AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'agriculture est une activité économique différente des autres : elle produit des biens certes marchands mais d'importance vitale et c'est pourquoi le marché agricole mérite une régulation spécifique, y compris dans le cadre du marché unique européen, afin de garantir un revenu convenable aux producteurs et assurer ainsi l'autonomie alimentaire de l'Europe.

Depuis de nombreuses années, la commission des affaires européennes du Sénat s'intéresse aux questions, d'une part, de la régulation des marchés agricoles, d'autre part, de l'application des règles de concurrence à l'agriculture : trois rapports d'information y ont été, totalement ou partiellement, consacrées en 2012 1 ( * ) , en 2013 2 ( * ) et en 2017 3 ( * ) . Ces sujets, vastes et complexes, figurent, il est vrai, au centre du fonctionnement de la Politique agricole commune (PAC).

Elle est amenée aujourd'hui à y revenir, non seulement en raison de l'actualité de la crise économique consécutive à la pandémie de Covid-19 et de la réforme de la future PAC 2021/2027 à l'étude depuis trois ans, mais également des difficultés structurelles spécifiques de la filière viande bovine française. En effet, ces dernières pèsent fortement sur la position de la France dans les négociations commerciales menées par l'Union européenne pour le compte de l'ensemble des États membres : notre pays se trouve souvent de ce fait en situation défensive, alors que de nombreuses autres filières agricoles ont des intérêts offensifs à faire valoir.

En ce qui concerne la prochaine réforme de la PAC, quatre résolutions ont été adoptées depuis trois ans par le Sénat, à l'initiative de la commission des affaires européennes et en collaboration étroite avec la commission des affaires économiques, respectivement les 8 septembre 2017 4 ( * ) , 6 juin 2018 5 ( * ) , 7 mai 2019 6 ( * ) et 19 juin 2020 7 ( * ) . À chaque fois, plusieurs points y ont été consacrés à l'insuffisante prise en compte des spécificités de l'agriculture et à la nécessité « d'oser » une plus grande régulation.

S'agissant plus particulièrement du malaise économique de la filière viande bovine française, il correspond aussi à l'attentisme de l'interprofession, au statu quo du modèle économique des principaux industriels et distributeurs, ainsi qu'à l'individualisme d'une partie des éleveurs. Face à ce constat douloureux, une intervention de la puissance publique mériterait d'être envisagée. C'est cette voie que le présent rapport d'information se propose d'explorer.

Là encore, le primat donné au droit de la concurrence sur les objectifs de la PAC explique une bonne part des difficultés rencontrées.

I. POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE ET POLITIQUE DE CONCURRENCE : UN COMPROMIS DÉSÉQUILIBRÉ, D'UNE COMPLEXITÉ BYZANTINE

Le principe de primauté de la Politique agricole commune sur les règles de concurrence figurait, dès l'origine, dans le traité de Rome de 1957. L'actuel traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) n'est pas formellement revenu sur ce principe : aujourd'hui encore, les dispositions de son article 42 prévoient que les règles de concurrence ne sont applicables à la production et à la commercialisation des produits agricoles que « dans la mesure déterminée par le Parlement et le Conseil (...) compte tenu des objectifs » de la PAC.

Néanmoins, cette « exception agricole » a pour une bonne part et très rapidement été vidée de sa substance. En effet, lorsque le Conseil a utilisé, pour la première fois, le pouvoir qui lui est attribué en adoptant le règlement (CE) 26/62 du Conseil du 4 avril 1962, il a renversé le schéma initial, en faisant valoir l'applicabilité de principe des règles de concurrence (prévues aux articles 85 et 86 du TCE devenus aujourd'hui les articles 101 et 102 du TFUE). Par là même, la législation agricole européenne a progressivement introduit, jusqu'au règlement (UE) n°1308/2013 du 17 décembre 2013, des dispositions contredisant l'esprit initial des traités, affaiblissant le rôle dévolu aux coopératives et organisations de producteurs et interdisant d'agir sur les prix de façon concertée.

