juin 2022. Ses services font en effet face à des problématiques croissantes liées, d'une part, à la multiplication des saisines, les magistrats ayant à coeur de laisser aux policiers de la direction de la police judiciaire suffisamment de temps pour mener les enquêtes complexes qui leur sont confiées, et, d'autre part, à la diminution préoccupante du taux d'encadrement intermédiaire.
Les rapporteurs considèrent indispensables, avant toute réflexion sur le mode de fonctionnement de la filière investigation dans la police nationale, de réaliser un état des lieux précis, objectif et fiable du nombre de procédures en attente de traitement par domaine et par service, en fonction de leur ancienneté .
Proposition n° 1 : Établir un état des lieux précis, objectif et fiable du nombre de procédures en attente de traitement par service et de leur ancienneté.
La diminution du taux d'encadrement est due en premier lieu à la réforme des corps et carrières, votée en 1995, et au protocole d'accord sur les corps et carrières de la police nationale signée le 17 juin 2004, qui a prévu une diminution du corps des officiers de 14 000 personnels en 2004 à 9 000 à l'horizon 2012. À ces évolutions règlementaires ayant conduit à la suppression d'une hiérarchie spécifique dans l'investigation et à la diminution du nombre d'encadrants intermédiaires, s'ajoute la fai ble attractivité de la filière investigation, particulièrement prégnante pour les officiers .
Ainsi, le taux d'encadrement des effectifs en sécurité publique est passé de 9,5 % en 2015 à 5,1 % en 2020, tandis qu'il est resté plus élevé en police judiciaire (30,9 % en 2020 contre 43,5 % en 2015) . Cela conduit les personnels du corps des gradés et gardiens de la paix à devoir faire face au traitement des affaires judiciaires sans véritable encadrement de la hiérarchie intermédiaire.
Cette faiblesse de la hiérarchie intermédiaire dans les services de la sécurité publique exerçant des missions de police judiciaire est particulièrement préjudiciable : la transmission de savoir et la priorisation des dossiers incombent en effet à cette strate, qui joue par ailleurs un rôle fondamental dans la qualité des procédures. Elle explique également en partie la constitution de stocks au sein des services de la sécurité publique.
Les conséquences de ce phénomène d'engorgement des procédures sont de deux ordres pour les policiers :
- morales, avec un métier d'enquêteur qui est de plus en plus négativement perçu et un découragement croissant des personnels en poste . En conséquence, les services d'investigation et en particulier ceux de sécurité publique font face à de nombreuses vacances de postes et à un volume d'enquêteurs insuffisant pour traiter les stocks et les flux entrants de dossiers . Ainsi, en septembre 2022, 3,6 % des postes du corps de conception et de direction, 19 % des postes du corps de commandement et 15 % des postes du corps d'encadrement et d'application étaient vacants dans la sécurité publique ;
- opérationnelles , car le nombre de dossiers par enquêteurs est désormais déraisonnable pour permettre une conduite sereine des enquêtes. La moyenne nationale est de 104 dossiers par enquêteur dans les services de la sécurité publique. Le ratio de procédures par enquêteur peut cependant être bien plus élevé, comme à Beauvais où il atteint 261. Les services d'investigation en sécurité publique ne disposent ainsi plus du temps nécessaire pour réaliser une activité d'initiative, ni même pour traiter dans des conditions correctes leurs dossiers.
3. En bout de chaîne, un traitement dégradé des affaires judiciaires
À ces conséquences pour les enquêteurs s'ajoutent les conséquences pour la société . Tous les magistrats font ainsi le constat d'une dégradation constante de la qualité des procédures pénales . Sont en particulier déplorés la faible qualité des comptes rendus dans le cadre des permanences téléphoniques des services de traitement en temps réel des parquets, la méconnaissance de certaines règles procédurales pouvant entraîner des irrégularités, par exemple en matière de contrôles d'identité ou de garde à vue, ou encore des difficultés lors de l'établissement de convocations en justice.
La filière judiciaire de la police nationale apparaît donc aujourd'hui dans une crise profonde, constat partagé tant par la hiérarchie policière que la hiérarchie judiciaire, qui ne permet plus aux services concernés de faire face au flux des procédures. Les stocks constitués obèrent la capacité de traitement des nouveaux dossiers et accroissent les délais de traitement des procédures de manière incompatible avec les attentes des justiciables .
Plus encore, en raison des priorités de traitement, certains types d'affaires sont moins bien traités , car ils demandent de nombreux actes de procédure ou davantage de temps - c'est en particulier le cas des affaires en matière économique et financière, en grande souffrance aujourd'hui.
Le traitement judiciaire et la réponse pénale sont donc dégradés . Plusieurs instruments sont mis en place pour remédier à cette situation.
Pour faire un état des lieux des stocks au niveau des directions départementales de la sécurité publique, une dépêche conjointe des ministères de l'intérieur et de la justice du 31 mai 2021 relative au traitement des procédures judiciaires dans les services de police prescrivait un objectif de réduction des stocks et la transmission des inventaires de dossiers aux procureurs de la République.
Pour réduire les stocks de procédures, les parquets ont développé les orientations suivantes :
- l'organisation régulière d'opérations de « traitement en temps réel sur site » : elles consistent pour les magistrats du parquet à se rendre dans les commissariats de police pour y examiner les procédures et prendre une décision d'orientation. Il s'agit le plus souvent d'une décision de classement sans suite, en raison de la prescription de l'affaire ou de l'absence d'éléments ou d'actes d'enquête ;
- la mise en place de procédures alternatives aux poursuites ou de jugements plus rapides ou sans audience (comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, comparutions immédiates, ordonnances pénales, etc .).
Ces choix conduisent à des incompréhensions légitimes des victimes et à une image dégradée de l'institution et de la chaîne pénale.
En conséquence, un questionnement se fait jour sur la sortie d'un certain nombre d'actes délictueux d'un traitement judiciaire, avec le développement de la contraventionnalisation et des amendes forfaitaires délictuelles . En témoigne la volonté de généralisation de cette procédure à tous les délits punis d'une simple peine d'amende ou de moins d'un an de prison annoncée par le président de la République lors de son déplacement à Nice le 22 janvier 2022. Cette généralisation, proposée par la LOPMI, a été heureusement restreinte à l'initiative du Sénat. Elle pose cependant question quant aux solutions possibles face à cet engorgement du judiciaire.
II. LE PROJET D'UNE DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE, SELON UNE ORGANISATION EN FILIÈRES
A. L'HISTORIQUE DE LA RÉFORME
La réforme aujourd'hui proposée n'est pas nouvelle. Elle a été plusieurs fois envisagée mais jamais conduite à son terme .
L'actuel projet de départementalisation de la police nationale porté par le ministère de l'intérieur s'apparente davantage à une nouvelle version d'une réforme défendue antérieurement par différents ministres de l'intérieur.
L'idée remonte en réalité au début des années 1990 et au deuxième passage au ministère de l'intérieur de Pierre Joxe (mai 1988 - janvier 1991) 24 ( * ) . Sur proposition du DGPN de l'époque 25 ( * ) , le ministre lança dès le mois d'avril 1990 un ambitieux projet de territorialisation de la police nationale, avec le département comme échelon de référence. L'objectif affiché était, d'une part, d'être plus efficace dans la lutte contre la petite et moyenne délinquance et, d'autre part, d'unifier des services dont le morcellement était perçu comme une entrave à l'efficacité des politiques de sécurité. Une expérimentation a d'abord été lancée dans cinq départements 26 ( * ) , avant d'être progressivement étendue 27 ( * ) puis généralisée à partir du premier semestre 1993.
Concrètement, cette expérimentation s'est traduite par la création de directions départementales de la police nationale, dont le directeur, placé sous l'autorité du préfet, commandait, de manière organique et opérationnelle, les services des polices urbaines, des renseignements généraux et de la police de l'air et des frontières . En miroir de cette réforme a été créée, au niveau central, une direction centrale de la police territoriale (DCPT) qui a récupéré les prérogatives des trois anciennes directions centrales « métiers » concernées par la réforme. En revanche, les services de la police judiciaire n'étaient pas concernés par l'expérimentation 28 ( * ) .
La réforme n'a pas rencontré le succès espéré . Avant même sa généralisation, le syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN) avait par exemple alerté sur une « uniformisation des structures et des procédures » inachevée dans les départements d'expérimentation et sur l'absence d'organisation claire de la DCPT 29 ( * ) . Au Sénat, l'expérimentation avait également rencontré un certain scepticisme , le rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits du ministère de l'intérieur ayant notamment regretté l'absence d'une réflexion d'ensemble sur la territorialisation et d'association du Parlement dans le processus 30 ( * ) .
Au vu des remontées négatives des préfets, Charles Pasqua décida en avril 1993, un mois après son arrivée place Beauvau, d'un moratoire dans la mise en oeuvre de la départementalisation. L'expérience initiée par Pierre Joxe et poursuivie par ses successeurs Philippe Marchand et Paul Quilès, fut finalement définitivement clôturée par une lettre du ministre de l'intérieur aux préfets en date du 14 juin 1993 . Il y est fait mention de « correctifs » qui s'apparentaient de facto à un retour à la situation antérieure : la dimension départementale de la police nationale y repose sur de nouvelles DDSP en charge de la sécurité publique et sur l'établissement de plans départementaux de sécurité 31 ( * ) .
Charles Pasqua estima en effet que la départementalisation avait montré de trop importantes limites, notamment en ce qu'elle « a[vait] entraîné un important gonflement des effectifs d'état-major et suscité de réelles frustrations et une certaine démotivation sans que pour autant ses effets, en termes de sécurité, puissent être évalués » . Le rapporteur pour avis des crédits budgétaires « police et sécurité » au Sénat ne dressa pas un constat différent et indiqua dans son avis que, « en pratique, la départementalisation a[vait] multiplié les échelons de commandement, a[vait] provoqué une certaine démobilisation - notamment ceux des Renseignements généraux, isolés du préfet, leur interlocuteur naturel - et a[vait] abouti à une opacité croissante des services, érigés en directions départementales trop autonomes pour voir réellement fonctionner de concert » 32 ( * ) .
B. LES TENANTS ET ABOUTISSANTS DE LA RÉFORME AUJOURD'HUI PROPOSÉE
En novembre 2020, le Livre blanc de la sécurité intérieure a dressé « le constat d'une organisation de la police nationale qui ne donne plus satisfaction et de l'espoir très largement partagé d'une transformation ambitieuse. La police nationale souffre avant tout de son morcellement. L'état des lieux confirme une attente générale de pilotage renforcé et affirmé, conforté par un décloisonnement vigoureux et appuyé sur une déconcentration volontariste. ». Face à cette situation le Livre Blanc annonçait le projet de création de « directeurs territoriaux uniques de la police nationale », « projet ambitieux », destiné à « créer un opportun "choc de transformation", qu'il conviendra d'accompagner et de transformer en énergie positive ».
À l'échelle de la police nationale dans son ensemble , il s'agit de mettre fin au cloisonnement entre les filières (PAF, Renseignement, Sécurité Publique, Investigation) et d'avoir une approche de police commune, plutôt que la juxtaposition de polices. Le commandement départemental unique doit mettre fin aux conflits de compétences positifs et négatifs entre « polices ».
S'agissant de la police judiciaire , la création d'une filière d'investigation unique est destinée à venir en aide aux enquêteurs des services de sécurité publique actuellement en grande difficulté. Ces services sont en effet marqués par un faible taux d'encadrement, une forte rotation des personnels et une accumulation de procédures, tous facteurs participant à une baisse des taux d'élucidation.
Le ministère de l'intérieur a choisi de concentrer son projet de réforme de l'organisation territoriale des services de la police nationale à l'échelon départemental. Il s'agit de rassembler la plupart des services opérationnels, à savoir les services de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement dans de nouvelles « directions départementales de la police nationale » (DDPN), dont le directeur serait hiérarchiquement rattaché au préfet.
Ce projet est le prolongement logique du Livre blanc de la sécurité intérieure où il est notamment proposé de « déployer une approche transversale, décloisonnée et déconcentrée des missions de sécurité et d'adapter les organisations en conséquence ». Il n'a cependant pas fait l'objet d'une présentation formelle avant que les critiques émises par des personnels de police judiciaire n'attirent l'attention du grand public sur ce projet. Au moment de commencer leurs travaux, les sources disponibles aux rapporteurs se sont limitées aux déclarations orales du ministre de l'intérieur et du DGPN, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) au Sénat et de l'audition devant la commission des lois du 28 septembre 2022.
L'objectif du projet de réforme tel qu'il est exposé par le ministre de l'intérieur dans une lettre adressée le 9 octobre 2022 aux personnels de la DCPJ est de « décloisonner l'ensemble des services de police au niveau national et au sein de chaque département, afin de les faire mieux travailler ensemble, sous l'autorité d'un unique directeur départemental de la police nationale ». Concrètement, ce regroupement concernerait les services de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement territorial (pour ce dernier la réforme aurait cependant peu d'impact puisqu'il est déjà intégré à la direction centrale de la sécurité publique et rattaché territorialement aux directions départementales de la sécurité publique). La conséquence serait la création d'une filière investigation unifiée, regroupant l'ensemble des enquêteurs actuellement répartis entre les services, et où les dossiers seraient répartis selon plusieurs niveaux de difficulté.
La portée de cette réforme n'a finalement été précisée qu'au travers des retours sur la mise en oeuvre des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et sur l'évaluation des expérimentations engagées.
III. UNE CONDUITE À VUE DU PROJET DE RÉORGANISATION
Dans le prolongement des recommandations du livre blanc de la sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a ainsi engagé à partir de la fin 2019 un projet d'unification des différents silos de la police nationale à l'échelle départementale et selon une logique de filière métier . La première étape de cette réforme a consisté en une expérimentation de ce nouveau schéma organisationnel dans plusieurs territoires d'outre-mer ainsi que dans huit départements hexagonaux.
Si trois années se sont écoulées depuis le lancement des premières expérimentations, il demeure extrêmement délicat d'établir un bilan. Quelques points de satisfaction émergent indéniablement s'agissant des directions territoriales de la police nationale (DTPN) mises en place dans les outre-mer. Compte tenu de la spécificité de ces territoires, il serait néanmoins imprudent de déduire de ces seuls retours d'expérience la pertinence de la réforme à l'échelle nationale. Les premiers éléments d'évaluation des huit directions départementales de la police nationale (DDPN) hexagonales laissent quant à eux transparaître des résultats hétérogènes et à la portée concrète réduite, voire inexistante dans plusieurs cas . La conduite « à droit constant » de ces expérimentations faisant obstacle à toute modification d'ampleur des organigrammes ou réaffectation de personnels, leur succès repose de fait sur la bonne volonté des parties prenantes et sur la personnalité et le profil du DDPN préfigurateur. Si de véritables gains organisationnels et opérationnels peuvent être décelés dans certains départements, en particulier en Savoie, nombre de DDPN s'apparentent davantage à des « coquilles vides » dont la mise en place n'a eu aucun effet sur les pratiques existantes .
Les rapporteurs estiment néanmoins que ces expérimentations ne sont pas dépourvues d'enseignements, en ce qu'elles permettent, d'une part, d'entrevoir les gains potentiels de la réorganisation et, d'autre part, de mettre en évidence les nombreux défis qui devront être surmontés pour mener à son terme une éventuelle généralisation des DDPN. L'insuffisance de la préparation du projet de généralisation porté par le ministère de l'intérieur est à cet égard manifeste. Le manque de concertation et le caractère erratique de la communication ont directement alimenté les doutes autour d'un projet lui-même inabouti, aux contours flous et changeants . Le projet a ainsi suscité dans les rangs de la police judiciaire une levée de boucliers d'autant plus notable que cette institution est réputée pour sa discrétion. Il doit par ailleurs être relevé que ce conflit qui s'est cristallisé au cours de l'été 2022 s'étend également à la sphère judiciaire. Les procureurs ont notamment exprimé de vives inquiétudes quant aux conséquences de la réforme sur les prérogatives du parquet en matière de libre-choix du service instructeur ou de direction des investigations. Ce faisant, le projet de départementalisation de la police nationale s'est progressivement imposé comme un sujet incontournable dans l'agenda politique et médiatique.
A. DES EXPÉRIMENTATIONS À GÉOMÉTRIE VARIABLE ET AUX ENSEIGNEMENTS MODESTES
1. Une expérimentation de la réorganisation progressive et selon des modalités variables
La préparation du projet de réorganisation de la police nationale s'est constituée autour de quatre vagues successives d'expérimentation dans sept territoires d'outre-mer et huit départements hexagonaux . Les premières DTPN ont été créées il y a trois ans en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, tandis que les DDPN les plus récentes ont vu le jour il y a tout juste un an ( cf. carte ci-après ).
Si les principes directeurs guidant ces quinze expérimentations sont similaires, les réalités qu'elles recouvrent s'avèrent particulièrement diverses . Toute tentative de bilan de ces expérimentations suppose dès lors de s'astreindre à plusieurs précautions méthodologiques.
Il existe premièrement une différence majeure entre le projet tel qu'il est conduit dans les outre-mer et dans l'Hexagone . Les DTPN ultramarines disposent d'un fondement juridique ad hoc 33 ( * ) , ce qui a concrètement permis de remodeler l'organigramme et d'opérer des réaffectations de personnels, tandis que les DDPN hexagonales ont été mises en place à droit constant. Les DDPN préfigurateurs ne s'appuyant que sur une lettre de mission, leurs marges de manoeuvre sont de facto minimes. Comme l'a reconnu le DGPN le 28 septembre 2022 lors de son audition par la commission des lois, « l'efficacité du dispositif repose principalement sur la bonne volonté des personnes concernées ».
Deuxièmement, les conséquences de l'expérimentation peuvent être significativement différentes selon les caractéristiques intrinsèques du territoire concerné . Les caractéristiques de la délinquance locale peuvent ainsi rendre plus ou moins pertinente la nouvelle organisation. Si l'on prend l'exemple des outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française se démarquent par une délinquance relativement contenue tandis que des départements tels que la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe ou encore Mayotte doivent composer avec des infractions beaucoup plus violentes ou des taux d'homicides très largement au-dessus de la moyenne. De même, l'impact de la réorganisation est plus ou moins marqué selon l'organisation locale des services de la police nationale et de l'autorité judiciaire . Il est logiquement plus ou moins perceptible selon le degré d'implantation de la DCPJ et de la DCPAF ou le nombre de juridictions judiciaires présentes sur le ressort du département 34 ( * ) .
Chronologie des expérimentations dans les
départements
de l'Hexagone et des outre-mer
* L'expérimentation a également débuté à partir respectivement des 1 er janvier 2020 en Nouvelle-Calédonie et 2022 en Polynésie française ; le lancement des expérimentations a également été anticipé aux Antilles à la fin de l'année 2021 du fait du conflit social en cours.
Source : commission des lois du Sénat 35 ( * )
2. Un bilan relativement positif dans les outre-mer, mais des marges de progrès qui subsistent
Les DTPN mises en place dans les territoires d'outre-mer concernés par les expérimentations sont conformes en tout point à la logique de nouvelles « filières métier » au coeur du projet de réforme. S'agissant de la police judiciaire, les services territoriaux de la police judiciaire (STPJ) sont, sous réserve de quelques exceptions 36 ( * ) , le résultat de la fusion de l'ensemble des services de la DCSP, de la DCPJ et de la DCPAF exerçant des missions de police judiciaire . Hormis en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte ( cf. encadré infra ), le choix a été fait de structurer la filière en fonction des degrés de gravité des infractions . Ce faisant, le champ de compétence de l'ensemble des services d'enquête a été pour l'essentiel préservé et les personnels ont dans l'ensemble pu continuer à exercer leurs missions dans leur coeur de métier.
L'organisation du STPJ issue de la réforme repose schématiquement sur trois divisions distinctes dont la compétence correspond au « niveau » des infractions relevées : la division de l'appui judiciaire (DAJ) pour le niveau 1 ; la division de l'investigation de proximité (DIP) pour le niveau 2 ; la division de l'investigation spécialisée (DIS) pour le niveau 3.
L'organisation du STPJ à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie
Un choix différent a été fait à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, où les STPJ issus de la réforme ne sont pas calqués sur le niveau de gravité des infractions mais organisés autour d'unités thématiques :
- une organisation mahoraise autour de trois pôles : le premier traite les infractions liées à l'immigration et reprend les anciennes prérogatives propres de la PAF. Le deuxième opère le traitement judiciaire en temps réel des infractions de droit commun, tandis que le dernier est construit autour de « groupes d'enquêtes spécialisés » visant à traiter le haut du spectre de la délinquance. Alors que Mayotte ne comportait pas de service de police judiciaire avant la réforme, celle-ci a permis un indispensable rapprochement avec la « sphère PJ » ;
- la création de cinq unités en Nouvelle-Calédonie traitant de catégories d'infractions déterminées : il s'agit des unités de traitement judiciaire, d'atteintes aux personnes, d'atteintes aux biens, de lutte contre les stupéfiants et l'unité économique et financière. L'autre particularité de la Nouvelle-Calédonie réside dans le maintien d'une compétence judiciaire autonome pour les services de la PAF , exclusivement en matière de travail dissimulé et de fraude documentaire. Une réflexion est néanmoins en cours quant à l'adoption de l'organisation par niveaux d'investigation.
L'expérimentation du modèle STPJ dans les outre-mer s'est traduite par des effets positifs réels mais dont la portée reste limitée . Les DTPN entendus par les rapporteurs ont unanimement mis en avant les avantages retirés de la réforme, parmi lesquels l'unicité de commandement, la fluidité de la circulation de l'information entre les filières, la possibilité d'une allocation plus fine des moyens par un STPJ disposant d'une vision globale d'allocation des moyens ou encore la prise en charge des déferrements par les services de sécurité publique, délivrant ainsi les personnels de la police judiciaire de tâches chronophages et extérieures aux enquêtes. Concrètement, ces progrès peuvent par exemple se matérialiser par l'établissement d'un état-major unique rédigeant des notes de synthèse plus largement partagées ou par la mise à disposition d'une fréquence radio commune.
En pratique, certaines difficultés ont néanmoins été rencontrées dans la mise en oeuvre de la réorganisation . Comme le relève l'audit réalisé à la demande du ministère de l'intérieur sur la mise en place des DTPN 37 ( * ) , celle-ci a pu se traduire à ses débuts pas une diminution de la rémunération de certains agents en Guyane ou par des redéploiements de matériels entre les services particulièrement mal vécus par les personnels. Par ailleurs, le cloisonnement des systèmes informatiques entre les différents services est presque systématiquement présenté comme un facteur bloquant.
Les DTPN entendus par la mission d'information estiment néanmoins que la réforme a permis de surmonter les limites d'une coopération entre les différentes composantes de la police nationale principalement informelle et dépendante du volontarisme des acteurs . Certains dressent un bilan particulièrement élogieux de la nouvelle organisation, par exemple à Mayotte, où elle est décrite comme « mature depuis septembre 2022 », en Nouvelle-Calédonie, où « le sentiment d'appartenance à cette nouvelle entité est aujourd'hui ancré dans les esprits » ou encore en Guyane où elle est qualifiée de « réussite ».
Les magistrats sont en revanche plus partagés sur les conséquences de la réorganisation, avec des appréciations qui peuvent considérablement varier . La plupart des magistrats du parquet interrogés par les rapporteurs relèvent l'absence d'évolution significative dans le traitement des affaires judiciaires, avec quelques gains marginaux 38 ( * ) . Les modalités de mise en oeuvre de la réorganisation se sont en revanche avérées particulièrement dysfonctionnelles dans certains territoires . Le procureur de la République à Fort-de-France se montre ainsi particulièrement critique. En Martinique, il aurait été signifié au parquet en début d'expérimentation que seul le DTPN pouvait être saisi, tandis que le DTPN et le chef du STPJ imposeraient au quotidien d'être les seuls interlocuteurs du parquet, en particulier au cours des réunions bimensuelles de police judiciaire. A également été évoqué un cas où les premiers relevés d'une scène d'homicide auraient été effectués par un fonctionnaire de la PAF qui n'était par nature pas formé à la gestion de ces dossiers sensibles.
In fine , le bilan de l'expérimentation des DTPN en outre-mer peut être regardé comme plutôt positif . Les voix divergentes demeurent minoritaires et les rapporteurs considèrent, sans les sous-estimer, que les difficultés soulevées sont transitoires et ne remettent pas en cause la pertinence de la réforme dans ces territoires.
Ils estiment néanmoins que les résultats demeurent modestes et ne sauraient présager du bien-fondé de cette nouvelle organisation de la police nationale en métropole . De par leurs spécificités, les territoires d'outre-mer constituent en effet un terrain bien plus favorable à la réforme que l'Hexagone . Le bassin de délinquance y est par nature local, tandis que l'insularité dispense en général de toute réflexion sur l'échelon de rattachement pertinent des effectifs de police judiciaire. Par ailleurs, de nombreux territoires ne bénéficiaient pas d'une implantation de la DCPJ, limitant d'autant les conséquences concrètes de la réorganisation. Certains territoires, à l'instar de Mayotte, ont enfin bénéficié de renforts d'effectifs importants sur la période récente, si bien qu'il peut être délicat de distinguer ce qui relève de la réorganisation en elle-même ou de facteurs exogènes dans l'amélioration des chiffres de la délinquance 39 ( * ) .
3. Dans l'Hexagone, des expérimentations « au jour le jour » pour des résultats très inégaux
a) Une contrainte du droit constant qui laisse les expérimentations au milieu du gué
Il est bien plus délicat de faire le bilan de l'expérimentation du « format DDPN » dans l'Hexagone. Celle-ci ayant été menée à droit constant, toute modification de l'organisation des services, de la nomenclature budgétaire ou encore de l'affectation des personnels était exclue. Comme l'a notamment souligné la direction des affaires criminelles et des grâces, « les DDPN n'ont en l'état pas d'existence légale » et « cette spécificité ne permet que difficilement d'évaluer l'ensemble des implications de [leur] création ». Dans la pratique, les rapporteurs ont en effet pu constater que la démarche s'apparente plus à des « cartes blanches » accordées aux DDPN préfigurateurs pour favoriser de bonnes pratiques qu'à des expérimentations en bonne et due forme .
On ne peut du reste que s'interroger sur le choix d'une méthode ne permettant pas la mise en place pleine et entière de l'organisation dont l'expérimentation est souhaitée . Il en résulte un biais systématique dans les conclusions pouvant en être tirées sur l'opportunité de la réforme, dans la mesure où il sera toujours possible d'affirmer que les gains observés auraient pu être obtenus en dehors de toute réforme structurelle. In fine , le principal intérêt de ces expérimentations est donc plus modeste. Il réside moins dans les améliorations effectivement constatées que dans la mise en évidence de celles qui pourraient potentiellement être obtenues si le dispositif était complètement déployé .
b) Des expérimentations dont la portée concrète peut varier du tout au tout
Les auditions et déplacements réalisés par les rapporteurs ont révélé une importante diversité de situations dans les départements concernés par l'expérimentation . Si certains se sont engagés pleinement dans la démarche, en particulier la Savoie, avec quelques résultats tangibles à la clé, certaines expérimentations semblent n'avoir donné lieu à aucune modification des pratiques et organisations existantes. À cet égard, l'exemple le plus frappant est celui de membres de l'autorité judiciaire qui, n'ayant pas été informés préalablement de l'expérimentation, ont indiqué aux rapporteurs n'avoir pris conscience de son existence que plusieurs mois après son lancement. Outre la contrainte du droit constant précité, cette grande hétérogénéité s'explique par la conjugaison de trois principaux facteurs :
- un facteur temporel : moins d'une année s'étant écoulée depuis le lancement de la deuxième vague d'expérimentation, le recul est limité. Il l'est d'autant plus qu'un moratoire de fait s'est appliqué en réaction à la multiplication des oppositions à partir de l'été 2022. Dans cinq des huit départements, la DDPN n'a donc réellement été mise en oeuvre que quelques mois ;
- un facteur méthodologique : l'équipe projet nationale a, dans un premier temps, fait le choix d'accorder une grande marge de manoeuvre aux DDPN préfigurateurs pour adapter l'expérimentation aux spécificités de leurs territoires. Ce n'est qu'à partir de l'été que le cadrage national a été renforcé ;
- un facteur humain : dans ce contexte, l'effectivité de l'expérimentation dépend directement, d'une part, de la capacité et de la volonté du DDPN préfigurateur pour la porter et, d'autre part, de l'assentiment du responsable de la filière investigation.
Les rapporteurs partagent la conclusion des inspections générales lorsqu'elles estiment qu' il existe deux catégories de DDPN avec, d'un côté, des expérimentations « dont la mise en oeuvre est ambitieuse et conforme aux objectifs initiaux des acteurs locaux » 40 ( * ) et, de l'autre, des DDPN « dans lesquelles la dynamique n'a jamais atteint ce niveau et est plus ou moins retombée mi-2022 au profit d'une réflexion, demandée par l'échelon central, sur les organisations cibles ».
Au niveau organisationnel, la mise en place des DDPN s'est traduite, dans le meilleur des cas, par la mise en place d'un état-major commun - par exemple en Savoie ou dans les Pyrénées-Orientales. L'organisation de réunions plus ou moins régulières entre les différentes unités judiciaires facilitent la circulation de l'information et, lorsqu'elles se font à « dossiers ouverts », l'établissement de rapprochements . À titre d'exemple, des réunions de coordination se tiennent sur une base hebdomadaire dans le Pas-de-Calais et mensuelle dans le Calvados. De même, les notes du renseignement territorial ou les synthèses de la sécurité publique sont plus largement partagées. S'agissant des conflits de compétence, la répartition entre les différents services est plutôt clarifiée et le besoin de protocoles moins prégnant 41 ( * ) .
Des gains opérationnels marginaux peuvent ensuite être relevés , en particulier du fait d'une répartition plus adaptée des missions entre les différents services exerçant des missions de police judiciaire. Dans la plupart des départements, le traitement judiciaire des étrangers en situation irrégulière interpellés est systématiquement opéré par la PAF, tandis que la prise en charge des déferrements revient à la sécurité publique. Ces évolutions sont probablement les manifestations les plus visibles et les plus répandues des expérimentations. Elles peuvent, par exemple, être retrouvées dans le Pas-de-Calais, le Haut-Rhin, l'Oise, le Calvados 42 ( * ) ou encore le Puy-de-Dôme. Il est également possible de citer la création ponctuelle de structures d'enquêtes ad hoc réunissant des personnels de différents services exerçant des missions de police judiciaire - à l'instar de la « task force » consacrée aux violences intrafamiliales ou de la nouvelle cellule « fraudes - avoirs criminels » dans le Pas-de-Calais, ou l'établissement de canaux radios communs.
Une allocation optimisée des moyens matériels , principalement ceux de la police technique et scientifique, ou numériques peut également être relevée, de même que la mise en place de formations communes .
De manière générale, les services centraux de la police nationale dressent un bilan plutôt positif de la réforme . La DGPN valorise trois principaux aspects : le renforcement de la coordination et de l'échange ; l'optimisation de la présence des effectifs sur le terrain ; un gain immédiat en efficacité sur différentes missions 43 ( * ) .
Du côté du ministère de la justice, un premier bilan contrasté avait été communiqué au DGPN par le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG), dans un courrier en date du 12 octobre 2021. Celui-ci faisait état d'un accueil plutôt favorable des juridictions situées sur les territoires d'expérimentation, dès lors que le niveau 3 était détaché de l'échelon départemental, d'une meilleure collaboration entre les services et d'une fluidification des co-saisines. Néanmoins, il avait également émis plusieurs points d'alerte . Le courrier mentionne ainsi « une application disparate qui a pu nécessiter des ajustements sur le terrain » du principe du libre choix du service enquêteur et, dans certains départements, « un non-respect du rôle des procureurs dans l'élaboration et la priorisation de la politique pénale ». Si ces difficultés semblent s'être pour partie résorbées, les rapporteurs estiment toutefois que ce premier bilan aurait dû servir de signe annonciateur des difficultés à venir.
Au-delà de ces frictions initiales, les expérimentations semblent avoir eu relativement peu d'effets sur le terrain . La principale évolution réside dans l'augmentation du nombre de co-saisines, mais dans de faibles proportions . Si certains procureurs de la République ont certes indiqué apprécier le fait de disposer d'un interlocuteur unique et mieux à même de les orienter vers le service d'enquête le plus pertinent, d'autres n'ont pas souhaité modifier leurs pratiques. Les rapporteurs estiment que ces différences tiennent moins à l'état d'avancement des expérimentations conduites localement qu'à la qualité des relations interpersonnelles.
Si les bénéfices retirés des expérimentations doivent être appréciés à leur juste valeur, les rapporteurs invitent néanmoins à les relativiser. Une part non négligeable d'entre eux résulte d'évolutions de bon sens qui auraient probablement pu être conduites en-dehors des DDPN. Du reste, ils ne sauraient masquer les difficultés structurelles auxquelles ont pu se heurter les préfigurateurs dans la mise en oeuvre de l'expérimentation. Il en va ainsi de l'éclatement des implantations immobilières qui pénalise lourdement la circulation d'information ou du cloisonnement des systèmes informatiques qui oblige parfois à jongler entre les différents droits d'accès. La mutualisation des fonctions supports de directions au zonage différents représente par ailleurs un défi considérable. Si ces difficultés sont aujourd'hui identifiées par la DGPN, elles n'ont pas été traitées dans le cadre d'expérimentations dont le périmètre n'incluait pas la mutualisation des fonctions supports et, dans tous les cas, leur résorption nécessitera du temps et des investissements de long terme.
Au-delà de l'aspect matériel, la bonne mise en oeuvre du projet suppose au préalable de trancher des questions de fond encore en suspens . Il en va ainsi de la nature de l'autorité exercée par les directeurs zonaux sur les directeurs départementaux - hiérarchique ou fonctionnelle - ou de celle exercée sur les services interdépartementaux de police judiciaire lorsqu'ils interviendront en-dehors du département de rattachement.
Ces avancées ne sauraient non plus masquer le fait que certaines expérimentations n'ont débouché sur aucune transformation concrète . Dans l'Hérault ou le Puy-de-Dôme par exemple, les travaux demeurent essentiellement prospectifs et visent à identifier des pistes d'amélioration sans traduction opérationnelle immédiate. Certaines expérimentations ont ainsi pu être qualifiées de « coquille vide ». Du reste, les rapporteurs ont été frappés par la coexistence de discours parfois radicalement différents selon les personnes interrogées . Pour un même territoire, l'expérimentation a ainsi pu être présentée dans une même journée comme positive par un interlocuteur et comme inexistante par d'autres.
La Savoie et l'Hérault : deux expérimentations aux réalités opposées
La Savoie et l'Hérault sont deux départements emblématiques de la diversité des expérimentations . Comme cela est relevé dans le rapport des inspections générales, la Savoie est le département où le projet est le plus abouti, tandis que l'expérimentation n'a pas dépassé un stade embryonnaire dans l'Hérault .
Outre la création d'un état-major commun, l'expérimentation de la DDPN en Savoie a notamment permis, au niveau opérationnel, la mise en place d'une unité commune aux niveaux 2 et 3 de la lutte contre les stupéfiants et, au niveau organisationnel, de bureaux communs d'analyse et des statistiques ou de maîtrise des risques, associant des effectifs de l'ensemble des filières. Le volontarisme du préfigurateur, l'implication de la filière investigation et l'association des personnels ont progressivement permis de construire l'adhésion autour d'un modèle mis en place par paliers. Des résultats quantitatifs peuvent par ailleurs être relevés , en particulier une augmentation de 10 % du taux d'élucidation et 30 % des enquêtes d'initiative. De manière générale, la Savoie a su exploiter au maximum un terrain favorable à la DDPN , notamment en ce qu'un projet de restructuration immobilière était d'ores et déjà engagé.
Il faut néanmoins souligner que la réorganisation a initialement suscité quelques frictions avec l'autorité judiciaire . Celles-ci sont notamment relevées dans le courrier du DACG au DGPN du 12 octobre 2021 où il est fait état de « l'absence de prise en compte des orientations de politique pénale définies par le ministère public », en particulier dans le domaine de la lutte contre le blanchiment, et de « l'inadéquation des moyens humains à certaines priorités nationales telles que les violences intrafamiliales, mais également en matière économique et financière ».
La réalité est toute autre dans l'Hérault, où les évolutions sont restées relativement superficielles . Si des groupes de travail visant à identifier des pistes d'amélioration ont été mis en place en début d'expérimentation, la dynamique s'est interrompue à partir de l'été lorsque des demandes de remontées d'organigramme ont été effectuées par l'équipe projet nationale. Ce revirement de stratégie soudain a provoqué un sentiment de découragement chez les personnels. Le constat des députés Ugo Bernalicis et Marie Guévenoux dans leur rapport précité est à cet égard sans appel : « la réforme n'a en pratique pas été mise en oeuvre » 44 ( * ) .
Le meilleur résumé de ce paysage disparate provient finalement de la DCPJ, qui a indiqué aux rapporteurs qu'il existait « autant de modèles de DDPN que de sites expérimentateurs ».
Au vu des limites intrinsèques de ces expérimentations, les rapporteurs considèrent qu'il n'est pas possible d'en tirer des conclusions définitives sur l'opportunité d'une généralisation immédiate. Elles ont néanmoins le mérite de mettre en évidence les bénéfices qui peuvent être attendus de la réforme autant que l'ampleur des défis qui devront être surmontés pour la mener à bien.
B. LA GÉNÉRALISATION DES DDPN : UNE PRÉPARATION DÉFAILLANTE ET UNE MISE EN oeUVRE DÉSORDONNÉE
Alors même qu'aucune évaluation globale des expérimentations n'avait été réalisée, le ministère de l'intérieur a entendu généraliser les DDPN à l'ensemble du territoire national à compter du 1 er janvier 2023. Les rapporteurs ne peuvent que constater que les conditions n'étaient pourtant pas réunies pour conduire sereinement une réorganisation aussi ambitieuse dans des délais aussi contraints . Dès l'origine , la préparation de la réforme a souffert de multiples carences. Sur le fond, le projet en lui-même n'était manifestement pas abouti et comportait de trop nombreuses inconnues pour pouvoir emporter l'adhésion des parties prenantes. La stratégie s'est également avérée défaillante sur la forme, le déficit de concertation avec les parties prenantes et une communication discutable ayant lourdement pesé dans la cristallisation des oppositions à la réorganisation. Cette préparation insuffisante s'est prolongée par une conduite peu lisible, voire confuse, du projet de réorganisation , laquelle est encore venue renforcer les inquiétudes des agents et des magistrats.
1. Des travaux préparatoires manifestement insuffisants
a) Sur le fond, un projet encore inabouti
Le premier écueil auquel s'est heurté le projet de réorganisation est de nature chronologique : l'annonce de la généralisation des DDPN est intervenue alors même que les contours du projet n'étaient pas finalisés . De manière générale, les rapporteurs considèrent que le projet du ministère de l'intérieur a souffert d'un important déficit de préparation . Celui-ci est notamment illustré par :
- l 'insuffisance des travaux préparatoires au niveau central : où le sujet n'a plus fait l'objet de discussions de grande ampleur depuis la parution du Livre blanc sur la sécurité intérieure, lequel se limitait déjà à des orientations générales sur le sujet ;
- la mise en place d'expérimentations structurellement limitées : d'une part car celles-ci ont été réalisées à droit constant dans l'Hexagone et, d'autre part, en raison de l'insuffisance du cadrage initial . Comme cela est confirmé dans les audits, le choix initial de la direction de projet d'accorder une grande liberté aux DDPN préfigurateurs a pu parfois leur donner le sentiment d'être démunis face à un projet dont les objectifs et les modalités n'étaient pas explicites ;
- l'absence de tout processus anticipé et centralisé d'évaluation des expérimentations : de fait, le lancement des audits n'a été décidé qu'en réaction aux mouvements de protestation contre la réforme. Si leur publication a in fine contribué à objectiver les débats, l'absence de retour d'expérience formalisé a initialement favorisé le développement de rumeurs et fortement pénalisé la lisibilité de la réforme . Au cours de leurs travaux, les rapporteurs ont ainsi été frappés par la coexistence de lectures tout à fait antagonistes et s'appuyant parfois plus sur des ressentis personnels que sur des exemples concrets ;
- la conduite d'expérimentations à l'échelle départementale sans modification parallèle au niveau central : cette déconnexion, difficile à éviter, a néanmoins engendré d'importantes difficultés de positionnement pour les acteurs . Comme cela est relevé dans les audits : « il en est résulté un réel éloignement avec les directeurs des services actifs, qui ne sont plus sentis redevables de l'action de ces services territoriaux. Les DDPN préfigurateurs ont, de leur côté, presque unanimement regretté l'absence de cadrage de la réforme par les directeurs des services actifs » 45 ( * ) .
