Rapport d'information n° 72 (2022-2023) de M. Jean-François HUSSON , fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 octobre 2022

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N° 72

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) par la mission d'information sur la lutte contre la fraude et l' évasion fiscales ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

M. Jean-François Husson , rapporteur de la mission d'information de la commission des finances sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, présidée par M. Claude Raynal , présente ses conclusions le 25 octobre 2022.

La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales a fait l'objet d'importants travaux de la commission des finances ces dernières années , au gré des transformations de l'économie et de la mise en lumière de nouveaux schémas de dissimulation . Le groupe de travail sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique avait ainsi été à l'origine de plusieurs propositions pour lutter contre la fraude à la TVA sur Internet, aujourd'hui en grande partie reprises au niveau législatif. Plusieurs tables rondes ont également été organisées par la commission sur les « grandes affaires » : Panama Papers , Pandora Papers ou encore Cumex Files , avec, pour cette dernière, l'adoption d'un dispositif anti-abus à l'initiative du groupe de suivi pluraliste de la commission des finances du Sénat.

La création de cette mission d'information, composée de 19 membres 1 ( * ) , intervient près de quatre ans après l'adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude . Le Sénat s'était montré force de propositions lors de son examen, en initiant la réforme du « verrou de Bercy » ou en introduisant notamment plusieurs dispositions de lutte contre la fraude à la TVA. La mission d'information a eu pour ambition d'en établir un premier bilan, au même titre que les nombreuses dispositions adoptées en lois de finances.

L'arsenal normatif mis en place par la France pour lutter contre la fraude apparaît plutôt robuste . De fait, les travaux de la mission d'information ne concluent pas à la nécessité d'une « révolution fiscale », mais à la proposition d'ajustements et d'évolutions destinés à accroître la portée et l'efficacité des dispositifs mis en oeuvre.

La lutte contre la fraude fiscale, un triple enjeu de civisme, de dissuasion et de répression

Plusieurs administrations et autorités concourent à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales : direction générale des finances publiques (DGFiP), autorité judiciaire, services d'enquête spécialisés, Douanes... Au-delà du rendement budgétaire du contrôle fiscal, qui permet à l'État de recouvrer une partie de ses recettes, la lutte contre la fraude remplit en effet un triple objectif : assurer le civisme fiscal, en appliquant à tous les mêmes règles pour participer à la contribution commune, dissuader les contribuables tentés par des comportements frauduleux et réprimer ceux qui auraient contourné notre régime fiscal pour leur propre bénéfice.

20 RECOMMANDATIONS pour étoffer l'arsenal de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales en retenant, en plus de la nécessaire évaluation quantitative de la fraude, 4 axes : renforcement de l'efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale, amélioration de la lutte contre la fraude à la TVA, sécurisation des dispositifs d'accès aux données, déploiement de nouveaux outils pour lutter contre les montages abusifs au niveau international

UN PRÉALABLE : RENFORCER L'ÉVALUATION DE LA FRAUDE FISCALE

A. LE CONSTAT : UN DÉFAUT D'ÉVALUATION DU PHÉNOMÈNE DE FRAUDE FISCALE PRÉJUDICIABLE À L'APPRÉCIATION DES RÉSULTATS DU CONTRÔLE FISCAL

Évolution des résultats du contrôle fiscal depuis 2015

(montants encaissés, en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Les résultats du contrôle fiscal connaissent une hausse tendancielle depuis 2018 , après plusieurs années de baisse inquiétante . S'ils ont été affectés par la crise sanitaire, ils ont connu un net rebond en 2021 (+38 % par rapport à 2018).

Il convient de se féliciter de la hausse des résultats du contrôle fiscal : ils illustrent l'action des services et des directions en charge de la lutte contre la fraude, dans un objectif de réparation du préjudice subi par les finances publiques mais également de dissuasion. Il demeure cependant difficile d'apprécier, par les seules données des montants notifiés, mis en recouvrement ou encaissés, l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en France .

Une question reste sans réponse : l'administration fiscale parvient-elle à récupérer 10 %, 20 % ou 50 % des montants fraudés ?

B. LES RECOMMANDATIONS : MIEUX ÉVALUER LA FRAUDE FISCALE ET LES MOYENS MOBILISÉS POUR LUTTER CONTRE CE PHÉNOMÈNE

1. Produire et publier, d'ici le projet de loi de finances initiale pour 2024, des estimations de la fraude fiscale, en détaillant la méthodologie utilisée. Ces évaluations, confiées à l'Insee et à l'administration fiscale, seront ensuite actualisées chaque année et intégrées au document de politique transversale relatif à la lutte contre l'évasion fiscale et la fraude (recommandation n° 1).

Si l'évaluation de la fraude fiscale se heurte à d' importantes difficultés techniques et méthodologiques , qui sont liées aux caractéristiques même de la fraude - un phénomène dissimulé - il n'en demeure pas moins que plusieurs pays ont réussi à les surmonter pour produire des estimations de la fraude fiscale (ex. Royaume-Uni, États-Unis, Australie). Il ne s'agit bien entendu pas de proposer une évaluation « à l'euro près » , ce qui serait irréaliste, mais des ordres de grandeur méthodologiquement plus fiables pour nourrir le débat public, alors que les estimations les plus diverses ont aujourd'hui tendance à se multiplier.

2. Créer un indicateur de performance au sein de la mission « Gestion des finances publiques » sur la part des contrôles programmés par recours au datamining ayant conduit, d'une part, à la mise en recouvrement de droits et pénalités, et, d'autre part, à des contentieux « à enjeux » (recommandation n° 2) .

En 2021, 45 % des contrôles ont été programmés par le biais du datamining (intelligence artificielle). Ces nouvelles techniques d'analyse de la donnée ont connu une forte montée en puissance depuis 2013 tandis que, dans le même temps, de plus en plus d'informations et de données sont traitées : le bureau de la programmation des contrôles et analyse des données du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF) a reçu 6,2 téraoctets de données utiles en 2021 . Si le Gouvernement estime que ces méthodes constituent la principale source de progression pour les résultats du contrôle fiscal , leurs résultats concrets ne sont, pour autant, pas connus, ce qui empêche d'apprécier leur apport réel dans la programmation des contrôles.

AXE N° 1 : RENFORCER L'EFFICACITÉ DE LA RÉPONSE JUDICIAIRE À LA FRAUDE FISCALE PAR UNE FLUIDIFICATION DES RELATIONS ENTRE L'ADMINISTRATION FISCALE ET LES AUTORITÉS JUDICIAIRES

A. LE CONSTAT : LES DISPOSITIONS ADOPTÉES DANS LE CADRE DE LA LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ONT PROFONDÉMENT MODIFIÉ LA RÉPONSE PÉNALE APPORTÉE AUX DOSSIERS DE FRAUDE FISCALE

1. la réforme du « verrou de Bercy » : depuis l'adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude, l'administration fiscale ne dispose plus du monopole de l'action publique sur les dossiers de fraude fiscale.

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Les dossiers des affaires graves et caractérisées ayant conduit à l'application, sur des droits supérieurs à 100 000 euros, des majorations prévues pour les infractions les plus graves, doivent obligatoirement être transmis au parquet (« dénonciations obligatoires »).

Pour les autres, l'administration fiscale conserve soit la faculté de déposer plainte pour présomptions de fraude fiscale (plaintes dites de « police fiscale »), soit de demander un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF).

La principale conséquence a été un afflux de dossiers pour les parquets , avec une augmentation de près de 75 % des dossiers transmis par l'administration fiscale.

Au regard de ce volume de dossiers, mais aussi du respect du principe de non bis in idem sur le cumul des sanctions fiscale et pénale, le rapporteur conclut à la nécessité de préserver à ce stade l'équilibre trouvé en 2018 dans le cadre de la réforme du « verrou de Bercy ».

Il n'est donc proposé ni de le modifier, ni de revenir sur les critères de dénonciation obligatoire.

=> En revanche, il est primordial de continuer à déployer des outils de coopération renforcée entre l'administration fiscale et les parquets : fiche d'accompagnement des dénonciations obligatoires, réunions trimestrielles et opérationnelles, suivi des dossiers transmis, recours aux assistants spécialisés.

2. l'extension à la fraude de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) : dans un contexte de saturation de la justice, le rapporteur estime que ces instruments de justice négociée ont fait leur preuve comme outils à part entière de la politique pénale en matière de lutte contre la fraude fiscale. Leur déploiement doit donc être poursuivi.

• La CJIP permet de traiter des dossiers de fraude complexe : 7 CJIP ont été homologuées depuis 2019 pour un montant total d'amendes d'intérêt public d' 1,08 milliard d'euros , porté à 2,3 milliards d'euros en y ajoutant les pénalités fiscales.

• La procédure de CRPC permet quant à elle de raccourcir les délais de traitement des dossiers de fraude (29 mois en moyenne, contre 43 mois en moyenne en procédure ordinaire en 2020). Le nombre de CRPC a quasiment été multiplié par quatre en trois ans (111 en 2021), pour un montant moyen des amendes prononcées de 68 350 euros en 2021 .

3. la création d'une nouvelle « police fiscale », le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF). Sur les 314 agents du SEJF, 40 ont la qualité d' officiers fiscaux judiciaires (OFJ). Si, la crainte initiale d'une « guerre des polices » avec la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) semble désormais écartée, les deux services étant très sollicités, la qualité des travaux d'enquête réalisés par ce nouveau service a été unanimement soulignée.

4. le rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale , en parallèle de l'action publique. Elle garantit un recouvrement rapide et effectif des impositions sans nuire au travail de la justice.

B. LES RECOMMANDATIONS : APPORTER DES AJUSTEMENTS À LA SUITE DE LA RÉFORME DU « VERROU DE BERCY » ET SOUTENIR LE SERVICE D'ENQUÊTE JUDICAIRE DES FINANCES

1. Pour faciliter le traitement des dossiers complexes de fraude fiscale, clarifier les modalités de levée du secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur de la République prévues à l'article L. 142 A du livre des procédures fiscales en prévoyant, sur autorisation du procureur de la République, que le secret puisse également être levé à l'encontre des assistants spécialisés (recommandation n° 3) .

22 assistants spécialisés sont mis à disposition des juridictions par la DGFiP . Ils jouent un rôle essentiel pour aider les procureurs à traiter des dossiers de fraude les plus complexes. S'ils ont accès aux fichiers de la DGFiP, les modalités de levée du secret fiscal sont actuellement complexes et pourraient être assouplies, toujours sous couvert de l'autorisation du procureur.

2. Pour tenir compte de la baisse de son activité à la suite de la réforme du « verrou de Bercy », réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales de 28 à 16 (recommandation n° 4) .

La réforme du « verrou de Bercy » s'est traduite par une chute de l'activité de la commission des infractions fiscales (CIF) : le nombre de saisines de la CIF est passé de 964 en 2018 à 286 en 2021 (- 71 %) et le nombre de séances d'environ 70 à 25 en 2021 .

3. Augmenter, par redéploiement, le nombre d'officiers fiscaux judiciaires, d'une quarantaine actuellement jusqu'à les doubler à horizon de cinq ans (recommandation n° 5).

Le SEJF ne dispose aujourd'hui que de 40 officiers fiscaux judiciaires : il a pourtant été saisi de 169 affaires de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale entre le 1 er juillet 2019 et le 31 mai 2022, dont 148 sont encore en cours . Sur 95 enquêtes préliminaires ouvertes par le PNF, 66 ont été confiées au SEJF. Les magistrats rencontrés dans le cadre des travaux de la mission d'information ont en effet tous souligné la grande expertise et la qualité des enquêtes des OFJ. Dans ce contexte, le service apparaît sous-dimensionné pour répondre à la demande des parquets et traiter les dossiers de fraude les plus complexes.

4. Étendre le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA (recommandation n° 6).

Au sein du SEJF, seuls les officiers douaniers judiciaires (ODJ) peuvent traiter des escroqueries à la TVA , alors même que la gestion de cette taxe a été transférée de la Douane à la DGFiP. Les parquets se tournent par ailleurs de plus en plus régulièrement vers le SEJF pour que les OFJ traitent de ces dossiers et les approfondissent. Le SEJF ne peut cependant pas les accepter puisque ces affaires n'entrent pas aujourd'hui dans le champ d'intervention des OFJ.

AXE N° 2 : POURSUIVRE ET AMPLIFIER LES EFFORTS DÉPLOYÉS POUR MIEUX LUTTER CONTRE LA FRAUDE À LA TVA

A. LE CONSTAT : DES AVANCÉES DEPUIS LA LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE, MAIS LA PERSISTANCE DE SCHÉMAS DE FRAUDE COMPLEXE

La loi relative à la lutte contre la fraude comprend plusieurs dispositions relatives à la lutte contre la fraude à la TVA sur les plateformes en ligne, dont certaines sont directement issues des travaux du Sénat. L'instauration d'un principe de responsabilité solidaire des plateformes , susceptible d'être engagée dès lors qu'un vendeur y opérant ne se plierait pas à ses obligations de paiement de la TVA, a constitué un véritable outil de dissuasion : les plateformes ont choisi de déréférencer les opérateurs dès qu'elles les suspectaient d'adopter des comportements frauduleux.

Part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal

(montants encaissés, en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Les montants recouvrés au titre du contrôle fiscal sur la TVA, 904 millions d'euros en 2021, peuvent toutefois sembler modestes au regard des estimations de la fraude à la TVA qui, selon l'Insee, serait comprise entre 20 et 25 milliards d'euros par an.

La fraude à la TVA repose en effet souvent sur des schémas de fraude complexes et difficiles à détecter, telle que la fraude dite « carrousel » , qui consiste à créer des droits fictifs au remboursement de la TVA, par l'émission de fausses factures par des sociétés éphémères. L'essor du commerce électronique sur les plateformes numériques est également source d'une importante fraude à la TVA : en 2018, près de 98 % des sociétés étrangères opérant sur les plateformes en ligne n'étaient pas immatriculées à la TVA.

B. LES RECOMMANDATIONS : AMÉLIORER LA COLLECTE DE LA TVA AU NIVEAU NATIONAL COMME EUROPÉEN

1. Tirer les conséquences du transfert de compétence à la DGFiP du recouvrement de la TVA à l'importation, en favorisant l'automatisation des échanges de données entre la Douane et la DGFiP dans le cadre du processus de révision de leur protocole de coopération (recommandation n° 7).

En dépit du transfert de la gestion de la TVA à la DGFiP, la Douane demeure impliquée dans le contrôle des flux de marchandises , et est ainsi compétente pour constater la base imposable des biens importés . Elle est ainsi amenée à transmettre des informations à la DGFiP voire à lui signaler directement des cas de fraude, ce qui suppose des échanges accrus.

2. Permettre aux agents de la Douane d'accéder automatiquement aux informations relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs lors de la procédure de détaxe sur la TVA, sous réserve d'un encadrement strict en matière de protection des données personnelles (recommandation n° 8).

Les agents de la Douane sont chargés, dans le cadre de leur contrôle aux frontières, de vérifier les conditions exigées pour que les voyageurs puissent bénéficier de la détaxe à la TVA . Cette procédure ne concerne que les résidents hors Union européenne (UE), ce qui conduit à des cas de fraude de la part de personnes disposant d'un passeport français ou européen, mais résidant dans des pays tiers. Dans le cadre de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fraude, le Sénat a déjà voté cette mesure qui n'a pas été conservée dans le texte final : les personnes entendues ayant confirmé l'utilité de cet accès , sous réserve de l'encadrer, il est proposé à nouveau.

3. Conforter la procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire en étendant son champ d'application à de nouveaux schémas de fraude à la TVA (recommandation n° 9).

L'administration fiscale dispose de la faculté de suspendre le numéro de TVA intracommunautaire d'entreprises défaillantes ou sans activité . Cette procédure a pour conséquence immédiate de mettre fin aux transactions douteuses et constitue ainsi un véritable levier de lutte contre la fraude, notamment pour les fraudes de type « carrousel » : en l'absence de ce numéro, les entreprises ne peuvent plus émettre de factures relatives à des opérations intracommunautaires. Toutefois, elle ne peut aujourd'hui être utilisée que dans des cas d'usage abusif du numéro d'identification à la TVA, notamment de la part d'entreprises fictives, alors même qu'elle pourrait s'avérer utile pour d'autres schémas de fraude.

4. Permettre aux agents des Douanes de sanctionner directement la fraude à la TVA réalisée dans le cadre du dédouanement à l'importation, par la création d'un délit douanier spécifique dans le code des douanes ( recommandation n° 10).

Sont exonérées de TVA les marchandises importées en France mais dédouanées dans un autre État membre : or, une fraude fréquente consiste à falsifier des documents visant à prouver qu'une marchandise a bien été dédouanée dans un État membre, alors même qu'elle est en réalité directement importée d'un État tiers . La Douane ne peut pas aujourd'hui sanctionner directement ce type de fraude : elle doit signaler l'opérateur à la DGFiP, au risque qu'il disparaisse ensuite et que les sommes en jeu ne puissent plus être recouvrées.

5. Évaluer la robustesse et l'efficacité du guichet unique à l'importation (guichet IOSS), dans l'optique à terme d'une possible généralisation et de permettre une collecte plus efficace de la TVA à l'importation (recommandation n° 11).

Le guichet unique européen de déclaration de la TVA à l'importation vise, d'une part, à faciliter les modalités de déclaration pour les entreprises assujetties, et d'autre part, à simplifier la collecte de l'impôt et d'informations par les administrations fiscales. Une entreprise qui recourt à ce guichet, facultatif, n'a par ailleurs pas besoin de s'immatriculer auprès des administrations fiscales de chaque État membre. Un peu plus d'un an après son instauration, les retours d'expérience sont positifs, que ce soit de la part des acteurs économiques ou des administrations fiscales et douanières . La Commission européenne étudierait ainsi la perspective de le généraliser.

6. Modifier les dispositions de l'article 60 du code des douanes relatif au droit de visite des agents de la Douane en assortissant l'exercice de cette prérogative de toutes les garanties juridiques nécessaires (recommandation n° 12).

Dans sa décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes, relatif au droit de « visite » des marchandises, des moyens de transport et des personnes par la Douane . Or, le droit de « visite » (fouille) est particulièrement utile à la Douane pour saisir les flux financiers (ex. blanchiment de fraude fiscale) ou pour opérer des contrôles inopinés. Le législateur doit intervenir avant l'abrogation des dispositions prévue au 1 er septembre 2023.

AXE N° 3 : ASSURER LA PLEINE EFFECTIVITÉ DES DISPOSITIFS D'ACCÈS AUX DONNÉES EN LES ASSORTISSANT DES GARANTIES JURIDIQUES NÉCESSAIRES

A. LE CONSTAT : L'ACCÈS AUX DONNÉES, ESSENTIEL POUR RÉPÉRER DES FAITS CONSTITUTIFS DE FRAUDE FISCALE

L'accès aux données s'avère essentiel pour accroître l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale : détection des manquements, caractérisation des faits constitutifs de fraude fiscale, recouvrement des sommes éludées. Toutefois, la mise en oeuvre de dispositifs d'accès et d'exploitation de données doit s'accompagner des garanties juridiques nécessaires afin de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière de protection de données .

B. LES RECOMMANDATIONS : SÉCURISER LES DISPOSITIFS D'ACCÈS AUX DONNÉES

1. Modifier l'article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 afin que les agents de l'administration fiscale et des douanes puissent collecter les données publiquement accessibles, et non uniquement librement accessibles, sur les plateformes en ligne et les exploiter au moyen de traitements automatisés et informatisés, à fins de recherche d'éventuelles infractions graves au code général des impôts et au code des douanes, en assortissant le dispositif de nouvelles garanties pour protéger la vie privée et les données personnelles des contribuables. Prolonger en conséquence l'expérimentation de deux ans, soit jusqu'en février 2026 (recommandation n° 13).

À titre expérimental et pour une durée de trois ans (février 2021-février 2024), les agents de la DGFiP et de la Douane peuvent collecter et exploiter les informations publiées par les utilisateurs de plateforme en ligne, pour rechercher les infractions les plus graves . Sont cependant uniquement concernés les contenus « librement accessibles », c'est-à-dire accessibles sans aucune forme de connexion, et non les données « publiquement accessibles », c'est-à-dire celles auxquelles tout le monde peut avoir accès une fois connecté sur la plateforme concernée. Cette distinction, introduite par le Conseil constitutionnel, a considérablement restreint la portée du dispositif : il est donc proposé de modifier l'expérimentation , en l'étendant aux données publiquement accessibles, et de la prolonger de deux ans , le temps que cette modification produise tous ses effets et puisse ensuite être évaluée. Cette extension irait de pair avec l'ajout de nouvelles garanties pour les contribuables (habilitation des agents, conditions relatives à la création du compte, etc.).

2. Modifier l'article 65 quinquies du code des douanes afin de prévoir que la mise en oeuvre par les agents de la douane de leur droit de communication des données de connexion fasse l'objet d'une autorisation préalable du contrôleur des demandes de données de connexion. Publier les décrets d'application dans un délai de six mois ou, à défaut, justifier leur absence de publication (recommandation n° 14).

La loi relative à la lutte contre la fraude a autorisé les agents de la Douane et de la DGFiP à accéder aux données de connexion . Or, les décrets d'application n'ont jamais été pris, du fait d'un risque de non-conformité des dispositifs législatifs au droit européen et aux exigences de la CJUE, dont les décisions étaient encore pendantes. Celles-ci ont désormais été rendues et il convient de rendre notre réglementation conforme à la jurisprudence européenne , pour que les décrets d'application puissent ensuite être présentés devant le Conseil d'État et publiés. Ainsi, si le dispositif d'autorisation préalable a bien été modifié pour les agents de la DGFiP, en prévoyant l'intervention d'un contrôleur des demandes de données de connexion , tel n'a pas encore été le cas pour les agents de la Douane.

AXE N° 4 : RENFORCER LES OUTILS DE LUTTE CONTRE LES MONTAGES FISCAUX ABUSIFS

A. LE CONSTAT : LA MULTIPLICATION DES SCHÉMAS FISCAUX ABUSIFS À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE

Ces dernières années ont été marquées par la publication dans la presse d'enquêtes mettant en lumière des systèmes à grande échelle d'opacification de flux financiers : Pandora Papers, Panama Papers, Cumex Files . Il est extrêmement difficile pour l'administration fiscale et pour la justice de traiter de ces affaires, les obstacles s'avérant nombreux : délai de prescription, absence de résidence fiscale en française, coopération internationale très lente, montages financiers complexes. Ces difficultés expliquent les faibles taux de recouvrement des droits éludés, sur des affaires portant potentiellement sur des milliards d'euros (un peu plus de 450 millions d'euros recouvrés pour les trois affaires précitées).

Droits notifiés à la suite de « grandes affaires »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur en réponse au questionnaire du rapporteur

B. LES RECOMMANDATIONS : ACCROÎTRE LES ÉCHANGES, LA TRANSPARENCE DES INFORMATIONS ET RÉVISER LES CONVENTIONS FISCALES

1. Envisager, au niveau international, une réflexion sur la création d'un dispositif de « name and shame » envers les pays ne jouant pas le jeu de la coopération en matière d'échanges d'informations, en complément des listes européennes d'ETNC (recommandation n° 15).

Alors que la coopération internationale est essentielle pour lutter contre les montages abusifs, pour identifier leurs bénéficiaires effectifs et pour recouvrer les sommes éludées, certains pays refusent encore de coopérer ou ne répondent qu'après de multiples sollicitations .

2. Veiller à l'application des sanctions pour défaut de renseignement du registre des bénéficiaires effectifs (recommandation n° 16) et publier chaque année des statistiques concernant leur application (recommandation n° 17). Élaborer un outil permettant de croiser les données relatives au registre des bénéficiaires effectifs avec d'autres données, notamment celles du cadastre. Cette démarche pourrait être menée au niveau européen pour que les informations soient les plus complètes possibles (recommandation n° 18).

Le défaut d'identification des bénéficiaires effectifs de sociétés offshores et de trusts est au coeur des dossiers de fraudes révélés dans la presse ces dernières années. La création de registres permettant de répertorier les bénéficiaires effectifs en France et dans chaque pays de l'Union européenne a à cet égard constitué une avancée notable . Toutefois, ces registres sont encore incomplets, ce qui complique leur exploitation par l'administration fiscale

3. Mener une évaluation approfondie de l'efficacité des obligations de transparence à l'égard des intermédiaires financiers introduites par la directive « DAC 6 », et sous réserve des résultats de cette évaluation, réfléchir à l'introduction d'un nouveau critère d'inscription sur la « liste noire » de l'Union européenne portant sur l'existence ou non de règles de transparence applicables aux intermédiaires financiers (recommandation n° 19).

Le rôle des intermédiaires financiers dans le cadre de l'élaboration de montages financiers abusifs a été souligné par de nombreux observateurs et les obligations à leur égard ont été renforcées depuis la transposition de la directive dite « DAC 6 ». Cette dernière leur impose en effet de déclarer à l'administration fiscale les montages potentiellement abusifs qu'ils ont concouru à mettre en oeuvre. Toutefois, d'autres pays, qui abritent notamment ces montages, ne disposent pas des mêmes règles de transparence pour leurs intermédiaires financiers.

4. Rappeler au Gouvernement la nécessité de réviser les conventions fiscales internationales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes, et ce afin de prévenir tout abus fiscal (« arbitrage de dividendes ») (recommandation n° 20).

À la suite des premières révélations d'un consortium international de journalistes concernant les Cumex Files , le Sénat avait adopté à l'unanimité un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à faire échec aux opérations d' « arbitrage de dividendes » . Le dispositif avait été adopté par l'Assemblée nationale, mais sous une forme altérée et en ne conservant pas la partie du dispositif relatif aux montages « externes », qui reposent sur les conventions fiscales prévoyant un taux de retenue à la source nul pour le versement de dividendes à des résidents étrangers. Aussi, ces montages abusifs perdurent.

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

20 recommandations pour accroître l'efficacité et la portée des dispositifs mis en oeuvre pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales

Un préalable : disposer d'évaluations plus fiables
pour mieux apprécier les résultats du contrôle fiscal

Recommandation n° 1 ( Parlement puis Insee et administration fiscale ) : produire et publier, d'ici le projet de loi de finances initiale pour 2024, des estimations de la fraude fiscale, en détaillant la méthodologie utilisée. Ces évaluations, confiées à l'Insee et à l'administration fiscale, seront ensuite actualisées chaque année et intégrées au document de politique transversale relatif à la lutte contre l'évasion fiscale et la fraude en matière d'impositions de toutes natures et de cotisations sociales.

Recommandation n° 2 ( Parlement, direction du budget, DGFiP) : créer un indicateur de performance au sein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » relatif à la part des contrôles programmés par recours au datamining ayant conduit, d'une part, à la mise en recouvrement de droits et pénalités, et, d'autre part, à des contentieux « à enjeux ».

Axe n° 1 : Renforcer l'efficacité de la réponse judiciaire
à la fraude fiscale par une fluidification des relations
entre l'administration fiscale et les autorités judiciaires

Recommandation n° 3 ( Parlement ) : pour faciliter le traitement des dossiers complexes de fraude fiscale, clarifier les modalités de levée du secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur de la République prévues à l'article L. 142 A du livre des procédures fiscales en prévoyant, sur autorisation du procureur de la République, que le secret puisse également être levé à l'encontre des assistants spécialisés agissant au titre de leur mission générale d'assistance du procureur de la République dans l'exercice de l'action publique.

Recommandation n° 4 ( Parlement ) : pour tenir compte de la baisse de son activité à la suite de la réforme du « verrou de Bercy », réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales de 28 à 16.

Recommandation n° 5 ( Parlement, DGFiP ) : pour renforcer les moyens du service d'enquête judiciaire des finances et sa capacité à traiter les dossiers pour lesquels il a été saisi par les juridictions, augmenter, par redéploiement, le nombre d'officiers fiscaux judiciaires, d'une quarantaine actuellement, jusqu'à les doubler à horizon de cinq ans.

Recommandation n° 6 ( Parlement ) : étendre le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA.

Axe n° 2 : poursuivre et amplifier les efforts déployés
pour mieux lutter contre la fraude à la TVA,
au niveau national comme européen

Recommandation n° 7 ( DGFiP, DGDDI ) : Tirer les conséquences du transfert de compétence à la DGFiP du recouvrement de la TVA à l'importation, en favorisant l'automatisation des échanges de données entre la Douane et la DGFiP dans le cadre du processus de révision de leur protocole de coopération.

Recommandation n° 8 ( Parlement ) : permettre aux agents de la Douane d'accéder automatiquement aux informations relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs lors de la procédure de détaxe sur la TVA, sous réserve d'un encadrement strict en matière de protection des données personnelles.

Recommandation n° 9 ( Parlement ) : conforter la procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire, en étendant son champ d'application à de nouveaux schémas de fraude à la TVA.

Recommandation n° 10 ( Parlement ) : permettre aux agents des Douanes de sanctionner directement la fraude à la TVA réalisée dans le cadre du dédouanement à l'importation, par la création d'un délit douanier spécifique dans le code des douanes.

Recommandation n° 11 : ( Union européenne ) : évaluer la robustesse et l'efficacité du guichet unique à l'importation (guichet IOSS), dans l'optique à terme d'une possible généralisation et de permettre une collecte plus efficace de la TVA à l'importation.

Recommandation n° 12 ( Parlement ) : afin de répondre à leur déclaration de non-conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel, modifier les dispositions de l'article 60 du code des douanes relatif au droit de visite des agents de la Douane en assortissant l'exercice de cette prérogative de toutes les garanties juridiques nécessaires.

Axe n° 3 : assortir les dispositifs d'accès
aux données des garanties juridiques nécessaires
pour assurer leur pleine effectivité

Recommandation n° 13 ( Parlement ) : modifier l'article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 afin que les agents de l'administration fiscale et des douanes puissent collecter les données publiquement accessibles, et non uniquement librement accessibles, sur les plateformes en ligne et les exploiter au moyen de traitements automatisés et informatisés, à fins de recherche d'éventuelles infractions graves au code général des impôts et au code des douanes, en assortissant le dispositif de nouvelles garanties pour protéger la vie privée et les données personnelles des contribuables. Prolonger en conséquence l'expérimentation de deux ans, soit jusqu'en février 2026.

Recommandation n° 14 ( Parlement et Gouvernement ) : modifier l'article 65 quinquies du code des douanes afin de prévoir que la mise en oeuvre par les agents de la douane de leur droit de communication des données de connexion fasse l'objet d'une autorisation préalable du contrôleur des demandes de données de connexion. Publier les décrets d'application dans un délai de six mois ou, à défaut, justifier leur absence de publication.

Axe n° 4 : renforcer les outils de lutte contre
les montages fiscaux abusifs, au lendemain
des dossiers de « leaks » et de « Papers » publiés par la presse

Recommandation n° 15 ( OCDE ) : envisager, au niveau international, une réflexion sur la création d'un dispositif de « name and shame » envers les pays ne jouant pas le jeu de la coopération en matière d'échanges d'informations, en complément des listes européennes d'ETNC.

Recommandation n° 16 ( greffiers des tribunaux de commerce ) : veiller à l'application de sanctions en cas de défaut de renseignement du registre des bénéficiaires effectifs.

Recommandation n° 17 ( Gouvernement ) : publier chaque année des statistiques concernant l'application des sanctions relatives au défaut de renseignement des bénéficiaires effectifs de sociétés.

Recommandation n° 18 ( Gouvernement et Union européenne ) : élaborer un outil permettant de croiser les données relatives au registre des bénéficiaires effectifs avec d'autres données, notamment celles du cadastre. Cette démarche pourrait être menée au niveau européen pour que les informations soient les plus complètes possibles.

Recommandation n° 19 ( Union européenne) : mener une évaluation approfondie de l'efficacité des obligations de transparence à l'égard des intermédiaires financiers introduites par la directive « DAC 6 », et sous réserve des résultats de cette évaluation, réfléchir à l'introduction d'un nouveau critère d'inscription sur la « liste noire » de l'Union européenne portant sur l'existence ou non de règles de transparence applicables aux intermédiaires financiers.

Recommandation n° 20 ( Gouvernement ) : rappeler au Gouvernement la nécessité de réviser les conventions fiscales internationales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes, et ce afin de prévenir tout abus fiscal (« arbitrage de dividendes »).

AVANT-PROPOS

Mesdames, messieurs,

La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales fait partie des sujets dont s'est saisie la commission des finances depuis de nombreuses années, que ce soit dans le cadre de l'examen des lois de finances ou à l'occasion :

- des travaux du groupe de travail sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique . Dans ses rapports de 2015 et de 2017, celui-ci avait en particulier mis en évidence la question de la fraude à la TVA sur les plateformes ainsi que la nécessité de mieux encadrer le développement de la vente en ligne. Il avait préconisé des mesures désormais reprises pour partie dans l'arsenal juridique, avec la déclaration automatique par les plateformes en ligne des revenus perçus par leurs utilisateurs et la responsabilité solidaire des plateformes pour le paiement de la TVA par les vendeurs ;

- de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fraude 2 ( * ) , laquelle avait notamment traité de la réforme du « verrou de Bercy », du renforcement de la lutte contre la fraude sur Internet en impliquant les plateformes en ligne et de l'amélioration de l'effectivité et de la sécurité juridique des sanctions et procédures fiscales mises en oeuvre ;

- de l'affaire dite des CumEx files , dévoilée par la presse en novembre 2018. Pour lutter contre ces pratiques d'arbitrage de dividendes, un amendement avait été préparé par le groupe de suivi sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de la commission des finances et présenté par la quasi-totalité des groupes du Sénat. Il a obligé la majorité gouvernementale à adopter un dispositif dans la loi de finances pour 2019, bien qu'il se soit avéré moins ambitieux ;

- des tables rondes organisées à l'automne 2021, sur le thème des « Pandora papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ? » et, de nouveau, sur le thème : « Cumex Files : trois ans après, quel bilan des outils de lutte contre les pratiques d'arbitrage de dividendes ? ».

La commission des finances a ensuite décidé, au mois de janvier 2022, de créer en son sein une mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales . Le principal objectif était de faire le point sur les dispositifs juridiques mis en oeuvre ces dernières années pour prévenir, dissuader et réprimer la fraude et l'évasion fiscales et, le cas échéant, de proposer des ajustements permettant d'assurer la pleine application et effectivité de ces dispositifs .

Les travaux de la mission, qui ont duré près de huit mois, ont démarré le 8 mars 2022 par une audition de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et se sont achevés, pour ce qui concerne les auditions, le 7 juillet 2022, par une table ronde des organisations syndicales représentatives des agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Au cours des auditions, se sont fait entendre des sensibilités et des approches différentes : service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF), magistrats, douanes, organisations non gouvernementales ou encore universitaire. Trois contributions ont été reçues, de la part du conseil national des barreaux, de l'institut des avocats conseils fiscaux et de l'Insee.

La mission a également réalisé deux déplacements au mois de juin, le premier à la DGFiP , auprès des agents du SJCF ainsi que de ceux de la direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), le deuxième au Tribunal de Paris , auprès des magistrats du siège, des juges d'instruction mais aussi du Parquet national financier (PNF). Le président et le rapporteur de la mission d'information, également président et rapporteur général de la commission des finances, se sont de plus rendus auprès du SJCF et de la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France, dans le cadre d'un déplacement consacré plus précisément au « verrou de Bercy » - les informations présentées étant couvertes par le secret fiscal.

À partir de l'examen de l'arsenal normatif étoffé dont dispose la France en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, le présent rapport ne propose pas de « révolution fiscale » : il s'attache en revanche à faire un bilan des dispositifs votés depuis quatre ans et à proposer les modifications et les évolutions qui semblent nécessaires pour accroître leur efficacité et leur portée.

PREMIÈRE PARTIE
UN IMPÉRATIF : DISPOSER D'ÉVALUATIONS FIABLES POUR MIEUX APPRÉCIER LES RÉSULTATS EN HAUSSE
DU CONTRÔLE FISCAL

I. SI LES RÉSULTATS DU CONTRÔLE FISCAL SONT EN HAUSSE DEPUIS 2018, IL EST DIFFICILE DE LES APPRÉCIER PLEINEMENT EN L'ABSENCE D'ESTIMATIONS MÉTHODOLOGIQUEMENT FIABLES DE LA FRAUDE FISCALE

A. UNE AMÉLIORATION DES RÉSULTATS DU CONTRÔLE FISCAL QU'IL CONVIENT TOUTEFOIS DE NUANCER

1. Après plusieurs années de baisse inquiétante, les résultats du contrôle fiscal connaissent une hausse tendancielle depuis 2019
a) Le dynamisme des résultats du contrôle fiscal depuis 2019

Alors que les résultats du contrôle fiscal connaissaient une baisse tendancielle depuis plusieurs années , les résultats obtenus en 2019 sont venus interrompre cette chute inquiétante pour le contrôle fiscal . Au-delà des montants encaissés par l'État et de cet aspect budgétaire, l'évolution des résultats de la lutte contre la fraude fiscale illustre également l'action et l'efficacité des services du contrôle fiscal, avec un double-objectif de dissuasion de la fraude et de répression des comportements frauduleux.

L'amélioration des résultats du contrôle fiscal coïncide avec l'adoption par le Parlement de la loi relative à la lutte contre la fraude 3 ( * ) . Ainsi, entre 2018 et 2021, les montants recouvrés sont passés de 7,7 milliards à 10,7 milliards d'euros, soit une augmentation de près de 37,5 % , en dépit d'un reflux en 2020, dans le contexte de crise sanitaire.

Évolution des montants encaissés au titre du contrôle fiscal

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Ce dynamisme des résultats du contrôle fiscal depuis 2019 tranche avec la baisse inquiétante des montants recouvrés les quatre années précédentes. En effet, entre 2015 et 2018, ils avaient diminué de près de 20 %.

b) Après une baisse en 2020 qui résulte essentiellement des conséquences de la crise sanitaire...

L'année 2020 a été marquée par une baisse de 40 % du rendement budgétaire du contrôle fiscal par rapport à 2019, pour un total de 7,8 milliards d'euros recouvrés sur l'année . Cette baisse est toutefois en très grande partie due aux conséquences de la crise sanitaire. La suspension des contrôles fiscaux pendant le premier confinement devrait par ailleurs avoir pour conséquence de générer quelques pertes les années suivantes, une partie des contrôles fiscaux enclenchés en année n ne trouvant leur traduction budgétaire que plusieurs années après.

L'impact de la crise sanitaire sur le contrôle fiscal

La baisse des montants recouvrés au titre de l'année 2020 est en grande partie le résultat de deux facteurs liés à la crise sanitaire.

Tout d'abord les opérations de contrôle fiscal ont été suspendues lors du confinement, avec la possibilité pour certaines d'entre elles d'être arrêtées, dans les secteurs les plus touchés par la crise. L'article 10 de l'ordonnance du 25 mars 2020 4 ( * ) avait ainsi suspendu, pour le contribuable comme pour la DGFiP, l'ensemble des délais prévus dans le cadre des travaux de contrôle et de recherche. Les services du contrôle fiscal se sont donc concentrés sur l'instruction sur pièces, et en priorité sur les dossiers patrimoniaux à enjeux. Une partie des agents du contrôle fiscal a également été redéployée vers d'autres services durant cette période (campagne de déclaration à l'impôt sur le revenu, instruction des demandes de remboursement de crédits de TVA, etc.).

En second lieu, la reprise des activités de contrôle fiscal a été progressive, afin de ne pas davantage fragiliser les secteurs économiques les plus touchés par la crise sanitaire. Ce sont alors les situations les plus frauduleuses, notamment sur les plateformes de commerce en ligne, et les aspects patrimoniaux du contrôle fiscal qui ont majoritairement occupé les services.

Source : rapport général n° 163 (2021-2022) sur le projet de loi de finances pour 2022 fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques »

Ce montant demeure toutefois supérieur au niveau constaté en 2018 , ce qui, abstraction faite des difficultés conjoncturelles dues à la crise, semble confirmer la dynamique d'amélioration des résultats du contrôle fiscal depuis l'entrée en vigueur des dispositions de la loi relative à la lutte contre la fraude en 2019. Pour expliquer cette tendance, l'administration fiscale cite également les techniques d'analyse de données et leur rôle dans la programmation et le ciblage des contrôles (cf. infra ).

c) ...les résultats du contrôle fiscal en 2021 ont quasiment retrouvé leur niveau de 2019

Après le reflux observé en 2020, l'année 2021 est marquée par un net rebond des résultats du contrôle fiscal, avec un total de 11 milliards d'euros recouvrés, soit 36,7 % de plus qu'en 2020. Les montants encaissés demeurent toutefois légèrement inférieurs à 2019 (- 2,9 %).

Est également révélatrice de l'action des services du contrôle fiscal le nombre de dossiers ayant abouti à une condamnation pour fraude fiscale . Si les conséquences de l'assouplissement du « verrou de Bercy » seront présentées plus en détail en seconde partie, avec la transmission automatique de certains dossiers au parquet, il peut néanmoins d'ores et déjà être noté ici que le nombre de condamnations a augmenté entre 2018 et 2021. Au regard des délais de jugement, cette augmentation n'a pas pour seule cause la réforme du « verrou de Bercy » 5 ( * ) , mais témoigne également de l'activité des services du contrôle fiscal et de l'autorité judiciaire dans ce domaine. Là-encore, les conséquences de la crise sanitaire sont très visibles sur l'année 2020.

Nombre de condamnations pour fraude fiscale

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction des affaires criminelles et des grâces au questionnaire du rapporteur

En termes de montants notifiés et recouvrés au titre du contrôle fiscal, les situations divergent selon l'impôt pris en compte . Le quasi-doublement des droits de succession notifiés entre 2019 et 2021 (+ 90,8 %) et l'augmentation significative des remboursements de crédit de TVA (+ 19,1 %) sont à signaler , et sont les seuls impôts pour lesquels le montant des droits notifiés a augmenté sur cette période. Dans un contexte marqué par la crise sanitaire, la DGFiP avait en effet décidé d'accentuer ses contrôles sur ces impositions, ce qui l'a par exemple conduit, dans le cadre du contrôle des droits de successions, à procéder à des relances systématiques.

Droits nets notifiés ou mis en recouvrement au cours des dix dernières années
par type d'imposition*

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Impôt sur les sociétés

4 837

4 029

3 930

3 652

3 020

1 997

3 078

Impôt sur le revenu

2 300

2 213

2 164

2 171

1 689

1 094

1 770

Taxe sur la valeur ajoutée

2 235

2 267

2 129

2 000

1 760

913

1 592

Remboursements de crédit de TVA

1 513

1 617

1 602

1 507

1 697

1 749

2 098

Droits d'enregistrement

1 261

1 326

1 133

947

1 242

1 427

2 370

Impôt sur la fortune devenu impôt sur la fortune immobilière en 2018

357

336

347

408

398

352

381

Impôts locaux

510

680

593

533

504

348

572

Impôts divers

1 194

1 222

1 115

1 072

917

997

1 423

Total

16 121

15 292

13 981

12 916

11 450

8 876

13 284

* À compter de 2019, les montants présentés ne sont plus les montants notifiés mais ceux faisant l'objet d'une demande de recouvrement.

Montants recouvrés ces dix dernières années par type d'imposition

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Impôt sur le revenu et cotisations sociales

2 118

2 050

2 182

2 061

2 287

1 597

2 139

TVA

1 231

1 268

1 022

1 070

1 280

829

904

Impôt sur les sociétés /taxe sur les salaires

3 718

2 863

2 685

2 690

4 859

2 494

2976

Droits de déclarations de successions déposées suite à relance

783

869

642

432

745

1 137

1536

Droits de déclarations d'ISF déposées suite à relance

57

55

56

56

84

83

73

Autres impôts

1 683

1 507

1 490

1 427

1 718

1 651

3 022

Montant total des encaissements (hors STDR)*

9 590

8 612

8 077

7 737

10 973

7 790

10 651

* service de traitement des déclarations rectificatives.

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

2. Des résultats qui doivent toutefois être nuancés

La dynamique des résultats du contrôle fiscal depuis 2019, si elle doit être positivement appréciée, appelle également quelques remarques, de nature à nuancer cette appréciation .

Les résultats obtenus chaque année dépendent tout d'abord des dossiers « exceptionnels », à très fort enjeu financier . L'évolution des montants encaissés au titre du contrôle fiscal est donc difficile à prévoir d'une année sur l'autre.

Il convient par ailleurs de tenir compte d'un changement méthodologique opéré en 2019 , avec la communication non plus des montants notifiés mais des montants mis en recouvrement. Certes, cette méthode permet de mieux apprécier l'ampleur du risque contentieux , puisque les montants mis en recouvrement interviennent après les éventuels recours ou remises gracieuses accordées aux contribuables. Toutefois, les montants notifiés, comme l'ont signalé les organisations syndicales ou les organisations non gouvernementales, permettaient également de pouvoir apprécier le travail des services du contrôle fiscal et de la fraude repérée à l'occasion des contrôles. Ce changement méthodologique introduit par ailleurs un biais dans les comparaisons entre les exercices antérieurs et postérieurs à 2019.

Il existe enfin une vraie marge d'amélioration en matière de recouvrement. En effet, si le taux de recouvrement, qui s'est élevé à 75,3 % en 2021, est aujourd'hui meilleur qu'en 2018, où il n'avait atteint que 59,9 %, il demeure toutefois insuffisant. Par ailleurs, ce taux a mécaniquement augmenté avec le changement méthodologique précité (montant faisant l'objet d'une demande de mise en recouvrement depuis 2019 et non plus les montants notifiés).

Montants notifiés* et montants encaissés au titre du contrôle fiscal

(en millions d'euros)

* À compter de 2019, les montants présentés ne sont plus les montants notifiés mais ceux faisant l'objet d'une demande de recouvrement.

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur

Les taux de recouvrement constatés depuis 2020 doivent toutefois être relativisés, eu égard à l'impact de la crise sanitaire sur cet indicateur. La crise sanitaire a en effet accru le risque que certains contribuables, et notamment les professionnels, ne puissent pas être en mesure de s'acquitter des droits et pénalités redressés en 2020 et en 2021 , faisant mécaniquement peser le risque d'un écart conséquent entre les montants mis en recouvrement et montant effectivement encaissés 6 ( * ) .

Toutefois, et indépendamment des conséquences de la crise sanitaire, le recouvrement reste, comme l'a reconnu l'administration fiscale, un aspect de la procédure de lutte contre la fraude dont les marges de progrès demeurent significatives .

B. UN DÉFAUT D'ÉVALUATION DU PHÉNOMÈNE DE FRAUDE NOTAMMENT PRÉJUDICIABLE À LA JUSTE APPRÉCIATION DES RÉSULTATS DU CONTRÔLE FISCAL

1. Au contraire de plusieurs de ses voisins, la France ne publie pas d'estimations de la fraude fiscale
a) Un défaut d'évaluation régulièrement mis en exergue

Les résultats du contrôle fiscal présentent indéniablement une progression ces dernières années. Il faut s'en féliciter : en illustrant l'action des services et des directions en charge de la lutte contre la fraude, ils poursuivent un triple objectif de répression des comportements frauduleux, de dissuasion auprès de l'ensemble des contribuables et de réparation, au profit des finances publiques et de l'ensemble des citoyens .

Cependant, en plus des limites précédemment évoquées, il demeure difficile d'apprécier, par les seules données quantitatives présentées ici, l'action et l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en France . En effet, en l'absence d'évaluations de la fraude, appuyées sur des méthodologies fiables et éprouvées , il est impossible de savoir si les montants notifiés et encaissés augmentent parce que les services sont de plus en plus efficaces ou parce que le niveau de la fraude augmente. Les éléments disponibles laissent plutôt penser que la réponse se situerait plus près de la première proposition, avec le développement de l'arsenal normatif et de l'analyse de données pour mieux cibler les contrôles, mais sans pouvoir écarter totalement un « effet volume ».

La plupart des personnes entendues a mis en évidence ce défaut d'évaluation, mais aussi les difficultés qui se posent pour pouvoir y remédier de façon fiable pour les administrations. S'il faut les prendre en compte, il apparaît que d'autres pays sont parvenus à les surmonter.

b) Une exception française ?

Dans un rapport de 2017 consacré aux administrations fiscales de ses États membres 7 ( * ) , l'OCDE relevait que de plus en plus de pays avaient lancé des travaux pour mesurer leur « écart fiscal » ( tax gap ), c'est-à-dire l'écart entre les recettes fiscales escomptées 8 ( * ) et celles effectivement recouvrées. La mesure de l'écart fiscal va donc au-delà de la fraude, même si elle l'englobe : elle inclut par exemple les sommes non recouvrées du fait de l'insolvabilité du contribuable ou encore les remises gracieuses qui lui ont été accordées.

Par ailleurs, en parallèle du calcul de l'écart fiscal, rendu public ou non selon les États, plusieurs pays ont également choisi de produire une estimation de la fraude fiscale, le plus souvent après plusieurs années de travaux méthodologiques préparatoires. Le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, le Danemark, les Pays-Pays ou encore l'Australie disposent de telles évaluations, qui reposent sur des contrôles aléatoires et/ou ciblés.

Pour rappel, en 2019, le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, avait demandé à la Cour des comptes d'évaluer le montant de la fraude aux prélèvements obligatoires . Tout en faisant un état des lieux de la situation, cette dernière avait refusé en indiquant ne pas disposer du temps nécessaire, notamment pour déterminer un chiffre global équivalent à la fraude 9 ( * ) . Le Gouvernement avait dès lors annoncé vouloir confier cette mission à l'Insee .

Une première étude a été produite le 25 juillet 2022 10 ( * ) , portant sur la seule TVA : les montants manquants de versements de TVA sont ainsi estimés être de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros par an . La méthode adoptée a consisté en l'extrapolation à l'ensemble des entreprises des montants manquants de TVA observés sur les seules entreprises ayant fait l'objet d'un contrôle fiscal.

D'après les éléments transmis au rapporteur, il n'y a pas d'autres travaux envisagés ou menés par l'Insee concernant les autres impositions à l'heure actuelle .

c) Des difficultés méthodologiques indéniables : comment mesurer ce que l'on ne voit pas ?

La première difficulté à laquelle se heurtent les administrations dans l'évaluation de la fraude réside dans les méthodologies employées, qui souffrent de biais statistiques. Il est en effet impossible de mesurer précisément, et sans aucune contestation possible, un phénomène par définition dissimulé et illégal .

Les méthodes d'évaluation de la fraude fiscale

En matière d'évaluation de la fraude fiscale, il existe deux approches principales, dites ascendante et descendante . Toutes deux reposent le plus souvent sur le concept d'écart fiscal.

La première méthode d'évaluation de la fraude fiscale est l'approche inductive - ou ascendante . Elle repose sur des extrapolations à partir de données microéconomiques (il s'agit le plus souvent des résultats du contrôle fiscal). De telles approches nécessitent de neutraliser différents biais, notamment de sélection, si les données utilisées ne sont pas issues de sélections aléatoires. En effet, si les contrôles fiscaux sont ciblés sur les dossiers les plus à risque, alors partir des résultats du contrôle fiscal peut conduire à surestimer la fraude.

La seconde approche est déductive - ou descendante . Ces approches se fondent sur l' utilisation de données macroéconomiques agrégées , le plus souvent collectées par les comptes nationaux. Il existe alors un biais de détection, qui tient à l'incapacité, sur ces agrégats, de pouvoir être en mesure d'identifier l'ensemble des sommes éludées.

Chacune des deux méthodes, ascendante et descendante, présentent des avantages et des inconvénients:

- les méthodes inductives (ascendantes) permettent une meilleure interprétation des résultats en rendant possible l'identification de comportement-type de fraude. Par ailleurs, lorsque les contrôles sont aléatoires, la généralisation des résultats est relativement aisée. Lorsqu'ils ne le sont pas, les méthodes inductives présentent l'inconvénient de contenir un biais de sélection important, qui implique des hypothèses fortes pour le corriger. En outre, les méthodes inductives souffrent de la non-détection d'une partie de la fraude ;

- les méthodes déductives (descendantes) peuvent à l'inverse être facilement répliquées dans le temps et facilitent les comparaisons internationales. Les données nécessaires à leur application sont en effet des données de séries temporelles collectées de façon annuelle. Toutefois, ces méthodes ne permettent pas d'étudier qualitativement la fraude en ce qu'elles sont le reflet non de données microéconomiques individualisables, mais d'agrégats. La révision régulière des données des comptes nationaux en font par ailleurs un support relativement instable.

Source : HMRC, Working Paper n°12, The practicality of a top down approach to the direct tax gap (août 2011) ; Cour des comptes, La fraude aux prélèvements obligatoires (novembre 2019)

Les obstacles méthodologiques peuvent par ailleurs être plus ou moins difficiles à surmonter selon la nature de l'impôt . Par exemple, pour les impôts directs tels que l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, reconstruire le total des montants en droits, pour pouvoir le comparer aux manquements repérés, est très complexe, car les taux d'imposition dépendent de nombreux facteurs (ex. composition du foyer et des revenus pour l'impôt sur le revenu, recours aux crédits et réductions d'impôt, appartenance à un groupe pour l'impôt sur les sociétés, reports des déficits fiscaux).

Il convient également de tenir compte des décalages temporels dans l'évaluation de la fraude fiscale. Par exemple, dans l'étude précitée sur les montants manquants de TVA, il a fallu attendre que l'ensemble des contrôles soit terminé, soit une période d'environ six ans . De fait, au démarrage des travaux de l'Insee en 2019, l'année la plus récente pour laquelle l'ensemble des contrôles était terminé était 2012.