1. La difficile conciliation entre PAC et droit de la concurrence débouche sur un net avantage en faveur de ce dernier

D'une façon générale, la Commission européenne, aiguillonnée en cela par sa puissante direction générale de la concurrence, interprète la réglementation de la PAC au regard du prisme de la concurrence, ce que les traités n'ont jamais prévu.

Dès lors, la combinaison des articles 39 8 ( * ) , 40 9 ( * ) et 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne donne lieu à une difficile conciliation avec les dispositions de son article 101 prévoyant que :

« Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à : a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction , b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement, d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats ».

Il en résulte une large incompréhension du monde agricole, notamment en France, au point que ces interdits sont ressentis comme un « verrou idéologique » à surmonter au niveau des institutions européennes.

Il est revenu à la Cour de justice de l'Union européenne de se prononcer sur ces questions. Sa longue jurisprudence en la matière a pu évoluer au fil du temps. L'arrêt le plus récent 10 ( * ) témoigne cependant du souci de faire prévaloir la lettre des traités.

Outre les dispositions précitées des traités, le droit européen applicable relève pour l'essentiel du règlement (UE) 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (couramment appelé « OCM »), modifié sur plusieurs points importants par le règlement (UE) 2017/2393 dit « Omnibus » du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017.

2. L'économie générale du règlement « OCM » 1308/2013, « clé de voûte » du dispositif juridique en vigueur

Le règlement « OCM » représente la clé de voûte du fonctionnement de la PAC et couvre donc de très nombreuses questions. Dans cet ensemble, la problématique de l'agriculture et de la concurrence relève de cinq articles : l' article 152 sur les organisations de producteurs (OP), le 206 consacré aux lignes directrices de la Commission européenne sur l'application des règles de concurrence à l'agriculture, le 207 sur la définition de la notion de marché en cause, le 208 sur celle de position dominante et le 209 sur les exceptions concernant les objectifs de la PAC, les agriculteurs et leurs associations.

Plus précisément, la rédaction de l'article 152 du règlement OCM apparaît aussi longue et détaillée que complexe. Cette rédaction « byzantine », présentée en annexe 1, témoigne, à elle seule, de la difficulté à trouver un compromis entre les institutions européennes dès qu'il s'agit de concurrence agricole. Après avoir établi, au paragraphe 1, une définition pour les OP faisant intervenir pas moins de trois critères principaux et dix-neuf critères secondaires, le coeur du dispositif réside dans le paragraphe 1 bis énonçant les modalités (restrictives) de la dérogation aux règles de la concurrence, sous le contrôle des autorités nationales de la concurrence (au 1 quater ) 11 ( * ) .

Plus précisément, une organisation de producteurs reconnue « peut planifier la production, optimiser les coûts de production, mettre sur le marché et négocier des contrats concernant l'offre de produits agricoles, au nom de ses membres, pour tout ou partie de leur production totale. » 12 ( * )

La rédaction de l'article 152 du règlement OCM ne se comprend que si on la combine avec celle de l'article 209 relatif aux exceptions concernant les objectifs de la PAC , les agriculteurs et leurs associations : en résumé, il peut être dérogé au cadre général de la réglementation de la concurrence en faveur des Organisations de producteurs, sous la forme de décisions et pratiques concertées, à condition de satisfaire un des objectifs de la PAC (énoncés à l'article 39 du TFUE), mais à l'exclusion de la détermination des prix, laquelle demeure prohibée .

L'article 209 du règlement « OCM » sur les exceptions concernant
les objectifs de la PAC, les agriculteurs et leurs associations

1. L'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'applique pas aux accords, décisions et pratiques visés à l'article 206 du présent règlement qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

L'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'applique pas aux accords, décisions et pratiques concertées des agriculteurs, associations d'agriculteurs ou associations de ces associations, ou des organisations de producteurs reconnues au titre de l'article 152 ou de l'article 161 du présent règlement, ou des associations d'organisations de producteurs reconnues au titre de l'article 156 du présent règlement, dans la mesure où ils concernent la production ou la vente de produits agricoles ou l'utilisation d'installations communes de stockage, de traitement ou de transformation de produits agricoles, à moins que les objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne soient menacés .

