M. Henri-Michel Comet,
secrétaire général du ministère de
l'intérieur,
de l'outre-mer, des collectivités
territoriales
et de l'immigration
M. François Patriat , président . - Bienvenue, monsieur le Secrétaire général ! Sans attendre, je passe la parole à M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur.
M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration . - Le ministère de l'Intérieur, dont je suis le secrétaire général, est celui qui a la vision la plus complète de l'administration territoriale de l'État et des collectivités locales. Cette audition a lieu dans un contexte particulier : par une instruction du 13 décembre dernier, le Premier ministre a arrêté les modalités définitives de cette nouvelle organisation de l'État, application d'un décret du 6 février 2010 « clé de voute » qui fixe les responsabilités des préfets de région et de départements. L'expérimentation est donc derrière nous.
M. François Patriat , président . - Les collectivités locales ont-elles été associées à la démarche et la performance est-elle au rendez-vous ? Nous venons de parler du contrôle de légalité et des services rendus aux collectivités, mais qu'en est-il de la maîtrise du foncier ou de la délivrance des titres ? Quand j'arrive à l'hôtel de région, je vois 200 personnes faire la queue devant la préfecture voisine, à 7 h 30 et les garagistes me disent que, pour les cartes grises, ça ne marche plus. Les maires, quant à eux, sont en face de services plus recentrés.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les services rendus aux collectivités ne sont pas les mêmes, on vient de nous le dire. Cela repose la question de la concertation. On le voit bien, la RGPP vise la limitation des dépenses de l'État, qui passe par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. J'entends bien que les collectivités locales doivent prendre leurs responsabilités et que des fonctions nouvelles incombent à l'État, mais qu'en est-il de la commande publique ? Les collectivités locales doivent s'organiser en EPCI pour se donner l'assistance à maître d'oeuvre et l'ingénierie -mais peut-être est-ce l'objectif ? J'aimerais donc savoir quels sont les indicateurs de performance. Est-ce mieux après la RGPP qu'avant ?
M. Henri-Michel Comet. - La RGPP ne se résume pas au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Il s'agit d'une autre organisation des services de l'État, d'une vision nouvelle de leur fonctionnement. Je n'ignore pas le stimulus budgétaire, mais elle est bien plus que cela, une modernisation générale des services publics.
Y a-t-il eu concertation ou association avec les collectivités locales ? Il y a eu concertation avec les collectivités concernées pour chaque geste de réorganisation, comme cela est naturel et nécessaire, pour la police d'agglomération ou la gendarmerie. Le contrôle de légalité a donné lieu à des échanges profonds avec les porteurs du suffrage universel : la concertation sur les transmissions obligatoires a été très longue et a amené le ministère à renoncer à certaines de ses propositions initiales. Il en a été de même pour les titres d'identité et pour les passeports biométriques : certes, le nécessaire équilibre par bassin de vie n'a pu permettre d'accéder à toutes les demandes, en revanche, des communes qui n'étaient pas favorables, ont finalement accepté d'accueillir les démarches -la concertation n'est pas un processus linéaire. Enfin, instruction a été donnée aux préfets de présenter et d'expliquer l'organisation nouvelle des services de l'État avant qu'elle se mette place.
Vous m'interrogez aussi sur la performance. Avec le système d'immatriculation des véhicules, l'on est passé de 150 à 2 000 guichets ; le service est meilleur pour les usagers qui ont moins de contraintes. Ils sont libres de faire le choix de payer un professionnel pour avoir de moindres délais ou de se rendre à la préfecture. Pratiquement tous les véhicules neufs sont immatriculés par un professionnel et un tiers des véhicules d'occasion, alors que ce n'était qu'auparavant qu'un geste commercial de certains garagistes. Si l'instauration de l'application informatique sur le système d'immatriculation des véhicules a été difficile, cela est désormais derrière nous et le service est meilleur, avec l'immatriculation du véhicule à vie, la multiplication des guichets, et la liberté de choix. Pour les immatriculations comme pour les pièces d'identité, le résultat est au rendez-vous.
La règle a été celle d'un allègement de l'ingénierie, sauf quand la solidarité était en cause. Le conseil peut être donné aux collectivités de la même façon. La position de l'autorité préfectorale à cet égard a été réaffirmée avec force, après de longs débats, et cela au nom de l'unité de l'autorité présente aux côtés des collectivités. Il incombe à l'État de trouver l'expertise nécessaire au sein de sa nouvelle organisation, mais pas toujours dans le service directement concerné - on se trouve dans un système proche du back office. Je distingue donc bien la capacité de conseil, de l'ingénierie, qui a évolué.
