TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer
(Jeudi 9 décembre 2021)

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Madame la ministre, je vous remercie de votre venue au Sénat pour nous exposer les dernières données du différend qui oppose la France et l'Union européenne (UE), d'une part, au Royaume-Uni et aux îles anglo-normandes, d'autre part, pour l'accès de nos pêcheurs à leurs eaux. J'espère que votre venue sera aussi l'occasion de nous annoncer - qui sait ? - quelques bonnes nouvelles.

L'actualité des jours à venir sera riche : demain, 10 décembre, constituera à la fois la date butoir fixée par la Commission aux autorités britanniques pour l'octroi des licences manquantes et la date limite pour la négociation des totaux admissibles de capture, les fameux TAC, dans les eaux britanniques ; les dimanche 12 et lundi 13 décembre verront se dérouler le traditionnel Conseil des ministres de la pêche de l'UE, qui permettra de fixer les TAC et les quotas par État dans les eaux européennes.

Mais je laisserai notre collègue Alain Cadec, familier des arcanes européens, vous poser des questions au sujet de l'influence française à Bruxelles, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.

Il était important pour le Sénat, chambre des territoires, de se saisir de la question des licences de pêche. La pêche représente certes moins de 1 % du PIB, mais elle joue un rôle absolument déterminant dans l'aménagement du territoire, car un emploi en mer, ce sont en moyenne quatre emplois à terre.

C'est pourquoi nous avons décidé de confier à Alain Cadec, président du groupe d'études « pêche et produits de la mer », un rapport qui sera présenté devant les commissions des affaires économiques et européennes, réunies conjointement, le mercredi 15 décembre prochain. Ce sera, cher Alain, l'occasion de dresser le bilan du cycle qui est en train de s'achever, on l'espère, avec les licences, et de proposer des perspectives plus enthousiasmantes pour la pêche pour les années à venir.

Madame la ministre, je profite de votre présence pour, au nom de tous mes collègues de la commission des affaires économiques, pousser un cri d'alarme sur l'après-juin 2026, correspondant à la fin de la période transitoire d'application de l'Accord de commerce et de coopération, conclu le 24 décembre 2020, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Au-delà de la question des licences, qui devait constituer la partie la plus facile de la négociation, il y a la perspective de renégocier chaque année nos quotas de pêche dans les eaux britanniques et de subir des « mesures techniques » qui sont autant de barrières à l'entrée. Le schéma serait un peu celui qui existe aujourd'hui dans les eaux norvégiennes, à la différence près que nous sommes beaucoup plus dépendants de la Manche que de la mer du Nord.

On peut craindre que les Britanniques marchandent leurs quotas ou que nos équipages passent sous pavillon britannique : dans les deux cas, il s'agirait d'une perte de valeur pour notre filière pêche. Ma question est donc simple : comment voyez-vous les choses se dessiner après 2026 ? Quelles sont les perspectives ?

Je voudrais maintenant vous relater notre rencontre de la semaine dernière, avec la présidente de la Commission européenne. Mme Ursula von der Leyen a évoqué d'elle-même le sujet des licences devant la délégation du Sénat, c'était plutôt de bon augure ! Mais quelle n'a pas été notre surprise d'apprendre que pour la Commission, tout va bien, il n'y a pas de problème. Comme si la centaine de licences restante n'était qu'un « résidu statistique » alors qu'il y a, derrière, des familles ou, comme les Anglais le disent joliment, des « communautés côtières ».

On sait que votre Gouvernement a, à plusieurs reprises, enjoint l'Union européenne à agir. Mais la répartition des rôles entre l'État et l'UE n'a pas forcément toujours été claire. Par exemple, nous avons été alertés, par les acteurs de terrain, du circuit de communication complexe des demandes de licences, transitant par un trop grand nombre d'interlocuteurs avant d'être transmises à Londres via les comités départementaux et régionaux des pêches, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) du ministère français et la direction générale de la mer au sein de la Commission européenne.

Cela ne facilite pas la transparence, d'autant que la Commission a assumé avoir procédé, avec la DPMA à un filtrage des demandes jugées « problématiques ». Pouvez-vous nous indiquer le taux de demandes non transmises aux autorités britanniques et anglo-normandes, et les critères qui ont présidé à ce tri ? N'y a-t-il pas eu une forme d'« autocensure », qui a pu être mal perçue par les professionnels ?

Je ne saurais conclure, madame la ministre, sans mentionner trois lettres qui ont mis le feu aux poudres dans le monde de la pêche : PSF, pour « plan de sortie de flotte ». Votre annonce le mois dernier, lors des assises de la pêche et des produits de la mer, n'en était pas vraiment une puisque vous ne faisiez que rappeler une mesure incluse dans le plan d'accompagnement de décembre 2020 destiné à aider les pêcheurs français face au Brexit.

Néanmoins, convenez que le moment de ce rappel n'était peut-être pas le plus opportun, car il a donné le signal d'un renoncement. Surtout, l'ampleur du plan de sortie de flotte, de 40 à 60 millions d'euros, a surpris ! Ce sont 180 bateaux que l'on envisage de mettre hors d'état de produire !

Nous avons le souci constant, au sein de la commission des affaires économiques, de ne pas saborder des activités productrices de richesse, d'autant que la pêche est une activité durable. Pouvez-vous nous détailler le contenu de ce PSF et nous rassurer sur le fait qu'il s'agit bien d'une solution d'ultime recours, prévue pour un nombre marginal de professionnels ?

Êtes-vous, par ailleurs, d'accord avec l'idée que la réserve européenne d'ajustement au Brexit devrait servir à investir et non à détruire la capacité de production ?

M. Alain Cadec , vice-président de la commission des affaires européennes . - Madame la ministre, en l'absence du président Jean-François Rapin, qui accompagne aujourd'hui le président du Sénat en déplacement officiel en Grèce, il me revient de vous souhaiter la bienvenue, au nom de la commission des affaires européennes.

Nous sommes heureux de vous accueillir, pour la deuxième fois cette année, parmi nous. Depuis votre précédente audition du 17 juin dernier, la crise de la pêche consécutive au Brexit n'a cessé de s'envenimer, en raison notamment de la mauvaise foi des autorités britanniques et de la multiplication d'actes hostiles de leur part.

Dernière provocation en date : l'annonce par le Royaume-Uni, la semaine dernière, d'un changement de la réglementation applicable, dès le 1 er janvier 2022, en matière de maillage des filets de pêche. Il n'est pas besoin d'être devin pour deviner que cette initiative laisse présager des contrôles tatillons en mer, au détriment de nos équipages !

Dans ce contexte, nous avons le plus grand besoin de faire avec vous un point très précis de la situation. Pour ce faire, en amont de notre échange, nous vous avons fait part de nos principaux sujets de préoccupation : nous serons attentifs aux réponses que vous allez y apporter !

Avant de vous donner la parole, permettez-moi d'insister brièvement sur deux points, à commencer par la situation dans îles anglo-normandes.

Apparemment, Guernesey se serait montrée plus flexible que Jersey, ce que semblerait attester l'octroi de 43 nouvelles licences temporaires. Pouvez-vous, tout d'abord, nous confirmer cette impression et nous en donner les raisons ?

Les accords dits de la baie de Granville, conclus de façon bilatérale entre la France et le Royaume-Uni le 4 juillet 2000, avaient mis fin à une très longue période de conflits sur la délimitation des eaux territoriales et les droits de pêche.

Ces accords reposaient sur deux principes : le bon voisinage, d'une part, et la nécessité d'un régime particulier, d'autre part. Ils avaient globalement donné satisfaction et permis de dégager un consensus, auquel veillait un comité de gestion et de suivi paritaire, associant les professionnels, les scientifiques et les administrations concernées. Çà et là, les Jersiais avaient pu exprimer quelques signes de mécontentement, mais ils n'avaient pas pour autant remis en cause l'économie générale du dispositif, lors de la révision décennale prévue à l'origine.

Simples dépendances de la couronne britannique, les îles anglo-normandes n'ont jamais fait partie de l'Union européenne. Pourtant, Jersey et Guernesey ont délibérément souhaité être intégrées à l'Accord de commerce et de coopération. L'objectif était dépourvu d'ambiguïté : remettre en cause le Traité de pêche de la baie de Granville du 4 juillet 2000.

Madame la ministre, juridiquement, puisque l'Union européenne est compétente en matière de pêche et que le Royaume-Uni est devenu un État tiers, la voie d'un nouveau traité bilatéral entre la France et le Royaume-Uni concernant les îles anglo-normandes est-elle définitivement et totalement fermée ? Pouvons-nous imaginer un régime dérogatoire, à l'instar de ce qu'ont proposé plusieurs présidents de région concernés ?

J'en viens à mon second point, qui est celui de la répartition des rôles entre Paris et Bruxelles dans cette crise, laquelle apparaît comme le symptôme de la perte d'influence française au sein des institutions européennes. La situation apparaît d'ailleurs ubuesque puisque la France se bat contre les Britanniques, alors qu'il s'agit de l'application d'un accord conclu par l'Union européenne !

Nous savons tous que le problème des licences concerne à 60 % ou à 70 % des navires français. Les navires belges et néerlandais sont moins affectés. Pourtant, il revient à l'Union européenne de négocier avec le Royaume-Uni, car la pêche est une compétence exclusive et parce que les États membres ne sont pas eux-mêmes signataires de l'Accord de commerce et de coopération euro-britannique.

La France n'a manifestement pas su mobiliser ses alliés, qui sont pourtant nombreux, à savoir les États membres que l'on désigne par les termes d'« amis de la pêche ». Sur le fond, je ne serais pas étonné que le commissaire européen en charge de la pêche, M. Sinkevièius, ne soit en réalité secrètement satisfait d'une réduction de l'effort de pêche en Europe, à la faveur des restrictions britanniques.

N'ayant pas su peser de tout son poids et en temps utile auprès des institutions européennes, la France s'est donc activée à retardement, avec des menaces de rétorsion, toutes plus offensives les unes que les autres, mais jamais appliquées. La rencontre, lors du G20 à Rome, entre Emmanuel Macron et Boris Johnson n'a, selon moi, rien arrangé...

Pour conclure ce propos introductif, permettez-moi de me faire l'écho des demandes de fermeté unanimement formulées par les pêcheurs français. Ce message de fermeté s'adresse non seulement à la Commission européenne, mais aussi et surtout au Gouvernement : il faut agir et vite !