2. Pour disposer d'estimations plus fiables afin de nourrir le débat public, confier la mission d'évaluation de la fraude fiscale à l'Insee et à l'administration fiscale

Le Gouvernement a confié à l'Insee la mission d'évaluer la fraude fiscale. En parallèle, les directions et services spécialisés du contrôle fiscal ont entamé des travaux d'évaluation, à partir notamment d'échantillons aléatoires. L'Insee a par exemple travaillé avec la DGFiP pour évaluer les montants manquants de versements de TVA et s'est fondé sur les données issues des contrôles fiscaux réalisés par ses services. Son objectif était même, sur l'évaluation de la fraude à la TVA, d'améliorer la qualité de la méthodologie « en vue de la transmission de ce savoir-faire à la DGFiP » 11 ( * ) .

Il semble dès lors plus cohérent, au regard des travaux menés concrètement par les administrations, de confier formellement cette mission d'évaluation à la fois à l'Insee et à l'administration fiscale . Dans les autres pays proposant de telles estimations, ce sont quasi exclusivement les administrations fiscales qui sont mobilisées en la matière. Elles disposent en effet à la fois des données et des compétences nécessaires pour mener ces travaux, en lien éventuellement avec un institut statistique.

Les estimations de la fraude fiscale, ainsi que le détail des méthodologies utilisées, pourraient être publiées chaque année dans le document de politique transversale (DPT) relatif à la lutte contre l'évasion fiscale et la fraude en matière d'impositions de toutes natures et de cotisations sociales. Le DPT apparaît comme un support adéquat pour transmettre ces informations au Parlement, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances (PLF), qui constitue le véhicule législatif pour apporter, le cas échéant, des modifications et des ajustements aux dispositions législatives relatives à la lutte contre la fraude.

Pour cette première recommandation établie à l'issue des travaux de la mission d'information, le délai retenu pour la production et la publication de ces analyses correspond au dépôt du projet de loi de finances initiale pour 2024 (octobre 2023). Le rapporteur a bien conscience des difficultés méthodologiques et techniques qui complexifient ces travaux mais il considère également qu' il est désormais temps d'avancer sur ce sujet et de faire preuve d'ambition, alors que peu de choses ont finalement été produites depuis la fin de l'année 2019 . Faire état des difficultés rencontrées pour évaluer, c'est déjà démontré qu'un travail est en cours : il ne s'agit pas d'avoir, dès 2023 dans le DPT, une estimation à l'euro près - par ailleurs irréaliste - mais bien des ordres de grandeur méthodologiquement plus fiables pour nourrir le débat public , alors que les chiffres et les montants ont tendance à se multiplier.

Recommandation n° 1 ( Parlement puis Insee et administration fiscale ) : produire et publier, d'ici le projet de loi de finances initiale pour 2024, des estimations de la fraude fiscale, en détaillant la méthodologie utilisée. Ces évaluations, confiées à l'Insee et à l'administration fiscale, seront ensuite actualisées chaque année et intégrées au document de politique transversale relatif à la lutte contre l'évasion fiscale et la fraude en matière d'impositions de toutes natures et de cotisations sociales.

Il est donc proposé d' écarter à moyen-terme la création d'un observatoire de la fraude fiscale , idée originellement proposée par Gérard Darmanin, alors ministre de l'action et des comptes publics. L'instauration d'une nouvelle structure n'apparaît pas pertinente dès lors qu'il n'y a pas d'évaluation de la fraude fiscale et dès lors que les compétences nécessaires pour produire ces travaux se situent dans d'autres administrations.

II. LA CONSTRUCTION D'UN ARSENAL NORMATIF ETOFFÉ EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE S'EST ACCOMPAGNÉE DU DÉVELOPPEMENT DE NOUVELLES TECHNIQUES POUR DÉCELER LES INFRACTIONS

A. L'ARSENAL NORMATIF MIS EN PLACE PAR LA FRANCE POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE FISCALE S'EST FORTEMENT ETOFFÉ CES DERNIÈRES ANNÉES

Plusieurs personnes entendues par la mission d'information ont confirmé que l'arsenal normatif mis en place par la France faisait partie des dispositifs les plus robustes instaurés par les pays européens pour lutter contre la fraude fiscale. Après une période plus « creuse » entre 2013 et 2018, le législateur s'est de nouveau emparé de ce sujet, à compter notamment de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude 12 ( * ) .

La loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière 13 ( * ) , à l'origine de la création du Parquet national financier (PNF) a également renforcé les sanctions à l'égard de la fraude commise en bande organisée ou reposant sur des comptes bancaires ou entités détenus à l'étranger ainsi que le régime des saisies et des confiscations d'avoirs criminels. Elle a également permis d'étendre le champ de compétences de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) au blanchiment de fraude fiscale.

La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique 14 ( * ) (dite « Sapin 2 ») a conduit à l'introduction, en droit français, d'une procédure permettant au procureur de la République et à une personne morale mise en cause de conclure une transaction : la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Initialement réservé aux faits de corruption , ce mécanisme de transaction entraine le paiement d'une amende et la mise en place d'un programme de remise en conformité.

La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a étendu la CJIP aux faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale . Elle a plus largement traité de la question du traitement judiciaire de la fraude fiscale, en étendant également la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) aux faits de fraude et, surtout, en réformant le « verrou de Bercy », sous l'impulsion des parlementaires. La loi comprenait par ailleurs des dispositions relatives à la lutte contre la fraude sur internet en impliquant les plateformes en ligne ainsi que le renforcement des sanctions encourues pour des faits de fraude.

Plusieurs dispositions votées par le Parlement en loi de finances ont ensuite renforcé les outils à disposition des services en charge de la lutte contre la fraude : extension des dispositifs d'échanges d'informations entre administrations, collecte et analyse des données sur les réseaux sociaux pour la recherche d'infractions fiscales et douanières graves 15 ( * ) , instauration d'une liste « noire » des plateformes en ligne non coopératives ou encore transposition de directives ou de décisions européennes portant des dispositions anti-abus ou favorisant la coopération fiscale. L'article 134 de la loi de finances pour 2022 16 ( * ) a par exemple transposé les dispositions de la directive dite « DAC 7 » 17 ( * ) (directive relative à la coopération administrative), qui impose aux opérateurs de plateforme de transmettre aux administrations fiscales une déclaration normalisée . Elle instaure un dispositif de collecte et d'échange d'informations en matière d'économie collaborative comparable à celui qui existe pour les comptes financiers.

B. L'ÉVOLUTION DES MOYENS MOBILISÉS POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE FISCALE TÉMOIGNE DE LA PLACE CROISSANTE OCCUPÉE PAR LES TECHNIQUES D'ANALYSE DES DONNÉES

1. Une évolution des moyens consacrés au contrôle fiscal traduisant l'ambition d'un meilleur ciblage des contrôles
a) Une mutation des moyens qui témoigne d'une volonté de ciblage de la fraude à enjeu et de développement d'une démarche partenariale entre l'administration fiscale et les contribuables
(1) Si la baisse des moyens humains consacrés au contrôle fiscal doit être nuancée, elle illustre néanmoins la volonté de cibler les dossiers à fort enjeux et de développer les nouvelles technologies

Les effectifs dédiés au contrôle fiscal ont diminué de près de 13 % entre 2015 et 2020, passant de 12 362 à 10 781 équivalents temps plein (ETP) .

Évolution des effectifs consacrés
au contrôle fiscal de 2015 à 2020

Sources : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Cette baisse des effectifs consacrés au contrôle fiscal doit toutefois être relativisée, dans la mesure où cette diminution n'a pas affectée de la même manière tous les emplois . Les effectifs aux niveaux central et national n'ont que peu évolué (- 3,6 %), tandis que ceux du niveau interrégional ont connu une légère augmentation (+ 2,7 %). En revanche, le niveau local a concentré les baisses (-16,9 %), alors que, dans le même temps, les outils du contrôle fiscal se sont modernisés et que la programmation des contrôles s'est davantage centralisée.

Outre la volonté de l'administration de concentrer ses moyens sur certains types de fraude complexe, telle que la fraude à la TVA sur l'e-commerce, cette dynamique est également due à la crise sanitaire pour les années 2020 et 2021, en contraignant l'administration fiscale à concentrer son action sur des modes de contrôle dématérialisés.

(2) Le développement d'une logique partenariale entre l'administration et les contribuables

La loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi « ESSOC » 18 ( * ) , s'inscrit dans une logique de renforcement du dialogue entre l'administration fiscale et les contribuables , comme l'illustrent par exemple les partenariats avec les entreprises, les possibilités de régularisation en cours de contrôle ou la création d'un « droit à l'erreur » permettant aux contribuables de bonne foi de corriger des erreurs de déclaration.

Ce phénomène se traduit par le recours accru aux régularisations en cours de contrôle. Cette procédure, inscrite à l'article L. 62 du livre des procédures fiscales (LPF), institue la possibilité pour les contribuables de régulariser les erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisances relevées dans leurs déclarations lors d'un contrôle fiscal et de bénéficier ainsi d'un intérêt de retard réduit. Elle a été étendue aux particuliers et professionnels faisant l'objet d'un contrôle sur pièce par la loi ESSOC de 2018. Les régularisations en cours de contrôle ont donc progressé en 2021, avec 43 440 dossiers régularisés en contrôle sur pièces contre 30 633 en 2019, soit une augmentation de près de 41,8 % .

Nombre de dossiers ayant fait l'objet
d'une régularisation en cours de contrôle

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Nombre de procédures de régularisation en CFE

3 752

3 798

3 851

3 895

5 573

3 017

5 609

Nombre de procédures de régularisation en CSP

/

/

/

/

30 633

28 251

43 440

*CFE : Contrôle fiscal externe.

**CSP : Contrôle sur pièce.

Source : réponses au questionnaire du rapporteur

b) La valorisation de la donnée, enjeu de transformation pour le contrôle fiscal
(1) Des flux de données de plus en plus volumineux

Le bureau SJCF-1, en charge de la programmation des contrôles et de l'analyse des données au sein du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF), reçoit chaque année 55 flux de données, sous sept formats différents et représentant au total 6,2 To d'informations utiles.

Les données croisées par le bureau SJCF-1 proviennent de l'ensemble des fichiers de données patrimoniales, foncières, professionnelles, personnelles des redevables disponibles à la DGFiP , le bureau ayant également accès aux données de la Douane, de l'Urssaf Caisse nationale 19 ( * ) ou encore du ministère de l'intérieur , conformément aux évolutions législatives et réglementaires opérées depuis plusieurs années, notamment en loi de finances. La mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf) veille ainsi aux progrès accomplis dans l'ouverture des accès directs aux bases de l'administration fiscale et des organismes sociaux, sous la réserve des garanties prévues pour encadrer ces dispositifs. Le bon fonctionnement des dispositifs d'échange d'informations fait partie des éléments particulièrement suivis par la Micaf dans le cadre des groupes opérationnels anti-fraude (Gonaf, cf. infra ).

Les données peuvent également provenir d'autres sources telles que d'échanges automatiques internationaux, des réseaux sociaux, des déclarations par les tiers (ex. données des plateformes d'économie collaborative), des bases en open source (ex. Infogreffe, registre des bénéficiaires effectifs) ou encore d'acquisitions de bases de données privées (ex. pour la participation dans des entreprises étrangères).

La généralisation prochaine de la facturation électronique dans les transactions entre assujettis à la TVA et la transmission des données de transaction 20 ( * ) devraient se traduire par un nouvel afflux massif de données, puisque quatre milliards de factures devraient à terme être émises chaque mois. Ces données, en plus de celles relatives aux transactions, doivent permettre aux services en charge du contrôle fiscal de mieux lutter contre la fraude « carrousel » (cf. infra ).

Dans le cadre de ses travaux, le rapporteur s'est interrogé sur l'opportunité de simplifier les différents dispositifs d'accès aux bases de données et aux fichiers détenus par les administrations (échange automatique, droit de communication, droit d'accès) pour prévoir un « régime commun », plus lisible . Toutefois, il est apparu que sa mise en place soulèverait plusieurs difficultés, qui pourraient au final s'avérer la source de complexités supplémentaires.

Lors de son audition, la CNIL a ainsi rappelé que chaque traitement mis en place est soumis à d'importantes vérifications , que ce soit sur les personnes qui ont accès aux données, sur leurs motivations ou sur les usages qu'elles en font. Pour résumer, l'autorité estime que l'accès doit être encadré par traitement et par usage.

Le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal a quant lui rappelé les exigences fortes entourant le secret professionnel « fiscal » : si les agents de la DGFiP sont tenus au secret professionnel en application de l'article L. 121-6 du code général de la fonction publique, au même titre que tout autre fonctionnaire, ils sont en outre soumis à une obligation de secret professionnel spécifique et renforcée, prévue à l'article L. 103 du livre des procédures fiscales.

Les dispositions dérogeant au secret professionnel font donc l'objet d'une interprétation stricte et, même en cas d'échanges spontanés, la DGFiP ne peut être exonérée de vérifier que les demandes de transfert de données respectent bien le strict besoin d'en connaître. Il revient par ailleurs au législateur d'adapter la portée des dérogations au cas par cas, et d'en préciser les garanties .

(2) Une transformation des outils du contrôle fiscal en conséquence

Dès 2013, à travers le projet « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFRV), l'administration fiscale a cherché à appliquer des méthodes statistiques sur les informations en provenance de diverses bases de données .

Une structure dédiée a été créée en 2014 : la mission requêtes et valorisation (MRV). Elle est rapidement montée en puissance, passant de 14 agents en 2017 à 31 équivalents temps plein (ETP) en 2022, avec des profils et des parcours divers et complémentaires : agents de la DGFiP ou en provenance de l'Insee, informaticiens, fiscalistes, doctorants. Le coût total du projet CFRV sur la période 2018-2022 s'élève à 20,6 millions d'euros, dont 14 millions d'euros au titre des crédits ouverts pour la DGFiP 21 ( * ) , 5,2 millions d'euros en provenance du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) et un million d'euros du Fonds de modernisation du ministère (FTM).

Dans le cadre d'une réorganisation interne du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, la MRV est devenue, le 1 er octobre 2020, le bureau SJCF-1D.

Les missions du bureau de la programmation
des contrôles et analyse des données (SJCF-1D)

Le bureau de la programmation des contrôles et analyse des données est chargé du pilotage et de l'animation des travaux de programmation des opérations de contrôle fiscal reposant sur des techniques d'analyse de données et l'accompagnement de leur exploitation. Dans ce cadre :

1° il identifie les axes de contrôle correspondant aux orientations prioritaires du contrôle fiscal ;

2° il met en oeuvre les projets informatiques liés au ciblage de la fraude et réalise, à cet effet, des analyses de risque qui reposent sur des critères de fraude proposés par les équipes de contrôle ou identifiés par des techniques statistiques et mathématiques ;

3° il anime le réseau des pôles interrégionaux de programmation des DIRCOFI ;

4° il participe à l'animation des équipes chargées de l'exploitation des travaux d'analyse de données ;

5° il contribue à l'enrichissement des informations mises à la disposition des services de contrôle en intégrant ses productions dans les outils informatiques de pilotage et de suivi des opérations de contrôle. Par ailleurs, il intervient, ponctuellement, au soutien d'autres missions de la DGFiP ayant des besoins d'analyse de données.

Source : commission des finances, d'après l'organigramme de la direction générale des finances publiques

Ainsi, depuis le mois d'avril 2018, la MRV devenu le bureau SJCF-1D, envoie chaque trimestre, aux services en charge du contrôle, un volume de dossiers déterminé en fonction des objectifs de contrôle et devant faire l'objet d'un examen approfondi par les services locaux avant déclenchement d'une procédure de contrôle. Ces dossiers couvrent la plupart des risques fiscaux et le processus d'apprentissage permanent des algorithmes permet au bureau de fournir, pour chaque entreprise relevant d'un régime déclaratif réel, une cotation traduisant le niveau de son risque fiscal.

Les progrès des méthodes de ciblage reposent sur un processus structuré de retour d'expérience , afin de pouvoir corriger les algorithmes, affiner la pertinence des productions et tenir compte des observations des services utilisateurs . Pour ce faire, la MRV s'appuyait sur un réseau de correspondants au sein des pôles de programmation des directions spécialisées de contrôle fiscal (Dircofi). Aujourd'hui, les travaux communs du bureau SJCF-1D et des pôles de programmation ont permis de constituer un socle d'analyses couvrant plus de 200 thématiques fiscales pour les entreprises et une cinquantaine pour les particuliers .

Les membres de la mission d'information ont pu, lors de leur déplacement à la DGFiP au mois de juin dernier, observer concrètement le mode de fonctionnement de l'outil « Galaxie » , qui permet de visualiser les liens familiaux et économiques entre de multiples entités.

Le contrôle fiscal a donc connu ces dernières années une transformation profonde de ses outils, avec un recours accru à l'exploitation des données de masse par le biais de l'intelligence artificielle ( datamining , textmining , web scrapping ).

Les outils d'analyse de données de masse

Datamining : terme générique pour désigner les processus d'exploration et d'analyse de volumes massifs de données, afin d'identifier des réseaux, des anomalies ou encore des schémas de fraude. Ces processus s'appuient sur des algorithmes (intelligence artificielle).

Textmining : ensemble des processus permettant d'exploiter des documents dits « non structurés » - par opposition aux bases de données par exemple. Il s'agit notamment de textes écrits (document word , email, slides ...), exploités à l'aide de techniques d'analyse linguistique.

Web-scrapping : extraction du contenu de sites internet. C'est notamment la technique utilisée dans le cadre de l'expérimentation prévue à l'article 154 de la loi de finances pour 2020 22 ( * ) , qui permet aux agents habilités de la DGFiP et de la Douane de collecter et d'analyser, par le biais de traitements informatisés et automatisés, les contenus rendus librement accessibles sur les plateformes en ligne, dans le but de détecter des manquements graves. Les premières expérimentations ont été lancées en 2021, à partir des outils informatiques existants.

La programmation des contrôles fiscaux par datamining ne constitue pas et ne vise pas à une centralisation totale de la programmation de l'ensemble des contrôles : il revient aux services locaux et aux directions spécialisées concernées de décider de mener un contrôle. Surtout, ils peuvent recentrer leurs travaux de ciblage sur ce qui ne ressort pas de l'analyse de données : exploitation des informations locales et évènementielles, liaisons avec les autres administrations, exploitation des droits de communication non nominatifs... Les services locaux remontent également leurs observations sur la qualité de la donnée, du dossier transmis, des prédictions et des programmations mais ils peuvent également transmettre des idées de requêtes ou faire leurs propres demandes.

Les outils créés dans le cadre du datamining sont désormais mis à profit pour poursuivre d'autres objectifs que la fraude fiscale : contrôle a priori des demandes d'aides au titre du fonds de solidarité durant la crise sanitaire (un million de demandes bloquées en 2020 et renvoyées à un examen individualisé), identification des entreprises susceptibles de poser des difficultés en matière de recouvrement fiscal, identification des entreprises fragiles économiquement ou encore amélioration de la sécurisation du traitement des demandes de remboursement de crédits de TVA.

(3) Une montée en puissance dans la programmation et les résultats du contrôle fiscal

L'objectif affiché par l'administration fiscale est que le datamining représente 50 % de la programmation des contrôles en 2022 . Cette cible semble tout à fait atteignable au regard de la forte progression de cette méthode dans la programmation ces dernières années, cette part étant passée de 22 % en 2019 à 32,5 % en 2020 et 44,1 % en 2021.

Certes, le datamining est important pour identifier certains types et opérations de fraudes. Pour autant, l'atteinte de l'objectif de 50 % est plutôt conçue par l'administration fiscale comme un « plafond » et ne doit en effet pas se faire au détriment des autres procédures : les agents du contrôle fiscal doivent continuer à recourir à l'ensemble des méthodes à leur disposition pour identifier des dossiers à enjeux ou des suspicions de fraude fiscale (ex. échange d'informations avec les administrations, connaissance du tissu fiscal local, etc.).

Au-delà de la progression de la part du datamining dans la programmation des contrôles, la montée en puissance de ces outils s'observe également en absolu, à partir des dossiers envoyés aux services pour contrôle . Pour les professionnels, ils sont passés de 35 000 en 2020 à 85 000 en 2021, pour 15 000 propositions de contrôles validés par les services cette même année. Pour les particuliers, ce sont 241 000 dossiers qui ont été envoyés par le bureau SJCF-1D, 73 % d'entre eux ayant une portée patrimoniale.

Ces contrôles ont permis de recouvrer 1,2 milliard d'euros en 2021 , 794 millions d'euros en 2020 et 785 millions d'euros en 2019.

2. La nécessité de mieux mesurer l'apport du datamining dans les résultats du contrôle fiscal et dans la détection des fraudes complexes

Alors que le datamining ne cesse de progresser, aucun indicateur ne permet de connaître la part des contrôles ainsi sélectionnés qui ont mené à la mise en recouvrement de droits et de pénalités ou à la détection de fraude complexe, « à enjeux » . Ces données existent pourtant pour partie au moins puisque, lors du déplacement de la mission d'information à la DGFiP, des données ont par exemple été transmises sur le taux de pertinence des programmations concernant les particuliers - entre 50 % et 80 % - même si elles demeurent assez peu explicites.

Il est d'autant plus important de disposer de ces données que le Gouvernement n'a eu de cesse d'affirmer que le développement de ces instruments devait contribuer à poursuivre le redressement des résultats du contrôle fiscal , avec le double-objectif d' améliorer la programmation des contrôles et de détecter les cas de fraude plus sophistiquée . Ce sont aussi ces intentions qui justifient que des données personnelles des contribuables puissent être recueillies et utilisées, sous réserve des garanties prévues et apportées par le législateur.

Un tel indicateur serait également utile pour éviter la confusion qu'il peut y avoir entre taux de rendement et taux de programmation : les contrôles programmés par datamining en année n ne produisent pas nécessairement leurs effets financiers en année n , mais parfois plusieurs années après. L'indicateur permettrait donc de mesurer, sur plusieurs années, l'efficacité du datamining dans la détection de fraudes coûteuses pour les finances publiques et/ou complexes et sophistiquées.

Recommandation n° 2 ( Parlement, direction du budget, DGFiP) : créer un indicateur de performance au sein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » relatif à la part des contrôles programmés par recours au datamining ayant conduit, d'une part, à la mise en recouvrement de droits et pénalités, et, d'autre part, à des contentieux « à enjeux ».

DEUXIÈME PARTIE
AMÉLIORER L'ARSENAL NORMATIF ERIGÉ POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE FISCALE ET ADAPTER LES MOYENS ET MÉTHODES AUX NOUVELLES PRATIQUES CONSTATÉES

Sans proposer une « révolution » du contrôle fiscal, le présent rapport établit un bilan des dispositifs adoptés par le législateur au cours des dernières années afin de proposer les ajustements qui semblent nécessaires pour assurer leur pleine efficacité et effectivité.

Les constats, observations et recommandations sont articulés autour de quatre axes , identifiés lors des travaux de la mission d'information comme autant de pistes d'amélioration, en plus des progrès à accomplir en termes d'évaluation présentés ci-dessus et constituant un préalable à l'amélioration de la politique de lutte contre la fraude (première partie du rapport) :

1. renforcer l'efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale par une fluidification des relations entre l'administration fiscale et les autorités judiciaires ;

2. poursuivre et amplifier les efforts déployés pour lutter contre la fraude à la TVA au niveau national comme européen;

3. assortir les dispositifs d'accès aux données des garanties juridiques nécessaires pour assurer leur pleine effectivité ;

4. renforcer les outils de lutte contre les montages fiscaux abusifs, au lendemain des dossiers de « leaks » et de « Papers » mis en lumière par la presse.

I. RENFORCER L'EFFICACITÉ DE LA RÉPONSE PÉNALE À LA FRAUDE FISCALE PAR UNE FLUIDIFICATION DES RELATIONS ENTRE L'ADMINISTRATION FISCALE ET LES AUTORITÉS JUDICIAIRES

Les dispositions adoptées dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude 23 ( * ) ont profondément affecté la réponse pénale apportée aux dossiers de fraude fiscale : réforme du « verrou de Bercy », extension à la fraude des instruments de « justice négociée » (conventions judiciaires d'intérêt public, comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité), création d'un nouveau service de « police fiscale », rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale, en parallèle de l'action publique.

Le directeur des affaires criminelles et des grâces a rappelé lors de son audition qu' il ne pouvait y avoir de « vie économique saine sans règle et sans aucune autorité chargée de les faire respecter », ni « de confiance et d'égalité de tous devant l'impôt si les fraudeurs peuvent agir sans crainte de la sanction pénale » .

C'est bien l'équilibre entre réponse judiciaire et réponse fiscale que le législateur a cherché à atteindre dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude, la commission des finances du Sénat s'étant montrée particulièrement vigilante mais aussi force de propositions sur cet aspect.

Plus de trois ans après l'entrée en vigueur de la plupart de ces dispositions, de premiers éléments de bilan sont disponibles et permettent d'identifier leurs effets bénéfiques mais aussi la nécessité de procéder à quelques ajustements, à la marge, pour fluidifier encore davantage les relations entre l'administration fiscale et les autorités judiciaires .

A. TIRER LES CONSÉQUENCES DE L'ASSOUPLISSEMENT DU « VERROU DE BERCY » ET DE L'AFFLUX DE DOSSIERS INDUIT PAR CETTE RÉFORME POUR LES MAGISTRATS

1. La réforme du « verrou de Bercy » adoptée en 2018 à l'origine d'un quasi doublement des dossiers de fraude fiscale transmis au parquet : un équilibre à préserver
a) Une augmentation de 75 % des dossiers transmis au parquet sous l'effet principalement de l'instauration d'une procédure de dénonciation obligatoire des dossiers les plus graves en 2018
(1) L'instauration de critères de dénonciation obligatoire des dossiers

L'article 36 de la loi du 23 octobre 2018 24 ( * ) est revenu sur ce qui était communément désigné sous l'expression de « verrou de Bercy », c'est-à-dire sur le monopole de l'action publique dont disposait l'administration fiscale en matière de fraude. Elle seule pouvait décider de porter plainte ou non dans un dossier de fraude fiscale , sous réserve de l'avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF) à partir de 1977.

Les modifications apportées en 2018, à l'initiative du Sénat, ont mis fin à près de 100 ans 25 ( * ) de ce qui avait pu être qualifié « d'exception française ». Les parquets, et notamment le Parquet national financier, pouvaient toutefois lancer, indépendamment de ce « verrou », des poursuites pour blanchiment de fraude fiscale , comme dans le cas à la suite des « Panama Papers ».

Aux termes de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales (LPF), doivent désormais être automatiquement transmis au parquet par la DGFiP les dossiers concernant des affaires graves et caractérisées, c'est-à-dire ayant conduit à l'application, sur des droits fraudés supérieurs à 100 000 euros, des majorations prévues pour les infractions les plus graves :

- 100 % en cas d'opposition à un contrôle fiscal ;

- 80 % en cas d'activité occulte, d'abus de droit ou de manoeuvres frauduleuses, de défaut de déclaration d'avoirs financiers détenus à l'étranger ou de trafics illicites ;

- 40 % en cas de récidive , appréciée sur une période de six ans.

Par dérogation, pour les contribuables soumis à une obligation de déclaration patrimoniale à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le seuil de droits fraudés conduisant à une obligation de dénonciation au parquet est fixé à 50 000 euros et à des pénalités d'au moins 40 %.

Typologie des dossiers ayant fait l'objet
d'une dénonciation obligatoire

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

La dénonciation obligatoire d'un dossier au parquet prend la forme de la transmission par voie dématérialisée de ce dossier , avec les pièces suivantes :

- un courrier précisant la nature de l'infraction, l'impôt concerné, le montant des droits éludés, la base légale de la majoration fiscale, les antécédents fiscaux et, le cas échéant, la qualité de contribuable soumis à une obligation de déclaration auprès de la HATVP ;

- la proposition de rectification adressée au contribuable décrivant les faits, précisant les motifs de droit ayant conduit l'administration à procéder à des rehaussements d'impôts et les motivations pour l'application de pénalités ;

- la réponse aux observations du contribuable.

Le dispositif de dénonciation obligatoire des faits
de fraude fiscale au procureur de la République

L'administration fiscale ne sélectionne plus les dossiers mais a mis en place un processus permettant d'identifier les contrôles répondant aux conditions légales de la dénonciation obligatoire de faits de fraude fiscale. Cet examen est systématique et porte sur le fondement juridique des rectifications et sur le bien-fondé de l'application des majorations fiscales envisagées, toute transmission à l'autorité judiciaire devant être justifiée en droit.

Au niveau local, la division chargée du contrôle fiscal valide les critères de la transmission obligatoire, détermine le trimestre de transmission des dénonciations obligatoires au regard de la mise en recouvrement des rappels d'impôt pénalisés concernés et procède chaque trimestre à l'envoi dématérialisé au parquet.

Source : réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Il revient ensuite au seul procureur de la République du tribunal concerné d'évaluer l'opportunité d'engager des poursuites pour fraude fiscale à l'encontre des contribuables ayant fait l'objet d'une dénonciation obligatoire. Il peut pour cela solliciter de l'administration fiscale des pièces complémentaires.

En dehors des dénonciations obligatoires, pour les autres dossiers pour lesquels l'administration fiscale souhaite déposer plainte, elle peut continuer de le faire, toujours après l' avis conforme de la commission des infractions fiscales, sauf pour les dossiers pour lesquels l'administration fiscale porte plainte pour présomptions caractérisées de fraude fiscale (plaintes dites de « police fiscale ») .

(2) Une augmentation de 75 % des dossiers transmis au parquet entre 2018 et 2021

La réforme du « verrou de Bercy » est entrée en vigueur le 1 er janvier 2019 et s'est traduite par un afflux significatif de dossiers pour les parquets, indépendamment du léger reflux constaté avec la crise sanitaire.

Ainsi, le nombre de dossiers transmis par l'administration fiscale a augmenté de près de 75 % entre 2018 et 2021. La procédure de transmission automatique des dossiers a elle-même connu une forte progression puisque le nombre de dénonciations obligatoires est passé de 965 dossiers en 2019 à 1217 dossiers en 2021, correspondant à une hausse de plus de 25 % .

Il convient toutefois d'observer que s'il y a eu une forte hausse entre 2018 et 2019, du fait de l'entrée en vigueur de la réforme du « verrou de Bercy », le nombre de dossiers transmis au parquet s'est ensuite stabilisé.

Évolution du nombre de dossiers de fraude fiscale
ayant fait l'objet d'une transmission au parquet

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Les premières données disponibles pour 2022 confirment le dynamisme constaté sur la période 2019-2021 pour les dénonciations obligatoires, avec 309 dossiers transmis automatiquement au parquet au premier trimestre 2022. Les dénonciations obligatoires ne représentent toutefois qu'une faible part des contrôles fiscaux dits « répressifs » 26 ( * ) réalisés au cours de la même année : 4 ,7 % en 2019, 8,3 % en 2020 et 6,6 % en 2021 .

En termes de répartition territoriale, pour des raisons principalement économiques, la majorité des dénonciations obligatoires au parquet provient de la région Île-de-France - à hauteur de 41 %, tandis que la région concentre dans le même temps 26 % des contrôles répressifs. Le pourcentage des contrôles répressifs ayant donné lieu à dénonciations obligatoires varient ainsi selon les directions spécialisées du contrôle fiscal (Dircofi) - celle d'Île-de-France se distinguant nettement avec un taux de 23,7 % en 2021 - et selon les directions nationales de contrôle fiscal. La direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), chargée notamment de la détection des procédés de fraude et de la réalisation de contrôles dans les secteurs économiques à risque, a dénoncé environ 50 % de ses contrôles ayant conduit à l'application de pénalités répressives 27 ( * ) .

Si la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) n'a en revanche transmis que très peu de dossiers - d'un à deux par an depuis l'entrée en vigueur de la réforme du « verrou de Bercy » - c'est parce que les procédures de contrôle des grands groupes nationaux et internationaux sont extrêmement longues, les entreprises utilisant par ailleurs généralement toutes les voies de recours possibles en cas d'application des pénalités de 40 %, 80 % ou 100 %.

Part des contrôles fiscaux répressifs ayant fait
l'objet d'une dénonciation obligatoire selon la nature
et la situation géographique des directions

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

La circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale 28 ( * ) , qui est venue compléter celle du 7 mars 2019 pour fixer les grandes lignes directrices de la politique pénale en matière de fraude fiscale, précise qu' il est demandé aux procureurs de la République de réorienter rapidement les dossiers graves ou particulièrement complexes vers les juridictions spécialisées - juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) dans la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière et Parquet national financier (PNF) .

En particulier, la saisine des JIRS doit être envisagée dans chaque dossier transmis par l'administration fiscale et présentant des critères de « grande complexité » : montage complexe, nécessité de recourir à l'entraide pénale internationale, schémas de fraude relevant de l'escroquerie fiscale, liens avec des réseaux de criminalité organisée ou des infractions connexes relevant de la criminalité organisée.

La saisine de la Junalco doit quant à elle être envisagée pour les dossiers de « très grande complexité » ayant par exemple trait aux agissements résultant de l'action planifiée et concertée d'une organisation ou d'un groupe criminel structuré (activité de type mafieux).

Les axes prioritaires de l'action du PNF sont davantage le traitement de la fraude fiscale sophistiquée des personnes physiques (ex. dissimulation d'actifs ou de patrimoine à l'étranger), la poursuite des fraudes de haute technicité et de grande ampleur commises par les personnes morales (ex. problématiques de prix de transfert, d'abus de droit ou d'établissement stable) et la mise en cause de la responsabilité pénale des facilitateurs de la fraude fiscale complexe et de son blanchiment (ex. intermédiaires institutionnels bancaires et financiers, conseils juridiques). Il connait dès lors des dossiers dits de « leaks » ou de « Papers » et intervient également sur les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale.

Les autorités judiciaires chargées du traitement des faits de fraude fiscale et rencontrées dans le cadre de la mission d'information

Au Tribunal de Paris, les affaires de criminalité économique et financière, et notamment celles impliquant des faits de fraude fiscale, sont partagées entre deux services spécialisés :

- la section « Affaires économiques, financières et commerciale » (section F2) au sein de la 2 e division « Action publique spécialisée de Paris ». Elle traite 38 000 nouvelles affaires par an ;

- la section « JIRS "criminalité financière" (section J2) , au sein de la 3 e division « JIRS / JUNALCO ».

Mises en place en 2004, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) regroupent des magistrats du parquet et de l'instruction possédant une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière pour traiter des affaires complexes au niveau interrégional. Leurs compétences s'étendent à l'ensemble des infractions visées à l'article 704 du code de procédure pénale : comportements illicites constatés dans la vie de l'entreprise, diverses formes de délinquances astucieuses tels que les escroqueries à la TVA ou l'usage de faux documents, trafics de marchandises prohibés ou atteintes à la probité. Les JIRS bénéficient de dispositifs d'enquête étendus (infiltrations, sonorisations, équipes communes d'enquête internationales, etc.).

Le Parquet national financier a quant à lui été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance financière 29 ( * ) . Ce parquet de compétence nationale se compose de magistrats spécialisés en matière économique et financière et traite les dossiers relatifs aux catégories d'infractions suivantes :

- les atteintes aux finances publiques (les délits de fraude fiscale complexe, de fraude fiscale commise en bande organisée, d'escroqueries à la TVA de grande complexité et de blanchiment des infractions précitées) ;

- les atteintes à la probité (les délits de corruption, de trafic d'influence, de prise illégale d'intérêts, de pantouflage, de concussion, de favoritisme, de détournement de fonds publics, d'obtention illicite de suffrages en matière électorale...) ;

- les atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers (les délits d'initié, de manipulation de cours ou d'indice, de diffusion d'informations fausses ou trompeuses) ;

- depuis l'entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, le PNF a vu sa compétence étendue aux atteintes au libre jeu de la concurrence (les délits d'entente illicite et d'abus de position dominante).

Le PNF est le destinataire exclusif des plaintes de l'administration fiscale sur présomptions caractérisées de fraude fiscale , même s'il lui appartient ensuite de se dessaisir lorsque les dossiers ne lui apparaissent pas répondre aux critères de complexité justifiant sa saisine.

Sur les 636 affaires en cours au PNF en 2021, 43 % relevaient du traitement pénal de la fraude fiscale aggravée 30 ( * ) . En tout, entre 2019 et 2021, le PNF a reçu 204 dossiers de l'administration fiscale, dont 30 ont été retransmis à un autre parquet à des fins de traitement, 59 ont été joints à un dossier existant, 95 ont mené à l'ouverture d'une enquête préliminaire et 20 ont fait l'objet d'un classement sans suite ab initio .

b) Un équilibre à préserver

Dans ses travaux, la mission d'information s'est interrogée sur la suppression totale du « verrou de Bercy » ou, dans une moindre mesure, sur un abaissement du seuil des droits éludés . Une conclusion s'est imposée : l'équilibre trouvé doit être préservé, tant pour des raisons « pratiques » que juridiques .

(1) Réserver la réponse judiciaire aux dossiers les plus graves

D'après les observations recueillies en audition et en déplacement, les parquets tendent aujourd'hui à classer sans suite, sur le volet pénal, les dossiers de fraude les moins graves et portant sur un montant de droits éludés proche du seuil de la dénonciation obligatoire . Ainsi, abaisser le seuil n'aurait pas forcément d'effet sur le niveau de la réponse judiciaire apportée aux dossiers de fraude fiscale.

Ce pourrait d'autant plus être le cas que revenir totalement sur le « verrou de Bercy » conduirait à un afflux encore plus important de dossiers pour les parquets. Or, ces derniers commencent à peine à traiter, en moyenne, les dénonciations obligatoires transmises en 2019, et alors que la part des dénonciations obligatoires ayant fait l'objet d'une action en justice tend à augmenter de plus en plus.

Nombre cumulé de dénonciations obligatoires et taux cumulé des suites judiciaires ou des classements sans suite depuis 2019

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Les données présentées signifient aussi, en creux, que la majorité des dossiers de fraude fiscale aujourd'hui traités par les parquets sont antérieurs aux dénonciations obligatoires et à la réforme du « verrou de Bercy » , ce qui limite également l'appréciation qui peut être portée sur la capacité du système judiciaire à traiter l'afflux de dossiers.

À terme bien sûr, il pourrait être envisagé de ne pas retenir un seuil absolu de droit éludés mais un seuil relatif , tenant compte de l'ampleur de la fraude. Toutefois, outre le fait que nous ne disposons pas encore du recul nécessaire sur le traitement des dénonciations obligatoires, une telle modification soulève plusieurs critiques . Elle conduirait par exemple à transmettre au parquet des dossiers de faible enjeu, surtout pour les particuliers - par exemple un résident français qui n'aurait pas déposé sa déclaration d'impôt sur le revenu et qui serait redevable de 100 % des droits éludés, même si ne sont en jeu que quelques milliers d'euros. A contrario, une grande entreprise pourrait ne plus être concernée par une dénonciation obligatoire en dépit d'une fraude financièrement élevée. Par ailleurs, dans certains dossiers, il peut être difficile de connaître précisément le montant total des droits éludés.

(2) Le principe « non bis in idem »

S'il est probable que les juridictions n'auraient à ce jour pas les moyens de traiter l'ensemble de ces dossiers, la suppression totale du « verrou de Bercy » pourrait en outre apparaître fragile juridiquement.

Le Conseil constitutionnel considère que la répression fiscale et la répression pénale permettent d'assurer la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt. Il a également estimé ainsi que le recouvrement de la contribution publique commune et l' objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale pouvaient justifier l'engagement de ces deux procédures pour les mêmes faits , sous la réserve que seuls les cas de fraude les plus graves soient concernés 31 ( * ) .

Trois réserves d'interprétation ont en effet été émises par le Conseil constitutionnel . L'article 1741 du code général des impôts, qui prévoit ce cumul, ne s'applique donc qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt ou d'omission déclarative - la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Par ailleurs, dans l'éventualité où deux procédures sont engagées et peuvent conduire à un cumul des sanctions, le principe de proportionnalité implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Enfin, il est impossible de condamner pénalement un contribuable déchargé définitivement de l'impôt pour un motif de fond.

Cette lecture du cumul des sanctions pénale et fiscale a été confirmée par le Conseil constitutionnel à l'occasion de sa décision QPC du 27 septembre 2019 portant sur l'article L. 228 du PLF (dénonciations obligatoires) : « le législateur a entendu soumettre systématiquement au procureur de la République, aux fins de poursuites pénales, les faits de fraude fiscale les plus graves dont a connaissance l'administration » et les critères retenus, « objectifs et rationnels », sont en lien avec le but poursuivi par le législateur 32 ( * ) .

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a également eu l'occasion de se prononcer sur la comptabilité au droit de l'Union européenne des réserves posées par le Conseil constitutionnel sur le cumul des sanctions pénales et fiscales , à la suite d'une question préjudicielle transmise par la Cour de cassation dans une affaire de fraude à la TVA. Dans sa décision du 5 mai 2022 33 ( * ) , elle estime que le droit de l'Union européenne :

- ne s'oppose pas à ce que la limitation du cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale en cas de dissimulations frauduleuses ou d'omissions déclaratives en matière de TVA prévu par une réglementation nationale aux cas les plus graves ne résulte que d'une jurisprudence établie interprétant, de manière restrictive, les dispositions légales définissant les conditions d'application de ce cumul, à la condition qu'il soit raisonnablement prévisible, au moment où l'infraction est commise, que celle-ci est susceptible de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale ;

- s'oppose à une règlementation nationale qui n'assure pas, dans le cas du cumul d'une sanction pécuniaire et d'une peine privative de liberté, par des règles claires et précises, que l'ensemble des sanctions infligées n'excède pas la gravité de l'infraction constatée. Sa décision ne semble dès lors pas de nature à remettre frontalement en cause la lecture du Conseil constitutionnel , même si elle ouvre de nouvelles discussions pour les juges français.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, et alors que les premiers dossiers ayant fait l'objet d'une dénonciation obligatoire commencent tout juste à être traités par les parquets, il n'est pas proposé d'aller plus lui, en modifiant par exemple les critères de dénonciation obligatoire .

Bilan : après près de quatre années d'application, il ne paraît pas opportun de modifier les critères retenus pour une transmission automatique des dossiers de l'administration fiscale les plus graves au parquet.

(3) Des ambiguïtés à clarifier à terme ?

Le maintien de l'équilibre trouvé autour du « verrou de Bercy » ne veut pas dire que les dispositions de l'article L. 228 du LPF sont exemptes de toute ambiguïté .

Il en va ainsi par exemple de l'appréciation du montant de la pénalité et de la récidive entre les filiales d'un même groupe ou du recours aux déclarations rectificatives pour éviter la dénonciation obligatoire . Certaines entreprises, pour éviter que leur dossier ne soit automatiquement transmis au parquet, déposent une déclaration rectificative, immédiatement suivie d'une action en contentieux. Le dépôt spontané d'une déclaration rectificative suspend en effet la transmission.

La mission d'information ne dispose toutefois pas de suffisamment d'informations consolidées sur cette pratique pour pouvoir encore se prononcer sur la nécessité d'une éventuelle modification législative . Son évolution doit toutefois être surveillée ces prochaines années.

2. Développer les outils de coopération entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire et faciliter leurs échanges d'information

Si, à la suite de l'adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude, une première circulaire interministérielle avait été publiée le 7 mars 2019 34 ( * ) pour définir les grandes lignes directrices de la politique pénale en matière de lutte contre la fraude, il est rapidement apparu que le renforcement de la place de l'autorité judiciaire dans la lutte contre la fraude ne signifiait pas que le parquet et les services d'enquête pouvaient se passer de l'expertise de l'administration fiscale.

Au contraire, renforcer les échanges et la coordination entre l'action pénale et fiscale est devenu encore plus nécessaire pour donner leur pleine portée aux modifications apportées par la loi du 23 octobre 2018 . De ce point de vue, le directeur des affaires criminelles et des grâces a souligné lors de son audition que le constat était quasi-unanime sur la qualité de leurs échanges avec l'administration fiscale, qui se sont davantage formalisés et qui sont en progression constante.

a) Les instruments mis en place pour fluidifier la coopération entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire
(1) Le déploiement des fiches d'accompagnement des dénonciations obligatoires

Une circulaire a été prise le 4 octobre 2021 35 ( * ) pour tenter de fluidifier le traitement des dossiers : les agents de l'administration fiscale devront transmettre, pour certains dossiers, des fiches d'accompagnement des dénonciations obligatoires .

L'instauration de ce nouveau mécanisme a suscité de vifs débats : d'un côté, les magistrats du parquet en ont besoin pour mieux traiter les dossiers, les assistants spécialisés (cf. infra ) 36 ( * ) demeurant peu nombreux ; de l'autre, les agents du contrôle fiscal y voient une charge supplémentaire dans le traitement des dossiers et surtout le risque que cela soit analysé comme le retour d'une certaine sélection des dossiers, que l'assouplissement du « verrou de Bercy » avait pourtant cherché à remettre en cause .

Des éléments recueillis en audition et en déplacement sur ce point, le rapporteur en conclut qu'il s'agit avant tout d' un outil destiné à faciliter le traitement des dossiers de fraude fiscale, et en particulier des plus complexes d'entre eux . Les agents du contrôle fiscal disposent en la matière d'une expertise que n'ont pas forcément les procureurs, alors que la magistrature fait face, pour reprendre les termes du président du Tribunal de Paris, à un déficit de compétences spécialisées en délinquance financière et économique (manque de formation, manque d'attractivité pour cette matière technique et chronophage). De plus, les parquets avaient l'habitude des plaintes après avis conforme de la CIF, lesquelles étaient accompagnée d'une fiche « complète et pédagogique » 37 ( * ) .

En pratique, deux modèles de fiches ont été élaborés en concertation avec la Chancellerie, selon que le dossier concerne une personne physique ou une personne morale . Elles comportent des informations factuelles : description succincte et objective du procédé de fraude, renseignements généraux sur le contribuable et ses dirigeants pour les personnes morales, renseignements relatifs au contrôle. Ces fiches, dont les modèles ont été transmis au rapporteur, ont vocation à comporter des dispositions exclusivement fiscales, la DGFiP ne se prononçant pas sur l'opportunité des poursuites pénales ni sur la qualification pénale des faits dénoncés .

(2) Les réunions trimestrielles et opérationnelles, un bon outil de coopération

Lors des déplacements au Tribunal de Paris ainsi qu'à la direction régionale des finances publiques (DRFiP) d'Île-de-France, la mise en place de réunions trimestrielles entre les DRFiP et les procureurs de la République , selon des modalités plus ou moins formalisées , a été mise en avant comme constituant un bon outil de coopération . Instaurées dès la circulaire du 7 mars 2019, ces réunions permettent notamment de pouvoir apporter des informations complémentaires et de discuter en amont des dossiers avant leur transmission automatique ou le dépôt d'une plainte pour présomption de fraude fiscale aggravée .

Elles sont également l'occasion, pour les directions et les services en charge du contrôle fiscal, de mieux comprendre les attentes des procureurs, qui peuvent parfois légèrement varier d'un territoire à l'autre. Les parquets et les services de la DGFiP concernés peuvent alors déterminer des stratégies communes sur des affaires à enjeux et des dossiers emblématiques et, désormais, déterminer les dossiers qui feront l'objet d'une fiche complémentaire d'informations , cette dernière n'étant pas systématique.

En ce sens, la circulaire du 4 octobre 2021 promeut la généralisation des « réunions opérationnelles régulières », qui peuvent être l'occasion d'échanger sur les éventuels contentieux administratifs en cours et/ou les dégrèvements obtenus, sur les transactions conclues ou envisagées par l'administration fiscale et le règlement éventuel des droits et pénalités, sur les éventuelles mesures conservatoires prises par l'administration fiscale, sur la sensibilité particulière de certains dossiers ou encore sur l'intention ou non de l'administration fiscale de se constituer, à terme, partie civile.

Ces réunions, annuelles, trimestrielles et opérationnelles, sont aussi l'occasion d'évoquer :

- d'une part, les suites judiciaires données par le parquet à l'ensemble des procédures transmises par l'administration fiscale ;

- d'autre part, les suites données par l'administration fiscale aux transmissions du parquet sur le fondement des articles L. 101 et L. 82 C du LPF , qui imposent à l'administration fiscale d'informer l'autorité judiciaire des suites données à ses transmissions dans un délai de six mois. L'autorité judiciaire doit en effet communiquer à l'administration fiscale toute indication qu'elle recueille, à l'occasion de toute procédure judiciaire, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant pour objet ou pour résultat de frauder.

(3) Les « soit-transmis »

Issus de la coopération entre l'administration fiscale, la justice et les services d'enquête, des « soit-transmis » pour les plaintes et les dénonciations obligatoires en matière de fraude fiscale ont été diffusés ainsi qu'un modèle de trame d'audition pour les services d'enquête.

Ils permettent respectivement d'harmoniser le format des dénonciations et d'aider les enquêteurs à identifier les questions pertinentes afin de recueillir les éléments essentiels à la caractérisation des faits de fraude fiscale.

(4) Le suivi des plaintes de l'administration fiscale

Enfin, et c'est sans doute l'un des éléments qui suscite encore les plus importantes « frictions » entre l'administration fiscale et les parquets, un dispositif de suivi des dossiers ayant fait l'objet d'une dénonciation obligatoire a été instauré . Le tableau commun de suivi des affaires de fraude fiscale est apprécié des services, même s'il y a encore des critiques de chaque côté sur la célérité de son remplissage par chacune des parties impliquées.

Au sein de chaque direction de l'administration fiscale, le représentant de la partie civile est l'interlocuteur privilégié du parquet : il reçoit le tableau commun de suivi, actualise les dossiers (situation de recouvrement, de contentieux) et, éventuellement, sur demande de l'autorité judiciaire, les enrichit (pièces complémentaires). Il convient de relever ici que, dans le cas des dénonciations obligatoires, la DGFiP ne se porte pas systématiquement partie civile .

Réciproquement, des référents fraude fiscale ont été nommés au sein des parquets et sont désormais les interlocuteurs privilégiés de la DGFiP. Ils ont vocation à connaître de l'ensemble des dossiers fiscaux et d'être les interlocuteurs habituels de l'administration fiscale.

Bilan : pour faciliter le traitement des dossiers de fraude fiscale et fluidifier encore davantage les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire, poursuivre le développement des outils de coopération mis en place.

b) Le rôle essentiel des assistants spécialisés

Personnification de la coopération entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire et de la volonté de fluidifier les relations et échanges entre eux, notamment pour faciliter le traitement des dossiers de fraude fiscale, des assistants spécialisés 38 ( * ) sont mis à disposition des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) dans la lutte contre la criminalité et la délinquance par la DGFiP . Ils disposent, depuis la loi relative à la lutte contre la fraude 39 ( * ) , d'un accès aux quatre fichiers informatiques tenus par la DGFiP que sont Ficoba, Ficovie, Patrim et la BNDP 40 ( * ) .

Ils sont au nombre de 22 , un nombre stable , dont un pour le Parquet national financier. Les magistrats rencontrés en déplacement ont tous souligné devant les membres de la mission d'information l'expertise, l'efficacité et le soutien crucial apporté par les assistants spécialisés dans le traitement des dossiers financiers et fiscaux complexes.

Répartition des 22 assistants spécialisés

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Il a été porté à la connaissance de la mission d'information qu'a longtemps subsisté une divergence d'interprétation sur la portée de l'article L. 142 A du livre des procédures fiscales (LPF), qui lève le secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur de la République , avec lequel des informations peuvent être échangées indépendamment de l'existence d'une plainte, d'une dénonciation obligatoire ou d'une procédure judiciaire en cours.

Se posait la question de savoir si la levée du secret fiscal bénéficiait également directement aux assistants spécialisés placés auprès des parquets . Après plusieurs échanges entre les administrations centrales, la direction des affaires criminelles et des grâces a publié au mois de juin 2022 une « fiche focus » indiquant que si, aux termes de l'article L. 142 A du LPF, seul le procureur de la République peut solliciter de l'administration fiscale la communication d'informations couvertes par le secret fiscal, rien n'interdit toutefois au procureur de la République de se voir assister, lors de réunions avec l'administration fiscale ou pour l'analyse d'éléments relevant de la levée du secret fiscal, d'un assistant spécialisé agissant au titre de sa mission générale d'assistance du procureur de la République dans l'exercice de l'action publique.

Ce compromis est une bonne chose : sur des affaires aussi complexes, de telles barrières peuvent s'avérer contreproductives et nuire à l'efficacité de la réponse judiciaire aux dossiers de fraude fiscale. Le rapporteur propose donc de porter cette clarification au niveau législatif, afin qu'aucun obstacle ne puisse plus s'élever pour le bon exercice des missions des assistants spécialisés. Toutefois, pour conserver un dispositif ciblé et eu égard à la sensibilité des informations , les assistants spécialisés ne pourraient se voir communiquer ces informations que sur autorisation du procureur de la République et lorsqu'ils l'assistent dans l'exercice de l'action publique.

Recommandation n° 3 ( Parlement ) : pour faciliter le traitement des dossiers complexes de fraude fiscale, clarifier les modalités de levée du secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur de la République prévues à l'article L. 142 A du livre des procédures fiscales en prévoyant, sur autorisation du procureur de la République, que le secret puisse également être levé à l'encontre des assistants spécialisés agissant au titre de leur mission générale d'assistance du procureur de la République dans l'exercice de l'action publique.

c) La coopération interministérielle anti-fraude

En matière de lutte contre la fraude, et hors du cadre des instruments précités qui concernent le traitement des dossiers de fraude fiscale par les autorités judiciaires, il convient aussi de noter que l'administration fiscale et les parquets peuvent être amenés à coopérer plus globalement sur la lutte contre la fraude, à travers notamment les groupes opérationnels antifraude (Gonaf). Ces groupes ont été mis en place sous l'égide de la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf), créée par le Gouvernement au mois de juillet 2020 41 ( * ) après les sévères critiques adressées par la Cour des comptes sur les lacunes en matière de coopération interministérielle dans la lutte contre la fraude aux finances publiques 42 ( * ) .

