B. LA NÉCESSITÉ DE PROLONGER LES AVANCÉES DE LA LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE, EN RENFORÇANT L'ÉCHANGE DE DONNÉES ENTRE ADMINISTRATIONS ET EN SÉCURISANT CERTAINS MOYENS DE SANCTION

1. Favoriser l'échange automatique d'informations entre la douane et la DGFiP, sous réserve de garanties robustes en matière de protection des données personnelles
a) Automatiser les échanges dans le cadre de la procédure d'auto-liquidation de la TVA

La coopération en matière de lutte contre la fraude à la TVA est essentielle, en particulier dans le contexte des réformes récentes, qui ont acté la généralisation de l'auto-liquidation de la TVA à l'importation (TVA-I) ainsi qu'un transfert de compétence de la DGDDI vers la DGFiP concernant le recouvrement de cette taxe.

Le transfert à la DGFiP de la gestion, du recouvrement et du contrôle de la plupart des taxes et produits relevant jusqu'alors de la DGDDI fait en effet partie des objectifs prioritaires de la modernisation du ministère de l'économie, des finances et de la relance 66 ( * ) . Ainsi, l'article 181 de la loi de finances initiale pour 2020 a notamment prévu qu'à compter du 1 er janvier 2022, le recouvrement de la TVA due à l'importation soit quasi-intégralement transféré à la DGFiP.

La généralisation de la procédure d'auto-liquidation de la TVA- I : une extension
de la compétence de la DGFiP en matière de recouvrement

L'article 181 de la loi de finances initiale pour 2020 a prévu qu'à compter du 1 er janvier 2022, la procédure d'« auto-liquidation », c'est-à-dire de paiement-déduction simultanés de la TVA auprès de la DGFiP, serait généralisée à l'ensemble des assujettis redevables de la TVA à l'importation ou en sortie de régimes suspensifs. Cette procédure d'auto-liquidation à l'importation était en effet, jusqu'à l'entrée en vigueur de cette mesure, optionnelle.

Cette généralisation de l'auto-liquidation de la TVA à l'importation s'accompagne donc d'un transfert de la compétence relative au recouvrement de la TVA aux frontières, jusqu'alors dévolue à la DGDDI, vers la DGFiP. Toutefois, la DGDDI demeure compétente pour le recouvrement de la TVA due par les non assujettis.

Source : rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019

Ce transfert de compétence justifie aujourd'hui une coopération accrue entre la DGFiP et la DGGDI. En effet, la Douane demeure impliquée dans le contrôle des flux de marchandises et donc compétente pour constater la base imposable des biens importés 67 ( * ) . Ainsi, dès lors qu'une marchandise entre sur le territoire, un chaînage s'opère entre la DGFiP et les douaniers, puisque ces-derniers sont amenées à constater des irrégularités dans les déclarations et à les transmettre à la DGFiP. À partir de ces informations, la DGFiP met ensuite en oeuvre la procédure de paiement-déduction simultanés.

La DGFiP et la DGDDI ont entamé depuis plusieurs années des démarches de coopération, notamment en ce qui concerne l'échange de données. Elles ont ainsi signé un protocole de coopération le 3 mars 2011 , dont un des volets consistait à engager un chantier de mutualisation des bases de données . Ainsi, des échanges d'informations, encadrés juridiquement par le protocole ont été mis en place pour le bon fonctionnement du dispositif de l'auto-liquidation de la TVA-I.

Dans le cadre de cette procédure, un renforcement des échanges d'informations a été engagé, avec comme objectif, pour 2023, de fluidifier les échanges relatifs aux contrôles de la DGDDI portant sur la constatation de base TVA-I, afin que la DGFiP puisse exploiter au mieux ces données pour la programmation de ses contrôles fiscaux. Concrètement, un fichier trimestriel est actuellement transmis par la DGDDI à la DGFiP.

Afin de renforcer la célérité et l'efficacité de la procédure d'auto-liquidation de la TVA, il serait souhaitable d'automatiser ces échanges de données pour l'ensemble des contrôles réalisés dans ce cadre. À cette fin un processus de révision du protocole de coopération entre la DGFiP et la Douane a d'ores et déjà été engagé.