Madame la ministre, je vous souhaite bon courage pour le futur Conseil « pêche » de l'UE : j'ai eu connaissance des termes de la négociation à venir sur les quotas de pêche pour 2022, les choses ne vont pas être simples.

Quoi qu'il en soit, nous devons défendre nos intérêts nationaux avec au moins autant d'âpreté que le Royaume-Uni s'emploie à défendre les siens. Il y va de la survie même de la pêche française. Madame la ministre, à vous de jouer !

Mme Annick Girardin, ministre de la mer . - Merci beaucoup pour votre invitation. Le Gouvernement mène des actions depuis maintenant près d'un an pour défendre les intérêts français. Cette audition sur le Brexit et ses conséquences intervient après une mobilisation des pêcheurs en Bretagne, en Normandie et dans les Hauts-de-France. Elle a lieu surtout à la veille de l'échéance du 10 décembre, imposée par la Commission européenne au Royaume-Uni pour obtenir des réponses aux demandes déposées par l'Union européenne.

Les pêcheurs ont été très patients. Certes, plus de 1 000 licences ont été obtenues, mais ils en attendent encore 94, ce qui n'est anecdotique ni pour la France ni pour les hommes et les femmes qui font vivre notre littoral. Vous l'avez rappelé, un emploi en mer fait vivre quatre emplois à terre. Il importe donc de défendre les droits de la France en matière de pêche.

Quelles sont nos demandes ? Depuis que l'Accord de commerce et de coopération du 24 décembre 2020 a été conclu, cela fait onze mois que les pêcheurs attendent. C'est très long. Pourquoi cela prend-il autant de temps ?

J'ai eu l'occasion de faire un premier point en juin dernier devant la commission des affaires européennes du Sénat. Si la situation s'est améliorée depuis, avec la délivrance d'un nouveau paquet de licences, je reste comme vous, madame la présidente, monsieur le vice-président, très critique - le mot est faible - envers notre partenaire britannique.

Fin décembre 2020, quelques jours avant la signature de l'accord, j'obtenais avec le Président de la République le maintien de tous nos droits de pêche, y compris dans la zone des 6-12 milles nautiques alors que les Britanniques voulaient nous en expulser.

C'est sur cette base que j'avais annoncé aux pêcheurs français, le soir de Noël, que nous avions trouvé un compromis raisonnable, car nous ne pouvions pas nous permettre un « no deal » . Pour autant, ce compromis n'était pas totalement satisfaisant, un certain nombre de nos revendications n'ayant pas été prises en compte. La France soutenait en particulier deux demandes.

Premièrement, nous demandions de ne pas « écraser » l'accord historique de Granville, permettant une gestion pacifiée des ressources entre la France et Jersey notamment. Certes, la coopération régionale avec les îles anglo-normandes se passait bien, mais Jersey et Guernesey se sont saisies de cette occasion pour remettre les négociations sur la table.

Deuxième point, le nombre de licences pour les navires français dans les trois zones - ZEE, îles anglo-normandes et 6-12 milles - devait être défini dans l'Accord, ce qui n'a finalement pas été le cas. On m'a alors répondu qu'il ne fallait pas s'inquiéter au motif que l'Union européenne dispose de mesures de rétorsion pour faire pression sur les Britanniques. Au demeurant, je le redis, le « no deal » n'était pas une solution envisageable : les conséquences auraient été catastrophiques pour les pêcheurs bretons, normands et des Hauts-de-France.

L'accord signé ne réglait pas tout puisqu'il laissait une marge d'interprétation sur le volet de la pêche. Nous savions qu'il serait difficile à appliquer. D'expérience, je sais également que la meilleure façon de mettre en oeuvre rapidement un accord est de confier cette tâche à son équipe de négociation. Cela n'a pas été l'option retenue : la Commission européenne a pris le relais, alors que cette mission n'était pas vraiment dans son ADN. Les choses ont donc pris du temps, bien davantage que l'on ne l'aurait voulu. Les mois qui se sont écoulés nous ont malheureusement donné raison.

La mise en oeuvre de l'accord n'est pas satisfaisante. La Commission européenne est pleinement mobilisée, mais la question des licences n'a pas été suffisamment prise en compte avant la fin de l'été 2021, alors même que le commissaire avait annoncé aux pêcheurs que le dossier serait réglé dans un délai d'un mois. L'engagement était fort, mais les difficultés étaient sous-estimées. La Commission a pensé que les choses se feraient facilement puisque l'accord avait déjà été négocié. Elle s'est laissé entraîner par le Royaume-Uni dans une nouvelle négociation, au lieu de mettre simplement l'accord en oeuvre. De son côté, la France n'a jamais cessé, depuis le 1 er janvier 2021, de défendre ses pêcheurs !

Les organisations professionnelles (OP) ont aidé nos pêcheurs à monter leurs dossiers, les ont transmis au comité des pêches, puis à la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) et enfin aux services de la Commission européenne, laquelle fait une analyse de ces dossiers avant de les adresser au Royaume-Uni lequel, au tout début, les faisait « redescendre » à Jersey et Guernesey... Cette procédure complexe, prévue par l'accord, peut paraître complètement folle quand on est à Saint-Malo ou à Granville et qu'on voit Jersey ou Guernesey en face ! Je signale que 79 dossiers n'avaient pas toutes les pièces exigées et n'ont donc pas été transmis.

Le Brexit figure au coeur de mon action depuis mon arrivée au ministère de la mer. Je consacre plus de la moitié de mon temps au seul volet pêche. Même si je connais bien le milieu de la pêche depuis très longtemps, je me suis déplacée pour dialoguer avec les pêcheurs de Saint-Malo, Saint-Quay-Portrieux, Granville, Cherbourg, Port-en-Bessin, Fécamp et Boulogne-sur-Mer notamment. Et j'ai vérifié que le travail mené entre les OP, le comité régional et la DPMA était bien organisé.

J'ai également eu de nombreux échanges téléphoniques avec la Commission européenne pour remettre le dossier des licences sur le « haut de la pile ». Le Premier ministre a envoyé des courriers et le Président de la République a dû se fâcher pour que la question soit examinée au plus haut niveau. Nous sommes allés à Bruxelles rencontrer le vice-président de la Commission chargé de la mise en oeuvre de l'accord et le commissaire à la pêche avec l'ensemble des comités régionaux et le président du comité national des pêches. C'était totalement inédit, mais il fallait que nos interlocuteurs comprennent que, derrière ces licences, il y avait bien des hommes, des femmes et une économie indispensable à la filière, au moment où la crise sanitaire nous rappelle combien il est important d'être moins dépendant des importations.

J'ai rencontré mes « homologues » de Jersey et de Guernesey ainsi que le ministre britannique de l'environnement, George Eustice. Clément Beaune, le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, s'est également beaucoup impliqué. Le Premier ministre et le Président de la République se sont très largement mobilisés.

Pour répondre aux interrogations du sénateur Alain Cadec, je ne crois pas que nous assistions à une perte d'influence de la France. Il faut rappeler à nos interlocuteurs que l'Europe est là pour protéger.

La France se prépare aux conséquences du Brexit depuis très longtemps. En tant que ministre des outre-mer, j'ai assisté pendant plus de deux ans à des réunions pilotées par les Premiers ministres successifs pour anticiper cette échéance. Quand je suis arrivée à la tête du ministère de la mer, j'ai demandé que nous nous mettions immédiatement en mode projet et que l'on réfléchisse à un plan d'accompagnement. Je souhaitais que nous allions le plus loin possible dans la défense de nos droits. Des leviers se trouvaient à notre disposition, mais, dans le même temps, nous devions préparer nos pêcheurs au Brexit, puisque l'Accord du 24 décembre 2020 prévoyait une diminution de 25 % de la ressource pêchée dans les eaux britanniques, à l'horizon 2026. C'était le signal que nous étions prêts à affronter tous les cas de figure.

Je reprendrai rapidement quelques dates clés de ces onze derniers mois.

Le 31 décembre 2020, la France envoie les listes des navires demandant un permis d'accès à Jersey et Guernesey, afin que ceux-ci puissent continuer à pêcher jusqu'à la fin de l'année 2021.

Le 1 er janvier 2021, tous les navires pêchant dans la ZEE britannique obtiennent leur licence. En l'espèce, la procédure a été très rapide, le Royaume-Uni ayant intérêt à octroyer vite les licences pour obtenir les siennes.

Le 12 janvier 2021, la Commission communique les critères techniques applicables aux trois zones qui ne sont pas dans la ZEE
- les 6-12 milles, Jersey et Guernesey - zones qui concernent quasi exclusivement les pêcheurs français. C'est là que les choses se compliquent.

En février 2021, le Royaume-Uni « se réveille » et décide unilatéralement, sans notification préalable, de prévoir de nouvelles conditions d'éligibilité. Nous avons bien entendu refusé. La DPMA a transmis sa réponse sur la méthodologie qu'il serait, selon nous, normal d'appliquer, en vertu de l'accord. Le Royaume-Uni a poursuivi ses manoeuvres dilatoires.

En avril 2021, sur la demande du Royaume-Uni, la DPMA fournit de nouvelles données pour étayer nos demandes de licences : déclarations de captures, journaux de pêche, déclarations de vente. La géolocalisation pose toujours problème : c'est une exigence du Royaume-Uni bien que l'Union européenne ne l'impose pas aux navires de moins de 12 mètres. Au surplus, cette mesure ne figure pas dans l'Accord. Nous avons alors fait valoir qu'il existe d'autres moyens de prouver la présence des navires.

En juin 2021, apparaît une nouvelle demande du Royaume-Uni concernant cette fois les navires de plus de 12 mètres, lesquels ont déjà perdu plus de six mois de pêche.

En juillet 2021, le Royaume-Uni présente le même type de demande, mais cette fois pour les navires de moins de 12 mètres, concernant Jersey, Guernesey et la zone des 6-12 milles. Le temps tourne et nous n'arrivons toujours pas à nous mettre d'accord sur les pièces justificatives de la présence des pêcheurs en l'absence de géolocalisation, ou sur la question des navires remplaçants, un autre sujet traité très tardivement par la Commission européenne alors que nous avions déjà fait des demandes.

