B. LES COMPÉTENCES, L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU PARQUET EUROPÉEN
1. Le champ de compétences du parquet européen
Le parquet européen disposera d'une compétence partagée avec les autorités nationales .
Du point de vue de sa compétence matérielle , le parquet européen ouvrira et dirigera des enquêtes et engagera des poursuites en matière d' atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne , tels qu'ils sont définis par la « directive PIF ». Pour les fraudes portant atteinte aux ressources propres de l'Union, le parquet européen ne sera compétent que pour les infractions ayant un lien avec le territoire de deux États membres ou plus, causant un préjudice financier supérieur à 10 millions d'euros 21 ( * ) et résultant d'un système frauduleux. En pratique, il pourra s'agir de faits de corruption, de détournement de fonds publics ou d'abus de confiance, de blanchiment d'argent, ainsi que d'escroqueries à la TVA .
Du point de vue de ses c ompétences territoriale et personnelle , le parquet européen est compétent lorsque les infractions ont été commises :
- en tout ou partie sur le territoire d'un ou de plusieurs États membres ;
- en dehors du territoire d'un État membre, par un ressortissant d'un État membre et par un fonctionnaire ou agent de l'Union européenne.
En cas de désaccord entre le parquet européen et les autorités nationales chargées des poursuites sur la question de savoir si le comportement délictueux relève ou non du champ de compétence du parquet européen défini par le règlement, ce sont les autorités nationales compétentes pour statuer en cas de poursuites à l'échelle nationale qui déterminent l'autorité compétente pour instruire l'affaire. Les États membres désignent l'autorité nationale appelée à statuer sur la répartition des compétences.
2. L'organisation du parquet européen
Le parquet européen est un organe indivisible fonctionnant comme un parquet unique à structure décentralisée . Il deviendra la première instance européenne indépendante avec des compétences judiciaires propres en matière pénale .
Il est organisé en deux niveaux :
- un niveau centralisé, avec le chef du parquet européen et les procureurs européens ;
- un niveau décentralisé, avec les procureurs européens délégués.
Au niveau central , les organes du bureau central, installé à Luxembourg , comportent, d'une part, le collège , chargé du suivi général des activités, de la définition de la politique pénale, ainsi que des questions générales soulevées par des dossiers particuliers, et, d'autre part, les chambres permanentes , qui supervisent et dirigent les enquêtes, décident des classements sans suite, des procédures de poursuites simplifiées ou des renvois des affaires devant les juridictions nationales. La question du niveau de spécialisation et celle de l'organisation des chambres permanentes demeurent entières à ce stade ; le collège, qui devra répondre à ces questions à la majorité des deux tiers, devra parvenir à un équilibre entre le fonctionnement collégial des chambres permanentes et l'efficacité de leurs travaux.
Ce bureau central comprend deux types de membres : d'une part, le chef du parquet européen, nommé par le Parlement européen et le Conseil pour un mandat non renouvelable de sept ans et choisi parmi des membres actifs du corps judiciaire d'un État membre, ainsi que ses adjoints, qui sont chargés de représenter le parquet européen, d'en organiser et d'en diriger les activités ; d'autre part, chaque État membre est représenté par un procureur européen, nommé pour un mandat non renouvelable de six ans , chacun des procureurs européens étant chargé d'un contrôle plus étroit des affaires concernant son État membre d'origine.
Le niveau décentralisé est constitué par deux procureurs européens délégués au minimum, qui sont affectés dans chaque État membre. Chargés du suivi opérationnel des enquêtes et des poursuites , les procureurs européens délégués agissent au nom du parquet européen en suivant les orientations et les instructions de la chambre permanente chargée de l'affaire, ainsi que celles du procureur européen chargé de la surveillance. Investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, les procureurs européens délégués peuvent ainsi engager des poursuites au niveau national.
3. Le fonctionnement du parquet européen
Le parquet européen peut être saisi de deux manières , soit en ouvrant lui-même une enquête à la suite d'un signalement qui lui est directement adressé, soit en exerçant son droit d'évocation afin de se saisir d'une enquête déjà ouverte dans l'un des États membres.
Pour permettre l'exercice de ces prérogatives, le règlement impose aux autorités des États membres, ainsi qu'aux institutions, organes et organismes de l'Union européenne d'informer le parquet européen dans un délai raisonnable en cas de soupçon d'infraction relevant de sa compétence .