Recommandation n° 7 ( DGFiP, DGDDI ) : Tirer les conséquences du transfert de compétence à la DGFiP du recouvrement de la TVA à l'importation, en favorisant l'automatisation des échanges de données entre la Douane et la DGFiP dans le cadre du processus de révision de leur protocole de coopération.

b) Automatiser les échanges dans le cadre de la procédure de détaxe TVA, sous réserve d'un encadrement stricte en matière de protection des données personnelles

La coopération entre la DGFiP et la Douane pourrait par ailleurs être approfondie en matière d'échanges d'informations relatives au contrôle de la procédure de détaxe à la TVA. Celle-ci permet à un voyageur de bénéficier d'un remboursement de la TVA sur des achats effectués en France, uniquement lorsque celui-ci n'est pas domicilié dans un État membre de l'Union européenne.

La procédure de détaxe de TVA

La procédure de détaxe permet, aux termes de l'article 262 du code général des impôts, à un « voyageur qui n'a pas son domicile ou sa résidence habituelle en France ou dans un autre État membre de l'Union européenne » de bénéficier d'une restitution de la TVA acquittée sur les marchandises achetées en France.

Le visa du bureau de douane du point de sortie de l'UE accorde au vendeur le bénéfice définitif de l'exonération de la TVA. Il appartient aux commerçants de procéder au remboursement de la détaxe au vu du visa douanier.

Le contrôle de la régularité de cette procédure est effectué par les agents de la DGDDI présents dans les aéroports et les autres points de sortie du territoire.

Les agents de la DGDDI sont chargés, dans le cadre de leur contrôle aux frontières, de vérifier les conditions exigées pour que les voyageurs puissent bénéficier de cette détaxe . Or la présentation par les voyageurs d'un passeport étranger n'implique pas nécessairement que ceux-ci ne résident pas en France ou dans l'Union européenne. Il en résulte donc un risque important de fraude, qui avait été identifié par la commission des finances lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude en 2018 68 ( * ) .

Le Sénat avait adopté, dans ce cadre, un amendement insérant un article L83 A bis dans le Livre des procédures fiscales (LPF), qui devait permettre aux agents des douanes d'accéder de manière automatique au système d'informations de la DGFiP afin de vérifier si les conditions permettant aux voyageurs de bénéficier de cette détaxe étaient effectivement respectées. Cette disposition n'a finalement pas été retenue par le texte final. Les opposants à cette mesure avaient notamment invoqué l'argument selon lequel la transmission de ce type d'informations était déjà possible dans le cadre du droit de communication de toutes informations utiles entre la DGFiP et la Douane.

Il ressort toutefois des échanges du rapporteur avec les services du ministère des finances qu'une automatisation de l'accès à ces informations permettrait effectivement de fluidifier les échanges entre la DGFiP et la DGDDI dans le cadre de ce contrôle. La mise à disposition et l'élargissement des accès des agents des douanes aux bases de données de la DGFiP relative aux particuliers permettrait en effet d'améliorer la pertinence du ciblage de leurs contrôles, en concentrant leurs moyens sur les cas les plus suspects, du fait de leur résidence fiscale en France.

Toutefois, la mise en oeuvre d'une telle mesure devrait faire l'objet d'un encadrement du dispositif en matière d'utilisation des données personnelles, conformément aux recommandations formulées par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), laquelle a été interrogée sur ce sujet en audition.

Il conviendra en effet pour le législateur de s'assurer que les agents des douanes ne puissent utiliser cet accès que dans un but précis, légitime et clairement défini par la loi. Les informations auxquelles les agents des douanes pourraient avoir accès devront ainsi être strictement nécessaires au regard de la finalité du traitement considéré. En outre, les modalités de désignation et d'habilitation des agents des douanes devront être définies. Ces habilitations devraient notamment être attachées aux fonctions exercées par les agents. Enfin, une traçabilité des consultations effectuées par les agents devra être également prévue 69 ( * ) .

Il convient néanmoins de souligner que l'accès à cette information ne serait pas exhaustive car elle permettrait d'exclure du bénéfice de la détaxe uniquement les personnes disposant d'une résidence en France , alors que le bénéfice de cette détaxe est interdit pour l'ensemble des résidents de l'Union européenne. Il n'en demeure pas moins que cette mesure permettrait, du point de vue de la Douane, de faciliter le travail de contrôle.

