B. SAVOIR DÉTECTER RAPIDEMENT UNE SITUATION DE HARCÈLEMENT

Il est important d'agir dès le départ pour éviter l'enkystement de la situation de harcèlement. En effet, ses chances de résolution diminuent à mesure qu'elle s'installe. Ainsi, la méthode de la préoccupation partagée n'est efficace qu'en cas de prise en charge suffisamment précoce du problème . Par conséquent, la communauté éducative doit pouvoir identifier facilement et rapidement les cas de harcèlement.

Pour cela, deux axes doivent être conjugués : la formation de cette communauté éducative à une meilleure détection et un meilleur repérage, ainsi que la libération de la parole des élèves harcelés et des témoins.

1. Former à détecter

Les organisations syndicales auditionnées par votre mission d'information ont toutes déploré le manque de formation, non seulement des enseignants, mais de l'ensemble des membres de la communauté éducative, à la détection et au repérage des situations de harcèlement. En cela, ils ont rejoint la grande majorité des enseignants interrogés dans le cadre du sondage IFOP déjà cité sur l'ampleur du harcèlement en milieu scolaire, qui indiquent se sentir insuffisamment « armés » face au harcèlement.

a) La nécessaire formation des enseignants à la détection précoce

Votre mission d'information a été alertée par plusieurs syndicats de l'éducation nationale - par exemple par Sylvie Amici, présidente de l'APsyEN 195 ( * ) -, sur l'absorption des moyens de formations initiales et continue des enseignants pour « acompagner des réformes récentes qui se cumulent à échéance très courtes ». Votre mission d'information alerte sur le fait que la mise en oeuvre de ces réformes ne doit pas conduire à reléguer les questions transversales, comme la prévention du harcèlement scolaire, au second plan. La formation sur ces sujets reste, en effet, indispensable.

Ainsi, la formation initiale des enseignants au repérage des situations de harcèlement doit être renforcée . Pour ce faire, il convient de s'appuyer sur la formation aux violences scolaires, en général, et au harcèlement en particulier, généralisée depuis la rentrée 2020 au sein des Inspé. Un module de plusieurs heures sur le sujet, intégré dans le tronc commun de formation, pourrait être introduit.

Recommandation : 20. Intégrer dès la formation initiale des enseignants (Inspé), la formation à l'empathie et à la bienveillance ainsi qu'au repérage des situations de harcèlement.

Leur formation continue doit être également encouragée . En ce qui concerne les enseignants du premier degré, il importe d'inscrire dans leurs formations obligatoires une sensibilisation au harcèlement scolaire et cyberharcèlement , au même titre que la laïcité. En effet le harcèlement scolaire n'est pas seulement une violence individuelle mais une atteinte au vivre ensemble : à la liberté (de l'enfant harcelé et à son droit à l'instruction), à l'égalité entre les enfants et à la fraternité.

Recommandation : 21. Inscrire dans les formations obligatoires continues des enseignants du premier degré une sensibilisation au harcèlement scolaire et cyberharcèlement au même titre que la défense de la laïcité.

En ce qui concerne les enseignants du second degré, la formation continue peut passer non seulement par une formation externe dans le cadre du plan académique de formation, mais aussi par une formation interne à l'établissement et par le partage des bonnes pratiques entre les enseignants 196 ( * ) . L'important turn-over (y compris des équipes de vie scolaire) qui existe entre les établissements impose une telle « formation des formateurs » pour éviter que le savoir acquis par une équipe ne « s'évapore » une fois que ses membres ont changé d'établissement. Cette « formation complète » permet de « connaître suffisamment les mécanismes de harcèlement pour détecter les situations » ainsi que les solutions possibles pour « les utiliser à bon escient ». La combinaison des formations initiale et in situ est indispensable : il ne suffit pas de suivre une formation de deux jours, mais il faut vivre la situation de l'intérieur « car la question du harcèlement bouleverse des choses très profondes » 197 ( * ) . Par ailleurs, une attention toute particulière doit y être portée dans la formation des chefs d'établissement.

b) La détection des signaux faibles par l'ensemble des membres de la communauté éducative

Toutefois, le harcèlement se produit aussi, et souvent, dans les lieux interstitiels, en l'absence d'enseignants.