Les résultats sont-ils là aussi au rendez-vous ? Il s'agit d'assurer un service de meilleure qualité à un moindre coût. On peut évoquer les passeports : plus de guichets, moins de délais. La sécurité publique en offre un autre exemple avec la police d'agglomération.
M. Jean-Luc Fichet . - La situation n'est pas si simple que cela pour les cartes grises. On est en effet orienté vers les prestations privées. On trouve des informations sur internet : 45 euros pour un délai de 8 jours, 70 euros pour passer à 48 heures, ce qui, avec les plaques, représente une dépense de 100 euros : on est prié de payer pour acquitter une taxe ! Cela ne paraît juste ni dans le principe ni dans les modalités. Oui, la RGPP vise à mieux adapter les services. Cependant, elle n'est pas vécue comme cela car ce qui ressort, c'est la diminution des coûts. Comment les maires peuvent-ils suppléer cela ? Des EPCI peuvent prendre le relais ici, mais là, on s'en tient à leur mission et l'on ne souhaite pas créer d'emplois. Alors que les communes sont confrontées à ces difficultés, les élus restent et doivent rester des généralistes : ils ne peuvent être compétents pour les ordures ménagères, la voirie et les contrats d'affermage. Avec qui s'assurer que les 300 pages de ces derniers respectent les intérêts de la collectivité ? On peut faire appel à des cabinets privés, en espérant qu'ils ne sont pas des filiales du fermier... Ces situations insolites provoquent des coûts importants. Oui, il y a bien des choix à revoir parce qu'on a été plus dans le désengagement que dans l'amélioration.
M. Gérard Miquel . - J'ai à propos de l'ingénierie une position différente. Profondément décentralisateur, je considère en effet qu'après 25 ans de décentralisation, les collectivités doivent assumer les compétences dont elles se sont saisies. Mon département, qui compte 172 000 habitants, a mis en place des syndicats auxquels adhèrent les communautés ou les communes, et cela pour les déchets, l'eau et les réseaux de chaleur. Nous avons remplacé les services de l'État.
Nous ne sommes pas allés assez loin dans certains domaines. La RGPP aurait dû être précédée d'un toilettage de la décentralisation. Je gère les collèges, qui sont animés par un personnel d'État. Je paye pour le fonctionnement d'un foyer de l'enfance dirigé par un fonctionnaire d'État que je ne choisis pas, ce qui est anormal.
Nous avons des problèmes d'urbanisme car, si des agglomérations s'organisent, les petites collectivités ne le peuvent pas. Il convient de trouver les niveaux pertinents.
Pourquoi le colonel de gendarmerie me demande-t-il de rénover des casernes ? Cela relève pourtant de l'État, qui doit assumer cette mission régalienne. Et pourtant, si nous n'intervenons pas, les gendarmeries se dégraderont. En même temps qu'il convient de clarifier les relations entre l'État et les collectivités, nous avons besoin de réactivité. Or la région Midi-Pyrénées est plus grande que la Belgique et tout a été recentré à Toulouse, de sorte que nous avons pour interlocuteurs des gens qui ne connaissent pas le terrain. Cela retarde les dossiers. Nous devons mettre en place une équipe d'archéologie préventive et, bientôt, une équipe d'écologues naturalistes pour dénombrer les espèces à protéger. Il faut gagner en rapidité et il incombe à l'État d'accepter la diversité territoriale en assumant ses missions régaliennes : vu de Paris, on distingue mal une région qui ne comporte que deux départements d'une autre qui en a huit... Je pourrais citer ici les routes nationales : il n'y en plus que 16 kilomètres dans mon département, mais l'État me demande un cofinancement pour entretenir celles-ci. Je suis donc très inquiet de la RGPP, passée et à venir.
M. Gérard Bailly . - Je m'inscris dans la continuité de ce qu'a dit mon collègue. A-t-on pour interlocuteurs des services réactifs et facilitateurs ? L'État n'a pas plus les moyens de vous répondre, m'assurent-ils, ils ne peuvent pas accélérer un dossier urgent. Comment mesurer l'évolution des effectifs à la préfecture ? On sait seulement chez moi, dans le Jura, que sur 605 agents de la DDE, 306 sont passés au département. Les services de l'État en ont-ils encore 299 ou 250 ? Cela manque de lisibilité...
J'insiste aussi sur les directions régionales interministérielles parce que, quand nous sommes sollicités sur un problème d'environnement, par exemple pour la vallée du Hérisson, mais aussi pour l'éolien ou le photovoltaïque, il faut aller jusqu'à Besançon, ce qui représente cinq heures de trajet aller et retour. Si un service doit être redépartementalisé, c'est celui-ci, plus sans doute que la DRAC. Que pouvez-vous me répondre ?