À partir du 17 septembre 2021, des licences sont accordées au coup par coup, par Jersey, pour les 6-12 milles. Cette situation met la pression sur nos pêcheurs, mais nous n'y pouvons pas grand-chose. La mauvaise volonté de nos partenaires est manifeste : il faut pousser le Royaume-Uni à respecter l'accord. C'est la raison pour laquelle la France a demandé aux autres États membres ayant des pêcheurs européens de la soutenir, via une prise de position commune sollicitant une intervention de la Commission européenne. Nous sommes rejoints au-delà des huit pays dits « amis de la pêche », puisque dix États membres s'associent à cette demande de la France. Peut-être aurions-nous pu faire appel à l'ensemble des pays européens, mais il nous semblait qu'à ce stade il revenait aux pays pêcheurs d'être au rendez-vous, ce qui a été le cas.

Vous connaissez la suite : le 28 octobre 2021, les échanges techniques n'aboutissent toujours pas. Nous décidons de présenter des mesures de rétorsion potentielles, applicables à compter du 2 novembre 2021. Le Premier ministre envoie un nouveau courrier à la présidente de la Commission européenne ; de mon côté, j'informe par écrit - une formalité obligatoire - la Commission du souhait de la France de fermer des ports. La Commission doit, elle, informer la Commission des pêcheries de l'Atlantique nord-est (CPANE) - dont je ne suis pas sûre qu'elle ait été parfaitement mise au courant de la situation. La situation se tend. Boris Johnson exprime son souhait de reprendre le dialogue ; la présidente de la Commission manifeste sa volonté de voir les discussions aboutir rapidement. Le Président de la République décide donc de continuer la négociation, tout en demandant à la Commission de fixer une date limite.

Pour résumer, pendant ces onze mois de travail, nous avons défendu en permanence nos marins par la tenue de dizaines d'heures de réunion et la transmission de milliers de données. J'explique la situation de blocage par le refus du Royaume-Uni d'honorer pleinement sa signature et par sa volonté d'en vouloir toujours plus pour se préparer à l'horizon 2026, au terme de la période transitoire prévue. C'est une restriction inadmissible de l'Accord. Nous avons souhaité que la Commission fixe une date limite : c'est donc le 10 décembre 2021, c'est-à-dire demain.

Un point sur les licences : je le redis, les Britanniques ont réussi à entraîner la Commission dans de nouvelles négociations, ce qui n'aurait pas dû arriver. Aujourd'hui, le nombre exact de licences délivrées aux pêcheurs est de 1 004 : 734 licences définitives dans la ZEE, 125 pour Jersey, 40 pour Guernesey - sans compter trois licences dont le dossier est presque complet et qui seront réglées rapidement -, 105 pour les 6-12 milles. Au total, 84 % de nos demandes ont été sécurisées. Le taux de 90 % que j'ai cité précédemment incluait les trois licences qui seront bientôt accordées et quelques autres qui nous ont été promises.

Il faut continuer à se battre. Comme le Président de la République l'a dit, personne ne doit être laissé sur le quai.

Il manque 53 licences pour la zone des 6-12 milles britanniques. Parmi ces licences manquantes, 40 concernent des navires remplaçants, au sujet desquels la Commission européenne n'est toujours pas d'accord avec le Royaume-Uni. En revanche, la France et la Commission européenne sont parfaitement alignées, il n'y a aucun débat là-dessus.

À Jersey, 38 licences provisoires sont classées dans la rubrique orange, les navires pouvant continuer à pêcher, et 12 licences provisoires sont rouges, c'est-à-dire que, depuis le 1 er novembre 2021, les navires ne peuvent plus pêcher. L'invention de ces codes couleur est assez extraordinaire...

La coupe est pleine pour les pêcheurs, et il faut comprendre leur colère. Je l'ai répété au commissaire européen chargé de l'environnement, des océans et de la pêche le 26 novembre dernier, il n'est plus possible d'attendre. Le commissaire a d'ailleurs observé de très près les événements qui se sont passés sur le littoral de la Manche.

Quel espoir avons-nous pour la réunion de demain ? Le seul espoir que je vous ai donné concerne les quelques navires pour lesquels l'accord n'est pas finalisé. Concernant les navires remplaçants, nous ne sommes toujours pas d'accord, mais nous continuons à nous battre heure par heure. Les négociations se sont poursuivies hier, et des échanges ont lieu tout au long de cette journée.

Au-delà de l'échéance du 10 décembre 2021, il est clair pour nous que la Commission européenne doit demander la tenue d'une réunion du conseil de partenariat entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Le Premier ministre porte cette demande, que nous ferons immédiatement après le résultat des négociations, même si nous pouvons toujours espérer que le Royaume-Uni et Jersey soient pleins de bonnes intentions et veuillent respecter leur signature et leur engagement. Le conseil de partenariat est notre dernière chance pour gérer ces dossiers litigieux. Si nos demandes n'étaient pas satisfaites, nous demanderions qu'une procédure en contentieux soit ouverte par la Commission européenne. Cette procédure prendrait beaucoup de temps, mais nous n'avons pas le choix : la France n'abandonnera jamais ses droits.

De plus, selon la réponse que nous aurons demain soir, la Commission européenne pourra demander que des mesures de rétorsion européennes soient mises en place.

Le conseil de partenariat réunit des représentants du Royaume-Uni et des pays européens, et pas seulement de la France. Le commissaire est déjà d'accord pour constater l'existence d'une violation de l'accord concernant les licences de pêche - c'est un minimum. Ce constat sera établi pour tous les dossiers transmis au Royaume-Uni n'ayant pas reçu de réponse favorable. Cela nécessite que nous accompagnions totalement ceux de nos professionnels qui se retrouveraient contraints d'aller jusqu'au contentieux.

Le plan d'accompagnement a été négocié avant. On y retrouve des arrêts temporaires d'activité qui courent du 1 er janvier 2021 jusqu'au 31 décembre 2021, des indemnités de perte de chiffre d'affaires qui ont couru jusqu'au mois de juillet et que l'on doit à nouveau examiner, ainsi que la question des « sorties de flotte ».

Ce plan doit être ajusté en fonction des résultats du Brexit. Les représentants des professionnels et les élus des territoires demandent fortement que des investissements d'avenir soient financés.

La France a obtenu une enveloppe de 100 millions d'euros pour accompagner les pêcheurs après le Brexit. Aux assises de la pêche et des produits de la mer, j'ai avancé le chiffre de 70 millions d'euros, soit ce qui nous reste après avoir déjà investi 30 millions d'euros dans le financement des arrêts temporaires et les indemnisations des chiffres d'affaires. Il nous reste donc 70 millions d'euros pour mettre en oeuvre les sorties de flotte et les investissements nécessaires.

Je vous rappelle que tous ces outils doivent être notifiés auprès de la Commission européenne avant d'être mis en oeuvre. Afin que la France soit au rendez-vous pour accompagner ses pêcheurs au mois de janvier, il fallait que ces outils soient définis au moins deux mois auparavant, en coproduction avec les professionnels - c'est ma manière de fonctionner. Pour cette raison, j'ai indiqué lors des assises de la pêche et des produits de la mer qu'il était temps que l'on travaille sur ce plan de sortie de flotte, car il faut déterminer quelles sont les conditions pour en bénéficier. Si l'on fixe un seuil à 10 % de perte de chiffre d'affaires, l'accompagnement ne sera pas le même que si ce seuil est fixé à 80 %.

Les choses ne sont toujours pas précisées. Tout le monde s'est énervé, la presse la première. Il y a eu une incompréhension, et j'y ai sûrement eu une part de maladresse. Mais ces outils d'accompagnement ne sont pas prêts, et les comités ont un peu peur d'y travailler. C'est dommage, car il va bien falloir les mettre en oeuvre. Nous avons toujours dit que ces mesures seraient prises sur la base du volontariat. Il faut faire attention, car les sorties de flotte ne concernent pas seulement la baie de Granville : il y a une forte demande depuis quelques mois en Méditerranée, ou dans les Hauts-de-France.

Les pêcheurs sont au courant de ces dossiers. C'est une erreur d'interprétation que de penser qu'il y a un plan massif de sortie de flotte. Il faut revenir à un climat plus apaisé pour que l'on travaille sur ces sujets. Gouverner, c'est prévoir. Ma mission et ma responsabilité, à la demande du Président de la République, consistent à faire en sorte que personne ne reste sans solution.

Nous avons besoin d'élaborer des stratégies à plus long terme : nous lancerons un plan d'action pour une pêche durable pour la décennie à venir, avec le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, afin de faire évoluer tant notre vision française que celle de la politique commune de pêche (PCP). Ce travail avec les pêcheurs va ressembler au travail accompli dans le cadre du « Fontenoy du maritime » : ce sera une dynamique, qui évoluera avec le temps.

En ce qui concerne la pêche durable, il faut préciser qu'en France, 60 % des espèces sont aujourd'hui exploitées durablement, contre 20 % il y a vingt ans. Les pêcheurs français se sont fortement impliqués et ont suivi les recommandations de la Commission européenne, en mettant également au point leurs propres contraintes afin de gérer leurs stocks de poissons et de produits halieutiques.

Pour répondre à votre question concernant l'après-2026, madame la présidente, l'accès de chaque flotte aux eaux de l'autre partie sera négocié annuellement. C'est un grand changement, qui va nous mettre en tension chaque année.

L'Accord comporte des garanties afin de dissuader le Royaume-Uni de limiter arbitrairement l'accès à ses zones de pêches. Nous devons nous battre pour qu'il soit mis en oeuvre. Les droits de douane sur les produits britanniques de la mer ou sur d'autres marchandises peuvent être ciblés ; il est possible de réduire l'accès de la flotte britannique aux eaux de l'UE, ainsi que de suspendre certaines obligations de l'UE dans d'autres domaines que la pêche en cas de préjudice économique et social important. Dans un cas extrême, chaque partie peut d'ailleurs mettre fin à l'Accord signé, ce que l'on pourrait faire bien avant 2026, si l'on estimait que cet accord devenait déséquilibré.