Compte tenu du calendrier très ambitieux de la généralisation, cette insuffisance originelle des travaux préparatoires n'a pu être surmontée en temps utile. Les rapporteurs ne peuvent que constater que le modèle dont la généralisation était proposée posait plus de questions qu'il n'apportait de réponses . L'absence de tout document écrit et exhaustif de présentation de la réforme est à cet égard révélatrice . Si le DGPN a présenté les grandes lignes de la réorganisation devant la commission des lois le 28 septembre 2022, le détail du projet est longtemps resté nébuleux. Les personnes entendues par les rapporteurs ont quasi-systématiquement regretté cette asymétrie d'information , à l'instar du procureur général près la Cour de cassation qui a indiqué que « le projet étant toujours en cours de construction il restait délicat d'apprécier ses contours exacts et ses effets concrets » 46 ( * ) ou du syndicat Unité SGP Police/FSMI-FO de la police nationale qui a insisté sur le fait cette réforme n'était, à date, « basée que sur des annonces et de l'oralité ».
Cette situation a alimenté les spéculations sur les objectifs réels de la réforme et a d'emblée joué en sa défaveur auprès des personnels. De fait, ces derniers ne disposaient pas des éléments requis pour apprécier les répercussions de la réorganisation sur leur situation individuelle - que ce soit en termes d'affectation, de missions ou de rémunération - et l'acceptabilité du projet en a fortement pâti.
b) Sur la forme, un déficit de concertation et une communication erratique
Le second écueil rencontré par le ministère de l'intérieur est de nature méthodologique . Le succès d'une réforme aussi ambitieuse suppose à la fois une association étroite des parties prenantes et une stratégie de communication cohérente. Or, ces deux éléments n'étaient pas réunis dans le cas présent.
D'une part, le processus de concertation initial n'était pas à la hauteur des enjeux . Au sein de la police nationale, les organisations représentatives ont été, dans une certaine mesure, surprises par un projet de généralisation des DDPN dont elles n'ont découvert les contours et le calendrier que tardivement. Comme le résume le syndicat SCSI-CFDT, « la méthode employée par l'administration a généré de grandes incertitudes et une anxiété importante faute de lignes claires et d'une véritable concertation ». Ce n'est de fait qu'après les mouvements de contestation qui se sont produits au cours de l'été qu'un véritable processus de concertation a été enclenché.
Un bilan similaire peut être dressé s'agissant de l'association de l'autorité judiciaire. S'il est évident que la réforme de l'organisation de la police nationale relève de la seule compétence du ministère de l'intérieur, les conséquences de la création de la filière investigation sur l'activité du parquet auraient justifié une association plus étroite de la chancellerie . Celle-ci a certes été consultée mais dans des proportions qui n'étaient probablement pas suffisantes pour garantir l'adhésion des magistrats à la réforme. Aussi, le choix des départements expérimentateurs a été réalisé sans consultation de la DACG. Seules six réunions de suivi avec les juridictions expérimentales et l'équipe projet se sont ensuite tenues au cours de l'année 2021, lesquelles ont donné lieu à la transmission d'un bilan contrasté au DGPN le 12 octobre 2021 ( voir supra ) 47 ( * ) .
La DACG a ensuite procédé à un ajustement significatif des modalités de suivi des expérimentations : elle a institué un groupe de liaison permanent 48 ( * ) et s'est appuyée sur des rapports réguliers des procureurs concernés. L'existence d'un dialogue entre les deux ministères est donc incontestable, mais les rapporteurs constatent que celui-ci est resté timide, qu'il s'est le plus souvent établi à l'initiative de la DACG et qu'il apparaît parfois moins vivace localement . S'ils reconnaissent des efforts de concertation, nombre des magistrats du parquet entendus estiment que celle-ci a été insuffisante pour assurer une mise en oeuvre de la réforme pleinement respectueuse des prérogatives de l'autorité judiciaire.
D'autre part, la stratégie de communication déployée par le ministère de l'intérieur n'a fait que renforcer la confusion et les inquiétudes autour de la réforme . Les rares informations disponibles sur la teneur de la réforme ont ainsi été distillées par voie de presse ou par l'intermédiaire de lettres relativement laconiques, le tout sans cohérence évidente. L'exemple le plus frappant est celui de l'interview du 7 novembre 2022 49 ( * ) de Grégory-Hugues Frély, chef du projet de réorganisation, où sont précisés des éléments relatifs au calendrier - avec un report de la mise en oeuvre de la réorganisation du 1 er janvier 2023 au second semestre 2023 - ou à la méthode - avec une création au préalable des directions nationales en début d'année. Les rapporteurs jugent ce choix initial de communication, descendant et en-dehors des canaux officiels, discutable si ce n'est contreproductif . Combinée au flou persistant sur le fond de la réforme, cette communication plaçant les personnels devant le fait accompli a indubitablement favorisé le développement des oppositions.
2. Une conduite peu lisible du projet de réorganisation
Au-delà des erreurs initiales, la mise en oeuvre du projet de réorganisation a manqué de cohérence et de lisibilité . Si la phase d'expérimentation est marquée par une relative continuité, la conduite de la généralisation s'est révélée beaucoup moins fluide. De fait, elle s'apparente plus à une succession d'ajustements en réaction aux contestations qu'au déroulé d'une stratégie claire suivant un calendrier prédéterminé .
S'agissant du monde judiciaire, la lettre
précitée du DACG au DGPN du 28 octobre 2021 signalant
plusieurs difficultés dans la mise en oeuvre des expérimentations
a constitué un premier signal d'alerte
. Les rapporteurs
constatent néanmoins qu'une réponse a par la suite
été apportée
à la plupart des
problématiques soulevées. En dépit de quelques maladresses
initiales rapidement corrigées, le principe du libre choix du service
enquêteur a ainsi été respecté. S'agissant des cas
où la filière investigation a été sollicitée
pour renforcer les effectifs de sécurité publique, les
rapporteurs notent qu'ils étaient ponctuels et qu'ils n'excèdent
pas ce qui est requis au titre de la solidarité entre les services de la
police nationale.
Le véritable point de bascule se situe en réalité au début de l'été 2022 et est la conséquence directe d'un changement de stratégie au sein de l'équipe projet . Pour rappel, Grégory-Hugues Frély est devenu le nouveau titulaire du poste au mois de juin à la suite de l'éviction de Frédéric Dupuch 50 ( * ) . Cette modification de l'organigramme s'est accompagnée d'un revirement stratégique. Comme cela est noté dans les audits rendus par les trois inspections : « dès juillet 2022, le changement de logique de l'expérimentation - qui est passée d'une réflexion locale quasiment sans cadrage, à une demande de remontée de projets d'organigrammes à proposer à la centrale puis d'avis sur des organigrammes proposées par la centrale - a fortement perturbé les dynamiques locales, conduisant sauf exception à un désintérêt voire à un désengagement » 51 ( * ) . Cette inflexion a notamment été confirmée par un déplacement des rapporteurs dans l'Hérault, où ce retour soudain à un fonctionnement plus vertical a généré de l'incompréhension chez les personnels .
La multiplication des lettres adressées aux personnels est également symptomatique de ce pilotage « au jour le jour » de la réorganisation . S'ils visaient à apporter des réponses aux inquiétudes exprimées par les agents et les magistrats, ces courriers semblent plutôt les avoir alimentées. Ils n'apportaient, d'une part, que peu de précisions supplémentaires sur le contenu réel de la réforme , accréditant l'idée d'un projet inabouti. Ils pouvaient, d'autre part, donner le sentiment d'une certaine improvisation face au développement de la contestation . Du reste, le recours aux courriers ne saurait se substituer à une concertation en bonne et due forme. Trois lettres de cette nature ont été produites :
- une lettre du DGPN aux agents de la DCPJ, en date du 30 août 2022 : Frédéric Veaux rappelle d'abord brièvement les grandes lignes de la réforme puis en présente les principales justifications. Il assure ensuite qu'« aucun agent de la police judiciaire ne sera contraint de changer de métier, ni de résidence administrative" avec cette réforme », que les agents de la DCPJ conserveront une compétence interdépartementale et que « le libre choix du service enquêteur appartient à l'autorité judiciaire et ne peut pas être remis en cause » ;
- une lettre du ministre de l'intérieur aux agents de la DCPJ, en date du 9 octobre 2022 : des garanties similaires sont apportées s'agissant des missions et du lieu d'affectation des agents, tandis qu'il est précisé que la cartographie de la DCPJ comme le libre choix du service enquêteur seront préservés. Enfin, le ministre annonce le lancement de la mission d'audit précitée sur les expérimentations, l'ouverture d'un cycle de concertation à leur issue et un report de la finalisation de la réforme au deuxième semestre 2023 ;
- une lettre du ministre de l'intérieur au garde des sceaux, en date du 18 octobre 2022 : Gérald Darmanin y insiste sur le fait que l'article 12-1 du code de procédure pénale garantissant le libre choix du service enquêteur ne sera pas remis en cause.
Chronologie du projet de réorganisation de la police nationale
Source : Commission des lois du Sénat
Le déclenchement précipité des audits et la mise en place d'un moratoire de fait sur les expérimentations de la seconde vague hexagonale sonnent également comme des constats d'échec . Il aurait été préférable qu'une évaluation des expérimentations ait été engagée avant la généralisation et non en milieu de processus, sous la pression des oppositions. On ne peut également que s'interroger sur le choix de poursuivre la mise en oeuvre au niveau national malgré l'interruption des travaux au niveau départemental, les assurances données d'attendre les conclusions des missions parlementaires et les premières garanties sur l'organisation territoriale énoncées par la LOPMI.
Ce pilotage à vue trouve une dernière illustration dans les reports successifs de l'entrée en vigueur de la réforme . Si la date du 1 er janvier 2023 a rapidement été écartée en réaction aux manifestations de l'été 2022, le calendrier est ensuite longtemps resté flou. Le ministre de l'intérieur a finalement annoncé devant la commission des lois du Sénat le 14 février 2023 une entrée en vigueur par paliers, avec la mise en place des directions zonales au mois d'avril 2023, d'une première vague de DDPN dans la quarantaine de départements qui ne sont pas concernés par l'organisation de la Coupe du monde de Rugby en fin d'été et d'une seconde vague sur le mois d'octobre 2023.
C. UNE RÉFORME MAL NÉE ET PORTEUSE DE NOMBREUSES INQUIÉTUDES
1. Une contestation quasi-généralisée et d'une ampleur inédite
Compte tenu des nombreuses carences observées dans la préparation puis dans le pilotage de la réforme de la police nationale, il était dans une certaine mesure inévitable que sa mise en oeuvre rencontre de fortes oppositions . Le conflit qui s'est ouvert au cours de l'été se démarque néanmoins de ceux qu'avait précédemment connus la police nationale sur plusieurs aspects.
Premièrement, il s'est installé au sein de services de la police judiciaire pourtant traditionnellement réputés pour leur discrétion . Le symbole le plus évident en est la création dans le courant du mois d'août de « l'Association nationale de la police judiciaire » (ANPJ), dont l'objet est spécifiquement de protester contre la réforme envisagée. Celle-ci revendiquait 2 000 adhérents au cours de l'automne.
Deuxièmement, cette mobilisation se distingue par son ampleur et son intensité . Si plusieurs actions de protestation ont eu lieu au cours de l'été, le conflit a franchi un palier à la suite de la visite du DGPN jeudi 6 octobre dans les locaux des services de la police judiciaire de Marseille . Celle-ci s'est achevée dans une atmosphère particulièrement tendue lorsque le DGPN a dû traverser une haie de policiers silencieux pour sortir des locaux. Le directeur de zone Sud de la police judiciaire, Éric Arella, a été démis de ses fonctions le lendemain. La mise à pied de cette figure emblématique de l'institution a encore avivé les tensions dans les rangs de la PJ et s'est immédiatement traduite par des rassemblements d'enquêteurs dans tout l'Hexagone en signe de soutien. Des manifestations se sont ensuite tenues sur un rythme régulier au cours de l'automne et avec des niveaux de participation significatifs. À titre d'exemple, entre 2 200 52 ( * ) et 4 500 personnes auraient pris part aux défilés organisés dans 36 villes le 17 octobre 2022.
Après un certain tassement, la mobilisation semble avoir repris de la vigueur sur la période récente . Une manifestation s'est notamment tenue le 6 février dernier, pour laquelle l'ANPJ revendique 1 100 participants, avant un nouveau rendez-vous fixé au 11 mars.
Troisièmement, l'opposition ne se limite pas aux effectifs des services de la police judiciaire mais s'étend au monde judiciaire . Ainsi, de nombreuses voix s'y sont élevées contre cette réforme, parmi lesquelles celle de François Molins, procureur général près la Cour de cassation, qui a alerté sur son caractère « dangereux » le 31 août 2022 53 ( * ) . Fait rare, le Conseil supérieur de la magistrature a également exprimé « sa profonde préoccupation » dans une communication du 26 octobre 2022 54 ( * ) . Au-delà de ces exemples emblématiques, l'opposition à la réforme semble s'être largement diffusée au sein de la sphère judiciaire en général et de la magistrature en particulier , comme a pu en attester la participation de certaines professions aux manifestations.
Quatrièmement, ce conflit a bénéficié d'une médiatisation très importante . Force est de constater qu'il s'est progressivement imposé dans l'agenda médiatique, jusqu'à être traité de manière quasi-quotidienne dans les médias au plus fort de la crise . À titre d'exemple, une tribune intitulée « Le projet de réforme de la police judiciaire menace l'efficacité des enquêtes et l'indépendance de la justice » co-signée par un collectif de plus de 350 magistrats, policiers et citoyens a été publiée le 31 août 2022 dans le journal Le Monde .
2. Des inquiétudes nombreuses et persistantes
De par ses effets potentiels sur la police judiciaire, le projet de départementalisation de la police nationale suscite de nombreuses inquiétudes, et ce tant au sein de l'institution police nationale que de la magistrature . Au-delà des incompréhensions découlant des choix méthodologiques et de communication du ministère de l'intérieur, le fond du projet génère en lui-même de vives réactions.
S'agissant de la police nationale, la première inquiétude a trait au risque de dilution de la police judiciaire dans les nouvelles DDPN . La crainte que la création de la filière investigation ne conduise à éloigner les enquêteurs de leur coeur de métier pour les réorienter vers le traitement de la délinquance du quotidien a systématiquement été évoquée au cours des auditions. La lutte contre le « haut du spectre » réclame non seulement une importante technicité, mais également du temps et de la disponibilité. Elle ne saurait donc être pilotée à travers des objectifs quantitatifs et de court terme. Selon cet argumentaire, il importerait de protéger « du flot de la délinquance du quotidien » un dispositif de police judiciaire certes perfectible mais qui a fait ses preuves depuis sa création. Largement répandue au sein de la DCPJ, cette crainte est résumée par l'ANPJ selon ces termes : « la DCPJ a compris qu'elle allait beaucoup donner pour ne rien recevoir en retour ».
Un autre point de crispation majeur concerne le choix du département comme échelon de base de la nouvelle organisation . La plupart des personnes entendues ont exprimé leurs réserves sur ce point en notant, d'une part, que la grande criminalité ne connaît pas de frontières et se caractérise par une forte mobilité des protagonistes et, d'autre part, que ce choix semblait aller à l'encontre d'une tendance à la régionalisation de l'administration, avec notamment l'exemple des juridictions interrégionales spécialisées par la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 55 ( * ) . Par prolongement, la question du maintien de la compétence interdépartementale des agents de la DCPJ représente encore à ce jour un sujet d'inquiétude important.
Le projet de réorganisation de la police nationale a également suscité d'importantes craintes au sein du monde judiciaire et en particulier des parquets . Les arguments qui ont le plus régulièrement été avancés au cours des auditions sont les suivants :
- le risque d'une remise en question du principe du libre-choix du service d'investigation : si le fait de disposer d'un interlocuteur unique à même de les orienter vers le service le plus pertinent a pu parfois être considéré comme une piste intéressante, les magistrats du parquet interrogés ont rappelé que, sauf à violer le ledit principe, la possibilité de pouvoir saisir d'autres niveaux que le DDPN devait être préservée ;
- le risque d'un amoindrissement du pouvoir de direction et de contrôle des enquêtes : dès lors que le DDPN déciderait seul de l'allocation des moyens, celui-ci pourrait, en théorie, les orienter vers les dossiers qu'il juge prioritaires. Le contrôle des enquêtes deviendrait alors purement formel, de même que le rôle du procureur dans la définition et la mise en oeuvre de la politique pénale sur le territoire ;
- un risque pour l'indépendance des enquêtes les plus sensibles : en ce que le rattachement hiérarchique direct du DDPN au préfet rendrait plus difficile pour lui de ne pas faire état de l'avancement des enquêtes ;
- un risque pour la préservation du secret des investigations : si la « culture du secret » est prégnante au sein de la DCPJ, les magistrats relèvent que cela est moins marqué au sein de la DCSP. De leur point de vue, leur réunion au sein de la filière investigations pourrait donc créer une certaine porosité favorisant les fuites ;
- le risque d'une perte de compétence sur le haut du spectre : la crainte que les enquêteurs de la DCPJ soient absorbés par des dossiers du quotidien est largement partagée par les magistrats. Si des garanties ont été apportées sur ce point par le ministre de l'intérieur et le DGPN, la crainte existe néanmoins que cette distinction entre services spécialistes et généralistes s'étiole au fil du temps et se traduise par un affaissement progressif de l'expertise de la DCPJ.
3. Une réforme désormais sous le feu des projecteurs
En conséquence de cette crise, le sujet de la réforme de la police nationale a été saisi par le pouvoir politique . En complément des audits, trois missions de contrôle parlementaire ont été conduites et ont d'ores et déjà débouché sur la publication de deux rapports, l'un au Sénat 56 ( * ) , l'autre à l'Assemblée nationale 57 ( * ) .
En outre, le sujet a déjà fait l'objet de discussions en commission et en séance publique dans le cadre de l'examen de la LOPMI . Un amendement des rapporteurs a ainsi été adopté en commission en première lecture au Sénat visant à garantir que la mise en place des DDPN se fasse « sous réserve des spécificités de la police judiciaire » 58 ( * ) . La version finalement adoptée du rapport annexé précise également que la mise en oeuvre tiendra compte des conclusions des différents rapports précités et comprend plusieurs garanties : la consultation des représentants syndicaux, le conditionnement du changement de mission ou d'affectation à l'accord des agents ou l'absence de modification de la cartographie actuelle des services de la police judiciaire.
Si le rapport annexé à la LOPMI n'a pas en lui-même force de loi, cela démontre à tout le moins la volonté du Parlement d'exercer pleinement ses pouvoirs législatifs et de contrôle. De fait, la réforme de la police nationale se situe aujourd'hui dans un moment décisif . La remise en marche du processus à la suite de la parution des différents rapports administratifs et parlementaires ne va pas sans poser d'interrogations. L'objectif de mettre fin au fonctionnement en silos est partagé par les rapporteurs, mais force est de constater que le projet actuel du ministère de l'intérieur est mal né et que sa relance sous le format et le calendrier actuels ne va pas de soi .
DEUXIÈME PARTIE
REPENSER LA RÉFORME DE LA
POLICE NATIONALE EN LUI DONNANT DU TEMPS ET EN LA COMPLÉTANT PAR UNE
RÉFLEXION PLUS LARGE SUR L'EFFICACITÉ DE CE SERVICE PUBLIC
La réforme organisationnelle proposée par le ministre de l'Intérieur ne peut réussir que si plusieurs conditions sont réunies, ce qui ne semble pas être actuellement le cas. De surcroît, si cette réforme est utile, elle n'est pas suffisante pour véritablement répondre aux problématiques de l'investigation dans la police nationale.
I. LES CONDITIONS DE LA RÉUSSITE D'UNE RÉFORME D'UNIFICATION TERRITORIALE DE LA POLICE NATIONALE
Réforme interne à la police nationale relevant du pouvoir réglementaire du ministre de l'intérieur dans un contexte d'augmentation importante des moyens budgétaires, la réforme de la police nationale aurait dû poser peu de difficulté de mise en oeuvre. Mais les difficultés de conduite du changement déjà soulignées ont mobilisé les oppositions internes à ce projet, auxquelles le ministre entend désormais répondre.
Mal engagée, la réforme prévue repose sur un constat établi de longue date et partagé sur les difficultés de la police. Elle offre, principalement par l'unification du commandement au niveau départemental, la possibilité de mettre fin aux difficultés d'organisation. Elle souffre cependant de deux limites intrinsèques. Elle ne peut agir sur l'augmentation des attentes en matière de sécurité publique et des plaintes. Dans le périmètre administratif qui est le sien, elle ne peut par ailleurs produire ses effets que si elle parvient à forger des méthodes de travail communes sans dégrader la capacité d'enquête.
A. DES GAINS POTENTIELS RÉELS MAIS FORCÉMENT LIMITÉS : L'OBJECTIF DE CRÉER UNE RÉFORME « GAGNANT - GAGNANT »
1. Un projet de réforme de la gouvernance de la police nationale plus que de l'institution elle-même
Les rapporteurs ont pu constater lors des échanges avec de nombreux magistrats des territoires d'expérimentation que plusieurs n'avaient pas constaté de différence dans leur relation avec les services de police alors même qu'une expérimentation avait été mise en oeuvre, sans qu'ils en aient été informés 59 ( * ) . Ce qui démontre l'objet limité de la réforme envisagée : bien que le ministre de l'intérieur ait insisté lors de son audition sur l'importance de cette réforme, comparant son ampleur à celle de la fusion de la Sûreté nationale et de la Préfecture de Police de Paris en 1966, elle vise essentiellement à améliorer l'adéquation du fonctionnement des déclinaisons déconcentrées de plusieurs directions relevant d'une même direction générale, celle de la police nationale.
L'enjeu principal de la réforme est l'attribution des responsabilités opérationnelles et la rationalisation des moyens après des années de spécialisation et de dispersion qui ont abouti au paradoxe, souligné lors de son audition par le directeur général de la police nationale, de directions obligées à définir leurs interactions par voie de protocoles. Nombre d'améliorations sont d'ailleurs possibles à droit constant. Au-delà de celles mises en oeuvre dans le cadre des expérimentations, comme la mission d'escorte confiée à la sécurité publique, d'autres auraient sans doute pu être envisagées , comme l'a montré le travail, finalement non repris, mené par les trois responsables de la police judiciaire, de la sûreté départementale et de la police aux frontières pour le département de l'Hérault.
L'attribution d'un pouvoir hiérarchique à un directeur unique de la police nationale sur l'ensemble des services de police de son ressort est au coeur de ce que le rapport des inspections décrit comme une réforme de l'organisation et de la gouvernance de la police nationale. Son succès repose sur le décloisonnement entre les différentes missions quand il s'agit de mener des opérations relevant de plusieurs compétences « métier », mais aussi entre directions quand des agents effectuant les mêmes missions sont répartis entre différentes directions. Ceci est particulièrement vrai pour la fonction de police judiciaire, répartie entre la direction de la sécurité publique et une direction qui porte le nom de cette mission mais ne l'exerce pas dans son intégralité.
Cependant, l'ambition de la réforme est limitée . Elle porte sur le fonctionnement de la police au niveau territorial à missions constantes, pour mieux lutter contre des phénomènes identifiés par les pouvoirs publics, comme la délinquance du quotidien ou les violences intra-familiales. Mais elle n'est pas porteuse d'une ambition nouvelle pour la police nationale ou d'une réflexion sur ses missions. Le maintien de l'ordre ou les relations police-population ne seront affectés qu'indirectement par la réforme envisagée.
Le périmètre et les ambitions assumées de la réforme ne sont pas contestables et doivent être évaluées à leur aune. Elle doit changer les méthodes de travail et faciliter la prise de décision, mais il s'agit d'une réforme tendant plus à l'efficacité de l'institution qu'à une réflexion sur sa nature. Un travail plus approfondi sur ce qui constitue l'unicité de la police nationale au-delà de la juxtaposition de tâches de polices spécialisées confiées à des agents recrutés par un même concours pourrait cependant être engagé comme prolongement de la création des directeurs départementaux de la police nationale .
2. La fin des tuyaux d'orgues dans l'investigation
Si la création d'une filière investigation unique suscite tant d'inquiétudes, c'est non seulement du fait du changement dans la hiérarchie des personnels relevant de l'actuelle direction centrale de la police judiciaire, mais aussi parce qu'elle touche à la conception même que ces enquêteurs et les magistrats peuvent avoir de leur rôle en matière d'investigation . Comme cela a été rappelé et inscrit, à l'initiative du Sénat, dans le rapport annexé à la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023, la réforme ne saurait avoir pour effet de remettre en cause l'action en matière de lutte contre la criminalité organisée, complexe ou présentant un particulière gravité.
Mais la réforme repose également sur le constat que le partage des tâches entre la police judiciaire en sécurité publique et les services de police judiciaire n'est pas évident et conduit en pratique à des pertes d'efficacité . La création d'une filière d'investigation unique offre la possibilité de remédier à une partie au moins de ces difficultés.
La meilleure communication entre services est le premier point positif relevé par les inspections dans leur évaluation des expérimentations. Le partage d'information est une première nécessité de l'efficacité de l'action et l'intégration au sein d'une filière avec commandement unique fluidifie naturellement ces échanges.
À moyen terme, en unifiant la filière investigation, la réforme est également porteuse de deux types de rationalisations . La première est l'élimination de doublons pointés à de nombreuses reprises entre la filière judiciaire en sécurité publique et les services de police judiciaire, notamment dans la lutte contre les stupéfiants. La seconde est de nature technique, en suscitant l'harmonisation des logiciels permettant à tous les agents de disposer d'un même outil métier. Ces logiciels pourraient par ailleurs être mieux adaptés aux spécificités des métiers de l'investigation, leur inadéquation aux besoins des investigateurs ayant été unanimement décriée par les utilisateurs et reconnue par le ministre de l'Intérieur lors de son audition.
La réforme est également porteuse d'un meilleur recours aux compétences . L'appui apporté aux enquêteurs en charge de la délinquance du quotidien par ceux disposant de l'expertise sur le haut du spectre deviendra plus simple à organiser. Parallèlement, la répartition des tâches chronophages incombant souvent aux enquêteurs eux-mêmes, comme les escortes, pourra être opérée plus rationnellement, notamment par le recours aux effectifs en charge de la sécurité publique.
B. L'UNICITÉ DE COMMANDEMENT AU NIVEAU LOCAL
1. Un responsable hiérarchique dont l'indépendance par rapport au politique quant aux missions judiciaires de la police doit être assurée
a) Prendre la mesure du changement de perspective qu'implique le poste de DDPN
Le choix des futurs directeurs départementaux de la police nationale est un point qui a d'emblée préoccupé la direction générale de la police nationale. L'évaluation des expérimentations ayant fait apparaître que leur succès dépendait fortement de la qualité des personnes retenues comme préfigurateurs, la question du profil des futurs DDPN est essentielle. Or, à cet égard, si la connaissance de l'ensemble des composantes de la future filière judiciaire est incontournable, la nécessité d'une vision globale des différentes missions de la police s'impose également. Les actuels directeurs départementaux de la sécurité publique ont ainsi légitimement pu faire valoir leur expérience tant en matière d'interventions et de maintien de l'ordre que pour l'investigation judiciaire. Il n'est donc pas souhaitable que les futurs DDPN soient tous issus de la police judiciaire.
Dans une perspective de stricte gestion des ressources humaines, la création des DDPN aboutira nécessairement à la réduction des perspectives d'accès aux postes de direction pour les cadres des différentes filières de la police nationale . L'autorité du futur directeur doit donc être incontestable et son implication dans la gestion des différentes missions effective, afin ne pas conduire à la reconstitution de tuyaux d'orgue dont ses adjoints en charge des différentes filières seraient les véritables responsables.
A minima une formation spécifique à ce nouveau métier doit être mise en place avant toute prise de poste . Elle doit permettre aux futurs directeurs de créer et de gérer de véritables équipes de police nationale, capables d'agir conjointement et disposant de moyens pour assurer efficacement la grande diversité et la charge des missions qui leur sont confiées. L'Académie de Police de Montpellier pourrait être le lieu de ces formations.
C'est en tant que porteurs d'un nouveau projet et non en tant que représentants de l'une des filières métier qu'ils doivent mener leur action. Sélectionner ceux qui seront capables de porter et de mettre en oeuvre cette ambition sur le court et moyen terme est sans doute l'un des défis les plus ambitieux de la réforme et nécessite la définition d'un mandat clair et l'élaboration de méthodes de management adéquates.
b) La notation des futurs DDPN par les procureurs est un élément essentiel de l'équilibre de la réforme
Pour garantir la prise en compte des missions de la filière judiciaire, l'habilitation OPJ des futurs directeurs départementaux doit être systématique. Ceci permettra que leur action fasse l'objet d'une notation par les procureurs de la République. Cette note doit compter effectivement pour l'avancement des DDPN. De même, la note des OPJ postulant au poste de DDPN doit peser sur la possibilité pour eux d'accéder à ces fonctions.
Les rapporteurs considèrent que cette obligation d'habilitation et cette double notation systématique doivent également permettre de lever toute inquiétude quant à l'information des préfets sur les affaires judiciaires en cours. Comme l'ont souligné plusieurs magistrats, les réunions des DDSP et des directeurs des services de police judiciaire avec les préfets ont toujours fait partie de leurs missions. La compétence étendue sur la filière investigation des DDPN ne devrait pas poser plus de difficulté pour déterminer ce qu'il importe au préfet de connaître (et à quel moment) et ce qui relève du secret de l'enquête . À l'inverse, il incombera au DDPN de garantir ce secret, notamment en assurant que seules les informations non couvertes sont fournies à la presse par des agents placés sous son autorité . La culture des différents services en la matière a été présentée aux rapporteurs comme variable, au point, pour certains magistrats, de remettre en question la possibilité d'un état-major unique en matière d'investigation. Seule une attention rigoureuse à la déontologie professionnelle pourra prévenir d'éventuelles dérives liées à une plus grande circulation de l'information au sein de la filière judiciaire du département, mais le risque semble moins fort du côté de l'autorité préfectorale que de la presse, voire d'acteurs privés.
Ce n'est en fait pas tant au niveau des affaires sensibles que se joue le risque « d'immixtion » des préfets, la réforme n'apportant pas de réelle transformation dans l'interaction entre autorités policières et préfectorales. C'est plutôt dans la définition même de la politique pénale que pourrait naître une concurrence entre préfets et procureurs si des garanties suffisantes n'étaient pas mises en place.
Proposition n° 2 : Mettre en place une formation spécifique des futurs DDPN destinée à favoriser l'acquisition d'une vision véritablement transversale des missions et des moyens disponibles, ainsi que la maîtrise des leviers à mobiliser pour optimiser leur allocation. Prévoir l'habilitation en tant qu'OPJ comme condition pour l'accès à ces fonctions.
2. Une clarification nécessaire de la dichotomie entre autorité hiérarchique et fonctionnelle
Malgré la mise en place d'un commandement unique, les différentes spécialisations de la police nationale à l'échelon territorial n'ont pas vocation à disparaître. Or celles-ci doivent pouvoir s'appuyer sur des échelons territoriaux situés entre le département et le niveau national. Comme l'a souligné d'emblée le ministre de l'intérieur, les directions centrales de la police nationale n'ont pas vocation à disparaître et un échelon zonal sera également préservé. L'articulation entre des spécialisations qui doivent pouvoir dépasser le cadre départemental et l'unicité du commandement exercé par le directeur départemental de la police nationale s'effectuera au travers de la notion de filières et de la mise en place d'une dichotomie entre autorité hiérarchique - attribuée au DDPN - et autorité fonctionnelle - attribuée aux échelons supérieurs au sein de la filière.
La clarification des compétences de chacun et des moyens à leur disposition sera donc essentielle au bon déroulement de la réforme . Le fait que le DDPN soit secondé par des responsables des différentes filières au niveau départemental a été présenté aux rapporteurs comme la garantie qu'aucun aspect de l'activité policière ne pourrait être durablement négligé. En effet, l'absence d'intérêt d'un DDPN pour la filière investigation entraînerait un signalement à la hiérarchie fonctionnelle par son adjoint en charge de la filière au niveau départemental et un rééquilibrage. Cette solution est à la fois rassurante et inquiétante : rassurante car elle offre la possibilité d'une voie de recours face à une autorité unique qui n'exercerait pas sa mission dans toute son étendue ; inquiétante car elle offre la possibilité de création d'un contre-pouvoir susceptible de faire appel à l'échelon territorial supérieur pour remettre en cause les orientations prises par le responsable départemental.
Il est donc nécessaire que les échelons supra-départementaux des filières ne disposent que d'une autorité fonctionnelle sur les agents et que l'autorité hiérarchique relève du seul DDPN, qu'il exercera principalement au regard de la progression de carrière. Cela suppose de manière inséparable que des moyens suffisants soient mis à sa disposition. En effet, une autorité fonctionnelle disposant de la faculté d'allocation de moyens matériels assumera en pratique plus de responsabilités opérationnelles qu'une autorité hiérarchique réduite à une fonction de contrôle.
En matière de police judiciaire, la difficulté d'articulation peut se poser de manière encore plus nette. En effet, le code de procédure pénale définit l'autorité des procureurs de la République, qui assurent la direction de son exercice (article 12). L'article 19-1 dispose que : « La notation par le procureur général de l'officier de police judiciaire habilité est prise en compte pour toute décision d'avancement. » L'autorité d'emploi exercée par les magistrats, garantie par la loi, s'appuie ainsi sur la notation des fonctionnaires et la garantie d'une prise en compte de celle-ci.
Le risque pointé pour la filière judiciaire a donc été celui de la création d'une triple hiérarchie , celle du DDPN, de l'adjoint au directeur zonal en charge de la filière judiciaire et des magistrats en charge de l'enquête. Si la coexistence de liens hiérarchiques de nature différente existe déjà dans une certaine mesure, la réorganisation pourrait en effet accroître le risque de concurrence entre les autorités en présence. Face à la multiplication d'autorités, la nécessité pour les magistrats de trouver le bon interlocuteur sera renforcée. Les rapporteurs considèrent cependant que la réforme peut surmonter cette difficulté. De fait, le DDPN et ses services d'investigation resteront dans tous les cas soumis à l'autorité d'emploi du procureur pour l'exercice de leurs missions de police judiciaire.
La coexistence de deux autorités, hiérarchique et fonctionnelle au sein de la police nationale est une innovation du projet de réforme. Son succès repose sur la garantie que l'autorité fonctionnelle au sein des filières ne se transforme pas en autorité hiérarchique de fait. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de s'en assurer en définissant la répartition exacte des compétences entre les différents acteurs.
C. UNE RATIONALISATION TERRITORIALE QUI DOIT PERMETTRE DE CONTINUER À TRAITER L'ENSEMBLE DU SPECTRE DE LA CRIMINALITÉ
L'échelon départemental a fait l'objet de nombreuses critiques en matière de police judiciaire. Il constitue cependant l'échelle territoriale de référence pour le traitement de 98 % des faits de délinquance commis en zone police, actuellement traités par les DDSP. De même, plusieurs responsables de services de police judiciaire ont insisté sur le caractère départemental des affaires que leurs services sont amenés à traiter. La pertinence pratique de cet échelon territorial est donc réelle. Elle se retrouve d'ailleurs dans les choix d'organisation de la gendarmerie nationale.
Pour autant, les rapporteurs ont pu noter que plusieurs types de délinquance ou criminalité leur ont été présentés comme relevant par nature d'un échelon supra-départemental. La criminalité organisée et la grande délinquance économique et financière ont été systématiquement évoquées, la cybercriminalité le plus souvent et la délinquance itinérante parfois. Ces types d'affaires « impliquent des malfaiteurs par nature plus mobiles et moins ancrés dans un territoire géographiquement limité », selon l'expression de la direction des affaires criminelles et des grâces. À ceci s'ajoute le constat que la délinquance de proximité, singulièrement le trafic de drogue, n'est parfois que l'ancrage local d'un réseau organisé au niveau national voire international que l'action de proximité ne peut donc anéantir. Enfin, il peut s'avérer nécessaire de « dépayser » le traitement judiciaire des affaires sensibles, que celles-ci concernent les atteintes à la probité ou mettent en cause des fonctionnaires de police ou des personnalités locales.
À l'initiative du Sénat, le rapport annexé à la LOPMI a posé pour l'organisation territoriale future de la police judicaire et la répartition des compétences entre niveaux le cadre suivant : « le maillage territorial actuel sera maintenu et adapté aux évolutions des bassins de délinquance, aucun service de police judiciaire n'étant supprimé. Les offices centraux seront conservés et confortés par des antennes locales. Les offices centraux et l'échelon zonal seront privilégiés pour le traitement de la criminalité organisée, complexe ou présentant une particulière gravité. Pour assurer ses missions, l'échelon zonal de la police judiciaire disposera de moyens humains et budgétaires propres afin de garantir le bon traitement de ces infractions graves et complexes ». Sur la base de ces points faisant consensus, il convient donc de trouver la juste répartition du traitement des affaires judiciaires entre un niveau départemental parfois inadapté, un échelon zonal « bien trop éloigné du terrain » dans certains cas et trop restreint dans d'autres, et un échelon national dont les moyens doivent être préservés.
1. Un niveau national définissant la doctrine d'emploi de l'ensemble des services de police judiciaire, assurant la coordination et réalisant le traitement de la criminalité la plus complexe
En matière de police judicaire, le rôle du directeur national de la police judiciaire restera déterminant ; ses compétences seront de fait élargies par rapport à celles de l'actuel directeur central. Le rôle des offices centraux restera pour sa part inchangé.
C'est en effet d'une part au directeur national qu'il reviendra d'élaborer la doctrine en matière de police judiciaire, donc la manière d'accomplir cette mission, qui sera ensuite déclinée au niveau zonal puis départemental.
Surtout, le rôle des offices centraux, essentiels dans le traitement de la criminalité complexe et dont le rôle a été consacré par les différents plans et stratégies nationales, ne sera pas amoindri, ceux-ci n'étant touchés ni en eux-mêmes, ni dans leurs déclinaisons territoriales . Les rapporteurs considèrent qu'ils pourraient même être renforcés. L'annonce en octobre 2022 par le ministre de l'intérieur de la création d'un nouvel office central dédié à la lutte contre les violences faites aux mineurs vient conforter l'attachement à ces structures d'excellence.
En pratique, c'est donc la possibilité effective pour les procureurs de saisir soit le niveau national, soit les offices spécialisés qu'il importe de préserver.
Proposition n° 3 : Garantir la possibilité effective pour les procureurs et magistrats instructeurs de saisir directement le niveau national ou les offices centraux pour les affaires de criminalité les plus complexes.
2. Un niveau zonal de coordination et de traitement des affaires les plus complexes, nécessitant les interventions des offices nationaux ou une coordination des services de la zone
La direction centrale de la police judiciaire et la direction centrale de la police aux frontières sont aujourd'hui organisées territorialement par zones. Des directions zonales de sécurité publique ont également été créées en 2020 60 ( * ) . La réforme envisage d'intégrer ces différentes directions pour constituer un échelon zonal de la police nationale unifié.
Les six directions zonales s'inscrivent dans le périmètre des zones de défense et de sécurité. Leur création en sécurité publique était présentée comme permettant « de renforcer le pilotage de l'action des services et de recentrer les missions de la direction centrale sur la définition de la doctrine, de la stratégie, de l'analyse et de la prospective » . Échelon pertinent de gestion budgétaire, de contrôle de gestion et de contrôle interne, les directions zonales ont vocation à exercer ces responsabilités en lieu et place des 84 directions départementales actuellement concernées. Les directions zonales de sécurité publique (DZSP) assurent notamment, pour le compte de la sécurité publique, « la gestion des crédits d'aménagement et d'entretien, la conduite de la stratégie pluriannuelle zonale de travaux immobiliers, des plans de renouvellement automobile et d'acquisition des armements et moyens, ainsi que la mutualisation des moyens de maintien de l'ordre 61 ( * ) ».
La vocation des directions zonales de la police nationale (DZPN) semble en fait être plus large notamment, comme le souligne le rapport des inspections, parce que le directeur zonal « sera le premier à rendre compte au directeur général de la police nationale de la mise en oeuvre de ses instructions par les DDPN de son ressort ».
La question de l'implication opérationnelle du directeur zonal, superviseur des DDPN et potentiellement allocataire de moyens, ou de son adjoint en charge de la filière investigation, fait encore l'objet d'interrogations. D'après le rapport des inspections, elle ne pourra néanmoins être qu'exceptionnelle.