Au niveau local, parquets et agents des services du contrôle fiscal peuvent échanger dans le cadre des comités opérationnels départementaux antifraude , qui réunissent, sous la co-présidence du préfet de département et du procureur de la République du chef-lieu du département , les services de l'État (police, gendarmerie, administrations préfectorale, fiscale, douanière et du travail) et les organismes locaux de protection sociale. Il y a eu près de 300 Codaf restreints en 2020 et plus de 13 180 échanges de renseignement, pour des redressements à hauteur de 186,2 millions d'euros 43 ( * ) . Chaque Codaf a pour objectif d'organiser au moins 10 opérations par an ciblées sur les fraudes à enjeux : la circulaire du 4 octobre 2021 rappelle ainsi que les Codaf doivent permettre de faire émerger des axes et cibles de contrôle partagés par les services fiscaux, le parquet et les services d'enquête.

3. Réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales compte tenu de la baisse de leur activité

La commission des infractions fiscales (CIF) a été créée en 1977, avec l'objectif de garantir aux contribuables mis en cause pour des faits de fraude fiscale que leur dossier ferait l'objet d'un examen individualisé, par une commission indépendante et impartiale, avant toute transmission au parquet : jusqu'au 1 er janvier 2019 et l'entrée en vigueur de l'assouplissement du « verrou de Bercy », l'administration fiscale ne pouvait porter plainte pour fraude fiscale que sous réserve de l'avis conforme de la CIF .

La CIF, présidée par un conseiller d'État en activité ou honoraire, se compose de huit membres du Conseil d'État, huit magistrats de la Cour des comptes, huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, deux personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale et deux par le président du Sénat, soit 28 membres au total .

Le taux d'avis défavorable demeure plutôt stable et oscille entre 3,5 % et 6,2 %, que ce soit avant ou après l'adoption des dispositions de la loi relative à la lutte contre la fraude. Pour la CIF, ce taux atteste de « la sélectivité opérée par l'administration fiscale dans le choix des affaires auxquelles elle entend réserver une suite pénale » 44 ( * ) , en tenant compte également des précédents de la CIF, qui s'appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel (cf. supra, sur le cumul des sanctions pénales et fiscales ).

Il n'en demeure pas moins que son volume d'activité a fortement diminué avec la réforme du « verrou de Bercy » et la transmission automatique de nombreux dossiers au parquet .

Évolution du nombre de saisines de la CIF depuis 2017

Source : commission des finances, d'après les données publiées par la commission des infractions fiscales

Hors dénonciations obligatoires et plaintes sur présomption de fraude fiscale, la CIF demeure ainsi tributaire des saisines de l'administration fiscale, qui sont en nette diminution depuis 2019. Parmi les dossiers pouvant encore faire l'objet d'une plainte et pour lesquels la réserve constitutionnelle tenant à la gravité de la fraude s'applique, figurent :

- les contrôles dont les droits sont supérieurs à 100 000 euros avec application de majorations de 40 % mais dans lesquels le contribuable n'a pas d'antécédents au sens du dispositif de dénonciations obligatoires ;

- les contrôles dont les droits sont supérieurs à 100 000 euros pour lesquels des majorations au taux de 10 % ont été appliquées ;

- à l'inverse, des contrôles dont les droits sont inférieurs à 100 000 euros mais pour lesquels de fortes majorations ont été appliquées, dans un contexte frauduleux ;

- les fraudes au recouvrement et l'organisation d'insolvabilité.

En revanche, si le nombre de dossiers a chuté après l'adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude et la réforme du « verrou de Bercy », la moyenne des montants fraudés est, elle, demeurée relativement stable, autour de 292 000 euros .

La commission apparaît donc désormais surdimensionnée par rapport au volume des affaires qu'elle doit traiter , et ce en dépit de l'extension de son champ de saisine , pour avis conforme, à la publication des sanctions contre les plateformes non-coopératives 45 ( * ) et à la publication des sanctions administratives pécuniaires à l'encontre des personnes morales 46 ( * ) .

En effet, la baisse des saisines à la suite de la réforme du « verrou de Bercy » est loin d'avoir été compensée par ces deux nouvelles missions, pour lesquelles la CIF n'a encore jamais été saisie . Par conséquent, la CIF a tenu 25 séances en 2021, contre 34 en 2020, 53 en 2019 et de l'ordre de 60 à 70 les années précédentes. De même, elle a réduit son stock de dossiers à 91 en fin d'année 2021, contre 329 à la fin de l'année 2018.

Pour tenir compte de l'impact de la réforme du « verrou de Bercy » sur l'activité de la CIF, il paraît judicieux d'en réduire la taille, en la réduisant à 16 membres, au lieu de 28 actuellement . Ainsi, le nombre de membres du Conseil d'État, de magistrats de la Cour des comptes et de magistrats honoraires à la Cour de cassation serait divisé par deux, passant de huit à quatre pour chacun . Cette nouvelle composition serait équilibrée et suffisante par rapport au volume d'activités de la commission.

Recommandation n° 4 (Parlement) : pour tenir compte de la baisse de son activité à la suite de la réforme du « verrou de Bercy », réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales de 28 à 16.

4. Soutenir le déploiement des conventions judiciaires d'intérêt public et de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Très peu de dossiers transmis depuis 2019 ont fait l'objet d'une condamnation au terme d'une procédure judiciaire ordinaire, la quasi-totalité étant encore en cours de traitement.

Nombre de condamnations pour fraude fiscale
et délais moyens de traitement

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction des affaires criminelles et des grâces au questionnaire du rapporteur

Dans un contexte de saturation de la justice, le recours aux conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) et aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) apparaît nécessaire et gage d'efficacité .

Ces instruments dits de « justice négociée » répondent à deux problématiques fréquemment évoquées : celui de la complexité des dossiers et du droit applicable - l'État n'étant pas certain à l'issue de la procédure ordinaire que le juge suive les conclusions de l'administration fiscale - et les délais de traitement , y compris pour des dossiers plus simples. CJIP et CRPC sont susceptibles de répondre à chacune de ces problématiques.

a) Une extension saluée des CJIP et des CRPC à la fraude fiscale, à l'initiative du Sénat
(1) Les CJIP, réservées aux dossiers les plus complexes

À l'initiative du Sénat, l'article 25 de la loi relative à la lutte contre la fraude a autorisé la conclusion d'une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) en matière de fraude fiscale , comme c'était déjà le cas pour les délits de blanchiment depuis la loi dite « Sapin 2 ».

Cette procédure permet de régler un litige par le biais d'une transaction entre le procureur de la République et la personne morale mise en cause , homologuée par un juge. Contrairement aux CRPC, elle n'est pas ouverte aux personnes physiques . Elle implique, d'une part, le versement au Trésor public d'une amende d'intérêt public , dont le montant doit être proportionné aux avantages tirés des manquements constatés, et, d'autre part, la mise en oeuvre d'un plan de mise en conformité sous l'égide de l'Agence française anticorruption.

Si la personne morale mise en cause accepte la CJIP, celle-ci doit être validée dans le cadre de la saisine par le Procureur du Président du tribunal judiciaire. Ce dernier évalue en audience publique le bien-fondé du recours à la CJIP, qui a pour effet d' éteindre l'action publique . Si elle n'implique pas de reconnaissance de culpabilité, à la différence de la CRPC, la conclusion d'une CJIP est toujours rendue publique , avec un exposé des faits reprochés à la personne mise en cause et l'indication du montant de l'amende versée.

Sept CJIP ont été conclues depuis 2019 : trois en matière de fraude fiscale, deux en matière de complicité de fraude fiscale et deux en matière de blanchiment de fraude fiscale 47 ( * ) . Le montant total des amendes d'intérêt public prononcé s'élève à 1,08 milliard d'euros, porté à 2,3 milliards d'euros en ajoutant les pénalités fiscales .

Montant des amendes d'intérêt public versées au titre
des CJIP conclues en matière de fraude fiscale depuis 2019

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données transmises par la direction des affaires criminelles et des grâces en réponse au questionnaire du rapporteur

Du fait des caractéristiques inhérentes à la CJIP, qui suppose une phase de négociation et la détermination d'une amende transactionnelle adaptée, ainsi qu'une articulation parfaite avec l'administration fiscale, le recours à la CJIP doit être, aux termes de la circulaire du 4 octobre 2021 précitée, « envisagé en priorité dans des dossiers à fort enjeu financier ».

Le PNF est l'acteur référent pour les CJIP , en raison de sa compétence nationale sur ces dossiers 48 ( * ) et de son expérience dans la conclusion des CJIP - neuf sur les 14 conclues en France depuis 2017. Il est intervenu dans celles de Google (1 milliard d'euros en incluant les pénalités fiscales) et de McDonald's (1,2 milliard d'euros en incluant les pénalités fiscales). Les parquets qui envisagent de recourir à une CJIP sont ainsi invités à se rapprocher du PNF pour qu'il exerce sa compétence ou qu'il leur apporte un soutien technique.

Le délai de traitement des affaires de fraude fiscale en CJIP a eu tendance à s'allonger depuis 2019 , passant de 1 213 jours (trois ans en moyenne) à 3 359 jours en 2021, soit plus de neuf ans. Selon les informations transmises au rapporteur, cet allongement découle de l'ampleur des investigations qui doivent être menées pour caractériser des faits de fraude fiscale ou de blanchiment de fraude fiscale dans des affaires sans cesse plus complexes . Surtout, le délai ne correspond pas au délai de traitement de la CJIP en elle-même mais de l'affaire, le choix de conclure une CJIP étant généralement décidé en cours de procédure. Les parquets ont en effet été appelés à être attentifs au recours à la CJIP pour les dossiers de présomptions caractérisés de fraude fiscale : il est préférable dans ce cas que la conclusion de la convention, si elle doit avoir lieu, n'intervienne qu'à l'issue des investigations judiciaires ayant permis d'asseoir clairement les manquements reprochés et de chiffrer précisément l'avantage tiré de l'infraction.

À titre d'exemple, il s'est écoulé quatre ans et trois mois entre la plainte de la DGFiP déposée le 10 juin 2015 à l'encontre de Google et la validation de la CJIP le 12 septembre 2019. Pour l'affaire McDonald's, plusieurs plaintes ont été déposées aux mois de mai et d'octobre 2014 puis au mois de décembre 2015. Une enquête a été ouverte le 4 janvier 2016 et la CJIP validée le 16 juin 2022, soit après six ans et six mois d'enquête.

De fait, et contrairement à ce qui pourra être dit de la CRPC, l'intérêt de la CJIP ne réside pas dans le raccourcissement des délais de traitement mais dans la réponse apportée aux dossiers de fraude très complexe , pour lesquels les contentieux auraient pu durer plus de dix ans, sans certitude pour l'État de recouvrer les sommes en jeu et d'obtenir le versement de pénalités. Il importe que le recours à la CJIP ne puisse en aucun cas être automatique : les investigations sont incontournables pour établir clairement les faits ainsi que le préjudice subi par l'État et par la société . Les éléments contenus dans les circulaires transmises au parquet semblent de ce point de vue aller dans le bon sens.

(2) Les CRPC, un recours de plus en plus fréquent dans les dossiers de fraude fiscale

L'article 24 de la loi relative à la lutte contre la fraude a ouvert la possibilité pour le procureur de la République de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en matière de fraude fiscale (CRPC ou « plaider-coupable ») pour les affaires de fraude fiscale .

Introduit en 2004 (loi « Perben II » 49 ( * ) ) et depuis codifié aux articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale, le « plaider-coupable » est applicable à une personne physique ou morale qui reconnaît avoir commis un délit. Il permet une réponse pénale beaucoup plus rapide pour les infractions reconnues par leur auteur : le procureur fait une proposition de peine(s) et, si la personne poursuivie l'accepte, une phase d'homologation s'ouvre alors auprès du président du tribunal judiciaire, sans que la personne ne soit jugée en audience correctionnelle. L'homologation est décidée en audience publique par ordonnance motivée, laquelle doit constater la reconnaissance des faits, leurs qualifications juridiques ainsi que la proportionnalité des peines. L'ordonnance est susceptible d'appel dans les 10 jours suivants son homologation. Le dossier peut ainsi être clos en quelques mois sans effacer la culpabilité de l'auteur.

Les CRPC permettent de traiter plus rapidement les dossiers les plus « simples » de fraude fiscale . Pour citer les magistrats des sections F2 et J2 du Tribunal de Paris lors du déplacement de la mission d'information, « la CRPC est une procédure très adaptée au contentieux et au profil des fraudeurs fiscaux » . Pour ces sections, 47 CRPC ont été homologuées entre 2019 et le 15 juin 2022, même si seule une minorité concernait des dénonciations obligatoires : 19 % en 2019 et 4 % en 2020.

Comparaison des délais de traitement
des affaires de fraude fiscale pour lesquelles
l'administration fiscale s'est portée civile en 2019 et 2020

(en mois)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

La circulaire du 4 octobre 2021 incite les parquets à user de la procédure de CRPC d'une manière « aussi large que possible » et ce « tant dans les cas de fraude des personnes physiques que morales, et ce, quels que soient les montants fraudés » . La procédure de CRPC en matière de fraude fiscale a connu une forte montée en puissance depuis 2019 et les instructions contenues dans la circulaire témoigne de la volonté de l'étendre au-delà des cas de fraude les plus simples ou mineurs.

En 2021, 120 prévenus ont été condamnés en CRPC pour des faits de fraude fiscale - soit 16 % des condamnations - alors que seulement 26 prévenus (4 %) étaient concernés en 2019. Le nombre de CRPC 50 ( * ) a quasiment été multiplié par plus de quatre en trois ans , passant de 23 en 2019 à 60 en 2020 puis 111 en 2021. L'évolution du montant moyen et médian des amendes prononcées confirment également le choix de recourir plus largement à cette procédure.

Montant moyen et médian des amendes fermes
prononcées dans le cadre d'une procédure
de CRPC pour des faits de fraude fiscale 51 ( * )

(en euros)

Source : commission des finances d'après les données transmises par la direction des affaires criminelles et des grâces en réponse au questionnaire du rapporteur

La procédure de CRPC, promue comme un instrument de politique pénale à part entière pour le traitement des dossiers de fraude fiscale, a démontré son utilité pour les parquets. Selon les données portées à la connaissance du rapporteur, une seule procédure de CRPC n'aurait pas été homologuée 52 ( * ) . Elle ne portait d'ailleurs pas à strictement parler sur des faits de fraude fiscale mais de blanchiment de fraude fiscale, qui impliquaient un élu ; le juge ayant alors estimé que ces faits devaient donner lieu à un débat public en audience correctionnelle.

Ainsi, si la procédure avait été initialement créée pour les affaires simples et en état d'être jugées, ne nécessitant pas d'investigations complexes sur la personnalité de l'auteur, de préférence sans partie civile, avec un auteur unique, dont la sanction était relativement prévisible et qui ne justifiait pas d'audience devant le tribunal correctionnel 53 ( * ) , elle a progressivement été étendue aux affaires plus complexes, avec une pluralité de mis en cause et de victimes , et jusqu'aux affaires de fraude fiscale par la loi du 23 octobre 2018.

b) Des instruments de justice négociée au service de la répression de la fraude fiscale

L'idée selon laquelle le recours aux CJIP et aux CRPC constituerait un dessaisissement par la justice de son rôle doit être écartée : les dossiers traités par CJIP ou CRPC constituent bien une réponse judiciaire à des faits de fraude.

Certes, il n'y a pas de reconnaissance de culpabilité de la part de la personne morale mise en cause dans le cas d'une CJIP et pas d'audience correctionnelle dans le cas d'une CRPC, mais, in fine , c'est bien un comportement de fraude fiscale qui est pénalement sanctionné.

En CRPC, l ' absence d'audience ne veut pas dire que la procédure pénale n'a pas abouti . Au contraire, « l'acceptation des faits et la rapidité avec laquelle la sanction est infligée sont synonymes d'efficacité et d'exemplarité de celle-ci » 54 ( * ) .

Dans les dossiers traités par recours à la CJIP, le montant de l'amende transactionnelle est déterminé de façon à approcher le plus possible la perte encourue par le Trésor public et les pénalités . Certes, rien ne dit que le montant obtenu n'aurait pas pu être plus élevé en allant au bout de la procédure judiciaire ordinaire - c'est ainsi que sont souvent cités en exemple les quasiment deux milliards d'euros réclamés par l'administration fiscale à Google - mais rien ne garantit non plus, au regard de la complexité des règles fiscales et de la préparation des entreprises- que l'administration fiscale obtienne gain de cause auprès du juge - là encore l'exemple de Google peut être mentionné. Cette entreprise avait finalement conclu une CJIP d'un montant de 500 millions d'euros et transigé avec l'administration fiscale pour 500 millions d'euros également.

Bilan : dans un contexte de saturation de la justice, soutenir la pleine appropriation et le déploiement des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) et des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) dans le traitement des dossiers de fraude fiscale.

5. Maintenir le rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale

À l'initiative du Sénat, l'article 35 de la loi relative à la lutte contre la fraude a également rétabli la faculté transactionnelle de l'administration fiscale en cas de poursuites pénales . Ce retour au droit applicable avant 2013 visait à garantir un recouvrement rapide et effectif des impositions , en suivant la même évolution que celle proposée en termes de poursuites judiciaires avec la CRPC et la CJIP, parallèlement à la réforme du « verrou de Bercy ».

La transaction ne peut en aucun cas porter sur le montant des droits éludés, qui restent dus en tout état de cause, et se limite à une atténuation des pénalités . Si elle met fin à tout recours contentieux en matière fiscale, elle n'est en aucun cas exclusive des poursuites pénales : l'exemplarité qui s'attache aux amendes et peines de prison pour fraude fiscale est donc préservée.

Afin de garantir la transparence de la pratique transactionnelle de l'administration fiscale, le Gouvernement est tenu de publier, chaque année, un rapport sur le sujet . La loi relative à la lutte contre la fraude a renforcé son contenu en prévoyant qu'il mentionne le nombre, le montant total, le montant médian et le montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques. Ces informations sont chaque année transmises au Parlement et correctement documentées.

Lors de son audition, le directeur des affaires criminelles et des grâces a confirmé que le rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale ne nuisait pas au travail de la justice, la transaction n'éteignant pas l'action publique . Au contraire, parquets et administration fiscale peuvent s'entraider et s'appuyer sur l'action de chacun, en particulier pour mesurer le préjudice subi. Ainsi, dans l'affaire Google, c'est bien l'exercice de l'action publique et le recours à la CJIP qui avait ensuite poussé la société à transiger avec l'administration fiscale, à hauteur de 500 millions d'euros.

L' action fiscale et l'action pénale poursuivent bien deux objectifs différents . La transaction fiscale répare un tort subi par le Trésor public, l'action publique répond au préjudice subi par la société. Les données disponibles montrent ainsi que le fait que l'administration fiscale ait déjà conclu une transaction avec la personne mise en cause n'apparaît pas comme un motif prioritaire de classement des dossiers par le parquet. Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, le motif « transaction » n'a été visé qu'au soutien de 0 à 3 classements annuels depuis 2019.

Bilan : conserver le rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale, même en cas de poursuites pénales.

B. ÊTRE EN CAPACITÉ DE DISPOSER D'ENQUÊTEURS SUFFISAMMENT NOMBREUX ET SPÉCIALISÉS DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE : L'EXEMPLE DU SERVICE D'ENQUÊTE JUDICIAIRE DES FINANCES

1. Reconnaître un service plébiscité par les magistrats

Mis en place depuis le 1 er juillet 2019 55 ( * ) et issu de la transformation du service national de douane judiciaire (SNDJ), le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF) regroupe, sous la direction d'un magistrat de l'ordre judiciaire, les officiers des douanes judiciaires (ODJ) et des officiers fiscaux judiciaires (OFJ) . Au 31 mai 2022, sur un total de 314 agents, le SEJF comptait 43 agents de la DGFiP, dont 40 disposant de la qualification d'OFJ et 34 d'entre eux étant enquêteurs .

Lors de l'examen du projet de loi relative à la lutte contre la fraude, la création de cette nouvelle « police fiscale » a suscité des réticences, avec notamment la crainte d'une « guerre des polices » avec la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). En pratique, le nombre excessivement important de dossiers à traiter par ces services a laissé de la place à chaque service et le SEJF a finalement réussi à démontrer sa pertinence, sans qu'il y ait apparemment eu de conflits de compétences.

Il revient par ailleurs aux parquets de faire le choix de saisir l'un ou l'autre de ces services, le SEJF présentant l'avantage de s'appuyer sur des enquêteurs qui sont de véritables spécialistes de la matière fiscale, en acquérant par ailleurs des compétences d'enquête supplémentaires . La BNRDF peut davantage traiter des affaires de délinquance dans lequel l'enjeu financier est connexe, par exemple dans le cadre d'un trafic de stupéfiants ou de proxénétisme.

Les magistrats rencontrés au cours des travaux de la mission d'information ont tous souligné la grande expertise des officiers fiscaux judiciaires du SEJF ainsi que la qualité de leurs enquêtes, sans remettre en cause par ailleurs l'utilité de la BNRDF . Le constat est partagé tant parmi les juridictions spécialisées que parmi les juridictions de droit commun, à Paris comme en province.

Le PNF s'appuie désormais prioritairement sur le SEJF. Ainsi, sur les 95 enquêtes préliminaires ouvertes par le PNF à la suite de dossiers transmis par l'administration fiscale depuis 2019, 9 enquêtes ont été confiées à la BNRDF, 20 sont traitées directement par le PNF et 66 ont été confiées au SEJF .

De fait, avec une quarantaine d'OFJ, le SEJF s'est rapidement retrouvé à devoir faire face à un grand nombre de dossiers : il a été saisi de 169 affaires de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale entre le 1 er juillet 2019 et le 31 mai 2022, dont 148 sont encore en cours . Le SEJF est par ailleurs particulièrement sollicité sur les dossiers de plaintes pour présomption de fraude fiscale de la DGFiP ; environ 80 % lui sont renvoyées pour enquête.

Répartition des dossiers en cours du SEJF

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction des affaires criminelles et des grâces au questionnaire du rapporteur

Surtout, le rythme des saisines augmente lui aussi : son nombre a augmenté de 43 % entre 2020 et 2021 et de 25 % entre les mois de mai 2021 et 2022.

Les origines des saisines démontrent également que le SEJF est surtout saisi des dossiers les plus complexes et les plus graves, relevant de la compétence des parquets instructeurs. Près de la moitié d'entre eux concerne des avoirs étrangers ou l'interposition d'une société à l'étranger et près de 20 % a trait à des problématiques de domiciliation et d'autres manoeuvres, dont surtout l'organisation d'insolvabilité. Le montant moyen des droits sur ces dossiers s'élève à 700 000 euros, sans les pénalités et amendes diverses .

Origine des saisines du SEJF en matière fiscale

(dossiers en cours et rendus)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction des affaires criminelles et des grâces au questionnaire du rapporteur

Face à cette situation, le SEJF apparaît sous-dimensionné pour traiter dans des délais raisonnables l'ensemble des dossiers qui lui sont transmis et/ou pour lesquels les juridictions souhaiteraient le saisir.

2. Renforcer les effectifs d'officiers fiscaux judiciaires et étendre leur champ de compétence
a) Doubler le nombre d'officiers fiscaux judiciaires d'ici cinq ans

Les personnes entendues par la mission d'information sont unanimes sur le fait que le SEJF fonctionne très bien mais qu'il manque d'effectifs, et notamment d'officiers fiscaux judiciaires des finances, et que le nombre de dossiers est trop élevé par enquêteur 56 ( * ) . Pour le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG), la préservation et l'accroissement des capacités d'enquête du SEJF constituent même un « enjeu majeur ».

Ils sont d'autant plus essentiels que le SEJF est saisi sur des fraudes graves et impliquant parfois des schémas de fraude internationale, ce qui suppose un temps d'enquête et de traitement extrêmement long, au gré du bon vouloir des administrations fiscales et des autorités judiciaires étrangères. En ne retenant que les plaintes pour présomption de fraude fiscale transmise par la DGFiP aux parquets entre 2019 et 2022 57 ( * ) , 116 sur 127 ont conduit à une saisine du SEJF, mais 14 seulement ont été clôturées et retournées au magistrat mandant . La durée moyenne des enquêtes s'établit à deux ans et l'objectif du SEJF est de parvenir à rendre 45 dossiers aux magistrats en 2022.

Les résultats financiers sont toutefois croissants, notamment pour les saisies opérées à but confiscatoire , dans les dossiers de présomptions de fraude fiscale. Au 31 mai 2022, le montant total des saisies - supérieur à 10,3 millions d'euros - avait déjà dépassé le montant des saisies réalisées en 2021 - de 6,7 millions d'euros. Quant au montant du préjudice identifié pour le Trésor public , il s'est élevé à 6,3 millions d'euros en 2021.

Au regard des résultats du SEJF, des avis unanimes sur son apport dans la lutte contre la fraude fiscale complexe et du nombre de dossiers qu'il doit traiter, le nombre d'officiers fiscaux judiciaires apparait insuffisant . Cette problématique se pose avec d'autant plus d'acuité que la durée des enquêtes préliminaires a été réduite à deux ans 58 ( * ) , prolongeable d'une année sur autorisation du procureur de la République : les magistrats s'attendent à ce que cette disposition ait une « répercussion encore plus contraignante pour les services d'enquête [...] qui devront à l'avenir soutenir un rythme d'activité inconnu à ce jour et incompatible avec l'état actuel de leurs effectifs » 59 ( * ) .

Le rapporteur propose de doubler le nombre d'officiers fiscaux judiciaires à horizon cinq ans . La sélectivité est très forte pour entrer au SEJF : les OFJ sont recrutés parmi les personnels de la DGFiP disposant déjà d'une expérience de plusieurs années dans un service spécialisé de l'administration fiscale. Il faut donc que la DGFiP soit en mesure de les remplacer et que l'ensemble de ces personnels, futurs OFJ comme leurs remplaçants, soient formés.

Recommandation n° 5 ( Parlement, DGFiP ) : pour renforcer les moyens du service d'enquête judiciaire des finances et sa capacité à traiter les dossiers pour lesquels il a été saisi par les juridictions, augmenter, par redéploiement, le nombre d'officiers fiscaux judiciaires, d'une quarantaine actuellement, jusqu'à les doubler à horizon cinq ans.

Si la recommandation porte ici exclusivement sur le SEJF, particulièrement impliqué dans la lutte contre la fraude fiscale, le constat selon lequel les autorités judiciaires et les services d'enquête devraient disposer de davantage de personnels formés sur la matière économique et financière s'applique à l'ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre la fraude fiscale, la BNRDF étant par exemple elle aussi saturée par les dossiers transmis pour enquête. Il faut par exemple parvenir à repérer les profils « fiscaux » dès la formation initiale et les débuts de carrière, afin de ne pas perdre ces compétences.

b) Étendre le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA

En l'état du droit, seuls les officiers douaniers judiciaires (ODJ) peuvent être saisis d'affaires concernant des escroqueries à la TVA.

Or la gestion du recouvrement de la TVA a été en quasi-totalité transférée de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) à la DGFiP. Il est dès lors dommageable de se priver de l'expertise des agents issus de la DGFiP pour suivre ces affaires.

De plus, les parquets se tournent régulièrement vers le SEJF pour demander à ce que les officiers fiscaux judiciaires (OFJ) traitent de ces dossiers, qui nécessitent l'intervention du service d'enquête spécialisé pour pouvoir être approfondis. Le SEJF ne peut cependant pas les accepter puisque seuls les ODJ peuvent se voir confier ces affaires, conformément au champ d'intervention des ODJ et des OFJ précisément défini dans le code de procédure pénale.

Il paraitrait donc utile d'étendre le champ de compétences des OFJ aux escroqueries à la TVA, comme le plaidait d'ailleurs le directeur du SEJF lors de son audition devant la mission d'information. Cette extension irait de pair avec le renforcement des effectifs du SEJF ces prochaines années.

Recommandation n° 6 ( Parlement ) : étendre le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA.

II. POURSUIVRE ET AMPLIFIER LES EFFORTS DÉPLOYÉS POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE À LA TVA AU NIVEAU NATIONAL COMME EUROPÉEN

A. UNE FRAUDE QUI DEMEURE DYNAMIQUE, MALGRÉ LES MESURES INTRODUITES PAR LE LEGISLATEUR CES DERNIÈRES ANNÉES

1. Une fraude dynamique, favorisée par la persistance de schémas de fraudes complexes et l'émergence du e-commerce

Les montants recouvrés au titre du contrôle fiscal sur la TVA s'élevaient à 904 millions d'euros en 2021, contre 829 millions d'euros en 2020, et 1,28 milliard d'euros en 2019 .

Part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal

(montants encaissés, en millions d'euros)

Sources : commission des finances, d'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Ces résultats apparaissent relativement modestes au regard des estimations de la fraude à la TVA qui, selon une estimation réalisée par l'Insee, serait comprise entre 20 et 25 milliards d'euros par an.

Le montant de la fraude à la TVA peut également être estimé selon l'indicateur d'écart de TVA de la Commission européenne, qui désigne la différence entre les recettes prévisionnelles et les recettes effectivement constatées. Cette « évaporation » de la TVA n'est qu'en partie liée à la fraude fiscale puisqu'elle désigne également les difficultés de gestion fiscale, la mauvaise application du taux de TVA, les éventuelles erreurs des assujettis dans leurs déclarations, ou les difficultés économiques rencontrée par les entreprises.

Ainsi, l'écart de TVA serait de - 7,4 % en France, ce qui la placerait en 10 e position dans l'Union européenne .

Écart de TVA des pays de l'Union européenne

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les données de la commission européenne

Les difficultés spécifiques à cet impôt en matière de recouvrement résident tout d'abord dans le fait que la fraude à la TVA repose souvent sur des schémas de fraude complexes et difficiles à détecter . C'est notamment le cas de la fraude « carrousel », qui consiste à créer des droits fictifs au remboursement de la TVA, par l'émission de fausses factures émises par des sociétés dites « éphémères », permettant à leurs clients de déduire la TVA sans la reverser à l'administration fiscale. Ce schéma de fraude est particulièrement difficile à contrôler, du fait de la disparition quasi-immédiate de la société fictive impliquée dans la fraude une fois que celle-ci a été commise, nécessitant de fait une intervention rapide de l'administration fiscale pour la sanctionner. En 2019, un consortium de médias européens avait estimé que la fraude « carrousel » coûtait chaque année 50 milliards d'euros à l'Union européenne 60 ( * ) .

Le « carrousel » : une fraude en 3 étapes

Étape 1 : la société fournisseur , située dans un autre État membre, vend une marchandise hors taxe (les livraisons intercommunautaire sont exonérées) à une société fictive et/ou éphémère « taxi » en France ;

Étape 2 : la société « taxi », en France, est fiscalement défaillante et ne dispose d'aucun moyen matériel ou humain. Elle est simplement chargée de créer, facture par facture, une créance sur le Trésor, qui représente la TVA soi-disant facturée, mais jamais reversée au Trésor ;

Étape 3 : l'entreprise déductrice, installée en France et « en bout de chaîne » finalise le schéma. Elle peut demander le remboursement de la TVA déductible à partir des (fausses) factures émises par la société « taxi », et/ou bénéficier d'une rétention abusive de TVA (la société « taxi » a refacturé le produit à un coût inférieur au prix d'achat tel qu'inscrit sur les factures du fournisseur). Il est par ailleurs possible que la marchandise revienne à son point de départ, à un prix inférieur ( d'où le nom de carrousel ).

Le bénéfice de cette fraude à la TVA est partagé entre tous les intervenants . Dans les faits, de nombreuses autres entreprises peuvent s'insérer dans ce schéma frauduleux.

Source : commission des finances, d'après les éléments de la DGFiP

L'essor du commerce électronique sur les plateformes numériques a également constitué un facteur important du dynamisme de la fraude à la TVA. Ce phénomène a été mis en évidence en 2019 par un rapport de l'Inspection générale des finances portant sur la sécurisation du recouvrement de la TVA, qui soulignait que près de 98 % des sociétés étrangères opérant sur les plateformes en ligne n'étaient pas immatriculées à la TVA 61 ( * ) . La Commission européenne évaluerait ainsi à 5 milliards d'euros par an les pertes enregistrées sur les livraisons de biens de faible valeur en provenance de pays tiers.

Cette situation est d'autant plus préoccupante en France, où le secteur de l'e-commerce est particulièrement développé, et toujours en pleine expansion. Ainsi, en 2021, la vente en ligne de produits et services a dépassé 129 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France, soit une augmentation de 15,1 % par rapport à 2020 62 ( * ) .

La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a introduit plusieurs mécanismes visant à enrayer la fraude sur les plateformes en ligne grâce par exemple à la responsabilisation des plateformes dans la collecte de la TVA. Elle a ainsi proposé de premières avancées, notamment à l'initiative du Sénat et de sa commission des finances, complétée par la transposition du paquet TVA « e-commerce ».

2. Les avancées introduites par la loi relative à la lutte contre la fraude et la transposition du paquet TVA « e-commerce »
a) Le principe de responsabilité solidaire des plateformes : un outil particulièrement dissuasif contre la fraude à la TVA en ligne

L'article 11 de la loi relative à la lutte contre la fraude a introduit un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires qui y exercent leur activité . La création de ce dispositif, initialement issu des travaux du Sénat, a vocation à constituer une réponse au phénomène de fraude massive sur les plateformes numériques, en reportant sur ces dernières la responsabilité du paiement de la TVA lorsque les vendeurs opérant par leur intermédiaire ne se plient pas à leurs obligations de déclaration et de paiement de la TVA auprès de l'administration fiscale.

L'engagement de la responsabilité solidaire
de la plateforme : une procédure en trois étapes

1/ lorsqu'il existe des présomptions quant au fait qu'une personne qui exerce son activité par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations de déclaration et/ou de paiement de la TVA, l'administration fiscale peut tout d'abord signaler cette personne à l'opérateur de la plateforme en ligne afin que cette dernière prenne les mesures nécessaires pour inciter l'utilisateur à régulariser sa situation. Ces mesures doivent être notifiées à l'administration ;

2/ ensuite, si les présomptions persistent après un délai d'un mois à compter de la notification ou du premier signalement, l'administration fiscale peut mettre en demeure la plateforme en ligne de prendre ces mesures et, à défaut, d'exclure la personne . La plateforme doit là-encore notifier à l'administration les mesures prises ;

3/ enfin, en l'absence de mise en oeuvre de ces mesures par la plateforme et après un délai d'un mois à compter de la notification ou de la mise en demeure, la TVA est solidairement due par l'opérateur de la plateforme en ligne . Cette mesure s'applique aux plateformes en ligne recevant plus de cinq millions de visiteurs uniques par mois.

Source : commission des finances

Il convient toutefois de souligner que le mécanisme de responsabilité solidaire des plateformes n'a à ce jour jamais été appliqué. En effet, d'après la DGFiP, la perspective de voir leur responsabilité pour paiement des créances de TVA engagée a conduit les plateformes à déréférencer systématiquement les opérateurs frauduleux. Ainsi, au titre des 109 signalements de 2021 63 ( * ) :

- 49 procédures ont été clôturées par un déréférencement des opérateurs, parfois avant l'envoi d'un courrier de mise en demeure par l'administration ;

- 5 vendeurs se sont mis en conformité, en déclarant la TVA relative aux insuffisances constatées ;

- 55 procédures étaient toujours en cours ou ont été interrompues 64 ( * ) .

Le dispositif a donc davantage agi comme un outil dissuasif que comme une arme répressive permettant de recouvrer les montants fraudés.

Cette logique de dissuasion se retrouve également en ce qui concerne l'application du dispositif complémentaire introduit par l'article 149 de la loi de finances initiale pour 2020 65 ( * ) , qui a prévu la publication d'une « liste noire » des plateformes non coopératives , censée recenser celles d'entre elles qui auraient fait l'objet d'au moins deux mesures de mise en recouvrement d'amendes ou de paiement solidaire de la TVA. Cet outil n'a, lui non plus, jamais été appliqué .

L'introduction de ce principe de responsabilité solidaire des plateformes aurait ainsi conduit à un vaste mouvement d'immatriculation de sociétés établies hors de l'Union européenne, a fortiori en ce qui concerne les plus gros opérateurs. Ainsi , près de 87 % des vendeurs établis hors de l'UE dont le chiffre d'affaires brut cumulé déclaré sur ces plateformes dépassait un million d'euros étaient immatriculés à la TVA en 2020 . Il est en effet probable que les principales plateformes aient défini l'immatriculation à la TVA comme une condition pour référencer ces vendeurs étrangers.

Ce mécanisme de responsabilité solidaire a par ailleurs été complété pour certaines opérations, dans le cadre de la transposition du paquet TVA e-commerce par la loi de finances pour 2020, par un principe de redevabilité des plateformes , qui doivent désormais reverser, dans certains cas clairement identifiés, directement à l'administration fiscale la TVA due dans le cadre des opérations qu'elles facilitent.

Le principe de redevabilité des plateformes pour certaines opérations

Conformément au paquet TVA « e-commerce », l'article 147 de la loi de finances initiale pour 2020 a rendu les plateformes redevables de la TVA pour certaines opérations :

- soit lorsqu'elles facilitent par l'utilisation d'une interface électronique telle qu'une place de marché, une plateforme, un portail ou un dispositif similaire, les ventes à distance de biens importés depuis un pays ou territoires tiers (dans la limite de 150 euros) ;

- soit lorsqu'elles facilitent la livraison d'un bien au sein de l'Union européenne par un assujetti non établi au sein de l'Union européenne et qui est dès lors réputé avoir reçu et livré ces biens lui-même, ce qui revient à estimer qu'il est redevable de la TVA.

L'article 147 de la loi de finances initiale pour 2020 est même allé au-delà de ce que prévoyait le paquet TVA en prévoyant que les plateformes sont également rendues redevables de la TVA à l'importation (TVA-I) pour les biens de plus de 150 euros lorsque le lieu d'imposition à la TVA est situé en France.

En dehors de ce cas, et lorsque les biens importés ont une valeur supérieure à 150 euros, le redevable de la TVA-I demeure le destinataire réel des biens sur la déclaration d'importation, avec une responsabilité solidaire du déclarant en douane.

En d'autres termes, le dispositif prévoit qu'une plateforme qui facilite les importations de biens d'une valeur de plus de 150 euros à destination de la France sera redevable de la TVA à l'importation auprès de la douane française. Le destinataire restera solidairement tenu du paiement de la taxe.

En revanche, si la destination finale du bien est située dans un autre État membre, par exemple en Allemagne, et que l'importation se fait en France, la droit de l'Union européenne ne permet pas de désigner la plateforme comme redevable de la TVA à l'importation pour les biens de plus de 150 euros.

Si la plateforme a recours au guichet unique à l'importation (IOSS) pour déclarer et payer la vente à distance de biens importés de moins de 150 euros, la TVA due à l'importation sera exonérée pour éviter la double taxation. Si la plateforme n'a pas recours à ce guichet, elle pourra, lorsqu'elle fait sa déclaration de chiffres d'affaires pour les ventes à distance de bien importés de moins de 150 euros, déduire la TVA à l'importation due sur ces biens. Cela revient à inciter les plateformes à avoir recours à l'IOSS.

Source : rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019

b) Le renforcement des obligations déclaratives des plateformes : un outil de contrôle précieux

L'article 10 de la loi relative à la lutte contre la fraude vise à renforcer les obligations déclaratives des plateformes en ligne, de manière à permettre à l'administration de disposer de davantage d'informations pertinentes pour cibler ses contrôles .

Cette obligation de transmission des informations par les plateformes a été assortie d'une obligation de conservation de ces données pour une durée de 10 ans . L'article 147 de la loi de finances initiale pour 2020 prévoit, dans le cadre de la transposition du paquet TVA « e-commerce », une obligation pour les plateformes en ligne de conserver durant cette période un registre de leurs opérations auquel l'administration fiscale peut accéder pour contrôler les fraudes potentielles.

Les obligations introduites par l'article 10 de la loi relative à la lutte contre la fraude impliquent que les plateformes sont contraintes :

- d'informer les utilisateurs de leurs obligations fiscales ;

- de leur transmettre un récapitulatif annuel de leurs opérations à déclarer au titre de leur imposition ;

- et d'envoyer ces mêmes informations à l'administration fiscale.

Lorsqu'une plateforme ne remplit pas d'elle-même ses obligations déclaratives, elle fait l'objet de relances de la part de l'administration fiscale, et peuvent se voir infliger une amende si l'absence de déclaration persiste.

D'après l'administration fiscale, les informations recueillies dans le cadre de ce dispositif sont particulièrement appréciées des services de la DGFiP , dans la mesure où les données relatives aux chiffres d'affaires déclarés par les entreprises, ainsi que celles concernant les revenus déclarés par les personnes physiques, peuvent être croisées avec les informations issues des référentiels de la DGFiP, dans le but de réaliser un meilleur ciblage des contrôles.

Comment l'administration fiscale exploite-t-elle
les informations transmises par les plateformes ?

Lorsque l'administration reçoit les données de la part des plateformes, elle a recours à l'intelligence artificielle et la méthode du fuzzy matching pour croiser ces éléments avec leurs bases de données internes. Le fuzzy matching , ou « rapprochement flou » est une méthode consistant à croiser, par le recours à des outils informatiques, plusieurs bases de données, de manière à détecter des similarités entre celles-ci. Grâce à cet outil, la DGFiP peut ainsi se fonder sur des critères de risques objectifs, pour un meilleur ciblage les contrôles et une identification plus efficace des fraudes.

Concernant les entreprises exerçant une activité sur les plateformes, l'administration fiscale se fonde sur les informations relatives au chiffre d'affaire pour identifier les indices suivants, qui peuvent être symptomatiques d'un cas de fraude :

- le chiffre d'affaires déclaré en TVA par l'entreprise à la DGFiP est inférieure au chiffre d'affaires réalisé sur les plateformes d'économie collaborative ;

- l'entreprise réalise un chiffre d'affaires sur les plateformes d'économie collaborative en étant défaillante en matière de TVA ;

- le chiffre d'affaires déclaré par l'autoentrepreneur à la DGFIP ou à l'ACOSS est inférieur au chiffre d'affaires réalisé sur les plateformes d'économie collaborative (aspect IR et TVA).

En ce qui concerne les particuliers , le SJCF élabore, à partir des informations récoltées une listes de contribuables qui ont omis de déclarer les revenus générés sur les plateformes par la location occasionnelle de logements meublés, et les transmet aux services locaux de contrôle.

Source : réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

Par ailleurs, les éléments transmis par l'administration semblent révéler une qualité satisfaisante des données transmises. En ce qui concerne les personnes physiques opérant sur les plateformes, les données transmises par les plateformes ont permis d'atteindre un taux d'appareillement de près de 88 % avec les référentiels de la DGFiP en 2021, contre 86,3 % en 2020 et 91,2 % en 2019.

En ce qui concerne les personnes morales, le taux d'identification par un numéro SIREN est de 85,8 % sur les entreprises françaises. Les résultats sont en revanche particulièrement faibles pour les entreprises étrangères, avec un taux d'identification de 10,1 %. Cet écart s'explique par le fait que les personnes morales étrangères ne sont pas, a priori, immatriculées en France et ne disposent dès lors d'aucun identifiant sur lesquelles l'administration peut s'appuyer. Les sociétés étrangères qui ont malgré tout pu être identifiées correspondent aux seules personnes morales pour lesquelles un SIREN ou numéro de TVA intracommunautaire français a été déclaré par la plateforme. Il s'agit notamment de personnes morales ayant eu une activité taxable en France et donc des obligations déclaratives en TVA, ou encore de personnes morales disposant de salariés en France.

Grâce au rapprochement de ces informations avec les bases de données de l'administration fiscale, près de 1 700 dossiers concernant des entreprises ont été envoyés pour contrôle dans les services, pour l'année 2021. Les résultats ne sont toutefois pas encore connus. En ce qui concerne les particuliers, sur les 7 900 dossiers adressés , 2 202 dossiers sont clos à fin mars 2022 et ont généré 4,3 millions d'euros de droits et de pénalités.

Concernant plus spécifiquement les sociétés étrangères opérant sur les plateformes, l'administration fiscale a pu se baser sur les éléments transmis pour constater des défaillances dans certaines déclarations de représentants fiscaux de masse. Ainsi 246 enquêtes ont conduit à 64 propositions de contrôle fiscal, dont 9 sont aujourd'hui achevés, permettant des rappels de 21,3 millions d'euros et des pénalités de 16,35 millions d'euros depuis l'entrée en vigueur du dispositif.

Les éléments transmis soulignent toutefois des lacunes en ce qui concerne la déclaration de certaines plateformes. En effet, d'après l'administration fiscale, toutes les plateformes ne se plient pas à leurs obligations de déclarations. Si l'article 10 de la loi relative à la lutte contre la fraude prévoit, dans ce cas, des amendes possibles à l'égard des plateformes défaillantes, aucun élément concernant l'application concrète de ces sanctions n'est aujourd'hui disponible.

Par ailleurs, force est de constater qu'en dépit du renforcement de l'arsenal de lutte contre la fraude à la TVA permis par la loi fraude, des difficultés spécifiques persistent aujourd'hui, notamment en ce qui concerne les sociétés étrangères opérant sur ces plateformes.

B. LA NÉCESSITÉ DE PROLONGER LES AVANCÉES DE LA LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE, EN RENFORÇANT L'ÉCHANGE DE DONNÉES ENTRE ADMINISTRATIONS ET EN SÉCURISANT CERTAINS MOYENS DE SANCTION

1. Favoriser l'échange automatique d'informations entre la douane et la DGFiP, sous réserve de garanties robustes en matière de protection des données personnelles
a) Automatiser les échanges dans le cadre de la procédure d'auto-liquidation de la TVA

La coopération en matière de lutte contre la fraude à la TVA est essentielle, en particulier dans le contexte des réformes récentes, qui ont acté la généralisation de l'auto-liquidation de la TVA à l'importation (TVA-I) ainsi qu'un transfert de compétence de la DGDDI vers la DGFiP concernant le recouvrement de cette taxe.

Le transfert à la DGFiP de la gestion, du recouvrement et du contrôle de la plupart des taxes et produits relevant jusqu'alors de la DGDDI fait en effet partie des objectifs prioritaires de la modernisation du ministère de l'économie, des finances et de la relance 66 ( * ) . Ainsi, l'article 181 de la loi de finances initiale pour 2020 a notamment prévu qu'à compter du 1 er janvier 2022, le recouvrement de la TVA due à l'importation soit quasi-intégralement transféré à la DGFiP.

La généralisation de la procédure d'auto-liquidation de la TVA- I : une extension
de la compétence de la DGFiP en matière de recouvrement

L'article 181 de la loi de finances initiale pour 2020 a prévu qu'à compter du 1 er janvier 2022, la procédure d'« auto-liquidation », c'est-à-dire de paiement-déduction simultanés de la TVA auprès de la DGFiP, serait généralisée à l'ensemble des assujettis redevables de la TVA à l'importation ou en sortie de régimes suspensifs. Cette procédure d'auto-liquidation à l'importation était en effet, jusqu'à l'entrée en vigueur de cette mesure, optionnelle.

Cette généralisation de l'auto-liquidation de la TVA à l'importation s'accompagne donc d'un transfert de la compétence relative au recouvrement de la TVA aux frontières, jusqu'alors dévolue à la DGDDI, vers la DGFiP. Toutefois, la DGDDI demeure compétente pour le recouvrement de la TVA due par les non assujettis.

Source : rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019

Ce transfert de compétence justifie aujourd'hui une coopération accrue entre la DGFiP et la DGGDI. En effet, la Douane demeure impliquée dans le contrôle des flux de marchandises et donc compétente pour constater la base imposable des biens importés 67 ( * ) . Ainsi, dès lors qu'une marchandise entre sur le territoire, un chaînage s'opère entre la DGFiP et les douaniers, puisque ces-derniers sont amenées à constater des irrégularités dans les déclarations et à les transmettre à la DGFiP. À partir de ces informations, la DGFiP met ensuite en oeuvre la procédure de paiement-déduction simultanés.

La DGFiP et la DGDDI ont entamé depuis plusieurs années des démarches de coopération, notamment en ce qui concerne l'échange de données. Elles ont ainsi signé un protocole de coopération le 3 mars 2011 , dont un des volets consistait à engager un chantier de mutualisation des bases de données . Ainsi, des échanges d'informations, encadrés juridiquement par le protocole ont été mis en place pour le bon fonctionnement du dispositif de l'auto-liquidation de la TVA-I.

Dans le cadre de cette procédure, un renforcement des échanges d'informations a été engagé, avec comme objectif, pour 2023, de fluidifier les échanges relatifs aux contrôles de la DGDDI portant sur la constatation de base TVA-I, afin que la DGFiP puisse exploiter au mieux ces données pour la programmation de ses contrôles fiscaux. Concrètement, un fichier trimestriel est actuellement transmis par la DGDDI à la DGFiP.

Afin de renforcer la célérité et l'efficacité de la procédure d'auto-liquidation de la TVA, il serait souhaitable d'automatiser ces échanges de données pour l'ensemble des contrôles réalisés dans ce cadre. À cette fin un processus de révision du protocole de coopération entre la DGFiP et la Douane a d'ores et déjà été engagé.

Recommandation n° 7 ( DGFiP, DGDDI ) : Tirer les conséquences du transfert de compétence à la DGFiP du recouvrement de la TVA à l'importation, en favorisant l'automatisation des échanges de données entre la Douane et la DGFiP dans le cadre du processus de révision de leur protocole de coopération.

b) Automatiser les échanges dans le cadre de la procédure de détaxe TVA, sous réserve d'un encadrement stricte en matière de protection des données personnelles

La coopération entre la DGFiP et la Douane pourrait par ailleurs être approfondie en matière d'échanges d'informations relatives au contrôle de la procédure de détaxe à la TVA. Celle-ci permet à un voyageur de bénéficier d'un remboursement de la TVA sur des achats effectués en France, uniquement lorsque celui-ci n'est pas domicilié dans un État membre de l'Union européenne.

La procédure de détaxe de TVA

La procédure de détaxe permet, aux termes de l'article 262 du code général des impôts, à un « voyageur qui n'a pas son domicile ou sa résidence habituelle en France ou dans un autre État membre de l'Union européenne » de bénéficier d'une restitution de la TVA acquittée sur les marchandises achetées en France.

Le visa du bureau de douane du point de sortie de l'UE accorde au vendeur le bénéfice définitif de l'exonération de la TVA. Il appartient aux commerçants de procéder au remboursement de la détaxe au vu du visa douanier.

Le contrôle de la régularité de cette procédure est effectué par les agents de la DGDDI présents dans les aéroports et les autres points de sortie du territoire.

Les agents de la DGDDI sont chargés, dans le cadre de leur contrôle aux frontières, de vérifier les conditions exigées pour que les voyageurs puissent bénéficier de cette détaxe . Or la présentation par les voyageurs d'un passeport étranger n'implique pas nécessairement que ceux-ci ne résident pas en France ou dans l'Union européenne. Il en résulte donc un risque important de fraude, qui avait été identifié par la commission des finances lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude en 2018 68 ( * ) .

Le Sénat avait adopté, dans ce cadre, un amendement insérant un article L83 A bis dans le Livre des procédures fiscales (LPF), qui devait permettre aux agents des douanes d'accéder de manière automatique au système d'informations de la DGFiP afin de vérifier si les conditions permettant aux voyageurs de bénéficier de cette détaxe étaient effectivement respectées. Cette disposition n'a finalement pas été retenue par le texte final. Les opposants à cette mesure avaient notamment invoqué l'argument selon lequel la transmission de ce type d'informations était déjà possible dans le cadre du droit de communication de toutes informations utiles entre la DGFiP et la Douane.

Il ressort toutefois des échanges du rapporteur avec les services du ministère des finances qu'une automatisation de l'accès à ces informations permettrait effectivement de fluidifier les échanges entre la DGFiP et la DGDDI dans le cadre de ce contrôle. La mise à disposition et l'élargissement des accès des agents des douanes aux bases de données de la DGFiP relative aux particuliers permettrait en effet d'améliorer la pertinence du ciblage de leurs contrôles, en concentrant leurs moyens sur les cas les plus suspects, du fait de leur résidence fiscale en France.

Toutefois, la mise en oeuvre d'une telle mesure devrait faire l'objet d'un encadrement du dispositif en matière d'utilisation des données personnelles, conformément aux recommandations formulées par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), laquelle a été interrogée sur ce sujet en audition.

Il conviendra en effet pour le législateur de s'assurer que les agents des douanes ne puissent utiliser cet accès que dans un but précis, légitime et clairement défini par la loi. Les informations auxquelles les agents des douanes pourraient avoir accès devront ainsi être strictement nécessaires au regard de la finalité du traitement considéré. En outre, les modalités de désignation et d'habilitation des agents des douanes devront être définies. Ces habilitations devraient notamment être attachées aux fonctions exercées par les agents. Enfin, une traçabilité des consultations effectuées par les agents devra être également prévue 69 ( * ) .

