C. LA FAIBLE IMPLICATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE, SYMPTÔME DE LA PERTE D'INFLUENCE FRANÇAISE AU SEIN DE L'UNION

1. La faible implication de la Commission européenne

Selon le rapporteur, les garanties obtenues dans l'Accord de commerce et de coopération pour les pêcheurs européens et notamment français auraient mérité un suivi plus attentif de la Commission européenne . Le CNPMEM avait en effet alerté dès janvier 2021 sur le risque d'interprétation abusive de l'accord par la partie britannique.

L'accord de commerce et de coopération est l'un des moins mauvais qu'il était possible de trouver pour la pêche et, à ce titre, il aurait mérité un suivi plus attentif, mais son application a été traitée à la légère par l'Union européenne, au moins jusqu'à l'automne 2021. Il était normal qu'un accord fixant le cadre des relations euro-britanniques dans un aussi grand nombre de domaines, comptant déjà plus de 1 200 pages, ne prévoie pas les définitions précises des notions d'« antériorité » ou de « navire de remplacement », qui relèvent des mesures d'application. Il est en revanche anormal que la Commission laisse le Royaume-Uni décider seul de ces mesures d'application alors qu'elles auraient dû faire l'objet de négociations entre les deux parties au traité .

L'Union européenne était la garante de la bonne application de l'accord post-Brexit et il est clair, juridiquement, qu'elle seule est habilitée à prendre des mesures correctives, activer le mécanisme de résolution des litiges ou même dénoncer l'accord.

Même si sa nature - mixte ou non 15 ( * ) - reste incertaine, son caractère inédit et les délais exceptionnellement contraints de sa négociation par la Commission ont conduit à ce qu'il soit conclu par le Conseil après approbation du Parlement européen, mais pas ratifié par les États membres, avant d'entrer en vigueur.

Institué par l'article 508 de l'accord de commerce et de coopération, le Comité spécialisé de la pêche est l'enceinte censée permettre le dialogue et suivre la nouvelle relation euro-britannique en matière de pêche. Il est regrettable que ce Comité n'ait été constitué qu'à partir de juin 2021 et ne se soit réuni pour la première fois que le 20 juillet 2021 alors qu'il émet un avis sur l'octroi de licences, la fixation des TAC et quotas et les mesures techniques, et dispose même d'un pouvoir décisionnel dans d'autres domaines, tels que les mesures de gestion.

Le commissaire à l'Environnement, à l'Océan et à la Pêche, Virginijus Sinkevièius a été aux abonnés absents tout au long de la crise, ne cherchant pas à peser de tout son poids au sein du collège des commissaires. Seul membre du collège des commissaires issu d'un parti écologiste, il ne s'est que très peu exprimé publiquement pour défendre les droits des pêcheurs européens. Selon certains observateurs, la perspective d'un nouveau plan de sortie de flotte initié par la France aurait en effet plutôt été perçue positivement par le commissaire, qui semble avoir d'autres priorités que la souveraineté alimentaire.

La tardive prise de conscience de la « bulle bruxelloise » est d'autant plus difficile à expliquer que, selon l'article 3(1)(d) du traité sur le fonctionnement de l'UE 16 ( * ) , « la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche » est l'une des quatre seules politiques relevant de la compétence exclusive de l'Union. Même si l'attribution de licences pour les eaux britanniques concernait des navires français pour 60 à 70 %, la logique institutionnelle aurait voulu que la Commission européenne soit davantage pro-active et cherche à éviter tout risque de démantèlement de l'une des rares politiques intégrées.

Au-delà de la pêche, le risque est que la passivité de la Commission porte en germe une fragilisation de la construction européenne dans son ensemble. La question des licences avait en effet valeur de test et il est à craindre désormais que le Royaume-Uni exploite le moindre recul ou la moindre ambiguïté, en premier lieu sur la question très sensible de la frontière nord-irlandaise . En définitive, c'est la crédibilité de la « Commission géopolitique » appelée de ses voeux par sa présidente Ursula von der Leyen lors de son entrée en fonction qui pourrait être remise en question. Pis, certains pays d'Europe centrale et orientale pourraient être tentés de pousser au bout la logique britannique du « have its cake and eat it 17 ( * ) » au sein de l'Union voire de suivre l'exemple du Royaume-Uni vers une sortie de l'Union.