Souvent comparé à l'organisation territoriale de la gendarmerie, le projet de réforme s'en distingue pourtant sur un point essentiel s'agissant de la police judiciaire. Les acteurs de la police judiciaire et les syndicats ont en effet fortement insisté sur le rattachement régional des sections de recherche de gendarmerie. La recherche d'efficacité pourrait conduire à chercher en matière de police judiciaire une organisation équivalente, les moyens pour les affaires complexes étant fournis en appui aux directions départementales par la zone. Cette possibilité risque pourtant, dans le cadre d'une réforme de la gouvernance, de priver en pratique le DDPN de toute autorité réelle sur la filière investigation au profit de l'adjoint au directeur zonal en charge de la filière. Elle a été exclue par le DGPN.
Cependant, la nécessité de traiter à un échelon adéquat certaines affaires complexes ainsi que la relative adéquation entre le périmètre des directions zonales et celui des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pourrait conduire à envisager l'octroi à cet échelon de moyens d'investigation propres positionnés sur un segment particulier d'infractions. Cette solution créerait cependant une situation hybride entre la hiérarchie fonctionnelle du chef de filière zonal et l'autorité hiérarchique qu'il exercerait sur certains services à la main de la direction zonale ; elle permettrait néanmoins de répondre à certaines situations spécifiques nécessitant la mobilisation de moyens très spécialisés au niveau zonal. Cela pourrait notamment s'opérer par le déploiement d'antennes locales des offices.
Une solution opérationnelle complémentaire pourrait être de confier à l'échelon zonal la capacité de déclencher une action interdépartementale en matière d'investigation et l'intervention en appui des effectifs d'une direction départementale d'investigation au sein d'une autre direction du ressort .
Proposition n° 4 : Confier aux directions zonales la possibilité de mobiliser, à la demande des magistrats, des filières d'investigation en appui d'autres filières de leur ressort pour le traitement des affaires complexes ou interdépartementales ; conserver des moyens d'investigation au niveau zonal pour le traitement d'affaires nécessitant la mobilisation de services très spécialisés.
La direction zonale paraît également la mieux placée pour être l'interlocutrice des magistrats en charge des affaires sensibles nécessitant la saisine des services d'un autre département.
Proposition n° 5 : Prévoir la possibilité pour les magistrats de saisir la direction zonale dans le cas où une affaire sensible rendrait nécessaire de confier l'investigation à une autre direction départementale que celle où les faits se sont produits.
3. Au niveau départemental, généraliser l'organisation en trois niveaux de la filière investigation
C'est dans le ressort du département que devra s'articuler la gestion de trois niveaux de traitement de la délinquance : un traitement interdépartemental dans le cadre de compétences interdépartementales pérennes ; le traitement du spectre moyen des infractions aujourd'hui souvent mal pris en compte ; et le traitement de la délinquance quotidienne, dans le cadre de l'échelon de la police nationale le plus proche de la population, la circonscription .
Parallèlement au rôle que pourraient jouer les directions zonales dans le recours exceptionnel aux moyens d'un département en appui ou en substitution d'un autre, il convient de maintenir la compétence supra départementale de certains services de police judiciaire .
Conformément à la volonté du Parlement inscrite dans le rapport annexé à la LOPMI, le maintien en l'état la cartographie des services de police judiciaire conduira à ce que certains conservent des compétences interdépartementales. La prise en compte de cette situation doit conduire à ce que les DDPN du siège de ces services soient nommés directeurs territoriaux de la police nationale .
Il en découle la nécessité de confier au chef de la filière adjoint au DTPN une autorité fonctionnelle sur les chefs de filière investigation des départements de ce ressort.
Il sera parallèlement nécessaire de garantir la possibilité de saisine des DTPN par les procureurs des différents départements.
Proposition n° 6 : Conserver la compétence interdépartementale des services de police judiciaire existants et dénommer « directeur territorial de la police nationale » le DDPN du siège de ces services.
Proposition n° 7 : Garantir la possibilité de saisine directe des DTPN par les procureurs de l'ensemble des départements sur lesquels s'étend la compétence supra-départementale du service investigation.
Les rapporteurs ont entendu à plusieurs reprises que les sûretés départementales n'avaient de départementales « que le nom », étant de fait concentrées sur les affaires relevant de la ville principale, sans moyen d'étendre leur ressort géographique au-delà. Plusieurs directeurs départementaux ont dès lors regretté ne pas disposer de moyens spécifiques pour traiter le segment intermédiaire entre délinquance du quotidien et criminalité grave.
En effet, si l'ensemble des départements disposent d'un service dénommé « sûreté départementale », seuls neuf de ces services sont en fait des sûretés départementales autonomes distinctes de la sûreté urbaine de la circonscription. En l'absence de sûreté départementale autonome, les sûretés urbaines dont la compétence s'étend à l'intégralité du territoire des autres circonscriptions de la direction départementale de la sécurité publique prennent la dénomination de sûreté départementale et se voient alors attribuer les mêmes compétences que celles des sûretés départementales autonomes. Elles doivent cependant les exercer en sus de leurs compétences de sûreté urbaines, et ne se déploient donc que très peu sur le reste du département.
L'une des perspectives de la réforme est la possibilité de dégager des moyens supplémentaires, par optimisation mais aussi par apport d'effectifs nouveaux, afin de généraliser et de rendre conforme à leur dénomination les sûretés départementales en systématisant l'existence de sûretés départementales autonomes dans l'ensemble des départements.
Proposition n° 8 : Généraliser les sûretés départementales autonomes dans l'ensemble des départements, positionnées sur le traitement du spectre moyen des infractions.
Au niveau infradépartemental, les circonscriptions de police resteront , selon l'expression utilisée par le rapport des inspections, « le premier échelon de maillage territorial de la police nationale » avec des effectifs de sécurité publique et des services locaux de police judiciaire qui ont vocation à prendre en charge la réception des plaintes et le traitement de la délinquance du quotidien.
II. NE PAS RÉFORMER LA POLICE CONTRE LA POLICE : PRENDRE LE TEMPS D'ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT
A. DES CONDITIONS QUI NE SONT PAS AUJOURD'HUI RÉUNIES POUR CONDUIRE LA RÉFORME DE MANIÈRE SEREINE
1. Une généralisation des DDPN aujourd'hui prématurée
Si les gains potentiels de la réforme sont donc incontestables, les rapporteurs estiment que les conditions ne sont aujourd'hui pas réunies pour pouvoir les obtenir . La réussite de la réforme est en effet directement conditionnée par la finalisation de plusieurs chantiers d'envergure en matière de ressources humaines, de numérique et d'immobilier notamment.
La mise à niveaux des applications informatiques est à cet égard emblématique. Cet élément a systématiquement été cité comme une entrave structurelle au déploiement de la réorganisation. Les inspections générales mentionnent ainsi dans leur rapport le fait que « les difficultés numériques se sont révélées un frein majeur » 62 ( * ) et cite l'exemple de l'Oise, où le système d'information n'autorisait pas l'habilitation des membres du nouvel état-major sur les applications des filières dont ils n'étaient pas originaires. Or, le développement d'outils numériques métier transversaux est un projet de longue haleine dont il est irréaliste d'espérer qu'il puisse être mené à bien d'ici la fin de l'année 2023 . Du reste, ce constat n'a pas été démenti par Gérald Darmanin qui a regretté lors de son audition du 14 février 2023 par la commission des lois que le ministère de l'intérieur « ne [sache] pas mener des projets numériques ».
Le sujet de la modification des emprises immobilières est quant à lui incontournable . De fait, les expérimentations les plus prometteuses sont celles qui se sont tenues dans des départements où des projets de restructuration étaient déjà en cours. Il en va ainsi du nouvel hôtel de police d'Annecy en Savoie, dont les travaux avaient déjà été engagés et dont la livraison est attendue dans le courant de l'année 2024. L'objectif d'une meilleure circulation de l'information dépend directement de la possibilité, ou non, de rassembler les personnels sur un même site . Sur ce sujet, le ministre de l'intérieur a rappelé que 400 millions d'euros par an seraient consacrés à cette problématique dans le cadre de la LOPMI.
En outre, la généralisation des DDPN exigera une importante production règlementaire . Le ministre de l'intérieur estime ainsi entre deux et trois ans le temps nécessaire à l'édiction des près de 180 mesures d'application nécessaires au déploiement de la réforme. Le syndicat Unité SGP Police/FSMI-FO évoque le même nombre et évalue à 80 000 le nombre d'affectations individuelles à modifier. S'il est théoriquement possible d'adopter ces textes d'application au fur et à mesure, les rapporteurs considèrent que cette option doit être écartée. Alors que le flou sur le périmètre de la réforme est encore à ce jour une importante source de crispation, il est indispensable de lever les dernières ambiguïtés suffisamment tôt pour que les personnels disposent du temps nécessaire à l'appropriation de la nouvelle organisation .
Les rapporteurs en concluent que la généralisation des DDPN se heurte à des obstacles structurels qui ne pourront objectivement être surmontés d'ici à l'échéance de la fin 2023 . Des investissements importants ont certes été consentis en matière immobilière ou numérique, mais ils ne pourront porter leurs fruits qu'à moyen terme. Compte tenu des limites des expérimentations hexagonales, il ne peut par ailleurs par être exclu que d'autres obstacles à la réorganisation soient identifiés par la suite. Sur un plan social, l'acceptabilité de la réforme par les personnels suppose enfin de ne pas agir dans la précipitation . Aujourd'hui, force est de constater que le climat social dégradé est peu propice au lancement d'une transformation de cette envergure.
Les rapporteurs relèvent que le rapport produit par les inspections générales tend à confirmer cette analyse . Il y est ainsi mentionné que « des délais incompressibles sont nécessaires pour certaines opérations techniques liées à la réforme » 63 ( * ) . S'agissant du secteur numérique, il est également précisé qu'il résultera immanquablement de la réforme « une période transitoire durant laquelle le fonctionnement s'effectuera en mode dégradé, dans un contexte où le fonctionnement des outils numériques suscite déjà de vives critiques » 64 ( * ) . Surtout, il y est souligné que « la concomitance entre des réformes concernant les fonctions support et la nécessité d'accompagnement d'une réforme presque générale de la police nationale engendrent un risque systémique , à la fois en termes calendaires et sur les interactions entre les différents acteurs de la réforme » 65 ( * ) .
2. Garantir la sécurité des grands évènements à venir sans sacrifier la réforme : la nécessité d'un moratoire
La France va accueillir un nombre inédit d'évènements de portée internationale d'ici 2024, en particulier la coupe du monde de rugby à l'automne 2023 et les Jeux Olympiques et Paralympiques en juillet 2024. Les rapporteurs considèrent que généraliser les DDPN avant ces échéances serait à la fois précipité - car le projet demeure inabouti - et imprudent - dans la mesure où la désorganisation des forces de sécurité qui pourrait en découler ferait peser un risque majeur sur la sécurité des évènements .
Le choix de reporter à octobre 2023 la mise en oeuvre des DDPN dans les départements concernés par l'accueil de ces évènements est à cet égard révélateur. Preuve que le risque de désorganiser les services de police à l'approche d'évènements où ils seront en première ligne n'est pas que théorique , le ministre de l'intérieur lui-même a reconnu devant la commission des lois que le choix d'une entrée en vigueur par vagues de la réforme avait été dicté par cette préoccupation 66 ( * ) .
En ce sens, les rapporteurs ne partagent pas les conclusions du ministère de l'intérieur et du rapport des inspections générales qui voient dans la fin 2023 la dernière fenêtre possible pour procéder à la généralisation . Du reste, ils relèvent qu'une telle approche peut sembler contradictoire avec la recommandation n° 16 de l'audit visant à « prévoir, dans tous les départements, un temps suffisant de préfiguration et de concertation locale ».
Dans un contexte où la police nationale sera soumise à une importante tension, la France ne peut courir les risques qu'induiraient la mise en place à marche forcée d'une réforme fortement conflictuelle, dont les contours ne sont pas finalisés et qui suppose, en parallèle, de mener à bien des chantiers de long terme. Pour rappel, le ministre de l'intérieur avait annoncé le 25 octobre dernier devant la commission des lois que les Jeux olympiques et Paralympiques de 2024 allait « mobiliser plus de 30 000 policiers et gendarmes par jour sur tout un mois », notamment en Île-de-France où « entre 12 000 et 45 000 forces de l'ordre » 67 ( * ) seraient mobilisées quotidiennement. Le déploiement d'un dispositif d'une telle envergure suppose que la police nationale soit en pleine possession de ses capacités opérationnelles.
Par ailleurs, le risque de désorganisation de la police nationale est d'autant plus fort que plusieurs réformes structurelles sont actuellement menées de front . Le rapport des inspections générales cite par exemple la création de l'Académie de police ou la nouvelle gouvernance numérique. Il serait imprudent de multiplier à l'envi les réformes structurelles, dont l'articulation nécessite d'importants efforts de coordination. L'audit des inspections générales relève ainsi que « la mise en oeuvre de la réforme reste segmentée et qu'aucun document ne donne une vision globale et suffisamment précise de l'ensemble des réformes et de leur imbrication, ni des risques qui y sont associés » 68 ( * ) .
Alors que nous nous situons désormais seulement à un an et demi de l'évènement, le lancement d'une réforme systémique de la police nationale n'apparaît ni réaliste ni raisonnable. Sans remettre en cause le bien-fondé de la réforme et ses gains potentiels, les rapporteurs estiment donc impératif de la soumettre à un moratoire jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 afin, d'une part, de se donner les moyens de la mettre en oeuvre correctement et, d'autre part, de ne pas mettre en péril la sécurité de l'évènement.
Proposition n° 9 : Afin de garantir la sécurité des grands évènements à venir sans sacrifier une réforme potentiellement bénéfique, soumettre la réorganisation de la police nationale à un moratoire jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
B. AVANCER EN TEMPS MASQUÉ SUR LES NÉCESSAIRES MODIFICATIONS RÈGLEMENTAIRES, L'ACCOMPAGNEMENT NUMÉRIQUE ET LES REGROUPEMENTS IMMOBILIERS
1. L'indispensable bascule vers de véritables expérimentations dans l'Hexagone
Le moratoire proposé par les rapporteurs n'a pas vocation à porter un coup d'arrêt à la réforme de la police nationale. Il s'agit d'une recommandation pragmatique visant à tirer les conséquences d'un contexte où les conditions de sa réussite ne sont pas immédiatement réunies . L'avantage de la voie du moratoire est ainsi de s'octroyer un temps supplémentaire indispensable pour réunir ces éléments et procéder sereinement à une réorganisation aussi nécessaire qu'attendue.
De ce point de vue, les rapporteurs estiment que le recours aux expérimentations était judicieux. Ils proposent de poursuivre dans cette voie, sous réserve de lever la contrainte du droit constant afin de pouvoir réellement observer l'ensemble des implications du passage aux DDPN . Sur le modèle des DTPN ultramarines, il est proposé de mettre en place dans les départements de véritables préfigurations autorisant la modification des organigrammes ou des affectations. Ce changement de dimension des expérimentations en cours permettrait, d'une part, de continuer à bâtir sur l'existant dans les départements de la première vague d'expérimentation, en validant les progrès d'ores et déjà acquis et en valorisant l'implication des personnels. D'autre part, la levée du verrou du droit constant donnerait un nouveau souffle aux travaux dans les départements de la seconde vague d'expérimentation.
Proposition n° 10 : Substituer de véritables préfigurations aux expérimentations conduites dans l'Hexagone, actuellement trop contraintes par la logique du droit constant.
2. En parallèle, la nécessité d'engager les chantiers nécessaires à la réussite de la réforme
Au-delà de la montée en puissance de la logique expérimentale, la voie du moratoire permettra d'avancer en temps masqué sur les nécessaires modifications règlementaires, l'accompagnement numérique et les regroupements immobiliers, lesquels sont des jalons indispensables à la réussite de la réforme. Ce travail est non seulement le corollaire indispensable de la réforme mais il en également le préalable . Or, il nécessite un temps incompressible dont le ministère de l'intérieur ne dispose pas en raison de l'échéance des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Ni la modification de près de 180 textes règlementaires, ni la mise en cohérence de l'architecture numérique des applications de la police nationale avec sa nouvelle organisation, ni la mise en place de regroupements immobiliers ne peuvent se faire du jour au lendemain. La réussite de la réorganisation implique pourtant de ne faire l'impasse sur aucun de ces projets et, par conséquent, de se donner le temps nécessaire pour les conduire correctement.
Si les conséquences qu'ils en tirent sont différentes, les rapporteurs constatent que les problématiques liées aux fonctions supports et au temps qu'il faudra pour les résoudre sont également largement abordées dans les audits . Les recommandations n° 14 et n° 15 69 ( * ) traitent notamment de ces sujets et laissent entrevoir une inquiétude similaire quant à la possibilité de tenir les délais. De leur côté, les rapporteurs sont convaincus que ces réformes de longue haleine ne pourront être menées à bien d'ici à l'été 2024, sauf à prendre le risque de lancer, à nouveau, une réforme aussi ambitieuse que celle des DDPN dans des conditions sous-optimales .
Proposition n° 11 : D'ici aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, poser les jalons indispensables à la réussite de la réforme en matière de modifications règlementaires, d'accompagnement au numérique et de regroupements immobiliers.
C. LA NÉCESSITÉ D'UNE CONCERTATION CONTINUE ET SINCÈRE, TANT AU NIVEAU LOCAL QUE NATIONAL
1. Au sein de la police nationale
Sur le plan de la méthode, les rapporteurs proposent de profiter du temps offert par le moratoire pour, d'une part, tirer les enseignements de la crise suscitée par le projet actuel de réorganisation et, d'autre part, mettre en place une véritable démarche de concertation, à la fois continue et sincère.
Au sein des départements expérimentateurs, force est de constater que l'insuffisance du cadrage initial et les multiples revirements stratégiques ont nourri une forme de découragement chez les personnels. S'agissant de la police judiciaire en général, le manque de transparence sur le contenu réel de la réforme a incontestablement nourri les inquiétudes de personnels ne disposant d'aucunes informations sur l'évolution de leur situation individuelle. Ces défaillances ont incontestablement contribué à saper la légitimité de la réforme avant même son entrée en vigueur ; de telles erreurs ne sauraient être reproduites.
Les rapporteurs insistent dès lors sur la nécessité d'une association plus étroite des représentants des personnels de la police nationale. Il importe que ces derniers soient consultés en amont et sur le fondement d'un calendrier prédéterminé. Du reste, l'ensemble des syndicats auditionnés par les rapporteurs ont mentionné cet aspect : s'ils ne sont pas opposés à une réorganisation de la police nationale dont la nécessité fait consensus, réformer la police contre la police ne saurait être une option. Cette position est notamment résumée par le syndicat SCSI-CFDT qui précise « qu'une réforme d'une telle ampleur requiert un calendrier qui ne soit pas contraint et des négociations avec les représentants du personnel sur la base de propositions tangibles de la DGPN ». À cet égard, les rapporteurs partagent l'idée que le succès d'une réorganisation aussi ambitieuse est indissociable de l'adhésion des personnels et, par voie de conséquence, de la mise en place d'un dialogue renforcé avec les personnels et leurs organismes représentatifs.
Par ailleurs, cette concertation ne saurait se limiter à l'échelon central mais doit irriguer l'ensemble de la police nationale . Une attention particulière devra à ce titre être accordée aux agents et représentants de la DCPJ, de manière à recréer les conditions d'un dialogue apaisé et productif.
Sur ce point, les rapporteurs s'associent donc sans réserve à la recommandation n° 16 du rapport des inspections générales, intitulée « Prévoir, dans tous les départements, un temps suffisant de préfiguration et de concertation locale ».
Proposition n° 12 : Mettre en place un cadre de concertation formalisé et régulier avec les représentants des personnels de la police nationale en général et de la police judiciaire en particulier.
2. Vis-à-vis des parquets
Les rapporteurs estiment enfin qu'un effort substantiel doit être consenti pour renforcer l'association à la réforme de la chancellerie au niveau central et des parquets au niveau local . Il revient à la DGPN de faire preuve de davantage de pédagogie, en prenant le temps de présenter ce que sont les objectifs de la réforme et ce qu'ils ne sont pas . En particulier, la résorption des stocks de dossiers en souffrance n'est en aucun cas l'objectif principal de la réforme des DDPN et il est impératif de dissiper le malentendu actuel à ce sujet.
Il importe également d'apporter des garanties fermes aux magistrats sur les sujets d'inquiétudes qu'ils ont légitimement exprimés , en particulier le maintien du libre choix du service d'investigation, le pouvoir de direction et de contrôle des enquêtes ainsi que la détermination de la politique pénale. Cela suppose l'établissement de canaux de communication permanents et qui ne soient pas unidirectionnels . Sur ce point, les rapporteurs jugent intéressante la position des inspections générales lorsqu'elles estiment, d'une part, que « la mise en place de la réforme devra s'accompagner d'un plan de concertation et de communication des DDPN vis-à-vis de l'ensemble des autorités judiciaires locales [...] modélisant le calendrier et les actions d'information à engager » et, d'autre part, que « des déclinaisons territoriales du comité national de préparation, pour la mise en place et le suivi de la réforme, devront être envisagées, associant les premiers présidents et procureurs généraux du ressort » 70 ( * ) .
Proposition n° 13 : Associer davantage les magistrats au pilotage de la mise en place de la filière investigation, tant au niveau central que local.
III. UNE RÉFLEXION INDISPENSABLE SUR LA RÉPARTITION DES EFFECTIFS ENTRE LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION
A. UNE POLITIQUE DE DOUBLEMENT DE LA PRÉSENCE SUR LA VOIE PUBLIQUE QUI RISQUE D'ENTRAÎNER DE NOMBREUX EFFETS PERVERS
1. L'émergence de la problématique des stocks dans la police judiciaire au fil de la contestation de la réforme
Comme indiqué précédemment, si la réforme a pour ambition d'améliorer le traitement du flux des affaires judiciaires par la police nationale, elle ne vise pas à améliorer le traitement des stocks de ces affaires , qui se sont constitués au fil des années et risquent d'augmenter fortement en raison des orientations données à la répartition des effectifs entre voie publique et investigation.
Elle en a cependant été le révélateur . Cette problématique d'ampleur a en effet été mise en lumière à l'occasion des contestations des personnels des services de police judiciaire qui craignaient - et craignent encore - que la réforme ne conduise à ce qu'ils soient mis à contribution pour permettre la résorption des stocks d'affaires accumulés dans les services de la sécurité publique.
Cette orientation ne paraît cependant pas réaliste : le directeur départemental de la police nationale qui permettrait une déperdition des compétences rares de traitement des affaires les plus complexes dans le traitement de la délinquance du quotidien risquerait de perdre son poste rapidement. Une telle orientation serait par ailleurs inefficace, puisque le nombre d'enquêteurs dans les services de la police judiciaire n'est pas suffisant pour permettre un apurement de ces stocks. Les garanties apportées par les rapporteurs précédemment visent à éviter que, pour une raison ou pour une autre, une telle orientation soit décrétée : ce serait déraisonnable, inefficace et profondément nuisible à la société.
L'amélioration de la situation de la filière judiciaire dans la police nationale ne pourra cependant tenir à une simple réorganisation de sa gouvernance. Une prise de conscience et une augmentation massive des effectifs sont également nécessaires. L'insuffisance du nombre des enquêteurs dédiés aux missions judiciaires au regard du nombre d'affaire entrantes est en effet la cause directe des stocks de dossiers non traités .
2. La LOPMI : une première tentative de donner à la filière investigation des capacités accrues
Les difficultés des services d'investigation sont connues et les causes analysées. Il serait cependant faux de dire que rien n'a été fait.
Face au constat partagé de désaffection de la police judiciaire dans la police nationale, qui tient finalement davantage à l'exercice quotidien des métiers d'investigation qu'à une perte d'attraits de la profession, plusieurs mesures de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur dite « LOPMI » visent à faciliter l'exercice des missions d'investigation des forces de sécurité intérieure et à renforcer l'efficacité de leur action .
Ainsi, la LOPMI a permis en premier lieu le passage de l'examen d'OPJ dès la fin de la formation initiale des policiers et gendarmes , contre trois ans après la prise de fonction avant l'entrée en vigueur de cette loi. Pour permettre cette évolution, la formation à l'examen a été intégrée depuis septembre dernier aux programmes des écoles de police et de gendarmerie. La LOPMI a en deuxième lieu souhaité permettre aux officiers de police judiciaire de se concentrer sur leur coeur de métier par la création des « assistants d'enquête », catégorie de personnel dédiée au respect du formalisme procédural . Enfin, plusieurs mesures de la LOPMI visaient à alléger la procédure pénale en supprimant quelques exigences alourdissant les procédures suivies par les enquêteurs . C'est ainsi que les techniques spéciales d'enquête et les gardes à vue prolongées ont été étendues aux viols sériels et crimes sériels ainsi qu'à l'abus d'ignorance ou de faiblesse en bande organisée (qui est notamment le fait des mouvements sectaires), que l'obligation faite aux services en charge de l'enquête de procéder à une réquisition judiciaire pour solliciter les agents de police technique et scientifique afin qu'ils effectuent des constatations ou examens a été supprimée, ou que la possibilité pour le procureur de la République d'accorder des autorisations générales de réquisition a été étendue.
Ces éléments ne sont cependant pas suffisants pour faire face aux risques pour la société que fait peser l'engorgement des services d'investigations 71 ( * ) .
3. Le doublement de la présence policière sur la voie publique : un objectif louable dont les conséquences sur les services d'investigation n'ont pas été anticipées
L'embolie actuelle des services d'investigation risque cependant d'être encore accrue par la politique suivie depuis quelques années d'augmentation de la présence policière sur la voie publique .
Cette politique, qui vise à favoriser la prévention et le sentiment de sécurité de la population, a récemment été réaffirmée par le rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur dite « LOPMI » : a ainsi été fixé par écrit un objectif de doublement de la présence des forces de l'ordre sur la voie publique . Le rapport annexé indique en effet que « Les citoyens attendent des forces de sécurité qu'elles soient plus présentes et visibles sur le terrain, avec un effet rassurant pour la population et un effet dissuasif pour les délinquants. Mais si le quinquennat écoulé a permis la création de 10 000 postes supplémentaires de policiers et de gendarmes, leur présence sur la voie publique demeure insuffisante : policiers et gendarmes ne passent que 37 % de leur temps sur la voie publique, du fait de la lourdeur de la procédure pénale, d'outils numériques insuffisamment performants et de tâches administratives chronophages. Le doublement de la présence des forces de sécurité sur la voie publique en dix ans annoncé par le Président de la République implique donc une transformation profonde : faire de la présence sur la voie publique la règle et la présence en commissariat ou en brigade l'exception. »
Cette doctrine d'emploi des effectifs de la police nationale se traduit par un objectif d'affectation d'au moins 65 % des policiers sur la voie publique . Si ce pourcentage pose déjà question en lui-même, en pratique les effectifs dédiés à la voie publique représentent souvent 75 % des effectifs d'un commissariat, réduisant d'autant les effectifs dédiés à l'investigation. Cela a pour conséquence très directe d'accroître encore les stocks de dossier en attente de traitement , créant une incompréhension parmi les victimes et un sentiment d'impunité chez les auteurs.
Cette doctrine s'ajoute à un développement très important depuis quelques années - et largement encouragé par le Gouvernement - de l'activité des polices municipales sur la voie publique . Celles-ci procèdent à de nombreuses interpellations qui viennent alimenter les commissariats en procédures supplémentaires qu'ils ne sont pas en capacité de traiter.
B. TRAITER LA CHAÎNE PÉNALE DANS SON ENSEMBLE EN RÉÉQUILIBRANT LES EFFECTIFS ENTRE LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION : LA QUESTION DES MOYENS
1. Un rééquilibrage nécessaire des moyens humains au sein de la police, puis dans la justice
Un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est donc indispensable . Le doublement des effectifs sur la voie publique n'aura en effet de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle. Sans cela, c'est toute la chaîne pénale qui sera engorgée, sans amélioration de la réponse pénale.
Le renforcement des services d'investigation doit être posé comme objectif , au même titre que le renforcement de la présence des policiers sur la voie publique. Il s'agit d'un préalable indispensable à toute réflexion sur la situation de l'investigation dans la police nationale et aux mesures qui peuvent être mises en oeuvre pour l'améliorer.
Ce renforcement doit être fait de manière absolue, mais devra également suivre le rythme de l'évolution des effectifs dédiés à la voie publique. L'augmentation du personnel sur la voie publique a en effet pour conséquence d'augmenter le nombre de saisines, ce qui doit conduire à réévaluer les besoins en investigation. Sans cela, les saisines supplémentaires ne pourront être traitées et augmenteront d'autant les phénomènes d'engorgement des procédures et de désaffection du judiciaire. Le judiciaire est , comme le disait l'un des syndicats de police aux rapporteurs, le rouage indispensable entre la voie publique et la réponse pénale .
Au-delà du renforcement global des effectifs, un renforcement de la hiérarchie intermédiaire dans les services d'investigation est particulièrement nécessaire.
Proposition n° 14 : Rééquilibrer les effectifs dans la police nationale entre investigation et voie publique, en se concentrant notamment sur le taux d'encadrement du corps de conception et d'application dans l'investigation.
Ce rééquilibrage en effectifs est indispensable pour l'ensemble des services traitant des procédures judiciaires, et ce quel que soit leur niveau de complexité.
Plus encore, ce rééquilibrage est également nécessaire, au sein des services d'investigation, pour renforcer le traitement des thématiques actuellement en souffrance . Les rapporteurs considèrent que des effectifs dédiés au traitement de certains contentieux sont aujourd'hui, en proportion des effectifs totaux, insuffisants, et que des équipes dédiées doivent être créées . C'est notamment le cas pour le traitement des contentieux en matière économique et financière, pour lesquels l'autorité judiciaire se trouve régulièrement en difficulté pour saisir un service spécialisé en la matière.
Proposition n° 15 : Créer des équipes supplémentaires dédiées au traitement de certains contentieux aujourd'hui délaissés, comme par exemple les affaires en matière économique et financière.
La chaîne pénale doit cependant être traitée dans son ensemble et la problématique ne s'arrête pas au traitement des affaires par les policiers . Les magistrats doivent également être à la hauteur du stock actuel et du flux des procédures à venir.
À court terme, et même si cela n'est pas satisfaisant, des procédures de traitement en masse des stocks doivent être mises en place . Les parquets peuvent ainsi adopter des instructions permanentes permettant aux services d'enquête de classer, d'initiative, certaines procédures, réaliser des opérations de traitement en temps réel sur site - déjà largement développées - mais également appuyer le déploiement d'équipes temporaires afin d'apurer ponctuellement des stocks de procédure dans des circonscriptions en difficulté.
Proposition n° 16 : À court terme, développer des procédures de traitement en masse des stocks d'affaires judiciaires par le bais de :
- l'adoption par les Parquets d'instructions permanentes permettant aux services de police et de gendarmerie de classer certaines procédures d'initiative ;
- le développement des opérations de traitement en temps réel sur site, y compris dans le cadre de la mise en place d'équipes policières dédiées à l'apurement des stocks de procédure dans des circonscriptions en difficulté.
À plus long terme cependant, et en particulier si les recommandations de rééquilibrage des effectifs policiers entre voie publique et investigation sont suivies, il deviendra indispensable d'augmenter en conséquence le nombre de magistrats , qu'il s'agisse des magistrats du Parquet, mais aussi des magistrats du siège et plus spécifiquement des juges d'instruction. Cela pourrait être réalisé dans le cadre de la loi de programmation pour la justice annoncée pour la fin du premier semestre de l'année 2023.
À titre d'illustration en effet, et comme le soulignait le procureur de la République de Mamoudzou aux rapporteurs, « Si la nouvelle organisation n'a pas conduit à véritablement modifier les méthodes de travail du parquet, force est de constater que l'amélioration significative des résultats judiciaires de la direction territoriale de la police nationale a nécessairement eu un effet sur la charge de l'activité judiciaire, et notamment le nombre de poursuites ». Et il ajoutait : « Afin d'accompagner cette montée en puissance de l'activité judiciaire du commissariat, les orientations pénales permettant les réponses rapides via les déferrements ou les alternatives aux poursuites ont été renforcées ». Cela ne peut cependant être la seule réponse de l'autorité judiciaire à l'augmentation de l'activité judiciaire de la police, au risque d'alimenter l'insatisfaction des citoyens .
Proposition n° 17 : Dans le cadre de la loi annoncée de programmation pour la justice, prévoir une augmentation du nombre de magistrats afin d'assurer le bon fonctionnement de la chaîne pénale dans son ensemble.
2. Des moyens numériques et des conditions de travail à la hauteur
Plus avant, une réflexion sur les moyens alloués aux personnels réalisant des missions de police judiciaire au sein de la police nationale est nécessaire. Cette réflexion doit également s'étendre à leurs conditions de travail .
Ainsi, une évolution des outils numériques est nécessaire . Alors qu'un effort significatif a été fait s'agissant des outils numériques utilisés par les services de voie publique, avec le développement puis le déploiement généralisé des terminaux NEO puis NEO 2 ainsi que des tablettes Ubiquity, les outils numériques des services d'investigation sont largement insuffisants . Le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) est, de l'avis général, obsolète.
La réforme de la police nationale et, plus particulièrement, la création d'une filière investigation unifiée devrait déjà permettre des améliorations grâce à l'utilisation par l'ensemble des services de la même base de ce logiciel . Comme le soulignait le directeur territorial de la police nationale en Guyane lors de son audition par les rapporteurs, « depuis la fin 2022, tous les services de la DTPN établissement leurs procédures judiciaires sur la même base LRPPN. Cela signifie que tous alimentent une seule base, utilisent la même numérotation. De la sorte, la pratique archaïque de la reprise de garde à vue entre services de police a disparu, facilitant grandement le travail des enquêteurs. Les directeurs d'enquête ont de la sorte accès à la totalité des procès-verbaux d'une procédure qui aurait été débutée par des agents d'un autre service que le leur (par exemple, interpellation d'un individu pour trafic de stupéfiants placé en garde à vue par la police aux frontières (PAF), repris par le service territorial de police judiciaire (STPJ) puis par l'Office antistupéfiants (OFAST) ».
Cette mise en commun des systèmes d'information et des applications métier entre les directions centrales de la police nationale est cependant particulièrement complexe à réaliser et constitue un obstacle temporaire à la création d'une véritable filière investigation unifiée. Il convient donc, d'une part, que cela n'obère par les capacités opérationnelles de la filière et, d'autre part, de profiter de ce temps d'adaptation pour déployer de nouveaux outils numériques pour la filière qui soit à la hauteur des défis auxquels elle doit faire face .
Proposition n° 18 : Remplacer le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) par un logiciel plus ergonomique et plus adapté aux défis actuels de la filière judiciaire de la police nationale. Prévoir une interconnexion entre les bases utilisées par les différents services.
3. Favoriser de véritables parcours de carrière dans l'investigation pour lutter contre la désaffection du judiciaire
La création d'une filière judiciaire unifiée constitue une opportunité d'offrir aux personnels qui la constituent de véritables parcours de carrière en son sein.
D'abord en matière de formation , puisque la complexification des enquêtes, quel que soit le niveau de délinquance concerné, du fait des évolutions de la criminalité et de la procédure pénale, nécessite le recours à des personnels d'un haut niveau de technicité ou disposant de compétences particulières. Ainsi, les formations actuellement réalisée par la DCPJ pour ses personnels pourraient bénéficier à l'ensemble des personnels de la future filière investigation, et ce afin de faire monter collectivement en compétences cette filière nouvelle. Aux formations très spécifiques actuellement délivrées par la DCPJ pourraient s'ajouter des formations « sur mesure », élaborées en fonction du degré de spécialisation des unités d'affectation des enquêteurs .
Ces qualités professionnelles devraient également être mieux valorisées au sein de la carrière des agents : l'investissement des personnels dans la spécialisation de leurs compétences ne permet aujourd'hui aucune perspective d'avancement ni aucune rétribution complémentaire
Plus avant, la création d'une filière investigation unifiée permettra d' offrir davantage d'opportunités d'élaboration de carrière et d'avancement aux personnels . Si l'organisation en trois niveaux actuellement en vigueur dans certains territoires ultramarins est étendue à l'ensemble du territoire national, deux directions de carrière seront offertes aux agents.
D'une part, ils pourront augmenter progressivement la complexité des enquêtes qu'ils mènent , en passant du traitement de la délinquance de niveau deux à celle de niveau trois par exemple. Chaque spécialité de l'investigation pourrait ainsi s'inscrire dans des parcours gradués, qualifiants et cohérents. La détection de profils particuliers et le fléchage des enquêteurs ayant des prédispositions à l'investigation de haut niveau serait ainsi approfondie.
Les enquêteurs spécialisés pourront, d'autre part, venir encadrer des groupes d'enquêteurs plus généralistes , ce qui permettrait de les faire bénéficier d'un taux d'encadrement plus important qu'aujourd'hui ainsi que d'une expertise et d'une direction d'enquête de plus haut niveau. L'arrivée d'enquêteurs spécialisés dans l'encadrement permettrait également de repositionner ces officiers dans leur rôle de direction d'enquête, laissé aujourd'hui parfois de côté.
L'amélioration de la formation ainsi que le renforcement de l'encadrement constituent des conditions indispensables à une élévation du taux d'élucidation et de conduite d'enquête de qualité qui permettent l'obtention de réponses judiciaires significatives .
Les conditions de travail - et plus spécifiquement les régimes horaires - des policiers travaillant en police judiciaire méritent d'être repensées . Ainsi, si le régime cyclique ne peut correspondre aux exigences des métiers d'enquêtes, principalement sur le temps long, il pourrait être déployé dans les services de prise de plainte ou encore dans les services de traitement en temps réel des infractions (comme les groupes d'appui judiciaire par exemple ou, éventuellement, les brigades de sûreté urbaine).
Les sujétions complémentaires assumées par les OPJ , notamment en termes de responsabilité assumée, doivent également être mieux prises en considération dans leur rémunération .
Proposition n° 19 : Inscrire l'amélioration de l'efficacité de la filière investigation dans le long terme, en construisant de véritables parcours de carrière en son sein à l'aide :
- du développement de formations spécifiques aux métiers de l'investigation bénéficiant à l'ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire ;
- d'une meilleure valorisation de ces formations dans le déroulement de carrière des personnels ;
- de la construction d'opportunités de carrières au sein de la filière, en prévoyant deux voies de progression : vers des enquêtes plus complexes et vers l'encadrement de groupes d'enquêteurs plus généralistes ;
- de la meilleure considération dans leur rémunération des sujétions particulières assumées par les personnels de la filière investigation.
Bien penser ces parcours de carrière au sein de l'investigation devra avoir deux objectifs principaux : offrir aux citoyens un meilleur service , par une augmentation des compétences des enquêteurs, et lutter contre la désaffection du judiciaire en créant davantage d'opportunités d'évolution au sein de la filière.
C. RÉAFFIRMER POUR LES MAGISTRATS LE LIBRE CHOIX DU SERVICE D'ENQUÊTE AFIN D'ASSURER LE RESPECT DES PRÉROGATIVES DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE
1. La complexité des relations entre services de police et magistrats dans le choix du service enquêteur
La réforme permet de mettre à jour la complexité des relations entre services de police et magistrats dans le choix du service enquêteur . Face à une situation largement déterminée par les moyens disponibles, plusieurs magistrats s'inquiètent d'une réforme remettant en cause un service dédié et doté de moyens propres. La situation est cependant plus nuancée et des attentes communes sont perceptibles.
La possibilité pour les magistrats de choisir le service enquêteur se heurte en pratique à la possibilité pour eux de connaître les moyens réels dont disposent les services enquêteurs. Cette situation n'est pas nouvelle et découle de l'autorité fonctionnelle des magistrats qui dirigent l'enquête mais ne peuvent réellement contraindre un service ou des enquêteurs à l'action. Le choix du service enquêteur est donc en pratique, le plus souvent, moins le fait d'une simple décision du procureur ou du juge d'instruction que d'un dialogue avec les chefs de service.
L'inquiétude des magistrats face à une réforme qui semble reposer sur la perte de spécificité de certains services de police judiciaire est naturelle. Elle pourra conduire à un renforcement de la possibilité pour la police de peser sur le choix du service enquêteur. Mais c'est, au fond, plus le manque de moyens qui pose question. Les magistrats sont par nature en charge du traitement de l'ensemble des crimes et délits et subissent l'embolie de la filière judiciaire en sécurité publique.
