TITRE II - PROTÉGER LES TERRITOIRES INONDABLES
Notre système de lutte contre l'inondation est le produit d'une histoire et d'une logique, d'une manière de considérer le phénomène inquiétant de l'inondation et comment il doit être traité.
I. COURTE HISTOIRE DE L'ÉVOLUTION DES ATTITUDES FACE À L'INONDATION
Si la première réaction des ensembles sociaux face à l'inondation a naturellement été de s'en protéger, celle-ci a évolué avec le temps, en fonction des mentalités, certes, mais surtout des connaissances, moyens techniques et financiers disponibles, ainsi que de l'implication de l'État et de la conception de son rôle. La périodisation généralement admise ne doit pas dissimuler cependant qu'il s'agit plus d'évolution que de rupture d'une période à l'autre et surtout, qu'au même moment, peuvent cohabiter des mentalités « d'âges » différents, le nouveau recouvrant progressivement l'ancien sans le faire disparaître.
A. ANTIQUITÉ ET MOYEN-ÂGE : ENTRE VOLONTARISME SOCIAL ET FATALISME
1. L'Antiquité, entre résignation et activisme protecteur
Dès les débuts de la sédentarisation, les populations s'installent le long des fleuves, dont la proximité permet à la fois l'accès à la ressource en eau, le développement de l'agriculture et celui des transports. De fait, les crues étaient des phénomènes connus, à défaut d'être compris et maîtrisés.
Cependant, les crues dévastatrices étaient souvent interprétées comme des punitions divines visant le village entier.
Ces lieux communs doivent toutefois être nuancés par les travaux menés ces dernières années en archéologie sur les villes fluviales romaines, dont un nombre non négligeable se situait dans l'actuelle région PACA. Ils remettent en question l'image traditionnelle qu'on se faisait de sociétés antiques soumises à leur environnement.
Ainsi, Mme Céline Allinne note que « les vestiges archéologiques révèlent des situations de prise de risque qui amènent à réfléchir sur la perception du danger à l'époque romaine et la définition d'une culture du risque spécifique à cette époque 31 ( * ) . »
Elle observe deux situations :
- aucun moyen de protection n'est mis en évidence dans des lieux où le risque est avéré . À Arles, par exemple, l'implantation de nécropoles dans des zones basses de la ville, sujettes à des inondations récurrentes, n'a été vraisemblablement accompagnée d'aucun système de défense contre les crues, alors même que le choix des structures funéraires (tombes à incinération, inhumations en cercueil ou en amphore) n'assurait aucune conservation des sépultures en cas d'inondation ;
- les systèmes de protection mis au jour par certaines fouilles témoignent d'une bonne maîtrise de l'aléa, induisant des transformations plus ou moins importantes de l'environnement fluvial, transformationS qui peuvent d'ailleurs aggraver le risque : travaux affectant le tracé des cours d'eau (dérivations, canalisations), aménagement du chenal et des rives (curage et calibrage du lit fluvial, stabilisation des berges) et mise en place de défenses contre les inondations (digues, surélévations des sols, constructions sur pieux, drains, vides sanitaires). Dans ce second cas de figure, la manière de gérer le risque et l'impact des interventions sur le milieu fluvial dépend de l'importance des agglomérations , donc des moyens dont elles disposent, plus que de la dangerosité du cours d'eau .
Les textes antiques offrent une source d'information complémentaire pour approcher l'interprétation des catastrophes, celle de la perception religieuse du fleuve ou encore celle de l' investissement des pouvoirs publics dans les mesures de protection contre les inondations et les politiques de gestion des crises environnementales et des crises sociales qui en découlent. Mme Céline Allinne, dans son étude précitée, donne l'exemple de Rome et en livre une analyse intéressante : « En 15 de notre ère, les conclusions d'une commission sénatoriale rapportées par Tacite (Annales, I, LXXIX) attestent que l'administration romaine a été capable de concevoir un plan de protection contre les inondations affectant la capitale qui supposait des interventions lourdes sur le bassin supérieur du Tibre. Le Gall (1952) avait observé que l'efficacité des mesures proposées était douteuse et mettait en cause les connaissances des Anciens en hydrographie ; une partie importante du bassin du Tibre se trouve en effet dans une zone karstique qui régularise naturellement le débit du fleuve. La réalisation des travaux projetés n'aurait eu que peu d'effet sur l'écrêtement des crues. Leveau (à paraître) propose de relire le texte dans une autre perspective ; sans doute la commission sénatoriale de l'an 15 était-elle moins incompétente en matière d'hydrologie que soucieuse de répondre à une demande de l'opinion publique qui attribuait des inondations catastrophiques à des aménagements effectués sur des lacs de l'Apennin. L'enjeu du débat était donc politique. Le souci des empereurs de contenter l'opinion publique a prévalu sur l'efficacité réelle du plan de protection. Cet exemple montre l'ancienneté des liens entre mesures politiques et opinion publique dans les choix de gestion des crises. »
Il n'est pas certain que la problématique ait changé depuis.
* 31 Les villes romaines face aux inondations : la place des données archéologiques dans l'étude des risques fluviaux - Revue Géomorphologie : relief, processus, environnement - Janvier 2007.