III. DES RÉSULTATS ÉCLAIRANTS POUR RÉFLÉCHIR À DE NOUVEAUX CRITÈRES APPLIQUÉS À LA MAILLE COMMUNALE ET UN OBJECTIF CIBLE DE COMMUNES RÉPARTIES SELON TROIS NIVEAUX DE ZONAGE

A. UNE ÉVALUATION PLUS PRÉCISE DES FRAGILITÉS DES COMMUNES RURALES, AVEC DES CRITÈRES STATISTIQUES ET DES SEUILS ADAPTÉS AUX CRITÈRES SOCIO-ÉCONOMIQUES IDENTIFIÉS EN 2019 PAR LE SÉNAT

1. Les huit indicateurs statistiques retenus par la commission pour appréhender les fragilités

À la lumière de l'étude prospective menée, des choix méthodologiques ont été effectués par la commission, afin de faire correspondre aux critères socio-économiques et démographiques identifiés en 2019 des indicateurs statistiques robustes.

Pour la commission, huit critères pourraient être opportunément retenus pour définir le zonage, qui recouvre deux dimensions : le niveau de vie et le cadre de vie. Les données relatives aux critères présentés sont disponibles et mises à jour régulièrement à l'échelle des communes. L'étude en a examiné la fiabilité et la robustesse.

Le premier critère, la densité démographique (critère principal), désigne le rapport entre l'effectif de la population d'une zone géographique et la superficie de cette zone. Le résultat s'exprime généralement en nombre d'habitants par kilomètre carré.

Cette définition traditionnelle de la densité est utilisée dans les critères actuels : pour être classée, une commune doit avoir une densité inférieure à la médiane des communes de France8(*). Bien que communément utilisée, cette méthode, qui a l'avantage de la simplicité, manque de précision, dans la mesure où elle peut cacher des poches locales de densité.

Par exemple, une commune fortement peuplé et urbanisée mais qui comprend sur son territoire un large espace naturel, comme une forêt, a une faible densité démographique sans pour autant être une commune rurale. En raison de ces limites, la commission n'a pas retenu cette méthode traditionnelle de mesure de la densité.

La commission souligne l'intérêt de retenir la nouvelle grille communale de densité, élaborée par l'Insee en 2021 en lien avec les associations d'élus locaux et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), selon une méthode développée par Eurostat.

Au lieu de considérer l'ensemble du territoire de la collectivité, la grille communale divise la commune en plusieurs « carreaux » : plus la population est concentrée au sein d'un petit nombre de « carreaux », plus la commune est considéré comme dense.

Cette approche, plus complexe, permet ainsi une appréciation plus fine de la densité. Ainsi, dans le cas de l'exemple précédent, une commune avec un pôle urbain dense a une population concentrée au sein d'une surface limitée, le pôle urbain. Elle apparaîtra donc dans ce dispositif comme une commune urbaine et non pas comme une commune rurale.

En utilisant cette méthode des « carreaux », l'Insee classe ensuite les communes en sept niveaux de densité, du plus dense au moins dense, détaillés dans le tableau ci-dessous.

Liste des niveaux de densité de la grille communale de l'Insee

Source : Insee, 2023, « Composition communale de la grille de densité détaillée dans la géographie communale en vigueur au 1er janvier 2023 »

Au sein des sept niveaux de communes désormais distingués, les trois derniers niveaux de cette grille, qui correspondent à la définition de « commune rurale » de l'Insee, semblent les plus pertinents à retenir :

Au total, le critère démographique permet ainsi de présélectionner 31 600 communes, soit 88,1 % des communes de France. À titre de comparaison, dans le système actuel, le critère de densité démographique ne permet de présélectionner que 50 % des communes.

Les données nécessaires à l'élaboration de cette grille sont proposées par l'Insee. Elles sont donc disponibles sur une base régulière. Ainsi, depuis l'adoption de cette nouvelle méthode en 2021, l'Insee publie chaque année le 1er janvier la répartition de l'ensemble des communes par niveau de densité.

Il convient cependant de noter qu'il existe un décalage temporel pour cette base : pour l'année N, les données sont publiées au mois de juin de l'année N+3. Par exemple, pour classer une commune en ZRR au 1er janvier 2024, il serait nécessaire de se baser sur les données démographiques de l'année 2020.

Le taux de variation de la population pris en compte pour le classement pourrait être établi sur une période de dix ans (2009-2019).

Une commune remplirait ce critère si le taux de variation est inférieur à un seuil donné durant la période de référence. Les données de ce critère sont mises à jour annuellement par l'Insee et disponibles à l'échelle de la commune.