Leur crainte est que des enquêteurs ayant la compétence pour traiter les affaires complexes ne soient désormais mobilisés sur la délinquance du quotidien, donc sur des affaires jugées prioritaires parce qu'immédiatement visibles par la population. Mais, appelés en aide pour la gestion des stocks d'affaire en sécurité publique, les magistrats connaissent également la situation des officiers de police judiciaire de ces services.
Il s'agit donc d'améliorer le traitement de la délinquance quotidienne mais aussi de renforcer le traitement des affaires plus complexes. Ce constat est partagé par l'ensemble des acteurs, policiers et magistrats. Là où certains magistrats voient d'abord dans la réforme un affaiblissement des moyens dont ils disposent pour conduire les investigations de moyen et de haut de spectre, les policiers favorables à la réforme voient la possibilité de dégager de nouveaux moyens par la rationalisation des organisations. Tous s'accordent cependant sur un point : la nécessité d'effectifs supplémentaires dans la filière judiciaire. Une organisation plus efficace, bien que nécessaire, serait insuffisante au regard des enjeux.
2. La définition de la politique pénale : une prérogative des parquets qui doit être réaffirmée
Aux termes de l'article 39-1 du code de procédure pénale , le procureur de la République met en oeuvre , en tenant compte du contexte propre à son ressort, la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général. La politique pénale regroupe ainsi l'ensemble des priorités assignées par les parquets aux services d'enquête, ainsi que les choix procéduraux effectués et les suites apportées par les procureurs de la République aux procédures pénales.
Les rapporteurs ont pu constater que si les deux derniers éléments de la définition de la politique pénale ne semblaient pas poser de difficulté d'application, tel n'était pas le cas de la définition des priorités assignées par les parquets aux services d'enquêtes . Ces priorités se heurtent en effet aux priorités définies par le préfet aux services de voie publique, ces derniers amenant la plupart des procédures aux services d'enquête. Si, au niveau gouvernemental, la définition des priorités est alignée entre ministère de la justice et ministère de l'intérieur, des disparités peuvent émerger lors de leur traduction au niveau local.
Deux causes viennent renforcer ces potentielles disparités :
- l'expérimentation des directions départementales de la police nationale, d'une part : la direction des affaires criminelles et des grâces a ainsi fait état, dans un courrier adressé le 12 octobre 2021 au directeur général de la police nationale, de difficultés de prise en compte des orientations de politique pénale définies par le ministère public dans les premiers temps de l'expérimentation des directions départementales de la police nationale . Cette difficulté n'est cependant pas nouvelle puisqu'aujourd'hui, la majeure partie des faits de délinquance sont traités par les services relevant des directions départementales de la sécurité publique, qui disposent du même lien hiérarchique au préfet que celui envisagé pour les futures directions départementales de la police nationale ;
- l'augmentation des effectifs dédiés à la voie publique sans que ceux dédiés à l'investigation n'augmentent dans les mêmes proportions , d'autre part. Cela conduit en effet à une tension entre les objectifs fixés localement par les préfets et les orientations de procédure pénale définies par les procureurs . À titre d'exemple, à Béziers, une compagnie républicaine de sécurité (CRS) a été affectée en septembre 2022 pour assurer des missions de sécurisation de la voie publique. Elle réalisait en moyenne les premières semaines 14 interpellations journalières, qui étaient remises à l'OPJ de permanence. Voyant l'engorgement de la partie investigation du commissariat, le préfet a modifié ses consignes pour que la compagnie de CRS interpelle moins. La délinquance a ainsi artificiellement baissé sans que le procureur de la République n'ait à aucun moment été sollicité quant aux orientations en matière d'interpellations à donner à la CRS.
Les procureurs de la République ont ainsi indiqué aux rapporteurs avoir parfois le sentiment d'être vus uniquement comme des gestionnaires de flux et non pas comme l'autorité chargée de définir les priorités de politique pénale sur un territoire.
Un dialogue croissant entre préfets et procureurs est ainsi nécessaire . Des réunions devraient ainsi être régulièrement mises en place rassemblant préfet, procureur, représentants de la police nationale et de la gendarmerie nationale afin que le préfet indique au procureur les conséquences qu'il entend tirer pour sa direction des services de voie publique des orientations de politique pénale définies par le procureur. L'objectif serait de désamorcer le conflit structurel existant entre les objectifs fixés par le garde des sceaux et ceux fixés par le ministre de l'intérieur afin de décliner au mieux la mise en oeuvre de la politique pénale au niveau territorial.
Proposition n° 20 : Rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires en demandant au préfet d'ajuster ses orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire. Mettre en place un dialogue entre préfets et procureurs de la République pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire.
3. Garantir le libre choix du service enquêteur
Les magistrats disposent du libre choix du service enquêteur , comme le prévoit l'article 12-1 du code de procédure pénale.
Les expérimentations ont d'abord conduit à des difficultés quant au respect de ce principe, qui ont cependant été rapidement aplanies . C'est ainsi que le parquet général de Douai avait constaté que la note de service de la direction départementale de la police nationale du Pas-de-Calais du 9 avril 2021 précisait dans sa version initiale qu'« entre les unités judiciaires, le chef de file de la filière investigation (CFFI) pourra exercer un droit d'évocation et tranchera les conflits de compétence » avant d'être rectifiée pour prévoir qu'« entre les unités judiciaires, le chef de file de la filière investigation exercera une coordination judiciaire accrue, sous le contrôle de l'autorité judiciaire compétente ».
Les rappels réalisés par les procureurs de la République et la direction des affaires criminelles et des grâces du principe de direction d'enquête par les magistrats et du libre choix du service qu'il induit a permis des rectifications rapides lorsque ces difficultés étaient apparues.
Dans les faits cependant, le principe du libre choix du service enquêteur se heurte déjà fréquemment aux capacités de traitement limitées de certains services spécialisés . Ainsi, au-delà de cette affirmation de principe, c'est en fait l'affectation et la répartition dans le temps des moyens humains entre les différents services appelés à réaliser des investigations qui est en jeu.
Il convient ainsi, en premier lieu, de s'assurer que les effectifs dédiés à l'investigation seront sanctuarisés et qu'ils ne seront pas affectés à des missions d'ordre public, tout en conservant une capacité de traitement des enquêtes au long cours . Les préoccupations des magistrats ont été entendues sur ce point puisque le ministre de l'intérieur s'est engagé à ce que les moyens de la filière investigation soient sanctuarisés et qu'aucun agent spécialisé ne soit à l'avenir affecté au traitement des stocks de procédure.
La doctrine de la police judiciaire, en cours d'élaboration, a ainsi vocation selon les termes du directeur général de la police nationale 72 ( * ) à « bien identifier ses missions et garantir notamment ses capacités d'initiative et la préservation du temps long nécessaire à l'aboutissement des affaires les plus complexes ».
Les rapporteurs considèrent cependant qu'un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire pourrait être mis en place. Ce suivi pourrait intégrer un contrôle du maintien de moyens capables de travailler d'initiative sur des phénomènes de long terme, sans être pris par le flux et les priorités de court terme. Celui-ci pourrait se tenir dans le cadre des comités semestriels de suivi de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur dite « LOPMI ».
Il convient en deuxième lieu de prévoir que le procureur de la République ou le juge d'instruction disposeront toujours de la possibilité de choisir librement le service d'enquête en charge des investigations . Ainsi, et comme le recommandaient les inspections dans leur rapport 73 ( * ) , l'intégralité des services que l'autorité judiciaire peut saisir dans la nouvelle organisation devra être détaillée au niveau du décret .
En troisième lieu, il convient de souligner que l'autorité judiciaire ne dispose que d'une visibilité très partielle de l'état des effectifs des services de police et de leur charge de travail .
La dépêche interministérielle du 31 mai 2021 relative au traitement des procédures judiciaires dans les services de police et unités de gendarmerie susmentionnée a permis une amélioration relative de cet état de fait, certains parquets ayant mis en place des tableaux de bord statistiques visant à connaître le nombre de procédures en stock dans les services de police et de gendarmerie ainsi que leur affectation aux officiers et agents de police judiciaire. Cela permet à l'autorité judiciaire d'apprécier plus finement la charge de travail des services et leurs capacités de saisine.
Les rapporteurs considèrent qu'un pas supplémentaire pourrait être réalisé, en prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction sur les moyens alloués par enquête et en instaurant une obligation du chef de filière investigation et du directeur départemental de la police nationale de rendre compte au procureur de l'état des procédures et de l'état d'avancement de certaines enquêtes . Il pourrait même être envisagé, à plus long terme, de mettre en place des contrats préalables des moyens affectés à une enquête. Ceux-ci, pour être opérationnels et ne pas produire plus de désagréments que d'avantages, devraient être compris non pas comme un contingentement mais comme une garantie, non comme un plancher mais comme un plafond.
Proposition n° 21 : Garantir le principe du libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire en :
- assurant un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire dans le cadre des comités semestriels de suivi de la LOPMI ;
- inscrivant dans les textes règlementaires l'intégralité des services que l'autorité judiciaire peut saisir dans la nouvelle organisation de la police nationale ;
- prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction sur les moyens alloués par enquête ;
- instaurant une obligation du chef de filière investigation et du directeur départemental de la police national de rendre compte au procureur de l'état des procédures et de l'état d'avancement de certaines enquêtes.
Les rapporteurs considèrent en outre que les doctrines nationales en cours d'élaboration devront formellement et solennellement rappeler les grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire que sont :
- le placement de la police judiciaire sous la direction, le contrôle et la surveillance de l'autorité judiciaire ;
- les prérogatives de l'autorité judiciaire s'agissant notamment de la mise en oeuvre des priorités de politique pénale ;
- le secret de l'enquête et de l'instruction ;
- la préservation de la possibilité pour le procureur de la République ou le juge d'instruction de choisir librement le service d'enquête en charge des investigations ;
- la préservation d'une capacité à lutter contre l'ensemble du spectre de la criminalité , depuis la criminalité organisée ou financière à la délinquance du quotidien, en passant par la délinquance intermédiaire présentant un ancrage interdépartemental ou interrégional.
Proposition n° 22 : Prévoir un rappel exprès et solennel des grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire dans les doctrines nationales en cours d'élaboration.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons le rapport de nos collègues Nadine Bellurot et Jérôme Durain dans le cadre de notre mission d'information relative aux impacts de la réforme de la police nationale sur l'exercice des missions de police judiciaire, engagé en septembre dernier.
Mme Nadine Bellurot , co-rapporteure . - Plusieurs rapports sur le sujet, venus des corps d'inspection et de nos collègues députés, ont été publiés depuis que nous avons lancé nos travaux, et nous avons pu en tenir compte. Chacun se souvient ici que le projet de réforme avait été à l'origine de vives contestations de la part de la police judiciaire et des magistrats à l'été dernier, contestations qui se sont poursuivies jusqu'à aujourd'hui. En lançant notre mission d'information, nous avions pour objectif d'évaluer la pertinence de l'organisation actuelle mais aussi et surtout de nous positionner sur le projet de réforme.
Nous avons entendu, avec mon collègue co-rapporteur Jérôme Durain, plus de 120 personnes et réalisé deux déplacements. Nous avons en particulier entendu l'ensemble des représentants de la police et de la justice des départements expérimentant la nouvelle organisation proposée.
Premier constat : l'organisation des missions judiciaires dans la police nationale ne répond plus aux enjeux actuels de la criminalité. De nouvelles formes de criminalité émergent, marquées par un lien très fort entre délinquance locale et trafics d'envergure internationale. Or, l'exercice de la police judiciaire dans la police nationale est aujourd'hui séparé en deux directions : la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), en charge de la petite et moyenne délinquance et qui traite près de 98 % des infractions enregistrées par les services de police ; et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), qui est une direction spécialisée en charge de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée. Ces deux directions disposent d'une grande autonomie de fonctionnement, chacune d'elle ne rendant en pratique compte qu'à sa direction centrale. Le manque d'interactions entre services au niveau local pèse sur l'efficience de l'action de la police nationale.
À cela s'ajoute une perte d'attractivité croissante de la filière judiciaire dans la police nationale. Les causes de la « désaffection » de la police judiciaire sont multiples et bien connues : complexification de la procédure, forte responsabilisation personnelle des enquêteurs, déception des enquêteurs devant les décisions prises par les tribunaux, découragement face à la priorité affichée depuis quelques années en faveur des services de voie publique au détriment de ceux de l'investigation, afin de « mettre davantage de bleu sur le terrain ».
Cela se combine et entretient un phénomène préoccupant d'engorgement des procédures. Les stocks de procédures sont aujourd'hui très importants et concernent tant les contentieux de masse que les infractions délictuelles et criminelles graves. Cela conduit à une dégradation constante de la qualité des procédures pénales, des délais de traitements accrus et incompatibles avec les attentes des justiciables, ainsi que des modalités de traitement dégradées.
M. Jérôme Durain , co-rapporteur . - C'est dans ce contexte difficile pour la police judiciaire qu'intervient la proposition de réforme de la police nationale. Elle poursuit deux objectifs : une organisation en filières au niveau national, permettant l'unification des missions d'investigation au sein d'une seule direction, et, au niveau local, la création de « directions départementales de la police nationale » (DDPN) rassemblant l'ensemble des filières métiers de la police nationale dans une seule entité et sous une seule autorité.
Nos principales critiques tiennent à la méthode appliquée dans ce projet de réorganisation, avec l'expérimentation de ce nouveau schéma d'organisation dans plusieurs territoires d'outre-mer et dans huit départements hexagonaux. Trois années se sont écoulées depuis le lancement des premières expérimentations, mais il s'avère extrêmement difficile d'en établir un bilan.
Nous nous y sommes pourtant attelés : quelques points de satisfaction apparaissent indéniablement pour les directions mises en place dans les territoires ultramarins. Mais pour les expérimentations dans l'Hexagone, les résultats sont bien plus hétérogènes : si de véritables gains organisationnels et opérationnels peuvent être décelés dans certains départements, en particulier en Savoie, nombre de DDPN s'apparentent davantage à des « coquilles vides » dont la mise en place n'a eu aucun effet sur les pratiques.
Le projet de généralisation, ensuite, a été très mal conduit : le manque de concertation et de communication ont alimenté les doutes autour d'un projet lui-même inabouti, aux contours flous et changeants. Le projet a ressemblé à une succession d'ajustements en réaction aux contestations, sans stratégie claire ni calendrier prédéterminé.
Le projet de départementalisation s'est donc imposé comme un sujet incontournable dans l'agenda politique et médiatique, ce qui a obligé le ministre de l'intérieur à lancer une mission d'audit pour évaluer les expérimentations - ce qui n'était pas prévu à l'origine - et à différer la mise en oeuvre de la réforme pour attendre les conclusions de notre mission d'information et de celle de nos collègues de l'Assemblée nationale.
Après avoir entendu plus de 120 personnes, nous avons pu nous faire une idée éclairée du sujet. La réforme envisagée de la police nationale nous parait, dans le fond, viser la gouvernance de la police nationale plutôt que l'institution elle-même. Son enjeu principal est l'attribution opérationnelle des responsabilités et la rationalisation des moyens après des années de spécialisation et de dispersion qui ont abouti à un paradoxe : celui de directions obligées à définir leurs interactions par voie de protocoles...
Afin de répondre aux craintes qu'elle a suscitées, la réforme devra établir des règles claires sur trois sujets majeurs.
Le premier est le choix des futurs directeurs départementaux de la police nationale : un nouveau métier est à définir, et il faut garantir l'indépendance des nouveaux directeurs par rapport aux politiques quant aux missions de police judiciaire de la police nationale.
Le deuxième est celui de l'organisation de la chaîne de commandement et des prérogatives de chacun. L'un des enjeux importants de la réforme est la création d'une double autorité sur les services d'investigation placés au niveau départemental : autorité hiérarchique du DDPN, mais autorité fonctionnelle des représentants de la filière au niveau territorial supérieur - notamment au niveau zonal. Les prérogatives et moyens de chacun devront être clarifiés.
Le troisième enjeu est l'organisation territoriale elle-même, qui devra permettre de continuer à traiter de l'ensemble du spectre de la criminalité. Une organisation en trois niveaux nous semble la plus pertinente : un niveau national chargé de définir la doctrine d'emploi, d'assurer la coordination des services de police judiciaire et de conduire les enquêtes s'agissant des faits les plus complexes nécessitant l'intervention des offices centraux ou la coordination d'un grand nombre de services sur l'ensemble du territoire national ; un niveau zonal disposant d'une autorité sur les services de police judiciaire départementaux afin d'assurer la coordination de leurs actions et chargé de traiter la criminalité organisée, complexe ou présentant une particulière gravité, notamment grâce à l'implantation d'antennes des offices centraux - cet échelon devra disposer de moyens humains et budgétaires propres pour réaliser ses missions ; enfin, un niveau départemental, où l'organisation en trois niveaux des services de police judiciaire retenue dans les territoires ultramarins devra être généralisée. Pour ce faire, le caractère interdépartemental des services traitant la criminalité la plus complexe devra être préservé et un service traitant de la criminalité intermédiaire devra être généralisé dans l'ensemble des départements.
Nous sommes convaincus que la généralisation des DDPN avant la fin de l'année 2023 n'est ni réaliste, ni raisonnable : les conditions ne sont pas réunies pour conduire sereinement la réforme dans le respect du calendrier annoncé par le ministre de l'intérieur devant notre commission le 14 février dernier.
C'est pourquoi, sans remettre en cause le bien-fondé de la réforme et ses gains potentiels, il est impératif de la soumettre à un moratoire jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, le ministre de l'intérieur lui-même ayant dit à plusieurs reprises les risques encourus lors de ce grand événement.
Ce moratoire sera l'occasion de lancer de véritables préfigurations - et non plus des expérimentations - dans l'Hexagone en sortant de la contrainte du droit constant ; il nous paraît également nécessaire d'avancer en temps masqué pour poser les jalons indispensables à la réussite de la réforme. Ni la modification de près de 180 textes règlementaires, ni la mise en cohérence de l'architecture numérique des applications de la police nationale avec sa nouvelle organisation, ni encore la mise en place de regroupements immobiliers, ne se feront du jour au lendemain.
Afin de ne pas reproduire les erreurs passées, il conviendra également de profiter de ce délai pour conduire une concertation continue et sincère, tant au niveau local que national, tant auprès des policiers que des magistrats.
Mme Nadine Bellurot , co-rapporteure . - La mission d'information nous a par ailleurs fait prendre conscience d'une problématique majeure pour notre société : celle des stocks de procédure dans nos commissariats - il y en a 2,6 millions -, qui sont autant de bombes à retardement pour la société. La contestation de la réforme de la police nationale en a été le révélateur, puisque les personnels des services de police judiciaire craignaient - et craignent encore - que la réforme ne conduise à les mettre à contribution pour résorber le stock d'affaires accumulées dans les services de la sécurité publique. Une telle orientation serait déraisonnable, inefficace et profondément nuisible à la société. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est indispensable.
Le doublement des effectifs sur la voie publique n'aura de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle. Sans cela, c'est toute la chaine pénale qui sera engorgée, sans amélioration de la réponse pénale. Il est certes important d'arrêter le délinquant en bas de l'immeuble, mais il faut aussi monter plus haut dans la hiérarchie de la délinquance, ou bien l'action ne sert à rien. Ce renforcement des effectifs devra être particulièrement important s'agissant de la hiérarchie intermédiaire dans les services d'investigation.
Nous considérons également que la réforme, par la création d'une filière judiciaire unifiée, constitue une opportunité : si elle est saisie, elle offrira aux personnels de véritables parcours de carrières, tant en matière de formation que de perspectives d'évolution de carrière et d'avancement.
Enfin, la réforme doit aussi être l'occasion de rappeler et de mieux garantir le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire.
Le procureur de la République est chargé de mettre en oeuvre la politique pénale dans son ressort. Or, la définition des priorités assignées par les parquets aux services d'enquêtes se heurte parfois aux priorités définies par le préfet aux services de voie publique. Il convient de rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires, en demandant aux préfets d'ajuster leurs orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire. Un dialogue croissant entre préfets et procureurs est ainsi nécessaire pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire.
S'agissant du libre choix du service enquêteur, qui est une exigence posée par l'article 12-1 du code de procédure pénale, ce principe se heurte déjà fréquemment aux capacités de traitement limitées de certains services spécialisés. C'est donc en fait l'affectation et la répartition dans le temps des moyens humains entre les différents services appelés à réaliser des investigations qui sont en jeu.
Nous proposons donc de renforcer l'effectivité de ce principe par plusieurs moyens : en assurant un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire, en inscrivant dans les textes règlementaires l'intégralité des services que l'autorité judiciaire pourra saisir dans la nouvelle organisation de la police nationale, en prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction des moyens alloués par enquête.
Plus avant, nous demandons à ce que les doctrines nationales en cours d'élaboration rappellent formellement et solennellement les grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire. Ces grands principes sont : le placement de la police judiciaire sous la direction, le contrôle et la surveillance de l'autorité judiciaire, qui a valeur constitutionnelle ; les prérogatives de l'autorité judiciaire s'agissant notamment de la mise en oeuvre des priorités de politique pénale ; le secret de l'enquête et de l'instruction ; la préservation de la possibilité pour le procureur de la République ou le juge d'instruction de choisir librement le service d'enquête en charge des investigations ; la préservation d'une capacité à lutter contre l'ensemble du spectre de la criminalité, depuis la criminalité organisée ou financière à la délinquance du quotidien, en passant par la délinquance intermédiaire présentant un ancrage interdépartemental ou interrégional.
Voilà les recommandations que nous avons formulées d'un commun accord sur cette réforme.
Mme Brigitte Lherbier . - Le projet de réforme était fortement contesté dans la police et magistrature l'été dernier, mais nous n'entendons désormais plus parler de contestation: que s'est-il passé entre-temps ?
M. Jérôme Durain , co-rapporteur . - Ceux qui contestent la réforme dans la police se sont exprimés et ils avaient décidé de suspendre leur mouvement jusqu'au 11 mars, date prévue d'une nouvelle mobilisation. Cette mobilisation a été reportée en raison de la contestation sur la réforme des retraites. Cependant, leur activité a continué sur les réseaux sociaux.
Mme Brigitte Lherbier . - Qu'en est-il pour la magistrature ?
Mme Nadine Bellurot , co-rapporteure . - Dans la magistrature comme dans la police, des craintes ont été exprimées, le Gouvernement s'est expliqué et a fait des annonces, le mouvement a été suspendu en effet, dans l'attente d'investigations complémentaires, en particulier les deux rapports d'information de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le nôtre clôt ainsi cette séquence.
M. François-Noël Buffet , président . - Effectivement, il y a eu, le mois dernier, un rapport issu de trois services d'inspection, et il y a eu à la fin de l'année dernière un courrier du ministre de l'intérieur au ministre de la justice, confirmant que l'autorité judiciaire reste maîtresse de la police judiciaire - ce rappel du principe a peut-être contribué à apaiser les choses. De fait, la contestation n'a pas porté sur les aspects organisationnels du projet, une réforme est attendue, mais sur ce qui touche à la police judiciaire : la question s'est posée du niveau de responsabilité aux différents échelons de l'organisation proposée. On a pu alors réaliser que le niveau zonal serait intéressant pour l'échange d'informations contre la délinquance et qu'il y aurait là un progrès pour l'exercice des missions de police judiciaire.
M. Jérôme Durain , co-rapporteur . - Nos auditions nous ont fait toucher les causes de la colère envers la réforme. Il faut prendre en compte deux faits majeurs : le stock considérable des procédures en attente, qui a un effet très négatif sur les agents mais aussi sur les justiciables, et la prévalence d'une délinquance massive autour des stupéfiants, dont on nous a dit, à tous les niveaux, qu'elle requiert l'institution d'une police dédiée : tous les acteurs nous ont alertés sur le fait que cette délinquance gangrène le pays, et s'il ne faut pas exagérer ce phénomène, il faut prendre en compte ces signaux d'alerte très clairs.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Merci pour ce travail important, nous savons que vous êtes allés au fond des choses, cela nous est précieux. Et maintenant, à quoi tout cela va-t-il servir ? J'ai été frappée par le changement de vocable du ministre de l'intérieur : il ne parle plus d'une réforme de la police judiciaire, mais de la police. Et quel en sera le calendrier ? Vous dites votre perplexité, votre inquiétude même, d'une réforme précipitée - et vous demandez un moratoire jusqu'après les jeux Olympiques et Paralympiques : avez-vous rencontré le ministre pour le lui dire et lui présenter vos propositions ? Et quelle sera sa réponse - car assurément, votre travail n'a rien du pamphlet ni du brûlot politique, c'est un travail des plus sérieux, qui appelle une réponse précise du ministre.
Mme Nadine Bellurot , co-rapporteure . - Nous vous avons réservé la primeur de nos travaux...
M. François-Noël Buffet , président . - Nous allons d'abord voter ce rapport, qui sera celui de la commission, puis nous l'l'adresserons au ministre de l'intérieur.
M. Jérôme Durain , co-rapporteur . - C'est effectivement la procédure. Nous proposons un moratoire et de desserrer l'étau. Cette réforme est mal née, on a peine à se représenter que certains services ont reçu leur nouvel organigramme sans aucune concertation préalable : en matière de conduite de projet, il est difficile de s'y prendre plus mal ! Le moratoire est l'occasion d'examiner les solutions, qui existent, et de les concerter.
Mme Nadine Bellurot , co-rapporteure . - Notre idée est bien de contribuer à améliorer les choses par la réforme, nous voulons lui donner toutes ses chances. Le ministre de l'intérieur a reconnu les difficultés numériques, les problèmes dans la mise en oeuvre de la réforme là où elle a été expérimentée ; il y a aussi, bien sûr, des problèmes d'immobilier qu'on ne règle pas en un jour. La gendarmerie est en avance sur l'immobilier et le numérique, grâce à son organisation. Nous devons, ensuite, prendre pleinement en compte les rendez-vous internationaux qui ont lieu en France cette année et l'an prochain, ils sont très importants pour notre pays. Pour notre réputation, nous devons les réussir. Il est donc plus judicieux de repousser la mise en oeuvre de la réforme et de la préfigurer très concrètement et dans le détail, à partir de ce qui a été expérimenté. Mettons-nous en situation, entièrement, pour une mise en route plus rapide une fois le bon moment venu.
M. François-Noël Buffet , président . - Effectivement, la réforme, pour réussir, doit être servie par des moyens adaptés. Nous en avons eu un exemple à Angers, en visitant la plateforme « à 360 degrés » sur les migrations : le dispositif est là, mais sans moyens suffisants, ce qui contraint toute mise en place effective...
Je soumets désormais à votre approbation les 22 recommandations des rapporteurs.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport et en autorise la publication.
COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS EN COMMISSION
Audition de M. Frédéric Veaux,
directeur
général de la police nationale
M. François-Noël Buffet , président . - Nous accueillons M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. Le Gouvernement envisage en effet de modifier l'organisation territoriale de la police nationale, en créant des directions départementales qui incluraient notamment les services de police judiciaire, au même titre que la sécurité publique ou la police aux frontières, alors qu'aujourd'hui ceux-ci ne répondent qu'à l'autorité d'une direction centrale spécifique et autonome.
Cette évolution inquiète la police judiciaire ainsi qu'un certain nombre de magistrats.
Nous avons décidé de créer il y a quinze jours une mission d'information au sein de notre commission afin de mieux comprendre la situation. Monsieur le directeur général, nous souhaitons donc que vous nous exposiez en quoi consiste la réforme annoncée. Nos deux rapporteurs Nadine Bellurot et Jérôme Durain, puis nos collègues, vous poseront ensuite un certain nombre de questions.
Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale . - La police nationale fait face à de nombreux défis grâce à la capacité d'adaptation, au courage et à l'engagement de ses personnels, dans un environnement toujours plus complexe et particulièrement exposé, comme l'actualité nous le rappelle malheureusement trop régulièrement.
Les efforts budgétaires exceptionnels consentis par la Nation au cours des deux derniers exercices et dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dans l'hypothèse où ce texte serait adopté par le Parlement, permettent de disposer de moyens et d'équipements qui nous rendent plus performants et nous conduisent à envisager l'avenir avec confiance. Nous avons donc le devoir d'être encore plus efficaces.
La réforme de l'organisation de la police judiciaire s'inscrit dans une réforme plus vaste et ambitieuse de l'organisation et de la gouvernance de la police nationale, importante non seulement pour ses agents, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui aspirent légitimement à bénéficier du meilleur service public dans le domaine de la sécurité intérieure.
La dernière grande réforme de la police nationale remonte à 1966, lorsqu'a été actée la fusion de la sûreté nationale et de la préfecture de police pour créer la direction générale de la police nationale. Plusieurs adaptations ont été réalisées depuis cette date, mais la structuration de la police nationale n'a pas été fondamentalement modifiée. Notre organisation actuelle, avec des directions centrales assez autonomes et un fonctionnement très vertical, est peu adaptée aux défis auxquels nous devons faire face, qui appellent un pilotage coordonné de chacun des métiers, un nécessaire décloisonnement et davantage de déconcentration pour travailler le plus possible autour de problématiques territoriales.
L'unification de la police nationale au niveau départemental avait déjà été tentée dans les années 1990. Certaines directions n'y étaient pas associées, comme la direction centrale de la police judiciaire. Je ne m'engagerai pas dans l'analyse des raisons de l'échec de cette tentative qui était aussi la conséquence d'une alternance politique. Le constat d'une organisation qui peut être améliorée est partagé depuis longtemps par de nombreux acteurs ou observateurs des questions de sécurité intérieure. Le Livre blanc de la sécurité intérieure, publié à l'automne 2020, aborde notamment le sujet de l'organisation de la police nationale, résumé en quelques phrases dans la synthèse du document final : « les forces de sécurité intérieure doivent appréhender leur mission selon une approche plus intégrée ».
D'autres institutions ont pu établir un constat identique et appeler à une réforme des structures. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat relative à l'état des forces de sécurité intérieure, conduite en 2018 sous la présidence de Michel Boutant, dont le rapporteur était François Grosdidier, avait émis de nombreuses propositions sur la base du constat d'une organisation « en tuyaux d'orgue ». Il avait souligné que « la police nationale souffre de sa forte segmentation et d'un manque patent de cohésion qui pèse, au quotidien, sur les agents comme sur l'efficacité des services », constaté qu'« un tel cloisonnement se vérifie également au niveau territorial », et déploré que ce fonctionnement en silos nuise indéniablement à l'exercice d'un véritable pilotage ainsi qu'à la définition d'une stratégie globale d'emploi des forces de police sur le territoire.
Dans le rapport du 3 juillet 2019 sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, les députés Jean Michel Fauvergue et Christophe Naegelen ont également évoqué la nécessaire réorganisation sur la base du constat d'un morcellement des services préconisant la restructuration des forces de sécurité en grandes directions par métiers pour mettre fin au fonctionnement en tuyaux d'orgue tout en redonnant des marges de manoeuvre aux responsables locaux.
Je peux également mentionner le référé de la Cour des comptes du 22 décembre 2014 relatif à la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales, qui notait un fonctionnement cloisonné des services d'enquête de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et prévoyait de ne pas écarter l'hypothèse d'une réforme de l'organisation territoriale de la police nationale visant à intégrer dans un même réseau les services de la DCSP et de la DCPJ, en les dotant localement d'un commandement commun selon le modèle en vigueur à Paris et dans sa petite couronne.
Forte de près de 150 000 personnels, dont plus de 30 000 à la préfecture de police et 4 700 à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la police nationale - direction générale de la police nationale (DGPN) et préfecture de police comprise - traite environ 70 % de la délinquance générale et plus de 83 % de la grande criminalité.
Je n'aborderai pas, dans le cadre de votre mission, le cas particulier de la préfecture de police de Paris, qui n'est pas concernée par cette réforme et qui présente une organisation proche de ce que nous voulons mettre en place, même si elle n'est pas aboutie en raison du traitement d'une partie de la délinquance par une direction un peu équivalente à la direction centrale de la sécurité publique : la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne.
Pour ce qui concerne les services placés sous mon autorité directe, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire.
La première est la direction centrale de la sécurité publique, direction généraliste qui est la plus grande direction active de la police nationale en termes d'effectifs - plus de 65 000 personnels, dont 17 400 sont affectés à la filière judiciaire, répartis dans 280 circonscriptions de sécurité publique et 92 directions départementales de la sécurité publique - et qui traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police.
La seconde est la direction centrale de la police judiciaire, direction spécialisée chargée de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité, ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée. Elle est composée de 5 640 personnels, dont 3 800 enquêteurs répartis dans des services centraux et territoriaux, services centraux organisés autour notamment de quatre sous-directions opérationnelles : la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière, la sous-direction antiterroriste, la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que l'Office anti-stupéfiants rattaché directement au directeur central de la police judiciaire.
L'organisation territoriale de la DCPJ compte 7 directions zonales, 18 directions territoriales et 39 services de police judiciaire. Je ne peux pas ne pas mentionner le service national de police scientifique - 1 245 personnels - qui pilote l'ensemble de la police technique et scientifique de la police nationale, et les laboratoires de police scientifique qui concourent à l'efficacité de tous les services d'investigation.
À ma connaissance, personne ne semble contester le fait que notre organisation est cloisonnée et très centralisée, entraînant de fait la cohabitation sur un même territoire de services qui relèvent de directions différentes, avec chacun son directeur et son état-major, des bases de données qui ne sont pas toutes partagées, des outils métiers différents, des priorités et une stratégie qui leur sont propres. Il en découle des conflits de compétence, positifs ou négatifs, des doublons et parfois des logiques de concurrence qui nous font perdre en efficience. L'organisation de la police nationale est difficilement compréhensible par nos partenaires et nos interlocuteurs, en particulier les élus et la population.
Par ailleurs, l'exercice d'une même mission aujourd'hui répartie entre plusieurs directions rend par exemple très compliqué, voire impossible, de concevoir une stratégie globale, en particulier pour la mission de police judiciaire. Pour surmonter cette difficulté, nous avons donc signé des protocoles entre les services de la police nationale pour tenter d'harmoniser nos pratiques et coordonner nos actions. Le dernier d'entre eux date du 12 avril 2016 et porte sur la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire. Je ne suis pas certain qu'il ait été vraiment mis en oeuvre. Même si ces protocoles ont apporté un peu de fluidité, leur multiplication est révélatrice de la faiblesse de notre organisation.
On peut trouver de bonnes raisons de conclure des protocoles avec la gendarmerie, les polices municipales, l'éducation nationale ou les pompiers, mais protocoliser dans la même institution est bien l'illustration d'un défaut d'organisation.
Cette réforme est donc particulièrement nécessaire pour la filière police judiciaire, qui est confrontée à de grandes difficultés. Les causes de la crise que connaît cette filière sont multiples, dues notamment à une complexification excessive et toujours plus grande de la procédure pénale et une politique des ressources humaines peu adaptée aux spécificités de ces métiers, causes que nous avons identifiées en 2020 dans le cadre d'une initiative de la direction générale de la police nationale rassemblant tous les services autour d'une coordination nationale de l'investigation.
Un certain nombre de facteurs ont contribué à ce que la filière investigation de la police nationale soit malheureusement moins efficace qu'elle n'a pu l'être dans le passé. Sur la période 2010-2019 - je ne prends pas en considération l'année 2020, qui est singulière en raison de la crise sanitaire -, le volume global de la délinquance traité par les services de police a varié assez peu avec une moyenne de 2,4 millions de faits enregistrés par an. Il convient de souligner que la direction centrale de la sécurité publique traite l'essentiel de la délinquance enregistrée par la police nationale, y compris pour les faits relevant de la criminalité organisée : 59 % de l'agrégat de la grande criminalité pour la DCSP contre seulement 8 % pour la DCPJ et 29 % pour la préfecture de police.
Toujours sur la période 2010-2019, les taux d'élucidation ont baissé de manière constante et significative, quel que soit l'agrégat concerné : atteintes aux biens, atteintes aux personnes ou délinquance économique et financière : moins 12 points pour les violences non crapuleuses, moins 15 points pour les violences sexuelles, moins 2 points pour les atteintes aux biens, qui sont déjà très faiblement élucidées, moins 16 points pour les infractions économiques et financières. Cette évolution n'est donc pas la conséquence d'une augmentation du volume des faits à traiter. La baisse de la performance globale de la filière contribue aussi en partie à la constitution de stocks de procédures dans les services généralistes. Au mois de juin 2022, le nombre total des procédures en portefeuille pour les services de la direction centrale de la sécurité publique s'élevait à plus de 1,5 million, soit une moyenne de 104 procédures par enquêteur, avec de fortes disparités selon les départements.
Par ailleurs, j'entends certains magistrats dire publiquement que la qualité des procédures est en baisse et exprimer le constat d'un retrait de l'encadrement, officiers et commissaires, dans la conduite des enquêtes. Il est vrai que les policiers du corps d'encadrement et d'application, qui constituent aujourd'hui l'ossature de la filière investigation des services de la sécurité publique, ne sont pas assez formés et insuffisamment encadrés. Ce dernier point est à mettre en relation avec le faible taux d'encadrement des services d'investigation généralistes : 5 % pour la direction centrale de la sécurité publique, contre environ 30 % pour la direction centrale de la police judiciaire, conséquence directe de la déflation des corps d'officiers et de commissaires. En général, la réponse attendue aux difficultés s'exprime souvent sous la forme de demandes de renforts, qui sont parfois nécessaires même s'ils ne sont pas tous porteurs de la solution.
En effet, en ce qui concerne l'investigation, on observe que la hausse des effectifs des enquêteurs - de 17 % entre 2015 et 2020 - n'a pas été suffisante pour enrayer cette crise. Hors préfecture de police, la filière investigation de la direction générale de la police nationale était ainsi composée de 21 300 enquêteurs en 2020, contre 17 800 en 2015, cette hausse concernant non seulement la direction centrale de la sécurité publique, mais aussi la DCPJ avec une augmentation de l'ordre de 20 %. On ne peut donc pas réduire la question de la crise à la seule question des moyens alloués à la filière. La question de son pilotage global doit être posée et ne pourra se résoudre dans le cadre de notre organisation actuelle, qui doit impérativement évoluer.
Je ne veux pas laisser penser que ce constat n'est que négatif, l'activité des services d'investigation de la police nationale ayant été très fortement dirigée vers la lutte contre les trafics de stupéfiants et contre le terrorisme pendant cette période très singulière.
Cette démarche de transformation de la police nationale a été entreprise dès le mois de janvier 2020 avec la création de trois directions territoriales de la police nationale en outre-mer. Des directions territoriales de la police nationale ont ainsi été mises en place le 1 er janvier 2020 à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, département qui comptait alors une direction départementale de la sécurité publique, une direction départementale de la police aux frontières, une antenne de police judiciaire et une antenne de l'Office anti-stupéfiants, puis à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Polynésie française le 1 er janvier 2022.
Les raisons avancées à l'époque conservent toute leur pertinence, puisqu'il s'agissait notamment d'améliorer l'efficacité de la gouvernance en développant un pilotage et une vision uniques de l'activité policière, cette unicité de commandement permettant de dépasser l'organisation en silos des directions centrales et de fonctionner davantage dans une logique métier sur ces territoires délimités.
Des enseignements sont tirés de ce qui relevait donc non pas d'une expérimentation, mais bien d'une mise en oeuvre concrète : davantage de solidarité entre les services et de fluidité dans le travail quotidien, une simplification, représentée par le fait de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour toute la police nationale qui dispose de l'ensemble des leviers et des métiers de la police pour répondre aux préoccupations, la disparition des logiques de concurrence entre services et une meilleure prise en charge des victimes grâce à des services territoriaux de police judiciaire mieux organisés et plus réactifs, un meilleur suivi des dossiers et une plus forte implication de la chaîne hiérarchique dans la gestion des portefeuilles de toute la filière permettant de rétablir localement des situations en s'appuyant sur le savoir-faire de la police judiciaire en ce qui concerne la Guyane.
La police nationale dispose désormais, dans ces territoires, d'une capacité de mobilisation plus importante sans que l'expertise de la police judiciaire soit remise en cause ou que ces moyens soient réorientés vers le traitement de la délinquance de masse.
