Rapport d'information n° 666 (2010-2011) de M. Dominique de LEGGE , fait au nom de la Mission commune d'information RGPP , déposé le 22 juin 2011

Disponible au format PDF (1,1 Moctet)


N° 666

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juin 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux (1),

Par M. Dominique de LEGGE,

Sénateur.

Tome II : Auditions et annexe

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. François Patriat, président ; MM. Gérard Bailly, Raymond Couderc, Jean-Luc Fichet, Didier Guillaume et Mme Jacqueline Gourault , vice-présidents ; Mmes Michèle André, Marie-France Beaufils, Catherine Deroche, MM. Adrien Gouteyron et Jacques Mézard, secrétaires ; M. Dominique de Legge, rapporteur ; MM. Michel Bécot, Pierre-Yves Collombat, Mme Christiane Demontès, MM. Éric Doligé, Alain Houpert, Mme Valérie Létard, MM. Roland du Luart, Rachel Mazuir, Gérard Miquel, Georges Patient, Charles Revet, Alex Türk, Bernard Vera et Jean-Pierre Vial.

Mercredi 9 février 2011

M. Claudy Lebreton,
président de l'assemblée des départements de France (ADF)

____

M. François Patriat , président . - Nous inaugurons avec vous une mission qui devrait durer quatre mois, où nous chercherons à mesurer les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales, avec le souci d'améliorer les politiques publiques, d'aller vers une action publique plus efficace et moins coûteuse, mais aussi de faire remonter les difficultés rencontrées du fait de la RGPP. Mes questions seront volontairement larges, et simples : avez-vous été associés à la mise en place de la nouvelle organisation des services déconcentrés de l'Etat ? Quels vous paraissent être les premiers résultats de la RGPP ?

M. Claudy Lebreton, président de l'assemblée des départements de France (ADF). - Avons-nous été associés ? Jamais ! Je ne l'ai pas été comme président du Conseil général des Côtes d'Armor. Cela ne m'a pas empêché d'en parler avec le préfet de mon département, un homme courtois, républicain, qui m'a fait part de ses propres interrogations sur le processus. Je n'ai pas non plus été associé comme président de l'ADF et ce n'est pas faute de l'avoir demandé, à plusieurs reprises, par les voies les plus officielles. Mais tout s'est passé comme si l'Etat devait se réformer sans que les collectivités territoriales ne soient concernées -je l'avais déjà signalé devant le comité Balladur.

Cette réforme de l'Etat, pourtant, nous, nous l'attendions depuis longtemps. De fait, les lois de décentralisation ont bouleversé l'organisation territoriale de la République, des compétences toujours plus nombreuses ont été confiées aux collectivités territoriales, à quoi se sont ajoutés les transferts vers l'échelon européen -et l'Etat devait redéfinir ses fonctions, ses missions, ses propres compétences, pour tenir compte de ces bouleversements.

Or, ce que je continue de déplorer, pour la déconcentration des services de l'Etat, c'est l'insuffisante territorialisation de la décision publique : le préfet doit encore trop souvent en référer à Paris avant de pouvoir prendre une décision. Ce défaut menace du reste nos propres administrations locales, dès lors qu'elles sont devenues plus importantes.

Quant à la RGPP proprement dite, nous commençons tout juste à la vivre, à en ressentir les effets.

M. François Patriat , président . - Quels sont-ils, ces effets, comment les choses sont-elles ressenties ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - On a le sentiment que l'Etat réorganise ses services déconcentrés à partir d'un pôle fort, la région ; c'était le voeu du comité Balladur de privilégier le niveau régional. Mais, au vu des transferts de compétences, la réalité est différente et la question de savoir si la région l'emporterait sur le département ne se pose plus. Comment un président de Conseil général vit-il cette primauté du préfet de région ? Constatez-vous, en particulier, des retards dans les décisions, du fait qu'elles doivent être prises, désormais, à la préfecture de région ? Qu'est-ce qui a changé pour le quotidien de nos concitoyens, en particulier pour leurs démarches administratives, la délivrance des documents administratifs, mais aussi pour le contrôle de légalité ? Diriez-vous que la performance de l'Etat s'améliore ?

M. Claudy Lebreton. - Lorsque la RGPP a été annoncée, j'ai dit par plaisanterie à mon préfet qu'il lui faudrait désormais apprendre à redevenir sous-préfet...de région.

La réforme de l'Etat est souhaitable, elle intervient dans un contexte où la relation entre l'Etat et les collectivités locales a changé en profondeur. Je me souviens qu'en 1977, lorsque je suis devenu maire, les élus se levaient en réunion pour s'adresser au préfet, en ôtant leur casquette ! Aujourd'hui, je n'ai plus aucun complexe face au représentant de l'Etat, le pouvoir politique territorial est parfaitement assumé et le préfet est devenu un partenaire.

L'échelon régional est-il pertinent pour la réorganisation des services de l'Etat ? La réponse a un préalable : il faut d'abord définir les fonctions de l'Etat au XXIème siècle, compte tenu des transferts de compétence effectués depuis trente ans. Ensuite, je crois que la réponse n'est pas d'abord institutionnelle, mais qu'elle doit s'adapter au caractère divers du territoire national : les territoires ruraux et les territoires urbains n'ont pas les mêmes besoins, n'exigent pas que « la maison des services publics de proximité » - la préfecture - soit partout identique.

La question posée porte donc sur le champ même des compétences de cette maison des services publics de proximité : ne faut-il pas y mettre tous les services publics, y compris les services financiers et l'Education nationale ? Elle porte également sur la territorialisation de la décision : quelles sont les décisions qui ne peuvent pas être prises en proximité, et qui doivent « remonter » à Paris ? Quelles sont celles qui, à l'inverse, peuvent parfaitement être prises localement ?

