B. UNE FRAGILITÉ NÉANMOINS PERSISTANTE

« On ne peut pas dire que la Grèce ne court plus de dangers » a dit une personnalité de haut niveau au rapporteur, lors de sa mission à Athènes. En effet, l'héritage reste lourd, sur le plan tant économique que social.

1. La prégnance de problèmes structurels

Le gouvernement grec est mobilisé, mais sa tâche est ardue.

Il est en effet confronté à des problèmes structurels qui n'ont pas disparu , en particulier le niveau de la dette publique , qui reste très élevé, à 173 % du PIB en 2020, néanmoins en recul de dix points par rapport à 2018, et un système bancaire encore lesté par la mauvaise dette , même si ce stock a beaucoup baissé grâce aux efforts pour purger le bilan. Les prêts non performants représentent ainsi 40 % de l'ensemble des prêts, même si leur encours a diminué de 40 milliards d'euros depuis l'acmé de la crise en juillet 2015.

Par ailleurs, le manque de performance du secteur public grec demeure, lui aussi, un problème structurel. L'environnement des affaires est peu attractif, voire rebutant. Le cadre réglementaire est en effet toujours très complexe - un interlocuteur du rapporteur a parlé de « maquis législatif et réglementaire perturbant ». Par exemple, la réforme du cadastre est lente - la Commission estime qu'elle est réalisée à 40 %. Le système juridictionnel est également complexe et lent : il faut 1 500 jours pour qu'une décision de justice devienne définitive. Aussi les investisseurs sont-ils encore trop souvent découragés par l' insécurité juridique qui caractérise le pays. De même, les entreprises grecques sont fréquemment confrontées à des problèmes de normes : les normes, dont la grande majorité dépend désormais de la réglementation européenne, sont de plus en plus strictes, mais sont loin d'être toujours appliquées par certains pays tiers avec lesquels la Grèce entretient d'importantes relations économiques. Des difficultés avec le ciment turc ont ainsi été signalées au rapporteur.

Les représentants des moyennes et grandes entreprises grecques que le rapporteur a rencontrés, à Athènes, ont estimé que le gouvernement allait dans la bonne voie, mais que beaucoup reste à faire pour accroître les investissements dans leur pays . Aujourd'hui, selon les informations données par la Banque de Grèce, le pays investit l'équivalent de 10 % de son PIB, alors que la moyenne européenne est de 20 %. Pendant le pire moment de la crise, les Chinois ont continué d'investir, par exemple dans les ports du Pirée et de Thessalonique, considérés comme des portes d'entrée des Nouvelles Routes de la soie. Selon les interlocuteurs du rapporteur, le bilan est plutôt bon, car des emplois ont été créés au bénéfice de la population locale et le Pirée est désormais le premier port de Méditerranée. La Grèce constitue indéniablement une priorité pour la Chine sur le plan économique, alors que la Grèce est justement demandeuse d'investissements étrangers. La présence chinoise a d'abord pris la forme d'une pénétration discrète, mais va bientôt atteindre le stade de la visibilité (avec la 5G par exemple).

La Grèce devrait également accroître le volume de ses exportations . À Athènes, il a été indiqué au rapporteur qu'en 2019, la valeur des exportations grecques avait atteint 37 milliards d'euros, soit un niveau similaire à celui de la Slovénie, alors que l'Irlande, qui compte deux fois moins d'habitants que la Grèce, exporte pour 130 milliards d'euros. La marge de progression est donc substantielle. Pour cela, la conquête de nouveaux marchés est indispensable.

Pour l'avenir, deux problèmes majeurs demeurent , dont les conséquences sont potentiellement inquiétantes à moyen et long terme :

- un retard sensible de l'économie numérique , qui ne représenterait en Grèce que moins de 3 % du PIB, pour une moyenne mondiale de 15,5 % ; seuls de sérieux efforts de formation permettront de rattraper ce retard ;

- le caractère tardif de la transition écologique , qui constitue pourtant désormais une priorité de l'agenda européen.