En métropole, huit expérimentations à droit constant sont menées dans le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et la Savoie, depuis le mois de janvier 2021, et dans le Calvados, l'Hérault, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Haut-Rhin depuis le mois de février 2022. La particularité est que nous procédons à ces expérimentations à droit constant, avec un fonctionnement moins intégré, l'efficacité du dispositif reposant principalement sur la bonne volonté des personnes concernées. Nous enregistrons cependant des progrès opérationnels significatifs grâce à un regroupement des différents états-majors en un seul, compétent pour toute la police nationale, avec un partage exhaustif des informations entre les filières et la capacité de mettre en place une stratégie globale à l'échelle du territoire et des opérations associant mieux les diverses spécialités de la police, avec la mise en place d'une conférence radio unique pour toutes les directions, de façon à mutualiser les moyens et accroître le nombre de patrouilles disponibles en cas d'intervention complexe, et enfin avec la prise en charge de déferrements au tribunal par des effectifs en tenue, alors que jusqu'à présent les enquêteurs avaient l'obligation de les assurer.
Un des objectifs de cette réorganisation est de rendre le travail de tous les policiers plus simple et plus fluide : pas de concurrence entre services, un renoncement à la conduite d'actions sur la base d'informations parcellaires détenues par chacune des directions, des réponses plus rapides de la chaîne hiérarchique, des possibilités d'évolution professionnelle à l'intérieur d'une filière ou entre filières en fonction des aptitudes et de la motivation, une politique de formation continue plus proche des besoins du terrain, de véritables parcours de carrière pour disposer de profils plus diversifiés et polyvalents, des capacités de renfort plus importantes en cas de coup dur opérationnel. Nous aspirons à une police plus efficace, plus proche des victimes, capable de réaliser des enquêtes de qualité, quelle que soit la nature des infractions.
La future organisation permettrait un pilotage coordonné de la filière police judiciaire, non seulement pour orienter l'activité opérationnelle des services mais également pour améliorer la conception et la mise à la disposition de tous les enquêteurs de référentiels professionnels communs et d'outils numériques qui seront de nature à simplifier leur activité ; l'identification précise des besoins en formation et la mise en place de modules de formation en adéquation avec ces besoins ; le suivi des portefeuilles d'affaires pour identifier rapidement les services en difficulté et mettre en place des dispositifs de soutien.
Ce pilotage unique, difficile à mettre en place actuellement en raison de l'éclatement des services, sera également de nature à accélérer la modernisation de nos méthodes de traitement du renseignement criminel et plus largement de la circulation de l'information opérationnelle. Il nous permettra par ailleurs de garantir une bonne allocation des moyens grâce à une vision plus précise des niveaux d'activité et des charges des services. On ne peut pas négliger non plus que la mutualisation des états-majors, des structures d'analyse et des fonctions support pourra conduire à la réalisation d'économies dans le domaine de l'équipement et à des gains sur des fonctions redondantes.
Enfin, nous souhaitons moderniser la gestion des ressources humaines (RH), créant de nouvelles perspectives d'évolution professionnelle pour tous grâce à une RH unifiée, offrant des parcours plus diversifiés et plus enrichissants avec un processus de décision plus rapide.
Dans l'attente du projet définitif, les grandes lignes de cette réorganisation ont été affinées à partir des retours du terrain. Le niveau des directions nationales doit être un échelon non plus de gestion des personnels mais essentiellement de stratégie et de pilotage. C'est la raison pour laquelle les directions centrales deviendront des directions nationales chargées de définir et d'animer l'activité des quatre grandes filières métiers de la police nationale : la sécurité et la paix publique, le renseignement territorial, la police judiciaire, les frontières et l'immigration irrégulière. Les directeurs disposeront d'une capacité de pilotage stratégique sur l'ensemble du métier concerné. Ils auront également, placées directement sous leur autorité, des entités nationales opérationnelles.
En ce qui concerne la future direction nationale de la police judiciaire, les offices centraux et les autres services à compétence nationale ou de soutien opérationnel seront maintenus, certains d'entre eux, comme l'office cyber, verront leurs attributions et leurs moyens renforcés. Ces filières seront déclinées au niveau zonal et au niveau départemental dans des configurations différentes d'un territoire à l'autre, tenant compte des spécificités de la criminalité et des enjeux sécuritaires locaux.
Le niveau zonal permettra à la direction générale de la police nationale d'avoir un relais territorial pour animer et coordonner l'action des directions départementales dans le strict respect - j'insiste sur ce point - des prérogatives des préfets et de l'autorité judiciaire. Pour la filière police judiciaire, il est envisagé d'y implanter certaines structures de soutien opérationnel, comme les brigades de recherche et d'intervention, le service interministériel d'assistance technique, des fonctions cyber qu'il est difficile de multiplier à l'infini, l'aspect saisie des avoirs criminels, et un service chargé des enquêtes sur les atteintes à la probité.
Le directeur zonal sera assisté d'adjoints en charge des filières métiers, dont un pour la police judiciaire qui veillera à ce que tous les services territoriaux de police judiciaire fonctionnent selon les règles fixées par une doctrine. Les quatre futures filières métiers disposeront chacune d'une doctrine d'emploi et de fonctionnement, permettant ainsi de connaître précisément le périmètre des missions assignées.
Cette méthode de la doctrine a été instaurée en 2013, pour définir le cadre d'action du renseignement territorial. Jusque-là, ce service ne disposait d'aucune doctrine, ses missions et son organisation fluctuant au gré des priorités. Ce document a ainsi permis d'empêcher que certains directeurs départementaux soient tentés de confier aux policiers de ses services des missions qui ne relevaient pas de leur compétence.
Enfin, le niveau départemental sera l'échelon territorial de référence pour l'animation et la coordination opérationnelle de l'action de l'ensemble des services implantés sur ce territoire, sans préjudice de la compétence interdépartementale des futurs services de police judiciaire qui sera préservée.
En ce qui concerne le service interdépartemental de la police judiciaire, qui verrait ses marges de manoeuvre anormalement contrariées par le DDPN du lieu de son implantation, le directeur zonal de police judiciaire (DZPJ) aura pour mission de veiller au respect des règles de fonctionnement.
La chaîne hiérarchique, en lien étroit et permanent avec l'autorité judiciaire, devra garantir la meilleure réponse possible aux départements limitrophes, dont les capacités d'enquête pourraient être limitées.
Sous l'autorité des directeurs départementaux de la police nationale, les circonscriptions de sécurité publique deviendront des circonscriptions de police nationale. Ce regroupement des missions de police judiciaire dans une seule filière favorisera le meilleur niveau de spécialisation des services d'enquête en tout point du territoire national.
Le maintien de l'empreinte territoriale et de l'expertise de l'actuelle direction centrale de la police judiciaire est essentiel, car elle dispose en effet de pôles d'excellence.
Alors que la direction actuelle est constituée de 5 000 agents, la future direction nationale de la police judiciaire animera et pilotera le travail de plus de 23 000 enquêteurs, ce qui apportera une vue et une approche globales qui ne pourront qu'être bénéfiques à l'ensemble.
Contrairement à ce qui peut être dit ou écrit, les structures de la police judiciaire ne disparaîtront pas ; elles seront maintenues partout où il existe une implantation d'un service de police judiciaire.
Le parquet ou le juge d'instruction choisira évidemment toujours librement la formation qu'il souhaite saisir. L'autorité judiciaire continuera d'exercer sa mission de direction et de contrôle de la police judiciaire. La réforme évitera le risque de conflit négatif de compétence auquel les parquets sont parfois confrontés lorsqu'aucun des services d'enquête du ressort ne souhaite traiter une saisine.
Enfin, les directeurs départementaux de la police nationale seront choisis pour leur aptitude à prendre en compte toutes les filières métiers de la police nationale. Les DDPN de demain ne seront pas systématiquement les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) d'aujourd'hui : des profils seront identifiés au sein de toutes les directions actuelles pour exercer un nouveau métier, celui de chef de police.
Notre système d'évaluation des cadres de la police nationale a été renforcé en nous inspirant du dispositif du Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE), c'est-à-dire une évaluation à 360 degrés, en vigueur pour les membres du corps préfectoral. Le choix des femmes et des hommes qui dirigeront ces directions départementales est en effet déterminant pour la réussite de cette transformation.
Afin de dissiper certaines inquiétudes, j'ai tenu à adresser un courrier à chacun des agents de la direction centrale de la police judiciaire pour expliquer le sens de la réforme et prendre des engagements que je vais rappeler devant vous.
Les enquêteurs de la police judiciaire continueront à agir en dehors de leur territoire d'affectation, sur la base de compétences judiciaires élargies ; les capacités opérationnelles spécialisées dont dispose aujourd'hui la direction centrale de la police judiciaire seront renforcées ; la doctrine garantira les capacités d'initiative et la préservation du temps long nécessaires à l'aboutissement des affaires les plus complexes ; les effectifs relevant actuellement du périmètre de la direction centrale de la police judiciaire ne seront pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure. Enfin - j'insiste là-dessus -, aucun agent de la police judiciaire ne sera contraint de changer de métier ou de résidence administrative.
Nous souhaitons que cette nouvelle organisation soit mise en place au cours de l'année 2023, soit plus de deux ans après le début des travaux, et avant l'échéance de l'année, sans doute difficile pour les forces de sécurité intérieure, des jeux Olympiques et Paralympiques.
En conclusion de ce propos introductif, je veux être très clair et ferme à propos de la direction centrale de la police judiciaire et de ma détermination intacte et totale à lutter contre la criminalité organisée et à faire traiter les faits les plus graves par les services spécialisés.
Toute réforme suscite des inquiétudes, des interrogations : je les entends et je les comprends. Elles ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue l'essentiel : la réforme de l'organisation de la police nationale est nécessaire pour permettre aux agents d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions possible, aux magistrats de disposer de services encore plus efficaces, capables de produire des procédures de meilleure qualité, quelle que soit l'infraction concernée, et aux victimes d'être prises en charge à la mesure du préjudice et du traumatisme qu'elles subissent.
Ce projet de réforme se fonde sur des constats, des rapports et des expérimentations.
Ayant servi pendant trente années au sein de la police judiciaire dans des services opérationnels, territoriaux et centraux, spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme, ma conviction est très personnelle.
Je suis entré dans la police pour faire un travail de police judiciaire. Je connais la valeur des femmes et des hommes avec qui nous avons fait face à des situations très difficiles, et résolu bon nombre d'affaires très complexes. Je n'imagine pas les trahir et renoncer à l'idéal que nous avons partagé et qui m'anime toujours.
Je peux donc vous l'affirmer : non, les services de la direction centrale de la police judiciaire ne vont évidemment pas disparaître. Dans certains territoires et pour certains contentieux, ils seront même renforcés.
Oui, l'autorité judiciaire aura toujours la même capacité à choisir la formation qui lui paraît être la mieux à même de traiter un dossier et d'exercer son contrôle sur les services de police chargés de l'investigation.
Nous allons bâtir une organisation qui nous permette de mettre un terme aux défauts relevés par toutes les institutions qui se sont penchées sur notre fonctionnement, afin de répondre encore mieux aux nombreux défis que nous imposent l'exigence de protection des personnes et des biens, les aspirations légitimes des victimes et la protection des libertés individuelles et collectives.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Merci pour cette présentation, complète, qui appelle un certain temps de digestion au vu de la quantité d'informations fournies.
Nous allons tâcher par nos questions de vous faire expliciter certains points de manière détaillée et technique. En tant que parlementaires, n'ayant pas une expérience de trente ans dans la police, nous avons besoin de comprendre, de manière très pratique, comment cela fonctionne.
Vous avez rappelé la genèse du projet et évoqué le calendrier. Sur ce dernier point, j'ai entendu que la réforme interviendrait « au cours de l'année 2023 ». Est-ce à dire que ce ne sera pas au 1 er janvier, ce qui laisserait un temps de réflexion et de travail, notamment pour notre mission d'information ?
Vous avez abordé en quelques mots les expérimentations en cours sur le territoire, en outre-mer et dans trois départements hexagonaux. Quelles améliorations avez-vous pu constater, de façon très pratique, dans ces territoires ? Nous savons que les choses ne se règlent pas d'un coup de baguette magique ; à quelles difficultés avez-vous été confronté ?
Des craintes s'expriment au sein de la police judiciaire sur un risque de dilution du coeur du métier, à savoir la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, au sein de ces nouvelles DDPN. Vous nous avez dit que les personnels n'avaient pas lieu de s'inquiéter, mais j'aimerais que vous nous apportiez des éléments sur les nouvelles activités qu'ils pourraient être amenés à réaliser.
La direction centrale de la PJ est actuellement dotée de huit offices centraux et d'organes de coopération internationale policière pour lutter contre la grande criminalité. Comment la future direction nationale de la police judiciaire va-t-elle coordonner cette cohabitation et ce prolongement territorial ?
Enfin, j'ai bien compris que le choix de l'enquêteur resterait soit au procureur, soit au juge d'instruction, et non pas, donc, au directeur départemental - à moins de changer le code de procédure pénale, ce qui n'est, me semble-t-il, pas prévu.
M. Jérôme Durain , rapporteur . - Monsieur le directeur général, vous nous dites que les travaux sont en cours depuis deux ans ; or, nous observons une levée de boucliers massive, au point qu'une nouvelle instance représentative des officiers de police judiciaire a été créée. Au-delà des questions de fond, il existe sans doute un sujet de méthode. Nous ne pouvons pas le réduire à une forme de corporatisme, ce serait injurieux pour les officiers qui s'expriment. Cela révèle donc des craintes assez profondes de ces personnels quant à l'exercice de leur métier.
Ces inquiétudes sont d'ailleurs partagées par-delà la police judiciaire : le Conseil national des barreaux ou la Conférence nationale des procureurs de la République se sont exprimés sur la question avec beaucoup d'allant.
Vous disiez hier que les préfets n'étaient pas politiques. Le haut fonctionnaire que vous êtes a dû constater, au cours de sa carrière, qu'il arrive malgré tout qu'il y ait des tentatives d'influence du politique dans les affaires judiciaires.
Cette question de l'interférence du politique a notamment été posée par Éliane Houlette, ancienne procureure de la République du parquet national financier (PNF), qui a dit avoir parfois ressenti des formes d'entrave à son action dans l'affectation des moyens.
N'y a-t-il pas un risque pour l'autonomie de la police judiciaire ? Les DDPN ne seront-elles pas dotées d'une capacité d'arbitrage sur le choix des dossiers au détriment du travail d'enquête indépendant ?
Vous nous expliquez que le choix du département comme échelon de base est naturel, compte tenu de l'évolution de la criminalité, de la délinquance et des nécessités opérationnelles. Pourtant, François Molins estime pour sa part que, si elle a effectivement beaucoup évolué, la criminalité se joue désormais à l'échelle des interrégions et de l'international. Il y a là une contradiction.
Vous nous avez précisé que les agents pourraient agir en dehors de leur territoire d'affectation. Pour autant, ne risque-t-on pas, avec cette départementalisation, de réduire notre capacité à nous projeter sur les affaires les plus complexes et la criminalité organisée, qui dépassent les frontières départementales ?
Enfin, vous avez mentionné un courrier adressé à vos agents pour expliciter des choses qui, visiblement, n'étaient pas si claires que cela. Pouvons-nous en être destinataires ?
M. Loïc Hervé . - Un projet de loi se trouve actuellement sur le bureau du Sénat : le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dont le rapport annexé comporte des références à cette réforme. Il en va de même pour le texte lui-même, notamment sur la question de la création des assistants d'enquête. Comment comptez-vous articuler la Lopmi, en préfiguration - ou pas - de cette réforme, et cette réforme ?
Mme Marie Mercier . - Merci, monsieur le directeur général, pour cette présentation qui montre que vous maîtrisez parfaitement tous les arcanes de la police nationale.
Vous êtes revenu sur le cloisonnement étanche des services qui peut nuire à la protection et à la sécurité de nos concitoyens. Je veux revenir à la période, si étrange, du confinement, au cours de laquelle les cambriolages ont diminué mais les violences intrafamiliales ou la cybercriminalité ont augmenté. Nous avons pu voir une présence importante de policiers sur la voie publique puisqu'il fallait faire des contrôles.
Je m'interroge sur un service en particulier : la police aux frontières. Celle-ci ne devait pas avoir grand-chose à faire. Ses agents ont-ils apporté leur aide à leurs collègues ? Dans le cas contraire, le nouveau système permettra-t-il ce type de coordination et de coopération entre les différents services ?
M. Philippe Bonnecarrère . - Vous avez évoqué une augmentation du nombre d'enquêteurs. Cet élément me semble paradoxal : ce n'est pas ce que nous entendons sur le terrain ni ce que j'ai entendu du garde des sceaux ou de votre propre ministre de tutelle.
Nous avons plutôt le sentiment que la police peine à disposer d'enquêteurs, notamment, au regard des responsabilités qui sont les leurs, sur le plan qualitatif. Le fait qu'il n'y ait plus d'oral au concours et que vous soyez amené à proposer de recruter dès le début de la carrière me laissent penser qu'il y a un problème d'effectifs et de formation. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?
Dans le cadre de la Lopmi, évoquée par Loïc Hervé, vous prévoyez la création d'assistants d'enquête. Est-ce vraiment une bonne idée ? Cela ne rendra-t-il pas plus administratif le fonctionnement de la police ? N'est-ce pas abandonner l'idée d'améliorer la procédure elle-même ?
Je ne doute pas de la cohérence de votre réforme, mais on imagine assez volontiers qu'elle donne lieu à des débats internes à la police. Les agents vont devoir se repositionner. Combien de temps faudra-t-il pour mettre en oeuvre une telle réforme ? Est-il raisonnable, dans une approche pragmatique, de vous épuiser pendant plusieurs années sur cette réforme au moment où les moyens de la police nationale vont considérablement augmenter ? N'allez-vous pas perdre le bénéfice de cette montée en puissance ?
M. Alain Marc . - Vous avez parlé de la nécessité de traiter au mieux les crimes et délits constatés. Nous travaillons auprès des maires, avec lesquels nous faisons un constat : avant de traiter les faits, il faut les prévenir.
Malgré la qualité de nos policiers, nous avons un vrai problème de présence sur le terrain. La difficulté pour les commissariats à rassembler ne serait-ce qu'un seul équipage le week-end pose tout de même question.
Le travail de police judiciaire est capital, mais avez-vous réfléchi au sujet de la présence sur le terrain ? Nous la souhaitons plus forte, avec une meilleure organisation ou une augmentation des effectifs.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Vous avez évoqué le sujet de la réforme de la DDPN dans les territoires d'outre-mer depuis 2020. Trois territoires étaient d'abord concernés : Mayotte, la Guyane et la Polynésie française.
La commission des lois s'est déplacée en Guyane fin 2019 et à Mayotte en septembre 2021 et a constaté que des résultats positifs se profilaient. Une flambée de violences inouïe frappe ces territoires.
Comment, dans le cadre de cette réorganisation, mieux répondre à ces violences perpétrées par des bandes de jeunes ?
Quatre ans après sa mise en place, où en est la compagnie départementale d'intervention (CDI), qui était censée appuyer les forces de l'ordre et lutter contre ces violences urbaines ?
La deuxième ville de Mayotte, Koungou, compte 30 000 habitants et ne dispose pas d'un commissariat. Idem pour les deux communes de Petite-Terre. Est-il prévu, pour mieux répondre aux violences urbaines, de doter ces territoires de commissariats ?
M. Mathieu Darnaud . - Pour avoir participé à la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, je souscris aux propos de mon collègue Thani Mohamed Soilihi.
Je souhaite par ailleurs aborder la cybercriminalité, qui explose et dont l'impact est parfois dramatique, notamment dans le secteur hospitalier. Ma collectivité a récemment été victime d'une attaque cyber aux conséquences douloureuses. Nous avons une impérieuse nécessité de renforcer nos moyens humains et de nous réorganiser sur ce sujet.
En ce qui concerne l'évolution des DDSP en DDPN, ces dernières auront, nous avez-vous dit, un profil un peu différent ; pouvez-vous nous en dire plus, notamment en matière de prérogatives ?
M. Jean-Pierre Sueur . - Monsieur le directeur général, j'ai été sensible à votre propos et essentiellement aux trois dernières phrases, dans lesquelles vous vous êtes engagé personnellement au regard de votre expérience.
Pour le reste, j'ai été frappé par le ton que vous avez employé, qui m'a presque fait penser à celui d'un avocat, en faveur de cette réforme. Vous avez utilisé le futur simple, en ayant l'air de dire que la réforme irait forcément dans le bon sens.
Je ne doute pas de votre sincérité et j'ai un grand respect pour la police nationale, mais j'ai été comme sidéré du contraste avec les propos de François Molins, qui est tout de même procureur général près la Cour de cassation et estime que cela pose un problème par rapport à la justice et à l'indépendance des magistrats. Comment concilier ces propos contradictoires ? Ne trouvez-vous aucun point d'accord avec François Molins ?
Cela pourrait conduire à des positions moins absolues sur cette réforme dont nous ne serons pas saisis - elle relève du domaine réglementaire - et qui tient en quatre lignes dans le rapport annexé au projet de loi qui nous sera présenté.
Vous avez évoqué la complexité de la procédure pénale, soit ; mais en quoi une direction départementale la simplifierait-elle ?
Je formule le voeu, peut-être pieux, que s'exprime un peu plus de nuance.
Plusieurs de mes collègues ont dit combien il apparaissait nécessaire que la PJ fonctionne à un niveau bien supérieur au niveau départemental. Vous le savez, vous l'avez vécu, les affaires auxquelles vous êtes confrontés sont plutôt d'ampleur régionale, nationale, internationale.
Mme Laurence Harribey . - Votre présentation m'a mise mal à l'aise, car, à vous écouter, cette réforme a été bien pensée, donc « circulez, il n'y a rien à voir ». Or vous êtes tout de même devant des législateurs.
Vous avez dit à la fin de votre propos que toute réforme suscitait des inquiétudes. Pour ma part, j'aime travailler selon la méthode de nos collègues québécois, pour lesquels une réforme, pour qu'elle soit acceptée, doit être comprise.
Une réforme n'est ni définitive ni exempte de potentielles dérives. C'est pourquoi les études d'impact sont fondamentales pour prévoir ces dérives et permettre l'acceptation d'une réforme.
Je m'interroge sur la départementalisation, sur le niveau de technicité de la police judiciaire, et j'ai l'impression qu'au bout du compte, il s'agit plus d'un problème de ressources humaines que d'organisation.
Cela me fait penser à ces entreprises qui, lorsqu'il y a un problème, changent l'organigramme. La question est plus profonde et a trait à un sentiment d'adhésion. Le problème essentiel, ce sont les effectifs, la formation et l'évolution des métiers.
Dans la presse, ce matin, nous avons appris qu'une spécificité du territoire corse serait prise en compte dans l'application de la réforme. Si le Gouvernement envisage des exceptions avant même que la règle soit édictée, cela ne signifie-t-il pas que cette dernière ne convient pas, et que tout cela va trop vite ? Une réforme est certes nécessaire, mais de manière beaucoup plus concertée.
M. Philippe Bas . - Monsieur le directeur général, lorsque vous parlez de la police judiciaire, on sent que vous y mettez beaucoup de coeur et d'expérience. Votre constat me paraît lucide. Ce n'est pas parce qu'une réforme suscite des critiques qu'elle est mauvaise, mais peut-être ces critiques peuvent-elles servir à l'améliorer.
Vous avez livré des clarifications et rappels nécessaires, notamment concernant l'autorité des parquets sur le déroulement des enquêtes qui est, vous l'avez rappelé, une exigence du code de procédure pénale, qu'une réforme d'organisation ne saurait remettre en cause. Je ne doute pas que vous avez réfléchi à la compatibilité de cette nouvelle organisation avec cette exigence, que des évolutions pourront d'ailleurs encore conforter.
Vous évoquez la simplification de la procédure pénale. Un consensus existe sur ce point, mais nous avons parfois l'impression, une fois qu'on a dit qu'il fallait simplifier, d'avoir tout dit... Pouvez-vous nous donner quelques pistes sur ce qui vous paraîtrait indispensable pour favoriser la tâche des enquêteurs tout en maintenant les protections nécessaires pour les personnes faisant l'objet des enquêtes ? Qu'attendez-vous d'une réforme du code de procédure pénale ?
Par ailleurs, vous n'avez pas suffisamment abordé à mes yeux la crise des vocations. J'ai l'impression que la police judiciaire, qui était une activité particulièrement noble et recherchée au sein de la police, est aujourd'hui délaissée. Dites-moi si je me trompe, mais si je dis cela, c'est parce que j'entends des procureurs, des directeurs départementaux, des responsables des services régionaux de police judiciaire.
Je m'inquiète, car je me demande si cette évolution ne coïncide pas avec certaines évolutions de la société ayant pour conséquence, à cause des exigences de ce métier et de sa complexité croissante, qui vont de pair avec la complexité croissante de la procédure pénale, de décourager les vocations. Et ce n'est pas une réorganisation, même bien faite, qui réglera ce type de problèmes.
Nous devons engager une réflexion sur la carrière, sur les avantages qui pourraient compenser les contraintes particulières que ce métier impose.
Quel est le niveau des recrutements actuels par rapport au passé, non seulement au niveau des effectifs, mais aussi des qualifications ? Avez-vous fait une analyse approfondie des raisons qui pourraient expliquer que la police judiciaire soit délaissée pour d'autres missions au sein de la police ? Comment conforter les vocations ?
Mme Valérie Boyer . - Vous avez déploré l'organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale et vous estimez que cette réforme permettra de l'améliorer.
Mais ne pensez-vous pas qu'il y a aussi une crise de sens ? Ce cloisonnement que vous décrivez existe aussi dans le continuum police-justice-prison. Comment mettre à profit une réforme si la justice ne suit pas et si, une fois les enquêtes élucidées, il n'y a pas de suites données ? Nous avons un problème autour de la prison et de l'effectivité des peines.
Comment imaginer la réussite d'une telle réforme si elle ne s'inscrit pas dans un continuum police-justice-prison ?
M. Frédéric Veaux . - Madame la rapporteure, concernant le calendrier, je vous indique que nous n'avons pas arrêté de date. Cette réforme est compliquée à mettre en oeuvre, notamment sur le plan réglementaire. Nous devons terminer la cartographie budgétaire, la cartographie des emplois, et laisser un peu de temps aux échanges. Je peux simplement vous dire qu'elle interviendra avant le 31 décembre 2023 pour que nous puissions nous consacrer uniquement aux jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.
Je distingue ce qu'il se passe en outre-mer et en métropole. Curieusement, la mise en place de cette réforme en outre-mer n'a suscité aucune réaction. Nous étions pourtant confrontés aux mêmes enjeux et éventuelles difficultés que c'est le cas aujourd'hui en métropole.
La Guyane fait en quelque sorte office de laboratoire, car sa situation est proche de celles dans lesquelles nous pouvons nous retrouver en déclinant cette réforme en métropole.
Après quelques difficultés, que l'on rencontre à l'occasion de tout changement de méthode et de responsabilités exercées, la chaîne est désormais très fluide. Les cadres de la police judiciaire s'impliquent dorénavant dès la prise de plainte ou les constatations au moment où un fait se déroule.
L'un des objectifs de cette réforme est d'aborder cette chaîne du traitement des infractions de la constatation ou de la prise de plainte jusqu'au moment où l'affaire peut devenir extrêmement complexe et rebondir sur des enjeux que l'on n'avait pas imaginés au départ, tels que des règlements de compte ou des trafics très élaborés.
J'ai auprès de moi, à la direction générale de la police nationale, un chef de la mission outre-mer qui se trouve être l'ancien directeur interrégional de la police judiciaire Antilles-Guyane. Il se déplace souvent et connaît très bien ces territoires et me fait état de retours extrêmement positifs, surtout pour les enquêteurs, qui sont en première ligne et constataient jusqu'à maintenant un abandon de la chaîne hiérarchique - je l'ai indiqué précédemment, le taux d'encadrement pour la sécurité publique est très faible.
Au premier niveau du traitement de la délinquance, les enquêteurs sont souvent un peu livrés à eux-mêmes, insuffisamment pilotés, formés et accompagnés, alors que ce sont eux qui traitent au quotidien avec le magistrat du parquet qui les a saisis.
Le premier effet bénéfique, c'est donc la prise en compte de cette chaîne, essentielle pour le fonctionnement quotidien de la police judiciaire.
Par ailleurs, les affaires complexes se nourrissent aussi de tout petits faits du quotidien et de la connaissance du terrain. Donc, en matière de partage de renseignements, c'est aussi un progrès considérable : nous avons dorénavant des bases communes pour exploiter les renseignements et effectuer des rapprochements entre différents faits.
Je ne dispose pas de retours négatifs sur l'expérimentation en outre-mer. Nous constatons de nombreux effets positifs sur d'autres métiers de la police nationale, tels que l'ordre public ou le traitement de l'immigration irrégulière.
Pour ce qui est de la métropole, ces expérimentations reposent largement sur la personnalité des préfigurateurs et sur la manière dont les choses s'organisent localement. Nous avons des départements où cela fonctionne très bien, et d'autres moins bien. Cela tient à des questions de personnes ou de manières d'aborder les choses, mais aussi à des singularités locales.
Par exemple, dans le Pas-de-Calais, l'antenne de police judiciaire locale se situe sur le littoral - elle est implantée à Coquelles, à côté de Calais - et n'exerce donc pas ses compétences sur l'ensemble du département.
Par ailleurs, certains préfigurateurs ont parfois tenté de remplir des missions qui n'entraient pas dans le périmètre défini, ce qui a fait l'objet de rappels à l'ordre.
Ces pratiques ont montré que nous avions besoin d'une doctrine fixant très précisément à la fois les missions de chacun et les objectifs qu'on leur assigne. L'organisation doit être mise en place dans un second temps.
L'une des craintes le plus souvent mise en avant, c'est que la police judiciaire se dilue dans la masse des affaires traitées par la sécurité publique, avec toutes les contraintes que cela comporte. C'est la raison pour laquelle j'ai pris des engagements fermes, notamment pour ce qui relève du traitement des stocks de procédure.
Le but est d'éviter toute tentation de la part d'un cadre, qui n'aurait pas compris les objectifs fixés, de s'écarter des règles.
Je reviens à l'outre-mer, car j'ai oublié de mentionner un point très positif. Il a souvent été reproché à la police judiciaire de ne pas être présent à la Réunion et en Polynésie française. Si les parquets ou les juges d'instruction locaux avaient besoin d'un service spécialisé dans le domaine économique et financier, ils saisissaient de manière très exceptionnelle l'office central situé à Paris. Cet office central envoyait des enquêteurs faire les perquisitions, avant de revenir quelques semaines ou mois plus tard pour procéder aux gardes à vue.
Avec la mise en place de la réforme en outre-mer, nous avons créé un troisième niveau d'investigation à la Réunion, et bientôt en Polynésie, en envoyant sur place des enquêteurs économiques et financiers « brevetés » par la direction centrale de la police judiciaire. Cela nous a donc permis de créer des moyens d'investigation qui n'existaient pas auparavant.
Madame la rapporteure, vous avez posé une question à propos de la direction nationale de la police judiciaire. Actuellement, les directions centrales doivent gérer les ressources humaines pour les effectifs dont ils ont la charge. Cela a un effet très négatif : l'avancement, les mutations, les parcours de carrière ne sont considérés que sous le prisme de la direction à laquelle ils appartiennent.
Je cite souvent l'exemple - que les directeurs concernés me pardonnent, mais il est absolument révélateur du caractère parfois ubuesque de notre organisation - de trois commandants de police, chefs de brigade de recherche et d'intervention (BRI), qui quittaient la DCPJ. Ils exerçaient des responsabilités importantes, étaient très bien notés, et rejoignaient la direction de la coopération internationale de sécurité.
Ils étaient éligibles à un avancement. Le directeur central de la police judiciaire m'a dit : « Ils le méritent, ils sont compétents, mais ils s'en vont, donc je ne les propose pas. » Je suis donc allé voir la directrice centrale de la coopération internationale de sécurité qui m'a dit : « Ils sont sans doute très bons puisqu'on les a choisis, ils vont occuper des postes à responsabilité, mais moi je ne les propose pas parce qu'ils arrivent. »
C'est révélateur de l'aspect cloisonné de cette organisation. J'insiste, car il ne faut pas perdre de vue ce qui nous a amenés à envisager cette réforme, et la manière dont les diagnostics ont été posés par d'autres que nous. Ce cloisonnement, constaté par tous, nuit énormément à notre efficacité. Celui ou celle qui, demain, aura la responsabilité de la filière police judiciaire disposera de la capacité à définir une stratégie commune à l'ensemble de la filière.
Je l'ai dit tout à l'heure, et on vous remettra le document, le dernier protocole qui a été signé sur la coordination des investigations a dû être signé par deux directeurs, puis validé par le directeur général, pour indiquer à tous comment procéder, avec une liste de choses à faire. Ce n'est pas ma façon de concevoir le fonctionnement d'une direction comme celle de la police nationale.
Sur une mission identifiée, nous devons être capables de définir une stratégie et de s'assurer de sa mise en oeuvre en fournissant des objectifs clairs, des moyens adaptés, des formations et des outils de pilotage qui nous permettent d'y voir clair et ne diffèrent pas selon les directions.
Le futur directeur national de la police judiciaire sera le garant de la bonne cohérence et de l'efficacité de cet ensemble.
Madame la rapporteure, vous avez posé une question sur le choix de l'enquêteur ; je crois y avoir répondu : nous n'avions aucunement l'ambition de réécrire le code de procédure pénale. Peut-être, pour répondre à d'autres questions, mériterait-il de l'être, mais il est hors de propos d'imaginer qu'on puisse faire autrement concernant le libre choix des magistrats.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une levée de boucliers massive ; tout dépend de la définition qu'on donne de la masse... J'observe, il est vrai, qu'elle concerne une partie des enquêteurs de la police judiciaire. Ils ne sont pas très nombreux si on les rapporte au nombre de policiers de cette administration, ce qui ne veut évidemment pas dire que leur inquiétude ne doit pas être prise en compte.
C'est pour cette raison que j'ai essayé, dans un document que je partagerai bien sûr avec la mission d'information, de répondre à certaines des interrogations d'une manière la plus concrète et la plus directe possible.
Vous évoquez aussi le Conseil national des barreaux ; je m'étonne toujours de voir ce dernier s'intéresser au fonctionnement de la police. Je pense que cette instance n'a pas une bonne connaissance de ce que nous projetons de faire.
Pour ce qui est de la Conférence nationale des procureurs de la République, je précise que je me suis évidemment adressé à son bureau pour expliquer le sens de la réforme. C'était en visioconférence, car les échanges étaient alors compliqués, mais, grâce à la Chancellerie, j'ai pu m'adresser à l'ensemble des procureurs de la République et des procureurs généraux au tribunal judiciaire de Paris, ce qui regroupe toutes les juridictions.
Par ailleurs, nous avons proposé à la Chancellerie de déléguer un magistrat pour intégrer l'équipe projet afin de prendre en compte les attentes, les questions et les inquiétudes de la magistrature. Ils n'ont pas pu de le faire pour des raisons d'organisation interne. Pour autant, l'équipe projet de la DGPN a des contacts extrêmement réguliers avec un magistrat du bureau de la police judiciaire de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). Moi-même, dans le cadre de mes déplacements dans les directions de la police judiciaire, je prends le soin d'aller voir les procureurs de la République du ressort et le président du tribunal.
La justice doit être associée à ce projet et en comprendre tous les enjeux, c'est incontournable.
La police judiciaire ne doit évidemment renoncer à rien et nous devons être attentifs aux défis de demain. Mais je regarde aussi tout le reste, et en premier lieu le quotidien de la population. Quand quelqu'un se fait arracher son sac ou son collier dans la rue, il ne se demande pas si c'est par un dealer du coin, un SDF, un voleur d'habitude ou un membre d'un groupe criminel organisé venant des Balkans ou d'ailleurs. Ce que veut cette victime, c'est d'être bien accueillie dans un commissariat, que sa plainte soit traitée, d'être informée de la manière dont l'enquête se déroule et, surtout, que l'auteur soit arrêté et d'obtenir réparation pour le préjudice qu'elle a subi.
C'est la direction centrale de la sécurité publique, si on se réfère aux agrégats de la statistique, qui traite l'essentiel des faits de criminalité organisée, dont on sait qu'elles tirent leurs profits de la multiplication de tout petits faits, et de manière itinérante. Nous devons donc être en mesure d'analyser de manière sérielle un ensemble de petits faits qui, pris de manière isolée, ne justifient pas qu'un parquet engage des poursuites, mais qui, réunis, vont nous permettre d'avoir un impact pénal beaucoup plus important.
Vous avez, monsieur le rapporteur, parlé du lien entre le préfet et les politiques. Mon intervention d'hier sur France 2 a été mal comprise. J'ai exercé ces fonctions pendant quatre ans, j'en retire une certaine fierté et je suis convaincu que les préfets sont de grands serviteurs de l'État et de la République. Le préjugé selon lequel les préfets se mêleraient d'enquêtes judiciaires, au regard des relations qu'ils entretiennent localement avec des élus, est injurieux.
Je ne dis pas ça pour vous, monsieur le rapporteur, mais cela ressort notamment d'observations formulées par des syndicats de magistrats. Le préfet est le représentant du Gouvernement dans le territoire. Il est à ce titre en relation avec des élus mais, sur le plan local, il n'est pas soumis à des pressions politiques, en tout cas certainement pas dans le cadre d'un suivi éventuel de procédures judiciaires.
Si je me réfère au fonctionnement de Paris, dont le préfet a sous son autorité la direction régionale de la police judiciaire de Paris, qui compte une brigade financière, je n'ai jamais entendu dire que les préfets de police se mêlaient des enquêtes judiciaires. Ce n'est ni ce qu'on leur demande ni leur intérêt et, dans le cadre du contrôle social qui est aujourd'hui en place, si un jour cela devait arriver cela se saurait immédiatement.
Par ailleurs, à mon niveau, je dépends directement de l'autorité du ministre de l'intérieur et j'ai à mes côtés un directeur central de la police judiciaire qui est placé sous mon autorité et s'occupe des services les plus spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Or, je ne me mêle pas de la manière dont les enquêtes sont conduites.
Dans la police et dans le corps préfectoral, tout le monde a bien en tête la répartition des compétences et des prérogatives. C'est la prérogative de l'autorité judiciaire que de diriger et contrôler la mission de police judiciaire. Pour cette raison, nous souhaitons d'ailleurs introduire dans le système d'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale la possibilité pour l'autorité judiciaire d'exprimer une appréciation circonstanciée sur la manière dont ces directeurs s'intéresseront à la mission de police judiciaire.
J'entends ce que dit M. le procureur général près la Cour de cassation. Je n'ai pas à discuter à distance avec lui. Je pense d'ailleurs que les extraits repris par les médias sont issus de propos plus construits. Je partage son exigence relative à la préservation des conditions dans lesquelles les services de la direction centrale de la police judiciaire exercent leurs compétences ; j'y suis tout autant attaché que lui.
Mais que fait-on pour le reste ? Je n'entends personne parler de la petite et moyenne délinquance, qui couvre l'essentiel des faits. Or, ne nous faisons pas d'illusions, si ça craque sur ces sujets, tout le reste suivra.
Mme Laurence Harribey . - Si c'est le sujet, il faut le dire.
M. Frédéric Veaux . - Je ne me suis pas caché, j'ai posé des constats que nous faisons au quotidien, et qui ont également été faits par les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale, par la Cour des comptes, et par d'autres qui s'intéressent au fonctionnement des services de sécurité intérieure.
En ma qualité de directeur général de la police nationale, je ne peux pas me contenter de garder ce qui fonctionne bien si c'est au détriment de tout le reste. J'attends de mon successeur qu'il s'occupe de traiter le problème. Notre objectif, c'est de protéger ce qui fonctionne bien, de nous appuyer sur les méthodes et les principes qui font l'efficacité de la police judiciaire pour les appliquer à l'ensemble de la chaîne. Ainsi, les cadres de la police judiciaire qui se sont investis dans ce métier par vocation et ont acquis des compétences et de l'expérience seront impliqués sur toute la chaîne.
Nos métiers ont changé, les protocoles des corps et des carrières ont changé. Jeune commissaire de police à la police judiciaire, je partais faire des perquisitions, des planques, je m'occupais des gardes à vue... C'était ça le travail d'un commissaire de police à l'époque, à la manière des enquêteurs de police chez les gardiens de la paix.
Une grande réforme des corps et carrières a ensuite fait diminuer le nombre de commissaires et d'officiers de police tout en augmentant le niveau de responsabilités du corps d'encadrement et d'application en redéfinissant les missions et le rôle de chacun. En conséquence, la fonction d'un commissaire ou d'un officier de police - sauf quelques situations très spécialisées - consiste désormais d'abord à encadrer, piloter, fixer des objectifs, servir d'interlocuteurs à l'autorité judiciaire et ne pas laisser les enquêteurs sous sa responsabilité se débrouiller avec les difficultés qu'ils rencontrent.
