CHAPITRE IER - CONDUIRE LA DIMENSION TECHNIQUE

Seul objectif proclamé de la coopération institutionnelle entre l'Allemagne et la France dans le domaine énergétique, la maîtrise des sources renouvelables d'énergie constitue évidemment la première étape de toute transition énergétique (I), mais elle est loin d'en être l'alpha et l'oméga : l'intermittence - souvent aléatoire - étant une caractéristique majeure des nouvelles sources d'énergies utilisables dans l'espace européen, la transition suppose de disposer en parallèle de moyens de stockage, une problématique fonctionnellement liée à la bonne gestion des consommations d'électricité (II).

I. MAÎTRISER LE FOISONNEMENT DE TECHNIQUES ENCORE IMMATURES

C'est l'objectif proclamé de la coopération énergétique franco-allemande.

À la notable exception de l'énergie hydraulique de montagne, l'espace européen ne comporte aujourd'hui aucune source renouvelable d'énergie qui puisse être mobilisée à une échelle significative en fonction de la demande : le cas des geysers islandais reste unique et ne devrait influencer que très marginalement et indirectement la politique européenne de l'énergie, via un câble reliant l'Islande à la Grande-Bretagne...

Pour l'essentiel, il reste donc à savoir comment utiliser au mieux les énergies renouvelables (ENR), avec leurs corollaires : la geste de l'intermittence et de l'aléa (A), mais les meilleures énergies sont celle que l'on n'utilise pas et celle que l'on récupère (B).

A. LA GESTE DES ENR, DE L'INTERMITTENCE ET DE L'ALÉA

1. Air, soleil et marées : l'électricité intermittente plus ou moins aléatoire.

Incontestablement, l'électricité photovoltaïque et la ressource éolienne (a) sont parvenues à une maturité très supérieure à la filière des marées (b).

a) L'énergie photovoltaïque et l'énergie éolienne.

Ces deux filières procurant de l'électricité à partir de sources renouvelables d'énergie ne rencontrent pas d'obstacle physique majeur à leur développement, alors que la filière hydroélectrique en montagne semble parvenue à son zénith.

Aujourd'hui, les panneaux photovoltaïques occupent la première place au niveau mondial en termes d'investissements, avec 114 milliards de dollars en 2013, les éoliennes arrivant en seconde place avec 80 milliards de dollars, l'ensemble des autres sources renouvelables d'énergie, biocarburants inclus, ne dépassant guère 20 milliards de dollars.

L'électricité d'origine solaire peut déjà être concurrentielle, sans subvention, sur les marchés où l'électricité est coûteuse. En France, l'électricité d'origine éolienne terrestre est moins chère (82 euros par mégawattheure) que celle obtenue à partir de panneaux photovoltaïques (minimum 230 euros par mégawattheure), mais reste plus coûteuse que celle provenant de centrales nucléaires (50 euros par mégawattheure) et surtout des barrages hydroélectriques (15 à 20 euros par mégawattheure). En France, les éoliennes connectées ont une capacité de 8.000 mégawatts, contre seulement 613 mégawatts pour l'ensemble des panneaux photovoltaïques connectés . L'étude comparée du photovoltaïque en France et en Allemagne devrait être instructive, puisqu'avec 7,6 gigawatts supplémentaires en 2012 l'Allemagne occupe le premier rang des capacités nouvelles installées, d'après le deuxième rapport annuel sur l'état de l'énergie photovoltaïque, publié par le Centre commun de recherche de la Commission européenne. Au plan mondial, 30 nouveaux gigawatts ont vu le jour cette même année. Si le plus grand succès du photovoltaïque en Californie qu'en France est aisément explicable par le climat, il n'en va évidemment pas de même lorsque la comparaison porte avec l'Allemagne, où il convient de rechercher la cause dans la plus grande simplicité des procédures d'agrément, bien plus rapides qu'en France et environ quatre fois moins coûteuses, et dans les tarifs plus élevés de l'électricité germanique facilitant la rentabilisation des cellules photovoltaïques.

En outre, les évolutions extrêmement rapides observées ces toutes dernières années dans la captation concrète de l'énergie solaire sont de nature à justifier un recours à la recherche appliquée. Deux exemples permettent d'illustrer la situation : la cogénération solaire et le vitrage photovoltaïque.

La cogénération solaire consiste à utiliser des panneaux d'apparence semblable à ceux actuellement mis en oeuvre sur certains toits, mais produisant à la fois de la chaleur et de l'électricité, pour un rendement énergétique total proche de 100 %, contre 20 % pour les panneaux uniquement solaires. Cette solution est handicapée par un prix de revient trop élevé, mais il faut se souvenir que les modules solaires actuellement utilisés à grande échelle coûtaient cinq fois moins en 2012 qu'en 2008.

Inventé en 1991, le vitrage photovoltaïque utilise la photosynthèse pour produire de l'électricité. Sans entrer dans le détail technique du dispositif, il convient d'en souligner trois caractéristiques majeures : ce verre photovoltaïque peut transformer façades vitrées des immeubles et fenêtres en sources d'énergies, soit des surfaces utiles sans commune mesure avec celles des toits, surtout dans les immeubles de bureaux ; le rayonnement infrarouge étant mis à contribution pour obtenir de l'énergie, l'effet de serre disparaît à l'intérieur du bâtiment, ce qui doit nettement réduire les besoins en climatisation ; les rendements restent inférieurs à ceux des panneaux photovoltaïques, mais pour un prix de fabrication bien plus bas. L'inconvénient principal des verres photosensibles est qu'ils paraissent mal vieillir.

