C. DES PROPOSITIONS CRITIQUÉES DE TOUTES PARTS
1. Pour certains, une absence de prise en compte des particularités des perturbateurs endocriniens entraînant un risque pour la santé
a) Les associations de défense de l'environnement et de la santé
Pour les associations rassemblées au sein de l'Alliance pour la santé et l'environnement (HEAL) et le Réseau environnement santé (RES), ces critères sont trop restrictifs et rendent difficiles l'identification de perturbateurs endocriniens. En effet, le niveau de preuve demandé pour démontrer qu'une substance est un perturbateur endocrinien est jugé trop élevé. Cette analyse a été confirmée à vos rapporteurs par le professeur Barouki de L'INSERM.
Ces associations estiment que les effets néfastes des substances évaluées doivent être « connus ou présumés ». En outre, elles demandent également à ce que le lien de conséquence entre la perturbation endocrinienne et l'effet néfaste soit certain ou plausible.
Les associations souhaitent également que plusieurs catégories de perturbateurs endocriniens soient définies en fonction des preuves relatives au danger de la substance. En effet, elles souhaiteraient que les critères permettent d'identifier les perturbateurs endocriniens suspectés ou potentiels.
Enfin, elles sont en désaccord avec le fait que la Commission puisse modifier les conditions de dérogation dans le cas des produits phytopharmaceutiques.
Le coût économique pour la collectivité des effets néfastes des perturbateurs endocriniens est estimé à 157 milliards d'euros par an au sein de l'Union européenne.
b) Certains États membres dont la France
Le Sénat italien a adopté une résolution critiquant la position de la Commission. Tout d'abord, il juge les critères proposés par la Commission trop restrictifs et demande à ce que les perturbateurs endocriniens présumés soient pris en compte. En outre, il estime que permettre des possibilités de dérogations plus importantes pour les produits phytopharmaceutiques qui sont en contact avec les produits agricoles ne se justifie pas.
Le Gouvernement français , en accord avec l'ANSES, propose de classer les différentes substances en fonction du degré de certitude sur leur danger :
- perturbateurs endocriniens avérés qui seront interdits sans dérogation possible ;
- perturbateurs endocriniens présumés qui seront interdits sauf mesures de gestion appropriées qui ne pourront être prises dans le cas des produits phytopharmaceutiques et des biocides ;
- perturbateurs endocriniens suspectés devant faire l'objet d'un examen particulier conduisant à des mesures de substitution ou de réduction de l'exposition de la population ou de l'environnement.
Pour la France, la définition doit prendre en compte les perturbateurs endocriniens connus ou présumés, et indiquer que le lien de conséquence entre la perturbation endocrinienne et l'effet néfaste peut être certain ou plausible.
La France, la Suède et le Danemark défendent la mise en place de catégories. Pour peser au sein du Conseil, il leur est nécessaire de rechercher des alliés.
Dans sa résolution du 8 juin 2016, le Parlement européen a demandé à la Commission d'adopter immédiatement des critères scientifiques fondés sur le danger pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien. Dans sa résolution du 14 mars 2013, le Parlement européen a estimé qu'il était nécessaire de classer les perturbateurs endocriniens selon plusieurs catégories en fonction des preuves de leur danger.
2. Pour d'autres, une réglementation excessive et injustifiée
a) Pour les industriels, la notion de danger n'a pas de sens
Plusieurs groupements d'industriels ont été auditionnés par vos rapporteurs : l'UIPP (Union des industries de la protection des plantes) pour les produits phytopharmaceutiques, l'UPJ (Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics) pour les biocides, des représentants de la société Bayer et l'ECPA ( European crop protection ).
Pour eux, la notion de danger intrinsèque n'a pas de sens : une substance n'est dangereuse que dans certaines conditions d'utilisation . Pour pouvoir apprécier le danger d'une substance, il faut prendre en compte sa puissance et l'exposition à celle-ci. C'est pour cela que les industriels insistent sur la nécessité d'intégrer la puissance de la substance parmi les critères d'identification des perturbateurs endocriniens. En outre, les industriels souhaitent une réglementation fondée sur le risque et pas sur le danger permettant de prendre en compte les conditions d'utilisation de la substance.
Ils estiment qu'il n'y a pas de raison de traiter les perturbateurs endocriniens différemment des autres substances toxiques : pour chaque substance, il est possible de définir une dose en deçà de laquelle aucun effet néfaste n'est attendu. Selon eux, seules 30 substances sur 30 000 substances chimiques présentes sur le marché sont des perturbateurs endocriniens présentant un effet non monotonique (pas de relation croissante entre la dose et l'effet néfaste), ce qui est insignifiant.