M. François Patriat , président . - Je pense à l'exemple inverse, chez moi, d'une gendarmerie de douze logements, supprimée après avoir été rénovée avec nos financements.
M. Henri-Michel Comet. - L'augmentation considérable du nombre de guichets pour l'immatriculation des véhicules a accru la liberté de l'usager qui n'est plus obligé de se déplacer. S'il ne veut pas une procédure spéciale, le service public est là, en préfecture ou en sous-préfecture. J'ai confié tout à l'heure que les débuts avaient été difficiles, j'ajouterai que si nous sommes encore en phase d'amélioration, le nouveau système est plus sûr et qu'avec une application entièrement automatisée, les contraintes sont objectivement différentes.
Pour la proximité, l'Etat a choisi de confirmer l'autorité préfectorale qui reste la représentante de tous les ministères. Votre interlocuteur sur tous les sujets se trouve à la préfecture ou à la sous-préfecture, à charge pour lui de vous apporter une réponse. Nous partageons le concept de proximité et apportons une solution plus complète. Proximité et unité, telle est notre façon de voir.
Nous n'avons rien à cacher sur la réduction des effectifs. Cette information est acquise et peut être fournie aux parlementaires qui votent le budget. Il est de notre devoir de répondre là-dessus. Le réseau des préfectures et des sous-préfectures a beaucoup contribué à la réduction globale des effectifs durant le triennal qui se termine ; l'effort devrait s'atténuer durant le prochain. Cela est raisonnable dans le temps.
L'État ne se désengage pas de l'ingénierie territoriale. Un service public national ne peut assurer des prestations qui relèvent du secteur privé et concurrentiel -cette très lourde contrainte n'est pas que nationale. Le gouvernement a décidé de l'appliquer avec raison et de manière nuancée : il reste là pour des communes très rurales et nous tenons à assurer une fonction de conseil dans tous les domaines.
La clarification des rapports entre l'État et les collectivités locales a suscité de votre part quelques exemples taquins. L'État est conduit à faire des choix, dont une contribution des collectivités locales au réseau routier, par exemple, peut contribuer à atténuer la rudesse. Si j'ai 100 et que je veux faire 120, il faut une contribution supplémentaire de 20. L'État est en permanence confronté à ce dilemme.
Vous m'interrogez sur les normes et l'État facilitateur. Si je ne suis pas législateur, j'observe que le poids des normes concerne surtout la sécurité civile. Nous comprenons le souci d'un allègement des normes, qui doit faire l'objet d'une démarche partagée. Un membre de la Haute assemblée doit rendre un rapport à cet effet.
Vous comprendrez que je ne m'exprime pas sur une clarification plus globale des relations entre l'État et les collectivités. C'est un débat plus large et plus lourd.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Quel bilan tirez-vous de la maison de l'État de Boulogne-Billancourt ?
M. Henri-Michel Comet. - Nous croyons beaucoup à ce concept d'une maison regroupant en un ensemble immobilier unique différentes missions de l'État. Nous avons un débat avec la collectivité concernée parce que l'emprise n'est pas celle d'une sous-préfecture : les conversations sont rugueuses, mains nous tenons à ce projet et espérons aboutir.
M. Gérard Miquel . - Notre interlocuteur, dites-vous, demeure le préfet. Que pensez-vous du préfet qui signe avec le président du conseil général l'autorisation d'ouverture d'un établissement d'hébergement pour personnes dépendantes et dont l'ARS, faute de crédits, refuse d'honorer la signature ?
M. Henri-Michel Comet. - Cela déborde un peu mes compétences. Nous avons eu d'autres cas, que nous avons résolus dans le respect de la parole de l'État.
M. François Patriat , président . - J'aimerais connaître le nombre des suppressions d'emplois et le montant des gains -il s'agit, après tout, disons-le, de dégraisser le mammouth. Il faudrait aussi mesurer le coût que cela a entraîné pour les collectivités.
M. Henri-Michel Comet. - Je n'ai pas à l'esprit le chiffre des réductions d'emploi dans l'ensemble des services, mais pour le réseau des préfectures et sous-préfectures, il s'agit de 700 emplois par an sur un total de 30 000 personnes.
M. Michel Bécot . - Qu'y aura-t-il dans ces maisons de l'État ?
M. Henri-Michel Comet. - Nous en avons une acception ouverte : à côté des services de l'État, elles pourraient accueillir des partenaires comme Pôle emploi ou des organismes semi-publics.