Il est donc essentiel d'impliquer et de former l'ensemble de la communauté éducative - y compris les parents - au repérage des situations 198 ( * ) , sur la base de la détection des « signaux faibles » 199 ( * ) (isolement, brimades de la part des autres élèves, refus soudain d'aller à l'école, manifestations physiques diverses comme les nausées, la fatigue, les troubles de l'appétit et de l'humeur ...) 200 ( * ) .

Quels sont les signaux faibles révélateurs du harcèlement ?

- chute des résultats scolaires ;

- l'élève prétend qu'il a oublié son matériel (en réalité rendu hors d'usage par les agresseurs) ;

- retard, absentéisme, somatisations anxieuses (maux de ventre et de tête) ;

- refus des cours d'EPS (problème des vestiaires) ;

- irritabilité ;

- engouement excessif pour les jeux vidéo ;

- troubles du sommeil, de l'alimentation, crises de larmes ;

- troubles de l'attention et de la mémoire.

Source : Nicole Catheline, Le harcèlement scolaire, 2018

Pris séparément, ces signaux peuvent difficilement suggérer l'existence d'une situation de harcèlement, mais accumulés et partagés, dans le cadre d'un travail d'équipe 201 ( * ) , par les membres de la communauté éducative - assistants d'éducation (AED) dont le rôle est ici central, personnels de cantine, enseignants, CPE -, ils peuvent la révéler 202 ( * ) . Plus facilement détectables, les « signaux forts » comme les traces physiques (ecchymoses, traces de strangulation) doivent évidemment faire l'objet de la plus grande attention.

Ce travail est d'autant plus important dans le secondaire que, à la différence du primaire, l'enfant change de professeur plusieurs fois par jour, ce qui atténue les capacités de repérage du corps enseignant. Le rôle des médecins scolaires, des assistantes sociales, des infirmières et des psychologues, dont c'est le coeur de métier, est également décisif dans ce repérage. Dans son rapport Enfance et violence : la part des institutions publiques d'octobre 2019, le Défenseur des droits recommandait ainsi « que tous les responsables d'établissements scolaires, les médiateurs académiques, les inspecteurs de circonscription, les médecins et infirmier scolaires soient, au sein des services départementaux de l'Éducation nationale, formés au repérage du harcèlement et à l'utilisation des dispositifs permettant de prévenir et de lutter contre le harcèlement, notamment le cyberharcèlement ». La généralisation du programme pHARe dès la rentrée 2021, qui prévoit la formation systématique de quatre à cinq adultes par établissement pour une durée de huit jours est, de ce point de vue, bienvenue. Dans ce cadre, votre mission d'information recommande de mettre en place un protocole d'écoute et de transmission d'information entre tous les adultes présents dans un établissement scolaire.

Recommandation : 22. Mettre en place un protocole d'écoute et de transmission d'information entre tous les adultes présents dans un établissement scolaire.

2. Libérer la parole de l'enfant
a) Le rappel du rôle primordial des adultes

Ainsi, il convient de rappeler le rôle essentiel de tous les adultes, y compris sur les temps périscolaires, et de ne pas renvoyer systématiquement et uniquement la question du harcèlement à la vie scolaire.

C'est en effet seulement en garantissant la présence et l'écoute d'adultes de confiance qu'il sera possible de libérer la parole de l'enfant, qu'il s'agisse d'une victime ou d'un témoin. Dès lors qu'ils sentent que leur parole est prise en compte à sa juste valeur par les adultes, les enfants leur parlent plus facilement.

Comme il a été précisé, les faits de harcèlement - en particulier ceux qui ont trait au revenge porn - peuvent en effet être extrêmement compliqués à évoquer par ceux qui les subissent. Le climat scolaire joue alors un rôle décisif à ce stade : il est indispensable qu'il soit serein et apaisé pour que les élèves se sentent en confiance . La consultation des personnels médico-sociaux (infirmière, médecin scolaire, assistante sociale) et la rencontre avec les psychologues de l'éducation nationale peuvent être les lieux privilégiés de cette libération de la parole 203 ( * ) . L'information sera alors plus rapidement remontée à la communauté éducative afin de résoudre le problème. La nécessité de cette confiance est peut-être la raison pour laquelle l'injustice scolaire et l'instabilité des équipes, qui ne peuvent que décourager l'enfant à se confier, figurent parmi les facteurs les plus explicatifs de l'augmentation de la victimation 204 ( * ) .

b) Une meilleure visibilité des numéros 30 18 et 30 20

Au-delà de l'écoute nécessaire de tous les membres de la communauté éducative, les numéros 30 18 et 30 20 doivent être connus des élèves , et affichés de manière explicite dans les établissements. Ils doivent également figurer clairement dans les cahiers de liaison et sur la page d'accueil de l'espace numérique de travail (ENT) Pronote de chaque élève. Il conviendra également d'inviter les éditeurs d'agendas scolaires à procéder de même dans la mesure où y figurent déjà de telles informations d'intérêt général.