Recommandation n° 8 ( Parlement ) : permettre aux agents de la Douane d'accéder automatiquement aux informations relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs lors de la procédure de détaxe sur la TVA, sous réserve d'un encadrement strict en matière de protection des données personnelles.

2. Conforter la procédure de suspension de numéro de TVA par l'administration fiscale

L'administration fiscale dispose de la faculté de suspendre le numéro de TVA intracommunautaire d'entreprises défaillantes ou sans activité . La direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), qui est chargée de lutter contre les cas de fraude les plus complexes, et notamment de fraude à la TVA, peut en effet être amenée, dans le cadre de ses contrôles, à demander une telle suspension aux services des impôts des entreprises (SIE), notamment lorsqu'elle constate un comportement frauduleux.

Le dispositif actuel se fonde sur l'article L.10 BA du livre des procédures fiscales, lequel définit la faculté offerte à l'administration de demander des informations complémentaires au contribuable, pour statuer sur l'attribution ou le maintien du numéro d'identification prévu à l'article 286 ter du CGI.

La procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire

Le règlement (UE) n° 904/2010 du 7 octobre 2010 70 ( * ) prévoit que les États membres peuvent invalider un numéro de TVA intracommunautaire lorsqu'une des conditions suivantes et remplie :

- les personnes identifiées aux fins de la TVA ont déclaré avoir cessé toute activité économique ou lorsque l'administration fiscale compétente considère qu'elles ont cessé cette activité ;

- les personnes ont communiqué de fausses données afin d'obtenir une identification à la TVA ou n'ont pas signalé les modifications de leurs données et que, si l'administration fiscale en avait eu connaissance, cette dernière aurait refusé l'identification à la TVA ou aurait radié le numéro d'identification à la TVA.

Ces conditions ne sont toutefois pas limitatives, ce qui offre la possibilité pour les États membres de prévoir d'autres cas pouvant justifier la suspension du numéro de TVA.

Cette faculté a été traduite au niveau national par l'article L.10 BA du Livre des procédures fiscales (LFP). L'administration fiscale a ainsi la possibilité de solliciter auprès de l'entreprise concernée, des informations complémentaires pour statuer sur l'attribution ou le maintien de cet identifiant ainsi que tout élément permettant de justifier de la réalisation ou de l'intention de réaliser des activités économiques justifiant l'attribution d'un tel numéro. Le numéro de TVA peut être invalidé dans les cas suivants :

- lorsqu'aucune réponse n'a été reçue dans le délai de 30 jours aux demandes d'informations de l'administration fiscale ;

- lorsque les conditions prévues à l'article 286 ter du code général des impôts, qui indiquent les conditions requises pour obtenir un numéro de TVA intracommunautaire, ne sont pas remplies ;

- lorsque de fausses données ont été communiquées afin d'obtenir une identification à la taxe sur la valeur ajoutée ;

- lorsque des modifications de données n'ont pas été communiquées.

La DNEF a ainsi été amenée à utiliser cette procédure à de nombreuses reprises, notamment dans le cadre de ses contrôles visant à sanctionner des entreprises fictives engagées dans des schémas de fraude de type « carrousel » . Elle a ainsi été utilisée à 665 reprises en 2021, et déjà à 426 reprises au titre de l'année 2022, au 31 août.

La DNEF fait par ailleurs état d'un très faible niveau de contestation de ces mesures par les entreprises concernées par cette suspension, ce qui tend à témoigner de la qualité du ciblage de ces sanctions . Ces entreprises ont en effet la faculté de solliciter la réactivation de leur numéro individuel, mais ces contestations ne concerneraient, à l'heure actuelle, que quelques unités par an.

Nombre d'invalidations opérées par la DNEF

2019

2020

2021

2022

528

680

665

426

(*) au 31/08/2022.

Sources : réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

L'invalidation du numéro individuel a pour conséquence immédiate de mettre fin aux transactions douteuses. Cette action constitue donc un véritable levier de lutte contre la fraude, puisqu'en l'absence de ce numéro, les entreprises ne peuvent plus émettre de factures relatives à des opérations intracommunautaires.