Il convient néanmoins de souligner que l'accès à cette information ne serait pas exhaustive car elle permettrait d'exclure du bénéfice de la détaxe uniquement les personnes disposant d'une résidence en France , alors que le bénéfice de cette détaxe est interdit pour l'ensemble des résidents de l'Union européenne. Il n'en demeure pas moins que cette mesure permettrait, du point de vue de la Douane, de faciliter le travail de contrôle.

Recommandation n° 8 ( Parlement ) : permettre aux agents de la Douane d'accéder automatiquement aux informations relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs lors de la procédure de détaxe sur la TVA, sous réserve d'un encadrement strict en matière de protection des données personnelles.

2. Conforter la procédure de suspension de numéro de TVA par l'administration fiscale

L'administration fiscale dispose de la faculté de suspendre le numéro de TVA intracommunautaire d'entreprises défaillantes ou sans activité . La direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), qui est chargée de lutter contre les cas de fraude les plus complexes, et notamment de fraude à la TVA, peut en effet être amenée, dans le cadre de ses contrôles, à demander une telle suspension aux services des impôts des entreprises (SIE), notamment lorsqu'elle constate un comportement frauduleux.

Le dispositif actuel se fonde sur l'article L.10 BA du livre des procédures fiscales, lequel définit la faculté offerte à l'administration de demander des informations complémentaires au contribuable, pour statuer sur l'attribution ou le maintien du numéro d'identification prévu à l'article 286 ter du CGI.

La procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire

Le règlement (UE) n° 904/2010 du 7 octobre 2010 70 ( * ) prévoit que les États membres peuvent invalider un numéro de TVA intracommunautaire lorsqu'une des conditions suivantes et remplie :

- les personnes identifiées aux fins de la TVA ont déclaré avoir cessé toute activité économique ou lorsque l'administration fiscale compétente considère qu'elles ont cessé cette activité ;

- les personnes ont communiqué de fausses données afin d'obtenir une identification à la TVA ou n'ont pas signalé les modifications de leurs données et que, si l'administration fiscale en avait eu connaissance, cette dernière aurait refusé l'identification à la TVA ou aurait radié le numéro d'identification à la TVA.

Ces conditions ne sont toutefois pas limitatives, ce qui offre la possibilité pour les États membres de prévoir d'autres cas pouvant justifier la suspension du numéro de TVA.

Cette faculté a été traduite au niveau national par l'article L.10 BA du Livre des procédures fiscales (LFP). L'administration fiscale a ainsi la possibilité de solliciter auprès de l'entreprise concernée, des informations complémentaires pour statuer sur l'attribution ou le maintien de cet identifiant ainsi que tout élément permettant de justifier de la réalisation ou de l'intention de réaliser des activités économiques justifiant l'attribution d'un tel numéro. Le numéro de TVA peut être invalidé dans les cas suivants :

- lorsqu'aucune réponse n'a été reçue dans le délai de 30 jours aux demandes d'informations de l'administration fiscale ;

- lorsque les conditions prévues à l'article 286 ter du code général des impôts, qui indiquent les conditions requises pour obtenir un numéro de TVA intracommunautaire, ne sont pas remplies ;

- lorsque de fausses données ont été communiquées afin d'obtenir une identification à la taxe sur la valeur ajoutée ;

- lorsque des modifications de données n'ont pas été communiquées.

La DNEF a ainsi été amenée à utiliser cette procédure à de nombreuses reprises, notamment dans le cadre de ses contrôles visant à sanctionner des entreprises fictives engagées dans des schémas de fraude de type « carrousel » . Elle a ainsi été utilisée à 665 reprises en 2021, et déjà à 426 reprises au titre de l'année 2022, au 31 août.

La DNEF fait par ailleurs état d'un très faible niveau de contestation de ces mesures par les entreprises concernées par cette suspension, ce qui tend à témoigner de la qualité du ciblage de ces sanctions . Ces entreprises ont en effet la faculté de solliciter la réactivation de leur numéro individuel, mais ces contestations ne concerneraient, à l'heure actuelle, que quelques unités par an.

Nombre d'invalidations opérées par la DNEF

2019

2020

2021

2022

528

680

665

426

(*) au 31/08/2022.

Sources : réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

L'invalidation du numéro individuel a pour conséquence immédiate de mettre fin aux transactions douteuses. Cette action constitue donc un véritable levier de lutte contre la fraude, puisqu'en l'absence de ce numéro, les entreprises ne peuvent plus émettre de factures relatives à des opérations intracommunautaires.

Toutefois, l'interprétation qui a été retenue par le juge administratif en ce qui concerne le champ d'application de cette procédure a conduit à minorer la portée de cet instrument. La Cour administrative d'appel de Versailles a notamment considéré, dans un arrêt du 23 novembre 2021 71 ( * ) , que si l'utilisation de cette procédure pouvait viser à empêcher l'usage abusif des numéros d'identification, en particulier par les entreprises dont l'activité serait fictive, elle ne pouvait en revanche aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'exacte perception de la taxe et éviter la fraude. Elle a ainsi considéré que l'administration fiscale ne pouvait avoir recours à cette procédure pour sanctionner une entreprise qui, sur la base de fausses déclarations, auraient par exemple procédé à une application abusive de la TVA sur marge bénéficiaire 72 ( * ) .

L'arrêt de la cour administrative d'appel
de Versailles du 23 novembre 2021

Dans le cadre de cette affaire, l'administration fiscale a suspendu le numéro de TVA d'une entreprise de revente de véhicules d'occasion. Elle s'est fondée sur le fait que l'entreprise en question aurait fourni de fausses informations, en faisant des déclarations annuelles au lieu des déclaration mensuelles auxquelles elle était tenue, et aurait par ailleurs eu recours à une application abusive de la TVA sur la marge bénéficiaire au moyen de certificats d'acquisition de véhicules.

Pour justifier le recours à la procédure de suspension du numéro de TVA qui, dans ce cas précis, n'était pas prévu explicitement par les textes, l'administration s'était notamment appuyée sur le fait que le règlement européen du 7 octobre 2010, qui définit des motifs permettant de motiver la suspension du numéro de TVA, n'en a pas fixé une liste limitative.

Si la Cour administrative d'appel de Versailles a reconnu que les motifs prévus par le droit européen n'étaient en effet pas exhaustif, elle a toutefois estimé, après avoir considéré que l'entreprise n'avait pas fourni de fausses informations pour obtenir son immatriculation, que le numéro de TVA intracommunautaire ne pouvait être suspendu, ni invalidé, sur le seul fondement d'utilisation abusive du régime de la TVA sur la marge bénéficiaire, bien que celle-ci soit effectivement constitutive d'une fraude. Cette situation aurait pu, selon la Cour, justifier la mise en oeuvre d'une procédure de contrôle en vue de la notification de rappels d'imposition, mais en aucun cas la suspension du numéro de TVA intracommunautaire.

Dans le cadre des travaux de la mission d'information et de ses échanges avec l'administration fiscale, il est donc apparu qu'une intervention du législateur pourrait être utile afin de sécuriser cette procédure et définir plus largement les cas où l'administration pourrait sanctionner les comportements frauduleux par la suspension du numéro de TVA. Tel est l'objet de la recommandation proposée.

Il convient de préciser que, parallèlement à ces travaux, un amendement ayant le même objectif a été déposé à l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Il étend ainsi le champ d'application de la procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire par une modification de l'article L.10 BA du LPF. à de nouveaux cas, sur la base d'un faisceau d'indices. Ainsi en serait-il de toute entreprise impliquée dans un schéma de fraude, dès lors qu'elle « savait » ou « ne pouvait pas ignorer » y être impliquée. Il pourrait également être procédé, sans délai, à une telle invalidation, dans les hypothèses de fraude faisant l'objet d'un signalement au sein du réseau d'alerte Eurofisc, ou en provenance de toute autorité ou service de renseignement chargé de la lutte contre la fraude fiscale.

Cet amendement a été conservé dans le texte transmis au Sénat à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale au titre de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution sur le projet de loi de finances pour 2023. Il fera donc l'objet d'une attention particulière de la part du rapporteur dans le cadre de la suite des discussions sur ce texte.

Recommandation n° 9 ( Parlement ) : conforter la procédure de suspension du numéro de TVA intracommunautaire, en étendant son champ d'application à de nouveaux schémas de fraude à la TVA.

C. PLAIDER POUR UNE COLLECTE PLUS EFFICACE DE LA TVA AUX FRONTIÈRES DE L'UE

1. Renforcer les prérogatives de la Douane pour lutter contre la fraude dans le cadre de son contrôle des flux de marchandises aux frontières
a) La sous-estimation de la valeur en douane des marchandises dans le cadre du développement du e-commerce : un défi majeur pour l'administration douanière

Dans le contexte du développement du e-commerce, la sous-évaluation de la valeur en douane, qui constitue la base d'imposition à la TVA-I, soulève des difficultés particulières pour les agents de la DGDDI lors de leurs contrôles des flux de marchandises aux frontières. Ils sont souvent confrontés à des schémas de fraude difficiles à détecter, visant à minorer la valeur en douane des produits importés, pour échapper au paiement des droits de douanes et de la TVA-I.

La sous-évaluation de la valeur en douane dans le e-commerce: une fraude aggravée par le recours à des intermédiaires basés en Chine :

Les agents de la Douane sont régulièrement confrontés au schéma de fraude au schéma de fraude suivant :

- à la réception de la commande, les e-commerçants vendeurs mandatent des intermédiaires en Chine pour effectuer le groupage des colis et leur facturation ;

- ces "consolidateurs" en Chine procèdent ensuite à des manipulations de données des factures afin de faire passer ces colis pour des envois de faible valeur, en dessous des seuils de taxation et pour amoindrir le paiement de TVA-I dû ;

- l'acheminement des colis est ensuite réalisé par des logisticiens ou leurs représentants.

En raison de l'extrême fragmentation des envois et de la multitude de particuliers destinataires finaux, la reconstitution de la valeur réelle est difficile, voire impossible, empêchant ainsi de matérialiser la fausse déclaration de valeur en douane.

Source : réponses de la DGDDI au questionnaire du rapporteur

Il s'avère que les agents des Douanes ne disposent pas des informations leurs permettant de détecter efficacement ce type de fraude, plus particulièrement pour les envois de valeur inférieur à 150 euros. En effet, le système de déclaration sur lequel s'appuient les agents de la Douane pour réaliser leurs contrôles sur ce type d'envoi repose sur une classification à six chiffres. Cette nomenclature est, d'après l'administration douanière française, trop imprécise, car elle ne permet pas de dispose de suffisamment d'informations, pour un ciblage pertinent du contrôle des flux. La nomenclature à 10 chiffres utilisée pour le fret traditionnel et le fret express, plus précise, permet en revanche d'affiner le ciblage des contrôles, en identifiant les valeurs atypiques en relation avec ces nomenclatures.

L'administration douanière avait donc sollicité, dans le cadre du cycle de révision de l'annexe B du règlement délégué du code des douanes de l'Union 73 ( * ) , que ce jeu de données soit enrichi. Cette demande avait toutefois été rejetée par la Commission européenne et l'ensemble des États membres. Le prochain cycle de révision de cette annexe, prévu en juillet 2023, devra être l'occasion de relancer au niveau européen les discussions relatives aux difficultés posées par ce code marchandise.

Des réflexions ont également été engagées au niveau de l'Union européenne, dans le cadre d'un groupe de travail sur les plateformes piloté par la Commission européenne et regroupant à la fois des États membres et des acteurs économiques, afin de responsabiliser davantage les plateformes numériques dans le processus déclaratif douanier. Il est toutefois regrettable de constater que ses travaux soient à l'arrêt depuis septembre 2021, malgré les multiples demandes de la France tendant à les relancer.

b) Permettre à la Douane de sanctionner directement les fraudes réalisées dans le cadre des flux de dédouanement à l'importation

Outre les enjeux de sous-évaluation de la valeur en douane et de la minoration de la TVA-I qui en découle, les exonérations de TVA sont également un vecteur important de fraude, et particulièrement, les exonérations réalisées dans le cadre des flux de dédouanement à l'importation.

L'article 262 ter du CGI prévoit en effet que « les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre État membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. » sont exonérées de TVA. Ainsi, sont dispensés du paiement de la TVA les opérateurs qui dédouanent des marchandises dans un autre État membre, puis les introduisent en France.

Ce type d'exonération fait souvent l'objet de fraudes fiscales, selon le schéma suivant : des justificatifs sont falsifiés de manière à indiquer auprès de l'administration douanière qu'un bien aurait été introduit sur le territoire de l'Union européenne via un autre État membre, alors que cette marchandise a en réalité directement été importé depuis un État tiers.

Or la douane ne dispose pas de la possibilité de sanctionner directement un opérateur au motif que celui-ci se serait rendu coupable d'une fraude de nature fiscale. Elle est dès lors contrainte de signaler cette fraude à la DGFiP, à qui il reviendra ensuite de sanctionner l'opérateur.

Il pourrait dès lors être souhaitable de renforcer les prérogatives des agents de la Douane en leur permettant de sanctionner directement ces comportements, sur le modèle de la disposition récemment introduite par le législateur pour permettre aux douaniers de sanctionner les cas de fraude, en ce qui concerne le dédouanement à l'exportation 74 ( * ) . L'article 131 de la loi de finances initiale pour 2022 a en effet permis de renforcer la capacité d'action de la DGDDI, par la création à l'article 426 du code des douanes d'un délit douanier spécifique pour ces cas de fraude. Ces dispositions permettent ainsi aux agents des douanes de sanctionner directement les fraudes consistant principalement à obtenir des justificatifs ou preuves de sortie du territoire douanier de l'Union européenne pour ensuite solliciter auprès de la DGFiP le remboursement de la TVA prétendument acquittée.

Il pourrait dès lors être envisagé de créer, sur le même modèle que ce que la loi de finances pour 2022 a introduit pour la fraude commise dans le cadre des flux de dédouanement à l'exportation, un délit douanier spécifique à la fraude en matière de dédouanement à l'importation, ce qui permettrait à la DGDDI de redresser et recouvrer directement la TVA fraudée dans ce cadre.

Recommandation n° 10 ( Parlement ) : permettre aux agents des Douanes de sanctionner directement la fraude à la TVA réalisée dans le cadre du dédouanement à l'importation, par la création d'un délit douanier spécifique dans le code des douanes.

2. Vers la généralisation d'un guichet unique de déclaration et de paiement de la TVA à l'importation ?

Dans le cadre de la transposition du paquet TVA « e-commerce », et plus particulièrement de la directive du 5 décembre 2017 75 ( * ) , l'article 147 de la loi de finances initiale pour 2020 76 ( * ) a prévu la création d'un dispositif de guichet unique visant à simplifier les obligations déclaratives et de paiement des opérateurs. Les entreprises ont ainsi la possibilité, depuis le 1 er juillet 2021, de recourir, de manière optionnelle, à ce guichet unique pour se soumettre à leur obligation de déclaration et de paiement de la TVA sur certaines opérations.

Ce dispositif présente un double intérêt puisqu'il vise, d'une part, à faciliter les modalités de déclaration pour les entreprises assujetties, et d'autre part, à simplifier la collecte de l'impôt et d'informations pour l'administration fiscale.

Les entreprises qui optent pour ce dispositif ne sont en effet plus tenues de s'immatriculer auprès des administrations fiscales de chaque État membre de consommation afin de déclarer et payer la TVA pour certaines opérations intercommunautaires (guichet « One-Stop-Shop » OSS) ou des importations en provenance de pays tiers (guichet « Import One-Stop-Shop » IOSS). Il en résulte une fluidification des procédures de déclarations et de recouvrement de la TVA susceptibles de générer des gains non négligeables pour l'administration fiscale. L'administration fiscal s'est ainsi félicitée que, six mois après l'entrée en vigueur du dispositif, près de 871 millions d'euros nets aient été recouvrés par l'intermédiaire du guichet OSS-IOSS.

Le guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation (IOSS)

Le guichet unique à l'importation (guichet IOSS ) a été instauré par l'article 147 loi de finances initiale pour 2020, dans le cadre de la transposition de la directive du 5 décembre 2017 77 ( * ) , issue du paquet TVA « e-commerce ».

Il s'agit d'un dispositif optionnel permettant aux fournisseurs et aux interfaces électroniques vendant des biens importés à des acquéreurs situés dans le territoire de l'UE de collecter, déclarer et payer la TVA aux autorités fiscales, au lieu de faire peser la responsabilité du paiement de la TVA sur l'acquéreur au moment où les biens sont importés dans le territoire de l'UE comme c'était le cas précédemment.

Ce guichet IOSS ne concerne que les ventes de biens en provenance de pays tiers dans des envois d'une valeur inférieure ou égale à 150 euros localisées dans l'UE, à destination de personnes non assujetties dans l'UE.

Source : commission des finances

Un peu plus d'un an après son entrée en vigueur, ce guichet unique de déclaration de la TVA fait l'objet d'une adhésion partagée, tant de la part des acteurs économiques que de la part des pouvoirs publics.

Le Conseil de l'Union européenne, lors de ses conclusions adoptées le 15 mars 2022 sur la mise en oeuvre du paquet TVA sur le commerce électronique, a notamment souligné le rôle joué par « le guichet unique en matière de TVA pour aider les entreprises à respecter leurs obligations en matière de TVA sur les ventes électroniques 78 ( * ) ».

L'administration a par ailleurs indiqué soutenir toute initiative qui permettrait d'introduire un régime unique de collecte de la TVA sur les ventes à distance de biens importés. Elle s'est ainsi montrée favorable à l'obligation d'un recours au guichet IOSS, qui permettrait, selon elle, de faciliter considérablement le recouvrement de la TVA-I. La DGDDI, dans le cadre de son audition par la mission d'information, a en outre souligné le fort niveau d'adhésion des opérateurs à ce guichet.

Toutefois, avant d'envisager une telle évolution qui pourrait se traduire par une nouvelle contrainte pour les entreprises, il est essentiel de disposer du recul nécessaire sur l'efficacité du dispositif. La Commission européenne se serait ainsi engagée à réaliser un travail d'évaluation, en comparant les données relatives à la TVA déclarées sur les déclarations en douane d'importation, et les données fiscales déclarées dans le guichet IOSS 79 ( * ) . Si la robustesse du dispositif venait à être confirmée par cette évaluation, il pourrait être envisagé d'encourager au niveau européen de le généraliser pour la déclaration de l'ensemble des biens dont la valeur est inférieure à 150 euros, à destination des non-assujettis.

Par ailleurs, et toujours dans la perspective d'une extension du recours à ce guichet IOSS, la perspective d'une suppression du plafond de 150 euros concernant la déclaration des importations dans l'IOSS serait, d'après la DGFiP, actuellement explorée par la Commission européenne. Mais ce projet ne peut être envisagé à court terme, dans la mesure où il nécessiterait une articulation étroite avec les chantiers menés au niveau des Douanes, et devrait dès lors faire l'objet d'études d'impact préalables particulièrement approfondies.

Recommandation n° 11 ( Union européenne ) : évaluer la robustesse et l'efficacité du guichet unique à l'importation (guichet IOSS), dans l'optique à terme d'une possible généralisation et de permettre une collecte plus efficace de la TVA à l'importation.

D. SÉCURISER LES PRÉROGATIVES DE LA DOUANE EN MATIÈRE DE « VISITE » DES MARCHANDISES, DES MOYENS DE TRANSPORT ET DES PERSONNES

Concernant plus généralement les pouvoirs étendus de contrôle et de saisie des services douaniers, plusieurs personnes entendues dans le cadre de la mission d'information ont souligné l'importance des prérogatives spécifiques de la Douane, notamment en matière de fouille et de saisies . Elle peut par exemple intercepter des flux financiers, souvent liés à du blanchiment de produits illicites et à de la fraude aux finances publiques, ou encore visiter des locaux à usage professionnel et saisir des documents se rapportant à des délits douaniers. Surtout, et au-delà du contrôle des flux de marchandises illicites, les pouvoirs de contrôle propres aux agents des douanes sont liés tant au recouvrement des contributions indirectes et de la TVA à l'importation qu'à la perception de droits de douane et à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne.

Or, entre le début et la fin des travaux de la mission d'information, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes, relatif à la prérogative de « visite » des agents des douanes 80 ( * ) et inscrit dans notre droit, à contenu inchangé, depuis 1948 81 ( * ) . Aux termes de cet article, pour l'application des dispositions du code des douanes et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite, c'est-à-dire à la fouille, des marchandises, des moyens de transport et des personnes .

La Cour de cassation avait, par sa jurisprudence, assorti l'exercice de cette prérogative de garanties pour les personnes contrôlées . Ainsi, les agents de la douane :

- ne peuvent pas procéder à la visite d'un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant ;

- ne peuvent pas procéder à une fouille à corps de la personne contrôlée ;

- ne peuvent pas maintenir la personne contrôlée à leur disposition au-delà du temps strictement nécessaire à leur mission ;

- ne sont autorisés à recueillir que les déclarations faites en vue de la reconnaissance des objets découverts ;

- peuvent appréhender matériellement les indices recueillis lors du contrôle, mais à la stricte condition de procéder à leur inventaire immédiat, de s'abstenir de tout acte d'investigation les concernant, de les transmettre dans les meilleurs délais à l'officier de police judiciaire compétent pour qu'il procède à leur saisie et à leur placement sous scellés et de s'assurer, dans l'intervalle, qu'ils ne puissent faire l'objet d'aucune atteinte à leur intégrité.

Dans sa décision QPC du 22 septembre 2022, le Conseil a toutefois considéré que le législateur n'avait pas assuré une « conciliation équilibrée entre, d'une part, la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, la liberté d'aller et venir et le droit au respect de la vie privée » en ne « précisant pas suffisamment le cadre applicable à la conduite de ces opérations » , pour lesquelles il n'est pas tenu compte « des lieux où elles sont réalisées ou de l'existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction ».

Ainsi, nonobstant les garanties apportées par la jurisprudence de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a estimé que « les dispositions ne soumettaient la mise en oeuvre du pouvoir de visite à aucune condition propre à en circonstancier l'application » 82 ( * ) et les a déclarées non conformes à la Constitution. Il a néanmoins reporté au 1 er septembre 2023 l'abrogation de ces dispositions , les mesures prises avant la publication de cette décision ne pouvant être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Il est donc proposé de modifier l'article 60 du code des douanes pour tenir compte de la déclaration de non-conformité de ses dispositions à la Constitution . Si le Gouvernement a déposé, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, un amendement portant une demande d'habilitation à légiférer par ordonnance, le rapporteur privilégie un dispositif « en dur » dès la loi de finances pour 2023, en assortissant le droit de visite des garanties nécessaires . Pour ce faire, les modifications proposées s'appuieraient sur l'encadrement apporté aux autres prérogatives de la Douane - par exemple pour le droit de visite des navires, dont les dispositions avaient déjà dû être modifiées, elles-aussi après leur censure par le Conseil constitutionnel 83 ( * ) - et sur les garanties énoncées par la Cour de cassation dans sa jurisprudence.

Recommandation n° 12 ( Parlement ) : afin de répondre à leur déclaration de non-conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel, modifier les dispositions de l'article 60 du code des douanes relatif au droit de visite des agents de la Douane en assortissant l'exercice de cette prérogative de toutes les garanties juridiques nécessaires.

III. ASSORTIR LES DISPOSITIFS D'ACCÈS AUX DONNÉES DES GARANTIES JURIDIQUES NÉCESSAIRES POUR ASSURER LEUR PLEINE EFFECTIVITÉ

La place essentielle de l'accès aux données dans la lutte contre la fraude fiscale et le recouvrement des sommes éludées a été précédemment abordé et souligné, avec la présentation des nouvelles techniques d'analyse de données de masse. Les objectifs sont divers, de la détection d'éventuels manquements pouvant relever de faits constitutifs de fraude fiscale - à confirmer ensuite par des contrôles et investigations - à l'obtention de preuves concernant la commission de faits de fraude fiscale ou de son blanchiment .

Sans revenir sur l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre en matière d'échange et d'accès aux informations, adoptés dans le cadre des lois de finances et de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, le rapport se concentrera sur deux exemples , deux dispositions emblématiques en matière d'accès aux données et dont la pleine effectivité n'est pas encore assurée : l'exploitation des données collectées sur les réseaux sociaux et l'accès aux données de connexion . La mise en oeuvre de ces dispositifs s'est heurtée aux exigences accrues du Conseil constitutionnel et, surtout, de la Cour de justice de l'Union européenne en matière de protection des données personnelles.

Un impératif a dès lors guidé le bilan et l'examen de ces dispositions, celui d'assurer leur application en les assortissant de toutes les garanties nécessaires pour protéger les contribuables .

A. PROLONGER ET ÉTENDRE L'EXPÉRIMENTATION VISANT À LUTTER CONTRE LES INFRACTIONS FISCALES GRAVES PAR LA COLLECTE ET L'ANALYSE DES DONNÉES PUBLIÉES SUR LES PLATEFORMES EN LIGNE

1. Un dispositif adopté en loi de finances pour 2020 mais dont la portée effective ne correspond pas aux attentes initiales des services en charge du contrôle fiscal
a) Un dispositif expérimental de collecte et d'analyse de données entouré d'importantes garanties

L'article 154 de la loi de finances pour 2020 84 ( * ) autorise, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, les agents de la DGFiP et de la Douane dûment habilités à cet effet à collecter et à exploiter au moyen de traitements automatisés et informatisés les informations publiées par les utilisateurs de plateforme en ligne, à fins de recherche d'éventuelles infractions graves aux dispositions du code général des impôts (CGI) et du code des douanes 85 ( * ) . À titre d'exemple, la Douane cible les annonces de vente de tabac de contrebande, tandis que la DGFiP se concentre sur la recherche des activités économiques occultes et des fausses domiciliations fiscales à l'étranger des personnes physiques.

Plusieurs garanties ont été prévues pour encadrer les traitements automatisés que peuvent mettre en place les agents de la DGFiP et de la Douane, dont certaines avaient été ajoutées à l'initiative du Sénat lors de l'examen de cette disposition dans le projet de loi de finances initiale pour 2020.

Ainsi, les agents pouvant procéder à ces traitements doivent être spécialement habilités à le faire et la durée de conservation des données est strictement encadrée : les données sensibles 86 ( * ) et les données manifestement sans lien avec les infractions graves recherchées doivent être détruites dans un délai de cinq jours ouvrés après leur collecte tandis que les données strictement nécessaires à la constatation de manquements et d'infractions peuvent être conservées pendant un an, sauf si elles sont utilisées dans le cadre d'une procédure, auquel cas elles doivent être conservées jusqu'à l'issue de cette procédure, qu'elle soit fiscale, douanière ou pénale.

Les traitements automatisés ne peuvent pas utiliser de reconnaissance faciale et la CNIL avait précisé, dans son avis, qu'ils ne pouvaient pas non plus collecter les commentaires des personnes tierces, sur les publications par exemple. De même, aucun sous-traitant ne pouvait intervenir pour le traitement et la conservation des données à caractère personnel.

Les modalités d'application de l'article 154 de la loi de finances pour 2020 sont fixées par un décret en Conseil d'État, après avis de la CNIL 87 ( * ) . L'expérimentation a également dû faire l'objet d'une analyse d'impact relative à la protection des données à caractère personnel, dont les résultats ont été transmis à la CNIL. Ces analyses, réalisées par la DGFiP et la DGDDI, ont été transmises au rapporteur à sa demande, tout comme les dossiers de conformité que ces deux administrations ont rédigé pour présenter les traitements automatisés mis en place.

L'expérimentation a débuté au mois de février 2021 88 ( * ) et doit prendre fin au mois de février 2024. Conformément aux termes de l'article 154 de la loi de finances pour 2020, un bilan de « mi-parcours » devait être remis au Parlement au courant du mois d'août 2022, puis un rapport définitif au plus tard six mois avant le terme de l'expérimentation, soit au mois d'août 2023. Le premier rapport n'a toutefois pas encore été remis, ce qui ne peut être que regretté .

b) L'entrée en « phase opérationnelle »

Après une phase de construction de l'infrastructure et de l'algorithme de détection, l'expérimentation est entrée, tant pour la DGDDI que pour la DGFiP, en phase opérationnelle.

(1) La DGDDI et la lutte contre la vente de tabac de contrebande

Quatre étapes doivent être distinguées dans le dispositif mis en place par la Douane, et qui vise plus particulièrement la lutte contre la vente de tabac de contrebande. Les trois premières étapes se déroulent de manière automatisée, sans l'intervention d'utilisateurs :

- 1ère étape : collecte des annonces et profils comportant les éléments recherchés et extraction des données (méthodes de scrapping ), à l'aide de mots clefs associés à la vente de tabac ;

- 2ème étape : structuration, nettoyage des données et détection de la fraude . Ces travaux doivent être réalisés en cinq jours maximum, au regard des exigences en matière de durée de conservation des données avant leur destruction obligatoire. L'identification des annonces et profils vraisemblablement frauduleux s'appuie sur la construction d'un modèle de détection de fraude, à l'aide d'algorithmes ;

- 3ème étape : restitution des cibles potentiellement frauduleuses pour qu'elles soient opérationnellement traitées par les services douaniers. Seules les annonces et profils strictement nécessaires à la constatation d'un manquement ou d'une infraction sont conservés ;

- 4ème étape : traitement opérationnel . Cette étape a débuté au mois de mai 2022.

L'évaluation préliminaire montre qu' une quarantaine d'annonces potentiellement frauduleuses sont identifiées chaque semaine , sur trois plateformes.

(2) La DGFiP, un déploiement progressif entre 2020 et 2022

La mise en place des traitements automatisés permettant de collecter et d'analyser les contenus librement accessibles sur les réseaux sociaux s'est déroulée en plusieurs étapes à la DGFiP, sur près de deux ans.

La mise en oeuvre de l'expérimentation
de collecte et d'analyse des contenus publiés
sur les plateformes en ligne à la DGFiP

Source : commission des finances, d'après les éléments transmis par la DGFiP en réponse au questionnaire du rapporteur

Les premiers travaux (juillet 2021) ont permis de collecter plus de 13 000 annonces publiées par des personnes et proposant des offres de service dans plusieurs secteurs économique (coiffure, déménagement, informatique, plomberie, cours particuliers, soin). Près d'un tiers de ces annonces indiquait des numéros SIREN inconnus dans les référentiels de la DGFiP ou correspondant à des entreprises qui ont officiellement cessées leurs activités.

Si la pertinence des dossiers sélectionnés a été confirmée, les enjeux financiers se sont avérés faibles. Après la prise en compte des retours des services, il a donc été décidé de lancer une nouvelle production orientée vers la vente de véhicules automobiles par des personnes morales ou des personnes physiques, dans le but d'identifier des activités occultes à enjeux . Lors du déplacement à la DGFiP, les membres de la mission d'information ont concrètement pu voir le fonctionnement de cette collecte et de cette analyse : une personne se présentant comme un « particulier » était par exemple à l'origine de dizaines d'annonces de voitures de luxe.

2. Étendre l'expérimentation aux données « publiquement » accessibles et la proroger pour deux ans
a) Une distinction entre données « librement » et « publiquement » accessibles qui empêche le plein déploiement de la disposition

Dans le cadre de sa décision sur la loi de finances pour 2020 89 ( * ) , le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation sur l'article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 et considéré que les données susceptibles d'être collectées et exploitées devaient correspondre à des « contenus librement accessibles sur un service de communication au public en ligne d'une des plateformes [...], à l'exclusion donc des contenus accessibles seulement après saisie d'un mot de passe ou après inscription sur le site en cause » 90 ( * ) .

Celle-ci a été strictement interprétée par la CNIL puis par le Conseil d'État, avec une distinction opérée entre, d'une part, les données librement accessibles - c'est-à-dire accessibles sans aucune forme de connexion - et, d'autre part, les données publiquement accessibles - c'est-à-dire auxquelles tout le monde peut avoir accès, mais éventuellement en disposant d'un compte sur la plateforme concernée ou d'un mot de passe.

Dans le cadre de l'expérimentation, les agents de la DGFiP et de la Douane n'ont donc accès qu'aux contenus rendus librement accessibles par leurs utilisateurs . Or, à la différence des plateformes d'échanges, la plupart des réseaux sociaux subordonnent l'accès à leur site à une inscription préalable. Concrètement, les agents ne peuvent pas accéder à certains contenus publiés sur les réseaux comme Facebook ou Instagram, pour lesquels il peut être nécessaire de disposer d'un compte (sans pour autant faire partie des « amis » ou « abonnés » de la personne visée). Ces plateformes sont pourtant d'importants vecteurs de travail dissimulé et donc de fraude à la TVA ou à l'imposition sur les revenus par exemple (impôt sur le revenu ou imposition sur les sociétés).

La DGFiP et la DGDDI considèrent que cette distinction et que les restrictions apportées en conséquence aux traitements mis en oeuvre altèrent sensiblement le caractère opérationnel du dispositif . Non seulement elle ne permet pas d'avoir accès à l'ensemble des vecteurs de fraude grave - les directions estimant même qu'elles avaient, avec cette interprétation, perdu accès aux sites parmi les plus importants pour déceler les infractions graves - mais elle ralentit aussi la construction et le perfectionnement des modèles de détection automatique de la fraude , qui repose sur une phase préalable d'apprentissage machine.

Or, les équipes techniques ont expliqué qu'il fallait plusieurs centaines d'exemples et de contre-exemples d'annonces pour construire un modèle pertinent : le faible nombre d'annonces disponibles, du fait des restrictions apposées à l'accès à certaines plateformes, ne permet pas de disposer d'un nombre suffisant d'exemples exploitables pour la phase d'apprentissage du modèle.

Le législateur n'avait lui-même pas opéré cette distinction , en considérant qu'il autorisait, par la présente expérimentation, les agents de la DGFiP et de la Douane à accéder aux contenus publiquement accessibles, même s'il fallait pour cela un compte pour accéder à la plateforme (ex. sur Instagram ou Facebook, même pour accéder à des contenus rendus publics par leurs utilisateurs). Il paraît également admis par la CNIL que la distinction opérée entre données publiquement et librement accessibles restreignait considérablement le dispositif souhaité par le législateur .

b) Donner sa pleine portée à l'article 154 de la loi de finances pour 2020, toujours à titre expérimental, dans le respect de la vie privée des personnes et de la protection des données personnelles

Au regard de l'ensemble de ces constats, il est proposé de modifier l'article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 afin de prévoir que les agents de la DGFiP et de la Douane puissent collecter et analyser les données publiquement accessibles sur les plateformes en ligne, et non plus seulement celles qui sont librement accessibles . En parallèle, l'expérimentation serait prolongée de deux ans , soit jusqu'au mois de février 2026, pour laisser le temps à cette modification de produire tous ces effets.

Selon les informations transmises par la CNIL, il n'y a pas d'obstacle a priori à ce que l'expérimentation soit étendue aux contenus publiquement accessibles sur les réseaux sociaux , à condition de prévoir un strict encadrement du dispositif : habilitation des agents, traçabilité des accès, recherche des infractions les plus graves, durée de conservation des données réduites autant que possible. Ces garanties existent déjà pour la plupart d'entre elles dans l'expérimentation actuellement mise en oeuvre.

Un décret en Conseil d'État serait nécessaire pour fixer les modalités d'application du dispositif et ne pourrait être pris qu'après avis de la CNIL. De même, un rapport de bilan à mi-parcours pourrait être prévu, à l'instar de ce que le législateur avait souhaité pour la première mouture de l'expérimentation.

Par ailleurs, que ce soit au niveau règlementaire ou au niveau législatif, plusieurs garanties 91 ( * ) devraient être apportées pour la création , par les agents de la DGFiP et de la Douane, d'un compte permettant d'accéder à certaines plateformes . Ainsi, le compte devrait être neutre, utilisé pour la seule collecte automatique des contenus manifestement rendus publics - ce qui exclut donc toute utilisation du compte pour accéder aux informations des groupes privés sur les plateformes. Tout message à caractère privé et toute forme d'interaction avec les utilisateurs seraient également prohibés.

En parallèle, il pourrait être judicieux, suivant les éléments de bilan transmis sur l'expérimentation, d'envisager de mettre en place un dispositif d'échange plus formalisé avec les plateformes (désignation d'un point de contact, rencontres périodiques, sensibilisation). Quant aux garanties à apporter sur la robustesse des dispositifs, la Douane suggère qu'un audit des outils puisse être ponctuellement mené par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

Dans sa délibération sur l'avis relatif au projet de décret portant modalités de mise en oeuvre par la DGFiP et par la DGDDI des traitements automatisés prévus à l'article 154 de la loi de finances pour 2020, la CNIL relevait à cet égard que les « solutions de chiffrement permettant d'assurer un niveau adéquat de protection des données et de respect de leur confidentialité sont mises en oeuvre tant pour l'administration fiscale que pour l'administration des douanes et des droits indirects » 92 ( * ) .

Enfin, deux propositions visant, d'une part, à allonger le délai de conservation des données et, d'autre part, à autoriser les traitements à collecter les commentaires de tiers sur les pages personnelles, ont été écartées par le rapporteur. Au regard des décisions de la CNIL et de la jurisprudence en matière de protection des données personnelles, ces deux évolutions seraient en effet susceptibles d'être considérées comme entrant en conflit avec le respect des données personnelles et le droit à la libre expression. Or, assurer la pleine effectivité d'un dispositif, c'est aussi s'assurer qu'il soit entouré des garanties nécessaires, pour préserver les droits des contribuables .

Recommandation n° 13 ( Parlement ) : modifier l'article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 afin que les agents de l'administration fiscale et des douanes puissent collecter les données publiquement accessibles, et non uniquement librement accessibles, sur les plateformes en ligne et les exploiter au moyen de traitements automatisés et informatisés, à fins de recherche d'éventuelles infractions graves au code général des impôts et au code des douanes, en assortissant le dispositif de nouvelles garanties pour protéger la vie privée et les données personnelles des contribuables. Prolonger en conséquence l'expérimentation de deux ans, soit jusqu'en février 2026.

B. SÉCURISER LE DROIT D'ACCÈS AUX DONNÉES DE CONNEXION

1. Une application des dispositions votées dans la loi relative à la lutte contre la fraude qui s'est heurtée au droit européen

L'article 14 de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a modifié l' article 65 quinquies du code des douanes afin de permettre aux agents de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) spécialement habilités à cet effet d'accéder aux données de connexion dans le but de constater une infraction et d'en rechercher les auteurs ou les complices. Les infractions douanières concernées sont des « infractions graves », à savoir la contrebande de produits de stupéfiants ou d'armes, le délit de blanchiment douanier ou encore la violation d'un embargo financier.

L'article 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude a modifié l'article L. 96 G du livre des procédures fiscales afin de prévoir le même accès aux données de connexion pour les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP) spécialement habilités à cet effet. Les infractions concernées appartiennent à la catégorie des « manquements graves », à savoir les activités occultes, la détention de comptes à l'étranger non déclarés, les fausses factures ou les montages destinés à induire en erreur l'administration fiscale.

Pour ces deux dispositifs, la mise en oeuvre de ce droit de communication devait être préalablement autorisée par le procureur de la République . Ils prévoyaient également la publication de décrets en Conseil d'État pour préciser les modalités de mise en oeuvre de ces droits d'accès, textes réglementaires qui n'ont jamais été publiés .

D'après les informations communiquées aux membres de la mission d'information, ces décrets avaient été présentés au Conseil d'État puis retirés, avant même qu'il ne puisse se prononcer sur leur contenu. Ils présentaient en effet de réelles fragilités au regard de très récentes décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière d'accès aux données de connexion - intervenues après le vote de la loi relative à la lutte contre la fraude par le Parlement - et de questions encore pendantes devant elle.

A l'occasion du suivi de l'application des lois, la commission des finances a chaque année demandé à ce que davantage d'informations lui soient transmises sur les ajustements à apporter aux dispositifs et sur les travaux engagés par le Gouvernement pour s'assurer de la pleine application de ces dispositions . Elle n'avait eu, jusqu'à cette année, que très peu de retours et d'éclaircissements, alors même que les modifications portées par les articles 14 et 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude sont les deux seules dispositions qui ne sont pas encore appliquées, près de quatre ans après l'adoption de la loi .

Le Parlement avait toutefois adopté, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2021 93 ( * ) , une disposition modifiant l'article L. 96 G du LPF afin de prévoir que le droit d'accès des agents de la DGFiP aux données de connexion serait désormais soumis à l'autorisation préalable d'un contrôleur des demandes de données de connexion , dont les fonctions seraient assurées par un membre du Conseil d'État ou un magistrat de la Cour de cassation. Cette rédaction reprend à l'identique celle prévue pour encadrer l'accès des agents de l'Autorité des marchés financiers (AMF) aux données de connexion.

En revanche, le dispositif prévu pour les douanes à l'article 65 quinquies du code des douanes n'avait pas été modifié : le Gouvernement avait alors répondu que ce n'était pas nécessaire puisque les infractions douanières concernées revêtaient une forte dimension pénale, confirmant de fait la place octroyée au procureur de la République dans la procédure d'autorisation préalable.

Pourtant, les deux décrets d'application n'ont toujours pas été publiés , et les dernières décisions de la CJUE pourraient remettre en cause la lecture du Gouvernement sur la conformité au droit européen de la procédure d'autorisation préalable prévue pour les douanes .

2. Prendre en compte la jurisprudence européenne pour donner leur pleine effectivité aux dispositifs d'accès aux données de connexion

Dans une décision du 6 octobre 2020 (la Quadrature du Net) 94 ( * ) , la CJUE a confirmé que le droit de l'Union s'opposait à une règlementation nationale imposant à un fournisseur de services de communications électroniques la transmission ou la conservation généralisée et indifférenciée de données relatives au trafic et à la localisation. En revanche, un État membre peut prévoir la conservation ciblée desdites données ainsi que leur conservation rapide 95 ( * ) dans le cadre de la lutte contre la criminalité grave et de la prévention des menaces graves 96 ( * ) .

De plus, et concernant plus spécifiquement la procédure prévue pour les agents de la Douane, le Conseil d'État avait signalé que les garanties procédurales prévues pour l'accès aux données de connexion, avec l'autorisation préalable du procureur de la République, étaient insuffisantes au regard des exigences issues du droit de l'Union européenne, qui imposent que l'autorité délivrant l'autorisation d'accès aux données de connexion soit indépendante . Or, il existe une divergence d'interprétation entre la France et la CJUE concernant le statut du procureur et son indépendance.

La Cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs confirmé, dans des décisions ultérieures, que le ministère public était incompétent pour contrôler valablement l'accès aux données de connexion 97 ( * ) , celui-ci ne pouvant se voir reconnaître la qualité de tiers par rapport aux intérêts en cause.

En conséquence, l e dispositif mis en place doit désormais :

1) tenir compte des décisions de la CJUE, en prévoyant une procédure préalable d'autorisation d'accès aux données de connexion conforme aux exigences européennes, en réservant cet accès pour la poursuite des infractions les plus graves et en accordant la durée de conservation avec les exigences de la jurisprudence européenne ;

2) être enfin stabilisé , près de quatre ans après l'adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude.

Dans ce contexte, il est proposé d'étendre aux agents de la Douane la procédure d'accès aux données de connexion prévue pour les agents de la DGFiP et de l'AMF, avec une autorisation préalable du contrôleur général de l'accès aux données de connexion, qui est indépendant . La DGDDI avait pu proposer que l'autorisation soit délivrée par le président du tribunal judiciaire du ressort du service douanier, mais il pourrait plutôt être envisagé d'avoir une instance unique pour traiter les demandes d'accès aux données de connexion.

Par ailleurs, compte tenu des délais constatés dans l'application de ces dispositifs et des difficultés répétées à obtenir du Gouvernement des explications sur ces délais jusqu'à cette mission d'information, le Gouvernement est également invité à publier les décrets en Conseil d'État dans un délai de six mois ou, à défaut, à informer le président et le rapporteur général des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat des obstacles qui s'opposent encore à la publication de ces textes.

Recommandation n° 14 ( Parlement et Gouvernement ) : modifier l'article 65 quinquies du code des douanes afin de prévoir que la mise en oeuvre par les agents de la douane de leur droit de communication des données de connexion fasse l'objet d'une autorisation préalable du contrôleur des demandes de données de connexion. Publier les décrets d'application dans un délai de six mois ou, à défaut, justifier leur absence de publication.

IV. RENFORCER LES OUTILS DE LUTTE CONTRE LES MONTAGES FISCAUX ABUSIFS, AU LENDEMAIN DES DOSSIERS DE « LEAKS » ET DE « PAPERS » PUBLIÉS PAR LA PRESSE

A. DES « PANAMA PAPERS » AUX « PANDORA PAPERS » : QUELLE RÉPONSE DE L'ADMINISTRATION FISCALE AUX AFFAIRES DE FRAUDE FISCALE INTERNATIONALE DEVOILÉES PAR LA PRESSE ?

1. Panama papers, Pandora papers, CumEx Files... : des enquêtes qui illustrent la systématisation de montages financiers transnationaux visant à échapper à l'impôt

Ces dernières années ont été marquées par la publication d'enquêtes mettant en lumière des systèmes à grande échelle d'opacification de flux financiers .

Si les activités dévoilées dans ces enquêtes ne sont pas toujours illégales en soi, elles s'apparentent souvent à de l'évasion fiscale et à une utilisation abusive du secret des affaires 98 ( * ) . Elles impliquent, en tout état de cause, une perte de recettes importante pour les États. D'après l'Observatoire européen de la fiscalité, les capitaux détenus dans des paradis fiscaux s'élevaient à 7 900 milliards d'euros en 2017, ce qui équivaudrait à 8 % du produit intérieur brut (PIB) mondial 99 ( * ) . Il en résulterait une perte de recettes fiscales de l'ordre de 155 milliards d'euros par année au niveau mondial 100 ( * ) .

Ces systèmes d'évitement de l'impôt reposent principalement sur la création de sociétés écrans, localisées dans des juridictions à fiscalité réduite et peu ouvertes aux échanges d'informations , incluant des territoires dépendant de grands États, comme le montre l'exemple de l'État américain du Delaware , qui a été cité dans les Panama papers comme abritant des montages financiers de ce type. Ainsi, plusieurs enquêtes visant à rendre publics ces montages ont été publiées ces dernières années, et notamment :

- les Panama papers , enquête publiée par un consortium international de journalistes (l'ICIJ) en avril 2016. Ils se sont matérialisés par la fuite de 11,5 millions de documents secrets issus des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore. Ils révèlent les montages auxquels de nombreux particuliers ont recouru afin de dissimuler leurs avoirs et leurs revenus à l'administration fiscale de leur pays ;

- les Pandora Papers , enquête également publiée en 2021 par l'ICIJ et reposant sur la fuite de près de 12 millions de documents confidentiels. Ils portent sur des montages fiscaux élaborés par plus d'une dizaine de cabinets de conseil financier.

Les CumEx Files , publiés en 2018 par un consortium de seize médias internationaux emmenés par le site allemand Correctiv , ont quant à eux mis en lumière des montages différents, basés sur la méthode dite d' « arbitrage de dividendes », qui se traduit par des mécanismes de cessions d'actions visant à échapper à la retenue à la source applicable sur les dividendes. Le schéma en question consiste à transférer de façon artificielle la propriété d'actions, de droits ou de titre ouvrant droit à des dividendes, lors du versement de ces derniers, pour échapper aux retenues à la source applicables. Ainsi, selon une nouvelle estimation réalisée en 2021 par le même consortium de journalistes 101 ( * ) , près de 140 milliards d'euros auraient échappé aux administrations fiscales de plusieurs États du fait de ces montages, ce qui est près de trois fois supérieur aux 55 milliards estimés lors de la publication de l'enquête en 2018. Les pratiques dévoilées dans les CumEx Files auraient coûté 33 milliards de recettes fiscales à la France d'après cette enquête.

2. L'administration fiscale peine à exploiter pleinement les informations révélées dans le cadre de ces affaires

Si la publication de ces montages a eu un fort retentissement médiatique, invitant de ce fait à une réponse forte de la part des pouvoirs publics, les informations découlant de ces enquêtes ne sont pas toujours pleinement exploitables pour l'administration fiscale. En effet, Frédéric Iannucci, chef du SJCF, a indiqué, dans le cadre d'une table ronde sur les Pandora papers organisée par la commission des finances le 13 octobre 2021, que la publication de ces enquêtes marque bien souvent pour ses services « le début d'un travail long et minutieux pour retrouver les informations pertinentes permettant d'effectuer des redressements 102 ( * ) ».

L'administration fiscale est en effet confrontée à plusieurs difficultés, qui conduisent de fait à ralentir l'ampleur et la célérité de la réponse qui est apportée à ces montages abusifs.

Tout d'abord, les informations dévoilées par le consortium de journalistes concernent souvent des ressortissants français mais n'ayant pas leur résidence fiscale en France. Au lendemain de la publication des Pandora Papers , la DNEF a par exemple dû mener des travaux d'enrichissement préalables afin d'identifier les individus qui étaient réellement susceptibles de faire l'objet d'investigations particulières de la part de l'administration fiscale.

En outre, le caractère souvent fragmentaire des informations dévoilées rend particulièrement délicat leur exploitation par les pouvoirs publics, d'autant plus que les principes déontologiques auxquels les journalistes s'astreignent les conduisent souvent à refuser de leur transmettre des informations complémentaires .

Il est ainsi particulièrement difficile pour la DGFiP de parvenir à fiscaliser les informations recueillies dans le cadre de ces enquêtes. À titre d'exemple, le fait pour l'administration fiscale de disposer d'une information selon laquelle un individu détiendrait une société dans un paradis fiscal n'est pas suffisant pour lui permettre d'en tirer des conclusions opérationnelles sur le montant des impôts dont il est redevable. Ainsi, d'après le SJCF, la publication de ces enquêtes permet en général à l'administration de disposer d'informations, telles que le nom du siège d'une société, mais sans précision sur le lieu de situation des comptes, et encore moins sur les sommes qui y figurent.

Eu égard à la complexité des montages en cause, les autorités judiciaires français ont souvent été contraintes de recourir à la coopération internationale. Les Panama Papers ont par exemple donné lieu, selon le PNF, à de nombreux échanges « bilatéraux et multilatéraux, formels et informels 103 ( * ) », qui ont été particulièrement mobilisés dans le cadre de ces dossiers de fraude internationale complexe. Les Panama Papers ont ainsi donné lieu à des réunions de coordination régulières au sein d' Eurojust , entre pays européens et en présence des autorités judiciaires panaméennes.

Les demandes de coopération formulées par les autorités françaises n'ont toutefois pas toujours permis de recueillir des informations suffisamment exploitables. En effet, dans le cadre de demandes d'assistance administrative internationale formulées par les autorités françaises, les réponses obtenues de la part des certains pays cités dans ces affaires de « Papers » consistent souvent en une simple confirmation des éléments dont dispose déjà l'administration fiscale, sans que des données complémentaires de nature comptables et financières ne soient transmises.

Il résulte de l'ensemble de ces difficultés des montants recouvrés relativement modestes eu égard aux montants qui auraient, d'après les informations des consortiums, échappés à l'administration fiscale. En outre, les travaux d'investigation sont toujours en cours pour la plupart des affaires, ce qui nuance les chiffres annoncés. Au total, 1,4 milliard d'euros ont été notifiés par l'administration fiscale française, dont plus de 87 % pour les seuls contrôles relatifs aux montages constatés dans le cadre des CumEx Files, pour un total de 453 millions d'euros effectivement recouvrés à ce stade :

- ce montant n'inclut pas les sommes recouvrées à la suite des révélations par les Pandora Papers . En effet, les investigations de la DNEF concernant cette affaire sont toujours en cours, ce qui ne permet pas de formuler à ce stade un bilan des montants recouvrés. Toutefois, d'après une résolution du Parlement européen du 21 octobre 2021 104 ( * ) adoptée au lendemain des Pandora papers, les autorités fiscales de l'ensemble des États membres auraient récupéré plus d'un milliard d'euros à la suite de ces révélations ;

- concernant les Panama Papers , la DGFiP a examiné plus de 600 dossiers en lien avec cette affaire. L'absence de coopération de la plupart des contribuables interrogés a rendu nécessaire le recours à l'assistance administrative internationale. Au dernier bilan établi en janvier 2022, les résultats des opérations menées par la DGFiP en lien avec les Panama Papers s'élevaient à 176 millions d'euros , correspondant à 112,8 millions de droits recouvrés et 63,2 millions d'euros de pénalités 105 ( * ) ;

- en ce qui concerne les montages relatifs aux CumEx files , les contrôles menés par la DGFiP sur des opérations de « CumCum » ont donné lieu à l'envoi de propositions de rectifications dès 2017, soit avant les révélations. À ce jour, les résultats des opérations de contrôle en lien avec ces pratiques se sont élevés à un montant de 1,2 milliard d'euros (804 millions d'euros de droits et 409 millions d'euros de pénalités) dont 277 millions d'euros ont déjà été recouvrés. Ces montages seraient néanmoins à l'origine d'une perte fiscale pour la France de l'ordre d'un à trois milliards d'euros par an et, au total, de 33 milliards d'euros sur 20 ans 106 ( * ) .

Droits notifiés par l'administration fiscale en réaction aux grandes affaires
de « Leaks » ou de « Papers »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur

B. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES EXIGENCES DE TRANSPARENCE À TOUS LES NIVEAUX POUR LUTTER CONTRE CES MONTAGES ABUSIFS

1. Des réflexions autour de l'efficacité des dispositifs de « name and shame », qui pourraient davantage être portées sur la qualité de la coopération en matière d'échange d'informations entre États

Le défaut de coopération de la part des États désignés dans les dossiers de « leaks » constitue l'une des principales difficultés que rencontre l'administration pour sanctionner les montages abusifs. Il s'agit d'un sujet sensible diplomatiquement, sur lequel aucune avancée ne peut être obtenue sans engager une réflexion et un dialogue approfondis au niveau international.