De manière générale, il paraît indispensable de restructurer l'économie grecque dans le sens d'une plus grande diversification . Par exemple, le tourisme est un secteur dynamique en Grèce, même si la situation dans les îles est quelque peu affectée par la crise migratoire, mais il engendre des emplois le plus souvent temporaires, peu qualifiés et faiblement payés. La Grèce doit donc développer son industrie . Celle-ci était traditionnellement très protégée et elle a beaucoup souffert de son entrée dans le marché commun. Néanmoins, l'industrie grecque est désormais rentable et certains secteurs, tels que le textile ou l'aluminium, sont porteurs.

La crise économique qui frappe toute l'Europe à la suite du confinement et des mesures prises pour lutter contre le coronavirus aura

2. Un climat social médiocre

La longue et sévère crise qui a affecté la Grèce a laissé des séquelles sociales. Après une décennie très dure, la population grecque est éprouvée. Les mesures d'austérité avaient provoqué des manifestations anti-austérité et des troubles sociaux dans le pays. En mai 2010, des grèves générales avaient affecté l'ensemble du pays et trois personnes avaient même été tuées pendant une manifestation, parmi les plus importantes depuis 1973. En mai 2011, la Grèce avait connu une deuxième vague de manifestations ayant débuté de façon pacifique avant de sombrer dans la violence. Fin 2012-début 2013, de violentes attaques organisées par des groupes extrémistes avaient visé des responsables politiques, des journalistes ou encore des banques.

Aujourd'hui, la population grecque connaît un sentiment d'impatience. Heureusement, le rôle d'amortisseur social de la famille reste important.

Plusieurs années de récession et d'austérité ont sérieusement affecté le niveau de vie. Le chômage a atteint des niveaux record, la Grèce affichant le taux de chômage global le plus élevé de l'Union européenne. Le recours à des formes d'emploi flexibles dans de mauvaises conditions de travail a augmenté. Les salaires ont chuté - parfois jusqu'à 50 % - et les conditions de travail se sont dégradées. Le système de négociation collective et de conventions collectives a été en grande partie démantelé et les prestations sociales ont fortement baissé, quand elles n'ont pas été supprimées. En 2012, les revenus disponibles des foyers ont baissé de 40 % et plus d'un million de Grecs vivaient dans des foyers privés de quelque revenu que ce soit. En 2014, près de 4 millions de Grecs - soit plus d'un tiers de la population - et près des deux tiers des ressortissants étrangers étaient exposés au risque de pauvreté ou d'exclusion sociale ou vivaient en dessous du seuil de pauvreté. En 2015, près d'un Grec sur cinq n'avait pas les moyens de se nourrir tous les jours et les soupes populaires ont vu le nombre des bénéficiaires exploser, jusqu'à plusieurs centaines de milliers de personnes.

D'autres droits sociaux, notamment le droit à la sécurité sociale et à la protection sociale, ont subi de plein fouet les effets négatifs de la situation économique et de l'austérité. L'assurance sociale, les programmes de protection sociale et les prestations de pension et de retraite ont été sérieusement amputés. Les montants des pensions ont diminué de moitié en dix ans. Les petites retraites ont été réduites 23 fois au cours des huit dernières années. La réforme du système de pensions a aggravé la vulnérabilité et le risque de pauvreté des personnes âgées qui, souvent, perçoivent une pension de retraite dont le montant est souvent inférieur au seuil de pauvreté. Le nombre de sans-abri s'est envolé - quelque 20 000 personnes ont perdu leur logement entre 2011 et 2012. On estime que 2,5 millions de Grecs ne sont pas assurés et que le nombre de personnes dont les besoins de santé ne sont pas satisfaits a fortement augmenté.

En mai 2019, le salaire minimum mensuel a été augmenté pour la première fois depuis dix ans, passant de 586 à 650 euros, tout en restant cependant inférieur à son niveau d'avant la crise, soit 751 euros - et le salaire moyen mensuel s'établit à environ 1 000 euros nets. Pour autant, un tiers de la population active grecque perçoit un salaire inférieur en raison de l'importance de l'économie informelle.

Dans ce contexte très dégradé, environ 500 000 jeunes Grecs ont quitté leur pays pour terminer leurs études ou trouver un emploi, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas - très peu en France -, ce qui est considérable pour une population de 11 millions d'habitants. Or, cette fuite des cerveaux touche un pays qui connaît un net vieillissement démographique : la population grecque pourrait passer de 11 millions d'habitants à 8 millions en 2050.

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