2. Symptôme de la perte d'influence française au sein de l'Union

Selon le rapporteur, la faible implication de l'Union européenne dans la défense de la filière pêche est à mettre en grande partie sur le compte de la perte d'influence française au sein de l'Union européenne .

Comme le laisse encore transparaître un courrier du 5 octobre 2021 du Premier ministre à la présidente de la Commission européenne, appelant celle-ci à faire preuve de plus de fermeté dans les négociations, le Gouvernement a dans un premier temps semblé davantage soucieux de démontrer le coût d'une sortie de l'UE, que de construire une relation gagnant-gagnant, fruit du dialogue.

Lorsque le Gouvernement s'est, tardivement, rendu compte qu'il n'avait pas su activer efficacement ses relais d'influence et peser de tout son poids auprès de la Commission en temps utile, il a changé de stratégie et s'est défaussé sur la Commission européenne, jugée responsable de la situation. Les conseillers agricoles des ambassades européennes à Paris avaient déjà mentionné aux commissions des affaires européennes et des affaires économiques du Sénat, un tel schéma de « mobilisation à retardement » lors des négociations sur la nouvelle politique agricole commune.

Chronologie des demandes de la France à la Commission européenne

Le 6 septembre 2021, le Premier ministre Jean Castex a adressé un premier courrier à la présidente de la Commission européenne sur la nécessité d'une volonté politique et évoquant une solution qui « doit être recherchée à l'extérieur du volet pêche ».

Le 22 septembre 2021 , le secrétaire d'État chargé des affaires européennes Clément Beaune déclare dans Politico après un échange avec David Frost : « C'est un problème de l'UE, cela devrait être traité comme un problème de l'UE et la France demande à ce que cela le soit. [...] Nous demanderons à la Commission d'être plus active, plus ferme et plus catégorique dans cette discussion. »

Le 5 octobre 2021 , le Premier ministre Jean Castex a fait parvenir un nouveau courrier à la présidente de la Commission européenne lui demandant de prendre des sanctions vis-à-vis du Royaume-Uni.

La France dispose pourtant théoriquement d'alliés naturels parmi les États membres, au sein du club des « amis de la pêche », qu'elle ne semble pas avoir su mobiliser à leur pleine mesure , malgré des signes de solidarité :

- réagissant aux refus d'octroi de licences par le Royaume-Uni le 28 septembre, onze pays 18 ( * ) ont publié une déclaration relative à la bonne application du chapitre pêche de l'Accord de commerce et de coopération 19 ( * ) , le jour de la réunion des ministres européens chargés de la pêche ;

- le député européen François-Xavier Bellamy a souligné le soutien unanime à la France des autres États pêcheurs au sein de la commission Pêche du Parlement européen.

Le rapporteur souhaite enfin tempérer les attentes excessives que certains semblent placer dans la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022 . Il faut d'abord rappeler qu'elle sera écourtée par l'imminence de l'élection présidentielle française, ne laissant que deux mois environ de « temps utile ». Il ne faut pas négliger en outre que la présidence tournante du Conseil mobilise beaucoup d'énergie en coordination avec les autres États membres et la Commission et qu'elle reste tributaire d'une actualité par nature imprévisible.


* 15 La Cour de justice de l'Union européenne considère que ces accords, qui relèvent des compétences partagées entre l'Union et les États membres, mais « ne relèvent pas de la compétence exclusive de l'Union, ne [peuvent pas être conclus] sans la participation des États membres ». L'accord de commerce et de coopération traite essentiellement de questions commerciales et douanières, qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne, mais ne se cantonne pas à ces domaines.

* 16 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12012E/TXT:fr:PDF

* 17 « Avoir le beurre et l'argent du beurre ».

* 18 Allemagne, Belgique, Chypre, Espagne, France, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Suède.

* 19 https://ue.delegfrance.org/licences-de-peche-declaration

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