Il est donc légitime d'inscrire la filière photovoltaïque parmi les objets de la coopération énergétique franco-allemande, non tant pour maîtriser les techniques photovoltaïques déjà répandues, mais pour apprécier l'horizon probable de leur obsolescence. Il y a là bien plus qu'un enjeu technique : avant d'investir, il est fondamental de savoir si l'équipement pourra être amorti avant qu'une technologie nouvelle ne transforme le carrosse de l'économie en citrouille de la perte sèche.

La filière éolienne semble moins exposée à ce type de risque, mais elle partage avec l'énergie solaire un point faible qui leur est consubstantiel : l'intermittence aléatoire, qui explique pourquoi les 100 gigawatts installés sur Terre en 2012 n'ont produit que 38,5 gigawattheures d'électricité.

b) Marées : l'énergie intermittente régulière.

Les déconvenues subies à l'usine marémotrice de la Rance ne doivent pas faire oublier ce qui fait la vertu première des marées : la régularité à laquelle une énergie cinétique gigantesque met en mouvement des masses énormes d'eau.

Un « appel à manifestation d'intérêts » a été lancé en France à l'automne 2013. Les techniques de l'avenir sont donc très loin d'être déjà disponibles, mais cela n'enlève rien au caractère prometteur de cette source d'électricité, à la fois renouvelable et prévisible. En outre, les deux défis spécifiques à relever sont identifiés : éviter l'ensablement des lieux et la corrosion du matériel.

Au demeurant, la relance de l'énergie dite « hydrolienne » a déjà commencé, grâce à des installations dont la forme générale évoque des éoliennes immergées. En ce domaine, l'Allemagne n'est peut-être pas le meilleur partenaire envisageable pour la France, puisque le leader au sein de l'Union européenne est britannique... Il convient néanmoins de mentionner cette source d'énergie, nouvelle sur le plan technique, avec un potentiel estimé à 3 gigawatts pour les côtes françaises, la capacité mondiale devant avoisiner le potentiel théorique des panneaux photovoltaïques recensés en 2012, avec une estimation comprise entre 75 et 100 gigawatts. L'avantage principal des hydroliennes provient d'une régularité qui devrait faire mieux coïncider capacité et production. Les installations actuellement testées fournissent des puissances comprises entre 0,5 et 2 mégawatts par hydrolienne. Le Canada semble disposer du projet le plus ambitieux, dont la puissance devrait être portée à 300 mégawatts, avec 950 emplois directs créés dans la Nouvelle-Écosse, où deux turbines expérimentales de 2 mégawatts chacune devraient dans un premier temps fournir l'électricité à plus de 1 000 foyers.

2. La valorisation énergétique de la biomasse : une ENR à la demande

Qu'elle prenne la forme de biocarburants, de méthanisation ou de production électrique, la valorisation de la biomasse sous toutes ses formes - notamment des déchets ménagers, industriels ou agricoles - peut contribuer grandement à l'indépendance énergétique, donc à la sécurité d'approvisionnement, mais sous réserve de procurer suffisamment d'énergie à un prix de revient concurrentiel.

Cela reste un objectif, plausible à l'horizon d'une quinzaine d'années pour l'aspect technique. Il restera ensuite à en financer le déploiement sur l'ensemble du territoire.

On peut dès à présent obtenir des biocarburants de première génération et des tourteaux alimentaires pour le bétail. Il sera possible d'ici la fin de la décennie d'obtenir des carburants de deuxième génération - sans production liée d'aliments pour le bétail - à partir de matières premières lignocellulosiques ou de déchets alimentaires. En ce domaine, l'Allemagne et la France jouent un rôle de premier plan. Bien que les produits obtenus soient des hydrocarbures, cette filière mérite d'être prise en compte dans la transition énergétique tendant à réduire les émissions polluantes ainsi que les émissions de gaz à effet de serre, parce que le bilan carbone des processus industriels mis en oeuvre est incomparablement meilleur que celui présenté par l'extraction et le raffinage du pétrole. 1 ( * )

La méthanisation utilise exclusivement des déchets biologiques, généralement inexploités aujourd'hui, pour obtenir du méthane identique au gaz naturel, donc directement substituable à celui-ci. Le bilan carbone est excellent, puisque l'opération consiste pour l'essentiel à récupérer du méthane produit par la décomposition inévitable de tissus organiques. Lorsqu'il est brûlé, le méthane produit du gaz carbonique et de la vapeur d'eau. Il ne provoque donc aucune pollution chimique. En outre, cette technique contribue à maîtriser l'effet de serre, puisque chaque molécule de méthane dispose d'un « potentiel de réchauffement global » (PRG) vingt-trois fois supérieur à celui du gaz carbonique émis en fin de processus.

Récupérer un gaz énergétique non polluant et réduire l'empreinte climatique de façon spectaculaire : la méthanisation mérite une place de choix parmi les sujets à traiter dans le cadre de la coopération franco-allemande, avec d'excellentes perspectives de généralisation à l'ensemble des États membres .


* 1 Voir le rapport d'information n° 213 de la commission des affaires européennes, présenté par Mme Bernadette Bourzai, Biocarburants : Préserver le présent pour préparer l'avenir , décembre 2013.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page