PREMIÈRE PARTIE : QUELLES SOLIDARITÉS ÉCONOMIQUES ENTRE LES GÉNÉRATIONS POUR DEMAIN ?
Malgré de nombreux ajustements déjà opérés, certaines évolutions démographiques et économiques mettent à l'épreuve le Pacte entre les générations instauré après 1945. Cela alimente des tensions intergénérationnelles autour des enjeux d'équité et d'efficacité. Pour conforter l'acceptabilité du Pacte et mieux garantir sa soutenabilité économique, il faudra procéder à de nouvelles adaptations dans les années qui viennent. La prise en compte du poids croissant des transferts intergénérationnels de patrimoine et l'exploitation des opportunités offertes par la complexification d'un cycle de vie désormais organisé en cinq âges, peuvent être des pistes pour procéder aux ajustements nécessaires.
I. LE PACTE INTERGÉNÉRATIONNEL : DE QUOI PARLE-T-ON ?
A. UN SYSTÈME DE REDISTRIBUTION INTERGÉNÉRATIONNELLE HÉRITÉ DE L'APRÈS-GUERRE
La solidarité économique entre les générations est fondée encore aujourd'hui sur le Pacte intergénérationnel mis en place à la Libération. Ce pacte repose sur quelques grands principes :
- C'est un système de transferts organisé autour de trois générations imbriquées : les jeunes, les actifs d'âge intermédiaire et les séniors inactifs ;
- Entre ces trois générations, a été construit un système de redistribution très largement socialisé. La redistribution est alimentée par des prélèvements concentrés sur les actifs d'âge intermédiaire, qui sont contributeurs nets. Ces prélèvements sont encore, pour une bonne part, constitués de cotisations assises sur le travail. Les versements sont quant à eux dirigés principalement vers les inactifs, jeunes et seniors, qui sont bénéficiaires nets ;
- Le champ de cette solidarité intergénérationnelle est très large, puisqu'il couvre les principaux risques sociaux (maladie, vieillesse, maternité/famille, chômage, accidents du travail), l'essentiel des dépenses d'éducation, ainsi que certaines politiques ciblées (logement, pauvreté,...) ;
- Enfin, si le dispositif central du Pacte fonctionne sur la base de transferts publics, il est complété à la marge par des transferts familiaux et patrimoniaux privés.
B. UN SYSTÈME DE SOLIDARITÉ OU DE RÉCIPROCITÉ « DIFFÉRÉE »
Pour bien saisir la nature du Pacte intergénérationnel, il faut avoir à l'esprit qu'il ne met pas en regard des droits et des obligations précisément définis sur le mode du donnant-donnant ou du contrat, mais qu'il fonctionne sur un mécanisme de don et de contre-don, différés dans le temps . La génération N partage ce qu'elle produit avec la génération N+1 en comptant que cette génération N+1 partagera demain à son tour lorsqu'elle sera elle-même devenue productive. La génération N partage également avec la génération N-1 pour s'acquitter de la « dette » qu'elle a contractée en recevant auparavant l'aide de la génération N-1.
Pour chaque génération, donner est un pari : le pari d'un retour ultérieur sur le don (avec néanmoins l'État comme garant de la continuité dans le temps du système). L'observation anthropologique et historique montre que la chaîne de solidarité intergénérationnelle bâtie sur ce principe de don/contre-don est, malgré sa fragilité apparente, bien plus solide que n'importe quel système de contrats : la génération suivante n'abandonne jamais la précédente à son sort. Toutefois, cette solidarité intergénérationnelle n'en reste pas moins affectée par une incertitude forte. En effet, inscrite dans le temps long, la réciprocité différée est naturellement marquée par l'incertitude des évolutions historiques - notamment économiques : nul ne sait ce qu'il y aura à partager demain ni quel sera le niveau de prospérité relatif des différentes générations ni quelles seront par conséquent les conditions précises du partage.
Du fait de cette incertitude intrinsèque, le Pacte est naturellement traversé de tensions, voire de conflits, entre les générations : ce qu'il est souhaitable et juste pour chaque génération de donner et de recevoir doit en effet être rediscuté périodiquement pour tenir compte des transformations qui affectent l'état du monde. C'est ce qui se passe depuis les années 1980 en France. Un véritable système de comptabilité nationale des transferts intergénérationnels a d'ailleurs été mis en place avec les comptes de transfert nationaux , afin d'apporter des éléments de chiffrage objectifs aux débats sur l'ampleur et l'équité des transferts entre générations (voir annexe 1).