2. Un enjeu structurant : la coordination des acteurs associatifs et institutionnels dans les territoires
a) Un manque de coordination préjudiciable
L'absence de pilotage national clair empêche d'impulser sur les territoires une politique coordonnée de suivi sanitaire et d'accompagnement social des personnes prostituées.
Ces difficultés sont accentuées par la concurrence et l'opposition qui peuvent naître avec d'autres politiques publiques . Aux enjeux sanitaires et de réinsertion sociale s'ajoutent en effet ceux de la préservation de l'ordre public mais également du contrôle des flux migratoires.
Dès lors, les actions engagées dans les territoires ont nécessairement une portée limitée. Les expériences de coordination réussie entre acteurs associatifs et institutionnels revêtent un caractère informel et par conséquent précaire . Lors de son audition, le directeur de l'association ALC a illustré cette situation. Au milieu des années 2000, l'engagement personnel du préfet a permis de mieux structurer et coordonner l'action des associations, des forces de sécurité et de la justice dans l'accompagnement des personnes victimes de la traite. Le départ du préfet n'a pas permis de conserver cette dynamique.
Déjà en 2001, la délégation aux droits des femmes du Sénat regrettait l'absence de coordination des acteurs associatifs et institutionnels au niveau des départements . Elle soulignait à ce titre que les différentes circulaires visant à la mise en place de structures dédiées n'aient pas été suivies d'effets 67 ( * ) . Dix ans plus tard, le constat dressé dans le rapport « Geoffroy-Bousquet » était le même.
La mission de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, qui a organisé cette année quatre tables rondes à Paris et en région sur le sujet, a elle aussi insisté sur le fait que, malgré les efforts déployés par chacun des acteurs en fonction de leurs moyens humains et matériels, la coordination demeure « lacunaire, voire inexistante » 68 ( * ) .
La question de la façon dont peuvent se structurer les actions des associations et des acteurs institutionnels dans chaque département reste donc posée. La création de commissions départementales ad hoc a été un échec. Les commissions départementales contre les violences faites aux femmes pourraient voir leur rôle renforcé. Mais plutôt que de s'appuyer sur des dispositifs relativement rigides, il pourrait être utile de réfléchir à des dispositifs de coordination plus partenariaux.
b) L'exemple du réseau d'intervention sociale auprès des personnes prostituées
L'association Ippo, implantée à Bordeaux, travaille depuis décembre 2002 dans le cadre d'un réseau d'intervention sociale auprès des personnes prostituées (Rispp) créé sous l'impulsion de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) de Gironde. Ce dispositif vise à assurer la coordination des acteurs associatifs et institutionnels autour d'engagements et de principes communs formalisés dans une charte signée le 22 avril 2003.
L'objectif défini par la charte est de mobiliser les ressources locales, d'articuler et de coordonner les actions des associations, en liaison avec les services compétents « afin de construire des réponses pertinentes et adaptées en termes d'accès aux droits fondamentaux (sanitaires, sociaux, juridiques, droits de la personne), de suivi et d'accompagnement des personnes concernées, d'insertion et de prévention » .
Le réseau comprend actuellement huit membres :
- des associations : Aides Aquitaine, le Comité d'étude et d'information sur la drogue (CEID), IPPO, le mouvement le cri et le Mouvement du Nid ;
- la délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité ;
- La Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) de Gironde ;
- la mairie de Bordeaux.
Jusqu'en 2009, le conseil général et le Comité régional Aquitaine d'éducation pour la santé (Craes) participaient également au réseau.
Les activités du réseau sont communes à celles de la plupart des associations qui interviennent auprès des personnes prostituées. Elles comprennent en particulier un accueil de jour , géré par Ippo, ainsi que des actions de rue du type maraudes qui doivent être assurées de façon coordonnée sur les lieux de prostitution. La charte prévoit également la mise en place par certaines associations d'actions d'information et de formation auprès de l'opinion publique destinées à prévenir et réduire le risque prostitutionnel . Le réseau a en outre une activité d'observatoire de la prostitution et doit permettre la mise en commun des informations recueillies par les différents acteurs. Il joue également un rôle d'interface avec les pouvoirs publics et de force de propositions auprès de ces derniers . Ippo est par ailleurs membre du dispositif Ac.Sé.
Chaque membre s'engage à appliquer les engagements communs pris dans le cadre de la charte tout en restant libre de développer ses propres positions sur la prostitution. Les principes d'intervention du réseau définis par la charte permettent de disposer d'un cadre commun de valeurs et comportements partagés par l'ensemble des membres.
Les principes d'intervention du réseau
d'intervention sociale
Outre ses objectifs, ses activités et ses modalités de fonctionnement, la charte du Rispp fixe les principes d'intervention qui doivent être communs à l'ensemble des participants : Intervenir auprès des personnes prostituées sans discrimination d'aucune sorte, dans le respect des droits de la personne et de sa vie privée ; Garantir l'anonymat de la personne prostituée et respecter la confidentialité ; Solliciter uniquement les informations nécessaires et n'entreprendre aucune démarche ou communication d'informations sans le consentement de la personne ; Respecter les décisions ou choix de la personne prostituée ; Rechercher l'adhésion et la participation active des personnes prostituées ; Mettre au service de la personne prostituée une écoute et une information faite par des personnes formées à ce type d'intervention et dont les connaissances sont actualisées ; Apporter un soutien aux personnes prostituées, dans la limite des compétences de l'intervenant en les orientant, en tant que de besoin, vers les services compétents ; Ne pas porter de jugement et faire preuve de réserve sur le plan philosophique, confessionnel et politique. |
La coordination du réseau est aujourd'hui assurée par la chargée de mission aux droits des femmes et à l'égalité de la DDCS de Gironde. Ses membres se réunissent tous les deux mois.
Après quatre ans de travaux au sein du Rispp, une convention cadre départementale pour la coordination des actions concernant les victimes de la traite des êtres humains a pu être signée le 12 avril 2012. Ce document résulte d'une prise de conscience de la part de l'ensemble des membres du réseau de l'évolution de la prostitution à Bordeaux et de leur volonté d'assurer une prise en charge commune des personnes victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle. Un comité de suivi se réunit deux fois par an pour évaluer sa mise en oeuvre et la convention est systématiquement annexée à tous les dossiers d'identification de victimes de la traite qui sont présentés à la préfecture de Gironde.
Ainsi que l'a exposé la directrice de l'association Ippo devant vos rapporteurs, la mise en place du Rispp a été rendue possible grâce à l'importante mobilisation dont ont fait preuve les services de l'Etat.
Aux yeux de vos rapporteurs, le Rispp constitue la preuve qu'il est possible de faire travailler ensemble associations communautaires et abolitionnistes lorsque les principes d'intervention ont été clairement et préalablement définis.
Une généralisation du dispositif, jusqu'à présent unique en France, pourrait être envisagée, tout en conservant le principe de structures relativement souples et en imaginant des modalités de travail en commun avec les forces de sécurité et la justice.
Proposition Encourager la généralisation de partenariats souples entre acteurs associatifs et institutionnels dans les territoires sur le modèle du réseau d'intervention sociale auprès des personnes prostituées (Rispp) mis en oeuvre à Bordeaux. |
* 67 Circulaire du 25 août 1970 relative à la lutte contre la prostitution et le proxénétisme ; circulaire du 21 mars 1979 relative à la lutte contre la prostitution ; circulaire du 7 mars 1988 relative à la prévention de la prostitution et à la réinsertion des personnes prostituées.
* 68 Rapport d'information Assemblée nationale n° 1360, fait par Mme Maud Olivier au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, septembre 2013.