Vous m'avez interrogé, monsieur le rapporteur, sur la réduction de nos capacités à nous projeter. Non, nous ne réduisons pas ces capacités. D'abord parce que nous ne touchons pas aux offices centraux ni à leurs antennes un peu partout sur le territoire et, ensuite, parce que j'ai pris l'engagement de maintenir, partout où elles se trouvent, les implantations de la police judiciaire avec les mêmes compétences territoriales et judiciaires.
J'aimerais vous faire part d'une situation personnelle que j'ai connue - il y a quelques années, c'est vrai - lorsque j'étais chef de la division des stupéfiants et du proxénétisme à Marseille. Nous avions des groupes qui traitaient le trafic international. Mais, pour être efficace sur le trafic international, il faut savoir ce qui se passe sur le terrain ; c'est de là que proviennent nos renseignements. Nous avions donc - déjà à l'époque - des groupes « cités ».
La police judiciaire devait récupérer les mises à disposition, que nous appelions le ramassage, mais cela a pris de telles proportions que la Sécurité publique a récupéré cette prérogative. Or, comme le ramassage permet d'accumuler les renseignements, les services de la Sécurité publique se sont mis à traiter les mêmes dossiers sur les cités et se sont retrouvés en concurrence avec ceux de la police judiciaire. Nous nous trouvions au même endroit, à signer un protocole, à mettre en place des instances de coordination, et à nous disputer les objectifs et les renseignements.
Nous avons besoin de coordination, d'une répartition cohérente des tâches et des missions afin de ne pas nous retrouver à être plusieurs à traiter les mêmes sujets.
Monsieur Hervé, vous avez évoqué la Lopmi dont vous êtes co-rapporteur. En ce qui nous concerne, il s'agit de deux démarches très différentes. Nous attendons beaucoup de la Lopmi : sur l'aspect budgétaire, sur la dimension juridique, sur la simplification du code de procédure pénale, ou encore sur les renforts humains.
Madame Mercier, le cloisonnement des services est malheureusement une réalité de notre quotidien. Toutefois, pendant le confinement, grâce à une instruction du directeur général, les effectifs de la direction centrale de la police aux frontières (PAF) sont bien allés patrouiller sur le terrain aux côtés de ceux de la Sécurité publique puisque l'activité dans les aéroports, les ports et les centres de rétention administrative était quasi nulle.
Monsieur Mohamed Soilihi, à Mayotte, les enjeux ne relèvent pas vraiment de la police judiciaire. Il s'agit, d'une part, de faire face aux violences que vous avez évoquées, et, d'autre part, de traiter le flot de migrants irréguliers qui arrivent quotidiennement dans l'île en provenance des Comores. Ces sujets sont donc du ressort de la sécurité publique et de la police aux frontières.
Toutefois, la réforme permet dorénavant au DDPN, en fonction des situations auxquelles il est confronté, de faire appel à la PAF pour renforcer les services en charge de l'ordre public, ou, réciproquement, de faire appel aux services en charge de l'ordre public pour renforcer les services de la PAF afin d'effectuer les retours aux frontières dans les meilleures conditions possibles.
Monsieur Bonnecarrère, vous semblez douter de l'augmentation du nombre d'enquêteurs ; je vous assure qu'il n'y a pas de chiffres maquillés. Je m'en suis moi aussi inquiété : lorsque l'on s'exprime devant le Sénat ou l'Assemblée nationale, on aime bien être certain de ses chiffres. Nous faisons la différence entre des chiffres budgétaires et la réalité, car il arrive qu'une mission de police judiciaire soit donnée à des agents qui n'exercent pas véritablement une fonction d'enquête. Nous nous sommes concentrés sur les agents qui traitaient des procédures et qui pourront se consacrer à la mission d'investigation. Ces chiffres peuvent être discutés, mais ils nous ont été communiqués par les directions centrales concernées.
Parallèlement, vous noterez que nous nous inscrivons dans une démarche d'augmentation du nombre d'officiers de police judiciaire. Une question m'a été posée à propos des assistants d'enquête. Il s'agit selon moi d'une excellente idée - d'autant plus que, je dois vous l'avouer, j'en suis un peu à l'initiative.
Lorsqu'on fait des réformes pour simplifier la procédure, les enquêteurs ont bien souvent le sentiment qu'on ressort avec encore davantage de contraintes. L'idée était donc de dégager du temps aux enquêteurs en les libérant des actes purement formels de la procédure. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur le modèle des juges d'instruction, qui disposent de greffiers de justice. Leur tâche sera d'appeler les avocats, le médecin ou la famille, de rédiger des réquisitions -- autant d'actes qui occupent actuellement près d'un tiers du temps de la procédure. Je peux vous dire que cette mesure est très favorablement accueillie dans l'ensemble des services concernés.
Est-ce raisonnable de faire la réforme maintenant ? Il y a toujours de bonnes raisons pour ne pas faire de réforme : des échéances électorales, des événements... Lorsqu'on pose un diagnostic sur des difficultés quotidiennes, il faut avoir le courage de ne pas se contenter de petites mesures ponctuelles si l'on veut redonner une dynamique et du sens au travail policier. Nous n'avons pas vraiment le choix ; à mon sens, soit on fait cette réforme en 2023, soit on ne la fera jamais.
Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d'avoir souligné les effets positifs en Guyane et à Mayotte, pour des raisons et des problèmes différents. À Mayotte, nous sommes confrontés à des flambées de violences, plutôt d'ordre public, tandis qu'en Guyane ce sont plutôt des questions de délinquance. Le ministre de l'intérieur se rendra en Guyane le week-end prochain - je suppose qu'il fera des annonces.
Je vous confirme par ailleurs que la CDI est mise en place à Mayotte et qu'elle fonctionne. J'ai bien conscience que permettre à des territoires de devenir des circonscriptions de police est une attente forte des élus locaux, notamment à Koungou. Toutefois, c'est une décision qui n'appartient évidemment pas au directeur général de la police nationale, mais au Gouvernement.
Monsieur Marc, vous nous dites que la présence de policiers sur le terrain est nécessaire pour la prévention. C'est tout le sens des instructions que nous donne, de manière répétée, le ministre de l'intérieur. La réforme des cycles horaires, dont la création d'un cycle binaire, en cours de généralisation, nous permet d'avoir plus de policiers sur le terrain.
Des renforts permanents ou des compagnies de CRS et de gendarmerie mobile sont également envoyés dans certaines métropoles. Demain, nous l'espérons, la présence importante de réservistes de la police nationale apportera un concours décisif aux missions de police. Nous continuerons, j'en suis sûr, à renforcer le lien police-population.
Sur la cybercriminalité, nous allons dévoiler un plan cyber dans les semaines qui viennent. Nous vous en communiquerons les éléments.
Les escroqueries en ligne sont un fléau qui a tendance à se répandre et à se généraliser. Nous avons mis en place, depuis le mois de mars dernier, la possibilité de porter plainte en ligne, ce qui présente plusieurs avantages.
D'abord, elle facilite le dépôt de plainte des victimes.
Ensuite, la multiplication des escroqueries sur internet provoque des dépôts de plainte dispersés, ce qui conduit à une multiplication des enquêtes sans grande cohérence. Nous pouvons désormais faire des rapprochements et lancer une seule enquête là où on en faisait auparavant vingt-cinq ou trente. Le dispositif de traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries (Thesee) est la démonstration de ce que nous devons mettre en place à l'avenir.
Monsieur Sueur, je vous remercie des compliments que vous m'avez adressés au sujet de la conclusion de mon propos liminaire.
M. Jean-Pierre Sueur . - Ils sont sincères !
M. Frédéric Veaux . - Pour revenir au propos de M. le procureur général près la Cour de cas de cassation, je pense que les problèmes doivent être traités dans leur ensemble, et non petit bout par petit bout. Nous dialoguons avec le ministère de la justice - cela me paraît absolument nécessaire -, avec les magistrats sur place, et avec la direction des affaires criminelles et des grâces. L'indépendance de la justice est un principe auquel personne ne peut déroger. Vous avez évoqué la complexité de la procédure pénale. Alors même que des projets ou des propositions de loi nous paraissent aller dans le bon sens, nous avons parfois le sentiment que quelques amendements viennent compliquer les choses.
M. Jean-Pierre Sueur . - Seule solution, les ordonnances ! (Sourires.)
M. Frédéric Veaux . - Il faut aussi prendre en compte les effets de la jurisprudence. Les normes européennes vont s'imposer à nous, nous devons y réfléchir.
L'épaisseur du code de procédure pénale montre qu'il est indispensable de s'atteler à ce chantier, ce qui, si j'ai bien compris, semble être la volonté du garde des sceaux.
Vous avez parlé d'affaires d'ampleur nationale ou internationale. J'ai connu Marseille à une époque où des Corses, des Lyonnais ou des Parisiens venaient tuer des voyous marseillais. Aujourd'hui, les choses se jouent davantage entre la Castellane et la Paternelle, avec des enjeux plutôt locaux, même si nous savons que l'activité de ces groupes criminels peut avoir des répercussions nationales et internationales. L'organisation de la DCPJ, qui sera la même pour la DNPJ, nous permettra d'aborder ces problèmes.
Problème supplémentaire, avec l'explosion de la cybercriminalité, une grande partie de cette délinquance sera demain virtualisée. La question de la compétence territoriale sera un sujet secondaire.
Madame Harribey, vous avez dit que mon propos vous avait mis mal à l'aise, que j'avais considéré que c'était « circulez, il n'y a rien à voir ». Je le redis, nous nous appuyons sur des rapports et sur des diagnostics, faits notamment dans le Livre blanc de la sécurité intérieure. Nous nous rejoignons sur les constats ; certains proposent des solutions - en général, toujours la même - et d'autres non. Je suis partisan de trouver une solution au problème. Mais je suis d'accord avec vous, une réforme doit être comprise.
C'est ce que j'essaie de faire du mieux possible avec les mots qui sont les miens, au sein d'une organisation, celle de la police nationale, qui est hiérarchisée. Ce n'est ni un club ni un forum, c'est une administration où s'exerce l'autorité, où l'on emploie la force, où chacun à son niveau doit exercer et assumer ses responsabilités, ce qui revient aussi à expliquer le sens des décisions prises, à faire remonter les observations dans le cadre du dialogue social, qui est parfois compliqué. Les organisations syndicales de la police nationale peuvent être turbulentes, mais j'en accepte le principe car celles-ci tiennent leur légitimité d'un vote.
Vous avez évoqué un problème de ressources humaines. Nous avons eu des renforts, nous faisons des efforts de formation des officiers de police judiciaire. Des efforts supplémentaires doivent sans doute encore être faits : la création de l'Académie de police nous permettra d'aller en ce sens.
Vous m'avez interrogé sur la Corse. À ma connaissance, nous n'avons pas de projet relatif à l'organisation de la police en Corse, à part celui que je porte pour la direction générale de la police nationale.
Monsieur Bas, je ne peux qu'adhérer à votre remarque sur la nécessité de simplifier la procédure pénale pour faciliter la tâche des enquêteurs. Vous avez parlé d'une crise possible des vocations, un constat que nous avons dressé. Nous y avons travaillé au travers de la coordination nationale de l'investigation pour identifier l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. La police judiciaire est la dernière mission dans la police nationale : on est personnellement responsable de ce que l'on fait. On doit des comptes à son chef, au magistrat qui vous a saisi, à la société, aux avocats et à la presse qui peut vous interpeller sur votre action à l'occasion d'un procès. C'est sans doute difficile à assumer pour les enquêteurs. Ces métiers nécessitent une grande disponibilité : il est difficile de travailler sur une affaire de trafic de stupéfiants aux heures ouvrées. Il faut répondre jour et nuit, 7 jours sur 7. Je l'ai fait pendant de très nombreuses années et je comprends que ces contraintes soient aujourd'hui difficilement supportables comparé à d'autres formes d'organisation du temps de travail. D'autres champs d'activité ont des contraintes équivalentes - je pense au parquet, pour lequel le ministère de la justice a aussi du mal à trouver des candidats.
Les exigences et les complexités sont croissantes. Cette réforme concerne l'organisation ; pour tout ce qui touche au quotidien des enquêteurs, nous y travaillons dans d'autres cadres afin de susciter des vocations. Certains jeunes hésitent à entrer dans la police en craignant de devoir faire du police-secours pendant cinq ou dix ans avant de pouvoir rejoindre une unité d'investigation : c'est pourquoi nous permettons de suivre une formation d'OPJ dès l'école de gardiens de la paix pour permettre l'intégration dans un service d'investigation 30 mois après l'entrée à l'école.
Nous devons aussi imaginer d'autres formes de recrutement. La police offre un panel de métiers : la police judiciaire, le renseignement, l'ordre public, l'international... Heureusement, on constate toujours un intérêt pour tout ce qui touche à l'investigation.
Madame Boyer, vous avez déploré l'organisation en tuyaux d'orgue avec la justice et l'administration pénitentiaire. Je vais d'abord essayer de franchir cet obstacle pour la police nationale, avant de m'attaquer aux autres ! Nous sommes très attachés au continuum de sécurité, depuis la police municipale jusqu'à la décision finale - la sanction - et son exécution.
M. François-Noël Buffet . - Je vous remercie d'avoir partagé avec la commission ces informations - et parfois vos doutes. Les constats semblent être assez largement partagés : la crise des vocations dans la police judiciaire est connue depuis plusieurs années maintenant. Nous assistons sans doute à un changement de culture s'agissant de la capacité à s'investir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les problèmes viennent aussi probablement du statut, de la rémunération et de la question de la reconnaissance des difficultés rencontrées par cette partie de la police.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition du Général
de corps d'armée Bruno Jockers,
major général de la
gendarmerie nationale
M. François-Noël Buffet , président . - Nous recevons aujourd'hui le Général Bruno Jockers, major général de la gendarmerie nationale, dans le cadre de notre mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire. Cette mission, conduite par nos collègues Nadine Bellurot et Jérôme Durain, porte sur les conséquences sur la police judiciaire du projet de réforme du Gouvernement de l'organisation de la police nationale, avec une volonté de départementaliser celle-ci. Et un certain nombre de contestations sont déjà apparues.
L'organisation de la gendarmerie, à la fois dans sa dimension départementale et par l'existence de sections de recherche plus indépendantes, nous intéresse. Votre audition a pour but de nous faire comprendre comment fonctionne la police judiciaire dans la gendarmerie nationale et de nous décrire vos modalités d'organisation, afin de nourrir notre réflexion.
Général Bruno Jockers, major général de la gendarmerie nationale. - J'entends cette audition comme une marque d'intérêt envers la gendarmerie nationale et son organisation, sur un sujet fondamental, car au bout du système judiciaire, il y a des victimes qui sont en attente de réparations.
Je vais vous expliquer notre organisation et notre fonctionnement, sans porter de jugement sur la réforme qui concerne la police nationale.
La police judiciaire constate des infractions, elle est chargée d'en rassembler les preuves et d'en déférer les auteurs, sous la direction des magistrats. La gendarmerie nationale ne fait pas de la police judiciaire dans son coin, ni pour son compte, mais sous la direction, le contrôle et la surveillance des magistrats et sous le regard de la population.
Je développerai quatre points : l'origine de notre organisation, son fonctionnement, la conception de la police judiciaire en gendarmerie et nos relations avec nos autorités d'emploi.
Sur la question de l'organisation de la gendarmerie nationale en matière de police judiciaire, je vous rappelle qu'il s'agit d'une compétence nationale. En vertu de l'article 12-1 du code de procédure pénale (CPP), le magistrat a le libre choix du service qu'il saisit. Le lieu de commission de l'infraction a cependant une importance particulière dans les critères d'attribution et de saisine des services de police ou de gendarmerie nationales.
La zone de gendarmerie nationale couvre 95 % du territoire national, où vit 52 % de la population. Cette zone est également marquée par des flux de population et la gendarmerie nationale est donc amenée à gérer des mouvements : la délinquance, en zone de gendarmerie, est souvent de la délinquance itinérante. C'est également une police judiciaire de proximité, car la population est habituée au contact du gendarme. Dans l'ADN de la gendarmerie, il y a l'idée que la police judiciaire est associée à un ancrage local. Les meilleurs enquêteurs sont ceux qui sont ancrés dans la population car ils ont le renseignement et la compréhension des choses. Notre police judiciaire « haut du spectre » vient en appui aux unités territoriales.
Cela a conduit la gendarmerie à adopter quelques principes.
Il s'agit tout d'abord de la polyvalence du gendarme. Tout gendarme de brigade est un enquêteur, qu'il soit agent (APJ) ou officier de police judiciaire (OPJ). De même, tout gendarme peut effectuer une patrouille de nuit ou constater une infraction sur la route... Le fonctionnement en silo serait inadapté à la gendarmerie, qui dispose d'effectifs polyvalents.
La brigade territoriale constitue le socle de la gendarmerie. Tout converge vers elle, car elle est en contact avec la population. Et sur ce socle nous construisons des unités judiciaires spécialisées qui viennent en appui des capacités offertes par les brigades. Ces unités spécialisées ne sont pas autonomes, ni indépendantes. Il s'agit des brigades de recherche (BR), qui ont une compétence départementale calquée sur la carte judiciaire, et représentent environ 3 000 enquêteurs. Il s'agit aussi des sections de recherche (SR), soit 1 797 gendarmes pour 43 SR, dont les compétences sont au niveau des cours d'appel et qui sont rattachées à la région. Nous avons enfin des appuis régionaux en matière d'organisation de surveillance et de cyber, et des appuis nationaux, notamment en matière de criminalistique, le pôle judiciaire de Pontoise, l'office de la délinquance itinérante et l'office de l'environnement et de la santé publique. Nous respectons le principe militaire du maréchal Foch, c'est-à-dire l'économie des forces. On concentre ce qui est rare au niveau régional ou national pour pouvoir le projeter au plus près du terrain et l'envoyer là où il y a un besoin.
La saisine par les magistrats est organisée sur la base d'un protocole qui date de 2006. Il explique le niveau de chaque unité de gendarmerie et les modalités de saisine. Le magistrat peut saisir soit un commandant de formation, soit un commandant de groupement, ou directement une unité spécialisée, une SR ou une BR.
Il n'y a pas d'attribution automatique en fonction d'un domaine de délinquance. Il y a un principe de subsidiarité. Au niveau du terrain, la brigade territoriale traite ce qu'elle peut en fonction de ses effectifs et de ses capacités. Quand elle est dépassée, la BR vient l'appuyer, et en cas d'insuffisance, la SR intervient.
Je souhaite revenir sur la séparation entre petite, moyenne et grande délinquance. Cette séparation est commode, mais elle n'explique pas tout car il existe des phénomènes de délinquance sérielle, comme le trafic de déchets. Pris isolément, cela peut s'apparenter à des faits de petite ou moyenne délinquance mais, à partir du moment où cela correspond à des réseaux organisés, ces faits sont qualifiés de grande délinquance que seules des unités spécialisées peuvent traiter. 30 ou 40 cambriolages ne peuvent plus être traités au niveau d'une brigade. On est obligé d'engager la BR et la SR. La SR travaille à la fois sur les cambriolages et sur la délinquance sérielle, et heureusement car ce qui compte c'est la tranquillité de la population et la protection des personnes et des biens. Pour nous, dire qu'une SR ne travaillerait pas sur des cambriolages serait simplement une hérésie. De la même manière, des décharges sauvages peuvent être prises comme des faits de petite délinquance mais le trafic de déchets devient de la criminalité organisée. Il en est de même pour les vols dans les transports. Il y a une complémentarité des moyens et une souplesse dans notre dispositif. Nous travaillons souvent à travers une cellule d'enquête qui associe le gendarme de brigade territoriale, un gendarme de BR et un gendarme de SR. Nous avons toujours besoin, à la fois, de l'ancrage local du gendarme de brigade et de l'unité spécialisée.
Dans la gendarmerie, nous restons attachés au principe du carreau cassé. Si on laisse un carreau cassé sur un bâtiment, les carreaux cassés vont se multiplier sur ce bâtiment car on aura donné le sentiment qu'il n'a pas d'intérêt et qu'il existe une impunité pour celui qui casse le carreau. Ce n'est pas seulement la délinquance qui crée le sentiment d'insécurité mais l'insécurité encourage aussi la délinquance. Il est artificiel de séparer l'exercice de la police judiciaire et celui de la prévention et de la sécurité publique. Les deux marchent de pair dans une société bien ordonnée.
Concernant le fonctionnement de notre organisation, la police judiciaire correspond à environ 40 % de l'activité de la gendarmerie, et dans certaines compagnies, cette activité dépasse les 50 %. En 2021, la gendarmerie a constaté 35 % des crimes et délits. Notre activité nous permet de poursuivre 42 % des mis en cause. Nous avons un taux d'élucidation de 46,8 %, de 3,5 points supérieur à celui qu'il était il y a 5 ans. Nous élucidons 8 violences sur personnes sur 10, 8 homicides sur 10, 75 % des violences sexuelles et 35 % des vols à main armée, mais seulement 13,8 % des cambriolages dans les habitations. Ce n'est pas suffisant mais cela correspond à la moyenne des services européens.
Nous avons également pris certains virages. La police judiciaire en gendarmerie a été capable depuis plusieurs années de prendre le virage du cyber avec la création du commandement cyber et quelques enquêtes qui ont fait notre réputation, notamment celle concernant le réseau chiffré EncroChat, utilisé par le crime organisé. Nous prenons aussi le virage de l'environnement, en structurant notre action avec la proposition d'un commandement de la gendarmerie verte dédiée à la protection de l'environnement. Nous avons aussi travaillé sur l'amélioration du traitement des violences conjugales et intrafamiliales, en renforçant nos procédures.
Nous ne subissons pas de retard majeur en matière de procédures puisque moins de 5 % de nos procédures ont plus d'un an. Nous avons moins de procédures en retard aujourd'hui qu'en 2015.
Nous ne constatons pas de diminution de l'attrait pour la police judiciaire en gendarmerie : il n'y a pas de désaffection. Au contraire, nous avions, en 2021, 3 423 candidats pour l'examen technique d'OPJ, pour seulement 3 001 en 2020. Cette année le taux de réussite a été de 68 % et cet examen conserve toute sa pertinence.
Comme je l'ai déjà dit, nous exerçons la police judicaire sous la direction, le contrôle et la surveillance des magistrats. D'une part, les magistrats dirigent les enquêteurs dans le cadre des investigations. D'autre part, ils ont des rapports de chef de service avec les commandements territoriaux qui fournissent les effectifs et les moyens. Donner des directives et des instructions dans le cadre d'une enquête est une chose, et avoir comme interlocuteur un patron territorial est autre chose.
Nous n'avons pas de chaîne organique de la police judiciaire. Le sous-directeur de la police judiciaire en gendarmerie n'est pas le patron de la police judiciaire, ni celui des enquêteurs.
Les unités de recherches ne vivent pas pour elles-mêmes et ne sont pas leur propre finalité. Elles sont là pour appuyer les unités territoriales qui sont en contact avec la population et les victimes.
Un gendarme d'unité de recherche commence sa carrière en brigade territoriale. Puis selon son appétence, il va pouvoir évoluer vers une BR ou une SR. Tout le monde passe par le même endroit et tout le monde appartient à la même maison. Ce système doit nous permettre de concilier la polyvalence du gendarme et la nécessité d'avoir des experts qui disposent de compétences rares.
Dans le cadre de nos relations avec nos autorités d'emploi, il n'y a pas de séparation entre la sécurité publique et la police judiciaire. L'une prévient la commission des infractions et l'autre évite la réitération des faits en interpellant les auteurs. Les deux sont liées. Il faut donc que nos chefs territoriaux s'intéressent à la police judiciaire.
Selon moi, il est anormal d'opposer l'enquêteur et le chef territorial. Ce dernier est là pour aider l'enquêteur, lui donner du temps, des moyens, des effectifs, voire de la protection. Certaines situations sont compliquées et l'enquêteur peut avoir besoin de sa hiérarchie pour l'appuyer et l'accompagner.
L'article 11 du code de procédure pénale traite du secret professionnel et du secret de l'enquête. Cela concerne toute personne qui concoure à la procédure. L'enquêteur est soumis à cette règle dès lors qu'il enquête sous la direction de magistrats. Il tient, cependant, informée sa hiérarchie. La hiérarchie ne doit pas être aveugle, sinon elle ne pourrait concevoir une opération sur un territoire qui puisse aider à prévenir la délinquance. La hiérarchie n'a pas besoin d'entrer dans le secret des enquêtes mais doit savoir là où elle doit engager des moyens pour avoir une action cohérente, voire une stratégie d'enquête.
Vis-à-vis du préfet, les choses sont plus compliquées aujourd'hui en raison de l'importance prise par les réseaux sociaux. La rapidité de l'information et de sa divulgation a considérablement augmenté. Aujourd'hui, une affaire judiciaire devient vite un objet de communication, via les réseaux sociaux. En 2019, une mission parlementaire avait travaillé sur le sujet. Il faut reconnaître qu'aujourd'hui le secret de l'enquête est plus difficile à faire respecter.
Il est justifié que le préfet soit informé d'une affaire judiciaire dans deux cas : lorsque l'on a des risques avérés de troubles à l'ordre public et lorsque l'on assiste à une propagation de fausses informations. Je précise que dans la manière d'informer le préfet, il est possible d'anonymiser les choses et de ne donner à l'autorité que ce dont elle a besoin de connaître. Un troisième cas s'impose dans la pratique : lorsqu'une affaire va faire l'objet d'une médiatisation imminente.
M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie de votre présentation et des précisions que vous nous avez apportées.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Comment expliquez-vous qu'il n'y ait pas de désaffection de la police judiciaire dans la gendarmerie nationale ? La polyvalence est-elle une des raisons ?
Comment sont organisées les cellules d'enquêtes ?
Enfin, les magistrats sont très inquiets de la réforme de la police nationale et des conséquences qu'elle pourrait avoir sur la police judiciaire mais il n'y pas cette même défiance vis-à-vis de la gendarmerie. Quelle en est selon vous la raison ?
Général Bruno Jockers. - Je pense que la polyvalence participe à l'attrait que continue à avoir la police judiciaire en gendarmerie, même si ce n'est peut-être pas le seul facteur. Le gendarme va commencer en brigade, et en cas d'appétence pour la police judiciaire, il aura envie de continuer dans cette voie. C'est un choix de s'engager dans une unité de recherche. L'attrait pour le judiciaire et le fait d'avoir une autonomie dans son travail constituent, pour moi, le premier ressort. De plus, en gendarmerie départementale, pour faire une carrière de gradé, il faut être OPJ. Ce lien étroit existe depuis l'entre-deux guerres. Enfin, il y a des gens qui sont faits pour le travail en brigade car ils aiment le contact avec la population. Dans la gendarmerie, on peut en fait construire sa carrière à la carte, en fonction de ses aptitudes et de ses envies.
Concernant les cellules d'enquête, le magistrat a la direction de la police judiciaire, et travaille avec le chef hiérarchique qui est aussi le commandant territorial. On met les différents chefs autour d'une même table afin de créer un groupe qui sera amené à travailler ensemble sur une période donnée sur un objectif précis. Ce groupe sera composé de membres d'une SR, pour la direction d'une enquête, et de gendarmes de brigade, proches du terrain. On peut aussi configurer ces cellules d'enquête au niveau national. C'est un système très souple, qui est conçu pour pouvoir s'adapter à une délinquance elle-même très évolutive.
Concernant nos relations avec les magistrats, la direction de la police judiciaire par les magistrats ne nous pose aucun problème. Nous sommes là pour servir la loi. Les commandants territoriaux de la gendarmerie connaissent et assument leur rôle en termes de définition de moyens, de stratégie et de dialogue. Nous ne sommes pas une autorité concurrente à celle des magistrats. Je vous précise que la gendarmerie n'est pas un service déconcentré de l'État. C'est une force armée et nationale. Le commandant de groupement reçoit une évaluation du préfet, ce qui ne l'empêche pas d'assumer un rôle de chef. Nous sommes à notre place !
M. Jérôme Durain , rapporteur . - Ma première question technique concerne l'organisation de la police. Il semble que les cycles horaires dans la police nationale contribuent à la désaffection de la police judiciaire. Est-ce qu'il existe une difficulté du même ordre dans la gendarmerie ?
Quelle est la nature de la coopération judiciaire entre gendarmerie et police nationales ? Et est-ce que l'on note une amélioration dans les territoires d'expérimentation, une plus grande fluidité du travail judiciaire entre les deux forces ?
Enfin une remarque : dans votre exposé, on comprend bien qu'il n'y a pas un modèle qui serait départemental et l'autre pas. Je crois que l'institution gendarmerie protège de cet enfermement départemental.
Général Bruno Jockers. - Nous ne nous reconnaissons pas vraiment dans le cycle horaire. Cela n'existe pas dans la gendarmerie. Il y a des besoins de repos physiologique que nous respectons dans la mesure du possible. Une unité de recherche est très sollicitée et soumise à l'aléa, alors qu'en brigade territoriale, les effectifs permettent parfois de mieux planifier le service. En fait, les choses s'équilibrent car une unité de recherche ressent moins la pression continue que l'on connait en brigade territoriale. Il y a des contraintes des deux côtés et ce qui fait la différence c'est l'appétence que l'on a pour un service plutôt que l'autre.
Sur la coopération entre la gendarmerie et la police dans les territoires d'expérimentation de la réforme de la police nationale, et avec le retour que j'en ai, il me semble que l'on identifie plus facilement l'interlocuteur qui dispose des différents leviers. C'est un mode de fonctionnement qui nous correspond.
Selon moi, il ne faut pas opposer département et région. Avec le département on est encore dans l'échelon de la proximité et de l'action opérationnelle. Il y a des commandants de région qui sont aussi commandant de groupements. Le niveau régional met de la cohérence sur, par exemple, la délinquance itinérante ou la gestion des bassins qui se trouvent à la jonction de plusieurs départements. C'est pareil pour la police judiciaire. Le travail sur le trafic de déchets ne s'arrête pas à un département et se situe au niveau régional, voire national ou international. Il y a la place pour une action de proximité opérationnelle départementale et une mise en cohérence régionale. Un procureur général trouve avantage à avoir en face de lui un commandant de région qui s'intéresse à la police judiciaire et qui soit capable de donner des directives cohérentes.
M. Alain Marc . - Je vous remercie pour votre exposé. Ma question porte sur le recueil de renseignements. Je m'en étais d'ailleurs déjà inquiété, regrettant le lien distendu entre la gendarmerie locale et la population. On voyait moins le gendarme sur le terrain, sans doute accaparé par les procédures ! Il semblerait que depuis quelques années la tendance se soit inversée et, à nouveau, les gendarmes se sont rapprochés de la population et des élus de façon à recueillir du renseignement. En 2001, les Américains étaient venus voir comment on obtenait cette qualité de renseignement, en partie due à la gendarmerie nationale. Y a-t-il des directives aujourd'hui pour encourager les brigades à aller sur le terrain ?
Mme Brigitte Lherbier . - J'ai bien compris le cheminement de votre organisation. J'ai été universitaire à l'Institut d'études judiciaires de Lille-II où l'on préparait les concours de commissaires et d'officiers de gendarmerie. Les profils étaient complètement différents même s'il y avait un engouement des deux côtés. L'ordre public intéresse les jeunes. Le coté caserne de la gendarmerie les interrogeaient. J'ai visité, à deux reprises, le site de Pontoise, qui offre de remarquables possibilités d'enquête. Je comprends cette volonté de réformer la police pour trouver cet état d'esprit. Le contact avec la population est déterminant. La procédure judiciaire demande beaucoup de temps. Y a-t-il des choses à améliorer de ce côté-là ?
De façon plus générale, y a-t-il des points d'amélioration à apporter, même dans la gendarmerie ?
M. Dany Wattebled . - J'ai une double question par rapport à l'évolution de la délinquance. On est passé du braquage à la cyber-attaque ! Quels moyens avez-vous pour le recrutement de personnes qui disposent de compétences très pointues ? Quels sont les moyens pour la formation ? On voit bien que les fake news sont courantes. Comment protéger vos hommes et vos réseaux ?
Mme Laurence Harribey . - Je vais vous poser une question à laquelle vous ne pourrez pas répondre. Dans la gendarmerie, même s'il y a de la polyvalence, ce n'est pas le flou artistique : chacun fait ce qu'il doit faire quand il doit le faire. Lors de mon stage en gendarmerie, j'avais noté la dimension territoriale, la dimension recherche, le cyber et l'appartenance à une communauté, que je retrouve dans vos propos.
J'ai l'impression, avec cette réforme de la police nationale, que l'on cherche à calquer un modèle qui marche à une autre culture. Avez-vous la même impression ?
Par ailleurs, il ne vous est jamais arrivé, je suppose, de renoncer à une enquête au prétexte d'un manque d'effectifs ? On touche là du doigt un élément essentiel des inquiétudes au niveau de la police judiciaire.
M. André Reichardt . - Je souhaite revenir sur la dichotomie département-région. Est-ce que le passage aux grandes régions a constitué un avantage ou un inconvénient dans votre mission ?
Mme Éliane Assassi . - Je vous remercie de vos propos liminaires. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, a été auditionné à l'Assemblée nationale et a réitéré cette proposition qui devrait être prochainement concrétisée d'un peu plus de 900 effectifs supplémentaires sortis de l'école de gendarmerie, permettant de créer un certain nombre de nouvelles brigades dès 2023. Certains proposent que ces brigades soient installées là où elles avaient été supprimées. Au regard de votre expertise, est-ce la bonne solution ? Ou faut-il réfléchir à une autre implantation en fonction de l'évolution de la délinquance ?
Général Bruno Jockers. - Concernant le contact avec la population et l'exercice du renseignement, la gendarmerie nationale en a pris le virage en 2015-16. C'était prémonitoire. C'est grâce à la volonté du directeur général de l'époque, qui voulait que l'on revienne au contact de la population, notamment lié à un besoin de service public dans nos territoires. Trois ans plus tard, on avait les gilets jaunes dans la rue. Le contact fait partie des éléments de réflexion. Et la gendarmerie a su l'anticiper dans son domaine.
Quand on donne des objectifs chiffrés comme le taux d'élucidation des affaires, on instaure des comportements déviants. Il y a ce qui se compte et il y a ce qui compte ! Et ce qui compte, c'est la réalité du travail qui se fait auprès de la population. Comme beaucoup d'institutions, nous avons été bercés par le contrôle de gestion et la performance. Sauf que ce qui est plus important pour un gendarme, c'est quelque chose qui ne peut pas se mesurer par des statistiques. J'ajoute qu'en gendarmerie il n'y a aucune directive en matière statistique, ni d'objectif chiffré. En revanche, il y a une consigne qui est d'augmenter la présence sur la voie publique. Nous n'avons plus la culture du chiffre même si on l'a eu il y a une quinzaine d'années. Mais nous avons eu la lucidité de réagir et je suis heureux que le ministre de l'intérieur ait décidé d'organiser des sondages auprès de la population sur le sujet. Voilà le cheminement que l'on a fait mais qui n'est pas facile car cela se heurte à d'autres priorités. Aujourd'hui, nos brigades passent un temps considérable sur le traitement des violences intrafamiliales et conjugales, en intervention, puis dans le traitement judiciaire de l'affaire. Notre objectif est le contact, on veut libérer les énergies. Le meilleur service à rendre aux gendarmes est de leur dire que l'on a confiance en eux.
Nous considérons que l'officier de gendarmerie est avant tout quelqu'un qui a été éprouvé au plus près du terrain, dès son premier poste. Je pense que c'est un très bon système qui existe depuis plus de 10 ans. Nos cadres supérieurs ne commencent pas par des fonctions de cadre supérieur. Cela nous permet d'avoir de jeunes officiers qui savent de quoi ils parlent et qui n'auront pas une conception intellectualisée du métier. Discuter sur le terrain avec un élu mécontent qui constate des incivilités et qui vous reproche de ne jamais être là où il faudrait, cela apprend la vie. Ce contact est essentiel. Notre métier est aussi un métier de commandement qui vise à prendre des décisions.
Concernant des simplifications, nous avons des projets, comme oraliser davantage la procédure avec des systèmes de retranscription automatique, la procédure pénale numérique en déploiement... afin de gagner du temps. C'est parfois contradictoire : on fait beaucoup pour simplifier et en même temps on fait beaucoup pour compliquer, même si cela est pour de nobles raisons.
Sur la question de l'expertise de la police nationale, nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires de la police nationale. Ils ont des pôles d'expertises. Notre part dans la lutte contre le terrorisme, c'est la détection des signaux faibles, le renseignement auprès de la population. Nous devons aussi travailler avec des unités spécialisées. Nous avons aussi des projets communs comme celui de la visio-plainte. Cela nous intéresse particulièrement car nous avons des espaces importants à couvrir et que cela pourrait permettre d'éviter de longs déplacements et de simplifier la vie des Français. La loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'intérieur prévoit une agence du numérique commune aux forces de sécurité.
Sur le recrutement d'experts, nous avons besoin d'une grande souplesse de gestion. En fait, le statut militaire autorise beaucoup de souplesse par rapport à la gestion des personnels civils. Nous avons des officiers qui sortent de grandes écoles, des gendarmes qui deviennent experts, nous allons chercher des officiers recrutés sur titre au regard de leur diplôme, nous recrutons des officiers sous contrat pour une période déterminée, et certains passeront quelques années dans le privé pour acquérir une expertise dans un domaine. On est capable de recruter et de fidéliser. La création du commandement cyber de la gendarmerie obéit à cette logique. Le centre de gravité de la lutte contre la cybercriminalité, c'est la compétence en ressource humaine. Nous avons regroupé l'opérationnel, les moyens, la recherche et la gestion de la filière métier.
Nous croyons dans une gendarmerie hiérarchisée, structurée et vertébrée. Quand nous avons deux gendarmes, il y en a toujours un qui commande l'autre. Si on ne suit pas ce principe de base, on va vers l'irresponsabilité collective. C'est un principe essentiel. Nous essayons de travailler en « devis judiciaire ». Lorsque l'on s'engage sur un objectif, il faut déterminer combien ça va coûter en termes d'effectifs et de moyens, pour une période donnée. On décide alors d'y aller ou non, en commun avec le magistrat. C'est là que le chef hiérarchique a un rôle à jouer avec le magistrat, même si c'est ce dernier qui décide en dernier ressort. Nous ne sommes pas comme les britanniques qui choisissent de travailler sur ce qui intéresse la population. Est-ce qu'au bout du compte on aura participé à la sécurité de nos concitoyens ?
Sur le passage aux grandes régions, l'organisation de la gendarmerie était jusqu'à il y a peu encore calée sur les 22 régions. Nous nous sommes retrouvés dans des régions sans correspondants, avec 22 états-majors de région alors que nous avions besoin de renforcer nos unités de terrain. Cette logique nous a amené à mettre en cohérence notre organisation avec les 13 régions. J'ai été successivement commandement de groupement du Bas-Rhin et commandant de la région Grand-Est. Je pense que c'est une bonne réforme pour le service que nous rendons à la population, qui fait coexister un commandement de plein exercice au niveau départemental et un commandement de région qui a la charge de coordonner les moyens. J'en ai une vision plutôt positive. Nous avons économisé un peu de moyens au niveau des états-majors régionaux.
Concernant les nouvelles brigades, les préfets doivent poser un diagnostic sur l'organisation et l'activité de la gendarmerie, en collaboration avec le commandement et les élus, afin d'en déduire les endroits où la création d'unités pourrait être profitable. Il ne s'agit pas de recréer des unités là où elles ont été dissoutes mais là où l'on considère qu'il y a un besoin. Et nous sommes très souples dans les types d'unité créés.
M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie, mon Général, pour l'ensemble de votre propos et des précisions que vous nous avez apporté sur le fonctionnement de la gendarmerie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Éric Dupond-Moretti,
garde des
sceaux, ministre de la justice
M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, pour ce premier point. Il nous reste à vous interroger sur l'impact de la réorganisation proposée de la police nationale sur la police judiciaire.
Mme Nadine Bellurot . - Monsieur le ministre, comme vous le savez, les magistrats craignent une disparition de la police judiciaire. Partagez-vous leurs inquiétudes ?
Dans quelle mesure les magistrats peuvent-ils d'ores et déjà rencontrer des difficultés dans le traitement de dossiers du fait du manque de disponibilité des enquêteurs ?