Les réflexions relatives à la création de « listes noires » visant à faire pression sur certains paradis fiscaux, afin de les inciter à partager des informations de nature fiscales sur certains contribuables y possédant des actifs ont été engagées dès 2015 en Europe, soit avant la publication de principaux dossiers de « leaks ». Si la publication de ces enquêtes a contribué à accélérer le développement de ces outils, elle en a aussi paradoxalement souligné les limites. En effet les schémas de fraude qui sont exposés dans les affaires les plus récentes mettent systématiquement en lumière un défaut de coopération entre les États, que ces dispositifs de « name and shame » n'ont, force est de constater, pas permis d'enrayer.

La France a ainsi créé une liste d'États et territoires non coopératifs (ETNC) en matière fiscale, composée de 12 États 107 ( * ) , depuis sa dernière actualisation le 2 mars 2022 108 ( * ) . L'Union européenne établit aussi, depuis 2016 sa propre liste noire d'ETNC . Elle publie également une « liste grise », plus longue, qui vise à mesurer les progrès réalisés par les États concernés.

Par ailleurs d'autres États membres de l'Union européenne, tels que l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie, disposent d'une liste nationale d'ETNC.

Les critères d'inscription sur les listes française et européenne d'ETNC

Pour définir si un État doit ou non intégrer la liste, les autorités françaises ne s'arrêtent pas à la seule existence d'instruments de coopération fiscale, elle vérifie que ces instruments juridiques ont bien permis à l'administration fiscale d'obtenir les renseignements nécessaires à l'application de la législatif fiscale française. Les critères français sont définis à l'article 238-0 A du CGI. Ainsi, des États ou territoires sont considérés comme des ETNC dès lors que :

- ils sont considérés par le Conseil de l'UE comme facilitant la création de structures ou de dispositifs offshore destinés à attirer des bénéfices sans substance économique réelle ;

- ils ne respectent pas au moins un des autres critères définis par le conseil de l'UE relatifs à la transparence fiscale, à l'équité fiscale et à la mise en oeuvre des mesures anti-BEPS que les États membres de l'UE s'engagent à promouvoir, et figurant à l'annexe V de la liste de l'UE.

L'article 31 de la loi relative à la lutte contre la fraude a par ailleurs ajouté à la liste française des ETNC les États et les territoires présents sur la liste « noire » européenne , dont les critères d'inscription sont différents. La liste française des ETNC est aujourd'hui identique à la liste européenne à la seule exception des Iles Vierges britanniques qui demeurent inscrites sur la liste française.

L'édiction de la liste européenne reposes sur trois types de critères :

- un critère de transparence fiscale ;

- un critère de fiscalité équitable ;

- un critère reposant sur l'application des standards de l'OCDE anti- BEPS 109 ( * ) .

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur

Ces listes font l'objet de plusieurs critiques qui concernent, d'une part, la pertinence de critères d'inscription des États sur ces listes, et d'autre part, les conséquences effectives de l'inscription sur ces listes.

Plusieurs États, de par leur législation fiscale agressive ou leur comportement en matière de coopération fiscale, pourraient théoriquement être inscrits sur ces listes, mais ne le sont pas dans les faits, en raison de leur poids économique ou politique important. Leur inscription pose en effet, selon Éric Alt, vice-président de l'association Anticor, « un vrai problème diplomatique » 110 ( * ) , avec un trop important dommage réputationnel pour ces États, « too big to blacklist » 111 ( * ) . Cela conduit, dans les faits à dissuader leurs homologues de les inscrire sur « liste noire », ces derniers craignant de provoquer une dégradation de leurs relations diplomatiques.

Ce constat est particulièrement vrai concernant l'Union européenne, dont certains États pourraient, eu égard aux caractéristiques de leur système fiscal, risquer d'être inscrits sur ces listes. Dans sa résolution de 2021 sur l'amélioration des critères d'inscription sur les listes d'ETNC de l'Union européenne, le Parlement européen a à cet égard critiqué l'hypocrisie de la liste européenne, en estimant qu'il fallait que l'Union européenne donne « l'exemple chez elle 112 ( * ) ».

L'inscription sur les listes noires, au-delà du dommage réputationnel qu'elle implique, peut également conduire à l'application de sanctions à l'égard des États ou territoires désignés. Concernant la France, ces sanctions, modifiées pour la dernière fois par l'article 31 de la loi relative à la lutte contre la fraude , diffèrent selon le critère d'inscription sur la liste de l'État en question. Ainsi, les États et territoires inscrits sur la liste française peuvent se voir appliquer pas moins de 24 mesures, telles que, par exemple, un alourdissement de la fiscalité applicable aux opérations réalisées avec ces États ou l'encadrement des prix de transferts.

La portée réelle de ces sanctions peut toutefois être remise en cause dans la mesure où leur application n'a rien d'automatique. Celles-ci peuvent faire l'objet de clause de sauvegarde , exigées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel 113 ( * ) , et permettant d'écarter leur application au cas par cas lorsque le débiteur établit que les opérations concernées sont réelles et ont principalement un objet et un effet autres que de permettre leur localisation dans un ETNC. Par ailleurs, certaines de ces contremesures s'appliquent sous réserve des stipulations des conventions fiscales internationales, conformément à l'article 31 de la loi relative à la lutte contre la fraude.

Les États membres de l'Union européenne se sont toutefois engagés depuis 2021 à appliquer au moins une mesure de nature législative, et une mesure de nature administrative, parmi une liste élaborée par le groupe de travail « Code de conduite » de l'Union européenne en 2019. Il convient de noter que la France est le seul État membre qui impose l'ensemble des contremesures identifiées.

Le groupe de travail « Code de conduite »

Le code de conduite de l'UE (fiscalité des entreprises) est un instrument de L'Union européenne ayant vocation à promouvoir une concurrence fiscale loyale, au sein de l'UE et au-delà. Il s'agit d'un groupe de travail intergouvernemental juridiquement non contraignant qui vise à identifier et à évaluer les éventuelles mesures fiscales préférentielles dommageables des États membres. Ce groupe de travail a permis d'identifier des contre-mesures à l'égard des ETNC.

Les mesures défensives en matière administrative sont :

- la surveillance renforcée des transactions ;

- les risques d'audit accrus pour les contribuables bénéficiant de régimes inscrits sur la liste ;

- les risques d'audit accrus pour les contribuables qui recourent à des dispositifs fiscaux impliquant des régimes inscrits sur la liste.

Les mesures défensives en matière législative sont :

- la non-déductibilité des coûts exposés dans un ETNC ;

- l'application des règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées ;

- la retenue fiscale à la source ;

- la limitation de l'exonération de participation sur les dividendes des actionnaires.

Source : réponses au questionnaire du rapporteur

Certains observateurs considèrent que ces listes noires, dont l'efficacité et la cohérence sont remises en cause, devraient être complétées au niveau européen par une « liste noire » qui se concentrerait exclusivement sur le défaut de coopération des États en matière de réponses aux demandes d'informations.

Selon Patrick Lefas, président de Transparency international France , il conviendrait ainsi de « trouver le moyen de désigner les pays qui ne répondent pas aux demandes d'informations » 114 ( * ) . Le « name and shame » en la matière pourrait en effet être intensifié, dans la mesure où ce défaut de coopération constitue bien souvent la principale cause de l'incapacité des États à démanteler les montages dévoilés dans les affaires de Papers .

En effet, le recours à la coopération internationale se traduit encore aujourd'hui par un allongement sensible des délais de procédure, quand il n'est pas synonyme de refus, explicite ou implicite, de coopérer 115 ( * ) . Une discussion pourrait dès lors être engagée au niveau international sur le système d'entraide en matière de lutte contre la délinquance économique et financière. Cette réflexion pourrait notamment porter sur la création d'un dispositif de « name and shame » , qui interviendrait en complément des listes européennes et françaises, et qui viserait les pays ne jouant pas le jeu de la réponse aux assistances administratives internationales.

Cette liste pourrait s'appuyer sur le travail de l'OCDE, qui aurait la tâche de collecter et de consolider les informations en matière de demande d'informations que lui transmettraient l'ensemble des États membres. Elle pourrait, selon Transparency international France , tenir une comptabilité des délais de réponse des pays aux commissions rogatoires internationales et assimilées des autres pays.

Recommandation n° 15 ( OCDE ) : engager, au niveau international, une réflexion sur la création d'un dispositif de « name and shame » envers les pays ne jouant pas le jeu de la coopération en matière d'échanges d'informations, en complément des listes européennes d'ETNC.

2. Promouvoir une meilleure utilisation des registres de bénéficiaires effectifs de sociétés
a) Le registre des bénéficiaires effectifs : un outil incomplet qui doit être renforcé

Le défaut d'identification des bénéficiaires effectifs de sociétés offshores et de trusts est au coeur des dossiers de fraudes révélés dans la presse ces dernières années. La création de registres permettant de répertorier les bénéficiaires effectifs en France et dans chaque pays de l'Union européenne a, à cet égard, constitué une avancée notable.

Le registre des bénéficiaires effectifs

La notion de bénéficiaire effectif est définie, selon l'article L. 561-2-2 du code monétaire et financier comme « la ou les personnes physiques : soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ».

Le registre des bénéficiaires français, dont la gestion et le contrôle a été confiée en France aux greffiers des tribunaux de commerce, a été créé en 2017, et est accessible au public gratuitement depuis avril 2021. Il est censé recenser l'ensemble des personnes qui détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société cotée, du groupement d'intérêt économique ou d'une autre personne morale inscrite au registre du commerce et des sociétés (RCS).

L'obligation de tenir un registre des bénéficiaires effectifs a depuis été consacrée au niveau de l'Union européenne. La directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018 116 ( * ) a notamment imposé aux États membres de mettre en place, dans un registre central, un dispositif d'identification des bénéficiaires effectifs des sociétés et entités juridiques constituées sur leur territoire. Cette directive a été transposée en droit français par l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 et les décrets n° 2020-118 et n° 2020-119 du 12 février 2020.

Les entreprises et les personnes physiques qui ne se conforment pas à leur obligation de déclarer leurs bénéficiaires effectifs s'exposent à des sanctions pénales. Celles-ci sont prévues par l'article L.574-5 du Code monétaire et financier :

- pour les personnes physiques, il est prévu une peine de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ainsi que l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une société et de participer aux marchés publics ;

- pour les personnes morales, il est également prévu une amende de 7 500 euros ainsi que la dissolution, l'interdiction d'exercice définitif ou temporaire, la fermeture définitive ou temporaire, l'exclusion des marchés publics à titre définitif ou temporaire, l'interdiction, à titre définitif ou temporaire, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé.

Source : rapport d'information (n°1822) du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, sur la mise en oeuvre des conclusions du rapport d'information (n° 1822) du 28 mars 2019 sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière

L'accès aux données contenues dans ces registres constitue en effet, selon l'administration fiscale , une réelle avancée dans la connaissance des bénéficiaires effectifs, notamment lorsqu'il existe plusieurs sociétés étrangères dans la chaîne de détention.

Le Parlement européen a également souligné l'intérêt de ces registres, dans le cadre d'une résolution prise au lendemain de la publication des Pandora papers 117 ( * ) . Il a estimé que ces affaires « démontrent la nécessité et la grande utilité des registres de bénéficiaires effectifs interconnectés et accessibles au public pour les fiducies et les structures similaires telles que les entreprises, afin de permettre un contrôle plus étroit et une meilleure vérification croisée des informations par les journalistes et la société civile ».

Ces registres présentent toutefois plusieurs limites, qui conduisent à en réduire la portée et l'efficacité dans le cadre de la lutte contre les montages abusifs.

Premièrement, si l'existence de telles bases de données est aujourd'hui obligatoire pour les États membres de l'Union européenne, force est de constater que la grande majorité des États hors Union européenne ne disposent pas de tels registres. Ainsi, ces outils ont certes favorisé une meilleure transparence de l'information au niveau de l'Union européenne, mais ils n'ont de fait pas permis de régler le problème de l'accès aux informations des pays tiers, et notamment des paradis fiscaux. À cet égard, l'association Oxfam France, dans le cadre d'une table ronde sur les Pandora Papers organisée par la commission des finances le 13 octobre 2021 118 ( * ) a notamment regretté que l'existence d'un registre national de bénéficiaires effectifs publiquement accessible et exploitable par l'administration fiscale ne constitue pas un critère d'inscription sur les listes noires de l'UE.

Par ailleurs, le caractère incomplet des registres existants les rend mécaniquement beaucoup moins exploitables pour l'administration fiscale.

En France le degré de complétude du registre des bénéficiaires effectifs des sociétés représenterait 75 %, ce qui correspond à environ à 3,5 millions d'informations déclarées 119 ( * ) . Ainsi, près de 25 % des sociétés assujetties à l'obligation de déclaration n'ont pas déclaré l'identité de leurs bénéficiaires effectifs. D'après les éléments communiqués par Transparency International , les principales structures défaillantes seraient les sociétés civiles, et plus particulièrement les sociétés civiles immobilières (SCI) 120 ( * ) . Or, il peut arriver qu'une SCI soit impliquée dans un schéma de blanchiment du produit de la corruption internationale.

Il est essentiel, pour garantir l'effectivité de cet outil, de s'assurer que les sanctions pour défaut de déclaration de ces bénéficiaires effectifs soient appliquées. Or, aucune information ne serait actuellement publiée à ce sujet 121 ( * ) .

Recommandation n° 16 ( greffiers des tribunaux de commerce ) : veiller à l'application de sanctions en cas de défaut de renseignement du registre des bénéficiaires effectifs.

Recommandation n° 17 ( Gouvernement ) : publier chaque année des statistiques concernant l'application des sanctions relatives au défaut de renseignement des bénéficiaires effectifs de sociétés.

b) Optimiser l'utilisation des registres par un croisement avec d'autres données existantes

Il est également essentiel, dès lors que la complétude des registres est garantie, de pouvoirs disposer des outils techniques afin d'en exploiter tout le potentiel.

Le cas de l'enquête Open Lux , publié par les Décodeurs du Monde en février 2021, est à cet égard particulièrement éclairant. Cette enquête a la particularité de ne pas reposer sur la fuite de documents, contrairement aux Panama Papers , aux Pandora papers et aux CumEx Files , mais sur l'exploitation, par le recours au webscraping, du registre des bénéficiaires effectifs du Luxembourg ( Luxembourg Business Register) , dont les données sont publiquement accessibles.

OpenLux : une enquête basée sur le « webscraping » de données publiques

Les OpenLux , désignent l'enquête initiée par les Décodeurs du Monde et publiée en février 2021 par un consortium de journalistes internationaux. Les montages qui y sont dévoilées répondent à une logique similaire que pour les autres affaires de « Papers », puisqu'ils reposent sur la création de sociétés sans bureau ni salarié mais gérant pourtant des actifs dont la valeur s'élèverait au minimum à 6 500 milliards d'euros.

La particularité des OpenLux réside dans les modes d'investigation utilisés : ils ne reposent pas sur l'exploitation de « leaks », c'est-à-dire de fuites de documents confidentiels, mais sur l'extraction et l'exploitation de données publiquement accessibles et issues du registre luxembourgeois de bénéficiaires effectifs de sociétés.

Les données de ce registre ont pu être exploitées par les journalistes du Monde par l'intermédiaire de la technique du webscraping , grâce à la création d'un script informatique qui a simulé le comportement de plusieurs milliers d'internautes qui auraient navigué anonymement pendant un an sur l'intégralité des pages du registre luxembourgeois.

Ainsi, entre 2016 et 2020, plus de 3,3 millions de documents ont été « aspirés », soit 1,3 téraoctet de données, dont les plus anciens remontent aux années 1950.

Source : Le Monde, 8 février 2021, OpenLux : faire parler des registres publics, une enquête d'un genre nouveau

La DGFiP a également indiqué travailler avec un prestataire privé, chargé du développement de robots de webscrapping , qui doivent permettre de récupérer de façon automatique les données des registres de bénéficiaires effectifs d'autres États. Les données du Luxembourg ont été récupérées, tandis que les registres du Royaume Uni et du Danemark seraient en cours de traitement. La mise à jour régulière des sites constitue toutefois une source de complexité en ce qui concerne le paramétrage de ces robots, qui doit être redéfinie à chacune de ces mises à jour.

L'administration fiscale a ensuite recours à des techniques de fuzzy matching pour associer aux personnes physiques, par un traitement automatisé de l'état civil des bénéficiaires effectifs, un identifiant fiscal français (SPI) afin de faciliter ensuite leur intégration dans le référentiel des associés et leur utilisation dans les travaux d'analyse pour cibler la fraude et les anomalies fiscales.

Pour renforcer l'utilité du registre des bénéficiaires effectifs, il pourrait être particulièrement utile de mobiliser l'ensemble des technologies fondées sur l'extraction et l'exploitation de données dont dispose l'administration, telles que le websrapping , le fuzzy matching , ou l'intelligence artificielle 122 ( * ) , afin de croiser ces informations avec d'autres bases de données. Il pourrait par exemple être envisagé de mettre en lien les données du registre des bénéficiaires effectifs avec celles du cadastre permettant de recenser l'ensemble des propriétés immobilières en France, de manière à détecter, par le rapprochement de ces données, d'éventuelles anomalies et fraudes. Cette démarche pourrait être menée au niveau de l'Union européenne, afin de disposer de la base d'information la plus complète possible. Il s'agirait d'un premier pas vers le cadastre financier encouragé par l'Observatoire européen de la fiscalité 123 ( * ) . Celui-ci plaide en effet pour la création d'une base de données au niveau de l'Union européenne, qui permettrait de retracer les propriétaires de l'ensemble des actifs, qu'ils soient par exemple financiers ou immobiliers , mais qui apparait difficilement réalisable à ce stade.

À cet égard, il convient de souligner qu'une étude croisée du registre français sur les bénéficiaires effectifs et du cadastre français menée conjointement par Transparency International France , Transparency International et Anti-Corruption Data Consortium est actuellement en cours, et devrait être publiée dans le courant du second semestre 2022 124 ( * ) .

Recommandation n° 18 ( Gouvernement et Union européenne ) : élaborer un outil permettant de croiser les données relatives au registre des bénéficiaires effectifs avec d'autres données, notamment celles du cadastre. Cette démarche pourrait être menée au niveau européen pour que les informations soient les plus complètes possibles.

3. Promouvoir une meilleure responsabilisation des intermédiaires impliqués dans des montages financiers abusifs

Le rôle des intermédiaires financiers dans le cadre de l'élaboration de montages financiers abusifs a été souligné par de nombreux observateurs, et notamment par Transparency international qui, dans le cadre de son rapport sur le bilan des Pandora papers , a estimé que ces professions, « par leurs activités de conseil (...) sont susceptibles de faciliter la création de montages financiers opaques destinés à dissimuler l'identité de leurs clients ou l'origine de leurs actifs 125 ( * ) . » De même, l'OCDE a appelé, dans un rapport publié au début de l'année 2021, à mieux réprimer les intermédiaires fiscaux qui décident de jouer un « rôle décisif pour dissimuler des délits fiscaux et d'autres infractions financières commis par leurs clients » 126 ( * ) .

Il convient toutefois de noter que les obligations à l'égard de ces intermédiaires financiers ont ces dernières années fait l'objet d'un renforcement, et plus particulièrement depuis la transposition de la directive 2018/822 du 25 mai 2018 dite « DAC 6 127 ( * ) ».

L'article 22 de la loi relative à la lutte contre la fraude a ainsi prévu une habilitation pour le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de transposer la directive « DAC 6 ». Cette directive prévoyait notamment que les intermédiaires, et notamment les avocats fiscalistes, en tant que concepteurs ou prestataires de service qui mettent en place des dispositifs de planification fiscale potentiellement abusifs, les déclarent à l'administration fiscale. Les données récoltées ont ensuite vocation à être échangées entre les États membres. Toujours dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude, son article 7 a en outre permis de clarifier l'obligation déclarative de comptes dormant à l'égard des intermédiaires fiscaux, en précisant que celle-ci, prévue par l'article 1649 A du CGI, vise bien l'ensemble des comptes détenus à l'étranger par le contribuable.

L'obligation de déclaration des dispositifs transfrontières potentiellement abusifs introduits par la directive « DAC 6 »

La directive « DAC6 » est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Elle instaure l'obligation de déclarer les dispositifs transfrontières potentiellement agressifs à charge de leurs concepteurs - les intermédiaires - ou à défaut, de leurs bénéficiaires - les contribuables.

Applicable dans l'ensemble de l'UE, obligation déclarative a été transposée en France par les articles 1649 AB à AH du CGI, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1 er janvier 2021. L'article 1649 AE du CGI définit ainsi l'intermédiaire comme :

- « t oute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en oeuvre ou en gère la mise en oeuvre » ;

- « toute personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l'expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu'elle s'est engagée à fournir, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en oeuvre ou la gestion de sa mise en oeuvre ».

Le champ d'application matériel de l'obligation « DAC 6 » est défini à partir des critères cumulatifs suivants :

- « les dispositifs » : qui s'entendent au sens large et recouvrent notamment tout accord, entente, mécanisme, transaction ou série de transactions, qu'ils aient ou non force exécutoire ;

- « transfrontières » : les dispositifs doivent concerner au moins deux États, dont un État membre de l'UE au moins ;

- « potentiellement agressifs au plan fiscal » : les dispositifs qualifiés au sens de la « DAC 6 » comportent au moins l'un des marqueurs issus de la liste figurant à l'article 1649 AH du CGI (il s'agit de caractéristiques et d'éléments susceptibles de constituer des signes manifestes d'évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives).

Une fois déclarées, les informations sont transférées au répertoire central européen (RCE) qui est accessible aux administrations fiscales de tous les États membres de l'UE. Ce transfert doit intervenir au plus tard dans le mois suivant la fin du trimestre au cours duquel les données ont été déclarées à la DGFiP, soit, pour l'année 2021, avant le 30 avril, le 31 juillet et le 31 octobre.

La collecte les déclarations « DAC6 » par la DGFIP a débuté le 1er janvier 2021 et le premier transfert des données au RCE a eu lieu en avril 2021.

Sources : réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur

L'utilisation des données collectées à partir des déclarations « DAC 6 » permet ainsi à l'administration fiscale :

- de détecter d'éventuelles failles législatives qui permettent ou facilitent la mise en place de montages agressifs ;

- de procéder au datamining et, à terme, au textmining des déclarations en vue d'exploiter leur contenu à des fins de programmation du contrôle fiscal ;

- d'utiliser ces données pour les besoins d'actions menées directement par les directions nationales et régionales de contrôle fiscal.

Ces données sont par ailleurs transférés au sein d'un répertoire central européen (RCE), qui regroupe l'ensemble des déclarations déposés par tous les États membres, et a déjà permis, au 31 décembre 2021, d'obtenir 33 658 déclarations dont 669 déclarations transmises par la France.

La portée de cet outil doit toutefois être nuancée. Tout d'abord ces obligations de déclaration ne s'appliquent pas aux schémas préexistant à l'entrée en vigueur de la directive. Par ailleurs, la sanction financière en cas de non-respect de cette obligation déclarative, qui se traduit par une amende de 10 000 euros ramenée à 5 000 euros pour la première infraction, ne serait, selon l'organisation syndicale Solidaires finances publiques , pas suffisamment dissuasive 128 ( * ) .

Il apparait ainsi néanmoins essentiel qu'un véritable travail soit mené au niveau de l'Union européenne, par exemple par la Commission européenne, afin d'évaluer les apports réels de la directive DAC 6 en matière de responsabilisation des intermédiaires financiers ainsi que, sur les résultats du contrôle fiscal au sein des différents États membres.

Les affaires récentes ont par ailleurs mis en évidence la nécessité de renforcer les règles de transparence à l'égard des intermédiaires financiers, en particulier dans les pays susceptibles d'abriter des montages abusifs. À cet égard, Oxfam France a souligné dans le cadre de la table ronde Pandora Papers , le fait que l'existence de règles de transparence à l'égard des intermédiaires financiers au sein d'un État n'était absolument pas pris en compte dans les critères d'établissement des listes noires de l'Union européenne. Il pourrait dès lors être envisagé, sous réserve de l'évaluation des apports de la directive « DAC 6 », d'introduire, pour déterminer la « liste noire » des États non coopératifs, le critère de l'existence ou non de règles de transparences applicables aux intermédiaires financiers.

Recommandation n° 19 ( Union européenne ) : mener une évaluation approfondie de l'efficacité des obligations de transparence à l'égard des intermédiaires financiers introduites par la directive « DAC 6 », et sous réserve des résultats de cette évaluation, réfléchir à l'introduction d'un nouveau critère d'inscription sur la « liste noire » de l'Union européenne portant sur l'existence ou non de règles de transparence applicables aux intermédiaires financiers.

C. RÉVISER LES CONVENTIONS FISCALES POUR PRÉVENIR LES ABUS : LE CAS EMBLÉMATIQUE DES « CUMEX FILES »

1. Un dispositif adopté à l'initiative du Sénat pour lutter contre l'arbitrage de dividendes, mais partiellement vidé de sa substance ensuite
a) L'ambition du Sénat : faire échec aux opérations d'arbitrage de dividendes

À la suite des premières révélations d'un consortium international de journalistes concernant les Cumex Files , le Sénat avait adopté à l'unanimité un amendement, présenté par la quasi-totalité des groupes parlementaires, au projet de loi de finances initiale pour 2019 visant à faire échec aux opérations d' « arbitrage de dividendes » . Le dispositif proposé était issu des travaux du groupe de suivi sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de la commission des finances et entendait donc lutter contre ces montages abusifs, internes comme externes .

Arbitrage de dividendes : montages interne et externe

En principe, les versements de dividendes aux actionnaires étrangers
(non-résidents) d'une société française sont soumis à une retenue à la source prévue au taux « interne » de 30 % pour les personnes morales 129 ( * ) . La plupart des conventions fiscales prévoient toutefois un taux réduit, souvent 10 % ou 15 %, auquel peuvent prétendre les résidents des États concernés.

L'arbitrage de dividendes permet d'échapper à cette retenue à la source - c'est-à-dire à l'impôt - grâce à deux types de montages :

1°) montage « interne » : à l'approche de la date de versement des dividendes, afin d'échapper à la retenue à la source, le propriétaire de l'action la prête à un résident français, qui est le plus souvent un établissement financier. Le résident français, qui n'est soumis à aucune retenue à la source, rétrocède ensuite le dividende à son bénéficiaire réel sous la forme d'un flux financier indirect, en échange d'une commission.

Ce schéma est à la frontière de la légalité : si les opérations de « prêt-emprunt de titres » règlementé sont interdites autour de la date de versement du dividende, rien n'interdit aux parties de recourir à d'autres formes juridiques de cessions temporaires. Les acteurs recourent également parfois à des instruments financiers permettant à l'acquéreur non-résident de détenir tous les éléments de rendement des actions sans en être cependant le propriétaire juridique. Ces instruments donnent lieu à des flux financiers qui permettent de rémunérer indirectement le « véritable » propriétaire des actions, l'administration fiscale étant ensuite largement dans l'incapacité d'effectuer les contrôles permettant de requalifier ces flux financiers en versements de dividendes.

2°) montage « externe » : à l'approche de la date de versement des dividendes, afin d'échapper à la retenue à la source, le propriétaire de l'action la prête au résident d'un État dont la convention fiscale signée avec la France ne prévoit aucune retenue à la source. Comme pour le montage « interne », cette possibilité est souvent « offerte » par des établissements financiers disposant de filiales dans les pays concernés.

Source : commission des finances

b) L'adoption par le Parlement d'un dispositif anti-abus pour les montages internes, quoiqu'altéré par rapport à celui défendu par le Sénat

Le dispositif adopté par le Sénat visait :

- pour répondre au montage interne , à soumettre à la retenue à la source au taux « interne » tous les flux financiers correspondant indirectement à la rétrocession d'un dividende à un actionnaire non-résident . Il appartenait alors aux banques d'identifier les opérations susceptibles d'être concernées. Les établissements payeurs devaient ensuite adresser à l'administration fiscale une liste annuelle de tous les versements opérés dans ce cadre ;

- pour répondre au montage externe , à imposer aux établissements payeurs l'application par défaut du taux « interne », le bénéficiaire pouvant ensuite demander le remboursement de l'éventuel trop-perçu , sur présentation de justificatifs.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019 en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale n'a conservé que le dispositif propre au montage interne , en le modifiant substantiellement et, partant, en l'affaiblissant :

- les opérations hors contrat entre l'investisseur étranger et l'établissement français ne sont pas comprises dans le champ de l'article (les montages faisant appel à des instruments financiers complexes sont donc exclus) ;

- le dispositif est limité aux opérations financières survenant dans les 45 jours autour de la date de versement du dividende.

Par ailleurs les montages externes sont également exclus puisque ne sont pas concernés les montages reposant sur des cessions temporaires au profit de résidents d'un pays lié à la France par une convention fiscale prévoyant une retenue à la source de 0 %.

Les résultats présentés précédemment illustrent le fait que, en l'état du droit, l'administration fiscale ne parvient à recouvrer qu'une petite partie des sommes qui échappent à l'imposition du fait de ces montages fiscaux abusifs .

2. Agir, enfin, sur les montages externes en révisant les conventions fiscales

La France est partie à neuf conventions fiscales bilatérales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes versés à des résidents étrangers . Les pays concernés sont l'Arabie saoudite, le Bahreïn, l'Égypte, les Émirats arabes unis, la Finlande, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar.

Sept 130 ( * ) de ces conventions fiscales sont couvertes par la règle anti-évitement , dite « clause des objets principaux », prévue à l'article 7 de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Cette règle permet de remettre en cause un avantage accordé au titre d'une convention « s'il est raisonnable de conclure [...] que l'octroi de cet avantage était l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir ». Quant aux deux autres, elles concernent le Liban - qui n'a pas encore signé la convention multilatérale, ainsi que le Koweït- qui l'a signée mais pas encore ratifiée.

Les nouvelles révélations du consortium international de journalistes à l'automne 2021 ont mis en lumière la persistance de l'arbitrage de dividendes, et de ses effets sur les recettes fiscales des États.

La Cour des comptes avait également relevé, dans un référé sévère 131 ( * ) , que l'expertise économique consacrée aux négociations fiscales internationales était insuffisante au regard des enjeux financiers , conduisant à une adoption « quasiment à l'aveugle » des conventions, « de nature à porter atteinte à la défense de nos intérêts ».

L'enjeu serait finalement aujourd'hui moins d'étendre le réseau conventionnel français que de le moderniser afin de mieux lutter contre l'évasion fiscale et de prévenir la mise en place de montages abusifs qui rognent les recettes fiscales françaises .

Ainsi, si la réponse la plus efficace aux montages abusifs et frauduleux, tels que ceux mis en lumière par les Cumex Files , ne réside probablement pas dans une modification de la loi, il est cependant impératif que le Gouvernement engage la révision des conventions fiscales dont les dispositions servent de support à ces montages fiscaux abusifs.

Recommandation n° 20 : rappeler au Gouvernement la nécessité de réviser les conventions fiscales internationales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes, et ce afin de prévenir tout abus fiscal (« arbitrage de dividendes »).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. PANDORA PAPERS : COMMENT CONTRÔLER LA CRÉATION ET LES BÉNÉFICIAIRES EFFECTIFS DES SOCIÉTÉS OFFSHORE (13 OCTOBRE 2021)

Réunie le mercredi 13 octobre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu Mme Giulia Aliprandi, chercheuse à l'Observatoire européen de la fiscalité, MM. Marc Bornhauser, avocat spécialiste en droit fiscal, Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, et Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France, sur le thème "Pandora Papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ?"

M. Claude Raynal , président . - Nous nous retrouvons ce matin une semaine après les informations publiées par un consortium international de journalistes sur les montages fiscaux élaborés par plus d'une dizaine de cabinets de conseil financier. Connues sous le nom de Pandora Papers , ces informations s'inscrivent dans le sillage de précédents travaux d'investigation - Panama Papers en 2016, Paradise Papers en 2017 ou encore OpenLux plus tôt cette année. Les informations mettent à jour un système à grande échelle d'opacification de flux financiers, par la création de sociétés écrans, localisées dans des juridictions à fiscalité réduite et peu ouvertes aux échanges d'informations, incluant des territoires dépendant de grands États.

Depuis une dizaine d'années, d'importantes avancées ont été enregistrées à différents niveaux. Je pense au projet BEPS - pour Domestic tax base erosion and profit shifting - de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais aussi à plusieurs directives emblématiques - la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale dite « ATAD », ou les directives relatives à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal dites « DAC » -, et à des évolutions législatives nationales. Pourtant, la levée du secret bancaire à la suite de la crise financière de 2008 se heurte toujours à certains obstacles, dont les sociétés écrans.

En tant que législateurs, nous nous interrogeons sur l'efficacité des règles applicables pour contrôler et appréhender fiscalement les sociétés offshore , ainsi que sur les moyens de renforcer la lutte contre ces montages. Les enjeux sont à la fois financiers et politiques, dans la mesure où ces pratiques peuvent faciliter le blanchiment de revenus illicites et reportent la contribution publique sur d'autres acteurs.

Pour faire le point sur ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP), M. Marc Bornhauser, avocat spécialiste en droit fiscal, Mme Giulia Aliprandi, chercheuse au sein de l'Observatoire européen de la fiscalité et M. Quentin Parrinello, responsable plaidoyer justice fiscale et inégalités pour Oxfam France. Je vous remercie tous d'avoir accepté cette invitation.

Je vous propose de tenir chacun un propos liminaire de dix minutes, que vous pourrez compléter ultérieurement par des précisions complémentaires.

Sans plus tarder, je cède la parole à M. Frédéric Iannucci, pour qu'il nous expose le point de vue de l'administration chargée du contrôle fiscal sur les Pandora Papers et sur les suites qui pourraient en résulter pour les résidents fiscaux français concernés.

M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques . - L'administration fiscale se réjouit évidemment de ces nouvelles révélations concernant des schémas d'évasion ou de fraude fiscale internationales. Il s'agit d'une étape supplémentaire par rapport à des révélations antérieures. Nous n'avons accès qu'aux publications de la presse, car, en vertu de leurs principes déontologiques, les journalistes n'entendent pas livrer plus d'éléments aux administrations fiscales. Les informations dont nous disposons sont assez fragmentaires ; elles portent sur des personnes qui détiendraient des sociétés à l'étranger et sont, ou non, résidentes fiscales françaises. Il ne suffit pas d'être français pour être assujetti à l'impôt en France. Pour les personnalités citées qui sont non-résidentes depuis plusieurs années, l'administration fiscale française n'est pas en mesure d'opérer des vérifications.

Hormis le cas où les personnes viendraient spontanément régulariser leur situation, c'est pour nous le début d'un travail long et minutieux pour retrouver les informations pertinentes permettant d'effectuer des redressements. Savoir qu'une personne détient une société dans tel ou tel paradis fiscal n'est pas suffisant pour en tirer des conclusions opérationnelles sur le montant des impôts qu'elle doit payer. Le plus souvent, nous avons le nom du siège d'une société, mais sans informations sur le lieu de situation des comptes et encore moins sur les sommes qui y figurent. Nous sommes amenés à faire des demandes d'assistance administrative internationale auprès des pays concernés ; certains d'entre eux nous confirment les informations, mais sans nous donner d'informations comptables et financières. C'est là toute la difficulté.

Nous avons un peu de recul sur les Panama papers ; des procédures ont abouti. Nous travaillons de plus en plus avec la justice, notamment le parquet national financier et tous les services de l'État conjuguent leurs efforts en ce sens. Le dernier rapport de l'OCDE sur le sujet publié cette année - En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc - est éloquent à cet égard. En ce moment même se poursuit le débat sur l'étendue du secret professionnel des avocats, y compris dans leur fonction de conseil. Nous y sommes très sensibles, car si des sanctuaires sont créés, y compris en France, notre action sera encore plus limitée.

Sur les précédentes vagues de révélations, nous avons obtenu des résultats. Pour les Panama Papers , 115 dossiers ont conduit à 167 millions d'euros de droits et de pénalités. Pour les Paradise Papers , nous en sommes à 11 millions d'euros. Nos travaux étant loin d'être achevés, ces chiffres sont régulièrement actualisés.

Je peux vous assurer de notre détermination à combattre ces phénomènes.

M. Marc Bornhauser, avocat spécialiste en droit fiscal . - Ces Pandora Papers , après les Panama Papers et les Paradise Papers , ne nous apprennent pas grand-chose sur les techniques utilisées ni sur les juridictions concernées : les îles Vierges britanniques, le Panama, la Suisse, ce sont toujours les mêmes usual suspects . En examinant ce que les journalistes ont bien voulu dévoiler, je me suis aperçu que tous ces schémas n'étaient pas nécessairement frauduleux.

Il convient de distinguer la fraude, sanctionnée par l'administration fiscale qui use pour ce faire de tous les moyens légaux, et l'optimisation, qui reste encore un droit. Selon qu'elle est agressive ou non, cette pratique se trouve du bon ou du mauvais côté de la loi. Des marqueurs objectifs permettent de la classer.

Il faut également opérer une distinction entre les problématiques de fiscalité et celles qui sont liées à la confidentialité. Certaines personnes veulent rester discrètes, on ne peut pas le leur reprocher si leurs investissements ne proviennent pas d'argent sale. Toutefois, les personnes politiquement exposées (PPE) ont un devoir plus lourd quant à la transparence de leur patrimoine. J'ai été frappé que Tony Blair ait acquis un tel patrimoine.

Les avocats ne sont pas des intermédiaires financiers comme les autres. Nous avons une déontologie très stricte ; nous ne pouvons pas participer à la commission d'une infraction, et si tel est le cas, nous ne sommes pas protégés par le secret professionnel. Nous tenons cette faculté de la loi dans l'intérêt de nos clients. Pour réprimer une fraude, le législateur n'a rien à gagner à nous prendre pour cible en perquisitionnant nos cabinets. Nous attaquer, c'est attaquer la justice et le consentement à l'impôt. Nous, avocats, participons à l'expression de cette justice qui, pour aboutir, doit entendre l'accusation, mais aussi la défense. La distinction entre le conseil et la défense, sur laquelle le Sénat s'est prononcé récemment, n'existe pas dans les textes européens, en particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il est indispensable que nos clients puissent nous parler sans crainte de dénonciation.

Les Pandora Papers vont-ils justifier une loi de circonstance qui donnera encore plus de pouvoir à l'administration fiscale ? Les textes existent ; l'arsenal juridique de l'administration fiscale s'est même considérablement renforcé au cours des dix dernières années. Les limites sont désormais atteintes. Après-demain, le Conseil constitutionnel statuera sur la Constitutionnalité de l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales et de l'article 755 du code général des impôts. Quelle que soit la décision du Conseil - validation, censure ou réserves d'interprétation -, il sera difficile d'aller plus loin que ce mécanisme permettant à l'administration fiscale d'interroger ceux qui n'ont pas satisfait à leurs obligations déclaratives, et en l'absence de réponse satisfaisante, de taxer le solde le plus élevé du compte bancaire au titre des dix dernières années, soit 60 % des sommes créditées.

L'administration fiscale a acquis de nombreux savoir-faire. La première cellule de régularisation dite « Woerth » travaillait sur la fameuse liste HSBC. Or l'un de mes clients avait acheté sans m'en parler des titres provenant d'une « société BVI » car inscrite aux British Virgin Islands (Îles Vierges britanniques), dont l'origine était douteuse. Je lui ai immédiatement conseillé de déclarer ses avoirs. J'avais été reçu par le directeur de cette cellule, qui ignorait ce que signifiait « BVI ». L'administration fiscale a fortement renforcé son expertise grâce aux campagnes de régularisation. Cette connaissance de la pratique lui permet aujourd'hui de réprimer les schémas abusifs, ce qui n'est pas le cas de tous les schémas dénoncés dans les Pandora Papers .

M. Claude Raynal , président . - Vous avez parlé de marqueurs objectifs permettant de distinguer fraude et optimisation fiscale. Quels sont-ils ??

M. Marc Bornhauser . - Si vous ne respectez pas la loi, c'est de la fraude. Si vous la respectez, c'est a priori de l'optimisation. Il faut aussi prendre en compte l'abus de droit : si vous bafouez l'esprit de la loi, vous êtes également fraudeur. Tout cela relève de la jurisprudence. Nous guidons nos clients pour les accompagner du bon côté de la ligne.

Mme Giulia Aliprandi, chercheuse à l'Observatoire européen de la fiscalité . - La semaine dernière, la révélation des Pandora Papers a montré que certains schémas permettent d'éviter l'imposition de sommes importantes. La recherche économique cherche à évaluer le patrimoine financier détenu offshore . Pour l'Europe, on estime que 1 500 milliards d'euros, soit l'équivalent de 10 % du PIB, sont placés offshore . La perte de recettes fiscales serait ainsi de 46 milliards d'euros. Pour la France, le patrimoine financier détenu offshore serait d'environ 300 milliards d'euros, ce qui engendre une perte de recettes d'environ 10 milliards d'euros. Au-delà de ce chiffre agrégé, rappelons que ce patrimoine est surtout détenu par les individus les plus riches de notre société.

Des mesures ont été prises pour combler le manque d'informations, notamment l'échange d'informations automatiques relatives aux comptes bancaires et financiers. Toutefois, les États-Unis n'entretiennent pas de relations réciproques avec les autres pays. Ainsi, la France ne dispose pas d'informations concernant les citoyens français ayant des comptes bancaires aux États-Unis. Par ailleurs, l'instauration d'un registre des bénéficiaires effectifs progresse doucement dans un nombre de pays de plus en plus important. Les progrès sont toutefois plus lents dans les juridictions les plus opaques.

L'Observatoire européen de la fiscalité suggère de mettre en place des mesures supplémentaires, pour combattre la fraude et l'évasion fiscales. Nous sommes, tout d'abord, favorables à la création d'un cadastre financier, pour lutter contre l'opacité qui entoure la richesse mondiale et sa répartition. Ces outils permettraient de donner aux gouvernements une vision globale des richesses détenues par leurs citoyens. Les professionnels choisissant de favoriser la fraude fiscale et les flux financiers illicites en sont responsables, comme leurs clients. Nous souhaitons donc la mise en place de sanctions plus sévères pour les fournisseurs de services destinés à la fraude fiscale.

M. Claude Raynal , président . - Existe-t-il une spécificité des Pandora Papers , monsieur Parrinello ?

M. Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France . - Oui, cette investigation présente des spécificités. La plus importante, à mon sens, est le fait que la fuite de données couvre environ quinze ans, jusqu'à une période très récente, et concerne quatorze intermédiaires financiers. On découvre ainsi comment des intermédiaires financiers et des juridictions fiscales se sont adaptés aux changements législatifs de certains pays. Je pense notamment aux sanctions mises en place par l'Union européenne à partir de la liste des paradis fiscaux. À la suite de cette mesure, certains territoires, comme le Dakota du Sud, aux États-Unis, sont apparus comme des territoires susceptibles de loger des actifs en toute discrétion.

Comme dans toute fuite, on s'intéresse d'abord aux têtes d'affiche, qui sont souvent des personnes aux responsabilités, ce qui nourrit une méfiance envers l'action politique et sape le consentement à l'impôt. Dès lors, comment retrouver une confiance dans l'action politique ?

Cette investigation fait apparaître certains faits de blanchiments, qui devront être caractérisés, provenant par exemple de la mafia italienne, du terrorisme ou des narcotrafiquants. La transparence, pour ce qui concerne l'échange d'informations non seulement entre les administrations fiscales, mais aussi en direction des citoyennes et citoyens, est cruciale. En effet, 70 % des affaires de corruption impliquent aujourd'hui une société écran. Quels sont les outils pour faire face à cette situation ?

Il existe, en France, l'échange automatique d'informations, l'identification des bénéficiaires effectifs et, depuis peu, le registre des sociétés permettant d'identifier les bénéficiaires effectifs. Toutefois, ce registre possède certaines limites. Tout d'abord, il est disponible uniquement par un accès à la pièce, ce qui suppose d'aller chercher les informations une par une ; ensuite, on n'est pas encore sûr de son taux de complétude, qui avoisinerait les 75 %. Il ne suffit donc pas de publier ces informations, il faut pouvoir les vérifier. Ainsi, d'après OpenLux , dans le registre des sociétés du Luxembourg, 50 % des entreprises ne déclarent aucun bénéficiaire effectif. Dans le registre des sociétés du Royaume-Uni, des dizaines de milliers d'entreprises n'ont pas de bénéficiaires effectifs déclarés ; enfin, dans le cadre de ces registres, il n'est pas possible d'avoir accès, au sein d'un montage, à une structure située hors de France. Ainsi, si je suis contribuable français et que je possède une entreprise qui n'est pas située en France, je n'apparaîtrai pas dans le registre des bénéficiaires effectifs. Pour renforcer ce registre, il convient donc de croiser l'ensemble des données disponibles. C'est un premier pas vers le cadastre financier évoqué par Giulia Aliprandi.

Bien évidemment, la limite essentielle est que nous n'avons pas accès aux actifs logés dans les territoires qu'on appelle les paradis fiscaux. C'est là tout l'enjeu de la liste de ces paradis fiscaux pour faire pression sur des pays tiers. Cependant, l'absence de registre public des bénéficiaires effectifs ne fait pas partie des critères pris en compte pour qualifier un paradis fiscal au niveau européen. L'enjeu, aujourd'hui, est donc de trouver le moyen de faire pression sur les pays tiers. La liste européenne des paradis fiscaux a prouvé dans une certaine mesure son utilité dans ce domaine, quand elle n'était pas soumise à des pressions politiques et lorsque ses critères étaient objectifs et ambitieux.

J'évoquerai enfin les intermédiaires financiers, dont il faut renforcer le contrôle. Certains d'entre eux ne sont pas concernés par les obligations de lutte contre le blanchiment. Par ailleurs, dans la très grande majorité des cas, le blanchiment d'argent implique des personnes morales, alors que les déclarations à Tracfin impliquent des personnes physiques. Il convient également de renforcer les sanctions qui les concernent.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je poserai trois questions.

Tout d'abord, Claude Raynal l'a rappelé, le projet BEPS de l'OCDE comporte un certain nombre de recommandations pour renforcer les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées. La directive ATAD comprend différentes dispositions visant à renforcer le contrôle de ces entités, en permettant notamment d'imposer des revenus issus d'une société localisée dans un territoire à faible imposition. Malgré ces avancées, il n'a pas été jugé utile d'adapter le dispositif existant en France à l'article 209 B du code général des impôts. Quelles en sont les raisons ? En quoi cet outil permet-il, ou non, de lutter efficacement contre de tels montages financiers ?

Ensuite, dans le cadre de la directive dite « DAC 6 », les intermédiaires financiers sont tenus de déclarer à l'administration fiscale les montages fiscaux considérés comme agressifs qu'ils conçoivent ou commercialisent. Les données sont ensuite échangées entre les États membres. Quel premier bilan peut-on tirer de cette obligation ? Pourrions-nous imaginer qu'elle devienne la norme au niveau international ?

L'échange d'informations entre administrations fiscales joue un rôle essentiel en matière de lutte contre les pratiques fiscales dommageables. Sous l'égide du Forum mondial, des procédures standardisées ont été mises en oeuvre. Pourtant, comme les Pandora Papers l'indiquent, ces échanges semblent ne pas suffire, du fait des territoires participants ou du périmètre des informations couvertes. Quel est le rôle de ces données pour le contrôle fiscal ? Quelles limites identifiez-vous et comment y remédier ?

M. Éric Bocquet . - Tout d'abord, je voudrais saluer l'excellente initiative de la commission des finances, qui a réussi, huit jours après la révélation des Pandora Papers , à organiser cette table ronde fort intéressante et fort utile.

Je salue également la presse, notamment le Consortium international des journalistes d'investigation, qui a mené ce travail depuis de longues années. Depuis l'affaire Cahuzac en 2013, nous en sommes au treizième dossier de révélations fracassantes, toutes révélatrices des pratiques incroyables et scandaleuses du monde de l'offshore.

Tout est connu aujourd'hui. À chaque fois, c'est la même sidération, le même scandale. En s'appuyant sur les révélations OpenLux du mois de février dernier, le journal Le Monde avait mené une enquête au long cours, qui révélait que 55 000 sociétés offshore au Luxembourg détenaient 6 500 milliards d'actifs. Nous qui travaillons ici sur le budget de la France, lequel atteint péniblement 400 milliards de dépenses, nous sommes confrontés à une échelle absolument incroyable.

Les Pandora Papers représentent 11 300 milliards de dollars, soit 10 000 milliards d'euros, autant d'argent qui échappe à l'impôt.

À l'occasion des Panama Papers, en 2016, les pratiques du cabinet Mossack Fonseca avaient été pointées. Toutefois, on se rend compte, avec ces nouvelles révélations, que ce cabinet n'était pas un cas isolé. Cette année, on nous parle du cabinet Baker McKenzie, avec 5 000 avocats présents dans 46 pays du monde. Dans les Pandora Papers sont cités quatorze cabinets, des personnalités politiques - cela fait bien évidemment beaucoup de mal à la République -, ainsi que 600 de nos concitoyens. On y découvre que des États membres de l'Union européenne, le Luxembourg et Chypre, sont eux-mêmes impliqués dans ces pratiques, ce qui n'est pas sans poser un problème politique de fond.

Ces dossiers illustrent parfaitement le caractère systémique de cette industrie de l' offshore , qui est au coeur du système. Il faut des clients, des territoires complaisants, des banquiers, des avocats, des notaires, des prestataires, des prête-noms, et des sociétés écrans. Tout cela fait système et organise l'opacité.

Monsieur Iannucci, les noms de 600 Français ont été cités. Vous avez évoqué tout à l'heure comment vous traitiez ce genre de sujets. Pourriez-vous préciser votre stratégie ? De quels moyens disposez-vous ? Les journalistes ont exploité 12 millions de documents ; M. Darmanin a créé en 2018 une police fiscale composée de vingt-cinq individus, sans doute très compétents, mais c'est peu. Dans le même temps, depuis vingt ans, la DGFiP a perdu 38 000 emplois.

M. Olivier Dussopt, la semaine dernière, disait que nous avions récupéré 200 millions d'euros après les Panama Papers . Vous nuancez ce chiffre puisque vous avez parlé de 167 millions d'euros. Le décalage est saisissant entre les sommes récupérées et celles qui sont censées nous échapper.

J'évoquerai ensuite la chaîne de responsabilité. La commission d'enquête de 2013 l'a montré, on ne peut pas pratiquer l'évasion sans un peu d'aide. Je me souviens de l'audition de M. Marc Roche, à l'époque journaliste pour Le Monde , correspondant à Londres, fin connaisseur de la City, du monde de la finance et de ses acteurs. Il avait déclaré : « le s banques ne sont qu'un petit élément d'un réseau de complicités plus vaste dans lequel on trouve des bureaux d'avocats, des cabinets comptables, des conseillers financiers ». Denis Healey, Chancelier de l'Échiquier entre 1974 et 1979, a eu ce mot : « la différence entre l'optimisation et l'évasion fiscale est dans l'épaisseur des murs d'une prison » !

Le dernier point, évoqué par Monsieur Parrinello, est la liste des paradis fiscaux en Europe. Aux yeux de l'Union européenne, aucun État membre ne peut être considéré comme un paradis fiscal. Quid du Luxembourg et de Chypre, mais l'on pourrait aussi citer Malte, ainsi que l'Irlande, dont le statut fiscal est particulier ? Il y a là, à mon sens, un deuxième trou dans le bouclier ; sans parler des complicités constatées, qu'il s'agisse de Tony Blair ou de Dominique Strauss-Kahn. Tout cela est fondamentalement dommageable.

Mme Sophie Taillé-Polian . - M. Éric Bocquet a dit beaucoup de choses que je partage. Je salue la presse sans laquelle nous n'aurions pas d'information aujourd'hui. Merci aussi aux lanceurs d'alerte, qui prennent beaucoup de risques et qui ne sont pas assez protégés. Oxfam ne pense-t-elle pas qu'il y aurait des choses à faire en ce sens ?

M. Bornhauser a rappelé que l'optimisation, tant qu'elle n'était pas illégale, était un droit. Or, la semaine dernière, pour justifier la réforme de l'assurance chômage, on pointait du doigt les précaires en disant : « ils optimisent, c'est scandaleux ! » Il y a donc deux poids, deux mesures. Certains s'arrogent le droit de s'extraire de leurs obligations de participer à l'effort public pour faire société. C'est violent, à l'heure où notre pays compte 4 millions de nouveaux vulnérables.

Nous avons beaucoup débattu en 2018 de la loi pour un État au service d'une société de confiance, présentée par MM. Darmanin et Dussopt. Nous avions déposé à l'époque un certain nombre d'amendements, qui ont été rejetés, pour réprimer les intermédiaires, ainsi que pour inverser la charge de la preuve. Toutes ces dispositions permettaient pourtant de faciliter le travail de l'administration fiscale. Que proposez-vous comme solutions ?

Il y a certes une augmentation des moyens, notamment techniques, avec le data mining , mais, ainsi que nous ne cessons de le dénoncer, le nombre d'enquêtes est toujours le même. On enregistre une baisse des montants récupérés par l'État, alors même que certains innovent sans arrêt pour s'extraire de leurs obligations de solidarité et de justice.

