III. MIEUX PRÉVENIR LES RISQUES LIÉS AUX AMMONITRATES HAUT DOSAGE DANS LES PORTS

A. UN NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DU CADRE RÉGLEMENTAIRE APPLICABLE AU TRANSPORT ET À LA MANUTENTION FLUVIALE DE MATIÈRES DANGEREUSES

Les rapporteurs estiment nécessaire de clarifier le cadre juridique applicable au transport et à la manutention des matières dangereuses dans le transport fluvial.

• Ils préconisent d'élaborer un règlement national dédié à cette question, qui serait le pendant du règlement pour le transport et la manutention des marchandises dangereuses dans les ports maritimes , encadrant en particulier les conditions de chargement/déchargement des matières dangereuses et les dépôts à terre . À ce titre, ils saluent les travaux lancés par le Gouvernement en mars 2022 , comme évoqué par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) 38 ( * ) , qui réunissent l'ensemble des acteurs de la voie d'eau (VNF, Compagnie nationale du Rhône, association française des ports intérieurs ainsi que des ports, dont HAROPA) et des représentants de la filière des engrais, « afin d'explorer l'ensemble des pistes de travail à l'oeuvre » et « de compléter utilement l'arrêté du 29 mai 2009 relatif au transport de marchandises dangereuses par voie terrestre, notamment sur les conditions techniques des opérations de chargement-déchargement, de transbordement et d'avitaillement [...] » .

Si la publication d'un nouvel arrêté portant spécifiquement sur les enjeux de manutention de matières dangereuses dans le secteur fluvial pourrait paraître opportune, les rapporteurs souscrivent à la piste, envisagée par le Gouvernement, d'adosser le futur règlement à l'arrêté TMD de 2009. Cette solution permet d' éviter un empilement normatif et de respecter le cadre prescrit à l'article L. 1252-1 du code des transports 39 ( * ) , qui prévoit un seul arrêté pour l'établissement de la nomenclature des marchandises dangereuses pour le transport aérien, ferroviaire, routier ou fluvial, et pour la fixation des conditions de chargement, déchargement et de manutention et de garde des marchandises.

La mise en oeuvre de ce règlement pourrait être contrôlée dans le cadre prévu à l'article L. 1252-2 du code des transports, sous l'autorité des préfets . Les rapporteurs alertent toutefois sur la nécessité d'assurer aux services déconcentrés des moyens effectifs pour mener à bien ces contrôles. En effet, s'agissant par exemple des contrôleurs des transports terrestres , on ne compte que 450 agents sur le territoire, selon la DGITM, alors que ceux-ci ont la charge de contrôler la réglementation applicable à l'ensemble des transports terrestres (routier, fluvial et ferroviaire).

Les rapporteurs souhaitent, en outre, que le règlement national puisse être décliné localement , comme c'est le cas pour les ports maritimes. En effet, le RPM prévoit l'adoption dans les ports maritimes accueillant des matières dangereuses d'un règlement local pour le transport et la manutention des matières dangereuses, arrêté par le préfet de département, après une instruction locale. Il est prévu que ce règlement complète le RPM et tienne compte « de l'organisation, de l'aménagement et de la nature des trafics de matières dangereuses du port concerné » .

La mission CGEDD-CGE préconisait l'élaboration d'un règlement national sur le transport et la manutention de matières dangereuses par voie fluviale, décliné dans les RPPNI à l'échelle de secteurs fluviaux . Selon les rapporteurs, l'adoption de règlements locaux à l'échelle du port pourrait s'avérer plus opérante :

- premièrement, les dispositions qui seront introduites dans le futur règlement national sur le transport et la manutention de matières dangereuses par voie fluviale semblent, par nature (distance entre les îlots à respecter et obligation de gardiennage en particulier, en fonction de seuils de quantité de marchandises), laisser peu de marge d'appréciation . En outre, il importe d'assurer un niveau de protection homogène sur l'ensemble du territoire. Or, les RPPNI semblant plutôt avoir vocation à préciser la réglementation nationale lorsque celle-ci se borne à fixer des principes généraux , ils apparaissent relever d'une logique différente .

