COMMENT PRÉVENIR TOUT RISQUE DE
« BLACK-OUT » ?
12 RECOMMANTIONS POUR INVESTIR
MASSIVEMENT DANS LA FILIÈRE NUCLÉAIRE ET RENFORCER DURABLEMENT LA
SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT
Dans ce contexte, critique pour la sécurité d'approvisionnement, la commission des affaires économiques plaide pour plusieurs évolutions.
I. UNE RÉVISION D'ENSEMBLE DE NOTRE CADRE ÉNERGÉTIQUE EST URGENTE, POUR REVALORISER LA FILIÈRE NUCLÉAIRE ET CONFORTER LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT
Tout d'abord, la planification énergétique doit intégrer d'urgence la relance annoncée de l'énergie du nucléaire , aux côtés naturellement des énergies renouvelables.
Dans son discours de Belfort , le 10 février dernier, le Président de la République a indiqué souhaiter l'arrêt des fermetures de réacteurs existants , pour envisager leur prolongation au-delà de 50 ans.
Cette mesure doit être appliquée :
• le Gouvernement peut et doit, dès à présent, supprimer les dispositions réglementaires de la PPE prévoyant l'arrêt de 12 réacteurs, hors ceux de Fessenheim, à l'échéance de leur 5 e visite décennale, entre 2029 et 2035, ainsi que 2 réacteurs, en 2024-2025 et 2 réacteurs, en 2027-2028 111 ( * ) ;
• à terme , le Gouvernement doit proposer, dans le cadre de la « loi quinquennale » sur l'énergie, de 2023, la suppression de deux dispositifs désormais obsolètes, issues de la loi de Transition énergétique 112 ( * ) du 15 août 2015 : d'une part, l'objectif de réduction de la production d'énergie nucléaire à 50 % d'ici 2035, figurant au 5° de l'article L. 100-4 du code de l'énergie ; d'autre part, le plafond de 63,2 GW des installations nucléaires, mentionné à l'article L. 311-5-5 du code de l'environnement ;
• enfin, cette annonce appelle à être complétée, en temps voulu , car le scénario le plus « nucléarisé » de RTE suppose une prolongation des réacteurs existants au-delà de 60 ans, et non de 50 ans.
De plus, dans ce même discours, le Président de la République a précisé vouloir porter à 25 GW la capacité d'énergie nucléaire nouvelle d'ici 2050, en lançant 6 EPR 2 et en en étudiant 8 supplémentaires.
Cette annonce doit être consolidée :
• tout d'abord, elle n'est pas à la hauteur du scénario le plus « nucléarisé » de RTE 113 ( * ) , qui prévoit une puissance nucléaire de 27 GW et suppose 14 EPR 2, 4 GW de SMR, ainsi qu'un effort de R&D, en direction de la « fermeture cycle du combustible » ;
• de plus, elle ne tient pas compte de l'alerte du groupe EDF, qui considère en ces termes que la croissance annuelle de la consommation d'électricité pourrait être non de 1 % , dans le scénario de référence de RTE, mais de 2 % , dans le scénario maximal de RTE 114 ( * ) , 9 autres EPR 2 ou 85 GW de photovoltaïque étant requis dans ce cadre : « RTE pose un scénario central suivant lequel la hausse moyenne de la consommation d'électricité s'établirait à + 1 % par an dans les trente années à venir. Il nous semble plus prudent de prévoir une évolution de + 2 % par an dans notre pays, conformément au scénario maximum de RTE » ;
• en outre, elle doit prendre en compte l'alerte de l'ASN, qui a appelé les rapporteurs à prévoir une « marge de sûreté » : « L'ASN avait depuis de nombreuses années alerté sur la nécessité de disposer de marges pour pouvoir faire face à l'arrêt concomitant de plusieurs réacteurs pour des motifs de sûreté » ;
• un autre point d'attention est que les puissances envisagées pour les capacités des énergies renouvelables ne correspondent pas à celles du scénario le plus « nucléarisé » de RTE 115 ( * ) : en effet, 100 GW ont été annoncés pour le photovoltaïque, 37 pour l'éolien et 40 pour l'éolien en mer, contre des estimations de respectivement 70, 43 et 22 GW.
