CONCLUSION GÉNÉRALE

À travers cette consultation, les élus locaux ont porté la mémoire de la période de confinement, de ses incertitudes et de ses difficultés, mais également de ses enseignements.

La crise sanitaire a contraint les différents acteurs à questionner leurs logiques habituelles et à en pointer les limites, que l'étroitesse des relations induite par la gestion de l'urgence a permis de corriger rapidement. La promotion de la prise d'initiatives au niveau local, l'émergence de nouvelles coopérations entre collectivités territoriales ou encore la force motrice du binôme maire-préfet forment un héritage qui ne s'aurait qu'inspirer les réflexions futures en matière de décentralisation.

Ces recommandations peuvent compter sur le soutien des Français, interrogés par la délégation dans une récente étude d'opinion 10 ( * ) . En particulier, l'organisation territoriale est jugée par près de deux tiers comme « pas claire », à l'exception, notable, de la commune, dont le rôle est bien identifié par une nette majorité des Français (61 %). Ces aspirations collent aux témoignages recueillis au cours de cette consultation. Ils souhaitent d'ailleurs confier davantage de pouvoir à leurs communes.

À l'avenir, Souhaitez-vous que votre commune ait :

Source : Délégation aux collectivités territoriales du Sénat

COMMUNICATION DE M. ÉRIC KERROUCHE RELATIVE À LA CONSULTATION SUR LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LES ÉLUS DANS LA GESTION DE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19, AU COURS DE LA RÉUNION PLÉNIÈRE DE LA DÉLÉGATION, LE JEUDI 4 JUIN 2020

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je me tourne à présent vers Éric Kerrouche. Je rappelle à nos collègues que la délégation avait lancé via la plateforme du Sénat une consultation par internet des élus locaux face à la crise du Covid-19, entre le 9 avril et le 4 mai, soit avant le déconfinement. Nous avons eu 1 762 réponses, ce qui est un bon échantillon compte tenu de la période, principalement de maires. Au-delà des constats locaux, les avis sont mitigés, assez divers sur la qualité de l'accompagnement des collectivités territoriales par l'État dans cette gestion de crise, ce qui d'ailleurs ressort des auditions que nous avons menées jusqu'alors. Des différences d'un territoire à l'autre ont en particulier été relevées. Je laisse la parole à Éric Kerrouche, que je remercie d'avoir accepté de faire cette présentation avec les compétences qui sont les tiennes et que nous connaissons.

M. Éric Kerrouche . - Merci, Monsieur le président. L'avantage est que le ministre de l'Intérieur est parti, ce qui est une bonne chose au regard de ma présentation car il y a un contraste assez fort entre le discours qu'il a tenu et la manière dont l'action de l'État a été perçue par les élus locaux sur le terrain.

En termes de contexte, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) a réalisé une enquête depuis le début de la pandémie qui retrace la confiance institutionnelle des Français, auprès d'un panel de 2 200 Français interrogés chaque semaine. Tout en haut, il y a la confiance des maires et en bas celles du Gouvernement et du Président de la République. La cote de confiance ne s'est jamais démentie pendant la période et rassemble trois Français sur quatre (74%). Dans le même temps, une décrue de la confiance accordée au gouvernement et au Président de la République est constatée, déjà faible au départ mais qui passe d'un Français sur deux à un Français sur trois.

Cette enquête fait donc état d'une confiance localisée, très forte dans les maires qui, dans la période, deviennent une balise. La confiance dans l'absolu est très forte, encore plus élevée dans les communes de moins de 2 000 habitants, du fait d'un véritable rapport de proximité du maire. La confiance croît également avec l'âge, même si celle-ci est déjà très élevée chez les moins de 35 ans (68%).

La consultation a mobilisé un public de près de 1 800 personnes, formé à 81% de maires, dont la moitié sont élus dans une commune de moins de 1 000 habitants.

L'élément le plus important qui ressort de cette enquête est la gestion du manque.

Les élus dans leurs réponses ont souvent souligné d'abord le manque de matériels de protection et de tests de dépistage, ce qui ressort très clairement (36% des réponses), le manque de directive claire et cohérente de la part de l'État et son incapacité à assumer son rôle de centralité (17%), puis les questions soulevées par les décisions prises concernant la réouverture des écoles (7%). Un vrai sentiment d'abandon s'est dessiné pour certains élus locaux et qui ressort également nettement dans les verbatim.

Concernant l'association de la commune à mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire, en termes globaux, 48% des communes estiment avoir été bien associées et 40% mal associées. Néanmoins, dans le détail, le sentiment d'association est plus important dans les petites communes (52%) que dans les grandes communes (45%), signe d'une situation inégalitaire. Au niveau de l'accompagnement, 45% des communes considèrent avoir eu un mauvais accompagnement et 38% un bon accompagnement. La première cause du mauvais accompagnement est l'absence d'interlocuteur disponible (27%), mais aussi parce qu'il y -avait trop d'interlocuteurs (18%), ce qui a été vu comme source de difficultés. Se distingue la difficulté à identifier parfois le bon interlocuteur et cette difficulté varie selon les territoires, puisque, par exemple, les élus franciliens ont eu le sentiment d'être moins bien associés. Sur ce point, il y a un élément déconcertant : si certains n'ont pas eu d'interlocuteur du tout, d'autres en ont eu plusieurs et cette pluralité a été dans certains cas bien considérée, dans d'autres vue comme un handicap.