En outre, les industriels refusent des critères scientifiques prévoyant des catégories pour identifier les perturbateurs endocriniens en fonction du niveau de preuve de leur dangerosité. Ils estiment que cela entraînerait une application excessive du principe de précaution qui conduirait à l'interdiction de nombreuses substances puisque la réglementation actuelle prévoit que les substances identifiées comme perturbateurs endocriniens ne sont pas approuvées. L'enjeu est ici de bien distinguer les substances à action endocrine qui n'ont pas d'effet néfaste sur la santé des perturbateurs endocriniens avérés.
Leur solution pour une meilleure sécurité sanitaire et environnementale est de fournir des produits moins dosés et moins toxiques, mais aussi de promouvoir les bonnes pratiques d'utilisation auprès des agriculteurs notamment.
Les industriels mettent en avant les coûts liés au développement des molécules, à savoir 250 millions d'euros par molécule. Ils indiquent que depuis 1993, on est passé d'environ 1 000 substances actives utilisables à 484 aujourd'hui, et que depuis 2011, seules 19 substances actives nouvelles ont été développées, ce qui rend la substitution difficile.
b) Des risques pour le rendement de la production agricole
Vos rapporteurs ont auditionné des membres de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et ont reçu des contributions écrites de l'AGPM, Association générale des producteurs de maïs, de l'AGPB, Association générale des producteurs de blé et du collectif Sauvons les fruits et légumes.
La FNSEA a présenté à vos rapporteurs une étude d'impact européenne sur le retrait de certaines substances contenues dans les produits phytopharmaceutiques, menée par le cabinet Redqueen.
Selon cette étude, si l'option 3 était retenue permettant de caractériser les substances perturbant le système endocrinien en fonction des éléments de preuve relatifs à leur dangerosité, 60 substances seraient susceptibles d'être retirées du marché entraînant une baisse de rentabilité globale des exploitations de 40 %. La baisse du rendement en pommes de terre et en betteraves serait de 30 à 40 %. En France, la baisse du rendement serait de 100 % pour les haricots et 92 % pour les carottes.
La FNSEA estime qu'il est important qu'une définition scientifique claire soit adoptée pour l'ensemble des substances chimiques quel que soit le produit dans lequel elles sont utilisées.
Enfin, les quatre organisations regrettent que la réglementation reste fondée sur le danger et pas sur le risque . L'AGPM précise que l'évaluation du risque proportionné et balancé aux bénéfices doit être prise en compte pour définir les règles d'utilisation d'une substance. Le Collectif Sauvons les fruits et légumes craint que l'interdiction de certains fongicides ne réduise de façon drastique la production.
Pour ces quatre organisations agricoles, les décisions unilatérales prises par la France telles que le refus d'autoriser certains produits ou les délais avec lesquels les autorisations sont accordées, entraînent des distorsions de concurrence .
M. Vytenis Andriukaitis a été reçu par le Bureau de la Commission des affaires européennes du Sénat le 5 octobre 2016. À cette occasion, il a insisté sur l'impératif d'une meilleure cohérence entre l'action des instances européennes, notamment l'Autorité européenne de sécurité des aliments, d'une part, et celle des agences nationales des États membres, d'autre part. À défaut se développerait un risque de « cacophonie » préjudiciable à tous. Enfin, la multiplication d'initiatives contradictoires à l'intérieur de l'Union serait autant de « coups de canif » porté au marché intérieur, le menaçant in fine de dislocation.
Certains États, comme les États-Unis ou l'Argentine se sont inquiétés, dans le cadre de l'OMC, des restrictions à l'exportation que pourraient entraîner les critères d'identification des perturbateurs endocriniens.
c) La peur de listes noires de produits
Les agriculteurs, comme les industriels, craignent que certaines substances inscrites sur une liste des perturbateurs endocriniens potentiels ne soient de fait proscrites.
Vos rapporteurs ont interrogé la Fédération du commerce et des distributeurs (FCD) qui échange régulièrement avec des associations de consommateurs sur le sujet.
La FCD contrôle régulièrement les produits issus de l'agriculture pour s'assurer qu'ils respectent la réglementation en vigueur.
Des démarches sont engagées volontairement par les distributeurs et leurs fournisseurs pour limiter le recours aux pesticides en fonction de la faisabilité technique. Des programmes de substitution sont mis en oeuvre lorsque cela est possible.
De même, les distributeurs ont parfois pris l'initiative de retirer des rayons des produits contenant des perturbateurs endocriniens, notamment des produits cosmétiques. Les produits phytopharmaceutiques de marque distributeur à base de glyphosate ont été retirés du marché.
L'AGPB s'inquiète que l'on puisse établir une liste de perturbateurs endocriniens potentiels car ce type de classement est de nature à dénigrer certaines substances essentielles sans fondement scientifique.