La semaine prochaine, des rencontres se tiendront à Bruxelles sur la question des totaux admissibles des captures (TAC) et des quotas. Les négociations menées dans ce cadre annuel sont toujours très difficiles, en particulier en ce qui concerne la Méditerranée - je vous rappelle que le plan de gestion pour les pêcheries en Méditerranée prévoit une baisse des captures de 40 % d'ici à 2025, et que, lorsque j'ai pris mes fonctions, il n'y avait pas de plan d'accompagnement de la pêche en Méditerranée. Nous avons mis en place un plan d'accompagnement avec la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture similaire à celui en vigueur pour le Brexit. Le Brexit ne doit pas faire oublier d'autres situations sur nos littoraux, comme celle du golfe de Gascogne.

M. Jean-Pierre Moga . - Madame la ministre, je voudrais vous remercier pour les détails que vous nous avez donnés sur ce sujet préoccupant.

Ma question concerne l'éolien en mer. Cette énergie renouvelable est prometteuse en raison de son potentiel de production. Le futur parc de Dieppe-Le Tréport sera doté d'une puissance de 500 mégawatts. Mais force est de constater que notre pays, malgré ses vastes espaces maritimes, accuse un retard certain dans ce domaine : nous n'avons pas de parc offshore , alors que le Royaume-Uni dispose par exemple d'un parc d'une puissance de 10 gigawatts - il devrait d'ailleurs doubler d'ici 2030.

Le développement de ces parcs pourrait engendrer 15 000 emplois pour la France, car nous pouvons entièrement produire tous les éléments de ces éoliennes. Pouvez-vous nous préciser les ambitions de la France en matière d'éolien en mer, ainsi que les leviers que vous comptez actionner afin de soutenir son développement ?

Mme Annick Girardin, ministre . - Le ministre de la mer est le ministre de la planification en mer. On n'a jamais beaucoup aimé parler de planification dans cet espace de liberté, mais les activités en mer sont de plus en plus nombreuses, qu'elles soient historiques, comme la pêche ou le transport de marchandises et de passagers, ou beaucoup plus récentes, comme le tourisme, l'éolien ou la protection des espaces maritimes. Je regarde le sujet globalement, sous l'angle de la planification.

Je souhaite que l'on définisse des zones sur chaque bassin, et que le débat ait lieu à l'échelle locale, comme cela se passe dans d'autres pays. Quand je suis arrivée en responsabilité, j'ai voulu regarder l'état des projets d'éolien en mer. J'ai alors découvert qu'on ne disposait que d'une seule éolienne expérimentale, même si les choses devaient s'accélérer. Barbara Pompili a annoncé un plan ambitieux qui doit être mis en place en concertation avec les élus des territoires et avec les populations locales. Notre industrie est performante en la matière ; elle est prête.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Ma question est de nature prospective. En vous écoutant, on comprend bien les grandes difficultés rencontrées dans la négociation à l'échelle européenne. On mesure l'ampleur de la baisse des quotas et de nos capacités de pêche dans la mer du Nord, en Méditerranée ou dans le golfe de Gascogne. Comment voyez-vous la pêche française dans dix ans ? Aujourd'hui, elle représente 1 % du PIB ; 65 % du poisson consommé en France est déjà importé.

Mme Annick Girardin, ministre . - Je crois en la pêche française. Pour cette raison, j'ai souhaité lancer un plan d'action pour une pêche durable avec le Comité national des pêches, ce qui interviendra dans les jours qui viennent.

Une vraie prospection repose sur un élément essentiel : la recherche et la connaissance. En Méditerranée, seulement 8 espèces sont suivies scientifiquement, alors que l'on sait qu'un filet ramène jusqu'à 70 espèces. L'état de la ressource apparaît comme le premier sujet : quelles sont les ressources, quels types de quotas faut-il mettre en place ? Il est essentiel de mettre la science au service de la pêche, en favorisant, par exemple, les liens entre l'Ifremer et les pêcheurs.

La France possède une vaste ZEE ; nos ressources sont importantes, et nous avons besoin de mieux les connaître pour savoir où on peut pêcher aujourd'hui, et où on pourra pêcher demain. Cette question concerne également les eaux que nous possédons dans l'océan Indien, le Pacifique, ou l'Atlantique : l'espace potentiel de pêche française est extrêmement large. Il faut mieux connaître nos stocks, pour mieux les gérer et les protéger.

Nous devons également nous poser la question de l'accompagnement du pêcheur et de sa famille. Nous ne sommes pas allés assez loin concernant l'accompagnement, la formation, les cotisations à l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) ou les retraites.

Un programme doit aussi être mené à bien sur les outils de pêche et les bateaux, qui ont en moyenne trente ans, avec un volet sanitaire, un volet sécuritaire ainsi qu'un volet concernant la transition énergétique.

Il faut également travailler sur la mixité à bord des navires, qui n'est actuellement pas possible sur les bâtiments de moins de 14 mètres. Pour que les choses évoluent, il faut persuader l'Union européenne de prendre en compte une augmentation de la taille des bateaux, sans que cela ne provoque une augmentation des capacités de pêche.

Nous avons aussi besoin de nous doter d'un plan en faveur de l'aquaculture durable. Nous y travaillons avec M. Denormandie. Je réfléchis également à des passerelles professionnelles entre les différents métiers de marins, car je ne sais pas si, dans le monde de demain, on pourra travailler toute sa vie dans la même filière. Il me semble donc utile de développer des passerelles entre la marine marchande, la pêche, mais aussi le secteur de la plaisance.

Il convient de veiller à la formation. J'ai créé un poste de coordinateur des lycées maritimes pour améliorer la coordination entre les établissements, mettre en place des actions communes, mieux partager les moyens et développer les investissements, en lien avec les régions.

Voilà le travail à venir avant la fin du quinquennat.

M. Alain Cadec , vice-président de la commission des affaires européennes . - Il faut aller vite !

Mme Annick Girardin, ministre . - Oui, mais il en va de même que pour le « Fontenoy du maritime » : voilà des années que chacun sait ce qu'il faut faire, il suffit juste d'impulser une dynamique suffisamment forte pour mutualiser les idées et lancer un plan d'action, destiné à se poursuivre lors du prochain quinquennat.

M. Alain Cadec , vice-président de la commission des affaires européennes . - Si je comprends bien, vous souhaitez utiliser la réserve d'ajustement du Brexit pour financer le plan de sortie de flotte. Je ne suis pas sûr que la Commission européenne soit d'accord pour utiliser ainsi cette réserve, dans la mesure où elle a été conçue pour aider les entreprises à surmonter les conséquences du Brexit, même si cela peut l'arranger d'une certaine manière...

Les navires de remplacement ne sont pas reconnus par les Britanniques, car ils considèrent que l'antériorité n'existe plus lorsqu'un marin-pêcheur change de bateau : normalement les droits de pêche sont renouvelés automatiquement, mais les Britanniques font la sourde oreille. Nous n'avons pas d'autre solution que de chercher à les convaincre.

Vous avez évoqué des procédures de contentieux, mais cela prend énormément de temps ! En revanche, l'Union européenne a prévu la possibilité de prendre des mesures de rétorsion. Pensez-vous que la Commission européenne soit prête à les appliquer ?

Enfin, vous estimez que la France doit être moins dépendante de ses importations et insistez sur la formation des jeunes marins, mais, en même temps, vous proposez un plan de sortie de flotte : n'est-ce pas antinomique ?

Mme Annick Girardin, ministre . - En ce qui concerne les mesures de rétorsion, si toutes les licences ne sont pas délivrées le 10 décembre 2021, la France demandera la réunion du conseil de partenariat pour qu'il examine la situation et constate la mauvaise foi et le refus du Royaume-Uni d'honorer pleinement sa signature. C'est à ce niveau qu'il sera décidé, le cas échéant, d'ouvrir une procédure de contentieux ou de prendre d'éventuelles mesures de rétorsion. La France poussera en ce sens. C'est à la Commission européenne qu'il appartiendra de porter le contentieux, ou de prendre les mesures de rétorsion. Les préjudices, d'ailleurs, sont calculés en fonction des pertes financières pour la France et les pêcheurs, non du nombre de licences. Je ne sais pas ce qu'il se passera demain, mais nous essaierons de convaincre la plupart des pays européens. Le commissaire européen semble favorable à l'idée d'engager un contentieux, car il faut défendre les droits de l'Union européenne jusqu'au bout, par principe. Il est vrai qu'un contentieux ne serait pas une bonne nouvelle pour les pêcheurs, car c'est une procédure longue, et l'issue n'est pas la récupération de la licence mais un dédommagement financier.

Nous avons inclus le plan de sortie de flotte dans le plan d'accompagnement et ce, à la demande des professionnels de certaines régions, même si les besoins varient selon les littoraux. Il est vrai qu'utiliser la réserve d'ajustement au Brexit pour financer des sorties de flotte volontaires n'apparaît peut-être pas toujours pertinent, dans la mesure où le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (FEAMPA) peut aussi les financer. Nous aviserons donc au cas par cas. Les demandes se feront sur la base du volontariat.

M. Alain Cadec , vice-président de la commission des affaires européennes . - Je crains des effets d'aubaine. Un pêcheur de 57 ans qui a un bateau vieux de plus de 30 ans aura intérêt à demander une indemnisation au titre d'une sortie de flotte !

Mme Annick Girardin, ministre . - Vous avez raison, nous devrons fixer des critères ; il faudra démontrer l'existence de pertes liées au Brexit - dont il conviendra de définir le niveau. Les réponses favorables ne seront pas automatiques. Chaque dossier fera l'objet d'une analyse, notamment pour apprécier, par exemple, s'il ne peut être proposé des transferts de quotas ou de jours de mer, ou la possibilité de participer à d'autres activités. Il nous reste à finaliser avec les professionnels la procédure d'examen des demandes. Je rappelle qu'un navire a une valeur importante. Les 70 millions disponibles du plan d'accompagnement ne sont pas fléchés vers la sortie de flotte, mais vers différents outils de soutien aux pêcheurs. Il nous manque aujourd'hui 104 licences, tandis que 79 demandes n'ont pas été transmises parce qu'elles ne correspondaient pas à nos critères. J'espère que ce chiffre sera inférieur à l'issue de la journée du 10 décembre 2021. J'ai proposé au Président de la République de nommer un accompagnateur pour suivre ces dossiers, lorsque nous aurons reçu les réponses britanniques.

Le plan de sortie de flotte et le plan d'accompagnement sont complémentaires. On peut comprendre que des marins-pêcheurs épuisés souhaitent y recourir. Mais, même si le nombre de bateaux peut diminuer, je ne vois pas pourquoi la pêche serait moins dynamique demain. On peut diversifier les activités des pêcheurs. Nous ferons le bilan à la fin du plan et je pense que le nombre d'emplois sera supérieur.

