D. QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER ?
À ce stade, plusieurs enseignements se dégagent de la visite du centre et des auditions conduites, notamment à l'aune de l'exemple de la ville de Vilvorde en Belgique.
Au-delà des erreurs ayant émaillé la mise en place du dispositif expérimental, la question de l'efficacité du modèle d'un « centre de déradicalisation » est clairement posée. Plusieurs élus locaux ont d'ailleurs appelé à sa fermeture, estimant que l'expérimentation, qui a eu le mérite d'être tentée, a désormais montré son manque d'utilité.
Plusieurs éléments appuient cette position au regard de la configuration actuelle du programme.
1° Le déracinement des personnes accueillies de leur milieu d'origine pour une destination éloignée et isolée ne favorise pas nécessairement la réussite du programme. À l'inverse, le bourgmestre de Vilvorde, par une démarche particulièrement volontariste, a créé dès 2013 une politique locale spécifique de prévention de la radicalisation à côté du service de prévention de la délinquance, avec un service dédié, chargé d'assurer la sensibilisation des écoles (enseignants, directeurs, etc.) ou des hôpitaux, mais également de suivre les programmes personnalisés en fonction des parcours des personnes suivies (visites à domicile, rencontres avec des assistants sociaux, accompagnement administratif, présence de référents pour l'emploi gérant directement les dossiers des personnes radicalisées, accompagnement avec un duo imam-professionnel, rencontres avec des psychologues, etc .).
2° Le volontariat sur lequel repose le programme crée sa fragilité intrinsèque. Il permet des départs anticipés avant le terme du programme, rendant le suivi aléatoire et dépendant de la bonne volonté de la personne. Ce biais est d'autant plus fort lorsqu'une publicité négative entoure le programme, à l'instar de celui du centre de Pontourny, qualifié par certains médias de « djihad academy ».
3° Les effets sur la lutte contre le phénomène d'emprise sur des personnes en voie de radicalisation sont loin d'être avérés. À titre d'illustration, trois pensionnaires s'étaient autoproclamés la « bande des salafistes rigoristes », le départ forcé de l'un d'entre eux entraînant le départ volontaire et consécutif des deux autres, laissant supposer un phénomène d'emprise, paradoxal dans un lieu censé y remédier.
Si le lieu avait pu attirer plus de candidats, il aurait pu se transformer en un laboratoire d'idées pour le désendoctrinement et la réinsertion, susceptible d'aider les divers acteurs engagés dans ce genre de travail. En l'état actuel et vu le coût d'un lieu qui n'a pas vocation à être un simple centre de recherche, le réalisme devrait sans doute primer sur le temps long effectivement nécessaire aux chercheurs.