L'appréciation du niveau de vie des territoires semble pouvoir être le plus finement appréhendée :

o par le revenu médian par habitant dans le cas où la maille d'application des critères demeurerait celle des EPCI à fiscalité propre. Le revenu médian par unité de consommation (UC) est privilégié : le revenu du ménage est rapporté au nombre d'unités de consommation qui le composent (1 unité pour le premier adulte, 0,5 pour les autres personnes de 14 ans et plus, 0,3 pour les enfants de moins de 14 ans). Cette méthode permet de tenir compte des économies d'échelle réalisées au sein d'un ménage. L'indicateur est disponible dans la base FiLoSoFi de l'Insee, qui publie chaque année le revenu disponible au niveau de l'EPCI sans décalage temporel. Le principal inconvénient de ce critère est qu'il n'est pas disponible à l'échelle des communes : en raison du secret statistique, qui exclut par principe de diffuser des données qui permettrait l'identification des personnes concernées, le revenu médian par habitant n'est pas disponible pour les communes de moins de 50 ménages ou de moins de 100 personnes, soit plus de 3 600 communes, en grande majorité rurales ;

o par le revenu médian par habitant dans le cas où la maille d'application des critères demeurerait celle des EPCI à fiscalité propre. Le revenu médian par unité de consommation (UC) est privilégié : le revenu du ménage est rapporté au nombre d'unités de consommation qui le composent (1 unité pour le premier adulte, 0,5 pour les autres personnes de 14 ans et plus, 0,3 pour les enfants de moins de 14 ans). Cette méthode permet de tenir compte des économies d'échelle réalisées au sein d'un ménage. L'indicateur est disponible dans la base FiLoSoFi de l'Insee, qui publie chaque année le revenu disponible au niveau de l'EPCI sans décalage temporel. Le principal inconvénient de ce critère est qu'il n'est pas disponible à l'échelle des communes : en raison du secret statistique, qui exclut par principe de diffuser des données qui permettrait l'identification des personnes concernées, le revenu médian par habitant n'est pas disponible pour les communes de moins de 50 ménages ou de moins de 100 personnes, soit plus de 3 600 communes, en grande majorité rurales ;

o par le taux de chômage. Pour un classement établi à la maille communale, puisque l'impératif de protection du secret fiscal ne permet pas de disposer du revenu médian par habitant pour plus de 3 600 communes, il convient de privilégier un autre indicateur. Pour la commission, le critère du taux de chômage, mesuré au niveau communal par l'Insee selon la définition du Bureau International du Travail (BIT)9(*), est l'indicateur qui permet de refléter le mieux le dynamisme interne. Cet indicateur apparaît être une mesure relativement fiable de la santé économique, même si un faible taux de chômage n'est pas nécessairement le signe d'une bonne santé économique : il peut être la conséquence d'un fort taux d'inactifs. C'est par exemple le cas de la commune de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), pour laquelle le faible taux de chômage (8,7 % en 2019 contre une médiane nationale de 10,8 %) s'accompagne d'un fort taux d'inactifs (25,5 % en 2019 contre une médiane nationale de 23,7 %). Les données relatives à cet indicateur sont actualisées régulièrement, une fois par an, par l'Insee, et disponibles pour toutes les communes quelque soient leur taille.

Pour définir le critère de dévitalisation fondé sur l'évolution du nombre d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs et de professionnels de santé sur le territoire, la commission souligne l'intérêt de retenir 3 éléments :

o l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée (APL) établi par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du Ministère des Solidarités et de la Santé. Publié annuellement, il mesure à la fois la proximité et la disponibilité des professionnels de santé. Disponible pour l'ensemble des communes et actualisé annuellement10(*), cet indicateur permet une mesure fine de l'accès territorial aux professionnels de santé (médecins généralistes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et sages-femmes) et identifie les déserts médicaux. Calculé au niveau de la commune, il prend en compte à la fois l'offre et la demande de professionnels de santé. L'accessibilité est nulle lorsqu'aucun professionnel n'est accessible dans un rayon de 20 ou, selon les professions, 30 minutes en voiture ;

o la décomposition de la population active par catégorie socio-professionnelle (CSP). Dans le recensement de la population, l'Insee distingue huit catégories socio-professionnelles, détaillées dans le tableau ci-dessous. Cette répartition est effectuée annuellement à l'échelle communale et à celle de l'EPCI.

Liste de catégories socio-professionnelles retenues par l'Insee
dans le recensement de la population

Source : Insee, 2023

Pour apprécier la dévitalisation d'un territoire, les deux premières catégories (agriculteurs exploitants, d'une part, et les artisans, commerçants et chefs d'entreprise, d'autre part) sont retenues. La part des emplois agricoles, retenue avant la réforme de 2015 n'apparaît pas pertinente, puisque l'emploi agricole a plutôt tendance à contribuer au dynamisme d'un territoire. C'est donc l'évolution de ces deux populations sur le territoire de la commune, liée à une baisse ou à un surcroît d'activité, qui a été choisie comme critère d'évaluation de la dévitalisation d'un territoire ;

o le nombre d'équipements par habitant, selon les données collectées par l'Insee dans sa base dédiée. Cet indicateur permet également d'appréhender le déficit de services publics ou privés. Établi à partir de la base permanente des équipements de l'Insee, auparavant nommée Inventaire communal, cet indicateur présente l'inconvénient de ne pas pouvoir faire l'objet de comparaisons dans le temps, en raison de fréquents changements de nomenclature. La base, mise à jour annuellement par l'Insee, répertorie un large éventail d'équipement et de services accessibles au public répartis dans sept grands domaines : services aux particuliers, commerces, enseignement, santé-social, transports-déplacements, sports-loisirs-culture et tourisme. Les données sont issues de plusieurs sources administratives nationales et locales, consolidées et contrôlées par l'institut.