Le présent paragraphe ne s'applique pas aux accords, décisions et pratiques concertées qui comportent une obligation de pratiquer un prix déterminé ou en vertu desquels la concurrence est exclue.

2. Les accords, décisions et pratiques concertées qui remplissent les conditions visées au paragraphe 1 du présent article ne sont pas interdits, et aucune décision préalable à cette fin n'est requise.

Toutefois, des agriculteurs, associations d'agriculteurs ou associations de ces associations, ou des organisations de producteurs reconnues au titre de l'article 152 ou de l'article 161 du présent règlement, ou des associations d'organisations de producteurs reconnues au titre de l'article 156 du présent règlement, peuvent demander à la Commission un avis sur la compatibilité de ces accords, décisions et pratiques concertées avec les objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

La Commission traite avec diligence les demandes d'avis et communique au demandeur son avis dans un délai de quatre mois après réception d'une demande complète. La Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un État membre, modifier le contenu d'un avis, en particulier si le demandeur a fourni des informations inexactes ou a utilisé abusivement l'avis.

Dans toutes les procédures nationales ou de l'Union concernant l'application de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la charge de la preuve d'une violation de l'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne incombe à la partie ou à l'autorité qui l'allègue. Il incombe à la partie qui invoque le bénéfice des exemptions prévues au paragraphe 1 du présent article d'apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies.

Le règlement Omnibus (UE) n° 2017/2393 du 13 décembre 2017 a modifié sur plusieurs points la rédaction initiale du règlement OCM (UE) n° 1308/2013, tout en la rendant encore plus complexe. Les missions des organisations de producteurs ont ainsi été étendues, donnant à toutes les filières la possibilité de négocier collectivement, au nom et pour le compte des producteurs adhérents. Initialement, seules certaines filières (la vigne, la viande, le lait, l'huile d'olive...) pouvaient agir de la sorte. Plus précisément, une organisation de producteurs reconnue est autorisée à planifier la production, optimiser les coûts de production, mettre sur le marché' et négocier des contrats concernant l'offre de produits agricoles, au nom de ses membres, pour tout ou partie de leur production totale.

Pourtant, comme l'observe, dans leur rapport 13 ( * ) destiné à la commission AGRI du Parlement européen, les professeurs Antonio Iannarelli et Catherine Del Cont, ces innovations « expriment en réalité un compromis, réel mais précaire, entre les positions divergentes de la Commission et du Parlement européen », dans la mesure où la Commission européenne est restée fidèle au paradigme du primat de la concurrence, en considérant, « (qu')au terme d'un bilan économique, les gains d'efficience doivent racheter, contrebalancer, les restrictions de concurrence. »

3. Le rôle très encadré des Organisations de producteurs et la pratique décisionnelle des autorités nationales de la concurrence, peu adaptée au secteur agricole

En France, certains producteurs ont entamé des démarches de concertation organisées avant même la Seconde guerre mondiale et donc avant la création de la Communauté économique européenne et de la PAC.

La logique des OP, d'origine française et consacrée ensuite par le droit européen, consiste à regrouper l'offre pour la mettre en meilleure position de négociation par rapport à l'aval de la filière, tout en évitant de constituer une entente qui serait en infraction avec le droit de la concurrence.

Les organisations de producteurs revêtent diverses formes juridiques, allant de la coopérative ou de la société commerciale à l'association loi 1901.

