MM. Olivier Dussopt,
vice-président,
et Nicolas Soret,
association des petites villes
de France (APVF)
M. François Patriat , président . - M. Malvy étant retenu au comité des finances locales, je salue MM. Olivier Dussopt, vice-président de l'Association des petites villes de France (APVF) et Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien.
Après avoir entendu de très hauts fonctionnaires, il serait intéressant de connaître l'avis des petites villes. Comment perçoivent-elles la RGPP, quelles améliorations et quelles difficultés rencontrent-elles ?
M. Olivier Dussopt, vice-président de l'association des petites villes de France (APVF). - M. Malvy, dont je renouvelle les excuses, m'a prié de présenter les résultats du questionnaire que l'APVF a adressé à nos adhérents. Notre association regroupe en effet 1 100 de ces communes qui comptent de 3 000 à 20 000 habitants et regroupent 19 millions d'habitants. Ses adhérents sont aussi bien des villes-centres que des communes périphériques à proximité d'agglomérations plus importantes, et elle a une bonne représentativité.
La RGPP a été imposée sans concertation ni avec les élus ni avec les syndicats, les coupes ont été décidées sans cohérence et ont eu un impact sur la qualité du service rendu. Pour Claude Guéant, l'actuel ministre de l'intérieur, « si nous avions adopté des méthodes classiques de préparation de la décision, avec ce que cela implique de concertation et d'interministériel, nous en serions à 5 % du chemin parcouru. Cette méthode a été choisie parce que l'interministériel ne marche pas, fabrique du compromis et souvent des demi-décisions ». M. Guéant est aujourd'hui ministre de l'Intérieur
L'administration territoriale de l'État a connu fusions et baisses des effectifs. Des mesures qui pouvaient paraître positives n'ont été ni accompagnées, ni comprises. La fermeture des services publics n'a pas commencé avec la RGPP pour les petites villes, mais celle-ci l'a accélérée. L'absence de concertation a contribué à l'effet domino : la fermeture d'un service public entraîne une perte d'emplois, le déplacement de familles, des pertes pour les commerçants, des fermetures de classes, voire d'écoles, sans parler de l'effondrement du marché immobilier -on y reviendra à propos de Joigny.
Si nombre d'adhérents ont souligné le cercle vicieux initié par ces fermetures, la capacité des petites villes à faire fonctionner leurs services a également été touchée par la fin de l'offre concurrentielle des DDE pour le réseau routier. Cela vaut aussi pour le droit du sol, l'instruction des permis de construire. Les collectivités locales manquent des ressources et de compétences.
Ce sont 2 107 postes qui ont été supprimés dans les préfectures et sous-préfectures, d'où un éloignement plus grand et une perte d'efficacité. La dématérialisation a en revanche permis une plus grande fluidité pour les paiements, le droit du sol et les travaux.
Dans le domaine sensible de la santé, ce sont 42 établissements qui ont été supprimés dans le secteur public et non lucratif, plus la fermeture de blocs, de services et de maternités. La justice, lors de la réforme de la carte scolaire, a dû subir la suppression de 317 juridictions, dont 239 dans des petites villes, touchées par les pertes d'emploi conséquentes. Les réorganisations militaires n'ont pas frappé que Metz ou Nancy, mais aussi des petties villes comme Barcelonnette, Dieuze, Guéret ou Joigny..., où l'impact a été proportionnellement plus fort. La sécurité ? Ce sont les transferts d'effectifs et les commissariats remplacés par des gendarmeries, 10 policiers étant remplacés par 6 ou 7 gendarmes, réputés plus disponibles -mais cela fait 30 % d'emplois en moins à Autun, Commercy, Issoudun ou Annonay.
Nous ne sommes pas opposés à une réforme qui va dans le sens de l'efficacité et qui se réalise en concertation avec les élus, afin de ne pas altérer la qualité du service -c'est particulièrement important dans les villes qui ont une fonction de centralité. Il faut définir un seuil minimal de service public. En 2007, nous avions défendu l'idée d'un bouclier de service public par territoire, afin d'assurer son développement. Le développement de l'intercommunalité peut assurer un service technique mais il ne peut s'agir de se substituer à l'État qui doit assurer ou le service public ou une compensation. Quant à la santé, nous nous interrogeons sur les conditions d'installation des praticiens afin de lutter contre les déserts médicaux. Le gel des dotations aux collectivités locales, enfin, n'est-il pas l'une des formes de la RGPP, qui aboutit à réduire le champ d'action de la sphère publique ?
M. Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien. - La communauté de communes du Jovinien est un EPCI de 18 000 habitants centré sur la ville de Joigny, petite ville de 18 000 habitants au coeur d'un bassin de vie qui en compte 50 000. La réorganisation des services publics devait mieux adapter les administrations aux besoins des usagers, valoriser le travail des fonctionnaires et réduire les dépenses publiques. Seul le dernier axe a été privilégié depuis 2007 sur notre territoire -à Joigny, c'est toute la décennie 2000 qui a été meurtrière. Avec la réforme de la carte hospitalière, celle de l'armée et de la justice, avec la reconfiguration des forces de police et de gendarmerie, avec l'évolution des effectifs au lycée et au collège, au Pôle emploi, au Trésor public sans oublier EdF-GdF, quand c'était une entreprise publique, nous avons perdu 500 emplois, ce qui est sans commune mesure avec les pertes d'emploi dans le privé : l'État est responsable du plus grand plan social de la décennie.
La carte militaire d'abord. Nous avons perdu le 28 e groupe géographique, régiment spécialisé dans la cartographie militaire. Cela nous a coûté 410 emplois directs. Le régiment injectait 650 000 euros par mois de masse salariale, soit 7,8 millions d'euros l'an, dont 80 % pour l'économie locale. Depuis lors, le marché immobilier est déséquilibré, les commerces souffrent et des familles entières ayant quitté notre territoire pour l'Alsace, des classes et parfois des écoles sont menacées de fermeture. L'État a cédé l'emprise foncière de 10 hectares en plein coeur de la ville pour l'euro symbolique, mais notre budget de fonctionnement a augmenté.
En outre, il a prévu une aide à l'investissement de 3 millions d'euros et une aide à l'emploi d'un million. Ces chiffres sont à comparer aux 7,8 millions d'euros dont j'ai parlé et aux 21 millions d'euros du budget de la ville et de la communauté de communes. Comment l'aide est-elle calculée ? Barcelonnette, Givet ou Provins ont obtenu beaucoup plus ! Aucune concertation n'a eu lieu : c'est par un article dans le journal Libération , en juillet 2008, que nous avons appris la délocalisation du régiment.
Mais ce n'est là que la dernière étape : nous avons subi une décennie entière de remise en cause des services publics à Joigny. La réforme de la carte judiciaire nous a fait perdre le tribunal de commerce au 1 er janvier 2009 : il faut désormais se rendre à Sens, à une demi-heure de voiture. Nous avons perdu le tribunal d'instance au 1 er janvier 2010, soit dix emplois. L'égal accès aux tribunaux est mis à mal ! La réforme de la cartographie des forces de police et de gendarmerie nous a coûté notre commissariat en 2004 : jusqu'alors, avec le canton voisin, nous disposions de 52 policiers et 12 gendarmes. Les policiers sont partis et ont été remplacés par 39 gendarmes : nous avons perdu 13 équivalents-temps-plein mais n'avons pas les moyens de créer plus de trois postes de policiers municipaux.
L'agence de Pôle emploi a connu une augmentation de son activité de 30 % entre 2008 et 2010 : l'une des plus fortes progressions de l'hexagone, hélas. Or nous avons perdu deux agents et les mutations internes ne sont pas compensées, si bien que l'agence pourrait perdre encore cinq postes d'ici la fin de l'année. Joigny compte 2 550 demandeurs d'emploi, soit 232 par agent... Il est facile de calculer à combien de minutes par mois a droit chacun de ces chômeurs. Ils se sentent délaissés et les réactions violentes sont de plus en plus fréquentes. Les conditions de travail des agents empirent, les résultats sont en chute.
Quant au centre des impôts, désormais « centre des finances publiques », il reste à Joigny, comme la trésorerie... Mais avec 34 agents, contre 44 il y a six ans ! Les conditions de travail et la qualité du service rendu en souffrent inévitablement. La trésorerie a perdu 4 agents, elle aussi, alors que son ressort territorial s'élargit, les trésoreries voisines étant fermées.
En cinq ans, le lycée a perdu dix-huit postes d'enseignants et trois d'assistants d'éducation. Il perdra à nouveau sept postes à la prochaine rentrée à cause de la réforme du Bac sciences et technologies industrielles (STI). Le collège a perdu cinq enseignants en cinq ans ; trois autres suppressions interviendront en septembre 2011. Pourtant, à la rentrée 2010, nous avons franchi le triste cap de 50 % d'élèves dits « de CSP moins », autrement dit issus de familles défavorisées. Enfin, l'établissement régional d'enseignement adapté ne dispose même plus d'une assistante sociale à plein temps : celle-ci se partage désormais entre l'EREA, un collège et deux lycées...
La caisse primaire d'assurance maladie a perdu huit agents en cinq ans, EDF et GDF ont fermé des bureaux commerciaux : encore 30 emplois en moins ! Le service se dégrade. Quant à la réforme de la carte hospitalière, elle nous a privés dés le début de la décennie d'une maternité et d'un service de chirurgie, malgré l'effort qui avait été consenti pour la modernisation du plateau technique - 50 millions d'euros d'investissements.