Le rapporteur suggère de retenir un élément supplémentaire, pour appréhender la situation spécifique des communes de montagne : le classement en zone agricole défavorisée. Ce zonage, utilisé dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), intègre les communes de zone de montagne et les communes de zone défavorisée « simple » (ZDS), soumises à contraintes naturelles ou spécifiques impactant l'activité agricole. Fondé sur des critères topographiques et géographiques définis pour partie à l'échelle européenne et pour partie à l'échelle nationale, cet élément permet ainsi de prendre en compte dans le classement en ZRR les contraintes naturelles spécifiques à certains territoires isolés géographiquement.

L'âge moyen de la population serait pris en compte sur la base de l'âge déclaré auprès de l'Insee, qui est disponible dans les données du recensement de la population. Il permet de saisir le degré de renouvellement des générations et l'attractivité des territoires ruraux pour les populations jeunes. Cette donnée a l'avantage d'être facilement régulièrement actualisée par l'Insee (mise à jour annuelle), d'être facilement exploitable (elle ne nécessite pas de traitement) et d'être disponible à l'échelle de la commune, quelle que soit sa taille, et de l'EPCI.

Enfin, en l'absence de données exhaustives disponibles à l'échelle nationale, force est de constater que le critère relatif au nombre de bâtiments d'exploitation vacants doit être écarté. Le taux de vacance des logements peut en revanche être retenu. L'Insee ventile chaque année le parc de logements en quatre catégories, détaillées dans le tableau ci-dessous, à l'échelle communale comme à l'échelle intercommunale. Le taux de logements vacants correspond à la part de la part de logements vacants (dernière catégorie) dans l'ensemble des logements de la commune. Les données nécessaires à ce calcul sont actualisées annuellement.

Ventilation par l'Insee des logements selon leur usage

Source : Insee, 2023

Ces critères secondaires permettent ainsi d'appréhender pleinement les deux dimensions de la ruralité évoquées plus haut :

· la dimension niveau de vie est évaluée par le taux de chômage (niveau communal) ou le revenu par unité de consommation (niveau intercommunal) et la répartition de la population par CSP ;

· tandis que la dimension cadre de vie est évaluée par le nombre d'équipements par habitants, l'âge de la population, le taux de vacance des logements et l'accessibilité potentielle localisée.

Synthèse des huit critères susceptibles d'être retenus
en fonction de la maille retenue

Source : Étude prospective à la demande de la commission et proposition du rapporteur

2. La médiane, un seuil pertinent pour l'application des critères

La commission estime que la médiane de toutes les communes de France pourrait être un seuil intuitif et facilement interprétable. Ce seuil a été privilégié par rapport à la moyenne, en raison d'une moindre sensibilité aux valeurs extrêmes.

Une commune ou un EPCI remplit un critère si la valeur qu'elle présente pour ce critère est inférieure (pour le revenu par unité de consommation, pour l'accessibilité potentielle localisée et pour la répartition de la population par CSP) ou supérieure (pour le taux de chômage, l'âge de la population et le taux de vacance des logements) à la valeur médiane constatée pour tous les EPCI ou toutes les communes de France.

La médiane pourrait être retenue pour l'ensemble des critères précités, à trois exceptions près :

· pour la densité démographique, le choix de privilégier la grille communale de densité conduit à fixer un seuil en termes de niveau plutôt qu'en termes de médiane. Pour remplir ce critère, une commune devra être classée en niveau 5, 6 ou 7, ce qui inclut 31 600 communes soit 86 % des communes de France ;

· pour l'évolution de la population, le seuil de décroissance, symptôme d'une dévitalisation avancée, a été retenu. Pour remplir ce critère, une commune doit avoir une évolution de la population inférieure à 0 % d'une année sur l'autre, c'est-à-dire être en situation de déclin démographique.

· pour la zone agricole défavorisée, élément supplémentaire proposé par le rapporteur pour apprécier le critère de dévitalisation, une commune devra être classée dans la zone pour remplir ce critère. Ce zonage inclut 14 120 communes, soit 39 % des communes de France.

Synthèse des seuils proposés par critère par la commission

Source : Étude prospective à la demande de la commission et proposition du rapporteur


* 8 Soit, depuis le 1er juillet 2017, 63 habitants par kilomètre carré.

* 9 Le chômage au sens du BIT comptabilise les personnes en âge de travailler qui n'ont pas travaillé au cours de la semaine de référence, sont disponibles pour travailler dans les deux semaines, ont entrepris des démarches actives de recherche d'emploi dans le mois précédent, ou ont trouvé un emploi qui commence dans les trois mois.

* 10 https://drees.shinyapps.io/carto-apl/

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