En complément du règlement n° 1308/2013 « OCM », le titre V du livre V du code rural et de la pêche maritime précise aujourd'hui le cadre applicable aux organisations de producteurs :

- les organisations des producteurs sont définies de manière large, ayant pour mission générale « de maîtriser durablement la valorisation de la production agricole ou forestière de leurs membres, associés ou actionnaires, de renforcer l'organisation commerciale des producteurs, d'organiser et de pérenniser la production sur un territoire déterminé » ( cf. article L. 552-1 du code rural) ;

- des régimes particuliers 14 ( * ) sont prévus pour certaines filières énumérées dans le règlement OCM (fruits et légumes, lait, viande, huile d'olive, vigne) induisant une série d'exceptions à cette règle générale d'organisation commerciale ;

- la filière des fruits et légumes fait l'objet de dispositions renforcées pour la commercialisation en commun 15 ( * ) par les organisations de producteurs, dans la mesure où il s'agit de denrées rapidement périssables. Par exception, les OP sont autorisées non seulement à concentrer l'offre, mais également à négocier les prix et les volumes ;

- on distingue deux catégories d'OP : commerciales et non commerciales.

La latitude d'action des OP est doublement encadrée, par la jurisprudence du juge européen, en premier lieu, par les prérogatives des autorités nationales de la concurrence, en second lieu.

Dans son arrêt « Endives » du 14 novembre 2017 16 ( * ) , la Cour de Justice de l'Union européenne a considéré qu'au sein d'une même organisation de producteurs formellement reconnue par les États membres, certaines pratiques s'inscrivant strictement dans la poursuite des objectifs assignés à l'organisation de producteurs pouvaient échapper à l'interdiction des ententes , prévue par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.

Il s'agit des « échanges d'informations stratégiques », de la « coordination des volumes de produits agricoles mis sur le marché » et de la « coordination de la politique tarifaire » entre producteurs d'une même OP , s'ils visent à réaliser les objectifs assignés à cette OP. Les pratiques de fixation collective de prix planchers de ventes , de concertations sur les quantités mises en marché ou d'échanges d'informations stratégiques entre différentes OP ne relèvent pas du même régime et sont susceptibles d'être prohibées.

Cette analyse a été confirmée récemment par l'Autorité de la concurrence 17 ( * ) , qui maintes fois par le passé 18 ( * ) a eu l'occasion de sanctionner certaines pratiques (diffusion de barèmes de prix, fixation d'un cours pivot, recommandations de prix, indicateurs économiques, etc.) initiées dans plusieurs secteurs de l'agriculture française.

Les démarches de concertation mises en place par les acteurs du monde agricole se heurtent à une règlementation complexe et une pratique décisionnelle inadaptée à la structure de l'agriculture française et européenne : la grande faiblesse des producteurs agricoles face à une distribution très concentrée apparaît mésestimée et créée une asymétrie dangereuse pour la pérennité de la production agricole européenne et donc l'autonomie alimentaire du continent . Ces contraintes expliquent que les pouvoirs publics français aient cherché de façon indirecte à remédier à ces faiblesses structurelles, en encourageant notamment la contractualisation.

4. Les réserves de l'Autorité de la concurrence encore confirmées dans son avis n° 18-A-04 du 3 mai 2018 relatif au secteur agricole

L'Autorité de la concurrence, saisie par le ministre de l'économie et des finances dans la foulée des États généraux de l'Alimentation (EGA) en 2017, s'est prononcée sur les conditions d'application du droit de la concurrence au secteur agricole. Parmi les points de la saisine figuraient les questions relatives à l'ampleur des dérogations aux règles de concurrence, dont peuvent bénéficier les OP, comme d'ailleurs les interprofessions. La lecture de son avis rendu le 3 mai 2018 témoigne de la fidélité de l'Autorité à son corpus doctrinal.

« Le législateur européen a toujours encouragé le regroupement des producteurs au sein d'OP. Ainsi qu'il ressort du considérant 7 du règlement n° 2200/96, les OP représentent les éléments de base de l'OCM. Le législateur considère en effet que, face à une demande sans cesse plus concentrée, le regroupement de l'offre au sein de ces organisations est une nécessité économique pour renforcer la position des producteurs sur les marchés. (...) Le regroupement doit néanmoins se réaliser sur une base volontaire, par des incitations liées à l'efficacité des services que l'OP rend à ses membres . Participant de cette dynamique favorable au regroupement en OP, l'arrêt Endives de la CJUE du 14 novembre 2017 et le règlement Omnibus du 13 décembre 2017 ont contribué à sécuriser et élargir le champ d'action des OP et AOP.

