D. LA POSITION DE VOS RAPPORTEURS
1. Le recours critiquable à un acte d'exécution et à un acte délégué
La Commission présente un acte d'exécution et un acte délégué pour définir les critères scientifiques permettant d'identifier un perturbateur endocrinien. Elle a juridiquement la possibilité de le faire en vertu des règlements (CE) n° 1107/2009 relatif aux produits phytopharmaceutiques et (UE) n° 528/2012 relatif aux biocides, qui sont les règlements de base de ces actes. Ils définissent clairement le mandat de la Commission et le limitent à la définition de ces critères d'identification.
Vos rapporteurs regrettent le recours à cette procédure pour trois raisons.
Tout d'abord, ces actes ne s'appliqueront qu'aux produits phytopharmaceutiques et aux biocides. Ceci est regrettable car, compte tenu du danger que représentent les perturbateurs endocriniens, une définition transversale permettant d'identifier un perturbateur endocrinien dans tout type de produits aurait été préférable, quitte à prévoir des conséquences réglementaires différentes selon les produits. Il s'agit là d'un enjeu de santé publique essentiel notamment dans le cas des produits cosmétiques qui sont appliqués sur la peau.
En outre, les deux règlements de base prévoient déjà que toutes les substances actives feront l'objet d'une évaluation et que celles qui seront identifiées comme perturbateur endocrinien ne seront pas autorisées sauf dérogation particulière. Ces dispositions ne pourront pas être modifiées dans ces actes car la Commission n'a pas mandat pour le faire. Or, il aurait été intéressant de pouvoir adapter les conséquences réglementaires aux critères retenus.
Enfin, les propositions de la Commission ne pourront pas être amendées par le Conseil ou le Parlement européen, qui pourront toutefois y opposer leur veto.
2. Des critères d'identification devant permettre l'application du principe de précaution
Comme indiqué par le professeur Barouki de l'INSERM, très peu de substances risquent d'être identifiées avec les critères proposés, contrairement à ce qu'affirment les industriels pour qui cela pourrait concerner toute substance ayant un effet endocrinien. En effet, il est difficile d'établir avec certitude un lien de causalité entre la perturbation endocrinienne et l'effet néfaste sur la santé. C'est pour cela que vos rapporteurs souhaitent que si l'on démontre que ce lien est plausible alors la substance pourra être qualifiée de perturbateur endocrinien.
En outre, plusieurs éléments incitent à la prudence quand on aborde la question des perturbateurs endocriniens :
- les recherches sur les perturbateurs endocriniens n'en sont qu'à leurs débuts et la reconnaissance internationale des protocoles de recherche est un processus long ;
- l'effet endocrinien diffère bien de l'effet toxique dans certains cas et il est trop tôt pour pouvoir en apprécier les risques ;
- il existe souvent un temps de latence entre la perturbation endocrinienne et l'effet néfaste sur la santé ;
- les femmes enceintes et les enfants sont les personnes les plus vulnérables.
Dès lors, vos rapporteurs estiment nécessaire d'appliquer le principe de précaution qui consiste à interdire, outre les perturbateurs endocriniens avérés, les substances présumées perturbateurs endocriniens dans le but de protéger la santé publique et ce, sans attendre une démonstration scientifique par le biais de protocoles reconnus par l'OCDE.
En effet, les certitudes sont basées sur des études scientifiques standardisées dont les protocoles sont reconnus au niveau international. Or, la standardisation est un processus lent conduisant à un décalage entre les avancées scientifiques et leur reconnaissance au niveau international. Dès lors, il serait intéressant, pour protéger la santé publique, de pouvoir recourir à des modèles et protocoles pertinents sur le plan scientifique pour caractériser les dangers d'un perturbateur endocrinien, même si ceux-ci ne sont pas standardisés.
C'est aujourd'hui le cas pour les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction dans le cadre des règlements REACH et CLP.
Vos rapporteurs sont donc en accord avec la position française sur les critères permettant d'identifier un perturbateur endocrinien et souhaitent la rédaction suivante (les termes en gras devront être ajoutés à la rédaction actuelle proposée par la Commission) :
« Une substance est considérée comme pouvant avoir des propriétés perturbant le système endocrinien de l'être humain si la substance répond aux critères ci-dessous :
« - elle est connue ou présumée pour ses effets néfastes sur un organisme sain ou sa progéniture, à savoir un changement dans la morphologie, la physiologie, la croissance, le développement, la reproduction ou la durée de vie d'un organisme, d'un système ou d'une (sous-)population qui se traduit par l'altération d'une capacité fonctionnelle ou d'une capacité à compenser un stress supplémentaire ou par l'augmentation de la sensibilité aux effets néfastes d'autres influences ;
- elle présente un mode d'action endocrinien et altère donc les fonctions du système endocrinien ;
- il est biologiquement plausible que ses effets néfastes soient une conséquence du mode d'action endocrinien. »
Les adjectifs « présumé » et « plausible » s'entendent au sens du règlement REACH et du règlement CLP. Ils permettent de prendre en compte des études qui ne sont pas forcément reconnues à l'échelle internationale mais qui sont approuvées par la communauté scientifique.