Toutefois, l'interprétation qui a été retenue par le juge administratif en ce qui concerne le champ d'application de cette procédure a conduit à minorer la portée de cet instrument. La Cour administrative d'appel de Versailles a notamment considéré, dans un arrêt du 23 novembre 2021 71 ( * ) , que si l'utilisation de cette procédure pouvait viser à empêcher l'usage abusif des numéros d'identification, en particulier par les entreprises dont l'activité serait fictive, elle ne pouvait en revanche aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'exacte perception de la taxe et éviter la fraude. Elle a ainsi considéré que l'administration fiscale ne pouvait avoir recours à cette procédure pour sanctionner une entreprise qui, sur la base de fausses déclarations, auraient par exemple procédé à une application abusive de la TVA sur marge bénéficiaire 72 ( * ) .

L'arrêt de la cour administrative d'appel
de Versailles du 23 novembre 2021

Dans le cadre de cette affaire, l'administration fiscale a suspendu le numéro de TVA d'une entreprise de revente de véhicules d'occasion. Elle s'est fondée sur le fait que l'entreprise en question aurait fourni de fausses informations, en faisant des déclarations annuelles au lieu des déclaration mensuelles auxquelles elle était tenue, et aurait par ailleurs eu recours à une application abusive de la TVA sur la marge bénéficiaire au moyen de certificats d'acquisition de véhicules.

Pour justifier le recours à la procédure de suspension du numéro de TVA qui, dans ce cas précis, n'était pas prévu explicitement par les textes, l'administration s'était notamment appuyée sur le fait que le règlement européen du 7 octobre 2010, qui définit des motifs permettant de motiver la suspension du numéro de TVA, n'en a pas fixé une liste limitative.

Si la Cour administrative d'appel de Versailles a reconnu que les motifs prévus par le droit européen n'étaient en effet pas exhaustif, elle a toutefois estimé, après avoir considéré que l'entreprise n'avait pas fourni de fausses informations pour obtenir son immatriculation, que le numéro de TVA intracommunautaire ne pouvait être suspendu, ni invalidé, sur le seul fondement d'utilisation abusive du régime de la TVA sur la marge bénéficiaire, bien que celle-ci soit effectivement constitutive d'une fraude. Cette situation aurait pu, selon la Cour, justifier la mise en oeuvre d'une procédure de contrôle en vue de la notification de rappels d'imposition, mais en aucun cas la suspension du numéro de TVA intracommunautaire.

Dans le cadre des travaux de la mission d'information et de ses échanges avec l'administration fiscale, il est donc apparu qu'une intervention du législateur pourrait être utile afin de sécuriser cette procédure et définir plus largement les cas où l'administration pourrait sanctionner les comportements frauduleux par la suspension du numéro de TVA. Tel est l'objet de la recommandation proposée.

Il convient de préciser que, parallèlement à ces travaux, un amendement ayant le même objectif a été déposé à l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Il étend ainsi le champ d'application de la procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire par une modification de l'article L.10 BA du LPF. à de nouveaux cas, sur la base d'un faisceau d'indices. Ainsi en serait-il de toute entreprise impliquée dans un schéma de fraude, dès lors qu'elle « savait » ou « ne pouvait pas ignorer » y être impliquée. Il pourrait également être procédé, sans délai, à une telle invalidation, dans les hypothèses de fraude faisant l'objet d'un signalement au sein du réseau d'alerte Eurofisc, ou en provenance de toute autorité ou service de renseignement chargé de la lutte contre la fraude fiscale.

Cet amendement a été conservé dans le texte transmis au Sénat à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale au titre de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution sur le projet de loi de finances pour 2023. Il fera donc l'objet d'une attention particulière de la part du rapporteur dans le cadre de la suite des discussions sur ce texte.

Recommandation n° 9 ( Parlement ) : conforter la procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire, en étendant son champ d'application à de nouveaux schémas de fraude à la TVA.


* 66 Rapport général n° 163 (2021-2022) de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021.

* 67 Article 292 du code général des impôts.

* 68 Rapport n° 602 (2017-2018) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 27 juin 2018.

* 69 Réponse de la CNIL au questionnaire du rapporteur.

* 70 Règlement (UE) n° 904/2010 du Conseil du 7 octobre 2010 concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.

* 71 Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 23 novembre 2021, 19VE03276 .

* 72 La TVA sur marge bénéficiaire permet d'appliquer un taux de TVA sur la revente, notamment sur des biens d'occasions.

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