Dans l'arrêt Endives, la CJUE a précisé le cadre juridique applicable aux pratiques des OP et des AOP reconnues. Ainsi, dans son arrêt, la Cour a jugé que les pratiques mises en oeuvre au sein même d'OP ou d'AOP formellement reconnues par les États membres peuvent échapper à l'interdiction des ententes, prévue par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, si elles s'inscrivent effectivement et strictement dans la poursuite des objectifs assignés à l'OP ou à l'AOP concernée, par le règlement OCM en vigueur. En revanche, des pratiques de fixation collective de prix minima de vente, de concertation sur les quantités mises en marché ou d'échanges d'informations stratégiques qui auraient lieu entre OP et AOP, sont susceptibles d'être prohibées au titre de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.

Par la suite, le règlement Omnibus a introduit à l'article 152 1. bis une nouvelle dérogation à l'application de l'article 101 , paragraphe 1, au bénéfice des OP et AOP reconnues, en ce qu'il étend à tous les secteurs agricoles et assouplit les dérogations précédemment en vigueur dans les secteurs du lait, de l'huile d'olive, de la viande bovine et des grandes cultures. Dans le cadre de leur activité de planification de la production, d'optimisation des coûts de production, de mise sur le marché et de négociations de contrats, les OP et AOP peuvent ainsi bénéficier d'une dérogation à l'interdiction des ententes prévue à l'article 101, paragraphe 1, du TFUE , sous réserve de respecter certaines conditions, notamment celle de concentrer l'offre et mettre sur le marché la production de leurs membres, avec ou sans transfert de propriété. La poursuite des activités couvertes par la dérogation ne doit cependant pas conduire à exclure la concurrence ou menacer les objectifs de la PAC, ce qui pourrait conduire l'Autorité ou la Commission européenne à retirer le bénéfice de la dérogation pour l'avenir. (...)

L'Autorité relève cependant que le règlement OCM ne prévoit aucune dérogation à l'article 102 du TFUE qui sanctionne les abus de position dominante. Les OP et AOP reconnues qui se trouveraient en position dominante sur un ou plusieurs marchés devront par conséquent faire preuve d'une vigilance particulière quant à leurs activités et comportements. » 19 ( * )

Cet avis revêt une importance toute particulière, puisqu'il est destiné à éclairer la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans l'élaboration des « lignes directrices pédagogiques visant à sécuriser les actions des filières concernées sous l'angle du droit de la concurrence ».


* 1 Rapport d'information n° 721 (2011-2012) Le rôle des organisations de producteurs dans la négociation du prix du lait, de M. Jean Bizet, publié le 27 juillet 2012.

* 2 Rapport d'information n° 214 (2013-2014) La politique agricole et le droit de la concurrence , de M. Jean Bizet, publié le 10 décembre 2013.

* 3 Rapport d'information n° 672 (2016-2017) PAC : traverser le cap dangereux de 2020, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, et MM. Claude Haut et Franck Montaugé, publié le 20 juillet 2017.

* 4 Résolution européenne n° 130 (2016-2017) du Sénat du 8 septembre 2017 sur l'avenir de la Politique agricole commune à l'horizon 2020.

* 5 Résolution européenne n° 116 (2017-2018) du Sénat du 6 juin 2018 en faveur de la préservation d'une politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires.

* 6 Résolution européenne n° 96 (2018-2019) du Sénat du 7 mai 2019 sur la réforme de la PAC.

* 7 Résolution européenne n° 104 (2019-2020) du Sénat du 19 juin 2020 demandant le renforcement des mesures exceptionnelles de la Politique agricole commune (PAC), pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, et l'affirmation de la primauté effective des objectifs de la PAC sur les règles européennes de concurrence.

* 8 L'article 39 du TFUE traite des objectifs de la PAC.

* 9 L'article 40 du TFUE est consacré à l'organisation des marchés agricoles.