Les services de la préfecture de l'Yonne se dépeuplent aussi. Les petites communes y ont perdu l'accompagnement dont elles bénéficiaient auparavant. Les maires les plus anciens, qui ont connu une autre époque, se sentent de plus en plus seuls.
Voilà l'impact de la RGPP sur un territoire comme le nôtre. Les conséquences sont évidentes : service dégradé, agents démoralisés et surchargés, usagers mécontents, citoyens incrédules, amers, voire violents. Il y a, je le répète, une rupture d'égalité dans l'accès aux services publics. Si nous, élus locaux, avions été consultés, nous aurions pu faire valoir les tristes spécificités de notre territoire, mais, chaque fois, on nous a mis devant le fait accompli. Il est temps que la ruralité ait elle aussi son bouclier !
M. Dominique de Legge . - Une telle accumulation de décisions peut avoir de lourdes conséquences pour un territoire. Avec la concentration des services de l'État au niveau régional, on a allégé les services au niveau départemental : comment cela est-il ressenti par vos collectivités ? Quelle appréciation portez-vous sur les relations entre les préfets de région, les préfets de département et les sous-préfets -que l'on envisagerait de remplacer par des attachés d'administration ...
Sur le contrôle de légalité, M. Jalon nous a parlé d'allègements là où cela était possible, de renforcement des moyens là où cela était nécessaire : qu'en pensez-vous ?
M. Olivier Dussopt . - Ces décisions ont un effet d'orgue : plus exactement, d'orgue de Staline, car elles détruisent tous les services publics sur nos territoires. La régionalisation des services de l'État produit un sentiment d'éloignement, mais peut-être faut-il laisser aux uns et aux autres le temps d'apprendre à travailler ensemble. L'allègement des services départementaux laisse craindre leur disparition pure et simple. Les directeurs départementaux ne sont plus toujours remplacés. En Ardèche, la direction du travail et de l'emploi est dirigée par intérim par le directeur de la Drôme.
Enfin, on régionalise sans tenir compte des spécificités du territoire. C'est l'administration régionale qui gère les fonds européens, or les zonages, tel le 2b, ont disparu et les petites communes se sentent en concurrence avec les métropoles : elles ont l'impression que l'accès aux financements devient plus compliqué. Quant aux sous-préfets, la situation est très différente d'un département à l'autre, mais ils sont souvent identifiés comme des interlocuteurs valables et des partenaires de bonne foi... mais dépourvus de moyens !
Le recentrage du contrôle de légalité n'est pas en soi contestable. Ce qui l'est plus, c'est que les moyens dégagés ne sont pas consacrés à renforcer l'appui aux collectivités. Ils se volatilisent très vite ! Et les communes se sentent bien seules, par exemple pour instruire les dossiers d'urbanisme et de droit des sols.
Mme Catherine Deroche . - Merci d'avoir mené cette enquête. Avez-vous pu séparer les réponses des villes centres et des communes périphériques ? L'efficacité et la proximité suscitent un débat sans fin : la proximité est-elle toujours gage de qualité, je songe aux services hospitaliers ? Enfin, avez-vous découvert au cours de cette enquête des dispositifs innovants mis en place par l'État ou par les collectivités locales, pour compenser la réorganisation ?
M. Olivier Dussopt . - Nous n'avons pas pu distinguer entre ces deux types de communes, mais nous savons qu'une distorsion des réponses est inévitable selon la situation géographique, à population équivalente. La proximité garantit l'égal accès -à la santé par exemple. Nous avons mené notre enquête en prévision de cette mission ; les maires ont répondu avec enthousiasme mais ceux des villes centres s'inquiètent car, comme Joigny, elles sont particulièrement touchées.
Nous n'avons pas expressément interrogé les maires sur les dispositifs innovants mais nous avons plutôt entendu parler de palliatifs ! Quelques initiatives fondées sur les nouvelles technologies ont été prises mais elles restent limitées.
M. Bernard Vera . - Il serait intéressant pour nous de disposer de toutes les conclusions de votre enquête, si cela paraît possible.
L'APVF propose un rééquilibrage, à partir d'un socle minimum de services publics. C'est ce que vous appelez le « bouclier ». Quel en serait le contenu ?
M. Olivier Dussopt . - Santé, éducation, justice, me paraissent un minimum. Et le Trésor public, complémentaire. Il faut en tout cas réfléchir moins en distance qu'en temps d'accès, afin de tenir compte des spécificités géographiques. Parcourir 20 kilomètres en Ardèche pour se rendre à la maternité, ce n'est pas rouler 20 kilomètres en plaine, sur une autoroute...J'ai participé aux travaux du groupe socialiste de l'Assemblée nationale sur une proposition de loi qui sera discutée prochainement : elle reprend ces thèmes en s'appuyant sur les études réalisées par l'APVF.
M. François Patriat , président . - Nous vous remercions.