M. Hervé Maurey . - M. Iannucci a évoqué les sommes recouvrées, mais il n'a pas indiqué ce que cela pouvait représenter en pourcentage par rapport à la masse globale. Existe-t-il des perspectives pour améliorer les recouvrements par rapport aux scandales précédents ? Il est important que des mesures efficaces soient prises, sans pour autant en arriver, comme l'a suggéré ma collègue, à inverser la charge de la preuve. De quels outils souhaiteriez-vous disposer pour être encore plus efficaces ? Faut-il renforcer les coopérations internationales ? Faut-il prévoir de sanctionner les intermédiaires ? Faut-il que les journalistes eux-mêmes fassent preuve de transparence et acceptent de se montrer un petit peu plus coopératifs qu'ils ne le sont ? Je brise là un tabou...

M. Didier Rambaud . - J'ai retrouvé un article datant de décembre 2018, publié dans un grand quotidien du soir, qui expliquait qu'il était pratiquement impossible pour un État seul comme la France de stopper l'évasion fiscale. Modifier les règles pour forcer les Français les plus fortunés à payer leurs impôts en France nécessiterait la modification de conventions fiscales internationales qui prévalent sur le droit français, comme l'explique le quotidien. Partagez-vous ce constat ?

Ma deuxième remarque est plus optimiste. Je me réjouis que la semaine dernière, au sein de l'OCDE, 140 pays se soient mis d'accord sur la taxation mondiale des multinationales à hauteur de 15 %. Les derniers pays opposants - la Hongrie, l'Irlande, l'Estonie - ont levé leurs objections. Cet accord est-il prémonitoire ? Pourrait-il nous permettre d'espérer davantage de coopération dans la lutte contre l'évasion fiscale ?

M. Patrice Joly . - Il y a urgence à agir du point de vue démocratique. Le consentement à l'impôt est en jeu, la contribution aux charges collectives également. Cette sécession des riches participe à la montée du populisme. Il n'y a aucune commune mesure entre les retours qu'a pu obtenir l'administration fiscale et les sommes en jeu. Il existe donc un problème de moyens. Comment se fait-il que nous ne soyons pas plus productifs en matière de récupération ? Quel est l'avis de nos intervenants sur l'actualisation de la liste des paradis fiscaux européens ?

Mme Vanina Paoli-Gagin . - Ma première question concerne le registre des bénéficiaires effectifs. Je sais qu'il est déjà très compliqué, en droit français, de le modifier sur Infogreffe. Il est donc très difficile d'avoir un registre à jour. Quels moyens pourrions-nous mettre en oeuvre pour rendre ces registres plus opérationnels ? Serait-il envisageable de consolider un tel registre au niveau de l'Union européenne, voire via des traités à l'échelon international ? On le sait, c'est la chaîne d'interposition et les actionnariats en cascade qui nous permettent de tracer les fraudes. Quant aux paradis fiscaux en Europe, il convient de s'interroger sur certains de nos partenaires, qui ne semblent pas jouer tout à fait franc jeu avec nous. C'est à mon sens une question qui mérite d'être soulevée.

M. Michel Canévet . - La lutte contre la fraude, vers les paradis fiscaux ou envers les prestations sociales, doit rester un combat permanent. Dans le prolongement des propos d'Hervé Maurey et de Patrice Joly, je m'interroge également du peu de productivité en ce qui concerne les Panama Papers . Sommes-nous vraiment allés au bout de ce que l'on pouvait faire ? C'est pire encore pour les Paradise Papers puisque le produit des redressements est extrêmement limité. Quelle est la situation dans les autres pays européens ? Ont-ils également engagé une action résolue pour lutter contre les paradis fiscaux et contre l'évasion fiscale ?

M. Thierry Cozic . - L'accord qui a été signé la semaine dernière avec 136 pays sur la nouvelle taxation des multinationales permet de jeter un pavé dans la mare de l'optimisation fiscale. Cet accord est organisé autour de deux piliers.

Le premier vise, par une modification de l'allocation d'une partie des droits d'imposition, à restreindre la capacité des paradis fiscaux à développer par toutes les astuces juridiques et financières possibles l'ensemble des mécanismes permettant de découpler artificiellement l'endroit où un revenu est perçu du lieu où il est enregistré. Selon l'OCDE, 125 milliards de dollars de base taxable au niveau mondial pourraient ainsi échapper aux paradis fiscaux.

Le deuxième, plus classique, vise à établir un taux minimum effectif d'imposition à 15 % des profits logés à l'étranger par les multinationales qui réalisent plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Ces deux nouveaux piliers de la taxation peuvent paraître révolutionnaires puisqu'un État pourra taxer une entreprise, même si celle-ci n'est pas présente sur son territoire. C'est un énorme changement de paradigme dans la façon d'organiser la taxation des multinationales. Dans un monde de libre-échangisme, n'est-il pas vain de parler de mesures propres à la France, quand seule une réponse globalisée semble être de nature à résoudre la problématique, à l'image de ce qui se passe pour le climat ? Une approche plus collective n'est-elle pas la seule solution pour que certains pays cessent leur dumping fiscal et pour aller vers une harmonisation ?

M. Claude Raynal , président . - Il a été question de la création d'un cadastre des avoirs financiers. J'aimerais avoir l'avis de M. Iannucci sur la concrétisation de ce concept.

Le Conseil de l'Union européenne a pris récemment la décision de sortir trois juridictions de la liste européenne des États et territoires non coopératifs, parmi lesquelles les Seychelles ; certains y ont vu le signe de la portée réduite d'une telle liste. Qu'en pensez-vous ?

M. Quentin Parrinello . - Je salue également le travail d'investigation des journalistes, ainsi que le courage des lanceurs d'alerte. Oxfam n'est pas forcément l'ONG la plus indiquée pour se prononcer sur la protection de ces derniers. Je vous renvoie notamment aux travaux de Transparency International et de la Maison des lanceurs d'alerte (MLA). Pour autant, il serait utile de mener un travail sur la chaîne d'alerte, qui passe aujourd'hui systématiquement en interne, ce qui peut fragiliser la personne, voire la mettre en danger.

Vous m'avez interrogé sur la liste des paradis fiscaux, en liant cette question à celle de la balance entre initiatives unilatérales et multilatérales. On peut effectivement adopter les meilleures règles possible en France, il n'en reste pas moins que l'on fait face à des juridictions opaques. C'est tout l'intérêt d'outils comme les listes de paradis fiscaux si elles sont assorties de sanctions.

La liste dont on entend le plus parler est celle de l'Union européenne. Elle souffre d'une faille majeure, relevée par M. Bocquet : selon les critères actuels, certains États membres de l'Union européenne devraient y figurer. D'après une analyse réalisée par Oxfam il y a quelques années, cinq pays étaient concernés : l'Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Malte et Chypre. Deux d'entre eux ont été cités dans les Pandora Papers : le Luxembourg et Chypre, dont le président de la République était impliqué. Le fait que ceux qui sont censés voter les lois participent à des montages financiers pose problème, mais c'est un autre sujet...

On peut agir de manière unilatérale pour faire évoluer les autres pays en se servant d'outils comme les listes de paradis fiscaux, si celles-ci sont basées sur des critères objectifs et ambitieux. Le problème vient du fait que ces listes sont trop souvent soumises à des pressions politiques. Des États sont too big to blacklist - trop gros pour être montrés du doigt - , il faut donc améliorer les critères. S'agissant de la liste européenne des paradis fiscaux, il existe des critères de coopération fiscale - un pays accepte de transférer des informations fiscales à d'autres -, des critères de pratiques fiscales dommageables - elles sont extrêmement réduites, ce qui explique pourquoi des paradis fiscaux importants ne font pas partie de la liste -, et des critères d'application des réformes fiscales internationales. Mais rien sur la transparence des bénéficiaires effectifs ou sur les règles mises en place pour les intermédiaires financiers ! Ces deux derniers critères simples, auxquels on peut ajouter celui du taux d'imposition zéro, pourraient être pris en compte.

La question des pressions politiques doit être également intégrée. L'Europe est-elle prête à mettre le Dakota du Sud ou le Delaware dans une liste grise ou noire ? On risque de se retrouver dans une situation où des pratiques de blanchiment vont se déplacer des petits États vers de grands États too big to blacklist . La question de la chaîne de responsabilité et des intermédiaires est un véritable enjeu. Aujourd'hui, une myriade d'acteurs parviennent à échapper aux obligations de contrôle. Aux termes de la cinquième directive antiblanchiment, les obligations de lutte contre le blanchiment s'appliquent aux « auditeurs, experts-comptables externes et conseillers fiscaux, et toute autre personne qui s'engage à fournir, directement ou par le truchement d'autres personnes auxquelles cette autre personne est liée, une aide matérielle, une assistance ou des conseils en matière fiscale comme activité économique ou professionnelle principale ». Le problème vient de l'emploi du mot « principale ». Et ce n'est pas Oxfam ou Transparency International qui le relève, mais Tracfin qui, selon un rapport de l'Assemblée nationale de juillet dernier, explique que « certains membres des professions du chiffre et du droit ont élaboré une stratégie de contournement en développant, parallèlement à leur activité réglementée, des entités juridiquement distinctes [...] qui les exonèrent de leurs obligations ». Certains intermédiaires ne sont pas soumis à l'obligation, appelée « know your customer », de vérifier d'où vient l'argent.

Autre enjeu, s'agissant des intermédiaires : les déclarations faites à Tracfin portent essentiellement sur des personnes physiques, alors que les personnes morales représentent l'immense majorité des cas de corruption.

S'agissant de l'accord international, j'ai le regret de vous dire que ce n'est pas la fin des paradis fiscaux et de l'évasion fiscale ! Cet accord ne vise que les multinationales. Le fameux « Pilier un » ne devrait s'appliquer qu'à 70 à 100 entreprises, soit un confetti dans l'économie mondiale. Le taux d'imposition minimum effectif à 15 % comprend, quant à lui, un certain nombre d'exonérations de substance, qui permettent aux multinationales d'abaisser leur taux d'imposition effectif en dessous de 15 %. Tout n'est pourtant pas à jeter dans cet accord ; on est tout de même passé en quelques années d'une logique dans laquelle la concurrence fiscale était considérée comme l'effet collatéral du libre-échange à une logique dans laquelle l'impact sur nos sociétés et sur le consentement à l'impôt de cette concurrence fiscale déloyale n'est plus acceptable. Réussir à mettre plus d'une centaine de pays autour de la table est déjà un processus intéressant, même si le résultat est largement en deçà des attentes de la société civile.

Il faudrait également engager une démarche similaire en matière de fiscalité des patrimoines. La centralisation du registre des bénéficiaires est un des enjeux. Le recours à une personne morale en dehors de notre pays fait sortir une structure du registre, ce qui en limite la portée. Il faut donc utiliser le bras armé que constitue une liste noire des paradis fiscaux et appliquer des sanctions pour forcer des pays à dévoiler des informations. Cette mesure aidera l'administration fiscale, mais elle permettra surtout de conforter le consentement à l'impôt, puisque les citoyens auront la possibilité d'exercer un contrôle.

Enfin, pour finir sur la lutte contre l'évasion fiscale, les moyens techniques sont évidemment indispensables, mais les contrôles fiscaux nécessitent des personnels. La technologie ne peut pas tout faire en la matière !

Mme Giulia Aliprandi . - Les politiques menées ont vraiment un effet sur les dépôts des contribuables offshore . On constate que les contribuables modifient leurs stratégies : les dépôts aux États-Unis connaissent une forte augmentation, car ce pays ne partage pas ses informations. On constate également un accroissement des transferts vers d'autres types de biens : l'immobilier ou les oeuvres d'art. Il faut élargir le champ d'application des mesures qui ont déjà été prises.

Je rejoins M. Parrinello sur l'accord de l'OCDE. Il est notable qu'autant de pays aient réussi à parvenir à une conclusion commune. C'est le fruit de nombreuses négociations, au cours desquelles des concessions très importantes ont été faites, notamment sur les exonérations de substance. Le taux effectif minimal affiché est de 15 %, mais ces exonérations, assez difficiles à justifier, conduisent en réalité à faire baisser ce taux. Je partage aussi son avis sur la liste des paradis fiscaux : c'est évidemment un sujet très politique, qui peut être sensible pour le multilatéralisme et la coopération entre les différents pays. Pour résoudre ce type de problème, il est préférable de favoriser la coopération et le dialogue entre les administrations et les pays. Comme ce processus est long et compliqué, il faudrait trouver d'autres moyens d'action.

Je conclurai sur le registre des bénéficiaires effectifs. Cet outil très important est en cours d'unification au niveau européen. Sa mise en oeuvre dans les différents pays est assez lente, même si certains États ont été plus efficaces que d'autres et ont publié leur registre. L'amélioration de la qualité du registre sera bienvenue.

M. Marc Bornhauser . - La directive « DAC 6 » a été transposée en droit français, en intégrant, avec certaines réserves, les avocats dans son champ d'application. Les avocats ne sont pas d'accord avec la manière dont cette directive a été transposée : ils ont saisi le Conseil d'État d'un recours contre l'instruction qui commentait la loi de transposition de la directive. Manifestement, leurs arguments n'étaient pas totalement dépourvus de fondement, puisque le Conseil d'État a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, rejoignant ainsi la Cour constitutionnelle belge, qui en avait déjà fait de même sur la demande du barreau de Bruxelles. Quand les choses vont trop loin, nous ne nous laissons pas faire. Il est important que notre secret professionnel soit protégé, parce que, comme je l'ai déjà dit en introduction, mais je veux marteler le message, le secret professionnel ne sert pas à nous protéger et à nous exonérer de nos responsabilités, il est là dans l'intérêt des justiciables et donc de la justice. En matière fiscale, l'intérêt de la justice rejoint le consentement à l'impôt, si précieux pour notre démocratie. Les lois doivent être appliquées dans le respect des droits fondamentaux protégés par notre Constitution, pour ne pas affaiblir le consentement à l'impôt, ce qui serait extrêmement grave.

Pointer du doigt les avocats, comme l'ont fait un certain nombre de sénateurs et d'ONG autour de cette table, c'est se tromper de cible. Oui, il y a des intermédiaires financiers qui commercialisent des schémas frauduleux, non, il n'y a pas d'avocats parmi eux, en tout cas pas d'avocats français. Le nom du cabinet Baker McKenzie, cité dans les Pandora Papers , a été livré à la vindicte populaire : je mets au défi de prouver qu'ils ont mal agi. Si c'est le cas, ils seront sanctionnés, mais connaissant la réputation et la qualité des professionnels de ce cabinet en France, j'en serais personnellement extrêmement surpris.

Je veux également évoquer la dictature de la transparence que l'on essaye de nous imposer. Le respect de la vie privée est un droit constitutionnel. Le secret n'est pas honteux ! On peut avoir un intérêt parfaitement légitime à ne pas vouloir que ses affaires privées soient mises sur la place publique. Arrêtons de vouloir mettre de la transparence partout !

Il est vrai que certaines catégories de citoyens méritent une place particulière : ceux qui aspirent à exercer des fonctions publiques doivent s'attendre à ce que les citoyens scrutent leurs affaires privées, mais on est face à un problème d'éthique : il faut tracer une frontière entre la répression de la fraude, d'un côté, et le droit à la liberté et au respect de sa vie privée, de l'autre. Votre honorable assemblée participe au processus législatif qui vise à résoudre ce problème en délimitant la bonne frontière entre ces principes contradictoires. Au-dessus de vous, il y a le Conseil constitutionnel, la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme, qui ont leur conception des choses.

La transparence absolue est une folie, et je la dénonce pour le citoyen lambda qui a droit au respect de sa vie privée et de ses placements, lesquels ne doivent pas se retrouver sur la place publique. Le Conseil constitutionnel a censuré la publicité du registre des trusts. On ne peut pas faire n'importe quoi au nom de la transparence !

M. Frédéric Iannucci . - Je voudrais tout d'abord faire la distinction entre deux grands sujets : d'une part, la dissimulation de la matière imposable et, d'autre part, la répartition de l'imposition. L'imposition des multinationales est un sujet de répartition entre États de la matière imposable : ce n'est pas tout à fait le thème de notre débat d'aujourd'hui, qui est la dissimulation pour échapper à l'imposition.

La question de base, c'est comment obtenir les informations pertinentes. Des progrès considérables ont été faits depuis au moins une dizaine d'années en matière d'échange automatique d'informations sur les comptes, les revenus, la localisation pays par pays de l'activité économique.

La question des bénéficiaires effectifs est une question non seulement fiscale, mais aussi d'antiblanchiment. En France, un système très abouti, tenu par les greffiers, est en accès direct et gratuit pour tous. Il est certes perfectible - je pense à l'actualisation des données et aux mises à jour. Un système existe aussi au niveau de l'Union européenne. Le GAFI - le Groupe d'action financière - s'est emparé du sujet au niveau mondial. Le point déterminant, c'est de savoir quelles sont les personnes physiques et morales derrière les écrans. Sans cette information, on ne peut pas faire grand-chose.

En ce qui concerne l'accès à l'information, la directive « DAC-6 » devrait avoir un effet dissuasif sur les montages les plus agressifs. Comme l'a dit M. Bornhauser, les avocats font tous les recours possibles et imaginables, car ils sont indignés d'avoir été inclus dans le champ de la directive et d'être considérés comme des intermédiaires. Cela me surprend parce que la Cour européenne des droits de l'homme a clairement distingué l'activité de conseil de celle de défense, notamment dans l'arrêt Michaud rendu en 2012. L'avocat peut intervenir très en amont pour conseiller un client : cela ne relève pas du tout de l'activité de défense juridictionnelle qui, elle, justifie pleinement l'étendue du secret professionnel.

Il serait dangereux de sanctuariser l'ensemble du secret professionnel des avocats, y compris sur l'activité de conseil, car cela nous priverait de moyens d'accès à l'information.

La notion de cadastre des actifs financiers participe de cette logique. Nous avons besoin d'une vision complète de la matière imposable et de sa localisation. Il n'est pas rare que les informations publiées soient déjà connues de l'administration fiscale et, de surcroît, toutes les situations ne sont pas illégales. Cela explique l'écart entre le nombre de personnes dénoncées par le consortium de journalistes et celui des redressements engagés.

Notre arsenal législatif pour réprimer les situations illégales est étendu. Nous pouvons imposer en France un bénéfice réalisé optiquement dans une structure étrangère ou rejeter la déduction d'une charge en France sur des flux qui vont vers l`étranger. De ce point de vue, la France est plutôt en avance sur les standards internationaux. Notre coordination avec l'autorité judiciaire est de plus en plus forte. Cela nous permet de combiner nos accès à l'information.

J'entends votre sentiment de déception sur le nombre de redressements effectués par l'administration fiscale. Les Pandora Papers concerneraient 600 Français, mais je n'en ai pas la liste, je dispose seulement de quelques noms.

Le système est de plus en plus dissuasif. Les gens savent qu'ils risquent d'être rattrapés par l'administration fiscale : nous avons beaucoup de demandes de régularisations de comptes à l'étranger. Sachez que la direction nationale d'enquêtes fiscales procède à ses propres investigations, même si le secret fiscal nous interdit d'en faire état. Je pense notamment au dossier HSBC, qui nous a permis de mettre au jour 3 000 détenteurs de comptes à l'étranger. C'est un travail peu visible, mais qui nous mobilise au quotidien. On peut toujours mieux faire, mais cela n'est pas qu'une question d'effectifs. Nous avons besoin d'outils technologiques pour cibler les contrôles dans un volume d'informations considérable. Pour être efficace, il faut savoir où chercher. Nous avons aussi besoin de réponses globalisées au niveau européen, voire mondial, car tout devient plus long et plus difficile hors de nos frontières.

Pour juger de l'effectivité de la coopération des paradis fiscaux, nous regardons s'ils nous répondent et s'ils répondent bien. Attention à l'effet de décalage temporel : les données révélées datent parfois de plusieurs années ; certains paradis fiscaux nous assurent de leur bonne volonté et de leur bonne foi, mais la modification de leur législation interne prend du temps. L'OCDE procède à une revue périodique de sa liste des paradis fiscaux. L'Union européenne procède alors par rétrogradation du pays, de la liste noire vers la liste grise par exemple.

Les avocats ne sont pas visés : ce sont eux qui prennent pour cible la législation anti-évasion, de manière assez violente, au nom de grands principes que je comprends, mais qui me semblent en décalage avec l'essence de la profession d'avocat en matière fiscale.

M. Claude Raynal , président . - Merci à tous. Nous avons pu voir la subtilité des différences d'appréciation.

II. CUMEX FILES : QUEL BILAN DES OUTILS DE LUTTE CONTRE LES PRATIQUES D'ARBITRAGE DE DIVIDENDES (1ER DÉCEMBRE 2021)

Réunie le mercredi 1 er décembre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF), Mme Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance, à l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP) et Mme Salomé Lemasson, avocate spécialiste en droit pénal des affaires au sein du cabinet Rahman Ravelli, sur le thème : "Cumex Files : trois ans après, quel bilan des outils de lutte contre les pratiques d'arbitrage de dividendes ?"

M. Claude Raynal , président . - Nous nous retrouvons ce matin, un mois après les nouvelles informations publiées par un consortium international de journalistes sur les pertes fiscales subies par plusieurs pays européens du fait des pratiques d'arbitrage de dividendes. Celles-ci permettent d'échapper à la retenue à la source appliquée au versement de dividendes aux actionnaires étrangers d'une société française, donc à l'impôt, grâce à deux types de montages : un montage interne, substituant temporairement au non-résident un résident français - souvent une banque -, et un montage externe, qui tire avantage des conventions fiscales ne prévoyant aucune retenue à la source - c'est le cas pour plusieurs pays du Golfe, par exemple.

En 2018, une première enquête, connue sous le nom de CumEx Files , avait conduit à chiffrer la perte de recettes à 55 milliards d'euros sur quinze ans pour plusieurs pays européens, dont la France, la Belgique, et, surtout, l'Allemagne.

Notre commission s'était alors saisie de ce sujet, par l'intermédiaire de son groupe de suivi sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Elle avait proposé au Sénat d'adopter un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à faire échec aux opérations d'arbitrage de dividendes. Cependant, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale avait profondément remanié le dispositif voté par le Sénat, ce qui avait conduit à le vider d'une large partie de sa substance.

Pourtant, trois ans plus tard, la poursuite de l'enquête sur les pratiques d'arbitrage de dividendes a conduit le consortium de journalistes à réévaluer significativement le montant des pertes fiscales pour ces États, lesquelles s'élèveraient désormais à 140 milliards d'euros sur vingt ans, soit 33 milliards d'euros pour la France.

À l'initiative du rapporteur général, notre commission a donc une nouvelle fois proposé de renforcer le dispositif anti-abus dans le projet de loi de finances pour 2022.

Sans présager de l'issue des travaux de l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de finances en nouvelle lecture, nous constatons malheureusement qu'une proportion significative d'opérations échappe toujours à l'imposition, sans que l'administration fiscale dispose des moyens juridiques pour y faire échec, trois ans après les premières révélations. C'est pourquoi notre commission a souhaité faire un bilan des différents dispositifs existants pour traiter de pratiques se situant, comme souvent, à la frontière de l'optimisation et de la fraude fiscales.

Pour faire le point sur ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP), Mme Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance à l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF), et Mme Salomé Lemasson, avocate spécialiste en droit pénal des affaires au sein du cabinet Rahman Ravelli.

Sans plus tarder, je cède la parole à M. Frédéric Iannucci, pour qu'il effectue un premier bilan de l'efficacité du dispositif anti-abus adopté voilà trois ans et du nombre de dossiers faisant aujourd'hui l'objet d'une instruction tant administrative que pénale. Concrètement, l'administration fiscale dispose-t-elle des moyens juridiques nécessaires à l'identification et à la lutte contre les pratiques d'arbitrage de dividendes ?

M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques . - Le sujet est complexe. Plusieurs services sont concernés au sein de la DGFiP : la direction de la législation fiscale, qui traite des conventions internationales et des normes législatives, le service de la gestion fiscale, et, enfin, mon service, qui coordonne l'action de contrôle et de la sécurité juridique.

Nous abordons ce sujet avec beaucoup d'humilité, compte tenu de sa complexité. Des contrôles ont été engagés dès 2017 sur les arbitrages de dividendes internes, les « CumCum internes ». En revanche, il n'existe pas de procédure en cours pour les arbitrages de dividendes externes, les « CumCum externes » (CumEx).

Les vérificateurs accomplissent un travail considérable pour identifier, parmi toutes les transactions financières, celles qui peuvent être considérées comme frauduleuses pour ce qui concerne le contournement de la retenue à la source - la représentante de l'AMF, Mme Givry, connaît bien mieux ce sujet que moi. Je tiens à rendre hommage à leur travail, qui suppose non seulement des compétences fiscales, mais aussi une bonne connaissance des marchés financiers, ce qui n'est pas très répandu dans nos équipes.

Les contrôles en cours portent tous sur la période antérieure au 1 er juillet 2019, qui marque l'entrée en vigueur de la mesure anti-abus adoptée sur l'initiative du Sénat. Nous ne disposons donc pas à ce jour de bilan de l'application de l'article 119 bis A du code général des impôts (CGI), car les dividendes avaient déjà été versés en 2019 et les versements ont été faibles en 2020 du fait du contexte économique. Nous espérons que l'effet a été dissuasif, mais notre appareil statistique ne nous permet pas d'isoler les opérations susceptibles de relever de cet article au sein des retenues à la source.

Nos contrôles nous ont surtout permis d'appréhender les opérations de prêt-emprunt de titres. Ils portent désormais sur les transactions liées aux produits dérivés, bien plus complexes, pour lesquelles nous avons effectué des droits de communication auprès d' Euroclear France et de l'AMF. Nous avons recours à l'assistance administrative internationale, notamment pour ces produits, car les courtiers sont situés à l'étranger au sein de plateformes de négociation « opaques ». À l'heure actuelle, sept procédures sont en cours contre des établissements français. Nous n'avons pas opéré de contrôles pour les « CumCum externes », car nous nous heurtons au préalable des conventions internationales - c'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale n'avait pas souhaité retenir un champ d'action très large.

Sur ce sujet, nous essayons de progresser avec d'autres pays, comme la Finlande, victime elle aussi du contournement de la retenue à la source. Il s'agit d'établir toutefois une relation bilatérale avec chaque pays ; la tâche est complexe. Tous les pays sont mobilisés, mais les contraintes techniques sont nombreuses. Il me semble que si, aux États-Unis, la législation est très avancée, ses conditions d'application sont très difficiles.

L'enjeu principal est d'identifier les abus, sans toutefois paralyser l'ensemble des marchés financiers, notamment les opérateurs français. Bien sûr, la FBF ne souscrira sans doute pas à notre analyse, mais nous essayons de distinguer le fonctionnement normal des marchés des manoeuvres abusives.

M. Claude Raynal , président . - Je m'adresse désormais à Mme Alexandra Givry, qui pourra nous éclairer sur le rôle de l'AMF dans l'identification des opérations relevant de l'arbitrage de dividendes. Quelle est votre méthodologie ? Quels sont les points qui, selon vous, posent problème ? Quelles sont les améliorations possibles ?

Mme Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance à l'Autorité des marchés financiers . - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Robert Ophèle, président de l'AMF, retenu par d'autres obligations.

Conformément à l'article L 621-1 du code monétaire et financier, la mission de l'AMF consiste à veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et les actifs offerts au public ou admis à la négociation sur le marché, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés, tout en encourageant la régulation des marchés aux échelons européen et international.

La surveillance des marchés s'exerce en temps réel : les équipes de l'AMF ont pour objectif d'identifier les situations nécessitant une action rapide, qu'il s'agisse de cas individuels, tels que les rumeurs ou les fuites d'information, ou de problèmes sectoriels et généraux sur les marchés. Au titre de ses pouvoirs d'urgence, l'AMF peut suspendre une valeur ou un marché, voire ordonner des interdictions d'opérations de ventes à découvert. Par ailleurs, la surveillance vise à détecter tous les événements susceptibles de constituer un abus de marché : les manipulations de cours, les opérations d'initiés ou la diffusion de fausses informations. Il s'agit également d'identifier les manquements à la réglementation applicable aux intervenants sur les marchés, notamment les obligations professionnelles s'imposant aux intermédiaires financiers.

La surveillance permet de mieux connaître les participants de marché et d'assurer une veille stratégique via l'analyse des comportements des acteurs, de percevoir l'évolution des modes de trading et d'identifier les nouveaux marchés. Elle fournit des ressources pour les autres missions de l'AMF, notamment la protection de l'épargne - hier, nous avons publié une note relative au comportement des investisseurs individuels et au développement d'une nouvelle catégorie d'intermédiaires financiers, qualifiés de néo-brokers .

La surveillance de l'AMF porte sur les instruments financiers listés sur les marchés français - principalement Euronext Paris -, mais également sur tous les dérivés qui y sont liés. Les anomalies sont détectées grâce à une équipe d'experts utilisant des outils informatiques spécialement conçus à cet effet. Par ailleurs, l'AMF reçoit des signalements provenant de sources diverses. Le règlement européen relatif aux abus de marché impose de transmettre à l'AMF des déclarations d'opérations suspectes.

Le champ de compétence de l'AMF est ainsi cantonné aux secteurs boursier et financier, principalement au titre de sa mission de détection des abus de marché ; il ne s'étend donc pas au domaine fiscal.

Venons-en maintenant au prêt-emprunt de titres. Cette pratique, qui consiste à opérer un transfert temporaire de titres, n'est pas nouvelle, mais son développement s'est considérablement accru avec l'essor des marchés financiers. Je vais tâcher de résumer les ressorts de cette technique. Alors que l'offre émane essentiellement d'investisseurs qui détiennent des portefeuilles de titres de longue durée et qui cherchent un surcroît de rentabilité, la demande, elle, obéit à des finalités variées. Dans ce cadre, la technique du prêt-emprunt de titres présente un double intérêt.

En premier lieu, cette opération permet de couvrir une position courte, que celle-ci soit technique, c'est-à-dire liée à un apport de liquidités, ou qu'elle résulte d'une stratégie d'investissement. En effet, ce type d'opération nourrit aussi les ventes à découvert, qui visent à tirer profit d'une anticipation sur les tendances du marché.

En second lieu, elle peut avoir pour objet principal de transférer temporairement la propriété de certains titres, et ce à un moment précis. Elle peut ainsi s'apparenter à un dispositif d'optimisation fiscale au moment du détachement des dividendes.

Dans les deux cas, nous nous sommes légitimement interrogés sur le rôle que pourrait jouer l'AMF pour réguler ces pratiques et sur la pertinence des règles actuelles. S'agissant du prêt-emprunt de titres, lorsqu'il vise un arbitrage de dividendes, il y a effectivement la possibilité de couvrir sa position en localisant temporairement la propriété effective des titres dans des pays où la fiscalité est plus favorable, en vertu notamment d'une convention internationale qui neutraliserait les effets induits par les règles fiscales françaises.

L'AMF peut être amenée, dans le cadre de ses missions de surveillance, à constater que certaines opérations relèvent de schémas de ce type, mais il ne lui appartient pas pour autant d'évaluer si ces opérations ou des opérations similaires, qui reposent par exemple sur des instruments dérivés, relèvent d'une optimisation tolérable ou, au contraire, de l'abus de droit, qui est, lui, répréhensible.

Les opérations de prêt-emprunt de titres liées à des ventes à découvert sont, quant à elle, critiquées par certains pour exercer et alimenter une pression à la baisse des cours. Il en a résulté une réglementation européenne spécifique sur les ventes à découvert, qui entre dans le périmètre des missions de l'AMF.

Il convient néanmoins de rappeler que les opérations de prêt-emprunt de titres et les ventes à découvert sont utiles au bon fonctionnement du marché, tant pour en favoriser la liquidité que pour améliorer le mécanisme de formation des prix.

Ainsi, un marché de prêts de titres augmente considérablement l'efficacité des mécanismes de contrepartie. En effet, sur un tel marché, les intermédiaires ont la possibilité de satisfaire immédiatement les ordres d'achat de leur clientèle en empruntant des titres dont ils ne disposent pas encore. Ils peuvent ainsi se porter contrepartie sans avoir auparavant acquis les titres en question. La rapidité des délais de transaction est, de ce fait, bien supérieure. Le marché des opérations de prêt-emprunt de titres constitue, avec le marché en continu et un circuit de règlement-livraison efficace, l'une des conditions de l'efficience d'un marché financier.

S'agissant maintenant des ventes à découvert, pour qu'un bon prix puisse émerger, il est là aussi souhaitable que les acheteurs puissent rencontrer des vendeurs, au-delà des seuls détenteurs des titres.

Cela étant, ces opérations peuvent induire un risque de déstabilisation pour les marchés. C'est pourquoi elles font l'objet de réglementations spécifiques, ainsi que d'une attention toute particulière de l'AMF, dont la mission, je vous le rappelle, est de veiller à la protection de l'épargne, au bon fonctionnement des marchés et à l'information des investisseurs.

L'action de surveillance de l'AMF s'inscrit, pour l'essentiel, dans le cadre fixé au niveau européen pour lutter contre les abus de marché. S'y ajoutent des réglementations particulières relatives aux ventes à découvert et aux prêts de titres. Dans les trois cas, il s'agit de règlements européens d'application directe en droit national.

Outre le fait d'imposer une couverture des risques, afin d'écarter toute problématique en termes de règlement-livraison, la réglementation européenne est venue renforcer la transparence des opérations de vente à découvert. Dès que les positions courtes nettes dépassent un certain seuil, elles doivent être déclarées à l'AMF, puis rendues publiques, afin notamment de permettre au régulateur de surveiller et, si nécessaire, d'enquêter sur des opérations susceptibles de faire courir un risque systémique.

S'agissant des opérations de prêt-emprunt de titres, à la suite des engagements pris par le G20 en 2010 pour encadrer les activités de la finance parallèle, le règlement européen relatif à la transparence des opérations de financement sur titres et à la réutilisation des garanties, dit « règlement SFTR », est entré en vigueur en 2016. Il vise à renforcer la transparence et à limiter le risque systémique induit par les opérations de financement sur titres qui regroupent, outre les opérations de prêt-emprunt de titres, d'autres types de techniques, telles que la mise en pension de titres.

Les dispositions de ce règlement portent sur la déclaration des opérations, qui est devenu progressivement applicable depuis l'été 2020. Cette déclaration se fait auprès de référentiels centraux, auxquels il incombe d'effectuer des réconciliations quotidiennes de données, de publier des positions agrégées et de mettre à la disposition des régulateurs des informations sur les diverses opérations.

Le second volet du règlement concerne la transparence à l'égard des investisseurs des fonds communs de placement y ayant recours, et la réutilisation de titres prêtés ou remis en garantie lors d'opérations consécutives.

Les analyses de marché effectuées par les services de l'AMF, qu'il s'agisse du marché boursier, du marché des dérivés ou du marché des opérations de prêt-emprunt de titres, se concentrent sur la recherche de pratiques, qui peuvent conduire à des abus ou des dysfonctionnements de marché susceptibles d'être poursuivis in fine par notre commission des sanctions.

Aussi, lorsque nous analysons les opérations de prêt-emprunt de titres, nous nous assurons d'abord du respect des obligations découlant du règlement européen sur les ventes à découvert, en particulier l'obligation de couverture des opérations. Plus largement, les services de l'AMF veillent au respect des obligations de règlement-livraison, afin notamment d'éviter des réactions en chaîne en cas de défaut. Nous cherchons également à identifier de potentielles tensions sur le marché des opérations de prêt-emprunt de titres. Un prix élevé, s'il résulte du bon fonctionnement du marché, va exprimer une moindre facilité à emprunter des titres. Cela peut constituer un signal d'alerte concernant le marché dans son ensemble, au niveau des actions elles-mêmes et de leurs dérivés.

En revanche, les opérations réalisées dans les jours qui précèdent ou suivent le jour du versement des dividendes ne font pas l'objet d'un suivi particulier de l'AMF.

En synthèse, l'AMF utilise l'ensemble de ses pouvoirs, afin de s'assurer que l'information donnée par les émetteurs aux investisseurs est exacte et complète, que la chaîne des interventions, qui va des porteurs de titres aux emprunteurs, qu'il s'agisse de vendeurs à découvert ou non, en passant par les établissements qui conseillent les différents intervenants et les aident à élaborer leur stratégie sur un plan opérationnel, ne conduise pas à une manipulation du marché.

M. Claude Raynal , président . - Merci de nous avoir rappelé la nature des missions de l'AMF et le cadre dans lequel elles s'exercent. J'ai bien noté que l'Autorité avait une compétence en matière boursière et financière, mais pas en matière fiscale, et que vous estimiez qu'il n'était pas de votre ressort de déterminer si une opération relevait de l'optimisation ou de la fraude fiscale. Nous pourrons envisager ensuite comment l'AMF pourrait évoluer pour être en mesure de mieux traiter les pratiques d'arbitrage de dividendes.

Je me tourne désormais vers M. Étienne Barel, qui pourra nous indiquer la façon dont les banques ont réagi à la suite des révélations en octobre 2018. Quelles sont les réponses que vous avez apportées ?

M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF) . - Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour tenter de présenter le plus fidèlement possible la réalité des métiers et des activités des établissements bancaires, de détailler précisément le mécanisme et le champ de la retenue à la source, afin de répondre à vos interrogations, et, enfin, d'esquisser des pistes pour l'avenir, dans le but de maintenir la capacité des banques françaises à contribuer efficacement au développement de la place de Paris, dans le strict respect des obligations fiscales des établissements et de leurs clients.

Je commencerai en clarifiant deux points.

Tout d'abord, qu'est-ce qui distingue les CumEx des CumCum ? Le CumEx correspond à un schéma frauduleux, qui exploitait une faille dans la réglementation de certains pays, principalement l'Allemagne et le Danemark. Face à une retenue à la source, qui était payée par une banque pour le compte d'un client non résident, un même crédit d'impôt était réclamé plusieurs fois. Il s'agissait donc clairement d'un montage frauduleux, qui, heureusement, n'a pas pu être mis en place en France, car il n'existait aucun « trou dans la raquette » dans notre législation fiscale, notamment depuis la suppression de l'avoir fiscal en 2005.

Le CumCum, quant à lui, est la simple description du mécanisme par lequel un non-résident prête une action à un résident, sans que se déclenche le système de retenue à la source lors du paiement du dividende. Cela correspond à la technique très classique du prêt-emprunt de titres, que nous connaissons bien en France.

Ensuite, demandons-nous pourquoi les banques françaises sont impliquées dans ce dossier. La raison en est simple : depuis des décennies, celles-ci ont développé, au service de leurs clients, une activité importante de banque de financement et d'investissement, si bien qu'elles font aujourd'hui partie des leaders européens dans ce domaine. Elles permettent à des clients très variés - entreprises, institutionnels, épargnants - d'atteindre leurs objectifs, comme celui de garantir le capital d'un produit d'épargne, et de tout faire pour qu'il ne soit pas soumis à une forte volatilité boursière ou, au contraire, celui de faire fructifier les titres détenus par les épargnants. Dans tous les cas, il y a une réalité économique - la base des transactions - à l'origine de la détention de titres par les banques.

Il convient de distinguer deux types de produits.

Les produits dérivés, tout d'abord, sont tout simplement des contrats par lesquels une banque s'engage à verser à un client un certain montant, qui va dépendre de la valeur d'un produit financier, tel qu'une action, un indice d'action, des matières premières, un cours de change - il existe toute une variété de sous-jacents.

Comme je le disais, les banques françaises sont des acteurs importants du marché européen en matière de financement et d'investissement. Elles s'exposent donc elles-mêmes aux risques résultant de transactions qu'elles ont effectuées pour le compte de leurs clients. Les banques ne sont pas de simples courtiers et se doivent de couvrir ces risques. Elles sont donc amenées à détenir, pour se couvrir, plusieurs dizaines de milliards d'euros d'actions pour les grands établissements, donc, à percevoir des dividendes au titre de la détention de ces actions. Ces positions sont dynamiques, c'est-à-dire qu'elles doivent pouvoir évoluer en fonction de la situation des marchés pour ajuster le risque, ce qui pousse les banques à acheter ou vendre des actions en permanence, toujours avec pour objectif de couvrir les risques.

Il y a ensuite les opérations de prêt-emprunt de titres. Dans ce cas, la logique est assez semblable. Ainsi, quand les banques, pour couvrir leurs risques sur des dérivés, adoptent une position vendeuse par exemple, elles doivent emprunter ces actions avant de réaliser une vente à découvert. Lorsqu'elles adoptent au contraire une position d'achat, elles prêtent ces actions, ce qui leur permet, en contrepartie, de percevoir des liquidités, donc de se refinancer.

Ces opérations peuvent aussi être effectuées à la demande de clients, qui, eux-mêmes, élaborent des stratégies de couverture ou de financement, ou encore cherchent à améliorer le rendement de leurs placements. Prenons l'exemple d'un fonds qui gère l'argent d'épargnants et détient des actions pour leur compte. Afin d'améliorer le rendement de l'épargne, celui-ci peut, en contrepartie d'un intérêt, prêter ses actions à une banque, laquelle va lui verser une rémunération. Le prix de cette opération dépend de très nombreux facteurs, comme le coût de refinancement de la banque, le taux de change, autant de facteurs qui sont plus ou moins exogènes, mais qui, dans tous les cas, sont parfaitement objectifs.

Après avoir décrit le fondement économique des mécanismes qui nous intéressent aujourd'hui, je veux évoquer le cadre fiscal dans lequel s'exercent ces opérations.

En préambule, je tiens à réaffirmer très clairement que la profession condamne les opérations abusives sur le plan fiscal, celles qui permettraient d'éviter le paiement d'une retenue à la source. À cet égard, les contrôles dont a parlé M. Iannucci sont parfaitement justifiés.

Je rappelle aussi que les banques françaises font partie des plus importants contribuables de notre pays. Le montant de la contribution nationale du secteur bancaire s'élève à 14,1 milliards d'euros en 2020, ce qui correspond à 73 % du résultat net des banques en France. À lui seul, le secteur bancaire représentait 16,7 % de la recette totale nette de l'impôt sur les sociétés (IS) en France en 2020, alors même que l'activité bancaire ne représente que 2,4 % du PIB. À cela s'ajoutent, naturellement, les contributions patronales, mais aussi les contributions européennes que nous payons pour la résolution et la garantie des dépôts, autant de sommes qui ne sont pas déductibles de l'IS.

Concernant le cas particulier des opérations de prêt-emprunt de titres, il existe un mécanisme spécifique de retenue à la source sur les dividendes d'actions françaises, éventuellement dû par certains actionnaires non résidents. D'après les chiffres établis par la Banque de France le 31 décembre de chaque année, les non-résidents détenaient en moyenne 43,4 % des actions des sociétés françaises du CAC40 sur la période 2000-2020. Ce régime n'est cependant pas uniforme, car il s'applique de manière très diverse selon le régime fiscal des porteurs d'actions non résidents : certains intervenants sont en effet exonérés de cette retenue à la source, comme les organismes de placement collectif, les sociétés mères de l'Union européenne, certains fonds de pension, les résidents d'États liés à la France par une convention fiscale visant à éviter une double imposition.

L'étude que vous avez citée, monsieur le président, lorsqu'elle précise que l'évasion fiscale représenterait des dizaines de milliards d'euros de manque à gagner, ne prend pas en compte ces exonérations. Il y a là une lacune méthodologique importante, et les montants annoncés sont en conséquence très largement surestimés. Il serait utile qu'une étude d'impact, avec des moyens sérieux, transparents, vienne détailler l'évolution dynamique de l'actionnariat des sociétés françaises, voire européennes, en fonction de cette typologie d'exonérations, ce qui permettrait d'apprécier l'ampleur réelle des éventuels phénomènes de transfert destinés à éviter toute retenue à la source.

Les opérations qualifiées de « cessions temporaires de titres » constituent un sujet ancien, qui a fait l'objet de nombreuses vérifications au cours des dernières décennies. À cette occasion, les règles ont été progressivement précisées. À partir de juillet 2019, des dispositions législatives ont été adoptées pour réglementer les opérations d'emprunt de titres français à des non-résidents. Le secteur bancaire pensait que ces règles avaient vocation à guider les vérificateurs pour l'avenir, tout autant qu'au titre des exercices antérieurs.

Or, en pratique, les services de contrôle chargent les banques de prélever une retenue à la source sur un éventail beaucoup plus large d'opérations, comme si la propriété n'avait pas été transférée, y compris dans le cadre d'opérations pour lesquelles la condition de durée, qui avait été fixée par le législateur, est respectée.

Je tiens d'ailleurs à souligner que ces opérations de cession temporaire ne se concentrent pas exclusivement sur les jours qui précèdent ou suivent le versement des dividendes et qu'elles peuvent avoir lieu toute l'année. Certaines données établies par des tiers, comme celles du cabinet IHS Markit, permettent de constater, jour après jour, que des pics de cessions temporaires peuvent survenir indépendamment de ces détachements de dividendes. En outre, dans des pays qui ne pratiquent pas la retenue à la source, on voit qu'il peut y avoir des opérations importantes lors des assemblées générales, notamment parce que les fonds doivent voter ou au contraire s'abstenir de voter en fonction de leur propre organisation. Cela conduit les fonds à détenir des actions, non pas tant pour des raisons fiscales que pour une question de gouvernance.

Pour ce qui est des produits dérivés sur actions, nous sommes dans une situation objectivement différente, puisque les actions détenues par les contreparties ne sont à aucun moment prêtées à la banque. Par conséquent, le versement représentatif de dividendes n'aurait pas vocation à faire l'objet d'une retenue à la source.

Pour nous, l'arsenal juridique, législatif et jurisprudentiel à la disposition de l'administration fiscale est efficient. Il est d'ailleurs très frappant de constater que la directive du 25 mai 2018 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal, dite « DAC 6 », qui vise spécifiquement à identifier les transactions transfrontalières dans un but d'optimisation fiscale agressive, n'a imposé aucune formalité supplémentaire aux banques françaises. En effet, à l'aune de ces critères, les banques, en concertation avec les administrations fiscales, en France et dans l'Union européenne, ont pu démontrer que l'immense majorité de leurs opérations de marché ne nécessitait pas une information supplémentaire, dans la mesure où elles ne reposaient pas sur une forme d'optimisation fiscale agressive.

Enfin, je voudrais insister sur l'enjeu du maintien de la compétitivité de la place de Paris.

Si nos banques voyaient l'ensemble de leurs transactions de cession temporaire de titres et de dérivés contestées lors de vérifications, bien que le caractère non fiscal de ces transactions soit avéré, planerait sur elles une incertitude fiscale très importante. Elles seraient de fait exclues du marché et de la compétition mondiale. À l'évidence, le modèle économique des banques françaises ne serait plus viable si ces dernières devaient systématiquement faire l'objet de redressements visant à mettre à leur charge des retenues à la source, qui seraient prétendument dues par des investisseurs étrangers, ainsi que des pénalités à hauteur de 40 % à 80 % du montant de ces retenues.

Face à cette incertitude, et en l'absence de pratiques claires appliquées par l'ensemble des acteurs étrangers et français, sur le fondement des textes adoptés par le Parlement en 2019, les banques françaises ne seraient plus en mesure de répondre aux attentes des grands clients français, européens, internationaux, qui sont à la recherche de produits financiers performants et de solutions innovantes à l'échelle mondiale. Elles seraient donc contraintes d'abandonner cette clientèle stratégique aux grandes banques étrangères, au premier rang desquelles les banques anglo-saxonnes. Une solution consisterait alors à localiser ces activités dans des pays proches, leur assurant une stabilité fiscale.

En définitive, au-delà de la perte nette fiscale qu'elle encourrait, la France perdrait l'atout majeur que constitue pour son économie le fait de pouvoir se reposer sur l'industrie de la banque de marché la plus performante de l'Union européenne. Il s'agit, je le rappelle, d'un instrument qui assure un financement souverain de nos entreprises et de notre économie, et ce alors même que nous perdons du terrain et que la régulation prudentielle est moins pénalisante pour les banques d'autres continents. D'après les chiffres récemment communiqués par le gouverneur de la Banque de France, en sept ans, la part de marché des six premières banques d'investissement américaines est passée de 44 % à 58 % en Europe. Nous ne nous résignons pas à ce que ce mouvement perdure, au détriment à la fois de notre souveraineté en matière de financement et des recettes que nos États, et plus spécifiquement la France, devraient percevoir.

En conclusion, il nous semble important que les banques françaises soient soumises à des règles claires, qui leur garantissent une forme de sécurité juridique dans le traitement de leurs opérations. Il est également indispensable que ces règles s'appliquent de la même manière à tous les établissements,qu'ils soient français ou étrangers.

M. Claude Raynal , président . - Monsieur Barel, vous avez circonscrit le phénomène des CumEx, que vous avez qualifié de « frauduleux », à l'Allemagne et au Danemark. Vous nous dites qu'il n'existe pas en France. M. Iannucci ne manquera pas de nous donner son avis sur la question.

Par ailleurs, nous sommes bien d'accord que le fait de payer beaucoup d'impôt est sans lien avec le fait de payer la totalité dont on est redevable ?

M. Étienne Barel . - Absolument !

M. Claude Raynal , président . - Madame Lemasson, vous avez la parole pour nous éclairer sur la qualification juridique des pratiques d'arbitrage de dividendes. Comment fixer la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale ? Quelles ont été les poursuites pénales engagées sur ce sujet ?

Mme Salomé Lemasson, avocate spécialiste en droit pénal des affaires au sein du cabinet Rahman Ravelli . - Je vous remercie tout d'abord de m'avoir conviée à ce débat sur ce sujet complexe et passionnant que sont les pratiques d'arbitrage de dividendes de type CumEx et CumCum.

Les pratiques qui nous intéressent sont, certes, plus fiscales que pénales. J'apporterai toutefois un éclairage de pénaliste sur ces questions et j'évoquerai des exemples étrangers, notamment celui de l'Allemagne, où j'exerce également et où les premières condamnations pénales définitives ont été rendues cet été. On ne peut que constater que la France est en léger retard quant à la réponse judiciaire qu'elle apporte à ces pratiques, car, si le parquet national financier a récemment indiqué qu'une enquête était en cours, aucune décision n'a été rendue sur ce sujet.

La première question qui se pose quand on parle de pratiques d'arbitrage de dividendes est celle de la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale. Cette frontière est particulièrement difficile à définir.

D'un point de vue du droit pénal fiscal, les questions qui se posent sont multiples et complexes. L'une d'entre elles porte sur le fait de savoir si les pratiques d'arbitrage de dividendes pourraient être remises en cause par exemple par la procédure de l'abus de droit, par la procédure dite du « mini-abus de droit » ou par des clauses anti-abus, ce qui caractériserait ipso facto le délit pénal de fraude fiscale.

La réponse à cette question est loin d'être évidente. Il convient de se demander si les cas qui pourraient relever de l'abus de droit fiscal définis à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et qui permettent à l'administration d'écarter comme ne lui étant pas opposables les montages purement fictifs ou ayant un motif exclusivement fiscal viendraient caractériser en matière pénale le délit général de fraude fiscale.

Sur cette question, j'apporterai un éclairage allemand. Selon les juges de la cour régionale de Bonn, dans leur décision du 18 mars 2020, confirmée par la Cour fédérale allemande le 28 juillet 2021, « les transactions n'ont pas d'autre motif économique que d'obtenir le remboursement de la retenue à la source. Les prévenus ont délibérément demandé le remboursement de la retenue à la source prétendument payée en déposant des déclarations fiscales mensongères, ce qui caractériserait l'intention délictuelle. »

Cette décision est intéressante, car elle offre un éclairage, dans une autre juridiction que la nôtre, mais il convient de préciser qu'elle a été prise en matière de CumEx, et non de CumCum. Elle a également été prise concernant une infraction spécifique, à savoir l'évasion fiscale, qui est retenue en Allemagne comme étant une infraction à part entière et dont les éléments constitutifs sont beaucoup plus faciles à établir que ceux de la fraude fiscale.

Quelle pourrait être la caractérisation juridique de ces mécanismes en droit pénal fiscal français ? On le sait, la procédure de répression de l'abus de droit ne doit pas nécessairement avoir été mise en oeuvre par l'administration fiscale pour caractériser le délit général de fraude fiscale à propos d'actes correspondant à un abus de droit ou à une fraude à la loi. Néanmoins, dans le cas où l'administration a caractérisé l'abus de droit, par exemple avec l'application de pénalités, le juge pénal est invité, mais non contraint, à admettre le caractère frauduleux des actes en cause.

À titre d'exemple, une jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que caractérise l'infraction de fraude fiscale en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnels, l'organisation d'un montage frauduleux pour se soustraire délibérément à l'établissement et au paiement de l'impôt.

Sur les questions d'arbitrage de dividendes de type CumEx et CumCum, au moins trois questions se posent. La première, à mon sens, est de savoir si les stratégies qui consistent à appliquer des conventions fiscales bilatérales offrant un traitement préférentiel aux résidents des pays concernés - je parle ici de montages CumCum de type externe - pourraient être qualifiées de « montages frauduleux ». Sur cette question, l'étude du professeur Daniel Gutmann intitulée La pénalisation du droit fiscal : mythe ou réalité ? apporte un éclairage intéressant : « Le contribuable à la recherche d'une économie d'impôt sait qu'il se trouve dans une situation « limite ». Sa situation n'a pas été véritablement envisagée par le législateur, mais il n'est pas certain que l'acte ou que les actes envisagés soient contraires aux objectifs poursuivis par les auteurs des textes. Objectivement, l'existence d'un abus de droit est alors incertaine et, en pareille circonstance, il nous semble qu'il n'y a pas de fraude fiscale et que, plus généralement, aucune sanction de nature punitive ne devrait pouvoir être infligée au contribuable. »

La défense devant les juridictions allemandes avait notamment invoqué l'existence d'un vide juridique que les prévenus avaient exploité à leur avantage.