• quel que soit le choix retenu, la construction des EPR 2, l'essor des SMR, la « fermeture du cycle du combustible » dont les réacteurs de 4 e génération, et le projet ITER constituent autant de projets nucléaires dont l'atteinte devrait être garantie , dans notre planification énergétique, tant à l'article L. 100-4 du code de l'énergie que dans la PPE.
Enfin, le discours du Président de la République n'a pas résolu le problème du financement de la relance de l'énergie nucléaire , aucune annonce concrète n'ayant été faite quant à la révision de l'Arenh, l'apurement de la dette du groupe EDF ou le renforcement des compétences. Un « plan de financement » est indispensable !
Les prérequis identifiés par le groupe EDF , à commencer par « la question du financement », doivent donc encore être levés .
La commission des affaires économiques souhaite que le Gouvernement fasse véritablement aboutir la relance annoncée de l'énergie nucléaire, en levant une à une les ambiguïtés énumérées précédemment ; bien évidemment, l'effort en direction des énergies renouvelables doit être maintenu dans le même temps.
1. Faire aboutir la relance annoncée de l'énergie nucléaire, en révisant rapidement la planification énergétique, en investissant massivement dans les réacteurs nucléaires (2 e , 3 e et 4 e générations) et en soutenant le groupe EDF et l'ensemble des acteurs de la filière. |
Au-delà de ces annonces, dans un contexte de débat public sur l'avenir du mix électrique, l'enjeu de la sécurité d'approvisionnement doit être intégré aux travaux préalables aux grands chantiers de l'énergie .
Si le ministère de la transition écologique a engagé une concertation, du 5 novembre 2021 au 15 février 2022, en préparation de la « loi quinquennale » sur l'énergie de 2023, de la PPE et de la SNBC, aucune des 12 thématiques proposées 116 ( * ) ne porte sur la sécurité d'approvisionnement .
Or, la renaissance de l'énergie nucléaire n'a de chance d'aboutir que si l'enjeu fondamental de sécurité d'approvisionnement qu'elle charrie est placé au centre de ces débats préalables, ce pour quoi plaide la commission des affaires économiques .
2. À l'échelle nationale, intégrer la sécurité d'approvisionnement aux travaux préalables aux grands chantiers énergétiques : la « loi quinquennale » sur l'énergie de 2023, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). |
Au niveau européen, la renaissance de l'énergie nucléaire est loin d'être encouragée par les textes en cours de discussion ou d'application .
• d'une part, la « taxonomie verte » 117 ( * ) , n'intègre pas pleinement l'énergie nucléaire , qui n'est pas assimilée à une énergie durable, comme toutes les autres énergies décarbonées, mais à une énergie de transition, à l'instar du gaz naturel ;
• d'autre part, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » ne garantit pas pleinement la neutralité technologique pour l'énergie et l'hydrogène nucléaires dans les directives ou règlements relatifs à la fiscalité énergétique 118 ( * ) , aux énergies renouvelables 119 ( * ) , à l'efficacité énergétique 120 ( * ) ou au règlement sur les infrastructures de recharge 121 ( * ) ;
• enfin, si le Gouvernement a annoncé s'engager pour la réforme du principe européen du « coût marginal » 122 ( * ) , qui fonde le prix de l'électricité sur celui des dernières centrales appelées, bien souvent des centrales au gaz, cette réforme n'a pas encore abouti.
La commission des affaires économiques estime que le Gouvernement, dans le cadre des échanges européens en cours, doit garantir le cadre le plus favorable possible pour l'énergie nucléaire .