Extrait de l'annexe XI du règlement REACH 1.2. Éléments de preuve L'hypothèse/la conclusion qu'une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière peut être confirmée valablement par des éléments de preuve provenant de plusieurs sources d'informations indépendantes, alors que les informations provenant de chacune de ces sources, considérées isolément, sont jugées insuffisantes pour permettre de formuler cette hypothèse/conclusion. Le recours à des méthodes d'essai nouvellement mises au point, mais ne figurant pas encore parmi les méthodes visées à l'article 13, paragraphe 3, ou à une méthode d'essai internationale reconnue comme équivalente par la Commission ou par l'Agence, peut fournir des éléments de preuve suffisants pour permettre de conclure qu'une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière. Quand des éléments de preuve suffisants sont disponibles pour confirmer l'existence ou l'absence d'une propriété dangereuse particulière : - il y a lieu de renoncer à des essais supplémentaires sur des animaux vertébrés en ce qui concerne la propriété en cause, - il peut être renoncé à des essais supplémentaires n'utilisant pas d'animaux vertébrés. Dans tous les cas, il y a lieu de fournir une description suffisante et fiable. Extrait du règlement CLP Article 9 3. Lorsque les critères ne peuvent pas s'appliquer directement aux informations identifiées disponibles, les fabricants, importateurs et utilisateurs en aval procèdent à une évaluation en déterminant la force probante des données grâce au jugement d'experts conformément à l'annexe I, section 1.1.1, du présent règlement, en pondérant toutes les informations disponibles ayant une incidence sur la détermination des dangers de la substance ou du mélange, conformément à l'annexe XI, section 1.2, du règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH). Annexe I 1.1.1.3. La détermination de la force probante des données signifie que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur la détermination du danger sont prises en considération conjointement ; telles que des résultats d'essais in vitro appropriés, de données pertinentes provenant d'essais sur des animaux, d'informations provenant de l'application de l'approche par catégories (regroupement, références croisées), modèles de relations (quantitatives) structure-activité ((Q)SARs), des effets observés chez l'homme, par exemple des données de la médecine du travail et des données provenant de bases de données sur les accidents, des études épidémiologiques et cliniques, ainsi que d'informations obtenues par des études de cas et des observations bien documentées. La qualité et la cohérence des données doivent être assurées de manière appropriée. Les informations relatives aux substances ou aux mélanges faisant l'objet de la classification, ainsi que les résultats d'études portant sur le site d'action, le mécanisme ou le mode d'action sont considérés comme appropriés. Les résultats positifs et négatifs sont rassemblés et l'ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données. » |
En revanche, vos rapporteurs ne souhaitent pas introduire une catégorie de perturbateurs endocriniens « suspectés » ou « potentiels » pour lesquels aucune conséquence réglementaire n'existe et qui aurait des conséquences néfastes sur de nombreux secteurs d'activité en France. En effet, le principe de précaution doit être appliqué de manière proportionnée. Sur ce point, vos rapporteurs n'ont pas la même appréciation que le Gouvernement français.
3. Un mandat qui doit être respecté
Vos rapporteurs considèrent que l'article 78 du règlement (CE) n° 1107/2009 relatif aux produits phytopharmaceutiques n'autorise pas la Commission européenne à modifier les règles relatives aux dérogations d'usage des substances reconnues comme perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques, prévues à l'annexe II dudit règlement.
Cet article indique que la Commission pourra modifier des éléments « non essentiels » de l'annexe II pour tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques.
Or, la Commission propose ici d'établir de nouvelles règles pour obtenir une dérogation permettant d'utiliser des substances non approuvées. Il s'agit là de dispositions essentielles nécessitant un nouveau règlement. Elle n'a pas mandat pour cela et l'article 78 ne le lui permet pas.
Le 21 décembre 2016, la Commission a décidé d'inscrire cette disposition dans un second acte d'exécution distinct de celui qui énonce les critères d'identification des perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques.
Par ailleurs, dans sa version du 8 décembre 2016, la Commission européenne a ajouté un paragraphe aux deux projets d'actes concernant les critères d'identification des perturbateurs endocriniens pour les organismes non ciblés.
Ces dispositions doivent permettre de ne pas interdire les substances dont le mode d'action est précisément de perturber le système endocrinien des organismes nuisibles, si pour les êtres humains, il est démontré que l'effet néfaste n'est pas avéré.
Vos rapporteurs s'opposent à ces dispositions dont on ne peut mesurer les conséquences sur la santé et l'environnement, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles et de la difficulté de démontrer avec certitude l'absence d'effet néfaste sur la santé humaine.