La liste des mesures d'enquête dont doit disposer le parquet européen comprend notamment les perquisitions et saisies, les écoutes téléphoniques, la rétention de données et la géolocalisation. Le règlement permet la mise en oeuvre des mesures d'investigations transfrontières directement entre procureurs européens délégués, sans recours aux instruments d'entraide et de reconnaissance mutuelle , grâce à une autorisation juridictionnelle unique dans l'État d'exécution de la mesure.
Le règlement exclut la possibilité de déclarer irrecevable un élément de preuve au seul motif qu'il a été recueilli dans un autre État membre ou conformément au droit d'un autre État membre. En contrepartie, il affirme le principe de liberté d'appréciation des éléments de preuve par la juridiction de fond.
Il ne crée pas de procédure de transaction sui generis , mais permet le recours aux procédures simplifiées prévues par le droit de l'État membre concerné, sur décision de la chambre permanente après proposition du procureur européen délégué.
Le règlement garantit un système complet de contrôle juridictionnel : un contrôle juridictionnel national pour les actes d'investigation ; un recours préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) saisie par les juridictions nationales pour apprécier la validité des actes d'investigation du parquet européen ou interpréter et apprécier la validité du droit de l'Union ; un contrôle direct par la CJUE, notamment pour les décisions du parquet européen de classement sans suite.
L'insertion du parquet européen dans le système judiciaire français devrait être facilitée par une habitude acquise dans les parquets de s'assurer de leur compétence, voire d'envisager un dessaisissement au profit de parquets plus spécialisés, notamment les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou le procureur de la République financier.
Le Parquet national financier Le Parquet national financier (PNF), institué en décembre 2013 et entré en activité le 1 er février 2014, est compétent pour les affaires de corruption nationale et internationale, dont le contentieux est en forte progression, et de fraude fiscale, y compris la fraude à la TVA. Cette dernière comporte une importante activité internationale et entre également dans le champ de compétences du parquet européen. Lors de leur audition, Mme Éliane Houlette, procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris, et M. Jean-Luc Blachon, premier vice-procureur, ont indiqué que la grande majorité des dossiers traités par le PNF comportait une dimension internationale et nécessitait donc une coopération avec les autorités judiciaires étrangères (échanges d'informations, demandes d'investigations, d'arrestation ou d'extradition, déplacements de magistrats, liens avec Eurojust, équipes communes d'enquête financées par le budget de l'Union européenne, etc.). Ainsi, en 2018, le PNF a adressé 103 demandes d'entraide à ses homologues étrangers et a reçu 40 demandes. Au niveau européen, la coopération est facilitée par les relations directes entre les autorités judiciaires, si besoin avec le recours au bureau français d'Eurojust, avec lequel le PNF entretient des relations quasi-quotidiennes. Le PNF pourra apporter son expertise au futur procureur européen délégué français. Compte tenu de l'importance de cette coopération européenne et de la similitude des compétences, il paraît nécessaire que le PNF soit consulté par le ministère de la justice sur la mise en place du parquet européen. Il semble que cela n'ait pas été le cas, ce que les rapporteurs regrettent... Le risque de conflits de compétences n'est en effet pas nul, d'autant plus que le seuil de 10 millions d'euros applicable aux fraudes transfrontalières pour la saisine du parquet européen peut évoluer au cours de la procédure. De même, des interrogations demeurent sur la saisine consécutive aux signalements : les autorités de contrôle saisiront-elles directement le parquet européen plutôt que le PNF ou les deux institutions simultanément ? |
Le nombre de dossiers qui pourraient relever du parquet européen reste à ce stade limité, évalué entre cinquante et soixante.
L'impact attendu du parquet européen en France pourrait dépendre de plusieurs facteurs : l'emploi par le parquet européen de plusieurs magistrats français, au minimum le procureur européen et deux procureurs européens délégués ; la détermination de la localisation des procureurs européens délégués, de leurs interactions avec l'éventuel parquet de rattachement et avec les magistrats du siège ; la détermination de l'intervention du parquet européen en appel et en cassation.
* 21 Le parquet européen ne sera compétent que par exception pour les infractions PIF causant un préjudice inférieur, lorsqu'elles ont des répercussions au niveau de l'Union européenne ou lorsqu'elles mettent en cause un officiel ou un fonctionnaire de l'Union européenne.