3. À l'échelle européenne, garantir à l'énergie nucléaire le cadre le plus favorable possible, dans les textes en cours de discussion ou d'application : la « taxonomie verte », le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et la réforme du principe du « coût marginal ». |
Parce que la transition énergétique s'accompagne nécessairement d'un recours accru aux métaux rares, la sécurité d'approvisionnement du système électrique doit aussi avoir pour objectif une autonomie stratégique dans le domaine minier : l'enjeu est d'offrir à la France et à l'Europe une production domestique de métaux rares, de même que leur importation ou leur recyclage via des circuits sécurisés .
Si les besoins de l'énergie nucléaire en uranium sont limités, il faut rappeler que les installations d'énergies renouvelables (panneaux solaires ou pales d'éoliennes) ou de stockage (batteries électriques et électrolyseurs d'hydrogène) supposent des métaux rares , dont le cuivre (produit au Chili et au Pérou), l'aluminium ou les terres rares (produits en Chine) ou le cobalt (produit en République démocratique du Congo).
Ces enjeux allant devenir centraux, à mesure que la transition énergétique progressera, il faut les intégrer dès à présent dans l'appréciation de la sécurité d'approvisionnement du système électrique .
À cette fin, il pourrait être envisagé d'inclure les enjeux miniers dans le « bilan carbone » dont l'application aux dispositifs de soutien aux énergies renouvelables a été prévue , par la loi « Énergie-Climat » 123 ( * ) , pour ceux attribués par appels d'offres, et envisagée , par la loi « Climat-Résilience » 124 ( * ) , pour ceux attribués en guichets ouverts (articles L. 314-1 A et L. 446-1 A du code de l'énergie).
4. Étendre la sécurité d'approvisionnement à l'autonomie stratégique dans le domaine minier, en envisageant l'application de ce critère dans le cadre du « bilan carbone » prévu pour les dispositifs de soutien aux projets d'énergies renouvelables. |
* 111 Ministère de la transition écologique (MTE), Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023 et 2024-2028 , pp. 159 et 160.
* 112 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
* 113 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050, Principaux résultats , 2021.
* 114 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050, Les scénarios de mix production-consommation , 2022.
* 115 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050, Principaux résultats , 2021.
* 116 Les 12 thématiques sont les suivantes :
- Quel équilibre entre recours à la sobriété énergétique et recours aux technologies nouvelles ?
- Quelles conditions pour une véritable culture du bas-carbone ?
- Souveraineté économique et échanges internationaux dans la transition : quel équilibre ?
- Quel accompagnement des ménages, entreprises, salariés et territoires pour une transition juste ?
- Quel équilibre entre les différents outils de politique publique dans la lutte contre le changement climatique ?
- Comment assurer une meilleure intégration des efforts d'atténuation dans les politiques territoriales ?
- Quelle répartition par secteur (bâtiment, transport, agriculture, déchet, industrie, production et transformation d'énergie) de l'effort supplémentaire pour le rehaussement de l'objectif climatique à l'horizon 2030 ?
- Comment baisser les émissions du transport ?
- Quelles évolutions pour le secteur du bâtiment pour le neuf et le parc existant ?
- Quelle agriculture dans un futur bas-carbone ?
- Quelle place pour la forêt et les produits bois dans la stratégie climatique nationale ?
- Comment organiser la fin des énergies fossiles à l'horizon 2050 ?
* 117 Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 et Acte délégué climatique complémentaire incluant, sous certaines conditions strictes, les activités énergétiques spécifiques du nucléaire et du gaz dans la liste des activités économiques couverte par la taxonomie européenne, 2 février 2022.
* 118 Proposition de directive du Conseil restructurant le cadre de l'Union de taxation des produits énergétiques et de l'électricité (refonte), COM(2021) 563 final.
* 119 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil et la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil, COM(2021) 557 final.
* 120 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'efficacité énergétique (refonte), COM(2021) 558 final.
* 121 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs et abrogeant la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil, COM(2021) 559 final.
* 122 Déclaration de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur la lutte contre le réchauffement climatique et la politique de l'énergie, Paris, 26 octobre 2021.
* 123 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 30).
* 124 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (article 90).