N° 579

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juillet 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur les enseignements de la consultation nationale menée par le Sénat auprès des élus locaux pendant la période de confinement ,

Par MM. Jean-Marie BOCKEL et Éric KERROUCHE,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean-Marie Bockel , président ; MM. Mathieu Darnaud, Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Marc Daunis, François Grosdidier, Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, MM. Alain Richard, Pascal Savoldelli , vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Bernard Delcros, Christian Manable , secrétaires ; MM. François Calvet, Michel Dagbert, Philippe Dallier, Mmes Frédérique Espagnac, Corinne Féret, Françoise Gatel, M. Hervé Gillé, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean-François Husson, Dominique de Legge, Jean-Claude Luche, Jean Louis Masson, Franck Montaugé, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Philippe Pemezec, Rémy Pointereau, Mmes Sonia de la Provôté, Patricia Schillinger, Catherine Troendlé, MM. Raymond Vall, Jean-Pierre Vial.

LES ÉLUS LOCAUX ET LE CONFINEMENT :
ENSEIGNEMENTS DE LA CONSULTATION NATIONALE DU SÉNAT

INTRODUCTION

Au plus fort de la crise sanitaire, les maires ont su conserver la confiance de nos concitoyens. Elle s'est maintenue à des niveaux élevés, rassemblant jusqu'à trois Français sur quatre, d'après une enquête conduite par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), ce qui tranche avec la méfiance qui n'a cessé de s'installer à l'égard de l'exécutif 1 ( * ) . Au moment de la neuvième vague de ce sondage (22-24 mai), alors que la confiance dans le maire s'affiche à près de 75 %, celle vis-à-vis du Gouvernement et du Président de la République rassemble seulement un peu plus du tiers des répondants (35 et 37 % respectivement).

Si les Français ont toujours su qu'ils pouvaient compter sur les maires, les élus locaux ont quant à eux parfois eu l'impression d'être seuls, au plus fort de la pandémie, et de ne pas toujours pouvoir compter sur l'État. Comme a pu le regretter le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants du Haut-Rhin, « Il est assez désagréable de se sentir isolé, voire abandonné, dans son coin à gérer au mieux la crise... ».

En prise sur les préoccupations des élus locaux, la délégation aux collectivités territoriales a souhaité recueillir leurs témoignages sur les difficultés rencontrées dans la lutte contre l'épidémie et dans la gestion de l'urgence. Accessible sur le site du Sénat, cette consultation s'est tenue du 9 avril au 4 mai 2020. Ne tenant donc pas compte de la première phase de déconfinement survenue le 11 mai, elle vise à traduire l'état d'esprit des élus locaux dans une période inédite de confinement, qui a mis à rude épreuve toutes les collectivités publiques, quel que soit leur échelon. Aux risques sanitaires exacerbés par la circulation active du virus se sont ajoutées les incertitudes légitimes d'élus locaux placés dans une situation sans précédent. L'esprit d'initiative et les solutions innovantes portées au niveau local ne sauraient gommer a posteriori les difficultés de l'action dans un environnement incertain.

Au total, 1 762 élus locaux ont participé, issus de tous les territoires. Cette représentation équilibrée des territoires permet ainsi de bénéficier de remontées du terrain au-delà des seuls foyers épidémiques.

Le premier enseignement de cette consultation est que la crise sanitaire a été vécue de manière différente. Si la taille de la collectivité territoriale a une influence notable sur la nature des difficultés rencontrées, des lignes de forces communes émergent nettement.

Le confinement a ainsi été vécu par les élus locaux comme une période de gestion de la pénurie. Au-delà du manque de consignes claires et de matériels de protection, le sentiment d'abandon des collectivités territoriales a paradoxalement pu se nourrir de la présence de trop nombreux acteurs, dont les consignes ont pu sembler contradictoires. En particulier, les Agences régionales de santé (ARS) ont brillé par leurs insuffisances, notamment lorsque la question des masques s'est installée dans le débat public.

Au coeur de la crise sanitaire, les élus locaux ont regretté les défaillances organisationnelles de l'État au plus haut niveau. Les maires n'ont pu disposer d'informations claires et cohérentes que tardivement, parfois par les médias, alors qu'ils étaient en première ligne pour répondre aux interrogations de leurs concitoyens.

Au niveau local néanmoins, l'État a globalement été présent pour les associer à la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire mais également pour les accompagner dans l'application des mesures de santé publique. Les préfets de département ont à cet égard été les interlocuteurs quotidiens des élus locaux, dont le travail de coordination a été salué.

Face aux difficultés, les élus locaux ont fait le choix de l'action. Le fonctionnement des services publics essentiels a été adapté aux exigences de sécurité sanitaire, non sans difficultés, notamment dans les communes les plus peuplées. Plus la taille démographique de la commune est importante, plus la concentration de services croît et plus le nombre de difficultés est élevé. Mais surtout, les collectivités territoriales se sont substituées à l'État en matière d'équipements de protection et d'information de la population sur les mesures d'urgence, en allant parfois au-delà de leurs compétences habituelles. Les initiatives locales ont été néanmoins plus nombreuses là où les moyens étaient les plus importants, ce qui n'est pas sans questionner l'égalité entre les territoires.

Les élus locaux ont tiré divers enseignements du confinement. Une meilleure anticipation constitue leur première recommandation. En particulier, ils souhaitent une décentralisation de la gestion des stocks de masques et des autres équipements de protection, afin que les collectivités territoriales puissent apporter une réponse plus rapide que celle de l'État, ce qui n'est pas sans effet sur le pilotage national de la santé publique.