Ces numéros ne sauraient toutefois dépasser le rôle de « roue de secours » : le premier réflexe de l'enfant n'est, en effet, pas de se confier à une personne qu'il ne connaît pas au bout d'une ligne téléphonique, mais de s'adresser à un proche qu'il côtoie tous les jours. Si, toutefois, l'enfant ne parvient pas à se confier à un adulte, il doit avoir en tête, et « sans réfléchir 205 ( * ) », ces numéros . Dans l'idéal, les affiches doivent être fréquemment déplacées afin qu'ils s'impriment sans difficulté dans la mémoire des élèves et des enseignants.

Recommandation : 23. Afficher très clairement dans les établissements les numéros 30 18 et 30 20, leurs finalités et les changer régulièrement de place. Les faire figurer dans les cahiers de liaison, sur la page d'accueil de l'ENT et inciter les éditeurs à faire de même dans les agendas scolaires.

Dans le cadre de la campagne nationale sur le harcèlement scolaire que votre mission d'information recommande de déployer, un clip court, sur le modèle de ceux réalisés par le CSA, pourrait ainsi être diffusé sur les réseaux sociaux et à la télévision pour encourager les enfants à se tourner vers les adultes.

Recommandation : 24. Lancer une grande campagne nationale sur le harcèlement scolaire avec des clips didactiques courts sur le modèle de ceux réalisés par le CSA, avec un encouragement à se tourner vers les adultes : « parles-en à ton professeur, à ton CPE, à ton infirmière, etc. ».


* 195 Audition du mercredi 16 juin 2021.

* 196 Comme le souligne Gwenaël Le Guével, ce « roulement interne où les plus aguerris forment les nouveaux collègues » peut s'accompagner d'une formation entre les élèves, où ceux « qui arrivent en 6 e sont formés par des élèves de 3 e » (audition du mercredi 9 juin 2021).

* 197 Propos de Gwenaël Le Guevel (audition du mercredi 9 juin 2021).

* 198 Caroline Sorez et Carole Zerbib, de l'Unsa-Education, insistaient sur le « besoin de formation de tous les personnels de l'Éducation nationale » (Auditions du mercredi 9 juin 2021).

* 199 Ceux-ci sont listés dans le protocole de traitement des situations de harcèlement dans les collèges et les lycées : https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/wp-content/uploads/2015/10/Campagne-Non-au-harc%C3%A8lement-protocole-de-traitement-2nd-degr%C3%A9.pdf

* 200 Contribution de l'association de Liévin (Pas-de-Calais), Les souffre-douleurs de l'école, reçue le 7 juin 2021 par votre mission d'information.

* 201 Le temps de concertation prévu dans les collèges REP + et compris dans le temps de service des professeurs peut être un atout décisif, comme l'a souligné le CPE du collège les Capucins de Melun, où s'est rendue votre mission d'information le lundi 21 juin 2021. Celui-ci y est organisé une fois tous les 15 jours.

* 202 Selon Géraldine Duriez, secrétaire nationale des psychologues et directeurs de CIO au SNES-FSU, « dans la question du repérage (...) du harcèlement, le but est de travailler en équipe. La détection de signes d'alerte n'est pas le fait d'une seule personne » (Audition du mercredi 16 juin 2021).

* 203 La présence discontinue des personnels médico-sociaux dans les établissements scolaires est donc un obstacle à la libération de la parole.

* 204 Soule D. A., Gottfredson D.C., 2003, « When and Where are Our Children Safe ? An Exploratory Study on Juvenil Victimization and Delinquency », The American society of Criminology, 55th Annual Meeting, Denver, Colorado, cité par Éric Debarbieux, « Du « climat scolaire » : définitions, effets et politiques publiques », Éducation & Formations, n° 88-89, décembre 2015, p. 11-27.

* 205 Comme cela a été rappelé, un élève harcelé est en état de choc, voire de sidération, qui le déstabilise totalement. Il doit donc pouvoir accéder aux solutions disponibles en faisant le moins d'effort possible.

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