J'insiste sur l'importance de la formation, car ces métiers n'attirent plus, en dépit de l'action de promotion des métiers du vivant que nous avons menée avec le ministre Julien Denormandie. Les effectifs dans les lycées maritimes baissent. Je suis élue d'un territoire qui est frappé par la surpêche et où le moratoire sur la pêche a été une catastrophe. Je suis donc très vigilante sur ces questions.

Mme Marta de Cidrac . - Le Président de la République annoncera bientôt les priorités de la présidence française de l'Union européenne (PFUE). Comment pensez-vous peser à l'occasion de cette présidence, pour mettre en avant certains sujets ? Les volets maritimes et de la pêche seront-ils une priorité ?

Mme Annick Girardin, ministre . - En ce qui concerne le volet maritime de la PFUE, un colloque sera organisé à La Rochelle sur les aspects sociaux. Nous avons mis en place des aides à l'emploi pour la marine marchande destinées à lutter contre le dumping social.

Je défendrai deux messages lors de la présidence française de l'Union européenne. Tout d'abord, il convient de réviser la politique commune de la pêche (PCP), dont le cadre juridique est défini par un règlement européen de 2013 qui doit être réexaminé à partir de 2022. Ce ne sera pas simple, car la Commission européenne n'a manifestement pas le souhait de rouvrir la discussion sur le sujet.

Il faudra également finaliser la révision du règlement instituant un régime communautaire de contrôle, afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche. Trois sujets devront pour cela être abordés, selon moi. Le premier est le rôle de l'évaluation scientifique : s'il apparaît pertinent de s'appuyer sur les données du Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), je note que ces données ont souvent deux ou trois ans et que chaque niveau consulté rajoute son avis. Il faudrait que le pouvoir politique puisse se fonder uniquement sur les données scientifiques. Deuxième axe, la lutte contre la pêche illégale, problème crucial dans certaines régions, comme en Guyane : cet objectif doit être réaffirmé ; ce thème sera aussi à l'ordre du jour du One Ocean Summit qui se tiendra à Brest en février 2022. Enfin, dernier axe, le développement de l'aquaculture : je plaide pour l'instauration de quotas de production pour les pays européens. Dans la mesure où l'on réduit d'un côté les quotas de pêche, il serait judicieux de produire davantage grâce à l'aquaculture pour compenser.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Je ne sais pas ce qu'en pense votre collègue Barbara Pompili...

M. Laurent Somon . - Certaines incompréhensions viennent des annonces de fermeté que vous aviez formulées : il était question de revenir sur les accords du Touquet, de limiter l'approvisionnement en énergie de Jersey, d'empêcher la flotte de pêche britannique d'entrer dans les ports français, etc.

Quelles sont les conséquences du Brexit sur la filière du mareyage ? Les contrôles douaniers perturbent le débarquement dans certains ports et obligent à aller plus loin : certains ne pouvant plus débarquer à Granville doivent aller à Saint-Malo.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre stratégie à long terme pour la pêche ? La France possède le deuxième domaine maritime mondial et dispose d'entreprises de transformation développées. Est-il envisageable de renoncer à la pêche ?

La France dit qu'elle défend ses pêcheurs, mais j'ai l'impression qu'elle est à la remorque tandis que Boris Jonhson, lui, agit et obtient satisfaction. Il annonce aussi une révision de la réglementation concernant le maillage des filets. Allons-nous réagir ?

Mme Annick Girardin, ministre . - Le Royaume-Uni a souhaité reprendre sa souveraineté. Nous devrons nous y habituer. Il est possible également que le Royaume-Uni annonce l'installation d'éoliennes dans des zones de pêche. Il n'en demeure pas moins que le Royaume-Uni est notre voisin, et qu'après une phase de tension, il faudra bien que nous retrouvions des relations de bon voisinage.

Nous avions suspendu la mise en oeuvre des mesures de contrôles renforcés, que nous avions annoncées, après l'annonce par le gouvernement britannique de sa volonté de reprendre le dialogue. La pêche relève de la compétence de l'Union européenne. C'est donc à la Commission qu'il convient d'agir en premier lieu. Nous cherchons à impulser son action, même si nous pouvons très bien renforcer certains contrôles, ou les exercer avec plus de zèle... Nous avons aussi été attentifs à ce que des mesures de contrôles renforcés ne pénalisent pas notre filière de mareyage.

Nous sommes tous préoccupés par les annonces britanniques concernant les mesures techniques. Le Royaume-Uni nous a montré qu'il pouvait les instaurer de manière unilatérale, alors que l'accord de Brexit prévoit un préavis « raisonnable » et une concertation. La difficulté consiste à apprécier le caractère « raisonnable » des mesures si nous ne sommes pas informés...

M. Alain Cadec , vice-président de la commission des affaires européennes . - Sophie Primas a évoqué l'après-2026. Je déplore que le secteur subisse alors des négociations annuelles. Il faudrait prévoir un cadre pluriannuel. Les pêcheurs manquent de visibilité.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Ne serait-il pas possible pour la France et les pays touchés par le Brexit, de négocier, en compensation du non-octroi des licences, sous le contrôle des scientifiques et de façon temporaire, l'obtention de quotas de pêches supplémentaires dans les eaux européennes ?

Mme Annick Girardin, ministre . - On peut toujours essayer, mais les négociations seront compliquées... Les quotas sont définis chaque année. Peu de professions, en effet, dépendent d'accords renégociés tous les ans. Or lorsqu'un pêcheur achète un bateau, il s'engage sur des années. Un cadre pluriannuel serait souhaitable, quitte à prévoir des possibilités d'ajustement en cas de problème. La pêche est un secteur sous tension, sans compter les effets de la planification de l'espace maritime et l'irruption de nouvelles activités en mer. Nous devons donc revoir l'ensemble du système, aux niveaux français et européen.

Je suis ouverte à l'idée consistant à étudier la possibilité d'échange de quotas pour aider ceux qui ont été victimes d'aléas. Toutefois, si les pêcheurs européens sont soudés lorsqu'il s'agit de mesures visant des pays extra-européens, la solidarité est plus limitée au sein de l'Union européenne ! Les pêcheurs, il faut le dire, subissent à peu près les mêmes contraintes partout, qu'elles soient directement liées au Brexit ou non. Je ne parle pas non plus de la concurrence de la pêche industrielle pour la pêche artisanale. Il y a des difficultés partout. Enfin, je vois mal comment nous pourrions envoyer de petits bateaux de moins de 12 mètres pêcher dans l'océan Indien...

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Nous vous remercions pour vos réponses.

M. Alain Cadec , vice-président de la commission des affaires européennes . - Je tiens, avant de conclure, à saluer l'excellent travail de la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture.

Examen en commission
(Mercredi 15 décembre 2021)

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Lorsque nous avons auditionné la ministre de la mer Annick Girardin, jeudi 9 décembre dernier, nous avons évoqué une actualité très dense, avec la date butoir du 10 décembre 2021. Cette date correspondait, tout d'abord, à l'expiration du délai accordé par la Commission européenne aux autorités britanniques pour l'octroi des licences de pêche, mais aussi pour les négociations relatives aux totaux admissibles de capture (TAC) dans les eaux britanniques, qui devaient être arrêtés le même jour. S'y ajoutait le premier tour des négociations pour les TAC dans les eaux de l'Union européenne (UE), à intervenir lors du Conseil pêche des 12 et 13 décembre 2021.

Ces échéances passées, le résultat obtenu apparaît décevant : le Premier ministre britannique Boris Johnson a affirmé ne pas se sentir tenu par les « ultimatums » de la France et de l'Union européenne (UE), et sur 104 licences encore demandées, il n'en a finalement accordé, le lendemain, que 30. On ne peut pas vraiment dire que la France ait été entendue... Les TAC dans les eaux britanniques n'ont pas été décidés à temps, et, faute de mieux, on appliquera une clé de répartition au prorata pour les trois premiers mois de 2022. Avouez qu'il peut être difficile de se projeter pour un pêcheur opérant dans les eaux britanniques !

Les TAC dans les eaux européennes ont été annoncés hier matin, mardi 14 décembre 2021, et, comme nous le craignions, ils ne tiennent pas compte du contexte exceptionnel lié, coup sur coup, à la Covid-19 et au Brexit. Ces TAC ne permettent pas un report, même temporaire, sur nos eaux, de la quotité de pêche rendue impossible dans les eaux britanniques.

À l'aune de ces derniers rebondissements, on peut dire que nous ne nous sommes pas trompés, en demandant à notre collègue Alain Cadec de préparer un rapport, en tant que président de la section « Pêche et produits de la mer », pour les deux commissions des affaires économiques et des affaires européennes du Sénat.

À titre personnel, j'observe avec inquiétude que l'on semble prêt à diminuer nos capacités productives alors que les standards environnementaux de l'UE sont parmi les plus ambitieux au monde, tandis que, dans le même temps, des bateaux-usines chinois ou russes sillonnent les mers. Je suis également sidérée que personne, hormis peut-être dans ces murs, ne mentionne le drame qui se dessine pour l'après-juin 2026, si nous l'abordons dans le même état d'impréparation que 2021, avec la perspective de renégociations annuelles des quotas.

Je laisse désormais la parole à Jean-François Rapin, et je suis impatiente d'entendre Alain Cadec nous présenter ses constats et ses propositions.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - Je me réjouis que nos deux commissions se réunissent aujourd'hui pour traiter de la situation des pêcheurs à la suite du Brexit. Derrière ce sujet, ce sont des professionnels qui perdent patience, et, plus grave, qui perdent espoir pour l'avenir de leur métier. Sont en jeu une filière, mais aussi des familles et des territoires.

La commission des affaires européennes y prête attention depuis l'origine : dès la signature de l'Accord de retrait du Royaume-Uni en octobre 2019, elle a travaillé à élaborer une proposition de résolution européenne pour peser sur le mandat de négociation, en vue du nouveau partenariat à construire avec les Britanniques. Cette résolution plaidait pour que le sujet de la pêche ne soit pas dissocié du reste de l'accord, dans l'intérêt même de nos pêcheurs : ce fut la ligne de conduite tenue jusqu'au bout par le négociateur Michel Barnier et cela a évité un « no deal » qui aurait signifié la fin pure et simple de l'accès aux eaux britanniques.