À titre d'illustration, l'article A. 4241-53-21 du code des transports prévoit que les bateaux doivent régler leur vitesse sur la voie fluviale afin de ne pas causer de dommages aux autres navires ou aux infrastructures, laissant le soin aux RPPNI de fixer la vitesse maximale à respecter. Citons également l'article A. 4241-53-4 du même code qui dispose que les possibilités de passage et de dépassement peuvent être limitées ou interdites sur certaines sections d'eau, lorsque celles-ci sont désignées par les RPPNI.

Les rapporteurs estiment ainsi plus judicieux de permettre de préciser ou adapter les règles nationales au sein de règlements élaborés par les ports , en fonction des circonstances locales. En l'absence d'adoption d'un règlement local, la réglementation nationale s'appliquera ;

- deuxièmement, la manutention fluviale répond à des enjeux de maîtrise des risques distincts des enjeux liés aux activités de navigation , qui relèvent des RPPNI. En outre, les acteurs impliqués dans le transport et la manutention de matières dangereuses diffèrent, s'agissant de la mise en oeuvre de la réglementation (la batellerie dans un cas et l'opérateur économique chargé de gérer et exploiter le port dans l'autre) et de son contrôle (gendarmerie fluviale et, de manière plus ponctuelle, contrôleurs de transport terrestre des DREAL dans un cas et services déconcentrés de l'État dans l'autre) ;

- enfin, d'un point de vue symbolique , élaborer des règlements à l'échelle des ports fluviaux pourrait favoriser la responsabilisation des acteurs et la montée en puissance des enjeux de maîtrise des risques technologiques dans ces infrastructures.

Le règlement local pourrait être élaboré, sur la base du volontariat , par les ports fluviaux accueillant des matières dangereuses. Sa rédaction pourrait être confiée aux services de l'État (préfecture de région et de département), en collaboration avec l'autorité propriétaire du domaine public fluvial dont relève le port.

Enfin, dans un souci de pragmatisme , comme c'est le cas dans les ports maritimes, il serait opportun de prévoir la possibilité pour les préfets de département d'accorder , de manière ponctuelle et encadrée (motivation de la demande d'autorisation, indiquant notamment les raisons pour lesquelles certaines dispositions réglementaires ne peuvent être respectées et les mesures de sécurité alternatives prévues, consultation par le préfet du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques et limitation dans le temps de la dérogation), des dérogations au règlement national et, le cas échéant, au règlement local, pour certaines opérations ponctuelles .

• Enfin, les rapporteurs recommandent d'enfin appliquer l'obligation pour les préfets , prévue par l'ADN, d' agréer dans les RPPNI les lieux de chargement et de déchargement de matières dangereuses.

Proposition n° 3 - Poursuivre le processus d'alignement de la réglementation applicable au transport fluvial sur celle applicable au transport maritime d'ici, au plus tard, le 1 er janvier 2024 [État - DGPR, DGITM, VNF, préfectures] en :

- complétant l'arrêté relatif au transport de marchandises dangereuses (TMD) d'un règlement sur le transport et la manutention des matières dangereuses par voie fluviale ;

- permettant la déclinaison de ce règlement national dans des règlements locaux élaborés au sein des ports fluviaux accueillant des matières dangereuses, qui seraient soumis à la signature des autorités compétentes de l'État ;

- confiant aux préfectures la responsabilité, en collaboration avec Voies navigables de France (VNF), d' identifier dans les RPPNI les lieux dans lesquels les opérations de chargement et déchargement de matières dangereuses sont autorisées .


* 38 Audition plénière en commission des administrations centrales (DGITM et DGPR) le 23 février 2022.

* 39 « Un arrêté du ministre chargé des transports établit la nomenclature des marchandises dangereuses pour le transport aérien, ferroviaire ou guidé, routier ou fluvial. Il fixe les conditions d'emballage, de chargement, de déchargement, de manutention et de garde de ces marchandises, définit les conditions de visites et d'épreuves des matériels et dresse la liste des matières exclues du transport. »

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