La deuxième question porte sur la distinction entre les situations abusives et celles qui ne le sont pas. Le cas échéant, comment remettre en cause les situations abusives ?

On simplifie beaucoup ces opérations en les présentant comme frauduleuses. En fait, il s'agit d'opérations particulièrement complexes, aux dimensions internationales, faisant souvent intervenir de nombreux intermédiaires, et ce dans plusieurs juridictions. Ces opérations constituent aussi des opérations courantes, souvent justifiées, notamment d'un point de vue économique, et parfaitement habituelles sur les marchés financiers. Il faut donc retenir qu'une stratégie d'arbitrage de dividendes n'est pas nécessairement frauduleuse en soi. Il revient d'ailleurs aux autorités de poursuite de l'établir.

Enfin, la troisième interrogation est la suivante : comment appréhender les situations dans lesquelles le temps pénal ne correspond pas au temps fiscal ? La loi de 2018, qui a autorisé la levée du verrou de Bercy, prévoit des cas de dénonciation automatique par l'administration fiscale au procureur en cas d'application de certaines pénalités. Cela suppose toutefois que l'administration fiscale ait un temps d'avance sur la procédure pénale, laquelle ne serait pas en cours.

Que faire dans les cas de situations prescrites d'un point de vue de droit fiscal, mais qui pourraient faire l'objet de poursuites pénales, notamment sur un fondement autre, en l'occurrence le blanchiment de fraude fiscale ? Ces situations peuvent conduire le juge pénal à se prononcer sur la qualification pénale des stratégies d'arbitrage en l'absence de redressement fiscal.

En tout état de cause, la complexité de ces dossiers n'empêche pas l'organisation d'une défense efficace, axée notamment sur l'élément intentionnel - c'est tout l'enjeu du point de vue du droit pénal fiscal -, notamment au regard du rôle et des responsabilités des personnes visées par les poursuites pénales.

Telles sont donc, de façon très résumée, les questions qui se posent en droit français. On l'a vu, il n'existe pas de réponse judiciaire évidente. C'est pour cela qu'il m'apparaît que les exemples étrangers offrent un éclairage intéressant.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je vous remercie d'avoir exposé vos points de vue respectifs. Il serait intéressant de savoir ce qui se pratique sur ces questions dans les pays voisins.

Pour ma part, je poserai trois questions.

La première porte sur le dispositif de l'article 119 bis A du code général des impôts, introduit sur l'initiative du Sénat lors de l'examen de la loi de finances pour 2019 mais modifié par l'Assemblée nationale. Comment peut-il être suffisamment efficace dès lors qu'il ne couvre que les cessions temporaires de titres de moins de quarante-cinq jours, et non l'ensemble des instruments financiers répliquant le versement de dividendes ?

Ma deuxième question porte sur les montages externes, qui ne sont pas concernés par le mécanisme introduit en loi de finances pour 2019, contrairement aux dispositions adoptées par le Sénat. Pour justifier ce choix, le Gouvernement avait invoqué l'existence d'outils juridiques suffisants, dont les clauses anti-abus prévues par les conventions fiscales bilatérales, ainsi que la clause anti-abus nouvellement introduite par la convention multilatérale du projet BEPS - Base Erosion and Profit Shifting . Or, trois ans plus tard, la DGFiP indique qu'il n'a jusqu'à présent pas été fait usage de ces dispositions, tandis qu'aucune convention fiscale prévoyant une retenue à la source nulle ou à un taux très réduit n'a été modifiée.

Est-ce à dire que, en matière de montages externes, tout continue comme avant ? Comment lutter efficacement contre ces dispositifs ? En clair, pourquoi laisser perdurer cette situation ?

À plusieurs reprises, les cas de pays étrangers, dont l'Allemagne, le Royaume-Uni ou même les États-Unis, ont été évoqués. Le Royaume-Uni est particulièrement concerné, puisqu'une grande partie des courtiers est établie à Londres.

Comment les pratiques d'arbitrage de dividendes sont-elles combattues à l'étranger, tant sur les plans fiscal que pénal ? Des dispositifs spécifiques ont-ils été mis en place ou les opérations de contrôle existantes sont-elles suffisantes ?

Mme Sophie Taillé-Polian . - Les questions de fraude et d'optimisation fiscales nous préoccupent beaucoup. La justice fiscale est très clairement en danger dans notre pays. Scandale après scandale, on a l'impression que la fraude est quasiment un sport national. Lutter contre l'optimisation et la fraude fiscales permettrait donc à notre pays de retrouver des marges de manoeuvre.

Vous avez dit, madame Givry, que l'on constate chaque année des schémas qui pourraient relever de pratiques sans fondement économique. En informez-vous l'administration fiscale afin que des enquêtes soient diligentées ? Si tel n'était pas le cas, ce serait un problème.

Ensuite, monsieur Iannucci, vous dites que sept enquêtes sont ouvertes, et que ce sont des affaires très complexes. On a tout de même le sentiment que, ces dernières années, il y a eu de nombreuses démarches politiques pour diminuer les moyens donnés aux vérificateurs. Comment assumer un certain nombre d'informations transmises par l'AMF, alors même que l'on manque de vérificateurs ?

Plus fondamentalement, ne serait-il pas temps de se poser la question d'une inversion de la charge de la preuve ?

Madame Lemasson, vous affirmez que, dans beaucoup de situations, l'intérêt économique est évident. Je crois, en réalité, que la plaidoirie de la FBF consistant à dire que les banques paient déjà beaucoup et qu'il y a un fort enjeu de compétitivité marche très bien auprès du Gouvernement, puisque l'outil législatif que nous avions proposé a été singulièrement amoindri.

Effectivement, il semble que les suites données par l'administration fiscale aient été faibles et, comme vous le disiez, nous accusons un « léger » retard pénal par rapport à l'Allemagne. Tout cela, à mon avis, forme une politique.

M. Éric Bocquet . - Je remarque que, une fois de plus, c'est grâce à la presse que nous évoquons ce sujet.

Monsieur Iannucci, vous faites état d'affaires complexes : nous l'entendons bien. Mais, quand vous dites qu'aucun bilan n'a été réalisé depuis l'entrée en vigueur du dispositif de retenue à la source en 2019, il y a tout de même de quoi s'interroger... La DGFiP a-t-elle vraiment les moyens de ses missions dans des affaires aussi complexes ? Les compétences sont elles ailleurs, dans les cabinets privés ? N'y a-t-il pas un problème d'effectifs humains, de techniques, de formation ? On sait que les choses évoluent très vite dans le domaine de la finance.

Plusieurs banques françaises ont été citées dans ces affaires en 2018. Or il existe au sein des banques - c'est une obligation - des auditeurs internes, des services de contrôle, qui doivent veiller au respect des règles, de l'éthique, etc. Y a-t-il eu, à l'époque, des alertes au sein des banques concernées ?

Que se passe-t-il en cas d'alerte ? Saisissez-vous les autorités de contrôle ? Y a-t-il également eu des failles dans le respect par les banques de leurs obligations déontologiques et éthiques ?

Je me souviens que, en 2018, M. Darmanin, alors ministre de l'action et des comptes publics, avait dit, à propos de cette affaire, que les banques françaises impliquées seraient poursuivies en justice. Il avait déclaré devant l'Assemblée nationale : « Je peux vous assurer que si un intermédiaire financier, qui plus est une grande banque française, a commis de tels actes, elle sera poursuivie et condamnée grâce à la loi votée par la majorité. » Or cela n'a pas été le cas en France. En Allemagne, au contraire, un responsable de banque a été condamné à quatre ans et demi de prison en juillet dernier. Comment expliquer cette différence de traitement entre deux pays voisins et amis ?

Dans quelle mesure l'amendement de l'Assemblée nationale qui a affaibli le dispositif voté à l'unanimité par le Sénat en 2018 a-t-il facilité la résurgence d'une nouvelle affaire CumEx Files , révélée par la presse voilà quelques semaines ?

Je partage l'idée que ce n'est pas parce que l'on est un gros contribuable que l'on est un contribuable spécial. La République vous en remerciera !

M. Thierry Cozic . - Je veux revenir sur l'article du journal Le Monde paru en octobre dernier, qui indique que, sur les vingt dernières années, près de 140 milliards d'euros auraient échappé au fisc dans une dizaine de pays européens, dont 33 milliards d'euros uniquement en France. La France serait l'un des pays les plus touchés par cette évasion fiscale. Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec l'amendement à 34 milliards d'euros du Gouvernement sur France 2030 : je me dis que, avec cette somme, le Gouvernement aurait pu financer une partie de son projet !

Globalement, quatre grandes banques françaises sont dans le viseur de l'administration fiscale. Elles sont soupçonnées d'aider leurs clients à se soustraire à la retenue à la source appliquée aux dividendes : sans leur concours, rien ne paraît possible. Par conséquent, avant de chercher à l'étranger des responsables individuels, dont on sait la volatilité extrêmement forte, ne faudrait-il pas prévoir des dispositifs de bonnes pratiques, qui seraient pilotées directement par Bercy, à l'intérieur des banques ?

M. Didier Rambaud . - Maître Lemasson, dans un article publié récemment sur le site de Dalloz Actualité, vous posez la question suivante : « Comment réagir ? » Vous écrivez que « l'administration fiscale dispose d'ores et déjà d'un grand nombre de dispositifs lui permettant d'écarter les arbitrages de dividendes et le transfert artificiel de propriété des titres. »

Dans quelle mesure le Parlement peut-il agir pour améliorer le bilan s'agissant des outils de lutte contre les pratiques d'arbitrage des dividendes ? Doit-on renforcer les peines existantes ? Faut-il prendre exemple sur les juridictions allemandes, compte tenu des condamnations qui ont été prononcées depuis mars 2020 dans ce pays ?

Mme Vanina Paoli-Gagin . - Je remercie les intervenants de leurs propos très intéressants.

Je veux en premier lieu rendre hommage non seulement à la presse, mais aussi à cette inspectrice des impôts de Bonn, restée anonyme. J'espère qu'elle sera source d'inspiration pour nombre de nos fonctionnaires du ministère des finances.

Plus structurellement, je me demande si la clé ne se situe pas à un niveau un peu plus macroéconomique - dans l'harmonisation des règles, dans le sens du travail qui avait été conduit sur les bases de l'IS au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Je me demande aussi pourquoi l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) n'a pas - à ma connaissance, du moins -, dans son pouvoir de sanction, la faculté de réprimer ce type d'abus.

Enfin, ne pourrait-on pas inverser la tendance en exigeant des rescrits sur ce type d'opérations ?

M. Marc Laménie . - Je remercie nos invités pour la qualité de leurs interventions sur ces sujets très complexes, que l'on connaît mal.

Ma question s'adresse à M. Barel. Pour les personnes modestes, il est difficile de contracter un petit prêt, même de 10 000 euros. On leur demande des tas de justificatifs pour des montants presque symboliques.

Quelle disproportion entre leur situation et les masses financières en jeu du fait des abus extrêmes que nous évoquons ce matin ! Comment peut-on remédier à cette forme de gâchis ?

M. Claude Raynal , président . - Je remercie Marc Laménie d'avoir introduit la morale dans notre débat : ce n'est jamais inutile.

Mme Sylvie Vermeillet . - Monsieur Barel, vous avez expliqué que la France occupait une place de premier plan sur certains outils clés dans le fonctionnement des marchés financiers : les dérivés actions, les prêts-emprunts de titres...

Quel a été l'impact du Brexit sur cette position dominante ? La Fédération bancaire française bénéficie-t-elle une attention plus particulière depuis lors ?

M. Sébastien Meurant . - Je m'interroge sur le rôle du Parlement français. On voit que son rôle de contrôle du Gouvernement est bien faible en ce qui concerne les conventions fiscales. Or, compte tenu des sommes en jeu, le sujet de la fraude fiscale - comme celui de la fraude sociale - est essentiel. Comment se fait-il que le Gouvernement ne s'en empare pas véritablement ? Je rejoins ce que disait tout à l'heure Éric Bocquet sur les amendements du Sénat qui ont été votés à l'unanimité, mais affaiblis par l'Assemblée nationale. Je rappelle que nous avons à la tête de l'État un ancien banquier d'affaires...

En 2008, lors de la crise des subprimes, la France avait été un des rares pays à ne pas condamner les banques sur les produits structurés et où les administrations de contrôle avaient laissé les collectivités et les hôpitaux s'endetter sur des produits hautement spéculatifs. Là encore, on a l'impression que les banques, alors qu'elles sont condamnées dans d'autres pays, échappent, chez nous, à toute sanction.

La réponse qui sera apportée à la question sur le Brexit m'intéresse tout particulièrement.

Le rescrit fiscal permettrait-il d'avoir une transparence et une certitude sur le droit fiscal, qui est un élément important pour les investisseurs étrangers ?

M. Charles Guené . - Moi qui ai étudié le droit fiscal dans les années soixante-dix - cela ne me rajeunit pas... -, je constate que les notions d'abus de droit, d'optimisation et de fraude ont beaucoup évolué. On sent bien que l'on est passé récemment de la fraude due au secret, comme on la pratique dans les paradis fiscaux, à une fraude beaucoup plus technologique.

L'administration fiscale a-t-elle vraiment les moyens, à ce niveau de technologie, d'identifier ce type de fraudes ?

Mme Salomé Lemasson . - Je vais tâcher de vous apporter mon éclairage sur ce qui se passe dans d'autres pays. J'aimerais insister sur l'Allemagne, que je connais bien, et vous parler également du Royaume-Uni et du Danemark. Je répondrai ensuite à la question sur l'opportunité de renverser la charge de la preuve, notamment en matière pénale.

Les exemples étrangers sont toujours intéressants à étudier. Faut-il pour autant faire la même chose ? Non, parce que notre droit est particulier et propre à notre juridiction. Cependant, on peut voir si ce qui se fait à l'étranger serait utile pour nous ou pas et, le cas échéant, s'en inspirer.

Une chose est certaine : pour ce qui est de la réponse judiciaire, d'autres pays sont en avance sur nous. En tant qu'avocate, je ne peux que me réjouir des avancées.

Mais, pour ce qui est de l'Allemagne, il faut bien avoir en tête que les décisions ne s'appliquent pas tout à fait comme elles pourraient s'appliquer en France, pour plusieurs raisons : principalement parce qu'elles concernent la matière CumEx et ensuite parce qu'elles ont été introduites sur le fondement de cette infraction pénale particulière qu'est l'évasion fiscale, qui n'existe pas en droit français. Pourtant, les éléments constitutifs de l'évasion fiscale sont beaucoup plus faciles à établir que ceux de la fraude fiscale, puisque le non-dépôt d'une déclaration fiscale ou le dépôt d'une déclaration erronée suffisent à caractériser l'élément matériel, l'élément intentionnel étant lui aussi beaucoup plus facilement caractérisable que celui de la fraude fiscale.

Je souhaite revenir sur trois décisions intéressantes qui ont été rendues en Allemagne.

La cour régionale de Bonn a rendu une décision le 18 mars 2020, confirmée cet été - le 28 juillet 2021 - par la Cour fédérale. C'est la première décision de la Cour fédérale en la matière. Plusieurs éléments de cette décision sont intéressants. Les procédures visaient deux banquiers anglais pour le rôle qu'ils ont joué dans ces pratiques de CumEx. Ils ont été condamnés respectivement à un an et un an et dix mois d'emprisonnement. L'un des prévenus s'est aussi vu infliger une peine de confiscation de 14 millions d'euros pour évasion fiscale et complicité d'évasion fiscale. La banque pour laquelle ils travaillaient, M.M. Warburg, s'est quant à elle vu infliger une amende civile - je rappelle qu'il n'existe pas, en Allemagne, de responsabilité pénale des personnes morales - de 176 millions d'euros.

Une autre décision, toujours prise par la cour régionale de Bonn et rendue le 1 er juin 2021, mais non confirmée et toujours susceptible d'appel, a sanctionné un ancien banquier allemand, travaillant pour la même banque, pour son rôle qualifié de « central » dans la mise en oeuvre des CumEx. Il a été condamné à cinq ans et demi d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende de confiscation pour évasion fiscale aggravée.

Les Allemands sont assez créatifs, car les procédures visent tous les rouages des montages, non seulement les banquiers et les banquiers étrangers, mais également les conseillers fiscaux et les avocats. On a vu dans la presse que de grands cabinets d'avocats tout à fait prestigieux et à la réputation honorable avaient été perquisitionnés, certains de leurs associés faisant l'objet de poursuites, notamment pénales.

Je trouve également que l'exemple du Royaume-Uni est intéressant, parce qu'il s'agit d'une des juridictions qui a rendu les premières décisions en matière de CumEx, alors même qu'il n'existe pas de retenue à la source dans ce pays. Le régulateur britannique - la Financial Crime Authority (FCA) -, qui a rendu ses décisions, notamment en mai 2021, a abordé la question sous l'angle du respect de la réglementation en matière de procédures de lutte contre le blanchiment. En revanche, je veux y insister, la FCA s'est bien gardée de se prononcer sur la légalité ou non des montages. Par conséquent, si le Royaume-Uni est actif, il ne nous guide pas réellement sur la manière de qualifier ces montages.

Enfin, le Danemark s'illustre par une assez grande créativité, l'administration fiscale danoise - la Skat - ayant introduit plusieurs procédures aux États-Unis, en Angleterre, à Dubaï, en Malaisie ou au Canada. Elle a notamment attaqué plusieurs fonds de pension américains accusés d'avoir bénéficié des opérations CumEx sur des actions détenues sur le marché danois. L'argument opposé consistait à dire que le juge américain n'était pas compétent pour se prononcer, puisqu'il s'agissait de questions relevant de la fiscalité danoise, mais cet argument a été rejeté et, finalement, en 2019, l'administration fiscale danoise a conclu une transaction avec une partie des fonds de pension américains, au titre de laquelle ces derniers s'engagent à lui reverser 239 millions de dollars.

À l'inverse, les procédures des autorités fiscales danoises intentées en Angleterre ont été moins fructueuses, puisque la London High Court a rejeté, en mai 2021, la procédure introduite par l'administration fiscale danoise pour fraude civile à l'encontre d'une centaine de personnes.

Il ne me revient pas d'évaluer l'opportunité et l'efficience des outils à disposition de l'administration fiscale ; je laisserai les autres intervenants se prononcer sur ce point.

Concernant un éventuel renversement de la charge de la preuve en matière pénale, je veux tout d'abord rappeler le principe de l'indépendance entre les procédures pénales et les procédures fiscales. Le juge pénal doit caractériser l'existence ou non d'une fraude fiscale, en faisant lui-même application des règles de droit fiscal, en toute autonomie, indépendamment des constatations des juridictions administratives en la matière - sauf en matière de décision définitive de décharge de l'impôt, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici. A fortiori , il n'est pas non plus tenu par les constatations de l'administration fiscale et il lui revient bien évidemment d'établir tous les éléments de l'infraction - l'élément légal, l'élément matériel et l'élément intentionnel.

À ce titre, il m'apparaît, en tant que pénaliste, qu'un renversement de la charge de la preuve porterait atteinte au principe fondamental de la présomption d'innocence et qu'il revient aux autorités de poursuite d'établir si un montage est frauduleux ou non, et pas l'inverse.

M. Claude Raynal , président . - Je vais redonner la parole à M. Barel. Je veux lui assurer que le caractère direct des questions ne doit pas laisser croire à un manque de considération à l'égard des banques. Nous considérons que le réseau bancaire français est performant, nécessaire et important en Europe. Nous souhaitons que cette suprématie puisse être préservée, dans des conditions compatibles avec le respect du droit. N'ayez pas de doute à ce sujet.

M. Étienne Barel . - Merci infiniment, monsieur le président, de cette remarque préliminaire. Pour échanger avec le Sénat et avec la commission des finances, nous savons que cela vous tient à coeur. Je crois que c'est exactement le cadre dans lequel nous souhaitons exercer notre métier. La banque est une industrie importante, qui participe à la souveraineté de l'Europe.

S'agissant des prêts à 10 000 euros, nous devons, comme dans d'autres domaines, faire la balance entre plusieurs contraintes. Nous avons envie de servir les clients en finançant leurs projets à 3 000, 5 000 ou 10 000 euros. Cependant, nous ne souhaitons pas créer de situations de surendettement, raison pour laquelle il nous arrive de refuser des prêts. Au final, les banques françaises ont un très faible taux de défaut sur les prêts, notamment sur les crédits à la consommation ou les découverts. Nous nous en réjouissons. En outre, nous constatons que les chiffres du surendettement sont faibles en France, qu'il existe des systèmes qui le traitent et des dispositifs, comme le taux de l'usure, qui permettent de veiller à la protection des consommateurs.

La « paperasse » nous est imposée, notamment par la législation européenne. C'est par exemple le cas pour les placements ou pour les crédits immobiliers. Si l'on doit signer des dizaines de pages quand on contracte un crédit immobilier, c'est parce que la réglementation nous y oblige ; ce n'est pas du tout le choix des banques.

Je tiens à faire une clarification. J'ai dit que les banques payaient beaucoup d'impôts. Je crains que mes propos n'aient été mal interprétés : notre position est qu'il faut payer exactement le niveau d'impôt qui est dû. Cela me permet de revenir sur la nature un peu spécifique de la retenue à la source. Celle-ci n'est pas un impôt payé par les banques : c'est un impôt payé ou évité par des clients des banques. La banque n'est que l'intermédiaire de la collecte.

Pour ce qui concerne l'impact du Brexit sur les banques françaises, je veux évoquer trois points.

Premièrement, le Brexit conduit à un double mouvement. Il y a désormais un désavantage compétitif lié au Brexit pour les banques implantées à Londres, parce qu'elles n'ont plus le passeport européen qui leur permettait de servir des clients continentaux comme une banque continentale. Elles doivent donc désormais retrouver un avantage compétitif. Elles le font en assouplissant leur réglementation. Il commence donc à y avoir une compétition. Certains articles ont parlé de « Singapour-sur-Tamise ». Londres souhaite en partie déréglementer. Il a ainsi été annoncé, par exemple, que les règles d'introduction en bourse seront assouplies.

Deuxièmement, le Brexit constitue un handicap pour les banques françaises installées à Londres, qui doivent à la fois suivre les nouvelles règles anglaises et continuer à respecter les règles européennes, parce qu'elles sont françaises. Elles avancent avec un sac de sable sur les épaules... De fait, comme les règles londoniennes deviennent moins contraignantes, les banques anglo-saxonnes ont un fonctionnement facilité par rapport aux banques européennes, qui ont gardé un cadre plus strict.

Troisièmement, l'attractivité de la place parisienne s'est malgré tout renforcée. Selon Paris Europlace, entre 8 000 et 10 000 personnes sont venues à Paris, essentiellement en provenance de banques anglo-saxonnes, pour servir le marché européen, qui est très important. Notre ambition est que la place parisienne conserve ces personnes et ces activités qui créent de la valeur pour notre économie et pour nos finances publiques.

Pour finir, je veux revenir sur l'harmonisation des règles de l'OCDE et sur la manière de traiter les dérivés qui répliquent exactement une action. Je prendrai l'exemple de la législation américaine : l'article 871(m) de l'équivalent du code général des impôts permet de dire que, de manière mondiale - c'est-à-dire non pas uniquement pour les banques américaines, mais pour toutes les banques - les dérivés qui font exactement la même chose que les actions ont le même régime fiscal que les actions.

Cela peut être une piste de réflexion intéressante pour les travaux qui sont conduits ici, à la condition qu'une telle règle s'applique à tout le monde, comme c'est le cas aux États-Unis. Si elle s'applique à un seul pays, à une seule banque, soit on détruit l'activité, soit on la déplace.

M. Claude Raynal , président . - Cette question des normes est d'ailleurs une question industrielle classique. Elle ne concerne pas que les activités de services ou les activités de banque.

Pourriez-vous revenir sur les procédures d'audit interne ?

M. Étienne Barel . - Toutes les banques ont plusieurs services qui s'appellent soit le contrôle permanent, soit le contrôle périodique. Le contrôle permanent suppose qu'il y ait des personnes qui sont en permanence en train de vérifier ce qui est fait. Le contrôle périodique recouvre les missions spécifiques de contrôle assurées au plus haut niveau de la banque, par une inspection générale statutairement directement rattachée au directeur général, qui a donc une indépendance supplémentaire.

Par ailleurs, toutes les banques ont progressivement prévu des statuts internes de lancement d'alerte, qui permettent au collaborateur qui serait témoin d'agissements qui lui semblent contraires aux principes de la banque, à son éthique ou à ses engagements de les signaler, en toute protection, sans être inquiété par sa hiérarchie. Les pratiques existant au sein des banques sont donc tout à fait encadrées et ne sauraient échapper à des contrôles internes permanents ou périodiques.

Tracfin, par exemple, fonctionne de la même façon. Les banques sont à l'origine de plus de la moitié des déclarations à Tracfin. Là aussi, si un collaborateur est témoin d'opérations correspondant à du blanchiment d'argent ou à du financement du terrorisme, il peut, en dehors de tout circuit hiérarchique, informer, par ce système de lancement d'alerte, les services de la banque.

Mme Alexandra Givry . - Monsieur le président, vous avez très justement résumé le fait que les missions de l'AMF sont centrées sur la matière boursière, et non fiscale.

Pour ce qui concerne ce que l'AMF peut faire aujourd'hui, il est tout d'abord vraiment important d'avoir en tête que nous ne sommes pas outillés pour détecter individuellement des opérations qui pourraient relever des abus dont nous discutons.

Néanmoins, elle est en mesure d'apporter un éclairage « macro » sur le marché dans son ensemble. Pour rappel, jusqu'en 2020, l'AMF ne disposait d'aucune déclaration réglementaire lui permettant de surveiller le marché du prêt-emprunt. Néanmoins, elle s'était dotée dès 2017 d'un abonnement au service du fournisseur de données IHS Markit, qui lui permettait d'accéder au volume agrégé quotidien de prêts-emprunts sur chacun des titres du SBF 120 sur une année glissante. L'objectif de cet abonnement était essentiellement de suivre le bon fonctionnement du marché pour les titres qui font l'objet de ventes à découvert.

En 2018, l'AMF a établi une évaluation approximative du phénomène d'arbitrage via le recours au prêt-emprunt sur la base de ces données agrégées. Les services de l'AMF ont ainsi estimé le surplus de valorisation des titres prêtés à la date de détachement de dividendes à 160 milliards d'euros. Il en est ressorti une estimation, elle aussi très approximative, de la perte fiscale annuelle du fait de l'arbitrage de dividendes via les montants de prêts-emprunts uniquement - et non les dérivés - à hauteur d'environ 1 milliard d'euros.

Depuis l'été 2020, la surveillance exercée par l'AMF sur le marché du prêt-emprunt s'exerce via le reporting européen SFTR, qui présente l'avantage de nous fournir des éléments nominatifs sur les transactions individuelles. Ces déclarations font l'objet d'un investissement important des équipes de l'AMF, qui peut l'exploiter à nouveau dans le cadre de ses missions de détection d'abus de marché.

En revanche, son entrée en application est trop récente pour qu'il nous fournisse des éléments sur l'évolution du marché. En outre, il faut rappeler que ce règlement européen n'a pas été conçu pour réaliser une surveillance d'opérations réalisées à des fins d'arbitrage fiscal. En particulier, il porte sur un périmètre exclusivement européen et très largement réduit à la suite du Brexit et en l'absence d'un quelconque accord trouvé avec le Royaume-Uni pour l'échange systématique de données financières.

Ce nouveau régime de déclaration est donc très utile pour les missions au coeur de l'AMF, mais il ne peut nous permettre d'avoir connaissance des opérations de prêt-emprunt que si une entité européenne y prend part, et, par construction, il ne permet pas de repérer les montages dits « externes », qui reposent rarement sur des pays européens.

Par conséquent, à ce jour, nous sommes seulement en mesure de fournir une évaluation très estimative, reposant sur des données globales, qui ne permettent pas de mener un suivi individuel.

Nous avons appliqué cette méthode globale sur les données du marché mondial du prêt-emprunt de titres obtenues auprès du fournisseur IHS Markit. Ces résultats doivent être considérés avec précaution. En appliquant cette méthode, nous constatons qu'il existe toujours un surplus de prêts-emprunts de titres autour des détachements, mais qu'il a diminué de manière significative. De manière très résumée, le pic de volume de prêts-emprunts de titres est toujours visible, mais il est en moyenne deux fois moins élevé que celui que l'on avait pu observer en 2018.

Il convient de ne pas en tirer de conclusions sur une éventuelle tendance. Par ailleurs, nous ne sommes pas en mesure d'identifier si cette diminution est un effet, par exemple, du dispositif anti-abus ou simplement un effet conjoncturel lié au fait que des dividendes aient pu être plus faibles en 2021 qu'en 2018. Néanmoins, c'est une base que nous pouvons partager avec vous, même si elle est limitée. Compte tenu d'un taux de dividende moyen qui est également plus faible, la perte fiscale via des opérations de prêts-emprunts est estimée, très grossièrement, sur la base de ces éléments, à un maximum de 400 millions d'euros pour l'année 2021, quand l'estimation que nous avions pu vous communiquer en 2018 s'élevait à 1 milliard d'euros.

Je répète que ces résultats doivent être interprétés avec prudence : la méthode d'évaluation est globale ; les montants avancés sont très approximatifs. Ils constituent simplement l'indicateur d'une réalité que l'AMF n'a pas les moyens d'évaluer précisément ni d'investiguer par une surveillance individuelle. Ils reposent par ailleurs sur une hypothèse non démontrée que l'ensemble des titres prêtés autour de la date du détachement de dividendes le sont par des non-résidents, qui auraient été imposés via une retenue à la source de 15 % s'ils n'avaient pas prêté ces titres.

Même s'agissant de l'évolution du marché dans le temps, ces chiffres doivent être considérés avec prudence, parce que nous avons seulement deux points d'observation, mais aussi parce que le périmètre a évolué. En effet, nous n'avons retenu dans notre estimation que les valeurs du CAC40 relevant de la compétence française. Or, compte tenu de la compétition entre les places financières, certains émetteurs ont récemment fait le choix de se faire lister sur une place concurrente. Cela réduit naturellement le périmètre concerné par la fiscalité française et affaiblit notre estimation.

Je répète que cet éclairage général ne nous permet absolument pas de mener une surveillance individuelle des opérations concernées.

S'agissant des transmissions que nous pouvons faire auprès de l'administration fiscale, même si ce n'est pas fréquent, nous pouvons être amenés à constater des schémas qui nous semblent pouvoir relever, sans que nous en ayons aucune certitude, puisque nous n'avons pas les compétences pour investiguer, d'un schéma d'arbitrage fiscal, auquel cas nous informons évidemment l'administration fiscale de ce schéma et de la façon dont il fonctionne.

Les modalités de l'échange d'informations avec l'administration fiscale résultent de l'article L. 84 E du livre des procédures fiscales, qui permet à l'AMF de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, des informations qu'elle détient dans le cadre de ses missions et compétences, à l'exception des informations qui sont obtenues via la coopération internationale, qui ne peuvent être transmises qu'avec l'accord de l'autorité ayant fourni cette information.

Par ailleurs, l'AMF coopère également très largement avec le parquet. En effet, si, dans le cadre de ses attributions, elle acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, elle est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. L'AMF transmet donc de façon régulière au parquet les informations obtenues dans le cadre des enquêtes qu'elle réalise et qui peuvent comporter des infractions de nature fiscale.

Concernant les possibles évolutions du rôle de l'AMF, voire d'autres régulateurs européens, l'AMF est réservée sur une éventuelle extension de ses compétences et de ses missions, notamment pour des raisons tenant à la coopération internationale qu'elle entretient avec les régulateurs étrangers pour la bonne fin de ses enquêtes. En effet, cette coopération est aujourd'hui menée, comme le prévoit la loi, sur la base d'accords multilatéraux ou bilatéraux, avec une centaine de pays très divers, qui, progressivement, ont accepté largement les échanges d'informations, dans le cadre notamment de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et de ses accords de coopération. Ces accords permettent l'échange entre régulateurs d'informations destinées exclusivement à l'exécution de leurs missions et encadrent strictement la façon dont les informations sont utilisées. Ils interdisent d'envisager que l'AMF utilise ces données pour une mission qui porterait sur le cadre fiscal. Si tel était le cas, l'AMF contreviendrait à ses engagements internationaux et s'exposerait à l'avenir à un refus de ces régulateurs de donner suite à ses demandes de coopération.

Telle situation serait évidemment dommageable pour la bonne fin de ces enquêtes, dont l'aboutissement, compte tenu de l'internationalisation des marchés, dépend à 80 % des informations reçues des régulateurs étrangers. Il en résulterait donc pour l'AMF une incapacité de poursuivre les abus de marché, notamment les manquements d'initiés - il s'agit de sa mission première -, pour un rendement fiscal sans doute très faible.

Au niveau européen, les homologues nationaux de l'AMF ont une mission qui est centrée sur l'intégrité des marchés, et, toujours pour des raisons de séparation de compétences, qui permettent de préserver l'efficacité, l'ESMA elle-même ne dispose pas de pouvoir de sanction sur les abus de marché, pas plus que sur les questions fiscales. Néanmoins, à la suite de l'affaire qui avait été mise sur le devant de la scène en 2018, et à la demande, entre autres, du Parlement européen, elle s'est interrogée sur l'opportunité d'un élargissement éventuel du rôle des autorités nationales à ces affaires fiscales. Elle a finalement publié un rapport, qui, après avoir analysé cette possibilité, écarte la proposition consistant à étendre le champ des compétences des autorités nationales.

L'AMF est parfaitement alignée sur ce rapport, qui explique que la recherche de réponses en termes de législation et de supervision doit être recherchée dans le cadre fiscal, sans vouloir nécessairement y mêler les autorités financières, qui ne peuvent être que contributrices : elles peuvent apporter un soutien aux autorités fiscales dans la compréhension des opérations financières sous-jacentes, mais non dans leur analyse fiscale. Elles peuvent également apporter un soutien dans l'exploitation des données qui permettent de mesurer l'ampleur d'avantages donnés sur la base des données auxquelles les autorités financières ont accès et peuvent répondre à des demandes sur un cas spécifique, dans les limites de la coopération internationale.

Après avoir analysé la possibilité d'une extension de ces compétences, il est apparu au niveau européen comme au niveau de l'AMF que les inconvénients d'un tel élargissement dépasseraient les avantages, comme nous l'avons expliqué sur les questions de coopération internationale, sans compter le risque que cela ferait peser sur le rôle premier des autorités financières.

Pour terminer, je veux évoquer la vision que peut avoir un régulateur financier des mesures anti-abus.

Les montages financiers qui visent à modifier temporairement la propriété d'un titre, pour des raisons, par exemple, d'arbitrage fiscal, peuvent être très variés. Par conséquent, tant que des conventions fiscales favorables créeront les conditions propices à la recherche de tels arbitrages, il est probable que les dispositifs législatifs qui créent des obstacles n'empêcheront pas de continuer à chercher des contournements. À l'inverse, il pourrait être disproportionné de mettre en place un dispositif anti-abus très englobant, car il engendrerait a minima des coûts de frottement sur un périmètre potentiellement trop large d'opérations et nuirait ainsi au fonctionnement des marchés.

Aussi, il nous apparaît essentiel de procéder à une évaluation préalable de telles mesures au regard de leur efficacité, mais aussi de l'impact potentiel sur l'attractivité de la place de Paris, dans un contexte particulièrement compétitif.

Je vous l'ai indiqué, des sociétés peuvent faire le choix de se domicilier dans d'autres juridictions, notamment les Pays-Bas, et entre autres, pour des raisons fiscales.

M. Claude Raynal , président . - Merci pour cette quantification des coûts de frottement !

Nous avons compris que l'AMF n'était pas en mesure d'exercer une surveillance individuelle... Sur cette question, la DGFiP est seule responsable, si je comprends bien...

M. Frédéric Iannucci . - Nos relations sont très fluides avec l'AMF et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui nous adresse également des signalements concernant des anomalies. Chacun est dans son rôle et dans son univers normatif, mais les autorités de l'État communiquent entre elles et les relations sont tout à fait fluides.

Non, nous n'avons pas identifié en France de mécanisme équivalent au CumEx allemand, parce que l'architecture des dispositifs est différente - on n'est pas dans des remboursements de crédits d'impôt. Au reste, le cas était beaucoup plus manifeste en Allemagne.

Cependant, l'exemple allemand montre le risque de procédures de remboursement. On pourrait se dire que, dans un système idéal, on applique la retenue à la source sur tous les flux de dividendes, sans regarder qui est le bénéficiaire effectif. Se créerait alors un risque de multiremboursement. Il faut parvenir à tracer très précisément tous les flux, ce qui est colossal. Songeons aux justificatifs qu'il faudrait produire pour démontrer un intérêt économique pour obtenir le remboursement partiel ou total d'une retenue à la source... On voit que la FBF arrive parfaitement à justifier le fonctionnement des marchés, avec une argumentation très élaborée. On viendra dire à la DGFiP que chaque opération est parfaitement fondée économiquement et s'intègre dans le fonctionnement habituel des marchés. Il ne serait alors pas évident de refuser le remboursement.

Concernant les contrôles, il est vrai qu'on a commencé sous l'angle de l'abus de droit. Nous basculons maintenant vers un autre angle d'attaque, qui est celui du bénéficiaire effectif. Cela nous semble beaucoup plus efficace et moins aléatoire juridiquement.

S'agissant des sept procédures en cours, je veux préciser que l'une des banques a accepté les redressements, reconnaissant que les pratiques en cause ne relevaient pas du fonctionnement normal des marchés. En revanche, d'autres banques sont dans la dénégation complète : même face à des cas caricaturaux, avec des prêts de titres la veille de versement d'acomptes, que l'on parvient à démontrer facilement, elles nient le mobile fiscal.

Je veux dire tout à fait sereinement à M. Barel que, lors de certaines réunions techniques, nous avons eu l'impression que nous ne parlions pas du même sujet. Au reste, je n'apprécie pas du tout que la FBF intervienne auprès de mon ministre pour dire que nos vérificateurs font n'importe quoi. Leur travail est documenté. Nous disposons d'éléments concrets pour démontrer l'existence manifeste de raisons fiscales.

Toute la difficulté pour nous est de tracer la limite : les mesures anti-abus ne peuvent pas être trop larges, sauf à pénaliser des pans entiers de ce secteur économique.

Sur les cas en cours, nous avons des contacts avec le parquet national financier. Il sera encore plus difficile pour le juge pénal que pour nous de démontrer des mouvements de titres, sans partir des redressements fiscaux. Les faits doivent être établis fiscalement. C'est le juge pénal qui appréciera alors s'il donne d'autres suites.

Nous sommes dans un mécanisme de dénonciation obligatoire au parquet. D'ailleurs, on constate que certains établissements déposent des déclarations rectificatives avec des montants complémentaires de retenue à la source, qu'ils contestent très peu de temps après, justement pour éviter cette dénonciation obligatoire.

La question des moyens et des compétences de la DGFiP est importante. Le sujet des moyens est rituel ; il a été soulevé dans l'affaire des Pandora papers . Le problème ne porte pas sur le nombre d'agents : c'est un problème de compétences. Comment avoir des vérificateurs suffisamment spécialisés, ayant des compétences pointues sur ces mécanismes ? Il y a, à la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), quelques consultants internationaux et financiers, qui sont capables de s'y retrouver. L'enjeu, pour nous, est d'augmenter le nombre de ces personnes, mais il n'existe pas de problème d'effectif global de la DGFiP sur ce sujet très particulier.

Sur l'efficacité de l'article 119 bis A du code général des impôts, je répète que nous ne disposons malheureusement pas d'éléments de bilan à ce stade. Je n'ai pas l'impression que les établissements financiers sont très gênés par la période de quarante-cinq jours, mais semblent s'organiser en fonction.

Il faut réussir à apprécier, en termes de mesures anti-abus, s'il y a un risque au niveau de l'intermédiaire et, comme on le constate dans les cas les plus abusifs, s'il y a un partage du gain entre la banque et le non-résident. De fait, nous constatons, dans certains dossiers, un partage millimétré du gain, qui correspond exactement à ce qui aurait dû résulter de l'application du taux de retenue à la source.

Dans l'exemple américain, les dérivés sont assimilés aux actions. Il faudrait peut-être que nous nous dotions d'une telle clause d'assimilation.

Je répète qu'il est encore plus difficile d'agir sur les CumCum externes, compte tenu des difficultés d'accès à l'information. Déjà en interne, il n'est pas facile de déceler les mouvements avec des plateformes, des courtiers à l'étranger. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains que des mécanismes d'assistance administrative internationale puissent fonctionner à cette échelle, parce que, là aussi, on ne demande pas une information sur une personne, mais sur des volumes de transactions.

M. Claude Raynal , président . - Monsieur Iannucci, je veux vous remercier pour votre seconde intervention ; vous êtes entré dans le dur, si je puis dire...Chacun ici tirera ses propres conclusions, mais on a tout de même l'impression que le sujet n'est pas totalement bien traité.

Vous avez indiqué faire désormais usage du fondement juridique du « bénéficiaire effectif » dans le cadre des contrôles, il faudra suivre en quoi il fait progresser la lutte contre ces pratiques. On sent bien que les contrôleurs de Bercy doivent avoir la même compétence que ceux du système financier.

J'ai bien noté que le délit d'évasion fiscale pourrait être introduit dans notre droit - en tout cas, le sujet est sur la table.

Mesdames, messieurs, je veux vous remercier d'avoir accepté de participer à cette table ronde, organisée dans des délais très courts, et de nous avoir informés des enjeux et de l'évolution du dossier. Je vous remercie également de la qualité de vos interventions, très complémentaires ; elles nous ont permis de faire un tour très complet du sujet.

III. EXAMEN EN COMMISSION (25 OCTOBRE 2022)

Réunie le mardi 25 octobre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Husson, rapporteur, sur la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

M. Claude Raynal , président . - Nous entendons cette après-midi la communication de Jean-François Husson, en sa qualité de rapporteur de la mission d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Je rappelle que cette mission a été créée par notre commission à la suite de plusieurs auditions en réunion plénière sur des thématiques de fraude fiscale et pour tirer les premiers enseignements de l'application de la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, qui avait notamment réformé le « verrou de Bercy ».

Ses travaux ont démarré le 8 mars 2022 et se sont achevés le 12 octobre dernier, plus d'une trentaine de personnes ont été auditionnées et trois déplacements ont pu être réalisés notamment à la DGFiP et au Tribunal de Paris, où nous avons vu à la fois les magistrats du siège, le parquet et le parquet national financier (PNF).

La mission était constituée de 19 membres.

Le rapporteur va donc nous exposer les conclusions qu'il tire de ses travaux et je laisserai bien évidemment la parole d'abord aux membres de la mission, puis à l'ensemble des membres de la commission qui voudront s'exprimer.

M. Jean-François Husson , rapporteur . - Je voudrais remercier tous les collègues membres de cette mission d'information, qui y ont participé avec assiduité. Cette mission s'inscrit dans le droit fil de nos travaux menés il y a quatre ans. Je veux également rendre hommage au travail qui avait été réalisé par mon prédécesseur, Albéric de Montgolfier, qui a été rapporteur du projet de loi relative à la lutte contre la fraude.

Nous voici donc arrivés à la conclusion de ses travaux. Vous avez rappelé, Monsieur le président, leur densité.

Je souhaite vous présenter aujourd'hui les grands axes du rapport, ainsi que les recommandations que je vous propose. Je précise que les travaux de la mission d'information étaient avant tout destinés à faire un bilan des dispositifs que nous avons voté depuis 4 ans, et en particulier dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude d'octobre 2018. Cette mission ne conclut pas à la nécessité d'une « révolution fiscale », mais propose un certain nombre d'ajustements et d'évolutions destinés à accroître la portée et l'efficacité des dispositifs examinés. Il y a d'ailleurs des sujets particulièrement lourds sur lesquels nous ne pouvons pas agir par nous-mêmes, je pense par exemple aux prix de transfert.

Commençons au préalable par un constat : les résultats du contrôle fiscal augmentent depuis 2019. Ces résultats avaient connu une chute inquiétante de près de 20 % entre 2015 et 2018, pour atteindre un point bas à 7,7 milliards d'euros. 10,7 milliards d'euros ont toutefois été recouvrés en 2021, soit une hausse de 38 % par rapport à 2018. Les résultats du contrôle fiscal ont quasiment retrouvé leur niveau record de 2019, marquant un net rebond après ceux de l'année 2020, affectés par la crise sanitaire avec une chute de 40 %.

Ces résultats doivent néanmoins être relativisés. Il existe d'abord des marges d'amélioration. L'administration fiscale ne parvient à recouvrer que 75 % des montants mis en recouvrement. Ces résultats sont par ailleurs fortement dépendants de dossiers qualifiés d'exceptionnels.

Par ailleurs, et c'est sans doute la principale limite : nous ne pouvons pas savoir, en l'absence d'évaluation méthodologiquement fiable de la fraude fiscale, si le contrôle fiscal parvient à recouvrer 1 % , 10 %, 20 %, ou plus des montants fraudés.

En 2019, le Premier ministre avait demandé à la Cour des comptes d'évaluer le montant de la fraude aux prélèvements obligatoires : elle s'y était refusée, invoquant le manque de temps nécessaire pour s'y pencher. Le Gouvernement avait dès lors confié cette mission à l'Insee, qui n'a depuis publié qu'une seule étude, produite le 25 juillet 2022, sur l'estimation des montants manquants de versements de TVA, de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros par an. Pour produire cette évaluation, l'Insee a travaillé à partir des données de l'administration en charge du contrôle fiscal et a ensuite transmis ce « savoir-faire » à cette dernière.

L'évaluation de la fraude fiscale pourrait faire l'objet d'un travail commun entre l'Insee et l'administration fiscale, étendu à l'ensemble des impôts. Il est grand temps que nous avancions enfin sur ce sujet, alors que les estimations les plus variées ont tendance à se multiplier dans le débat public. Dans une première recommandation, je propose donc que les estimations soient intégrées dès le projet de loi de finances initiale pour 2024 au document de politique transversale relatif à la lutte contre la fraude, avec le détail des méthodologies utilisées.

Certaines interrogations demeurent également quant à la capacité de l'administration fiscale à lutter contre certains des schémas de fraude complexes et difficilement détectables. En effet, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a largement modernisé ses outils, en ayant par exemple de plus en plus recours à l'intelligence artificielle dans la programmation de ses contrôles. Ainsi, en 2021, le datamining a été à l'origine de 45 % des contrôles, pour 1,2 milliard d'euros recouvrés, soit 11 % du montant total.

Il me semble dès lors important que le Parlement dispose chaque année d'éléments permettant d'évaluer l'efficacité de cette méthode : c'est pourquoi je propose aussi de créer un indicateur de performance relatif à la part des contrôles programmés par datamining et ayant conduit, d'une part, à la mise en recouvrement de droits et pénalités, et, d'autre part, à des contentieux « à enjeux ». C'est l'objet de la deuxième recommandation.

Ces constats une fois présentés, j'en viens aux quatre axes qui ont structuré les travaux de la mission d'information et aux recommandations qui leur sont attachées.

Le premier axe concerne le renforcement de l'efficacité de la réponse pénale à la fraude fiscale. Les dispositions adoptées dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude ont en effet profondément affecté les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire.

L'assouplissement du « verrou de Bercy » et son remplacement par un dépôt automatique des plaintes pour les dossiers de fraude fiscale les plus graves se sont traduits par une augmentation de 75 % des dossiers de fraude fiscale transmis par l'administration fiscale au parquet. Cet afflux massif de dossiers intervient dans un contexte où l'ordre judiciaire manque encore de magistrats spécialisés dans la matière économique et financière. Les délais de traitement sont de près de trois ans et demi en moyenne, ce qui fait que 42 % des plaintes transmises par l'administration fiscale depuis 2019 font l'objet de suites judiciaires, 46 % sont en cours de traitement et 12 % sont classés.

Face à ce constat, et au regard également des réserves entourant le cumul des sanctions pénale et fiscale, il ne semble pas opportun de modifier de nouveau les critères de dénonciation automatique ou de remettre en cause l'équilibre trouvé en 2018. En revanche, le déploiement des instruments de coopération entre l'administration fiscale et les parquets doit être encouragé. Ce sont par exemple les fiches d'accompagnement des dénonciations obligatoires ou les réunions trimestrielles qui permettent de parcourir les dossiers.

Les juridictions peuvent également s'appuyer sur des assistants spécialisés, détachés par la DGFiP auprès de celles-ci. Actuellement au nombre de 22, ils jouent notamment un rôle majeur pour analyser les dossiers de fraude les plus complexes et aider les parquets dans le traitement de ces affaires. Or, lors de nos échanges, notre attention a été attirée sur une divergence d'interprétation concernant la levée du secret professionnel fiscal des agents des finances publiques à l'égard des procureurs de la République.

Aujourd'hui, la levée de ce secret ne s'applique pas aux assistants spécialisés, en dépit de leur mission d'assistance aux procureurs. Une instruction du ministère de la justice prévoit toutefois, depuis juin dernier, que rien n'interdit au procureur de la République de se voir assister, lors des réunions avec l'administration fiscale ou pour l'analyse d'éléments relevant de la levée du secret fiscal, d'un assistant spécialisé agissant au titre de sa mission générale d'assistance du procureur de la République dans l'exercice de l'action publique. Une clarification du dispositif législatif pourrait dès lors être opérée pour que, sur autorisation du procureur de la République, le secret professionnel soit levé à l'encontre d'un assistant spécialisé, qu'il soit ou non accompagné. C'est l'objet de la troisième recommandation.

Une autre recommandation vise à tirer les conséquences de la réforme du « verrou de Bercy » : celle de réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales (CIF), pour les faire passer de 28 à 16 ? C'est la recommandation n° 4. Le volume de dossiers traités par la CIF a considérablement chuté depuis 2018, passant de 964 à 286 en 2021. Et les nouvelles compétences qui lui ont été attribuées ne suffisent pas à justifier le maintien d'un nombre si important de membres. La CIF n'a d'ailleurs tenu que 25 séances en 2021 alors qu'elle pouvait, avant la réforme du « verrou de Bercy » se réunir jusqu'à 70 fois par an.

Deuxième élément de bilan sur la loi fraude, il semble que, dans un contexte de saturation de la justice, le recours aux conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) et aux procédures de comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) est désormais reconnu comme un gage d'efficacité, un outil à part entière de la politique pénale en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Je rappelle que, contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, il ne s'agit pas d'un dessaisissement de la justice. Les dossiers traités par CJIP ou en CRPC sont bien une réponse judiciaire à un dossier de fraude fiscale, avec une sanction parfois plus élevée que celle qui aurait pu être obtenue dans le cadre d'un procès. Je pense notamment à Google, qui a fini par signer une CJIP, pour un montant de 500 millions d'euros. Par le passé, et dans des dossiers très complexes, il est arrivé que le juge donne tort à l'administration fiscale pour les redressements qu'elle a opérés.

En tout, pour les sept CJIP conclues en matière de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale depuis 2019, 1,1 milliard d'euros d'amendes d'intérêt public ont été prononcés, et 2,3 milliards d'euros au total portés en recouvrement, en incluant les pénalités fiscales. La procédure de CRPC a quant à elle concerné 16 % des prévenus en 2021, contre 4 % en 2019. Le montant moyen de l'amende est passé sur la même période de 34 000 euros à 68 000 euros et les délais de traitement sont de 14 mois inférieurs à ceux de la procédure ordinaire.

Toujours sous l'angle des relations entre l'administration fiscale et les autorités judiciaires, j'en viens au soutien qui me semble devoir être apporté aux enquêteurs spécialisés, et notamment au service d'enquête judiciaire des finances (SEJF).

Nous avions douté, lors de l'examen du projet de loi relative à la lutte contre la fraude, de l'utilité d'un nouveau service de police fiscale, craignant une « guerre des polices » avec la brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF). Au final, le SEJF bénéficie d'un retour d'expérience très positif des magistrats. Il ne semble pas y avoir de conflits de compétences avec la BNRDF, les deux services étant de toute façon surchargés par le nombre de dossiers à traiter.

Le constat des magistrats est ainsi unanime : les officiers fiscaux judiciaires du SEJF, au nombre de quarante, sont très compétents mais trop peu nombreux : un nombre restreint de dossiers peut leur être transféré. Sur 169 dossiers transférés depuis le 1 er juillet 2019, 148 sont en encore en cours.

Je préconise donc - c'est ma cinquième recommandation -, un doublement des officiers fiscaux judiciaires d'ici cinq ans, par redéploiement de moyens au sein des services de Bercy. Et j'oserais même dire que, si on peut aller plus vite, il ne faut surtout pas s'en priver ! Comme l'a suggéré également le magistrat chef du service lors de son audition, je propose que le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires soit étendu aux escroqueries à la TVA. Aujourd'hui, seuls les officiers douaniers judiciaires peuvent traiter de ces affaires, alors même que la gestion de la TVA a été transférée à la DGFiP. C'est l'objet de ma sixième recommandation.

Le deuxième axe concerne la lutte contre fraude à la TVA, qui demeure aujourd'hui massive, puisqu'elle représenterait, d'après l'estimation de l'Insee, une perte de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros chaque année. Cette fraude présente aujourd'hui deux caractéristiques majeures.

La première, c'est la persistance de schémas de fraude complexes et particulièrement difficiles à identifier pour les contrôleurs : je pense par exemple à la fraude « carrousel », qui consiste à obtenir la déduction de paiement de la TVA par l'émission de fausses factures par des sociétés fictives éphémères. Cette fraude entraînerait chaque année une perte de recettes de 50 milliards d'euros pour l'Union européenne.