Mais la mise en oeuvre de l'Accord de commerce et de coopération finalement conclu entre les deux parties le 24 décembre 2020 est rendue très difficile par l'enjeu de politique intérieure que cela représente pour le Royaume-Uni. Nous avons entendu hier Catherine Colonna, notre ambassadrice à Londres, dans le cadre du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, et elle nous a confirmé que, sur ce sujet de la pêche où nos intérêts sont pourtant liés - les eaux britanniques étant poissonneuses mais les consommateurs étant surtout français -, et où nous aurions pu espérer des compromis, l'isolationnisme britannique, et même l'exceptionnalisme britannique pour reprendre ses mots, donne une charge politique excessive au dossier de la pêche et complique son issue.

Notre conviction nous conduit à penser que nous avons tout intérêt à européaniser le sujet pour éviter le face-à-face avec le Royaume-Uni et utiliser à notre avantage le poids des vingt-sept États membres, tant qu'ils restent unis. C'est pourquoi notre commission a auditionné cette année, non seulement les ministres concernés et le Comité national des pêches et des élevages marins, mais aussi le commissaire européen Virginijus Sinkevièius, de même que plusieurs des députés au Parlement européen. Et je me félicite qu'Alain Cadec, qui a présidé la commission pêche du Parlement européen, soit aujourd'hui celui qui préside le groupe d'études « Pêche et produits de la mer » au Sénat et consacre un rapport à cette question. Nous l'écouterons avec attention.

M. Alain Cadec , rapporteur . - Je suis très heureux de vous présenter les principales orientations du rapport que vous avez bien voulu me confier sur les pêcheurs français face au Brexit.

Nous avons dû agir dans un temps limité, avec la difficulté d'un sujet « chaud », d'une actualité en mouvement. Dans ce rapport, je traite bien sûr de la question des licences de pêche non octroyées par les Britanniques, je reviens sur ses causes et en analyse les conséquences. À ce sujet, le message politique que je voudrais faire passer est très clair et très simple : il ne faut pas laisser les Britanniques faire des pêcheurs français les « victimes collatérales » ni les « variables d'ajustement » du Brexit.

Mais j'ai également pensé, et c'est, je crois, l'une des caractéristiques de cette Haute Assemblée, qu'il était opportun d'essayer de voir plus loin ou plutôt d'essayer de discerner, en-dessous de l'écume, les lames de fond, c'est-à-dire de percevoir les évolutions structurelles, au-delà de la seule conjoncture.

L'Accord de commerce et de coopération du 24 décembre 2020 entre les deux parties, en particulier son volet pêche, a été perçu avec soulagement par les pêcheurs français car il s'agissait d'une meilleure issue qu'un « no deal ». Le volet pêche de cet Accord accorde aux pêcheurs de l'UE un sursis de 5 ans et demi, jusqu'à juin 2026, période de transition pendant laquelle l'Union européenne sécurise 75 % de ses quotas de pêche dans les eaux britanniques pour en rendre à terme 25 % aux pêcheurs britanniques, qui en voulaient au départ 60 %.

Cela apparaît certes moins avantageux que la politique commune de la pêche, qui garantissait jusqu'alors un accès à la zone économique exclusive britannique et, en cas de « droits historiques », un accès à la bande côtière britannique (les 6-12 milles). C'est donc une perte, sachant que le quart de la pêche hexagonale est réalisée dans les eaux britanniques. Mais il faut bien comprendre qu'avec un « no deal », il aurait fallu renégocier l'intégralité de nos quotas. À cet égard, nous disposons d'un répit de cinq ans et demi. Ce n'est pas pour rien que les premiers mécontents de l'accord étaient les pêcheurs britanniques, s'estimant trahis, eux qui ont voté à 90 % pour le Brexit.

Ce compromis est à mettre au crédit du négociateur en chef de l'Union européenne, Michel Barnier : il a réussi à lier les négociations sur la pêche, laquelle pèse 1 % du PIB de l'UE, avec l'ensemble des négociations commerciales et douanières, dont le poids économique est très supérieur. C'était d'ailleurs la demande de la commission de la pêche du Parlement européen, que j'avais l'honneur de présider.

Il convient de souligner la situation juridique particulière des îles anglo-normandes. Il y a eu une volonté délibérée, notamment de Jersey, de remettre en cause le compromis trouvé avec les accords dits de la baie de Granville du 4 juillet 2000, qui délimitaient les eaux anglo-normandes et les droits de pêche autour de deux principes qui me semblent incontournables : des relations de bon voisinage, et la nécessité d'un régime particulier compte tenu de la proximité géographique.

Ces principes avaient permis de dégager un consensus en associant professionnels, scientifiques et administrations au sein d'un comité de gestion et de suivi. Les îles anglo-normandes, « dépendances de la couronne britannique », jouissant d'une grande autonomie, elles n'étaient à ce titre pas couvertes par le droit de l'UE et n'ont d'ailleurs même pas pris part au vote qui a conduit au Brexit. Pourtant, par opportunisme, elles ont demandé à être couvertes par l'Accord de commerce et de coopération, qui annule et remplace toute disposition antérieure en matière de pêche - c'est l'article 19 de la rubrique pêche. Depuis lors, Jersey, notamment, s'est montrée beaucoup moins conciliante que Guernesey.

Côté bilan de l'application de l'Accord, le compte n'y est pas. Nul ne doutait, dès sa conclusion, que l'application en serait difficile, mais pas à ce point ! Si on met de côté les 734 licences de pêche attribuées dès janvier 2021 pour la zone économique exclusive (ZEE), pour se concentrer sur les 6-12 milles de la Grande-Bretagne et les eaux anglo-normandes : 300 licences définitives ont été accordées sur 374 demandées, soit un taux de refus significatif de 20 %.

Or, ce sont quasi exclusivement les petits navires français de pêche côtière qui se sont vu refuser des licences, les « moins de 12 mètres ». C'est non seulement injuste, mais c'est tout notre modèle de pêche artisanal, de proximité, et les arrière-pays, qui sont bouleversés.

J'en viens à mon analyse de l'impasse actuelle des négociations. Ce sont bien sûr les Anglais qui ont « tiré les premiers », en interprétant le traité à leur manière.

L'échec provient tout d'abord de la mauvaise foi britannique autour des définitions des « antériorités de pêche » et des « navires de remplacement » : les Britanniques ne se sont pas en l'espèce contentés de préciser l'Accord, ils l'ont modifié substantiellement en l'interprétant. Leur démarche est donc bien illégale au regard dudit Accord et du principe pacta sunt servanda , pierre angulaire du droit international. Les exigences rétroactives de Londres s'inscrivent dans une stratégie de tracasserie administrative délibérée.

Les négociations sont aussi pour ainsi dire « restées à quai », parce que la Commission européenne n'a pas été assez vigilante. Elle était pourtant la seule partie à l'accord avec les Britanniques et donc la garante de sa bonne application. Or, elle n'a réagi que tardivement, à l'automne 2021.

Je vois trois explications à cela. D'abord, le sujet apparaît très franco-britannique et il n'a pas suscité de réflexe de solidarité parmi les autres États membres, pour qui il s'agit d'un conflit sans grande portée économique, et de surcroît largement résolu, vu de Bruxelles. L'échelon européen pouvait ne pas paraître le bon, mais le cadre fixé par l'Accord nous y contraignait. Le circuit de communication entre pêcheurs français et administration britannique est beaucoup trop complexe : les comités départementaux ou régionaux des pêches aident les pêcheurs à compiler les éléments de preuve, ensuite examinés par la direction des pêches à Paris (DPMA), réexaminés par la DG MARE au sein de la Commission de Bruxelles, transmis à Londres qui, le cas échéant, les fait parvenir à Saint-Hélier ou Saint-Pierre-Port. Alors que Jersey est à 25 km des côtes françaises... La Commission européenne a admis procéder avec les États membres à un filtrage des demandes, certes au nom de la crédibilité des dossiers, mais n'y a-t-il pas eu un excès de zèle de nos autorités ?

Ensuite, la France a incontestablement perdu de son influence à Bruxelles et ce malgré ses alliés potentiels, les États « amis de la pêche », et le soutien unanime de la commission de la pêche du Parlement européen, qui a voté à l'unanimité une résolution pour soutenir la France dans ce dossier. Les pouvoirs publics français n'ont pas su agir assez rapidement pour faire endosser des « mesures correctives » par la Commission européenne, seule habilitée à les prendre. Par ailleurs, il ne faut pas trop espérer de la présidence française du Conseil de l'UE ; je pense que la France aurait dû renoncer à cette présidence et passer la main à la Suède, pour prendre le tour d'après, car son temps utile ne sera que de deux mois en raison de l'élection présidentielle.

Enfin, le commissaire européen à l'Environnement et à la Pêche a peut-être vu dans cet épisode l'occasion de réduire nos capacités de pêche, ce qu'il demande depuis des années au nom de la conservation des ressources halieutiques. Or, comme l'a rappelé la présidente Sophie Primas, l'espace maritime de l'Union européenne est le plus contrôlé au monde et préserve le mieux la biomasse.

J'aurai bien sûr un mot pour notre Gouvernement et notre Président, dont la stratégie a été contradictoire. Pas entendue à Bruxelles, la France est tombée dans le piège d'un affrontement bilatéral alors que l'accord est euro-britannique, pas franco-britannique. Les autorités françaises se sont lancées dans une surenchère d'annonces de mesures de « rétorsion » irréalistes, et sans doute contraires au droit international comme aux règles européennes : coupures d'électricité, contrôles douaniers systématiques... Les Anglais ont eu beau jeu de qualifier la réaction française de « disproportionnée ». « En même temps », ces mesures n'ont jamais été appliquées, les ministres ayant été désavoués par le Président de la République au G20 de Rome, qui a proposé une désescalade à Boris Johnson, ce qui a nui à la cohérence de la parole de la France.