* 10 Arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre) du 14 novembre 2017, dans l'affaire C-671/15, Président de l'Autorité de la concurrence contre Association des producteurs vendeurs d'endives (APVE) e.a , au titre de la demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France), sur les questions des Organisations de producteurs, des associations d'organisations de producteurs (OP), des missions de ces organisations et associations, au sujet de la pratique de fixation de prix minima à la vente, de la pratique de concertation sur les quantités mises sur le marché, et de la pratique d'échanges d'informations stratégiques sur le marché français des endives.

* 11 « L'autorité de concurrence nationale (...) peut décider dans des cas particuliers que, à l'avenir, une ou plusieurs des activités (...), doivent être modifiées, interrompues ou n'ont lieu en aucun cas dès lors qu'elle le juge nécessaire afin d'éviter l'exclusion de la concurrence ou si elle estime que les objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sont menacés. »

* 12 Le paragraphe 1 bis en explicite le détail en des termes assurément restrictifs et peu lisibles pour les exploitants agricoles, d'autant plus qu'ils sont susceptibles d'être sanctionnés par l'autorité de la concurrence, exerçant en l'espèce une stricte vigilance : « Les activités visées au premier alinéa peuvent avoir lieu : a) dès lors que l'une ou plusieurs des activités visées au paragraphe 1, point b) i) à vii), du présent article est véritablement exercée, contribuant ainsi à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; b) dès lors que l'organisation de producteurs concentre l'offre et met sur le marché les produits de ses membres, qu'il y ait ou non transfert de la propriété des produits agricoles concernés des producteurs à l'organisation de producteurs ; c) que le prix négocié soit ou non identique en ce qui concerne la production totale de tous les membres ou de certains d'entre eux ; d) dès lors que les producteurs concernés ne sont membres d'aucune autre organisation de producteurs en ce qui concerne les produits couverts par les activités visées au premier alinéa ; e) dès lors que le produit agricole n'est pas concerné par une obligation de livraison découlant de l'affiliation de l'agriculteur à une coopérative qui n'est pas elle-même membre de l'organisation de producteurs concernée, conformément aux conditions définies dans les statuts de la coopérative ou dans les règles et les décisions prévues par lesdits statuts ou qui en découlent. Toutefois, les États membres peuvent déroger à la condition énoncée au deuxième alinéa, point d), dans des cas dûment justifiés lorsque les producteurs membres possèdent deux unités de production distinctes situées dans des aires géographiques différentes. »

* 13 Rapport sur les « Nouvelles règles de concurrence pour la chaîne agro-alimentaire dans la PAC post 2020 » réalisé, à la demande de la commission AGRI du Parlement européen, par les professeurs Antonio Iannarelli et Catherine Del Cont et publié le 14 septembre 2018.

* 14 Voir avis rendu le 7 mai 2008 par le Conseil de la concurrence sur l'organisation de la filière fruits et légumes.

* 15 Les producteurs des OP de la filière fruits et légumes sont tenus de vendre la totalité de leur production à travers la structure collective qui a pour mission de concentrer l'offre et de la vendre sur le marché. La mise sur le marché' est effectuée par l'organisation de producteurs et comporte notamment la décision relative au produit a` vendre, au mode de vente et, a` moins que la vente se fasse par enchères, a` la négociation de sa quantité' et de son prix. En résumé, l'OP agissant comme une entreprise unique peut donc légitimement négocier le prix de vente avec les tiers acquéreurs.

* 16 CJUE, 14 novembre 2017, aff. C-671/15.

* 17 Dans son avis n° 18-A-04 du 3 mai 2018 relatif au secteur agricole commenté ci-après.

* 18 Décision du Conseil de la concurrence, 95-D-15, du 13 avril 1995, relative aux pratiques relevées dans le secteur des pommes de terre de conservation. Voir également les secteurs des fraises, du chou-fleur, des endives, de la volaille et des céréales.

* 19 Avis n° 18-A-04 de l'autorité de la concurrence du 3 mai 2018 relatif au secteur agricole.

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