La coordination avec les services de l'État qui relève du réseau préfectoral a été perçue comme efficace par 60% des répondants, mais avec un bémol car seuls 8% l'ont jugée très efficace. En revanche, pour les ARS, l'inefficacité domine mais, surtout, 35% des répondants n'arrivent pas à se prononcer : soit cette institution n'est pas comprise, soit elle n'est pas identifiée au niveau local, soit elle n'est pas considérée comme efficace, ce qui pose en toute hypothèse de réelles questions organisationnelles.

Il y a eu des difficultés pour assurer la continuité des services publics locaux selon les élus locaux, avec cinq grandes difficultés : les services aux personnes âgées, la petite enfance et l'éducation, les déchets, la sécurité sanitaire et la sécurité tout court. Encore une fois, en fonction de la taille de la collectivité, les difficultés ont été plus importantes dans les communes les plus grandes, notamment pour les services aux personnes âgées. De manière générale, les collectivités les plus peuplées ont souligné davantage de difficultés, notamment sur la question de la sécurité tout court.

Face à ces difficultés, le palliatif a été les initiatives locales. J'ai entendu les propos du ministre de l'Intérieur ; pour autant les communes sont massivement intervenues pour l'achat des équipements de protection individuels et collectifs, ce qui est vrai pour les masques, les gels ou les sur-blouses.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Le ministre a forcé le trait en insistant sur les cas de communes qui avaient beaucoup dit et peu fait. En tant qu'élu du Grand Est, je peux dire que certes il y a eu des couacs, mais dans l'ensemble, notamment les grandes collectivités et ces dernières en lien avec les petites, ont beaucoup fait.

M. Éric Kerrouche . - Exactement. Il y a eu, par rapport au sentiment d'abandon, la première nécessité absolue de prendre des initiatives en raison d'une défiance vis-à-vis de la parole de l'État. En termes d'initiatives locales, le deuxième élément révélateur est que les communes ont dû donner des renseignements à la population sur les mesures annoncées par l'État. Ces deux éléments sont le signe d'une désorganisation locale. Face à elle, les communes les plus importantes, car elles en avaient les moyens, ont mis à disposition des locaux, des équipements et se sont placées au soutien de l'activité locale.

Demain, si cette situation se devait se représenter, les élus voudraient disposer de directives claires et de réactions cohérentes de la part de l'État, ce qui signifie en creux qu'au cours de cette crise elles n'ont pas été considérées comme claires et cohérentes. Les collectivités territoriales voudraient davantage de stockage de matériels de protection, mais aussi ne plus se sentir abandonnées par l'État. De façon synthétique, les élus locaux regrettent la défaillance organisationnelle, en l'absence de message clair, et la défaillance matérielle, en l'absence d'approvisionnement de dispositifs de protection. Les élus locaux souhaitent plus de concertation, ce qui ne peut passer que par une meilleure prise en compte des territoires, et de nouveaux moyens accordés aux collectivités.

Les attentes des élus locaux s'orientent vers plus de protocoles sanitaires, plus de stocks de sécurité et plus de clarté, mais aussi l'amélioration de la communication de l'État. À l'aune de ce qu'ils ont vécu, ils attendent de l'anticipation, appellent à plus de clarté et veulent des mesures structurelles. Ces attentes sont complètement en phase avec celles des Français, au regard de l'enquête d'opinion menée récemment par le Sénat : 60% des Français souhaitent que leur commune ait davantage de pouvoir à l'avenir. D'une certaine façon, la parole des élus locaux reflète les attentes de la population.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Un triple remerciement à Éric Kerrouche : patient mais néanmoins placide jusqu'au bout de cette synthèse remarquable, claire et intéressante, en un temps exagérément limité.

Cette présentation va faire l'objet d'un rapport d'information, en ce qu'elle s'inscrit complètement dans les travaux conduits par l'ensemble des groupes politiques autour du président du Sénat sur les enseignements à tirer de cette période. Le ministre de l'Intérieur, que nous venons d'auditionner, traduit au fond l'état d'esprit d'aujourd'hui, alors que le résultat de notre consultation traduit le vécu des élus, notamment au début, lorsque tout était compliqué et la situation s'est améliorée petit à petit. D'où l'intérêt du rappel fait par cette communication.

M. Marc Daunis . - Je félicite notre collègue Éric Kerrouche pour cette présentation.

M. Charles Guené . - Vous avez conclu par l'essentiel, Monsieur le président. Il y a deux moments un peu différents, la posture du ministre est celle d'aujourd'hui, alors qu'avec notre consultation nous sommes mis face au vécu de nos collègues, qui n'a pas été aussi rose que certains le disent aujourd'hui, à la fin de cette période, si tant est que nous en soyons à la fin.

M. Jean-Marie Bockel . - Je vous propose d'autoriser la publication du rapport.

La publication du rapport est autorisée.


* 10 Cette enquête d'opinion a été réalisée dans le cadre du groupe de travail lancé par le Président du Sénat pour préparer un nouvel acte de la décentralisation.

Le communiqué de presse et les résultats de cette étude d'opinion sont accessibles à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/presse/cp20200603.html

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