Cerise sur le gâteau, la ministre de la mer a rappelé publiquement que le Gouvernement envisageait un plan de sortie de flotte (PSF) pour les navires n'ayant pas obtenu de licences. En pleine négociation, cela a donné le signal d'un renoncement. Ce sont des dizaines de bateaux que l'on envisage de détruire, ainsi que les droits de pêche qui y sont associés. Est-ce cela, l'avenir que l'on promet à nos jeunes dans les lycées professionnels maritimes ? La ministre, dans le même discours, annonce un renforcement de la formation des jeunes marins... Par ailleurs, comment voulez-vous dans ces conditions que Bruxelles négocie ?

Je souhaite également insister sur la nécessité d'anticiper les échéances des prochaines années, notamment l'après-2026, pour maintenir nos capacités de production.

Il faut avoir à l'esprit que l'affaire des licences ne représente que le début d'un long chemin de croix pour accéder aux eaux britanniques, à cause de trois écueils. En effet et tout d'abord, si les parts respectives du « gâteau » sont définies par l'Accord, la taille de ce gâteau doit être décidée chaque année, normalement avant le 10 décembre. En ciblant les baisses de totaux admissibles de capture (TAC) sur les espèces pour lesquelles ils ont une part réduite, les Britanniques peuvent instrumentaliser ces TAC pour gêner les Européens. Ensuite, les Britanniques peuvent prendre ce qu'on appelle des « mesures techniques », par exemple sur le maillage des filets ou sur les dates de pêche, qui peuvent constituer des barrières à l'entrée si elles ne sont pas prises en fonction de considérations strictement scientifiques, comme le prévoit normalement l'Accord. Les autorités britanniques ont d'ores et déjà annoncé de telles mesures, qui entreront en vigueur le 1 er janvier 2022. Enfin, ces dernières pourront, après juin 2026, renégocier annuellement les quotas. Ce sera une épée de Damoclès, source d'insécurité juridique permanente pour les marins, si nous ne l'anticipons pas.

Ainsi, en deux ans, nos pêcheurs ont subi une triple peine : la Covid-19, le Brexit, et la baisse des TAC. Nous aurions besoin de la bienveillance des autorités européennes, pour reporter sur nos eaux les autorisations de pêche perdues dans les eaux britanniques. D'une façon générale, 15 % des ressources halieutiques étaient bien gérées en 2000, nous en sommes aujourd'hui à 60 %, c'est dire les efforts qui ont été fournis ! Je ne demande pas d'augmenter nos capacités de pêche, car elles sont à un bon étiage, mais de les maintenir, en autorisant un report.

La France est un grand pays maritime, mais nous importons les deux tiers du poisson que nous mangeons. Sortir d'une logique productive en Europe se traduirait par la perspective d'un déficit commercial accru en matière de produits de la mer : voilà ce que je désigne sous les termes de « durabilité dans un seul pays ». Rappelons que l'UE pêche 3 % du poisson mondial, contre 40 % pour la Chine. C'est aussi pour cela qu'il faut contester le PSF, notre souveraineté alimentaire est en jeu !

Enfin, je souhaite vous livrer quelques recommandations, quelques pistes que je soumets à votre sagacité. J'identifie, à cet effet, trois catégories de mesures, à court, moyen et long terme.

À court terme, on ne doit pas accepter le fait accompli britannique sur les licences. L'UE est fondée, autant que le Royaume-Uni, à décider des mesures d'application de l'Accord. Concrètement, nous devons obtenir des autorisations temporaires pour nos pêcheurs qui se trouvent encore en attente du traitement de leurs dossiers, de même que la transparence des Britanniques sur leurs méthodes d'instruction, ainsi qu'une indulgence de leur part, pour ceux de nos bateaux qui étaient par exemple en travaux et qui ont atteint le nombre de jours requis en moyenne, mais pas année par année.

En contrepartie, la France et l'UE doivent se montrer irréprochables quant à la démonstration des antériorités de pêche, en exploitant mieux toutes les données qu'elles ont à disposition et en transmettant toutes les demandes, sans autocensure.

Il faut en parallèle fluidifier les échanges avec les Britanniques en mobilisant l'Europe et les régions. Nous devons réaffirmer, tout d'abord, le mandat clair de la Commission européenne en matière d'obtention des licences, mais demander parallèlement une habilitation de l'Union pour négocier de façon bilatérale avec le Royaume-Uni des « accords de Granville II », puisqu'il s'agit d'une politique exclusive. Plus largement, un dialogue régulier doit être institué entre nos régions, les îles anglo-normandes et les autorités britanniques, pour prévenir les différends en amont.

Enfin, si les Britanniques persistent dans leur attitude non coopérative, il ne faut pas exclure des mesures correctives, dans le respect de la légalité internationale. La France doit peser de tout son poids au sein de l'UE pour que cette dernière prenne de telles dispositions. Mais notre pays ne peut en aucun cas s'y substituer. Par gradation, trois types de mesures sont prévus par l'Accord de commerce et de coopération. Il s'agirait, tout d'abord, de suspendre l'accès à nos eaux et le traitement tarifaire préférentiel pour les navires et les produits de la pêche britanniques. Cette option a le mérite d'appuyer sur la dépendance britannique à l'égard des consommateurs européens, puisque plus de la moitié du poisson débarqué par les Britanniques est destiné à ce marché. Mais il faut dans ce cas aider les mareyeurs, qui ne doivent pas être des victimes collatérales de notre diplomatie. Attention aussi à ce que ces mesures soient appliquées dans tous les États membres de l'UE, sinon le traitement du poisson britannique se déporterait sur les ports belges ou néerlandais.

Ensuite, nous pourrions suspendre l'exonération de droits de douane accordée à d'autres marchandises que les produits de pêche : c'est l'option des mesures croisées, qui devrait être recherchée en priorité, mais cela implique de mobiliser les autres États membres de l'Union européenne.

Enfin, il y aurait la possibilité de remettre en cause plus globalement l'application de l'Accord de commerce et de coopération, voire de le dénoncer. Cette option est envisageable s'agissant du volet pêche pour les îles anglo-normandes, mais pas pour le Royaume-Uni, car pour ce dernier une clause lie la rubrique pêche à la rubrique commerce : les répercussions économiques seraient énormes.

Outre les rétorsions directes, on peut également proposer d'ajouter Jersey et Guernesey à la liste de l'UE des territoires non coopératifs en matière fiscale. Ce sont deux paradis fiscaux, c'est un argument.

À moyen terme, il faut anticiper le grand saut dans l'inconnu de l'après 2026 mieux que les problèmes de l'année 2021 ne l'ont été. Les négociations avec les Britanniques seront difficiles. Il faudra s'accorder au niveau européen pour imposer à la partie adverse la pluri-annualité des quotas : on ne peut accepter l'annualité, qui enlève toute visibilité aux pêcheurs ! Il faudra aussi refuser la commercialisation des licences. Pour ce faire, il faudra lier les négociations après 2026 à celles sur l'accès des Britanniques aux eaux de l'UE.

À long terme, la France doit maintenir ses capacités de pêche. Cela passe par de nouvelles opportunités de pêche afin de limiter notre dépendance aux importations, en obtenant de la Commission un report de l'effort de pêche dans nos eaux, sous le contrôle des scientifiques, mais aussi en récupérant des quotas britanniques dans les eaux norvégiennes et islandaises. Un autre sujet qui me tient à coeur est celui du mitage des zones de pêche par les parcs éoliens offshore : il faudrait une plus grande association des pêcheurs aux décisions d'implantation et à la gestion de ces parcs.

Je conclurai mon propos en faisant valoir qu'il faut construire un plan de modernisation de notre flotte, pas pour en augmenter le volume mais pour le stabiliser, et certainement pas pour détruire des navires par le biais d'un « plan de sortie de flotte ». En cas de besoin, des arrêts temporaires sont préférables, sur le modèle des « arrêts Brexit » et des « arrêts Covid ».

La Réserve européenne d'ajustement au Brexit doit servir à actualiser et non à détruire notre capacité de pêche. Elle doit contribuer à promouvoir la sécurité des navires, les économies d'énergie et la sélectivité des engins de pêche. Il faudrait également financer un plan de modernisation du secteur du mareyage, pour accompagner ce secteur dans sa transformation écologique, par exemple en matière d'emballages plastiques et de transport... Nous pourrions aussi lancer un plan « pêche et produits de la mer » dans l'objectif de ramener de 65 % à 50 % notre dépendance aux importations d'ici dix ans. Je suggère encore de rechercher une meilleure valorisation et de meilleurs débouchés pour certaines espèces qui se trouvent parfois en abondance (comme le tacaud ou le carrelet) voire en surabondance (comme le poulpe) dans les eaux françaises mais sont boudées par les consommateurs. Je suggère enfin de poursuivre l'amélioration de l'attractivité des métiers de la pêche et de développer l'aquaculture, notamment dans des fermes piscicoles durables, différentes de ce que l'on trouve en Norvège, où il s'agit de fermes industrielles et polluantes.

M. Pierre Louault . - Sait-on combien de demandes de licences sont restées sans réponse ?

M. Alain Cadec , rapporteur . - Il y en a encore 74 et je crois que les Britanniques ont décidé qu'ils n'en accorderaient plus. Le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, M. Clément Beaune, fait valoir que nous sommes au « dernier kilomètre » ; je n'y crois guère !

Mme Anne-Catherine Loisier . - Est-il envisageable de récupérer des zones de pêche, en particulier dans l'Atlantique nord, ou bien est-ce une source de tensions ?

M. Alain Cadec , rapporteur . - Oui, c'est possible, une partie des quotas dans les eaux norvégiennes et islandaises sont partagées avec le Royaume-Uni, on y trouve en particulier beaucoup de cabillaud, ce qui peut intéresser nos pêcheurs - mais il y a effectivement un risque de tensions.

M. Laurent Duplomb . - J'avais alerté nos autorités sur la problématique des licences il y a quelques mois. Mais une fois de plus, le résultat démontre la naïveté du Gouvernement français dans la négociation
- et même sa faculté à nous mentir, puisque, quand le ministre affirme que 93 % des licences demandées ont été accordées, nous savons que c'est faux et vous montrez bien combien il y a d'injustice. Les Britanniques jouent sur les mots, ils ne redonnent pas de licence quand le bateau est remplacé, alors que le pêcheur a investi pour moderniser son outil de travail : voilà comment il s'en trouve remercié ! En plus de cela, hélas, nous constatons l'impuissance de la France en Europe. Ce soir, lors de son intervention télévisée, le Président de la République fera probablement des « effets de manche » en présentant ses ambitions pour la présidence de l'UE, mais l'impuissance de la France sur la pêche augure bien mal de ce qui se passera l'an prochain...

