III. UNE RÉGULATION  PERFECTIBLE DES LOCATIONS TOURISTIQUES

Depuis 2014, le législateur est intervenu en vue de permettre aux territoires faisant face à une situation particulièrement tendue entre l'offre et la demande de logements de se doter d'outils pour réguler l'offre de meublés de tourisme. Vos rapporteures invitent, en revanche, à se garder de les considérer comme un moyen de rétablir une égale concurrence entre hôtels et locations touristiques. Au demeurant, elles remarquent que la problématique du logement a pu relativement éclipser celle du tourisme, de sorte que la réglementation proprement touristique applicable aux meublés de tourisme mériterait d'être actualisée.

A. DANS LES ZONES TENDUES, LES LOCATIONS TOURISTIQUES PEUVENT SOUSTRAIRE DES LOGEMENTS AU MARCHÉ LOCATIF TRADITIONNEL.

Le développement du nombre de logements dédiés à la location de courte durée à des fins touristiques entraîne, dans les villes caractérisées par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements, une r aréfaction du marché locatif traditionnel . Cette situation est préjudiciable pour les habitants, qui sont contraints de s'éloigner pour trouver un logement. Elle est également contreproductive pour l'attractivité du territoire concerné, car la demande de meublés touristique a en partie pour objectif d'adopter le mode de vie de la population locale.

C'est notamment le cas à Paris. Le ministère de la cohésion des territoires estime que le nombre de logements détournés du parc locatif traditionnel par une mise en location irrégulière sur Airbnb y est proche de 20 000 49 ( * ) . L'entreprise confirme qu'il existe bien un tel phénomène de substitution, mais l'estime à environ 5 000. La mission d'inspection précitée estimait ce nombre à environ 5 800 logements en 2015 50 ( * ) , principalement situés dans les zones touristiques. La même année, ces logements auraient représenté plus de la moitié des nuitées réservées sur le site et plus de 60 % des loyers reversés par la plateforme aux hôtes 51 ( * ) . Elle estimait par ailleurs, au 2 septembre 2015, à 19 % le nombre d'offres de logements entiers sur Airbnb à Paris qui étaient le fait de multi-annonceurs, ce qui est un indice permettant de caractériser une gestion professionnelle du parc, soumise à la réglementation sur le changement d'usage.

Le ministère de la cohésion des territoires estime également que ce phénomène a un effet inflationniste sur les loyers : selon une étude citée dans l'étude d'impact du projet de loi « ELAN », une augmentation de la densité de logements Airbnb « professionnels » d'un point entraîne une augmentation des niveaux de loyers de 1,65 % à Lyon, 1,29 % à Marseille, 1,5 % à Montpellier et 1,26 % à Paris. Cette augmentation est légèrement inférieure (de l'ordre 0,50 %) en considérant la densité de tous les meublés de tourisme (loueurs professionnels et particuliers).

En revanche, le ministère estime que les données disponibles ne permettent pas de conclure à un phénomène inflationniste sur les prix de l'immobilier .

Il convient de souligner que seuls les logements dont l'usage est dédié à la location touristique renforcent la tension entre l'offre et la demande de logements . Le profil du propriétaire est alors le suivant : il s'agit d'un investisseur qui , comme l'a relevé une mission d'inspection 52 ( * ) , effectue un arbitrage entre location traditionnelle à des fins d'habitation et location de courte durée à des fins touristiques 53 ( * ) , en vue de maximiser la rentabilité de son investissement . Les attraits de ce type de location sont multiples : elle garantit le paiement du loyer et assure une certaine facilité à trouver des locataires. Surtout, comme le remarquait la mission, « un investissement immobilier pour de la location de courte durée offre des perspectives de rentabilité significativement plus élevées que la location nue ou meublée de résidence principale ». La mission a en effet comparé la rentabilité nette, c'est-à-dire après prise en compte de la fiscalité, de différents types de location. Elle a trouvé que, sans réglementation, la rentabilité d'une location de courte durée à Paris est 1,5 fois plus élevée que celle d'une location meublée et 2,6 fois plus élevée que la rentabilité d'une location nue . À Nice, la mission a estimé qu'une location de courte durée peut être 1,7 fois plus élevée qu'une location meublée à usage d'habitation principale et 2,6 fois plus élevée qu'une location nue 54 ( * ) . Plus récemment, la presse a relayé une étude non publiée du cabinet Asterès qui démontrerait que le seuil de rentabilité pour un investisseur dans un logement en vue de le louer en meublé de tourisme serait de 126 nuitées par an à Paris, de 134 nuitées à Bordeaux et de 157 nuits à Marseille 55 ( * ) .

Par ailleurs, même si ce sujet ne rentre pas dans le cadre du présent rapport, le Conseil d'Etat a souligné que « le développement d'une offre - illégale donc - particulièrement importante de résidences secondaires meublées sur Airbnb et sur les autres plateformes au détriment de la location nue ou en meublé de longue durée » peut s'expliquer, au-delà de la non application des sanctions, par l'adoption de « règles relativement restrictives pesant sur la location des locaux nus, incitant davantage les propriétaires à se tourner vers le marché plus rentable et moins risqué de la location meublée de courte durée » 56 ( * ) .


* 49 Chiffre estimé dans une étude non publiée établie dans le cadre d'une convention de recherche quadripartite entre le ministère du logement, l'observatoire des loyers de l'agglomération parisienne, l'INRA et l'ESSEC.

* 50 La mission précise que ce chiffre est probablement sous-estimé dans la mesure où son étude ne porte que sur les annonces sur le site Airbnb.

* 51 Générant, pour ceux-ci, un revenu moyen compris entre 21 000 et 24 000 euros.

* 52 Inspection générale des finances, conseil général de l'environnement et du développement durable, Évaluation de politique publique : le logement locatif meublé, annexe V relative à la location meublée de courte durée, Janvier 2016.

* 53 Par convention, le rapport considère qu'est une location de courte durée celle d'une durée inférieure à un mois.

* 54 Lorsque les revenus issus de la location sont déclarés et donc fiscalisés. En cas de non déclaration, la rentabilité est 1,8 fois supérieure à celle d'une location meublée et 3,1 fois supérieure à celle d'une location vide.

* 55 Le particulier immobilier, 1 er avril 2018.

* 56 Citation extraite de son étude déjà citée, relative à l'ubérisation de l'économie.

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