II. LE CONSTAT : LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, CONFRONTÉES À LA GESTION DE LA PÉNURIE ET À UN SOUTIEN INSUFFISANT DE L'ÉTAT, ONT AGI DANS L'URGENCE AU-DELÀ DE LEURS COMPÉTENCES HABITUELLES
A. CONFRONTÉS À LA GESTION DE LA PÉNURIE ET AUX DÉFAILLANCES DE L'ÉTAT, LES ÉLUS LOCAUX ONT PU SE SENTIR ABANDONNÉS AU PLUS FORT DE LA CRISE SANITAIRE
1. Les défaillances relatives aux matériels de protection, en termes d'approvisionnement et de communication, sont au coeur des insuffisances de l'État pour les élus locaux
Le manque de matériels de protection occupe la première place des difficultés rencontrées par les élus locaux dans la gestion de la crise sanitaire, citée spontanément par plus d'un tiers des répondants (36 %). Les critiques pleuvent, y compris auprès de ceux qui considèrent que l'accompagnement par l'État a été au rendez-vous. La question des masques est au coeur des préoccupations, d'autant que les élus locaux ont perçu, sans équivoque possible, le manque d'anticipation dans la constitution des stocks et les carences en approvisionnement.
« La suppression des stocks stratégiques de l'État (masques, gel, gants...) n'a jamais été portée à la connaissance des élus locaux. Cette absence d'information ne nous a pas permis de constituer notre propre stock. C'est la débrouille, "le système D" qui nous permettent de maintenir les services publics ouverts. »
Maire d'une commune de moins de 10 000 habitants de Meurthe-et-Moselle
Le manque de directives claires et cohérentes de la part de l'État est revenu à plusieurs reprises de manière spontanée (17 %). À nouveau, le sujet des masques a été perçu comme ayant fait l'objet de revirements de discours de la part du Gouvernement. Les élus locaux insistaient quant à eux dans leurs réponses, sur la nécessité de « dire la vérité aux Français » et de « ne pas se contredire ».
« Je regrette que la communication relative à la fourniture des masques ne soit pas suffisamment claire (au niveau national), de telle sorte que les administrés se retournent vers les maires qui prennent, ou non, la décision de fournir des masques à la population, ce qui est source d'iniquité territoriale alors qu'il s'agit d'une question de santé publique ».
Maire d'une commune de moins de 10 000 habitants du Vaucluse
2. Le manque d'information claire et cohérente a donné aux élus locaux le sentiment d'être seuls dans la mise en oeuvre locale de l'état d'urgence sanitaire
En sus d'informations relatives aux masques perçues comme contradictoires, les modalités du confinement ont été questionnées, principalement sur leur interprétation pouvant être différente d'un territoire à un autre, ce qui a été plusieurs fois vu comme semant « le trouble dans l'esprit de la population », voire comme incitant « au manque de respect des consignes » .
Ce dernier aspect est à mettre en lien avec l'une des principales difficultés rencontrées, à savoir les modalités de contrôle par la police municipale du respect des mesures de confinement (26 %), en particulier en Île-de-France (36 %), en raison d'effectifs insuffisants pour procéder à des contrôles sur tout le territoire communal mais également du fait que les communes ne disposaient pas d'équipements (masques, gels, gants) pour garantir la sécurité sanitaire des policiers municipaux.
Le manque de directives claires de la part de l'État est l'autre point de difficulté principal qui se dégage, avec 17 % des répondants. Il a été visible par exemple s'agissant de la réouverture des écoles et des multiples interrogations soulevées, notamment d'un point de vue de sécurité sanitaire, en termes de modalités de définition des catégories d'élèves autorisés à revenir et de reprise de l'activité en classe des personnels enseignants et périscolaires.
Certains répondants n'ont que peu apprécié d'apprendre les nouvelles mesures de confinement par les médias, alors qu'ils étaient mobilisés « en première ligne » dans la gestion de la crise, face à des services de l'État qui semblaient parfois découvrir les annonces en même temps que le grand public. Ce déficit de communication descendante n'est pas sans conséquence sur la mise en oeuvre des mesures locales par les communes.
« Découvrir les mesures en même temps que leur annonce au public nous conduit à toujours avoir un retard à l'allumage. Nous manquons de temps pour anticiper et prévoir la mise en application locale. »
Adjoint au Maire d'une commune de moins de 10 000 habitants d'Isère
L'excès inverse, constitué par la multiplication des informations et consignes, a également été vécu par certains maires, regrettant la « perte de temps » induite par le traitement de ces trop nombreux éléments. « L'information tue l'information » affirme le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants. « Les maires n'ont pas le temps de lire tous ces mails qui arrivent les uns après les autres, avec souvent des messages qui infirment les précédents », note encore le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants de l'Oise.
Ce constat est à relier avec le sentiment exprimé par 18 % des répondants, qui ont considéré qu'un trop grand nombre d'interlocuteurs intervenait pour accompagner les élus locaux dans l'application de l'état d'urgence sanitaire. La pluralité d'interlocuteurs et les informations qu'ils adressent aux élus locaux peuvent être vus comme l'une des causes de de la discordance des directives de la part de l'État.
Quelles difficultés essentielles souhaiteriez-vous porter à la connaissance du Gouvernement dans le domaine de la gestion de l'urgence sanitaire, des priorités et des moyens 4 ( * ) ?
Source : Délégation aux collectivités territoriales du Sénat
Ces nombreuses communications électroniques n'ont par ailleurs pas permis de rompre avec l'abandon ressenti par certains élus locaux : « À part les innombrables mails, le sentiment de solitude est là » , dit le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants de la Sarthe.
« Il est assez désagréable de se sentir isolé, voire abandonné, dans son coin à gérer au mieux la crise... »
Maire d'une commune de moins de 1 000 habitants du Haut-Rhin
Spontanément, 6 % des élus locaux évoquent ce sentiment d'abandon comme l'une des difficultés essentielles de cette période dans les rapports avec les services de l'État. À plusieurs reprises, ce sentiment d'abandon a été conjugué avec l'impression de décisions prises « depuis Paris » qui ne collaient pas aux réalités locales (5 %), en mettant en avant les singularités de leur territoire, en particulier dans les plus petites communes.
« Les mesures de confinement adoptées à l'échelon national ne font pas de distinction entre les villes de 100 000 habitants et nos petites communes rurales, ce qui est parfois difficiles à comprendre pour nos habitants. »
Maire d'une commune de moins de 10 000 habitants du Jura
* 4 Seules les réponses dont l'occurrence est supérieure à 5 % ont été reproduites.