M. Didier Marie . - Nos pêcheurs sont otages de la politique intérieure britannique, et même de l'écart entre les déclarations britanniques et ce qui reste de leurs intérêts, sachant que les débouchés de la pêche anglaise sont surtout chez nous. En réalité, la crispation actuelle nuit à tout le monde. Espérons que les difficultés se résoudront rapidement.

J'en viens à mes interrogations. Est-ce que l'UE anticipe la négociation sur les quotas - et quels sont les rapports de force internes à l'Union européenne sur le sujet ? Ensuite, les Britanniques n'accepteraient-ils pas, à l'avenir, le renouvellement des bateaux, alors que les pêcheurs sont obligés d'investir : quelle est donc la continuité de nos droits de pêche ? Enfin, est-ce le Brexit qui explique l'augmentation actuelle du prix du poisson ?

M. Alain Cadec , rapporteur . - Sur cette dernière question : oui, je crois que c'est bien la crise post-Brexit qui a provoqué l'augmentation des prix à laquelle nous assistons.

Les navires de remplacement sont souvent ceux de jeunes pêcheurs : ce sont donc les jeunes qui vont se trouver sur le carreau, alors que notre ministre parle d'en former davantage, c'est tout à fait contradictoire... L'Accord conclu le 24 décembre 2020 ne définit pas précisément la notion de navire de remplacement : il aurait peut-être fallu le faire avec des critères précis, les Britanniques ont exploité le filon pour limiter nos droits de pêche.

La Commission européenne anticipe le traitement de la question des quotas, mais les Britanniques repoussent la réglementation sur les stocks partagés au second trimestre 2022. D'une façon générale, consentir à une renégociation annuelle serait un drame, car elle intervient tard dans l'année et les pêcheurs n'auraient alors plus aucune visibilité. Voyez comme cela se passe aujourd'hui, par exemple avec les droits de pêche sur la sole dans le Golfe de Gascogne : les chiffres tombent à la fin de l'année, les pêcheurs viennent donc tout juste d'apprendre qu'ils doivent réduire leurs prises d'un tiers, c'est déstabilisant !

Dans la pêche comme ailleurs, c'est chacun pour soi, et nous devons constater que pas un pays européen n'est venu à notre secours dans cette crise, pas plus les Belges, les Hollandais, les Italiens que les Espagnols, pourtant concernés eux aussi : il n'y a pas de solidarité. Il faut bien voir aussi que cette situation est consécutive à la perte d'influence de la France dans l'UE - alors qu'avant, on pouvait faire le poids en cas de crise.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Les TAC sont-ils fixés par zones de pêche ?

M. Alain Cadec , rapporteur . - Oui, par zones de pêche.

M. Bernard Buis . - La France est-elle le seul pays affecté ? Qu'en est-il des pays du nord ?

M. Alain Cadec , rapporteur . - En matière de licences de pêche, notre pays est le plus touché par le Brexit, à hauteur de 70 %, même s'il n'est pas le seul. Pour les autres pays, l'impact porte davantage sur de grands navires. Nous sommes les seuls à être aussi affectés pour de petits bâtiments.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - Quand on dit qu'un quart de la pêche hexagonale s'effectue en eaux britanniques, on raisonne à l'échelle de l'ensemble de la pêche française, mais dans les Hauts-de-France, c'est 60 %, et pour certains pêcheurs, c'est même l'intégralité de leurs prises. Nos voisins britanniques sont allés jusqu'à donner des licences à des pêcheurs qui ne pêchaient pas dans leurs eaux : lorsque ces pêcheurs ont proposé de céder leurs licences à d'autres pêcheurs français, les Britanniques ont refusé... C'est dire où l'on en est dans la gestion du dossier.

Sur l'augmentation du prix du poisson, ensuite. Il y a certes le Brexit, mais il faut aussi prendre en compte la raréfaction de la ressource là où l'on peut pêcher, du fait d'une surpêche ponctuelle - le poisson, se faisant rare, coûte plus cher. C'est aussi une conséquence de la réglementation.

Faut-il abandonner tout PSF ? Attention, certains pêcheurs se sont engagés dans des démarches de ce type avant le Brexit, il ne faudrait pas les remettre en cause.

M. Alain Cadec , rapporteur . - Effectivement, je ne vise dans mon rapport que les PSF liés au Brexit.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - Les conseils maritimes de façade ont appliqué la directive-cadre sur l'eau (DCE) 2000/60/CE, adoptée le 23 octobre 2000, en arbitrant entre les différents usages de l'eau. J'avais indiqué, en son temps, que si le Brexit se passait mal, les pêcheurs en subiraient les conséquences et que d'autres usages de l'eau feraient l'objet de demandes, notamment en matière de développement de l'éolien. Il faut donc reconsidérer les documents de planification, qui n'ont pas pu intégrer les effets du Brexit.

Enfin, alors que notre ambassadrice au Royaume-Uni a semblé indiquer que le conseil de partenariat et de surveillance de l'Accord n'avait pas été activé, il semble que le comité spécialisé dans la pêche ait tenu une réunion cet été : qu'en est-il ?

Pour l'anecdote également, encore que cela donne à réfléchir, il faut bien mesurer que si un PSF intervenait sur des bateaux neufs, ce serait sur des bateaux tout juste subventionnés par l'UE... ce serait un comble !

Cette situation est dramatique mais elle n'est pas perçue comme telle d'une façon générale, parce que ses conséquences sont localisées. Boulogne-sur-Mer constitue pourtant la première plateforme européenne pour le traitement du poisson : c'est un bassin d'emploi considérable, il est directement menacé - ce serait une perte d'âme, de patrimoine européen et cela n'aurait plus aucun sens d'investir comme on le fait actuellement dans un nouveau centre de formation aux métiers de la pêche, si c'était pour voir disparaître tous les bateaux de pêcheurs...

L'Europe a une vision macro-économique, il faut qu'elle apprenne à voir aussi les problèmes selon une perspective davantage « micro ».

M. Alain Cadec , rapporteur . - J'abonde dans votre sens.

Les PSF que je propose d'interdire concernent seulement les licences dans les eaux britanniques. Il faut cependant se méfier de l'effet d'aubaine des PSF : des pêcheurs en fin de carrière peuvent être tentés de laisser détruire leur bateau contre une forte somme, c'est alors une destruction de nos droits de pêche - je l'ai dit à la ministre.

Un emploi à bord, c'est quatre emplois à terre, des bassins d'emploi et des familles sont concernés. Des ports sans bateaux, ce ne sont plus des ports. On l'a vu à Lesconil, par exemple, où plus un seul bateau n'est à quai, c'est un drame pour la ville y compris pour le tourisme - et il faut voir aussi que les pêcheurs sont à bout.

M. Franck Montaugé . - La question est complexe et douloureuse, mais réfléchit-on à des plans de reconversion ?

M. Alain Cadec , rapporteur . - Non, parce qu'on attend toujours la réponse des Britanniques. Et reconvertir un marin pêcheur de 45 ans, il faut être réaliste, c'est très difficile.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - Pour faire partie d'un comité de renouvellement de la flotte, où participent les banques et les services de l'État, je peux vous confirmer que l'annualité des quotas ruinerait toute possibilité d'établir des programmes d'investissement pour les pêcheurs.

M. Franck Montaugé . - L'État ne doit-il pas prendre ses responsabilités en appliquant aux bateaux sans licence la notion d'actifs échoués ? Cela existe pour les équipements énergétiques qu'on débranche avant le terme de leur durée de vie théorique : on prend alors en compte la partie des investissements qui n'est pas amortie.

M. Laurent Duplomb . - Dans notre pays, on marche à l'envers. Des plans de reconversion pourraient pousser les pêcheurs à élever des poissons, dans des fermes aquacoles comme il en existe dans d'autres pays. Mais nous sommes stupides au point de racheter aux Espagnols et aux Maltais des thons de Méditerranée que nous avons pêchés mais que, par dogmatisme environnemental, nous refusons d'engraisser et qu'on demande à nos voisins d'engraisser... Quand on est importateur net, il faut trouver des solutions !

M. Daniel Salmon . - Quand beaucoup prônent le retour à l'État-nation, cet épisode nous rappelle combien il peut y avoir de conflictualité entre les États, et quelle est l'utilité de l'UE. Nous reprochons aux Anglais de nous fermer leurs zones de pêche, mais s'ils venaient pêcher chez nous, quelles seraient nos réactions ? Sur l'éolien en mer, ensuite, les Anglais parviennent à atteindre une capacité de 20 gigawatts, sans dommage pour le poisson puisque nous demandons de continuer à accéder à leurs eaux. Enfin, la prudence ne dictait-elle pas, étant donné les difficultés du Brexit, de reporter le renouvellement des navires de pêche ?

M. Jean-Michel Arnaud . - Que va-t-on opposer aux Britanniques, s'ils ne cèdent pas ? Quelle est l'étape suivante ? Soit on abandonne, en laissant la partie adverse gagner, soit nous adoptons une stratégie de rétorsion. On peut critiquer le Gouvernement, mais que ferions-nous à sa place en termes de rétorsion ?

M. Franck Montaugé . - Dans le Gers, il y a une ferme aquacole qui mêle élevage de poisson et culture de végétal, c'est très intéressant mais ce type d'activité n'est pas intégré dans la politique agricole commune.

M. Alain Cadec , rapporteur . - Le parc éolien est important au Royaume-Uni, mais il ne se situe pas dans des zones de pêche. Leurs éoliennes sont implantées surtout en Écosse, côté mer du Nord - alors que la baie de Saint-Brieuc est une zone de pêche, où l'implantation d'éoliennes n'est guère adaptée. Quant au renouvellement des navires, il se fait naturellement, quand le bateau commence à poser des problèmes de sécurité ou de motorisation - et le renouvellement est alors synonyme de continuité de l'activité.

Nous sommes dépendants des importations, mais nous n'avons pas de recette miracle, nos compatriotes consomment beaucoup de poissons d'élevage importés d'Asie, et, malheureusement, de saumons d'élevages industriels, c'est tout cela qu'il faut prendre en compte et faire savoir.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Merci, je vous propose d'autoriser la publication du rapport.

La commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes autorisent la publication du rapport.

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