Je sais que le ministre de l'intérieur vous a écrit pour vous parler de cette réforme et apporter des réponses aux craintes des magistrats. Il vous a indiqué que la réforme avait pour objectif d'offrir davantage de lisibilité à l'autorité judiciaire, laquelle pourrait saisir le chef de la circonscription de la police nationale, le chef de la police judiciaire, le directeur départemental ou le directeur zonal. Ces précisions apportées par le ministre de l'intérieur vous semble-t-elle répondre aux inquiétudes des magistrats quant à l'obligation éventuelle de saisie du directeur départemental ? Serait-il utile, voire nécessaire, de remplacer le terme de « formations », dans l'article 12-1 du code de procédure pénale, qui laisse le libre choix aux magistrats des « formations » chargées des enquêtes, afin de préciser la possibilité de saisine des différents échelons ?
M. Jérôme Durain . - Monsieur le ministre, nous avons eu des échanges assez nourris avec le ministre Darmanin quant aux raisons de la « grogne » face au projet de réorganisation de la police nationale, que de nombreux facteurs peuvent expliquer, notamment des questions de forme. Force est de constater qu'une nouvelle instance, qui connaît un certain succès, s'est créée au sein de la police judiciaire, l'association nationale de police judiciaire (ANPJ). Dans le monde de la justice, la mobilisation est assez importante. Des instances importantes ont pris position, comme le Conseil supérieur de la magistrature, la Conférence nationale des procureurs de la République, ou la Conférence nationale des procureurs généraux, avec une forme de gravité et de solennité qui n'a échappé à personne. L'inquiétude qui les anime est sincère.
Deux points retiennent l'attention dans la réforme. Le premier a trait au risque d'abandon du haut du spectre de la criminalité (criminalité organisée, affaires complexes interrégionales ou internationales). Le risque serait notamment, pour des raisons d'encadrement et de compétences, de voir une partie des effectifs de la police judiciaire s'orienter vers la délinquance de masse et la résorption du stock important d'affaires qui existe partout sur le territoire.
La seconde inquiétude majeure tient à l'intervention éventuelle de la sphère administrative dans la sphère judiciaire, avec la possibilité de tutelle du préfet sur les directeurs départementaux de la police nationale. Nous aimerions vous entendre sur ces aspects, qui ne concernent pas que les affaires politiquement sensibles, dont on parle beaucoup.
La question de la procédure pénale et de sa complexité est également évoquée lors de chacune de nos auditions, par toutes les parties que nous entendons. Que prévoyez-vous de faire sur cette problématique ?
Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les expérimentations conduites dans les outre-mer et au sein de huit départements français ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je distingue deux sujets, dont l'un me concerne, l'autre non.
Le volet qui englobe la réorganisation de la police judiciaire, en tant que telle, relève du périmètre strict du ministre de l'intérieur. Si demain, l'on souhaite créer une juridiction, cela relèvera du périmètre du ministère de la justice. Je n'ai donc pas à me prononcer sur ce volet, même si j'estime qu'un certain nombre de vraies raisons peuvent conduire Gérald Darmanin à vouloir mieux structurer les choses.
Un autre volet nous est commun et nous en serons d'une certaine façon cosignataires. Le directeur général de la police nationale (DGPN) et le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG) ont travaillé ensemble. La ligne rouge infranchissable, pour le ministère de la justice, réside dans les dispositions de l'article 12 du code de procédure pénale. Cela tombe très bien, car c'est aussi une ligne rouge infranchissable pour le ministre de l'intérieur. Celui-ci m'a écrit, après qu'un certain nombre de critiques, parfois singulières, ont été entendues. D'aucuns ont crié « aïe » avant de recevoir un coup que personne ne souhaitait leur porter. Nous avons notamment entendu de hauts magistrats s'exprimer sur des radios nationales pour dire que la réforme n'était pas bonne. Chacun s'exprime avec liberté. En entendant ces critiques, auxquelles j'ai été très attentif, j'ai souligné que le ministère de l'intérieur ne voulait en aucune façon empiéter sur les prérogatives qui sont celles des magistrats depuis des temps immémoriaux. Le juge d'instruction, par exemple, choisit son service d'enquête et cela doit demeurer.
Surtout, il convient de rappeler qu'une expérimentation est en cours. Elle n'est pas encore terminée. Au sens que donne le Conseil d'État à la notion d'expérimentation, celle-ci nécessite une évaluation, faute de quoi elle ne servirait à rien. L'inspection générale de la justice (IGJ), l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'inspection générale de l'administration (IGA) sont mobilisées. Ce triptyque nous assure, plus encore que d'habitude, l'impartialité des inspecteurs. Nous n'avons pas encore leurs conclusions. Le ministre de l'intérieur et moi-même tirerons, probablement ensemble, un certain nombre de conséquences de ces inspections.
La machine s'emballe parfois un peu vite, même si l'on peut avoir un certain nombre de craintes. Rien, à ce stade, ne me permet de penser que l'article 12 sera abrogé ou modifié. J'ai indiqué au ministre de l'intérieur ma position, qu'il a évidemment entendue. La réponse qu'il m'a adressée, qui me satisfait pleinement, en témoigne. Chacun sera respectueux du choix du magistrat quant au service d'enquête.
M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, de votre présence ce soir et des informations que vous nous avez données.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de M. François Molins,
procureur
général près la Cour de cassation
M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le Procureur général, d'être ce soir devant la commission des lois du Sénat. Celle-ci a confié à Nadine Bellurot et à Jérôme Durain une mission sur l'organisation de la police judiciaire.
Un certain nombre d'inquiétudes ont été exprimées sur le fonctionnement futur de la police judiciaire dans le cadre de la réforme envisagée de la police nationale. Vous vous êtes exprimé publiquement sur le sujet, et nous souhaitons aujourd'hui recueillir votre point de vue.
M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation. - Je tiens d'abord à remercier la commission d'avoir souhaité m'entendre. Je ferai quelques observations à double titre : d'une part en raison de mes fonctions actuelles et d'autre part en tant que magistrat du parquet durant quarante ans. Comme vous l'indiquiez, je me suis exprimé sur le sujet sur France Inter en août dernier, à la suite d'une question d'un auditeur.
Je rappellerai avant tout certains principes, en particulier celui fixé par l'article 12 du code de procédure pénale : la police judiciaire est exercée sous la direction des magistrats, sous l'autorité des parquetiers pour les enquêtes et sous l'autorité des juges d'instruction pour les investigations effectuées sous commission rogatoire.
Ce principe a valeur constitutionnelle depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnelle sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure le 10 mars 2011. Il résulte de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. À cette fin, les dispositions du code de procédure pénale assurent le contrôle direct et effectif de l'autorité judiciaire sur les officiers et agents de police judiciaire. Ce principe se fonde principalement sur le fait que, conformément à la Constitution, l'autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle. Il en découle notamment le libre choix du service enquêteur par le procureur de la République ou le juge d'instruction. Il s'agit aussi d'un moyen indispensable pour que le procureur de la République puisse mettre en oeuvre, au travers des enquêtes qu'il diligente, la politique pénale décidée par le Gouvernement.
Au nom de ces principes, le 26 octobre 2022, le Conseil supérieur de la magistrature, garant de l'indépendance de la justice, a souhaité faire part de sa préoccupation sur le contenu de la réforme de l'organisation de la police nationale.
Les propos publics que j'ai tenus à la radio sur la mise en oeuvre de la réforme datent de la fin du mois d'août. Depuis, face à l'unanimité des critiques, le ministre de l'intérieur et le directeur général de la police nationale ont précisé les contours du projet envisagé et qui reste encore aujourd'hui en construction. Cela complique d'ailleurs l'appréciation de la réforme et il reste délicat pour moi d'en apprécier les effets concrets. Le ministère de l'intérieur évoque désormais des garanties pour le respect du principe de direction de la police judiciaire par les procureurs. J'ai également entendu que l'échelon zonal serait préservé, et que les offices et antennes de police judiciaire ne connaîtraient pas de modification. Je n'en sais toutefois pas davantage. Je suppose donc que l'exercice que vous me demandez consiste à cibler les enjeux au regard de mon expérience.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Les différentes annonces répondent-elles déjà à certaines de vos inquiétudes ?
M. François Molins. - J'attends de voir le projet définitif pour me prononcer. Je déduis en tout cas de ces annonces que les critiques ont été entendues et que le ministère de l'intérieur travaille à des évolutions.
Cela paraît d'autant plus nécessaire que les résultats des expérimentations demeurent très mitigés selon les informations qui nous remontent du terrain. Une mission d'évaluation a été décidée sur le sujet, avec l'intervention des trois corps d'inspection des ministères de l'intérieur et de la justice.
Je ne prétends pas que la police ne doive pas être reformée. Une réforme est certainement nécessaire pour améliorer son organisation et son fonctionnement, ainsi que le traitement de la criminalité du quotidien.
La police ne se limite pas aux effectifs de police en tenue bleue sur la voie publique. Si les interpellations faites par les policiers ne sont pas suivies d'investigations de police complètes et impartiales, la justice ne peut être de qualité. La police judiciaire étant la police de la preuve, il est indispensable que les investigations soient exhaustives et impartiales, et que la procédure soit de bonne qualité. Or nous vivons actuellement une situation de crise, liée à plusieurs facteurs.
Nous observons tout d'abord une désaffection pour la police judiciaire et l'investigation, qui se traduit par un déficit de vocations et d'attractivité, donc par un sous-effectif. Un rapport fait ainsi état de 17 000 officiers de police judiciaire alors qu'il en faudrait 22 000. Pour autant, nous ne devons pas abaisser la qualité de leur formation.
Je ne reviendrai pas sur la complexification de la procédure pénale, car la commission des lois du Sénat en sait autant sinon plus que moi.
Je soulignerai en revanche que la réforme des corps et carrières de la police nationale, en 1995, a entraîné dans les services de sécurité publique un désengagement majeur du judiciaire, des commissaires et de l'encadrement supérieur. Les stocks de procédures en souffrance dans les commissariats s'aggravent constamment, les dernières estimations faisant état de 2 millions de procédures non traitées (soit près d'un tiers des 5,9 millions de procédures). La plupart seront vraisemblablement classées, conformément aux préconisations contenues dans la circulaire ministérielle de 2021, et des victimes ne recevront jamais de réponse.
Par ailleurs, les délais de traitement des enquêtes s'allongent et tous les magistrats constatent une dégradation continue de la qualité des procédures pénales, en particulier en sécurité publique. Elle tient autant au manque d'effectif qu'à l'insuffisante qualité procédurale des enquêteurs de la sécurité publique, qui assurent pourtant plus de 90 % des missions d'investigation. Tel n'est en revanche pas le cas dans la police judiciaire, qui a su préserver un bon niveau de qualité dans ses enquêtes en matière de grande criminalité organisée et financière.
Je tiens à souligner les bonnes relations de travail entre les procureurs de la République et les juges d'instruction et les chefs de service de police judiciaire. La situation diffère légèrement en sécurité publique, car les directeurs départementaux travaillent généralement davantage avec les préfets, eux-mêmes beaucoup plus impliqués dans les missions de sécurité depuis quelques années. Les procureurs entretiennent moins de rapport avec les responsables départementaux qu'avec leurs adjoints en charge des investigations judiciaires. Le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 exprimait clairement l'objectif de renforcer l'autorité des préfets sur la police nationale.
J'en viens maintenant au projet de réforme de l'organisation de la police nationale. Son épure initiale consistait à rassembler, dans chaque département, tous les services de police sous l'autorité d'un responsable départemental unique, le directeur départemental de la police national (DDPN), lui-même placé sous l'autorité du préfet. Celui-ci deviendrait le chef de quatre filières : sécurité publique, renseignement, police aux frontières et investigations. Divers services de police judiciaire disparaîtraient en fusionnant au sein de la filière d'investigation, aux côtés des enquêteurs des sûretés départementales et de la sécurité publique, en charge d'un spectre de délinquance plus bas.
L'objectif de la réforme consistait à mettre un terme au fonctionnement en silos. Dans la police nationale en effet, chaque service ne rend compte qu'à sa direction centrale. Il s'agissait aussi de porter une attention particulière à la criminalité du quotidien. Cependant, il est rare de voir un projet susciter une telle unanimité dans ses critiques, de la part à la fois des policiers, des magistrats et des avocats.
Je pense tout d'abord que l'échelon départemental n'est pas adapté dans le traitement de la criminalité organisée. Les groupes criminels les plus structurés sont très mobiles, ils s'entraident et étendent leurs ramifications sur l'ensemble du territoire et à l'étranger. Le rapport annuel du SIRASCO constitue une source fiable dans ce domaine. J'ai moi-même travaillé sur ce sujet il y a trois ans, quand Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, m'a chargé de rendre un rapport sur la criminalité organisée et financière. Nous avions à l'époque constaté que les dossiers de criminalité organisée ne cessaient de s'internationaliser et de se complexifier, avec des modes opératoires sophistiqués, suprarégionaux voire nationaux. Le haut du spectre de la criminalité n'était pas suffisamment bien traité, et nous nous situions alors à l'opposé d'un traitement départemental.
Par ailleurs, je ne pense pas que la version initiale du projet réponde aux enjeux de qualité des procédures et de nombre d'officiers de police judiciaire (OPJ). Il semble plutôt répondre à d'autres objectifs, à savoir la gestion de la pénurie des enquêteurs OPJ en sécurité publique par la déspécialisation et la déconcentration des effectifs ainsi que par la recherche de résultats plus visibles en matière de délinquance du quotidien et de maintien de l'ordre. Un tel projet présente sans doute des avantages en sécurité publique, mais il risque d'abîmer un outil, la police judiciaire, qui fonctionne plutôt bien dans des enquêtes complexes et longues touchant principalement à la criminalité organisée. Ce constat est encore plus vrai s'agissant de la délinquance financière.
En l'état, le projet comportait donc plusieurs risques : que la police judiciaire perde son indépendance et son niveau de technicité ; que la priorité soit donnée au traitement des cibles les plus visibles ou les plus faciles à traiter, au détriment des infractions les plus graves, complexes ou cachées, en somme la politique du chiffre ; que le principe de direction de l'enquête par les magistrats du parquet et les juges d'instruction se trouve affaibli. Sur le papier, rien ne change et l'article 12 du code de procédure pénale demeure, mais il apparaît un risque fort que le DDPN, sous l'autorité du préfet, devienne décisionnaire en matière de politique pénale. Enfin, renforcer l'autorité des préfets de département crée un risque d'interférence des préfets, des politiques et des élus dans les enquêtes.
Votre première question écrite portait sur la manière dont les magistrats répartissent les enquêtes, en particulier entre la police judiciaire et la sécurité publique.
Dans mon expérience, les enquêtes sont réparties selon la gravité des faits, la complexité des investigations, la compétence et la technicité des services d'enquête.
Généralement, les services de sécurité publique se chargent des affaires de petite et moyenne délinquance, des infractions de voie publique, des vols simples et aggravés, des atteintes aux personnes, des violences conjugales, des petits trafics ou usages de stupéfiants, des rixes et violences volontaires, des agressions et atteintes sexuelles, des petites escroqueries, des ventes à la sauvette, etc . Au sein de la sécurité publique, les sûretés départementales possèdent la meilleure expertise dans les affaires compliquées et se chargent plutôt des affaires de violences urbaines et des trafics de stupéfiants.
Les affaires criminelles (criminalité organisée et financière) sont dans les faits toujours confiées à des services spécialisés : sections de recherche en zones gendarmerie et services de police judiciaire en zone police (directions zonales de la police judiciaire, services territoriaux, antennes de police judiciaire). Nous disposons également de huit juridictions interrégionales spécialisées dans le pays (JIRS). Ces JIRS traitent le haut du spectre de la criminalité, et travaillent presque exclusivement avec des offices centraux, des directions zonales de police judiciaire ou des sections de recherche.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Nous entendons que cette réforme conduirait à se calquer sur l'organisation de la gendarmerie nationale et de la préfecture de police. Partagez-vous cette analyse ? Rencontrez-vous des difficultés à l'heure actuelle dans le traitement des affaires judiciaires suivies par la gendarmerie et la préfecture de police ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pourquoi devrions-nous craindre cette évolution ?
M. François Molins. - La réforme ne vise pas à calquer l'organisation de la police nationale sur celle de la gendarmerie ou de la préfecture de police. Il existe certes des points communs, mais aussi de fortes différences.
L'un des points communs réside dans l'unité de commandement. Cependant, la gendarmerie comporte des sections de recherche chargées du traitement de la grande criminalité et de la délinquance organisée et financière, qui ne sont pas du tout sous l'autorité des commandements de groupements départementaux, mais sous l'autorité des commandements de région.
S'agissant de la préfecture de police, la comparaison aurait pu valoir il y a vingt ans, quand les commissariats parisiens étaient organisés en districts où tous les services exerçant des missions de police judiciaire étaient fusionnés. Ce modèle a été abandonné depuis, et désormais le préfet de police a la mainmise sur tous ces services. Il existe donc des paysages très différents, entre lesquels les magistrats peuvent choisir. Les services de sécurité publique comprennent des commissariats de sécurité publique dans chaque arrondissement pour traiter des affaires de petite et moyenne délinquance, et la direction régionale de la police judiciaire s'articule avec une organisation fondée sur des brigades centrales et des districts de police judiciaire pour traiter le haut du spectre de la délinquance parisienne et les affaires les plus graves.
L'unicité de commandement ne pose pas de problème particulier pour le judiciaire. Je comprends parfaitement la cohérence à placer des services sous un commandement unique, notamment sous l'angle de l'obligation de compte rendu. Néanmoins, il existe un choix dans la saisie (commissariats, sûreté territoriale, districts de police judiciaire, services locaux de gendarmerie, sections de recherche) qui doit perdurer.
M. Jérôme Durain , rapporteur . - Nous ne savons pas grand-chose de la réforme envisagée. Dans un récent article de presse, la personne chargée de la conduire donnait quelques éléments nouveaux, notamment l'existence de divisions spécialisées dans la criminalité organisée et de divisions territoriales, le changement de nom des sûretés, et la possibilité pour le procureur de noter les directeurs départementaux.
Vous avez évoqué la désaffection pour la fonction judiciaire, assortie d'une difficulté récurrente dans la qualité des procédures. La réponse peut-elle consister à puiser des compétences dans la police judiciaire pour les affecter en sécurité publique ? Ne risquons-nous pas d'affaiblir les spécialités métier ? La réponse ne résiderait-elle pas dans l'unité de commandement, pour une meilleure vision de l'organisation dans la police nationale ?
M. François Molins. - Je ne conteste pas l'unité de commandement, mais je trouverais préjudiciable de faire disparaître des services qui ont su préserver leur technicité et leur qualité. Certains responsables de la police judiciaire ont émis des contre-propositions, consistant à maintenir tous les échelons de police judiciaire en les plaçant sous l'autorité de DDPN ou de directeurs zonaux de la police nationale. Je ne comprends en tout cas pas en quoi l'unicité de commandement implique nécessairement la disparition de services. Ils perdraient leurs compétences en se fondant dans une sorte de magma en charge de traiter à la fois de la petite, moyenne et grande délinquance. Les collègues magistrats le redoutent, d'autant que nous ne disposons pas d'une vision exhaustive de la réforme envisagée. De plus, les résultats des expérimentations ne semblent pas avoir été parfaitement profitables, puisqu'elles n'ont pas permis de réduire le stock des procédures en souffrance dans les commissariats. L'évaluation des inspections permettra de faire la part des choses dans ce domaine.
Partout où je suis passé, j'ai toujours lutté contre les fonctionnements en silos. Je ne vous dirai pas le contraire aujourd'hui, mais il convient aussi de préserver la qualité des outils existants. Si un procureur ou juge d'instruction doit solliciter des investigations à l'extérieur de son département ou sa région, ou même à l'international, le chef de service doit pouvoir y consacrer les moyens.
Vous envisagez que le DDPN soit évalué par le procureur de la République, et je ne m'en plaindrai pas car la plupart ne l'étaient pas jusqu'à présent. Il leur suffisait en effet de ne pas demander leur habilitation OPJ pour l'éviter. Pour autant, cette mesure ne garantira pas le succès ou l'échec de la réforme.
M. Patrick Kanner . - On prête à l'ancien Premier ministre britannique Benjamin Disraeli la phrase : « réformer ce qu'il faut, préserver ce qui vaut ». Vous voulez manifestement préserver ce qui vaut.
Nous avons eu avec le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, un débat lors de l'xamen du projet de LOPMI sur les tentatives précédentes de regroupement départemental des forces de police, de sécurité publique, de renseignement territorial et de police aux frontières. Selon moi, la police judiciaire n'était pas incluse dans cette démarche imaginée par Pierre Joxe et brisée par Charles Pasqua.
Pourquoi l'exécutif souhaite-t-il cette réforme aujourd'hui ? L'efficacité est toujours mise en avant, mais cette réforme ne reflète-t-elle pas la volonté d'un contrôle politique en lien avec les préfets et les DDPN ? Telle est l'interprétation de nombre d'entre nous, qui ne pensent pas que l'efficacité de la police judiciaire s'en trouverait améliorée. Vous avez vous-même connu des affaires extrêmement douloureuses. Auraient-elles été mieux traitées si la police judiciaire avait été départementalisée ?
M. Jean-Pierre Sueur . - J'ai trouvé clairs les propos que vous avez tenus sur France Inter, de même que les propos que vous tenez aujourd'hui. Placer la police judiciaire sous l'autorité du parquet apparaît incompatible avec l'existence d'un commandement unique pour l'ensemble de la police, sous l'autorité d'un responsable de la police. Cette incompatibilité n'empêche cependant pas les contacts et la coopération, et pendant toute votre carrière vous avez récusé le travail en silos. Vous avez raison, le compromis est parfois utile mais la logique exposée par le ministre de l'intérieur ne fonctionnerait pas selon moi.
M. Alain Richard . - Il me semble que la nécessité de refondre urgemment le code de procédure pénale est unanimement admise. Quelle méthode pensez-vous la plus adaptée pour y parvenir ? Une habilitation à droit constant ne me semble pas pouvoir fonctionner, d'une part car nous ne réunissons sans doute pas les conditions politiques pour que le Parlement y consente, et d'autre part car l'objectif ne consiste pas à réécrire le code à droit constant. Pour autant, il apparaît aventureux de se lancer dans un projet ab initio et d'élaborer un nouveau code, de plusieurs milliers d'articles. Une autre voie est-elle possible ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Nous éprouvons quelques difficultés à comprendre le process et le calendrier de mise en oeuvre de cette réforme. Hier, nous avons auditionné le garde des sceaux. Il s'est montré d'une grande prudence quant à l'appréciation de la réforme sur le fond, mais a évoqué des évaluations de l'expérimentation, prévues ou en cours. Vous les avez vous aussi évoquées, mais avec flou. L'expérimentation a-t-elle été évaluée ? Quelles en sont les conclusions ? Comment peut-on en avoir connaissance et s'appuyer dessus ?
M. François Molins. - Pour répondre à Patrick Kanner, je ne pense pas que le département constitue le juste échelon, et j'identifie un vrai problème de cohérence. On demande à l'acteur judiciaire de se spécialiser de manière croissante, depuis les lois Perben de 2004, alors que l'autre acteur, la police, deviendrait plus généraliste. Par ailleurs, certaines enquêtes méritent parfois d'être dépaysées et l'utilité d'un service régional apparaît alors évidente.
Il ne me semble pas illégitime de vouloir réformer et mettre de l'ordre dans le commandement, au regard de la baisse du taux d'élucidation, en particulier en petite et moyenne délinquance. Nous devons toujours chercher à mieux faire. Cependant, si les parquets ne disposent pas de moyens pour les enquêtes qu'ils ordonnent, ils ne pourront pas mettre en oeuvre leur politique pénale. Les expérimentations ont d'ailleurs démontré que le directeur départemental de la police nationale ne saurait jouer le rôle d'arbitre dans les décisions du parquet. Si, par exemple, un procureur de Saône-et-Loire souhaite saisir la direction départementale de sécurité publique d'une enquête amenant à conduire des investigations en région lyonnaise et en Bourgogne, il est peu probable que le directeur départemental acceptera de distraire des effectifs requis par ailleurs au quotidien, pour les consacrer à des enquêtes au long cours dans d'autres départements. Une doctrine d'emploi ne suffira pas dans ce domaine, car elle peut changer au fil du temps.
Selon moi, nous devons maintenir un système préservant le libre choix du procureur, au travers de services zonaux de police judiciaire. Idéalement, les procureurs de la République auraient aussi voix au chapitre en matière d'affectation des moyens dans les enquêtes qu'ils ordonnent.
S'agissant de la réforme du code de procédure pénale, je n'ai pas compris qu'elle s'effectuerait à droit constant. Un tel toilettage ne réglerait d'ailleurs pas la crise de la filière d'investigation. Quand j'étais procureur de Paris, je me plaignais de l'insuffisance des effectifs dans la police judiciaire. Après les attentats, une vague de mutations a eu lieu, de la filière investigation vers le renseignement, à tel point que les créations de postes en police judiciaire ne recevaient parfois aucune candidature.
Les réformes de fond sur la procédure pénale se heurtent avant tout au statut du parquet, qui est bloquant et qui nécessite une réforme. Une autre solution consisterait à augmenter le nombre d'officiers de police judiciaire, bien formés et mieux encadrés. Or nous payons encore aujourd'hui les effets néfastes de la réforme de 1995. Je signale du reste qu'à cette même époque un projet de réforme de la départementalisation de la police nationale hors police judiciaire avait été abandonné au bout de 18 mois.
L'expérimentation actuelle ne me semble pas avoir produit d'effets particulièrement positifs. L'inspection confirmera ou infirmera les premières remontées, mais j'ai entendu que les procureurs se trouvaient marginalisés dans l'élaboration de la politique pénale, et que l'autorité judiciaire était uniquement perçue comme un gestionnaire de flux. Les priorités de politique pénale définies par le parquet ne seraient pas prises en compte. J'ai aussi entendu qu'en Guadeloupe, des magistrats du parquet ne sont plus libres de choisir le service d'enquête, leurs demandes étant filtrées par le DDPN. Enfin, si tout le monde semble d'accord pour améliorer l'information des élus sur l'évolution de la criminalité et ses modes de traitement, les élus n'ont pas nécessairement à être informés directement sur la conduite des investigations. Or certains se saisissent de cette ouverture, via les préfets et directeurs départementaux, notamment dans les outre-mer. Les inspections feront le point sur les avantages et inconvénients de l'expérimentation.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Je crois savoir que les retours des inspections sont attendus pour janvier 2023.
M. Jérôme Durain . - Nous avons nous-mêmes reçu quelques retours par des responsables de la police nationale. Nous avons d'ores et déjà l'impression que des évolutions sont possibles à droit et moyens constants, notamment en matière de co-saisine. En effet, les expérimentations ont permis de dégager des méthodes de travail nouvelles, qu'il conviendrait peut-être d'étudier.
Par ailleurs, vous avez évoqué un contrôle politique du fait de la tutelle préfectorale sur la nouvelle organisation. Dans les garanties apportées par le ministre de l'intérieur, la seule exception à la logique départementale concernerait les atteintes à la probité. Or la sensibilité d'une affaire ne saurait s'y résumer.
M. François Molins. - En effet, j'ai entendu que chaque directeur zonal de la police judiciaire conserverait deux entités de six enquêteurs pour le blanchiment, d'une part, la probité et la corruption, d'autre part. Cela ne me semble pas suffisant. Avec qui travailleront les juridictions interrégionales spécialisées ? L'enjeu me semble moins de préserver le traitement des atteintes à la probité que de préserver dans sa totalité l'outil de traitement de la grande criminalité organisée et financière. Du reste, les atteintes à la probité ne recouvrent pas tout le champ de la criminalité financière, dont le traitement se porte déjà mal. Le projet initial signait pour moi sa fin, car les DDPN ne s'engageront jamais dans ce domaine.
M. François-Noël Buffet , président . - Il apparaît que la police judiciaire n'attire plus, principalement pour des raisons liées à la qualité de vie. Nous avons pourtant entendu hier que tel n'était pas le cas en gendarmerie. Comment améliorer cette situation dans la police nationale ?
M. François Molins. - Le problème me semble systémique. En police comme en gendarmerie, certains enquêteurs ne comptent pas leurs heures, et connaissent d'ailleurs des problèmes personnels car ils donnent beaucoup d'eux-mêmes. Il existe toutefois une crise des vocations, particulièrement depuis les attentats. Des personnes impliquées dans ce domaine depuis des années ont souhaité passer à autre chose. Cela fait partie de la nature humaine, mais c'est en lien avec des facteurs généraux. Il est démotivant de mener une enquête en sachant que l'affaire ne verra pas le jour avant des années (sept à huit ans pour des atteintes à la probité ou des affaires financières). Une réduction des délais améliorerait la motivation des enquêteurs. Il convient en outre de redynamiser la filière au travers d'avantages de carrière, mais aussi en permettant des récupérations. Enfin, un effort doit porter sur l'encadrement et la multiplication des OPJ, qui manquent.
M. François-Noël Buffet , président . - Je pense que nous partageons tous votre appréciation sur l'implication, remarquable, de ces personnes. Hommage doit leur être rendu.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de M. Gérald Darmanin,
ministre de
l'intérieur et des outre-mer
M. François-Noël Buffet , président . - Nous accueillons aujourd'hui Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, dans le cadre de nos travaux d'information sur l'organisation de la police judiciaire.
Nous serons probablement les derniers à nous positionner sur ce sujet, puisque l'Assemblée nationale a déposé un rapport d'information, que je qualifierai de « bicéphale », et que la commission des finances du Sénat a également adopté un rapport d'information sur la direction centrale de la Police judiciaire, sans compter le rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA), de l'inspection générale de la justice (IGJ), et de l'inspection générale de la police nationale (IGPN).
Nos rapporteurs présenteront les résultats de leurs travaux au tout début du mois de mars.
M. Gérald Darmanin, ministre . - La réforme de la police nationale, et non pas simplement de la police judiciaire, a été modifiée et enrichie. Un compromis avec le Gouvernement a été trouvé dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), à la suite du travail mené par le Sénat. À cet égard, je salue MM. Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, qui sont parvenus à trouver une rédaction consensuelle permettant d'instaurer certaines bornes, qui nous paraissaient consensuelles. Par ailleurs, le Gouvernement s'était engagé à publier les différents rapports établis sur ce sujet, ce qu'il a fait.
Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas eu à redire grand-chose au projet de loi que j'ai l'honneur de porter, notamment sur la question importante, évoquée par de nombreux parlementaires, de la séparation des pouvoirs et du lien entre l'autorité judiciaire et le pouvoir exécutif.
Dans la mesure où les rapporteurs de la commission des lois du Sénat travaillent certainement à la finalisation de leur rapport sur l'organisation de la police judiciaire, j'évoquerai rapidement trois points.
Tout d'abord, conformément à l'engagement que j'ai pris devant l'Assemblée nationale, je ne ferai rien tant que les trois rapports d'information ne seront pas rendus et tant que je n'en aurai pas étudié les conclusions.
Permettez-moi de revenir sur le rapport des inspections, ainsi que sur le rapport « bicéphale » de l'Assemblée nationale. Aucun de ces rapports ne remet en cause le bien-fondé d'une action à mener dans la police nationale, laquelle, depuis extrêmement longtemps, travaille en silos et mériterait d'être modernisée. Je pense au nombre important d'enquêtes, ainsi qu'à la mutation de la délinquance. Ne rien faire reviendrait à ne pas améliorer les taux d'élucidation, à désespérer la filière judiciaire et, donc, toute la police nationale, et à renoncer à nous adapter au monde moderne.
Ensuite, d'après les différents rapports, la création d'une filière judiciaire rassemblant les différents services d'investigation, qui n'existe pas aujourd'hui, est une bonne idée, ce dont je me félicite.
Le garde des sceaux et moi-même l'avons dit, nous prendrons en compte l'intégralité des remarques et préconisations des inspections. Ainsi, l'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale se fera à la fois par le préfet et par le procureur de la République. Cette innovation, notamment proposée par l'IGJ, me paraît frappée au coin du bon sens, le fameux article 12 du code de procédure pénale prévoyant que la police judiciaire est exercée sous la direction de l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, la question de la décentralisation d'un certain nombre de décisions a été soulevée, ce qui me paraît une très bonne chose.
Permettez-moi de vous donner les échéances à venir. La réforme sera mise en oeuvre en 2023, comme nous nous y étions engagés. Dès la semaine prochaine, je recevrai l'intégralité des organisations syndicales de la police nationale, dans le cadre de discussions bilatérales. Après cette consultation, je prendrai un certain nombre de décisions qui tireront les conclusions des rapports d'information des assemblées et des inspections, ainsi que des propositions formulées par les syndicats. Au mois d'avril, les directeurs zonaux seront désignés, puisqu'il s'agit de faire des directions par zone de la police nationale. À l'été, il y aura deux types de nomination pour les directeurs départementaux : dans les directions départementales qui ne sont pas concernées par les grands événements sportifs - la Coupe du monde de rugby, les nominations pourraient avoir lieu fin août ou début septembre, tandis qu'elles auraient lieu au mois d'octobre dans les autres. Ainsi, fin 2023, nous serions en ordre de marche, puisque nous aurions les directeurs par filière de la police nationale, les directeurs zonaux de la police nationale et les directeurs départementaux de la police nationale. Nous voulons que chaque ancienne direction soit bien représentée dans le nouvel ensemble.
L'actuelle direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) est le préfigurateur de la police judiciaire de demain. Il s'agit de réaffirmer qu'il existe et existera bel et bien une direction de la police judiciaire.
Il s'agit d'une réforme très importante, dans la mesure où aucune réforme d'ampleur de la police nationale n'est intervenue depuis longtemps. En 1966, le général de Gaulle avait créé un nouveau statut de la police nationale. En 1995, Charles Pasqua avait décidé de fusionner les corps de la police nationale. Ainsi, depuis quarante ans, il n'y a pas eu de réforme dans la police nationale, contrairement à ce qui s'est passé dans la gendarmerie ou dans l'armée.
Il est normal qu'une réforme aussi compliquée, qui concerne les 150 000 agents de la police nationale, fasse naître des interrogations, que j'écoute.
M. Jérôme Durain , rapporteur . - Monsieur le ministre, je vous donne quitus de la parole donnée, puisque tous nos rendez-vous ont été honorés.
Si le rapport de l'Assemblée nationale a été « bicéphale », nous avons aussi deux noms et deux visages, mais pourrions n'avoir qu'un seul discours pour ce qui concerne notre rapport.
En effet, le constat est partagé, qu'il s'agisse de l'évolution de la criminalité, des limites de l'organisation actuelle en termes d'élucidation ou d'attractivité, d'une organisation en silos ou des questions d'unicité de commandement. Toutes ces questions ne font pas débat.
En revanche, nous nous interrogeons, d'abord, sur la méthode. Nous avons en effet le sentiment que cette réforme se fait sans la police. Il ne faudrait pas qu'elle se fasse contre elle !
Ensuite, sur le fond, nous observons une problématique, centrale dans la réforme, d'articulation entre autorité hiérarchique et autorité fonctionnelle. Quelle définition envisagez-vous pour cette autorité fonctionnelle au sein d'une même filière ? Pouvez-vous nous indiquer où en sont l'élaboration des doctrines nationales et la mise en oeuvre des directions nationales ?
Par ailleurs, s'agissant des moyens opérationnels au niveau zonal, les rapports des inspections se prononcent plutôt contre leur maintien. Serait privilégiée la possibilité de saisine des services localisés sur un département voisin, éventuellement avec une extension temporaire du champ territorial de compétences de ce service. Si l'on voit bien l'intérêt que peut présenter une telle organisation pour le traitement d'affaires sensibles, comment faire travailler un niveau régional, voire interrégional ? La saisine du niveau national, au-delà des offices, sera-t-elle toujours possible ?
Enfin, l'organisation de la filière investigation au niveau de chaque département reproduira-t-elle l'organisation en trois niveaux, qui a déjà été mise en place dans les outre-mer ?
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Monsieur le ministre, je vous interrogerai sur les conclusions rendues dans le cadre de l'audit mené, en particulier sur l'ampleur des modifications réglementaires, numériques et immobilières auxquelles cette réforme donnera lieu.
Ainsi, les problèmes numériques se révèlent être un frein majeur. Selon le rapport, il en résultera une « période transitoire durant laquelle le fonctionnement s'effectuera en mode dégradé ».
Les auteurs des rapports évoquent également la question de l'immobilier. À cet égard, la réforme est très ambitieuse, dans la mesure où un regroupement des sites est nécessaire.
Au regard de ces craintes, le calendrier de mise en oeuvre de la réforme vous paraît-il réalisable ? Je pense également à la formation des directions départementales de la police nationale (DDPN).
Je souhaite également vous interroger sur les stocks de dossiers, qui sont stupéfiants. Il s'agit d'un enjeu majeur pour la justice et, plus généralement, pour la société. Dans les rapports des inspections, on peut lire qu'une mission d'inspection a été lancée sur ce sujet en décembre 2022. Quels sont ses objectifs ? Quelles solutions pourraient être mises en oeuvre pour résorber les stocks ?
M. Gérald Darmanin, ministre . - Cette réforme de la police nationale bouscule beaucoup de choses, ce qui explique un certain nombre d'incompréhensions. Nous demandons en effet une accélération de la modernisation et du changement de comportement. C'est vrai, la réforme ne se fait pas par étapes, ce qui rend les choses plus complexes.
Notre grand avantage, c'est que nous disposons de moyens très importants. Nous avons en effet prévu dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) des moyens pour accompagner l'immobilier, la formation et le numérique.
Je peux comprendre la nostalgie de certaines « maisons » à l'identité particulièrement forte, comme la police judiciaire. Mais ces maisons ne disparaissent pas, elles se modernisent. Bien que le parallèle puisse paraître prétentieux, je comparerai cette réforme à la création des Brigades du Tigre par Clemenceau.
Sur les difficultés évoquées par le rapport des inspections du ministère de l'intérieur et de la justice, nous sommes en désaccord sur la question de la probité : dans le cadre d'une enquête sur des élus, des chefs d'entreprise ou des gens en vue, certains magistrats redoutent que la police judiciaire ne soit en contact trop étroit avec le préfet et les élus, à la manière d'un film de Chabrol. Nous avons donc fait le choix de « dépayser » l'affaire, en la confiant à la direction zonale. Dans le rapport de l'inspection du ministère de la justice, il est suggéré de confier l'affaire à la direction d'un département voisin. Cette dernière proposition ne me paraît pas pertinente, préfets et élus d'une même région étant régulièrement en contact. Par conséquent, le niveau zonal me paraît plus protecteur. Il s'agit cependant d'un arbitrage restant à rendre.
S'agissant de la saisine au niveau national, indépendamment des offices, il appartient au magistrat de désigner le service de police qu'il souhaite voir intervenir. Il a à sa disposition une très large palette de services enquêteurs, qui ne relèvent pas tous du ministre de l'intérieur.
Les trois niveaux de police judiciaire permettent d'avoir une progression des officiers de police judiciaire (OPJ). En effet - c'est l'un des drames de la police nationale -, le travail de l'OPJ est fatigant. Il n'a pas d'horaires lui permettant d'avoir un minimum de vie de famille, il est mal payé, il n'obtient pas toujours la réponse pénale qu'il souhaite, et sa progression de carrière est très limitée. Au bout d'un moment, il arrête ! Nous assistons dans notre pays à une sorte de découragement des OPJ.
Avec une direction départementale de la police nationale, nous pourrons avoir une possibilité de progression des OPJ à l'intérieur de la direction, ce qui abolira l'horizon fermé de cette profession. Je le rappelle, il manque 5 000 OPJ à l'heure actuelle en France.
Je constate que les deux rapports rendus par les inspections et par l'Assemblée nationale ont démontré que les directions territoriales de la police nationale (DTPN) ont très bien fonctionné dans les outre-mer, un peu moins en métropole.
La doctrine sera publiée avant l'été, mais nous attendons les rapports d'information des deux assemblées parlementaires pour tenir compte de leurs préconisations.
S'agissant de la dichotomie autorité hiérarchique-autorité fonctionnelle, le débat n'est pas nouveau. Par exemple, j'ai l'autorité hiérarchique sur les policiers, que j'embauche et paie en tant que ministre de l'intérieur, mais je n'ai pas l'autorité fonctionnelle sur eux, c'est-à-dire que je ne les dirige pas au jour le jour. Je ne peux pas donner d'ordres à la police judiciaire. Je vous rassure, les magistrats auront toujours le pouvoir de saisir tel ou tel service de police, selon leur convenance, pour diligenter des enquêtes.
S'agissant du numérique, je dois vous avouer que le ministère de l'intérieur ne sait pas mener des projets numériques. Ce n'est pas comme Bercy, qui a su mener de bout en bout la procédure de prélèvement à la source lorsque j'étais à la tête des services fiscaux. J'essaie de remédier à ce problème en mettant de l'argent et des compétences. Par exemple, il est significatif que l'École polytechnique affecte dorénavant quatre de ses élèves vers la police. Nous montons en gamme en matière de compétences.