La deuxième caractéristique, c'est que cette forme de fraude est favorisée par l'essor du commerce en ligne, en particulier sur les plateformes numériques : un rapport de l'Inspection générale des finances de 2019 soulignait que près de 98 % des sociétés étrangères opérant sur les plateformes n'étaient pas immatriculées à la TVA.

La loi relative à la lutte contre la fraude a, il est vrai, permis d'obtenir des avancées significatives en la matière. Je pense notamment à la mise en oeuvre de la responsabilité solidaire des plateformes en ligne, qui constitue une mesure emblématique pour notre commission, puisqu'elle est directement issue des propositions de son groupe de travail sur la fiscalité de l'économie numérique. Il s'avère que cette mesure a en effet eu un véritable effet dissuasif sur la fraude à la TVA en ligne : la responsabilité solidaire des plateformes n'a jamais été appliquée, ces dernières ayant systématiquement préféré déréférencer les vendeurs frauduleux. Ainsi, sur l'année 2021, sur 119 signalements de l'administration, près de 49 procédures ont été clôturées par un déréférencement des opérateurs.

Il me semble toutefois que ces avancées pourraient être prolongées, en plaidant pour un approfondissement de l'échange d'informations entre la DGFiP et la Douane.

Le transfert à la DGFiP de la compétence en matière de recouvrement de la TVA à la frontière rend aujourd'hui cette coopération d'autant plus importante, puisque la Douane, dans le cadre de son contrôle des flux de marchandises, est amenée à transmettre des informations à l'administration fiscale. Je souhaiterais donc que soit encouragée l'automatisation des échanges d'informations entre la Douane et la DGDDI, dans le cadre de la révision de leur protocole de coopération en cours. Il s'agit de ma septième recommandation.

La huitième recommandation reprend une proposition déjà formulée par notre commission lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fraude en 2018, mais non retenue dans le texte final, concernant le contrôle de la détaxe de TVA : il serait en effet souhaitable que la Douane puisse accéder directement aux données de la DGFiP afin de connaître la résidence fiscale de certains voyageurs souhaitant bénéficier de ce dispositif. Cet accès aux fichiers de la DGFiP permettrait aux contrôleurs des douanes d'identifier des voyageurs se prévalant d'un passeport étranger, mais résidant en réalité en France. Conformément aux réserves formulées par la CNIL, cet accès serait bien sûr assorti d'un encadrement strict en matière de protection des données.

Il me paraît également essentiel de renforcer les moyens dont dispose l'administration pour sanctionner la fraude à la TVA : j'ai ainsi souhaité proposer de garantir l'effectivité de la procédure permettant à l'administration fiscale de suspendre le numéro de TVA d'une entreprise frauduleuse, dont le champ d'application apparaît aujourd'hui trop réduit. Depuis, un amendement tendant à répondre au même objectif a été intégré dans le texte retenu pour la première partie du projet de loi de finances dans le cadre de la procédure de l'article 49.3 de la Constitution. Nous pourrons nous appuyer dessus et y apporter éventuellement notre contribution, conformément à ce que je propose dans ma neuvième contribution.

Les contrôles réalisés par les services de la Douane ont également mis en avant la fraude au dédouanement à l'importation. Elle consiste, pour une entreprise, à créer des droits fictifs d'exonération de TVA à l'importation, en indiquant à l'administration douanière que la marchandise a déjà été taxée dans un autre État membre de l'Union, alors que celle-ci a en réalité été directement importée depuis un État tiers.

Je propose, pour lutter contre ce phénomène, de renforcer notre arsenal législatif en donnant à la Douane la possibilité de sanctionner directement les fraudes concernant les flux de dédouanement à l'importation - c'est-à-dire sans que cela ne passe par un redressement de TVA adressé par l'administration fiscale - en caractérisant cette pratique, non seulement comme une fraude fiscale, mais également comme une fraude douanière. C'est l'objet de ma dizième recommandation.

Nos travaux ont également été l'occasion de mener une réflexion sur l'efficacité de la collecte de la TVA aux frontières de l'Union européenne. À cet égard, un guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation, le guichet IOSS, est désormais opérationnel depuis juillet 2021, et permet d'une part, de simplifier les modalités de déclaration pour les assujettis, et d'autre part, de faciliter le recouvrement de l'impôt et la collecte d'informations pour l'administration fiscale. Si le recours à ce guichet est aujourd'hui facultatif, il emporte, à peine plus d'un an après son entrée en vigueur, une forte adhésion de la part des opérateurs et de l'administration. Partant de ce constat, il convient d'évaluer la robustesse du guichet unique à l'importation, en vue d'envisager à terme de rendre son recours obligatoire. Il s'agit de ma onzième recommandation.

Plus généralement, s'agissant des pouvoirs étendus de contrôle et de saisie des services douaniers, le Conseil constitutionnel a, à l'occasion de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes, relatives aux visites domiciliaires. Dans la mesure où il s'agit de l'une des prérogatives les plus essentielles de la Douane pour lutter contre les trafics, mais aussi contre la fraude et le blanchiment d'argent, je propose de modifier le dispositif afin de répondre à la déclaration de non-conformité du Conseil constitutionnel, l'abrogation des dispositions de l'article 60 ayant été reportée au 1 er septembre 2023 par le Conseil afin de laisser le temps au législateur d'intervenir. Une habilitation à légiférer par ordonnance a depuis été déposée par le Gouvernement dans le cadre de l'examen du PLF 2023 sur ce point, mais je proposerai pour ma part une mesure « en dur ». Il s'agit de la douzième recommandation.

J'en viens maintenant au troisième axe de recommandations, qui concerne la sécurisation des dispositifs d'accès aux données, dont l'exploitation constitue aujourd'hui l'un des principaux enjeux de la lutte contre la fraude.

Les administrations ont en effet consenti d'importants investissements pour développer leurs techniques d'analyse et de valorisation des données de masse, afin de pouvoir détecter de potentielles infractions et fraudes. Le bureau de la DGFiP en charge d'exploiter ces flux de données aurait ainsi reçu en 2022 plus de 6,2 Téraoctets de données « utiles » : pour vous donner un ordre d'idée, cela correspond à plus de 40 millions de pages de documents PDF ou plus de 8 000 armoires d'archivages papier.

La collecte massive de ces données a en outre été favorisée par plusieurs avancées législatives introduites ces dernières années mais dont l'effectivité n'est pas encore pleinement assurée. Ainsi en est-il, notamment, de la collecte et de l'analyse des données librement publiées sur les réseaux sociaux aux fins de recherche d'éventuelles infractions graves au code général des impôts et au code des douanes. Cette expérimentation, votée pour une durée de trois ans, doit prendre fin au mois de février 2024. Nous avons eu une démonstration de son utilité lors de notre déplacement à la DGFiP : une exploitation des annonces publiées sur un site de vente bien connu a permis d'isoler le cas d'un vendeur particulier à l'origine de dizaines d'annonces de vente de voitures de luxe...

La portée de l'expérimentation a toutefois été fortement réduite par la décision du Conseil constitutionnel qui a opéré une distinction entre les données « publiquement » et « librement » accessibles : les agents habilités de la DGFiP et de la Douane ne peuvent aujourd'hui accéder qu'aux données librement accessibles, c'est-à-dire accessibles sans aucune forme de connexion, et non aux données publiquement accessibles, c'est-à-dire auxquelles tout le monde peut avoir accès, mais éventuellement en disposant d'un compte sur la plateforme concernée. Résultat, de nombreux sites et plateformes sont exclus de l'expérimentation alors même que nous savons qu'elles peuvent par exemple être utilisées pour vendre des biens et des services sans déclaration.

Je vous propose donc, sous condition d'y apporter les garanties nécessaires pour protéger les données personnelles et la vie privée des contribuables, de prévoir que les agents dûment habilités puissent avoir accès aux données publiquement accessibles. Dans le même temps, et pour que cette modification puisse pleinement prendre son effet, je vous propose de prolonger l'expérimentation de deux ans, jusqu'au mois de février 2026. Il s'agit de la treizième recommandation.

La deuxième mesure concerne l'accès aux données de connexion par les agents de l'administration fiscale et des douanes, prévu aux articles 14 et 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude.

Quatre ans après l'adoption de la loi, ce sont les deux seules dispositions qui restent inappliquées, en l'absence de publication des décrets en Conseil d'État. Ceci s'expliquait principalement par des décisions en attente de la Cour de justice de l'Union européenne, lesquelles ont désormais été rendues.

En accord avec ces décisions, et pour assurer la pleine application de ces dispositifs, je vous propose d'aligner le dispositif d'accès applicable à la Douane sur celui de l'Autorité des marchés financiers et de la DGFiP. Il prévoit en effet une autorisation préalable d'un contrôleur général des demandes d'accès aux données de connexion. Ce dernier, indépendant, verrait son champ de compétence accru, sans qu'une nouvelle autorité n'ait besoin d'être créée et en garantissant une application harmonisée pour ces trois organes. Il s'agit de la quatorzième recommandation. Le Gouvernement doit publier rapidement les nouveaux textes d'application. À défaut, il importe que nous soyons informés des raisons qui s'opposent à la publication de ces textes, sans attendre de nouveau 4 ans.

Le quatrième et dernier axe fait écho aux enquêtes publiées récemment par la presse concernant des montages de fraude internationale, tels que les Pandora Papers ou les CumEx Files. Cet axe du rapport a la particularité de traiter en grande partie d'enjeux appelant des réponses à l'échelle internationale. Cela explique que les recommandations relèvent davantage de pistes.

En termes de bilan, les montants recouvrés en réaction à ces affaires, qui s'élèvent à 464 millions d'euros, apparaissent relativement modestes au regard des montants qui auraient, selon la presse, échappé aux États, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros chaque année pour la France.

Ces résultats doivent néanmoins être nuancés par le fait que la plupart des investigations sont en cours. L'administration n'a par exemple pas été en mesure de nous communiquer une estimation des montants recouvrés dans le cadre des Pandora Papers . L'administration fiscale française est en outre confrontée à de nombreuses difficultés dans le cadre de ces affaires : je pense notamment au défaut de coopération des États concernés par ces montages frauduleux, aux délais de prescription, aux informations incomplètes publiées dans la presse, au fait de ne pas poursuivre certains contribuables, qui ne sont pas résidents fiscaux français.

Tout d'abord, nos travaux ont permis de faire le point sur l'efficacité des listes « noires » française et européenne. Dans ce cadre, plusieurs ONG se sont montrées favorables à ce que ces listes incluent également, parmi les critères d'inscription, le manque de coopération de certains pays. S'il convient d'être prudent sur ce sujet, compte tenu de sa forte sensibilité diplomatique, une discussion pourrait toutefois être engagée au niveau international sur l'opportunité de créer une « liste noire » des « mauvais élèves » en matière d'échange d'informations, sur la base d'informations recueillies par l'OCDE. C'est l'objet de ma quinzième recommandation.

Un autre groupe de recommandations a trait à l'identification des bénéficiaires effectifs de sociétés offshores , qui constitue bien souvent l'une des principales difficultés à laquelle sont confrontés les contrôleurs. La création, en France et en Europe, de registres visant à répertorier tous les bénéficiaires effectifs de sociétés a été notable. La portée de ces outils est toutefois altérée par leur caractère incomplet : en France, environ 25 % des sociétés ne se plieraient pas à leurs obligations de déclarations. Les sanctions pour défaut de renseignement des bénéficiaires effectifs doivent donc être pleinement appliquées. Il s'agit de la seizième recommandation. Les SCI seraient notamment concernées. Il n'existe par ailleurs aucune information chiffrée sur l'application effective de ces sanctions, un point qui me semble devoir être corrigé. Il s'agit de ma dix-septième recommandation.

Je propose également que soit élaboré un outil permettant de croiser les données relatives au registre des bénéficiaires effectifs avec d'autres données, notamment celles du cadastre. Cette démarche pourrait être menée au niveau européen pour que les informations soient les plus complètes possibles. Il s'agit de la dix-huitième recommandation.

Un deuxième enjeu a trait à la question de la responsabilisation des intermédiaires financiers qui, du fait de leur activité de conseil, peuvent être amenés à élaborer des montages fiscaux abusifs. La directive dite « DAC 6 » a introduit, au niveau européen, des obligations de transparence à l'égard de ces intermédiaires, qui sont désormais tenus de déclarer les montages de ce type qu'ils seraient amenés à élaborer. Il me semble important de disposer d'une première évaluation des apports de cette directive, avant d'envisager éventuellement l'introduction de nouvelles mesures de responsabilisation de ces intermédiaires financiers au niveau de l'Union européenne. Il pourrait à cet égard être envisagé, dans la droite ligne d'une proposition formulée par certaines ONG, de créer un nouveau critère d'inscription sur la liste noire des paradis fiscaux de l'Union européenne, reposant sur l'existence ou non dans ces pays d'obligation de transparence à l'égard des intermédiaires. C'est la dix-neuvième recommandation du rapport.

J'en termine sur cet axe avec un sujet défendu par notre commission dans le cadre des récentes lois de finances à de nombreuses reprises : il s'agit de celui de la lutte contre l'arbitrage de dividendes, à la suite de l'affaire dite des CumEx Files . Pour rappel, le Sénat avait adopté à l'unanimité un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à lutter contre les montages abusifs internes et externes, à la suite des révélations d'un consortium de journalistes, dont Le Monde, dans l'affaire dite des CumEx Files . L'Assemblée nationale l'avait repris en nouvelle lecture, mais en le réduisant à sa portion congrue, notamment en supprimant toute la partie relative aux montages externes, qui utilisent les conventions fiscales avec des taux de retenue à la source de 0 % sur les dividendes pour échapper à l'impôt en France.

Si la réponse la plus efficace à ces montages abusifs et frauduleux ne réside probablement pas dans une modification de la loi, j'estime qu'il est impératif que le Gouvernement engage la révision des conventions fiscales dont les dispositions servent de support à ces montages fiscaux abusifs. Des dispositifs anti-abus doivent être mis en place. Il s'agit de la vingtième et dernière recommandation.

Je précise enfin que le rapport comporte une annexe permettant de présenter un court bilan quantitatif pour chacun des dispositifs de la loi relative à la lutte contre la fraude, y compris ceux qui ne sont pas abordés dans le cadre des recommandations. C'est aussi à cela que servent nos rapports de contrôle, à s'assurer de la pleine application des mesures que nous votons.

Je vous remercie, mes chers collègues, de votre patience. Nous avons mis beaucoup de temps et d'ardeur au travail. Sur de tels sujets, il faut de la patience, de la méticulosité, de la persévérance, et une vraie volonté pour combattre la fraude fiscale.

M. Éric Bocquet . - Je souhaite d'abord rappeler l'utilité de ce travail et de disposer d'un état des lieux des textes réglementaires publiés depuis la loi fraude en 2018. Les travaux de la mission ont été l'occasion de se rendre compte qu'il manque encore certains textes d'application.

Je partage l'esprit du rapport et les recommandations qui y sont formulées. J'ai néanmoins quelques remarques qui viendront à l'appui des conclusions du rapporteur, et d'autres par lesquelles je m'en distinguerai.

Les difficultés d'évaluation du niveau de la fraude et des montants en jeu constituent un vrai sujet. Nous avions travaillé avec Philippe Dominati sur cet enjeu il y a une dizaine d'années. Il nous manque toujours des outils pour évaluer le niveau de la fraude car, évidemment, il n'existe pas de registre officiel, sans quoi on s'y reporterait.

De nombreux agents travaillent à l'évaluation du niveau de la fraude et ils auraient sans doute besoin de davantage d'outils et de moyens, mais il nous manque surtout un instrument de coordination entre l'ensemble des acteurs. Il nous faudrait un outil commun, qui rassemble l'ensemble des services et soit accessible aux parlementaires. La lutte contre la fraude fiscale doit être maintenue en permanence à notre agenda et il est très utile que ce sujet revienne régulièrement à l'ordre du jour de notre commission des finances.

Lors de l'audition du parquet national financier (PNF), j'ai été frappé par les propos qui ont été tenus : il y aurait un manque d'appétence des magistrats pour les sujets fiscaux. Alors que le PNF n'a pas encore dix ans, il a déjà perdu des moyens d'enquête, et je pense que le sujet des poursuites judiciaires et pénales doit être considéré comme prioritaire.

Cette semaine, le Crédit suisse a fait l'objet d'une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) et doit payer une amende de 238 millions d'euros pour blanchiment de fraude fiscale. Ce n'est pas la première affaire : UBS, Macdonald et Google ont également été visés par cette procédure négociée. Même s'il s'agit de belles sommes, les entreprises n'iront pas en procès. J'entends en partie l'argument des ministres : les procédures judiciaires étant longues et incertaines, mieux vaut récupérer tout de suite des sous dans les caisses. Cependant, je ne pense pas que ce soit une bonne chose du point de vue de l'opinion publique.

Je partage le constat des avancées sur le verrou de Bercy mais je pense qu'il faudrait aller jusqu'à la suppression définitive.

Je suis en revanche très réservé sur la révision des conventions fiscales bilatérales. D'abord les conventions n'empêchent pas la fraude : nous avons une convention avec le Luxembourg, et cela n'a pas empêché les LuxLeaks . De plus, la négociation de nouvelles conventions prendrait beaucoup de temps.

Je pense qu'il faut que les solutions reposent sur une structure internationale dédiée à la coopération multilatérale, sous l'égide du fonds monétaire international, de la banque mondiale ou des Nations unies. Il faut impérativement arrêter le mano a mano entre certains États, qui n'empêche rien.

Sur les paradis fiscaux, il faut sortir de l'hypocrisie. La question du Delaware est éclairante : les États-Unis luttent uniquement contre l'évasion fiscale qui nuit à leurs propres intérêts. À l'heure où l'on peut déplacer des milliards d'euros vers ces territoires en une picoseconde - onze zéros après la virgule - il nous faut trouver des solutions efficaces.

Je conclus en rappelant que je suis très satisfait du travail de très grande qualité qui a été mené. Les travaux vont-ils donner lieu à un débat spécifique en séance publique ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Je voudrais féliciter le rapporteur général pour ce travail. Je souhaite que l'ensemble de ces mesures soient mises en oeuvre.

J'aurais deux questions complémentaires. Les recommandations concernant la clarification des modalités de levée du secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur, et celle relative aux intermédiaires financiers, tournent autour de l'enjeu du secret. Envisagez-vous, dans ce prolongement, de vous pencher sur le secret professionnel des experts-comptables et des banquiers ? C'est une mesure à laquelle je tiens car je considère que les experts-comptables savent pertinemment quels sont les clients qui fraudent, et ce serait une avancée de pouvoir les libérer de ce secret dans des cas très précis. Quel est votre avis sur cette question ?

Sur la mesure qui permettrait aux agents de la DGFiP d'accéder aux données des plateformes librement accessibles et non plus publiquement accessibles, ce qui serait une avancée majeure, peut-on imaginer que la DGFiP mette en place des algorithmes qui filtreraient les données ? Les plateformes sont justement très habiles pour détruire ces algorithmes dès l'instant où l'administration les mettrait en place.

M. Jérôme Bascher . - Le rapport peut paraître compliqué, mais s'il était si simple de lutter contre la fraude, cela aurait déjà été fait. C'est bien une somme de mesures, de détails, qui doivent permettre de resserrer les mailles du filet et d'aller plus loin sur ce sujet.

Comme l'a dit Éric Bocquet, il est très important que la commission des finances continue à travailler sur ce sujet et à faire des propositions, car il s'agit bien souvent pour les gouvernements d'un « sous-sujet » : ils font de la communication sur le contrôle fiscal, et ensuite peu importe ce que cela rapporte. Le rapporteur général a bien dit que trois-quarts des montants n'étaient pas recouvrés. On peut se payer de mots, mais ce serait mieux qu'ils se paient d'amendes !

Je souhaiterais revenir sur l'implication des greffiers de tribunaux de commerce dans le dispositif de lutte anti-blanchiment. Ils sont en effet amenés à détecter beaucoup d'entreprises fantômes qui vont chercher des aides et des droits à déduction à la TVA dans les « carrousels ». Les greffiers de tribunaux de commerce nous disent qu'il y a un manque d'interconnexion avec les différents fichiers de la police ou de la justice. Il y a sûrement de choses à améliorer sur ce point.

Pour répondre à Éric Bocquet sur la création d'une unité spécialisée en matière de lutte contre la fraude : cette unité a été créée en 2008. Il s'agit de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, qui rassemblait des agents des Urssaf, des douanes, et des impôts, pour lutter contre la fraude fiscale et sociale. Elle a été supprimée par Gérald Darmanin lorsqu'il était ministre du budget. Cela a été assez dénoncé par ceux qui s'intéressent à ces sujets de fraude fiscale. Il est toujours bon de reconnaître lorsque l'on s'est trompé. Nous avons effectivement besoin d'une structure pour piloter l'interministériel, voire l'inter-administration publique.

M. Philippe Dominati . - Les mesures proposées dans ce rapport sont des mesures concrètes, qui vont dans le bon sens. Cela fait quelques décennies que la lutte contre la fraude fiscale s'améliore petit à petit dans notre pays. Je voudrais cependant rappeler que la fraude fiscale est proportionnelle à la pression fiscale. Tous les économistes considèrent que plus la pression fiscale est forte dans un pays, plus il y a de fraude fiscale. J'imagine qu'il y a en a énormément en France puisque nous sommes pratiquement champions d'Europe voire du monde parmi les pays développés en ce qui concerne la pression fiscale.

Je souhaiterais apporter un complément d'information. J'ai passé une partie de l'après-midi hier à Nanterre, au sein d'un service équivalent de la brigade financière, dont il a été fait mention tout à l'heure. Il y a une diminution des effectifs au cours des dernières années, un problème de ressources humaines puisqu'on ne trouve pas de policiers qualifiés, et un gros problème de logistique informatique et de base de données.

Enfin, j'ai une question technique. Les entreprises payent pendant des années les services d'experts-comptables et de commissaires aux comptes. Autant l'expert-comptable est très important pour l'entreprise, autant je m'interroge sur l'utilité des commissaires aux comptes. On a l'impression qu'ils ne servent pas à grand-chose, si ce n'est à valider le travail de l'expert-comptable, et il semble que sa mission de contrôle s'évapore bien souvent. Je voulais savoir si l'on disposait de statistiques dans ce rapport sur l'efficacité de l'obligation pour le commissaire aux comptes de signaler la fraude. Si cela ne représente rien pour l'État, alors que cela représente beaucoup pour les entreprises, peut-être que l'on pourrait se contenter dans un certain nombre de cas de ne pas avoir l'obligation de recourir à la fois aux services d'un expert-comptable et d'un commissaire aux comptes.

M. Paul Toussaint Parigi . - Je n'ai pas entendu, dans les recommandations, la question de la confiscation systématique des biens et des richesses des délinquants. Est-ce que cela fait partie du sujet ? Puisque cela concerne des sommes impressionnantes. En 2016 cela représentait 500 millions d'euros.

M. Jean-François Husson , rapporteur . - Je répondrai d'abord à notre collègue Paul Toussaint Parigi que la fraude qu'il évoque ne représente qu'un faible montant au regard de la globalité de la fraude fiscale, ce qui explique que cela n'a pas été un des axes prioritaires de nos travaux.

Notre collègue Éric Bocquet s'est interrogé sur les suites susceptibles d'être données aux travaux de notre mission d'information. Je pense que ce sujet mérite une grande attention car il suscite beaucoup d'écho tant dans l'opinion publique qu'auprès des personnes qui en sont spécialistes. C'est un travail lent, patient et minutieux mais indispensable et qui mérite d'être valorisé.

Dans le but de faciliter le travail des magistrats, en particulier du Parquet national financier, je propose effectivement d'augmenter certains moyens, notamment concernant les enquêteurs dont on a pu observer la pertinence du travail effectué. Il me paraît également possible de faciliter le travail des assistants spécialisés détachés par la DGFiP auprès des juridictions.

J'entends les réserves d'Éric Bocquet à l'égard du recours aux CJIP et aux procédures de CRPC. Mais au vu de la saturation générale de la machine judiciaire, cela permet d'obtenir des condamnations et le règlement d'amendes alors que la justice peut parfois rendre un non-lieu au bout d'une procédure fort longue. En outre, une CJIP n'est pas automatique ; elle intervient au terme d'une enquête approfondie.

Par ailleurs, la suppression du verrou de Bercy, qu'il appelle de ses voeux, n'est pas qu'une question de moyens. En effet, le cumul d'une sanction fiscale et d'une sanction pénale est très encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il me paraît difficile à justifier pour de petits dossiers.

J'indique à Jérôme Bascher que depuis le début de cette année, les greffiers ont la faculté de communiquer à la DGFiP et à la douane tous les renseignements qu'ils recueillent dans l'exercice de leur mission, notamment lorsqu'ils sont en lien avec une présomption de fraude fiscale.

Nous évoquons la question de l'interconnexion des fichiers dans notre rapport. Comme vous le savez, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est très sourcilleuse sur ce point, ce qui ne veut pas dire que cette interconnexion ne soit pas possible. L'automatisation de certaines procédures est à la fois plus efficace et plus rapide et c'est ce que nous recommandons.

Sylvie Vermeillet s'est interrogée sur le secret bancaire et celui des experts-comptables. Il existe déjà une obligation de déclaration de soupçon dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et s'il n'existe pas d'obligation de dénoncer des faits délictueux au parquet, les établissements sont tenus de prévenir leurs clients de leurs obligations fiscales. Enfin, la DGFiP dispose d'un droit de communication auprès des comptables afin de connaître l'identité d'un client, le montant, la date et parfois la forme des versements qu'ils ont effectués.

Philippe Dominati m'a interrogé sur l'activité des experts-comptables et des commissaires aux comptes. Nous ne disposons pas de statistiques à ce sujet, et je m'efforcerai de vous les communiquer quand je les aurai. J'observe néanmoins que depuis la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), les commissaires aux comptes ne sont plus obligatoires que pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à huit millions d'euros. Cette disposition avait beaucoup été discutée mais semblait finalement satisfaire tout le monde au regard des comparaisons européennes.

Je terminerai en insistant sur l'importance du suivi de notre rapport, notamment, chaque année, au moment de l'examen du projet de loi de finances, à travers le document de politique transversale relatif à la lutte contre la fraude.

M. Claude Raynal , président . - Je prends bonne note du souhait exprimé par Éric Bocquet de porter ce sujet en séance publique, à la suite des conclusions de notre mission d'information. Nous verrons, avec le rapporteur général, comment y donner suite.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

1. Auditions au Sénat

Direction générale des finances publiques (DGFiP)

- M. Frédéric IANNUCCI, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF) ;

- M. Stéphane CRÉANGE, sous-directeur du contrôle fiscal, du pilotage et de l'expertise juridique (SJCF 1) ;

- M. Gilles CLABECQ, chef du bureau « Programmation des contrôles et analyse des données » (SJCF 1D).

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

- Mme Isabelle BRAUN-LEMAIRE, directrice générale ;

- Mme Corinne CLEOSTRATE, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude.

Service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF)

- M. Christophe PERRUAUX, directeur ;

- M. Philippe AZIBERT, directeur-adjoint.

Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

- M. Olivier CHRISTEN, directeur ;

- Mme Louise NEYTON, cheffe par intérim du bureau du droit économique, financier et social, de l'environnement et de la santé publique ;

- Mme Marianne BEYSSAC, rédactrice au bureau du droit économique, financier et social, de l'environnement et de la santé publique.

Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF)

- M. Éric BELFAYOL, chef de la MICAF ;

- Mme Marie-Laure MALCLES, cheffe de projet « enjeux fiscaux et européens » ;

- Mme Selma MULLER, cheffe de projet « enjeux justice et coordination des comités opérationnels départementaux anti-fraude ».

Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)

- Mme Jeanne TADEUSZ, cheffe du service des affaires régaliennes et des collectivités territoriales à la direction de la conformité ;

- Mme Lorraine PERRONNE, juriste au service des affaires régaliennes et des collectivités territoriales à la direction de la conformité.

Commission des infractions fiscales (CIF)

- M. Marc EL NOUCHI, président ;

- Mme Anne LAUTHIER, secrétaire de la commission.

Professeur d'université

- M. Martin COLLET, professeur d'université à Paris II Panthéon-Assas, co-directeur du master II « Droit fiscal ».

Table ronde des associations

Oxfam France

- M. Quentin PARRINELLO, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités ;

- Mme Fleur RIZZA TÉTELAIN, assistante campagnes et plaidoyer.

Transparency International France

- M. Patrick LEFAS, président ;

- Mme Sara BRIMBEUF, responsable du programme flux financiers illicites.

Anticor

- M Éric ALT, vice-président ;

- Mme Béatrice GUILLEMONT, directrice générale.

Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) - Terre solidaire

- Mme Lison REHBINDER, chargée de plaidoyer financement du développement.

Table ronde des organisations syndicales représentatives des fonctionnaires de la Direction générale des finances publiques

CGT Finances publiques

- M. Didier LAPLAGNE, secrétaire national ;

- M. Roberto GONCALVES, secrétaire de section CGT de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF).

FO DGFiP

- Mme Rachel SUGNEAU, secrétaire générale adjointe ;

- Mme Audrey VANKEMMEL, représentante FO DGFiP 69 ;

- M. Williams PILLET, représentant FO DGFiP 85.

CFDT Finances publiques

- M. Christophe BONHOMME-LHÉRITIER, secrétaire général adjoint et inspecteur des finances publiques ;

- M. Nicolas CHARPENTIER, contrôleur des finances publiques ;

- M. Davy LE PORT, inspecteur divisionnaire des finances publiques ;

- M. Pascal ARBAL, inspecteur divisionnaire des finances publiques.

Solidaires Finances publiques

- Mme Anne GUYOT-WELKE, secrétaire générale ;

- Mme Linda Elodie SEHILI, secrétaire nationale, chargée de mission du contrôle fiscal ;

- Mme Sabine PORTELA, secrétaire nationale, chargée de mission du contrôle fiscal.

2. Contributions écrites

- Conseil national des Barreaux (CNB) ;

- Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) ;

- Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Direction générale des finances publiques - 8 juin 2022

Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF)

- M. Frédéric IANNUCCI, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ;

- M. Stéphane CRÉANGE, sous-directeur du contrôle fiscal, du pilotage et de l'expertise juridique au sein du SCJF ;

- M. Gilles Clabecq, chef du bureau de la programmation des contrôles et de l'analyse des données au sein de cette sous-direction ;

- M. Haicheng TAO, chef de la section data-science ;

- M. Thibaut LEMARCHAND, data-scientist ;

- M. Rémi VIOLA, data-scientist, doctorant ;

- M. Agnieszka BERNACKA, chef du bureau « action internationale et transparence fiscale ».

Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF)

- M. Frédéric IANNUCCI, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ;

- M. Philippe-Emmanuel de BEER, directeur ;

- Mme Sylvie PERROUDON-RAGOT, directrice adjointe ;

- M. Florent BOISSAY, chef de la division « Fraude TVA à l'international & coopération » ;

- M. Jean-Tristan GARDON, chef de la 6ème Brigade nationale d'investigation « nouvelles technologies - économie verte ».

Direction générale des finances publiques - 9 juin 2022 (déplacement uniquement de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, et M. Claude Raynal, président)

Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF), avec plus spécifiquement la sous-direction en charge du contrôle fiscal, du pilotage et de l'expertise juridique - bureau de l'action pénale

- M. Frédéric IANNUCCI, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ;

- M. Olivier VIZET, chef du bureau de l'action pénale (SJCF-1C) ;

- M. Fabrice BONIN, adjoint au chef de bureau de l'action pénale.

Direction régionale des finances publiques d'Île-de-France

- M. Frédéric IANNUCCI, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ;

- M. Pierre-Louis MARIEL, directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de Paris ;

- M. Rémi VAN LEDE, responsable du pôle contrôle fiscal et affaires juridiques ;

- Mme Marie-Aimée MUSY, adjointe au chef de pôle, en charge du département contrôle fiscal ;

- M. Jean-Bernard BUFORT, responsable de la division animation du contrôle fiscal 3 ;

- M. Sébastien LABARRÈRE, chargé de mission politique pénale.

Tribunal judiciaire de Paris et au Parquet national financier- 21 juin 2022

Accueil de la Délégation

- M. Stéphane NOËL, président du tribunal judiciaire de Paris ;

- M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier ;

- M. Jean-Marc Coquentin, procureur de la République adjoint.

Parquet de Paris - Sections J2 JIRS-JUNALCO Criminalité organisée financières, et F2 Affaires économiques, financières et commerciales

- M. Jean-Marc COQUENTIN, procureur de la République adjoint ;

- M. Nicolas BARRET, 1er vice procureur, chef de la section J2 - criminalité financière organisée ;

- M. Julien GOLDSZLAGIER, vice procureur, adjoint au chef de la section J2 - criminalité financière organisée ;

-M Julien AUGEREAU, vice procureur, chef de la section F2, section affaires économiques, financières et commerciales ;

- M. Nicolas LESBRE, vice-procureur, magistrat au sein de la section affaires économiques, financières et commerciales ;

- Mme Carole MANFE, assistante spécialisée DGFiP ;

- Mme Claire-Sophie VILLETTE, assistante spécialisée DGFiP ;

- Mme Jane PELTIER, assistante spécialisée DGFiP.

Parquet national financier

- M. Jean-François BOHNERT, procureur de la République financier ;

- M. Jean-Luc BLACHON, procureur de la République financier adjoint ;

- M. Sébastien de la TOUANNE, vice-procureur financier ;

- Mme Marion DAVID, assistante spécialisée en droit fiscal.

Tribunal judiciaire de Paris - Magistrats du siège

- M. Stéphane NOËL, président du tribunal judiciaire de Paris ;

- Mme Isabelle PREVOST-DESPREZ, première vice-présidente, service correctionnel ;

- Mme Bénédicte DE-PERTHUIS, première vice-présidente, service correctionnel ;

- M. Dominique BLANC, vice-président chargé de l'instruction ;

- Mme Aude BURESI, vice-présidente chargée de l'instruction ;

- Mme Fanny HUBOUX, vice-présidente chargée de l'instruction.

ANNEXE

Le présent bilan quantitatif des dispositions de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a été établi à partir des réponses transmises aux questionnaires envoyés par le rapporteur à la direction générale des finances publiques (DGFiP), à la direction générale de la douane et des droits indirects (DGDDI), à la direction des affaires criminelles et des grâces (DAGC) ainsi que de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Seules les dispositions appelant un bilan quantitatif et concernant la fraude fiscale ont été inclues dans ce bilan.

Article

Contenu

Bilan

Articles 1 er et 2

Renforcement de la police fiscale et alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires

Création du SEJF le 1 er juillet 2019

40 officiers fiscaux judiciaires des finances au 31 mai 2022

148 affaires en cours pour les OFJ au 31 mai 2022, pour 169 saisines au total

Article 3

Renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière : les agents des douanes peuvent demander aux éditeurs et aux concepteurs de logiciels de comptabilité ou de gestion ou des systèmes en caisse tous codes, données ou documentations se rattachant aux logiciels (lutte contre les logiciels « permissifs »)

Mise en oeuvre une seule fois, en 2021, par la direction des enquêtes douanières, à la suite d'une visite domiciliaire

Article 6

Échanges d'informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude fiscale : les assistants spécialisés, les agents habilités des organismes spéciaux, de l'inspection du travail, des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) et de la caisse de la mutualité agricole peuvent accéder aux fichiers Ficoba (comptes bancaires), Ficovie (contrats de capitalisation et placements de même nature), Patrim (biens immobiliers) et BNDP (données patrimoniales) de la DGFiP

Suivi assuré par la mission interministérielle anti-fraude (Micaf) dans le cadre des groupes opérationnels anti-fraude (ex. nombre d'habilitations extérieures créées ou renouvelées par la DGFiP)

Article 7

Obligations déclaratives pour les comptes détenus à l'étranger : clarification du dispositif afin de préciser que ces obligations s'appliquent bien aux « comptes dormants » à l'étranger

Parmi les comptes détenus à l'étranger et non déclarés en 2019, 0,9 % sont identifiés comme dormants dans les données reçues dans le cadre de l'échange automatique d'informations, soit 2 446 comptes

Parmi les 1 165 foyers détenteurs d'au moins l'un de ces comptes, 284 ont fait l'objet d'un contrôle sur pièce clos pour 172 d'entre eux. Rendement en droits et pénalités : 1,7 million d'euros

Article 10

Renforcement des obligations déclaratives fiscales des plateformes d'économie collaborative

Redevables professionnels : 1 700 dossiers ont été envoyés en 2021 - résultat non connu à ce jour

Redevables particuliers : 7 900 dossiers envoyés, pour 2202 dossiers clos à la fin du mois de mars 2022 et un rendement de 4,3 millions d'euros de droits et pénalités

Article 11

Responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et les prestataires

109 lettres de signalement adressées par la direction nationale d'enquêtes fiscales en 2021, contre 40 en 2020

8 courriers de mise en demeure en 2021, 49 courriers en 2021

Aucun engagement de la responsabilité solidaire. Sur les 109 signalements de 2021, 49 procédures ont été clôturées par un déréférencement des opérateurs, 5 vendeurs se sont mis en conformité, 55 procédures sont soit en cours, soit ont été interrompues (ex. cessation « spontanée » de l'activité des vendeurs, transactions envisagées avec les vendeurs souhaitant régulariser leur situation)

Deux plateformes concentrent les signalements

Article 14

Droit de communication des données de connexion des agents de la direction générale des douanes et droits indirects

En attente de la publication du décret d'application (décret en Conseil d'État)

Article 15

Droit de communication des données de connexion des agents de l'administration fiscale

En attente de la publication du décret d'application (décret en Conseil d'État)

Article 16

Publicité des décisions de condamnation pour fraude fiscale (rétablissement de l'obligation de publication)

Pas de données particulières disponibles (publication obligatoire, sauf décision spécialement motivée du juge)

Article 18

Publication des sanctions administratives prises à l'encontre des personnes morales en raison de manquements graves, caractérisées et à caractère frauduleux. La publication est soumise à l'avis conforme de la commission des infractions fiscales

Aucune sanction publiée. Le dispositif de publication des sanctions administratives concerne les contrôles portant sur des déclarations déposées ou dont la date d'échéance est intervenue à compter de la publication de la loi relative à la lutte contre la fraude. Eu égard à la durée des contrôles fiscaux, les premières saisines de la commission des infractions fiscales devraient intervenir en 2022

Article 19

Sanction (amende) à l'égard des tiers complices de graves manquements fiscaux et sociaux : les professionnels qui proposent intentionnellement à leurs clients ou réalisent à leur demande des montages abusifs ou frauduleux leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales ou sociales sont passibles d'une amende

Aucune application de cette sanction dans les contrôles sur place terminés au titre des années 2020 et 2021

Article 21

Pérennisation du dispositif d'indemnisation des aviseurs fiscaux (ajouté par l'Assemblée nationale

Données transmises au Parlement (rapport du Gouvernement)

215 demandes d'indemnisation sur la période 2017-2021, dont 109 hors cadre de la loi ou classées sans suite

Article 24

Extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à la fraude fiscale

23 CRPC homologuées en 2019, 60 en 2020 et 111 en 2021

Article 25

Extension de la convention judiciaire d'intérêt public à la fraude fiscale

7 CJIP, pour un montant total des amendes d'intérêt public de 1,08 milliard d'euros et pour un montant avec les pénalités fiscales de 2,3 milliards d'euros

Article 35

Rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale en cas de poursuites pénales

Données transmises dans le cadre d'un rapport du Gouvernement au Parlement

Article 36

Réforme du « verrou de Bercy »

1 805 dossiers de fraude fiscale transmis au parquet en 2019 (+ 74 % par rapport à 2018), dont 965 dénonciations obligatoires

1 484 dossiers transmis en 2020, dont 823 dénonciations obligatoires

1 620 dossiers transmis en 2021, dont 1 217 dénonciations obligatoires

309 dénonciations obligatoires au premier trimestre 2022

Article 37

Services de l'administration fiscale compétents en matière de dépôts de plainte : les directions de contrôle qui n'effectuent ni des opérations d'assiette ni des opérations de recouvrement peuvent désormais porter directement plainte pour fraude fiscale

71 plaintes déposées après avis favorable de la commission des infractions fiscales

102 plaintes dites de « police fiscale » (présomption caractérisée de fraude fiscale), sur 127 plaintes de police fiscale de la DGFiP au total


* 1 MM. Jean-Michel Arnaud, Jérôme Bascher, Éric Bocquet, Michel Canévet, Thierry Cozic, Charles Guené, Jean-François Husson, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Victorin Lurel, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Vincent Segouin, Mmes Sophie Taillé-Polian (jusqu'au 3 juillet 2022) et Sylvie Vermeillet.

* 2 Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 3 Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 4 L'article 10 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

* 5 Comme ce sera rappelé en seconde partie, la majorité des dossiers ayant fait l'objet d'une dénonciation obligatoire de l'administration fiscale au parquet à la suite de la réforme du « verrou de Bercy » n'a pas encore été traitée par l'autorité judiciaire.

* 6 Rapport général n° 163 (2021-2022) sur le projet de loi de finances pour 2022 fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques ».

* 7 OCDE (2017), Tax Administration 2017 : Comparative Information on OECD and Other Advanced and Emerging Economies, Éditions OCDE, Paris.

* 8 Dans la quasi-totalité des pays, cette notion correspond aux impôts qui auraient été encaissés en cas de plein respect de la loi fiscale et d'absence d'insolvabilité des contribuables.

* 9 Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires », 2 décembre 2019.

* 10 Insee, « Estimation des montants manquants de versements de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal », 25 juillet 2022.

* 11 D'après les éléments communiqués par l'Insee en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 12 Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 13 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

* 14 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 15 Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 16 Article 134 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 17 Directive (UE) 2021/514 du Conseil du 22 mars 2021 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.

* 18 Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

* 19 Anciennement l'Acoss - Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

* 20 Pour davantage de détails sur ce dispositif, se reporter au commentaire de l'article 10 ter dans le rapport n° 846 (2021-2022) de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 28 juillet 2022 (projet de loi de finances rectificative pour 2022).

* 21 Programme 156 « Gestion fiscale et financière de l'État et du service public local » de la mission « Gestion des finances publiques ».

* 22 Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 23 Article 36 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 24 Article 36 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 25 Instauration du « verrou de Bercy » en 1920, en même temps que la pénalisation de la fraude fiscale et dans un contexte de forte hausse des impôts à la sortie de la Première Guerre mondiale.

* 26 Sont qualifiés de contrôles fiscaux « répressifs » les contrôles comportant des pénalités exclusives d'erreurs de bonne foi et donc l'application de majorations de 40 %, 80 % ou 100 %, ou des pénalités appliquées en cas de défaillance déclarative après mise en demeure ou des amendes qualifiées de répressives.

* 27 L'ensemble des données provient des réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur.

* 28 Circulaire CRIM « 2021 » - 10/G3 du 4 octobre 2021 - relative à la lutte contre la fraude fiscale.

* 29 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

* 30 Parquet national financier, synthèse annuelle pour l'année 2021, mise à jour le 24 janvier 2022.

* 31 Réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 et décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016.

* 32 Décision n° 2019-804 QPC du 27 septembre 2019.

* 33 Cour de justice de l'Union européenne, arrêt BV en date du 5 mai 2022.

* 34 Circulaire du 7 mars 2019 relative à la réforme de la procédure pénale de la fraude fiscale et au renforcement de la coopération entre l'administration fiscale et la Justice en matière de lutte contre la fraude fiscale.

* 35 Circulaire CRIM « 2021 » - 10/G3 du 4 octobre 2021 - relative à la lutte contre la fraude fiscale.

* 36 Personnels mis à disposition des juridictions spécialisées par la DGFiP. Ils assistent les procureurs de la République dans le traitement des dossiers de fraude fiscale.

* 37 D'après les informations transmises en audition par le directeur des affaires criminelles et des grâces.

* 38 Fonction créée par la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

* 39 Article 6 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 40 Il s'agit, dans l'ordre, du fichier national des comptes bancaires et assimilés, du fichier des contrats d'assurance-vie, du traitement automatique pour estimer un bien et de la base nationale des données patrimoniales.

* 41 Décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d'une mission interministérielle de coordination anti-fraude.

* 42 Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires », 2 décembre 2019.

* 43 D'après les données transmises au rapporteur en réponse au questionnaire adressé à la direction générale des finances publiques.

* 44 Commission des infractions fiscales, rapport d'activité à l'attention du Gouvernement et du Parlement pour l'année 2021 .

* 45 Article 149 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, modifiant l'article 1740 D du code général des impôts.

* 46 Article 18 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui a modifiant l'article 1729 A bis du code général des impôts.

* 47 À noter qu'il était déjà possible, avant l'adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude, de conclure une CJIP pour des faits de blanchiment de fraude fiscale.

* 48 Aux termes de l'article 705 du code de procédure pénale , le Parquet national financier a vocation à connaître des dossiers les plus complexes de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

* 49 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 50 Condamnations pour lesquelles la fraude fiscale constituait l'infraction principale.

* 51 Ces montants, transmis par le ministère de la justice pour les affaires dont la fraude fiscale constitue l'infraction principale, peuvent différer de ceux dont dispose la direction générale des finances publiques, qui s'appuie sur les remontées des services locaux. Les données du ministère de la justice sont considérées comme étant plus exhaustives.

* 52 Pour rappel, en cas de non-homologation, les pièces de procédure relatives à la CRPC ainsi que sa référence sont supprimées du dossier et des poursuites « classiques » sont diligentées.

* 53 Selon les critères présentés en audition par le directeur des affaires criminelles et des grâces.

* 54 Ibid.

* 55 Article 2 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 56 Le même constat vaut d'ailleurs, selon les magistrats, pour la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, dont le champ d'intervention est plus large que celui de la fraude fiscale.

* 57 Au 31 mai 2022.

* 58 Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 59 Pour reprendre les propos du Parquet national financier dans sa synthèse annuelle pour l'année 2021, mise à jour le 24 janvier 2022.

* 60 Correctiv, Grand Theft Europe, mai 2019

* 61 Inspection générale des finances, Sécurisation du recouvrement de la TVA, 2019.

* 62 Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad), Bilan du e-commerce en France en 2021.

* 63 D'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur.

* 64 En raison de la cessation « spontanée » de l'activité des vendeurs, ou dans quelques cas dans la perspective de transactions à venir avec les vendeurs souhaitant régulariser leur situation.

* 65 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 66 Rapport général n° 163 (2021-2022) de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021.

* 67 Article 292 du code général des impôts.

* 68 Rapport n° 602 (2017-2018) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 27 juin 2018.

* 69 Réponse de la CNIL au questionnaire du rapporteur.

* 70 Règlement (UE) n° 904/2010 du Conseil du 7 octobre 2010 concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.

* 71 Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 23 novembre 2021, 19VE03276 .

* 72 La TVA sur marge bénéficiaire permet d'appliquer un taux de TVA sur la revente, notamment sur des biens d'occasions.

* 73 Règlement délégué (UE) 2015/2446 de la Commission du 28 juillet 2015 complétant le règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l'Union.

* 74 Article 262 du CGI.

* 75 Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

* 76 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 77 Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

* 78 Conclusions du Conseil du 15 mars sur la mise en oeuvre du paquet TVA sur le commerce électronique.

* 79 D'après les réponses de la DGDDI au questionnaire du rapporteur.

* 80 Décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

* 81 Décret n° 48-1985 du 8 décembre 1948 portant refonte du code des douanes, pris sur le fondement de la loi n° 48-1268 du 17 août 1948 relative au redressement économique et financier.

* 82 Commentaire de la décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

* 83 Décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013.

* 84 Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 85 Pour une présentation détaillée de ces articles, se reporter au commentaire de l'article 57 dans le rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019 (projet de loi de finances pour 2020).

* 86 Au sens du I de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il s'agit des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique.

* 87 Délibération n° 2021-116 du 7 octobre 2021 portant avis sur un projet de décret portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel visant à détecter et caractériser les opérations d'ingérence numérique étrangères aux fins de manipulation de l'information sur les plateformes en ligne (demande d'avis n° 21013837).

* 88 Le délai de trois ans prévu pour l'expérimentation n'a commencé à courir qu'à compter du lendemain de la publication du décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en oeuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne.

* 89 Décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019 [Loi de finances pour 2020].

* 90 Décision précitée, paragraphe n° 87.

* 91 Le rapporteur s'appuie ici principalement sur ses échanges avec le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, ainsi que sur l'encadrement prévu dans le cadre du dispositif mis en place pour les ingérences étrangères. Le décret n° 2021-1587 du 7 décembre 2021 a ainsi autorisé un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le but d'identifier les ingérences numériques étrangères, le traitement portant sur les contenus publiquement accessibles, sous les réserves précitées.

* 92 Délibération n° 2020-124 du 10 décembre 2020 portant avis sur un projet de décret portant modalités de mise en oeuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne (demandes d'avis n° 2218895 et 2218896).

* 93 Article 173 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 94 Cour de justice de l'Union européenne, arrêt La Quadrature du Net , 6 octobre 2020.

* 95 La méthode « conservation rapide » s'appuie sur le stock de données conservées de façon généralisée pour les besoins de la sécurité nationale et peut être utilisée pour la poursuite d'infractions pénales (Conseil d'État, 21 avril 2021, « Données de connexion : le Conseil d'État concilie le respect du droit de l'Union européenne et l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et la criminalité »).

* 96 La CJUE a également précisé qu'un État membre faisant face à une menace grave pour la sécurité nationale qui s'avère réelle et actuelle ou prévisible peut déroger à l'obligation d'assurer la confidentialité des données afférentes aux communications électroniques en imposant, par des mesures législatives, une conservation généralisée et indifférenciée de ces données pour une durée temporellement limitée au strict nécessaire, mais renouvelable en cas de persistance de la menace.

* 97 Cour de justice de l'Union européenne, arrêts Prokuratuur en date du 2 mars 2021 et Dwyer en date du 5 avril 2022.

* 98 Résolution du Parlement européen du 21 octobre 2021 sur les Pandora Papers: implications pour les efforts de lutte contre le blanchiment de capitaux, la fraude et l'évasion fiscales.

* 99 Ibid.

* 100 Ibid.

* 101 Correctiv, CumEx Files 2.0 - The outrageous tax fraud goes on, 21 octobre 2021

* 102 Table ronde de la commission des finances, « Pandora papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ?», 13 octobre 2021.

* 103 Le Monde, « Panama Papers » : cinq ans après, des milliards récupérés et plusieurs condamnations, 8 avril 2021.

* 104 Résolution du Parlement européen du 21 octobre 2021 sur les Pandora Papers : implications pour les efforts de lutte contre le blanchiment de capitaux, la fraude et l'évasion fiscales.

* 105 D'après les réponses de la DGFiP au questionnaire du rapporteur.

* 106 D'après les dernières données publiées par le consortium international de journalistes, dont Le Monde, au mois d'octobre 2021. Voir par exemple : https://www.lemonde.fr/cumex-files/ .

* 107 Iles Vierges britanniques, Anguilla, Seychelles, Panama, Vanuatu, Fidji, Guam, Iles Vierges américaines, Palaos, Samoa américaines, Samoa, Trinité et Tobago.

* 108 Arrêté du 2 mars 2022 modifiant l'arrêté du 12 février 2010 pris en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du code général des impôts.

* 109 « Base erosion and profit shifting » ou « érosion de la base d'imposition et transfert des bénéfices ».

* 110 Table ronde de la mission d'information du 7 juin 2022.

* 111 C'est-à-dire, trop « gros » ou trop important pour être inscrit sur ces listes.

* 112 Résolution du Parlement européen du 21 janvier 2021 sur la réforme de la liste des paradis fiscaux de l'Union européenne .

* 113 Voir notamment : Conseil Constitutionnel, n°2016-614 QPC, M. Dominique L.

* 114 Table ronde de la mission d'information du 7 juin 2022.

* 115 Contribution écrite de Transparency international France transmise le 18 juin 2022.

* 116 Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

* 117 Résolution du Parlement européen du 21 octobre 2021 sur les Pandora Papers: implications pour les efforts de lutte contre le blanchiment de capitaux, la fraude et l'évasion fiscales.

* 118 Table ronde de la commission des finances, « Pandora papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ?», 13 octobre 2021.

* 119 Contribution écrite de Transparency international France transmise le 18 juin 2022.

* 120 Ibid.

* 121 Pandora papers : et maintenant ? Constats et recommandations de Transparency International France, 10 novembre 2021.

* 122 La DGFiP a indiqué, dans le cadre de ses réponses au questionnaire du rapporteur, ne pas travailler à ce stade avec l'intelligence artificielle pour exploiter les données des registres de bénéficiaires effectifs.

* 123 Table ronde de la commission des finances, « Pandora papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ?», 13 octobre 2021.

* 124 Contribution écrite de Transparency international France transmise le 18 juin 2022.

* 125 Pandora Papers : et maintenant ? Constats et recommandations de Transparency International France, 10 novembre 2021.

* 126 OCDE, « En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc », 25 février 2021.

* 127 Directive 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal.

* 128 Contribution écrite de Solidaire Finances publiques, transmise le 13 juillet 2022.

* 129 Ce taux est de 12,8 % pour les personnes physiques.

* 130 Dont le plus récemment la convention fiscale bilatérale entre la France et le Bahreïn, ce dernier ayant ratifié la convention fiscale multilatérale le 23 février 2022.

* 131 Cour des comptes, référé sur « Les conventions fiscales internationales », 5 septembre 2019.

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