Concernant les relations entre l'État et les collectivités territoriales en période de crise sanitaire, ils plaident pour une amélioration de la communication avec les différents acteurs de l'État, mais également pour une véritable logique partenariale. Une réflexion d'ensemble sur l'articulation entre les différents échelons de planification pourrait ainsi être l'occasion d'intégrer les retours d'expérience de cette crise sanitaire, afin d'améliorer la prévention et la lutte contre la propagation de nouveaux virus. Si plus d'un tiers des recommandations dépasse la simple gestion de crise, telle que la revalorisation des moyens de l'hôpital public, une refonte de l'architecture organisationnelle ne semble pas être la priorité des élus locaux, préférant l'amélioration des circuits existants.

I. LA CONSULTATION NATIONALE : L'ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES RÉPONDANTS PERMET DE CERNER LA PERCEPTION DES MAIRES AU-DELÀ DES SEULS FOYERS ÉPIDÉMIQUES

Sur le plan méthodologique, cette consultation repose sur la participation volontaire des élus locaux et non sur une enquête d'opinion réalisée auprès d'un échantillon représentatif des élus locaux. Les associations d'élus locaux 2 ( * ) , avec lesquelles la délégation entretient d'étroites relations de travail, ont participé à sa diffusion auprès de leurs membres.

Sans surprise, les maires sont surreprésentés parmi les répondants (81 %), ce qui est gage de contributions qualitatives puisque ce sont avant tout eux qui ont été en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire, au plus près des populations et de leurs attentes. Les présidents et vice-présidents d'un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) (17 %), les adjoints au maire (13 %) et les conseillers municipaux (5 %) sont les autres élus locaux les plus représentés.

Si des élus locaux issus de tous les départements ont contribué à cette consultation, à l'exception de la Corse-du-Sud, le niveau de participation varie considérablement d'un territoire à l'autre. Les élus alsaciens sont les premiers en nombre de contributions (71 réponses pour le Bas-Rhin, 51 réponses pour le Haut-Rhin), ce que l'on peut comprendre en raison de l'ampleur de la pandémie dans cette zone de la France qui a été l'une des premières fortement touchée, suivis du Calvados (49 réponses), de la Haute-Savoie et de la Seine-Maritime (46 réponses).

Répartition des réponses à la consultation par région

Région du répondant

Proportion
dans les réponses
à la consultation

Répartition de la population française

Différentiel constaté

Nouvelle Aquitaine

17,0 %

12,4 %

+3,9 %

Auvergne-Rhône-Alpes

16,2 %

4,3 %

+1,9 %

Grand Est

14,6 %

5,1 %

+0,2 %

Occitanie

9,8 %

3,9 %

-0,5 %

Île-de-France

7,1 %

0,5 %

-0,5 %

Normandie

6,9 %

8,5 %

+6,1 %

Hauts-de-France

6,6 %

9,2 %

-2,6 %

Bourgogne-Franche-Comté

6,2 %

18,9 %

-11,8 %

Bretagne

5,4 %

5,1 %

+1,8 %

Pays-de-la-Loire

3,9 %

9,2 %

+7,8 %

Centre

3,5 %

9,1 %

+0,7 %

Provence-Alpes-Côte d'Azur

2,6 %

5,9 %

-1,9 %

Corse

0,1 %

7,8 %

-5,2 %

Source : Délégation aux collectivités territoriales du Sénat

Mis à part les 0,6 % constitués des réponses des élus ultra-marins (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte, mais aussi de Polynésie française), neuf départements ont apporté moins de cinq réponses, parmi lesquels, paradoxalement, deux départements très touchés par l'épidémie : Paris et la Seine-Saint-Denis 3 ( * ) .

Cependant, l'Ile-de-France demeure malgré tout représentée de manière proportionnée à son poids démographique (-0,5 %), tout comme le Grand Est (+0,2 %), si bien que les élus locaux issus des deux régions les plus touchées par la pandémie représentent une part équitable des répondants.

La Bourgogne-Franche-Comté (-11,8 %) et la Corse (-5,2 %) sont quant à elles nettement sous-représentées, tandis que les Pays-de-la-Loire (+7,8 %) et la Normandie (+6,1 %) bénéficient d'un poids plus important.

La moitié des répondants est issue d'un territoire de moins de 1 000 habitants, dont 55 % des maires. Les communes de moins de 10 000 habitants sont nettement sous-représentées, tandis que les deux strates supérieures sont surreprésentées.

Répartition des réponses à la consultation par strate de communes

Moins
de 1 000 habitants

Entre 1 000 et 10 000 habitants

Entre 10 000 et 100 000 habitants

Plus
de 100 000 habitants

Représentation dans les réponses à la consultation

49,1 %

36,5 %

11,8 %

2,6 %

Proportion par rapport au nombre de communes

71,7 %

25,6 %

2,7 %

0,1 %

Différentiel constaté

-22,6 %

-10,9 %

+9,1 %

+2,5 %


* 1 Les résultats des différentes vagues de cette enquête sont consultables à l'adresse suivante : http://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/attitudes-des-citoyens-face-au-covid-19

* 2 Association des Maires de France, Association des Maires Ruraux de France, Association des Petites Villes de France, Assemblée des Communautés de France, Assemblée des Départements de France, Régions de France...

* 3 Les autres départements sont les Alpes-Maritimes, la Haute-Corse, l'Eure-et-Loir, l'Indre, la Lozère, la Haute-Marne et l'Orne.

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