Nous avons aussi besoin d'un changement de mentalité profond à cet égard. Par exemple, la plainte numérique est une révolution qui mettra sans doute du temps à s'imposer, surtout qu'il faut se coordonner avec la justice.
Scribe et le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) sont donc les deux chantiers prioritaires, et ils ne sont pas dissociables de la réforme que je porte.
Pour ce qui est de l'immobilier, la LOPMI prévoit 400 millions d'euros par an pour des projets immobiliers. Des regroupements de locaux seront nécessaires, mais, dans les faits, il y en a déjà.
Nous serons prêts pour décembre 2023, même s'il faudra attendre encore deux ou trois ans pour que tous les textes réglementaires soient pris ou adaptés. De mémoire, il y en a 176.
Vous m'interrogez sur les stocks, mais ce problème n'est pas propre à la réforme de la police judiciaire. Il n'est pas compliqué de faire baisser les chiffres de la délinquance. Il suffit de décaler certaines plaintes dans le temps ou d'orienter les plaignants vers des mains courantes. Pour ma part, je ne veux pas tricher.
On assiste ces dernières années à une multiplication du nombre des atteintes aux personnes en raison de la nouvelle doctrine sur les violences conjugales. J'ai donné pour instruction aux policiers et gendarmes d'encourager le dépôt de plainte plutôt que la main courante. En 2022, il y a eu 400 000 interventions pour ce motif, mais le résultat, compte tenu des problèmes d'effectifs, c'est que les atteintes aux biens sont traitées avec moins de célérité.
Par ailleurs, nous avons remis beaucoup de monde sur la voie publique, ce qui laisse moins d'effectifs pour les enquêtes.
Enfin, le nombre de policiers municipaux a augmenté. Ce matin, j'étais à Saint-Denis. Il y a désormais quasiment une centaine de policiers municipaux à Saint-Denis, qui apportent des affaires supplémentaires au commissariat.
Il faut aussi que les parquets suivent dans le traitement des procédures. Je sais que les policiers de police judiciaire craignent qu'on ne les utilise pour traiter des affaires secondaires et résorber le stock, mais c'est déjà le cas dans les faits.
Je le répète, pour améliorer l'efficacité de la chaîne pénale, nous avons besoin d'une coordination avec les parquets.
M. Dany Wattebled . - Monsieur le ministre, une réforme était nécessaire, mais les syndicats sont inquiets sur la perte d'autonomie financière de la police judiciaire et sur sa capacité à pouvoir traiter les affaires du haut du spectre. Pouvez-vous les rassurer à cet égard ?
M. Marc-Philippe Daubresse . - Dans les travaux préparatoires de cette mission d'information, avec Nadine Bellurot et Jérôme Durain, nous avons identifié trois sujets.
Tout d'abord, vous venez de l'évoquer, se posent les problèmes d'autorité fonctionnelle et hiérarchique. Vous nous avez donné l'assurance que les magistrats conserveraient leur autorité fonctionnelle.
Ensuite, il y avait le problème de la gouvernance et de la cartographie. Comme vous, je pense que l'échelon zonal est le plus adapté pour les dépaysements.
Enfin, j'évoquerai le numérique et l'immobilier. Vous avez raison, le numérique n'est pas dans la culture du ministère. Je reviens sur l'immobilier. Il faut aller au bout et revoir complètement la gestion du parc immobilier pour l'optimiser.
Il faudra de toute façon prévoir des points d'étape pour évaluer la réforme année après année.
Mme Marie Mercier . - J'ai fait récemment une tournée avec la brigade anti-criminalité (BAC) de Chalon-sur-Saône et j'ai été surprise de l'état dégradé de leur flotte de véhicules. Les policiers avec qui je patrouillais m'ont expliqué que, l'État étant son propre assureur, ils n'avaient pas les moyens de faire réparer les voitures endommagées. Qu'en est-il ?
Par ailleurs, ces policiers m'ont confié qu'ils travaillaient cinq week-ends sur six, car il manquait six à dix personnes dans le service pour que celui-ci fonctionne normalement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
M. Gérald Darmanin, ministre . - Monsieur Wattebled, sur les moyens, la décentralisation des crédits est nécessaire. Les syndicats ont peur que les frais de mission, par exemple, ne soient désormais gérés de façon centralisée, technocratique, mais je ferai tout pour qu'il en soit autrement.
Sur les affaires du haut du spectre, comme je le disais précédemment, les services de la police judiciaire ont peur d'être utilisés à des tâches subalternes. Selon les critiques qui me remontent, la police judiciaire intéresserait beaucoup moins les politiques, car elle fonctionne sur un temps beaucoup plus long que le temps politique. Cette critique n'est pas fondée à mon sens. Certes, les ministres de l'intérieur restent en poste en moyenne un an, mais tous mes prédécesseurs ont eu le sens de l'intérêt général chevillé au corps.
De plus, les offices continueront d'exister, et nous augmenterons même leurs effectifs. Ils seront de surcroît toujours saisis par les magistrats, ce qui devrait apaiser les craintes des contempteurs de la réforme.
Vous savez, monsieur le sénateur, le point de deal de Tourcoing dépend toujours d'un trafic international et il fonctionne grâce aux nouvelles technologies. Toutes les affaires sont reliées et la résolution de l'une aide à la résolution de l'autre. Il faut les traiter avec le même sérieux.
Si je veux faire cette réforme, c'est parce que j'ai constaté, depuis que je suis ministre, que nous avions manqué de grosses affaires, car nous n'avions pas assez de personnel, par exemple, pour faire des perquisitions. En regroupant police judiciaire et sécurité publique au niveau départemental, il sera possible de mieux prioriser les affaires et la mise à disposition des effectifs.
Par ailleurs, il faut savoir qu'aujourd'hui les sûretés départementales traitent d'affaires qui étaient celles de la police judiciaire voilà vingt ans. La police judiciaire doit avoir conscience de cette montée en gamme de la sécurité publique.
Monsieur Daubresse, sur la cartographie, j'attends des propositions des organisations syndicales. Je suis ouvert à la discussion.
Sur l'immobilier, là encore, vous avez raison. Le parc immobilier est absolument immense, et, surtout, il est géré sous des statuts très divers. Or, vous le savez, l'administration française ne sait pas gérer le patrimoine public. C'est la raison pour laquelle la Foncière prévue par la LOPMI me paraît être une bonne idée. Il s'agit de coopérer avec des gens dont c'est le métier.
Madame Mercier, la BAC va au contact direct des délinquants, ce qui explique que ses voitures sont parfois abîmées...L'État est son propre assureur, mais, vous avez raison, le parc automobile était très vétuste quand je suis arrivé au ministère. Les choses vont mieux depuis deux ans, trois véhicules sur quatre ayant été changés.
Nous avons surtout un problème de chaîne administrative pour faire réparer les véhicules. Le statut d'ouvrier d'État n'étant pas très attractif, nous avons du mal à recruter des carrossiers, des mécaniciens pour les ateliers de l'administration. Ils sont en effet bien mieux payés dans le privé. Aussi, j'encourage les préfets à travailler avec les garagistes locaux.
J'entends votre remarque au sujet des horaires. Il serait bon de mobiliser davantage d'effectifs pour travailler le week-end, mais il faut aussi trouver des volontaires pour travailler la nuit. Je ne peux pas forcer les policiers à le faire. C'est sans doute un sujet au sein du commissariat que vous avez visité. En la matière, le problème peut aussi être la répartition des effectifs ; or, moins il y a d'effectifs de nuit, moins on peut changer les horaires.
Je vais bien sûr examiner le cas de Chalon-sur-Saône. Je précise que, cette année, le renforcement général des effectifs permettra d'assurer des cycles horaires dits « binaires ». En vertu de cette organisation, les policiers de nuit doivent travailler douze heures de suite ; ces rythmes sont assez fatigants, ils bouleversent souvent des habitudes de famille, mais, en définitive, ils sont plus satisfaisants pour tout le monde.
Enfin, monsieur le président, nous avons besoin du bon sens de nos parlementaires pour qu'un plus grand nombre de véhicules saisis soient utilisés par le ministère. Ce dernier refuse parfois des véhicules, par exemple des voitures de luxe, au motif que l'on n'a pas de pièces de rechange ; à mon sens, c'est une erreur. Non seulement les saisies sont source d'économies, mais l'appropriation de la voiture des voleurs a une force symbolique certaine. Enfin, ces véhicules permettent des interventions plus efficaces - je pense notamment aux filatures -, car leurs plaques ne sont pas connues.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - À l'évidence, comme au sujet des retraites, vous ne prenez pas la mesure des contestations et des inquiétudes exprimées.
Dans leur rapport commun, les trois inspections qualifient les expérimentations menées de « contrastées » ; le terme est élégant. Sur cette base, elles formulent dix-neuf recommandations : allez-vous les suivre ?
M. Gérald Darmanin, ministre . - La réponse est oui : nous allons suivre l'intégralité de ces recommandations.
Nous écoutons ceux qui sont en désaccord avec nous - fort heureusement ! -, mais cela n'empêche pas l'action. En son temps, la création de la direction générale des finances publiques (DGFiP) a soulevé beaucoup d'oppositions, et aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire que c'était une bonne réforme. Ce n'est pas parce qu'il y a des contestations qu'il faut arrêter toute réforme.
Chacun constate que le fonctionnement de la police nationale doit être amélioré. Si une partie des agents contestent la réforme, c'est parce qu'ils ont peur de perdre leur identité. Or, être policier, c'est une vocation à laquelle on a parfois tout sacrifié. Notre rôle, c'est donc de rassurer.
L'immense majorité de nos 150 000 policiers, notamment les policiers dits « de sécurité publique », approuvent cette réforme. Ils l'attendent même depuis des années.
Je le rappelle, c'est toute la police nationale qui est concernée et pas seulement la police judiciaire. Aujourd'hui, beaucoup d'agents de la sécurité publique et de la police aux frontières (PAF) voient, eux aussi, leurs habitudes bousculées. Le modèle vers lequel nous tendons s'inspire de la gendarmerie nationale et la préfecture de police.
Bien sûr, ma porte est toujours ouverte. Nous avons déjà fait beaucoup de compromis. Nous entendrons les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, ainsi que les représentants des organisations syndicales qui ne se sont pas encore exprimés publiquement sur la réforme. Mes premiers échanges avec eux me laissent supposer que je reprendrai une grande partie de leurs propositions d'évolution ; je leur prouverai ainsi que, non seulement j'écoute, mais j'entends.
M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à nos questions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
LISTES DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
PERSONNES ENTENDUES PAR LA COMMISSION
M. Gérald Darmanin , ministre de l'intérieur et des outre-mer
M. Éric Dupond-Moretti , garde des sceaux, ministre de la justice
M. Frédéric Veaux , directeur général de la police nationale
Général de corps d'armée Bruno Jockers , major général de la gendarmerie nationale
M. François Molins , procureur général près la Cour de cassation
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
Ministère de la justice
Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)
M. Olivier Christen , directeur des affaires criminelles et des grâces
M. Nicolas Renucci , chef du bureau de la police judiciaire
Mme Pauline Lemercier , adjointe du bureau de la police judiciaire
Ministère de l'Intérieur et des outre-mer
Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)
Général de corps d'armée Bruno Jockers , major général de la gendarmerie nationale
Colonel Alexandre Malo , sous-directeur de la police judiciaire
Lieutenant-colonel Antoine Lagoutte , chef du bureau de la synthèse budgétaire
M. François Desmadryl , directeur des soutiens et des finances
Direction générale de la police nationale (DGPN)
M. Frédéric Veaux , directeur général de la police nationale
M. Grégory-Hugues Frely , chef de l'équipe projet chargée de la réorganisation de la police nationale
Mme Gabrielle Hazan , conseillère judiciaire adjointe du directeur général de la police nationale
Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)
M. Jérôme Bonet , directeur central
Mme Séraphia Scherrer , commissaire de police, chargée de mission pour le suivi de la réforme de la police nationale (filière police judiciaire)
Direction centrale de la sécurité publique (DCSP)
Mme Céline Berthon , directrice centrale
Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF)
M. Fabrice Gardon , directeur central
M. Serge Galloni , chef du département de la stratégie, de l'audit et des risques (DSAR)
Préfecture de police de Paris
M. Laurent Nuñez , préfet de police de Paris
Mme Isabelle Tomatis , directrice de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne
M. Christian Sainte , directeur régional de la police judiciaire
Direction zonale de la police judiciaire (DZPJ) - Sud-Est, Lyon
M. Christophe Allain , directeur zonal de la police judiciaire
Direction zonale de la police judiciaire (DZPJ) - Sud-Ouest, Bordeaux
M. Christian Sivy , directeur zonal de la police judiciaire
Directions territoriales de la police nationale (DTPN)
Guadeloupe
M. Jean-Pierre Frédéric , directeur territorial adjoint
Mme Emilie Moreau , commissaire de police, cheffe du service territorial de la police judiciaire (STPJ)
Guyane
M. Philippe Jos , directeur territorial de la police nationale
La Réunion
M. Laurent Fraysse , directeur territorial de la police nationale
Martinique
M. Guillaume Mauger , directeur territorial de la police nationale
Mme Anne Le Dantec , cheffe du service territorial de la police judiciaire (STPJ)
Mayotte
M. Laurent Simonin , directeur territorial de la police nationale
Directions départementales de la police nationale (DDPN) - territoires d'expérimentation de la première vague
M. Benoît Desferet , directeur départemental de la sécurité publique du Pas-de-Calais, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
M. Benoît Desmartin , directeur départemental de la sécurité publique des Pyrénées-Orientales, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
M. Jérôme Chappa , directeur départemental de la sécurité publique de la Savoie, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
Directions départementales de la police nationale (DDPN) - territoires d'expérimentation de la deuxième vague
M. Francis Freyssainge , directeur départemental de la sécurité publique du Calvados par intérim, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
M. Yannick Blouin , directeur départemental de la sécurité publique de l'Hérault, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
M. Éric Heip , commissaire général, directeur départemental de la sécurité publique de l'Oise, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
M. Arnaud Bavois , directeur départemental de la police nationale du Puy-de-Dôme, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
M. Gérard Morena , directeur départemental de la sécurité publique du Haut-Rhin, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
Directions départementales de la sécurité publique (DDSP)
M. Bruno Gallot , directeur départemental de sécurité publique de la Côte-d'Or
M. Mathieu Bernier , directeur départemental de sécurité publique de l'Eure-et-Loir
M. Laurent Tarasco , directeur départemental de sécurité publique du Bas-Rhin
M. Nicolas Bouferguene , directeur départemental de sécurité publique de la Seine-Maritime
Fédérations syndicales représentatives de la police nationale
CFE-CGC
Alliance police nationale
M. Frédéric Lagache , délégué général
Synergie-Officiers
Mme Isabelle Trouslard , secrétaire nationale
M. Yann-Henry Tiniere , conseiller technique
Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)
M. Tristan Coudert , secrétaire national
M. Jean-Paul Megret , secrétaire national
CFDT
Alternative Police
M. Pascal Jakowlew , secrétaire national en charge de l'investigation et du renseignement
M. Dominique Chertemps , délégué syndical référent police judiciaire à Lyon
Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT)
M. Christophe Miette , secrétaire national
M. Léo Moreau , chargé de mission
FSMI-FO
Unité SGP Police
M. Yann Bastiere , délégué national, secteur condition de travail en charge de l'investigation
M. Sébastien Watiotienne , délégué national, secteur condition de travail
UNSA-FASMI
M. Thierry Clair , secrétaire général de la fédération
UNSA police
M. Marc Hocquard , secrétaire national
UNSA officier (UDO)
M. Éric Pastre , référent police judiciaire
M. Laurent Massonneau , secretaire général
Association nationale de la police judiciaire (ANPJ)
M. Yann Bauzin , président
M. Thierry Renault , vice-président
Mme Nathalie Galabert , trésorière
Association des hauts fonctionnaires de la police nationale (AHFPN)
M. Christian Sonrier , président, directeur honoraire des services actifs de la PN
M. Christian Lambert , membre du comité directeur, préfet honoraire
M. Serge Castello , membre du comité directeur, ex-contrôleur général de la police nationale
Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG)
M. Frédéric Fèvre , procureur général près la cour de cassation de Douai et président de la Conférence nationale des procureurs généraux
M. Marc Cimamonti , procureur général près la Cour d'appel de Versailles
M. Jean-Marie Beney , procureur général près la Cour d'appel de Montpellier.
Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)
M. Xavier Bonhomme , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice
M. Raphaël Balland , procureur de la République près le tribunal de grande instance de Béziers
M. Rémi Coutin , procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Évreux
Procureurs de la République en exercice dans les territoires d'expérimentation
Outre-mer
Guadeloupe
M. Xavier Sicot , procureur de la République près le tribunal de Basse-Terre
M. Patrick Desjardins , procureur de la république près le tribunal de Pointe-à-Pitre
Guyane
M. Yves Le Clair , procureur de la République près le tribunal de Cayenne
La Réunion
Mme Véronique Denizot , procureure de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Denis
Mme Caroline Calbo , procureure de la République près le tribunal judiciaire de Saint Pierre
Martinique
Mme Clarisse Taron , procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France
Mayotte
M. Yann Le Bris , procureur de la république près le tribunal judiciaire de Mamoudzou
Première vague d'expérimentation
Pas-de-Calais
M. Sylvain Barbier Sainte Marie , procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Arras
M. Thierry Dran , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Béthune
M. Guirec Le Bras , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer
M. Mehdi Benbouzid , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Omer
Savoie
Mme Anne Gaches , procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Albertville
M. Pierre-Yves Michau , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Chambéry
Deuxième vague d'expérimentation
Calvados
M. Jean-Michel Rotaru , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Caen
Mme Delphine Mienniel , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lisieux
Hérault
M. Raphaël Balland , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Béziers
M. Fabrice Bélargent , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier
Oise
Mme Caroline Tharot , procureure de la République près le tribunal judiciaire de Beauvais
Mme Marie-Céline Lawrysz , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Compiègne
M. Loïc Abrial , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Senlis
Haut-Rhin
Mme Catherine Sorita-Minard , procureure de la République près le tribunal judiciaire de Colmar
Mme Edwige Roux-Morizot , procureure de la République près le tribunal judiciaire de Mulhouse
Syndicat de la magistrature
Mme Kim Reuflet , présidente
Mme Samra Lambert , secrétaire nationale
Unité magistrats - SNM FO
Mme Béatrice Brugère , secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats SNM FO
Mme Delphine Blot , déléguée régionale - cour d'appel de Versailles du syndicat Unité Magistrats SNM FO
Union syndicale des magistrats (USM)
M. Aurélien Martini , trésorier national adjoint
Association française des magistrats instructeurs (AFMI)
Mme Marion Cackel , présidente de l'AFMI, vice-présidente chargée des fonctions de l'instruction au tribunal judiciaire de Lille
M. Frédéric Mace , secrétaire général de l'AFMI, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Caen
Conseil national des barreaux (CNB)
Mme Laurence Roques , présidente de la commission Libertés et droits de l'homme
M. Gérard Tcholakian , membre de la commission Libertés et droits de l'homme
Mme Emilie Guillet , chargée d'affaires publiques
Transparency International France
M. Patrick Lefas , président
M. David Dupré , responsable plaidoyer vie publique
Anticor
Mme Inès Bernard , juriste
M. Clarence Bathia , juriste
Sherpa
M. Jean-Philippe Foegle , juriste
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
M. Mario Banner-Martin , directeur territorial de la police nationale de la Polynésie française
M. Jean-Marie Cavier , directeur territorial de la police nationale de la Nouvelle-Calédonie
M. Jean-Claude Dunand , directeur départemental de sécurité publique de la Côte-d'Or jusqu'au 31 octobre 2022
M. Yves Dupas , procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa
M. Hervé Leroy , procureur de la République près le tribunal de première instance de Papeete
Mme Dominique Puechmaille , procureur de la République près le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)
PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS
Jeudi 17 novembre 2022 : département de l'Oise
• Préfecture de l'Oise
- Mme Corinne Orzerchowski, préfète
• Direction départementale de la sécurité publique
- M. Éric Heip, commissaire général, directeur départemental de la sécurité publique, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
• Service de police judiciaire (SPJ) de Creil
- M. Sébastien Chalvet, commissaire, chef du SPJ, responsable de la filière investigation préfigurateur
• Tribunal judiciaire de Beauvais
- M. Louis-Benoît Betermiez, président
- Mme Caroline Tharot, procureure de la République
- Mme Sylvie Gandini, juge d'instruction, doyen des juges d'instruction, magistrat instructeur
Mardi 29 novembre 2022 : département de l'Hérault
• Préfecture de l'Hérault
- M. Hugues Moutouh, préfet
- Mme Elisa Basso, directrice de cabinet
• Cour d'appel de Montpellier
- M. Tristan Gervais de Lafond, premier président
- M. Jean-Marie Beney, procureur général
• Tribunal judiciaire de Montpellier
- M. Fabrice Belargent, procureur de la République
- Mme Sandrine Royant, vice-présidente chargée de l'instruction
• Direction départementale de sécurité publique
- M. Yannick Blouin, directeur départemental de la sécurité publique, directeur départemental de la police nationale préfigurateur
- M. Franck Rouffaud, commandant fonctionnel, adjoint au directeur
• Direction territoriale de la police judiciaire (DTPJ)
- Mme Nathalie Tallevast, commissaire générale, directrice de la DTPJ, responsable de la filière investigation préfiguratrice
- Mme Sophie Thomas, commissaire divisionnaire, adjointe à la directrice
• Direction interdépartementale de la police aux frontières
- M. Olivier Harguindeguy, commissaire divisionnaire, directeur
TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
N° de la proposition |
Proposition |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support |
SE DONNER LE TEMPS DE RÉUSSIR LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE, PRINCIPALEMENT QUANT À SES MISSIONS DE POLICE JUDICIAIRE |
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1 |
Établir un état des lieux précis, objectif et fiable du nombre de procédures en attente de traitement par service et de leur ancienneté. |
Gouvernement, DGPN, DGGN, Parquets |
2023 |
Circulaire |
Garantir le traitement de l'ensemble du spectre de la criminalité par la police nationale |
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2 |
Mettre en place une formation spécifique des futurs directeurs départementaux de la police nationale (DDPN) destinée à favoriser l'acquisition d'une vision véritablement transversale des missions et des moyens disponibles, ainsi que la maîtrise des leviers à mobiliser pour optimiser leur allocation. |
Gouvernement, DGPN |
2023 |
Règlement |
Prévoir l'habilitation en tant qu'OPJ comme condition pour l'accès à ces fonctions. |
Gouvernement, DGPN |
2023 |
Règlement |
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3 |
Garantir la possibilité effective pour les procureurs et magistrats instructeurs de saisir directement le niveau national ou les offices centraux pour les affaires de criminalité les plus complexes. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Doctrine de la filière investigation |
4 |
Confier aux directions zonales la possibilité de mobiliser, à la demande des magistrats, des filières d'investigation en appui d'autres filières de leur ressort pour le traitement des affaires complexes ou interdépartementales. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement, doctrine de la filière investigation |
Conserver des moyens d'investigation au niveau zonal pour le traitement d'affaires nécessitant la mobilisation de services très spécialisés. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Mesure de gestion administrative |
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5 |
Prévoir la possibilité pour les magistrats de saisir la direction zonale dans le cas où une affaire sensible rendrait nécessaire de confier l'investigation à une autre direction départementale que celle où les faits se sont produits. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Doctrine de la filière investigation |
6 |
Conserver la compétence interdépartementale des services de police judiciaire existants et dénommer « directeur territorial de la police nationale » le DDPN du siège de ces services. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement, doctrine de la filière investigation |
7 |
Garantir la possibilité de saisine directe des directions territoriales de la police nationale par les procureurs de l'ensemble des départements sur lesquels s'étend la compétence supradépartementale du service investigation. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement, doctrine de la filière investigation |
8 |
Généraliser les sûretés départementales autonomes dans l'ensemble des départements, positionnées sur le traitement du spectre moyen des infractions. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Mesure de gestion administrative |
Prendre le temps d'accompagner le changement : la voie du moratoire |
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9 |
Afin de garantir la sécurité des grands évènements à venir sans sacrifier une réforme potentiellement bénéfique, soumettre la réorganisation de la police nationale à un moratoire jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement |
10 |
Substituer de véritables préfigurations aux expérimentations conduites dans l'Hexagone, actuellement trop contraintes par la logique du droit constant. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement |
11 |
D'ici aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, poser les jalons indispensables à la réussite de la réforme en matière de modifications règlementaires, d'accompagnement au numérique et de regroupements immobiliers. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement |
12 |
Mettre en place un cadre de concertation formalisé et régulier avec les représentants des personnels de la police nationale en général et de la police judiciaire en particulier. |
Gouvernement, DGPN, syndicats de police |
2023-2024 |
Circulaire, mesure de gestion administrative |
13 |
Associer davantage les magistrats au pilotage de la mise en place de la filière investigation, tant au niveau central que local. |
Gouvernement, DGPN, DACG, Parquets, syndicats de magistrats |
2023-2024 |
Circulaire, mesure de gestion administrative |
TRAITER LA CHAINE PÉNALE DANS SON ENSEMBLE EN RÉÉQUILIBRANT LES EFFECTIFS ENTRE LA VOIE PUBLIQUE ET L'INVESTIGATION |
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La question des moyens : augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire et mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale |
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14 |
Rééquilibrer les effectifs dans la police nationale entre investigation et voie publique, en se concentrant notamment sur le taux d'encadrement du corps de conception et d'application dans l'investigation. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024-2025 |
Mesure de gestion administrative |
15 |
Créer des équipes supplémentaires dédiées au traitement de certains contentieux aujourd'hui délaissés, comme par exemple les affaires en matière économique et financière. |
DGPN |
2023-2024-2025 |
Mesure de gestion administrative |
16 |
À court terme, développer des procédures de traitement en masse des stocks d'affaires judiciaires par le bais de : - l'adoption par les Parquets d'instructions permanentes permettant aux services de police et de gendarmerie de classer certaines procédures d'initiative ; - le développement des opérations de traitement en temps réel sur site, y compris dans le cadre de la mise en place d'équipes policières dédiées à l'apurement des stocks de procédure dans des circonscriptions en difficulté. |
DACG, Parquets |
2023-2024 |
Circulaires |
17 |
Dans le cadre de la loi annoncée de programmation pour la justice, prévoir une augmentation du nombre de magistrats afin d'assurer le bon fonctionnement de la chaîne pénale dans son ensemble. |
Gouvernement |
2023 |
Loi |
18 |
Remplacer le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) par un logiciel plus ergonomique et plus adapté aux défis actuels de la filière judiciaire de la police nationale. Prévoir une interconnexion entre les bases utilisées par les différents services. |
DGPN |
2023-2024 |
Mesure de gestion administrative |
19 |
Inscrire l'amélioration de l'efficacité de la filière investigation dans le long terme, en construisant de véritables parcours de carrière en son sein à l'aide : - du développement de formations spécifiques aux métiers de l'investigation bénéficiant à l'ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire ; - d'une meilleure valorisation de ces formations dans le déroulement de carrière des personnels ; - de la construction d'opportunités de carrières au sein de la filière, en prévoyant deux voies de progression : vers des enquêtes plus complexes et vers l'encadrement de groupes d'enquêteurs plus généralistes ; - de la meilleure considération dans leur rémunération des sujétions particulières assumées par les personnels de la filière investigation. |
Gouvernement, DGPN |
2023-2024 |
Règlement, circulaires |
Réaffirmer pour les magistrats le libre
choix du service d'enquête
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20 |
Rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires en demandant au préfet d'ajuster ses orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire. Mettre en place un dialogue entre préfets et procureurs de la République pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire. |
Gouvernement, DACG, Parquets, préfets |
2023-2024 |
Règlement, circulaires, mesure de gestion administrative |
21 |
Garantir le principe du libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire en : - assurant un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire dans le cadre des comités semestriels de suivi de la LOPMI ; - inscrivant dans les textes règlementaires l'intégralité des services que l'autorité judiciaire peut saisir dans la nouvelle organisation de la police nationale ; - prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction sur les moyens alloués par enquête ; - instaurant une obligation du chef de filière investigation et du directeur départemental de la police national de rendre compte au procureur de l'état des procédures et de l'état d'avancement de certaines enquêtes. |
Gouvernement, DGPN, DACG, Parquets, juges de l'instruction |
2023-2024 |
Règlement, circulaires |
22 |
Prévoir un rappel exprès et solennel des grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire dans les doctrines nationales en cours d'élaboration. |
Gouvernement, DACG, DGPN |
2023-2024 |
Doctrine de la filière investigation |
* 1 Qui a rendu son rapport le 8 février 2023. Rapport d'information n° 821 de M. Ugo Bernalicis et Mme Marie Guévenoux sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale , fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale et déposé le 8 février 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/reforme_police_judiciaire_creation_ddpn .
* 2 Qui a rendu son rapport en janvier 2023 : Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale , Inspection générale de l'administration, Inspection générale de la justice, Inspection générale de la police nationale, janvier 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/rapport-igaigpnigj-reforme-de-police-nationale
* 3 Décret du 4 mars 1907.
* 4 Décret du 30 décembre 1907.
* 5 Décret du 30 décembre 1907.
* 6 Alors que les services de police dépendaient dans leur grande majorité des communes, plusieurs villes connaissent cette époque une étatisation de leur police municipale, en raison d'une administration insuffisante (Marseille en 1908, Toulon en 1918, Nice en 1920) ou pour les besoins de la gestion de l'ordre public et de la sécurité (Strasbourg, Mulhouse et Metz en 1925, région parisienne en 1935).
* 7 Et dans lequel le maire n'exerce aucun pouvoir de police municipale jusqu'en 2002.
* 8 Par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité .
* 9 Voir par exemple la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-625 DC du 10 mars 2022 sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (considérant 59) ou la décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 sur la loi pour une sécurité globale préservant les libertés (considérant 6).
* 10 Article 15 du code de procédure pénale.
* 11 Article 21 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer et arrêté du 1 er février 2011 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la sécurité publique.
* 12 Créées le 1 er janvier 2021 par le décret n°2020-1736 du 29 décembre 2020 portant création des directions zonales de la sécurité publique.
* 13 Article 22 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer et arrêté du 5 août 2009 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police judiciaire .
* 14 Six directions zonales et la direction régionale de la police judiciaire de Versailles.
* 15 Article 20 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer et arrêté du 1 er février 2011 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police aux frontières .
* 16 Créé par le décret n° 2022-1704 du 27 décembre 2022 portant création d'un office de lutte contre le trafic illicite de migrants . L'OLTIM a remplacé l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi des étrangers sans titre (OCRIEST) créé par le décret n° 96-691 du 6 août 1996 portant création d'un Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre .
* 17 Protocole cadre du 20 décembre 2007 de répartition des compétences judiciaires entre les services des directions centrales de la sécurité publique et de la police judiciaire.
* 18 Protocole cadre du 24 juillet 2006 entre la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction générale de la gendarmerie nationale, sur l'exercice de la police judiciaire par la gendarmerie nationale.
* 19 Le livre blanc est consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actu-du-ministere/livre-blanc-de-securite-interieure .
* 20 Sénat, Rapport d'information n° 302 (2022-2023) de M. Philippe Dominati sur la Direction centrale de la police judiciaire , fait au nom de la commission des finances et publié le 1 er février 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-302-notice.html .
* 21 Créé par l'arrêté du 27 août 2010 modifiant l'arrêté du 5 août 2009 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police judiciaire , le SIRASCO est « chargé notamment de l'identification et du suivi des organisations criminelles dont l'activité a une incidence sur le territoire national, de l'analyse stratégique et opérationnelle relative à ces organisations et de l'échange de renseignements avec les services français et étrangers. »
* 22 Rapport de 2019 du SIRASCO tel que résumé par la revue Conflits. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://www.revueconflits.com/sirasco-delinquance-crime-organise-police-nationale-gendarmerie/ .
* 23 Source : audition de la direction des affaires criminelles et des grâces par les rapporteurs.
* 24 Les informations mentionnées dans cette partie sont majoritairement extraites de la chronique de sécurité intérieure (juillet 1991- décembre 1992) de Christian Vallar, publiée au recueil Dalloz en 1999.
* 25 Ministère de l'Intérieur, directeur général de la police nationale (J. -Y. Paulot), note à l'attention de Monsieur le Ministre, 14 déc. 1989.
* 26 Arrêté du ministre de l'intérieur du 20 avril 1990 (n° 1563).
* 27 L'expérimentation est ensuite étendue à 18 départements supplémentaires à partir du 25 avril 1990, avant une nouvelle vague de 24 départements à partir du 1 er septembre 1992.
* 28 Par une circulaire en date du 24 juin 1992, le garde des sceaux s'est même opposé à l'octroi de la qualité d'OPJ aux DDPN en ce qu'ils « n'exercent pas à titre personnel et habituel des missions de police judiciaire ». Il est revenu aux procureurs de déterminer en lien avec les préfets l'opportunité de la création de services départementaux de police judiciaires placés auprès du DDPN, « sous réserve toutefois du maintien des compétences spécifiques et exclusives du Procureur de la République ». De fait, le refus d'habilitation est resté la norme.
* 29 SCHFPN, Enquête de départementalisation, 1992.
* 30 Paul Masson, avis présenté au nom de la commission des lois du Sénat sur les crédits « police et sécurité » du projet de loi de finances pour 1992 (n° 97).
* 31 Élaborés par les responsables de la police et de la gendarmerie nationales, ainsi que des douanes, avec une association des services de police judiciaire, le tout sous l'autorité conjointe du préfet et du procureur de la République.
* 32 Paul Masson, avis présenté au nom de la commission des lois du Sénat sur les crédits « police et sécurité » du projet de loi de finances pour 1994 (n° 106).
* 33 Respectivement le décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale pour la première vague d'expérimentation ultra-marine et le décret n° 2021-1876 du 29 décembre 2021 porta nt création des directions territoriales de la police nationale de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion, et de la Polynésie française pour la seconde vague.
* 34 Une juridiction est implantée dans les Pyrénées-Orientales contre deux en Savoie et quatre dans le Pas-de-Calais. Des évolutions différentes en ont résulté, le parquet de Béthune ayant par exemple été désigné comme chef de file dans le Pas-de-Calais tandis que la Savoie a fait le choix d'une harmonisation de leur politique pénale ou de la rédaction d'instructions conjointes (Source : direction des affaires criminelles et des grâces).
* 35 Basemap from OpenStreetMap contributors (ODbl license) - Made from Khartis.
* 36 En Guyane, la PAF a par exemple conservé plusieurs unités judiciaires, dont un quart des personnels sont affectés à l'aéroport Félix Eboué.
* 37 Inspection générale de l'administration, inspection générale de la justice, inspection générale de la police nationale, Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale , janvier 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/rapport-igaigpnigj-reforme-de-police-nationale.
* 38 Le procureur de la République à Papeete note par exemple que la réorganisation a permis « un apport en ressources OPJ venant de la DPAF auparavant non utilisées pleinement », tandis que le procureur de la République à Basse-terre relève une plus grande disponibilité des services de la DCPJ dans son ressort.
* 39 Selon les données transmises par le procureur de la République à Mamoudzou, le stock de dossiers à Mayotte a été réduit par trois en deux ans pour s'établir à environ 2 000 aujourd'hui, tandis que le taux d'élucidation a augmenté de 40 points (85% aujourd'hui) et que le volume d'affaire élucidée a doublé sur la période (3 320 au 19 novembre 2022 contre 1 740 sur la totalité de l'exercice précédent.
* 40 En Savoie et, dans une moindre mesure dans le Haut-Rhin.
* 41 Certains sont néanmoins toujours appliqués, par exemple dans le Haut-Rhin.
* 42 Un exemple concret est celui des opérations de surveillance en gare de Caen. Alors que celles-ci étaient auparavant conduites aléatoirement par la PAF et par la sécurité publique sans coordination préalable, elles sont désormais menées conjointement.
* 43 Contribution écrite transmise aux rapporteurs.
* 44 Assemblée nationale, rapport d'information n° 821 (2022-2023) du 8 février 2023 M. Ugo Bernalicis et Mme Marie Guévenoux sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale . Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/reforme_police_judiciaire_creation_ddpn .
* 45 Rapport des trois inspections précité, p. 45.
* 46 Audition de François Molins, procureur général près la Cour de Cassation (9 novembre 2022).
* 47 Le DGPN a également présenté la réforme à trois reprises devant les bureaux des conférences nationales des procureurs généraux et procureurs de la République (4 mai 2021), l'ensemble des procureurs généraux et de la République (29 novembre 2021) et encore une fois devant l'ensemble des procureurs généraux (11 octobre 2022).
* 48 Composé de deux procureurs généraux, deux procureurs de la République et un juge d'instruction.
* 49 AEF info, « Réforme de la police : la création des directions nationales est prévue en début d'année 2023 », 8 novembre 2022 .
* 50 Directement impliqué dans une affaire de fraude présumée au concours, celui-ci a par la suite été révoqué de la police nationale au mois de novembre 2022.
* 51 Rapport des trois inspections précité, p. 20 (à propos des expérimentations de la seconde vague).
* 52 Le ministère de l'intérieur indique par ailleurs que près de la moitié d'entre elles étaient issues du monde de la justice.
* 53 Auditionné par la commission des lois le 9 novembre 2022, celui-ci avait néanmoins pris acte des garanties apportées postérieurement par le Gouvernement, tout en maintenant ses réserves sur certains aspects de la réforme (compte-rendu disponible à cette adresse : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221107/lois.html ).
* 54 Disponible à cette adresse : http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/publications/avis-et-communiques/communication-du-26-octobre-2022 .
* 55 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité .
* 56 Sénat, Rapport d'information n° 302 (2022-2023) de M. Philippe Dominati sur la Direction centrale de la police judiciaire , fait au nom de la commission des finances et publié le 1 er février 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-302-notice.html .
* 57 Assemblée nationale, rapport d'information n°821 (2022-2023) du 8 février 2023 M. Ugo Bernalicis et Mme Marie Guévenoux sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale . Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/reforme_police_judiciaire_creation_ddpn .
* 58 Amendement n° COM-1 de Nadine Bellurot et Jérôme Durain.
* 59 Le fait que dans le cadre d'une expérimentation à droit constant les adjoints au DDPN en charge de la filière judiciaire aient généralement continué d'occuper leurs fonctions classiques, souvent en tant que chef d'un service de police judiciaire, en plus de leurs nouvelles fonctions au sein de la préfiguration de la DDPN, n'a pas contribué à la visibilité de la réforme.
* 60 Décret n° 2020-1736 du 29 décembre 2020 portant création des directions zonales de la sécurité publique.
* 61 Projet annuel de performance Police, annexé au projet de loi de finances pour 2020.
* 62 Rapport des trois inspections précité, p. 28.
* 63 Rapport des trois inspections précité, p. 60.
* 64 Rapport des trois inspections précité, p. 62.
* 65 Ibid .
* 66 Audition du ministre de l'intérieur du 14 février 2023 où il indique à la commission des lois que le déploiement des DDPN se fera « entre la fin de l'été et la fin de la coupe du monde de rugby pour ne pas désorganiser la police nationale dans ce grand évènement » (vidéo disponible à cette adresse : https://videos.senat.fr/video.3262573_63ebadecb6b05.police-judiciaire--audition-de-gerald-darmanin?timecode=1480000 ).
* 67 Audition du 25 octobre 2022 du ministre de l'intérieur devant la commission des lois, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
* 68 Rapport des trois inspections précité, p. 61.
* 69 Recommandation n° 14 : Coordonner étroitement les équipes en charge des chantiers de réorganisation territoriale et d'évolution des fonctions support ; Recommandation n° 15 : Formaliser au plus tôt un plan consolidé d'adaptation numérique avec une évaluation de la charge induite et des risques résiduels, préalablement au déploiement de la nouvelle organisation.
* 70 Recommandation n° 17 : Veiller à la bonne information et à l'association de l'autorité judiciaire lors du déploiement de la réforme, aux plans national et local.
* 71 Voir le 3 du C du I de la première partie.
* 72 Courrier du 30 août 2022 du directeur général de la police nationale aux personnels de la direction centrale de la police judiciaire.
* 73 Inspection générale de l'administration, inspection générale de la justice, inspection générale de la police nationale, Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale , janvier 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/rapport-igaigpnigj-reforme-de-police-nationale.