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication changent la donne : la proximité n'est pas seulement géographique, l'important est d'abord l'efficacité de la décision, qui dépend de l'articulation entre les différents échelons.

M. François Patriat , président . - Concrètement, combien les départements ont-ils perdu de postes de TOS, combien ont-ils dû en créer ? Quelles conséquences la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat a-t-elle eue sur la gestion des routes ? Sur l'ingénierie publique ?

M. Claudy Lebreton. - Les départements ont dû créer des postes de TOS, parce que l'Etat en avait laissé vacants. Cependant, comme à l'équipement, les agents n'ont pas fait leur deuil de la culture de l'Etat. Nous constatons qu'ils rencontrent des problèmes pour le déroulement de leur carrière, du fait notamment de la distinction entre l'employeur et l'autorité qui a recruté. Aujourd'hui, la question se pose de mutualiser la gestion de ces postes et de permettre une mobilité entre plusieurs collectivités, plusieurs échelons territoriaux : les déroulements de carrière y gagneront.

Sur l'ingénierie publique, voyez le rapport Daudigny. Sachant que l'Etat se retirait, les départements se sont organisés, en développant des services d'ingénierie publique, là où le recours aux cabinets privés ne suffisait pas. Le Département est attendu sur ce terrain par les communes et groupements de communes, le mouvement est ancien : la Haute-Garonne dispose d'une agence technique depuis plus de vingt ans.

M. François Patriat , président . - Est-ce une source d'économies ?

M. Claudy Lebreton. - Il n'y a qu'à faire un tour dans les DDE pour constater combien le nombre de postes a fondu ! Un responsable de Leader France, une organisation non gouvernementale qui soutient la mise en oeuvre de la procédure européenne Leader dans les territoires ruraux, m'indiquait récemment que les dossiers européens décourageaient par leur complexité, au point que notre territoire consomme à peine 4 % des crédits auxquels il peut prétendre : nous payons les manques de l'ingénierie publique.

M. Jean-Luc Fichet . - Diriez-vous que l'ingénierie publique doive être surtout départementale ? Intercommunale ? Quel est l'échelon territorial pertinent ?

M. Claudy Lebreton. - Le département est un espace à taille humaine, mais cela ne fait pas de moi un « départementaliste » : je suis avant tout un décentralisateur, un girondin. Attention aux fausses oppositions : nous nous affaiblirions à opposer les départements et les régions ! Ce qui compte avant tout, c'est de prendre en compte les spécificités des territoires. Dès lors, peut-il y avoir une réponse unique ? Je crois plutôt qu'elle variera avec les territoires, avec leur taille et la part qu'y prennent les agglomérations : mieux vaut diversifier les réponses et faire jouer aussi une saine confrontation entre le public et le privé.

Pour de nombreux maires, le Département est un gage d'objectivité. Les maires ruraux rencontrent des difficultés dans l'élaboration de leur PLU ; leur interlocuteur est alors généralement un cabinet privé, qui fait le travail de l'Etat en essayant de dissuader les maires d'opter pour telle ou telle solution qui leur paraît peu conforme, alors qu'elle a le soutien de la population locale. Ce n'est pas très sain : si les élus avaient pour interlocuteurs des représentants de l'Etat, ils pourraient plus facilement demander au service public d'arbitrer dans leur sens.

Mme Michèle André . - En préparant mon rapport spécial à la loi de finances pour 2011 consacré à l'administration générale et territoriale de l'Etat, j'ai constaté que la réduction des effectifs et la dématérialisation des procédures pouvaient fragiliser le contrôle de légalité, qui n'est du reste plus guère appliqué qu'en matière d'urbanisme et de marchés publics. N'est-ce pas aussi votre impression ? Avez-vous entendu dire que des décisions publiques en seraient plus fragiles juridiquement, au risque de voir les chambres régionales des comptes ou la justice administrative les contester ? Je me souviens qu'au lendemain de la tempête Xynthia, des agents de préfecture s'étaient précipités aux archives pour vérifier que les autorisations délivrées n'étaient pas entachées d'irrégularités...

M. Raymond Couderc . - Je remarque que l'ingénierie concerne également les SPM et les sociétés d'économie mixte, et que le transfert des TOS est bien antérieur à la RGPP.

Nous aimerions vous entendre sur les compétences propres des départements, c'est-à-dire d'abord l'action sociale : qu'est-ce que la RGPP a changé dans votre action quotidienne ? L'Etat en est-il devenu plus contrôleur ? Plus accompagnateur ?

M. Gérard Bailly . - Les préfets de département et les conseils généraux travaillent en bonne intelligence, mais je m'inquiète de voir, dans certains domaines, le préfet de région et surtout des directions régionales coiffer l'action du préfet de département, au point qu'il n'est plus décisionnaire. Je pense en particulier aux questions dont s'occupent les DRAC et les DRIRE. Qu'en pensez-vous ?

M. Claudy Lebreton. - Je crois qu'il faut s'inscrire dans un rapport de forces intelligent. Depuis 1997 que je préside le Conseil général des Côtes d'Armor, j'ai vu passer de nombreux préfets, je ne me suis pas entendu avec un seul, parce qu'il paraissait ignorer que les lois de décentralisation avaient été prises. Avec tous les autres, j'ai constaté une volonté de négociation. De fait, le préfet ne peut se passer des élus locaux pour mettre en place les politiques publiques étatiques, et il ne peut rien faire contre l'avis du maire, sauf si celui-ci se place en dehors de la légalité.

Le contrôle de légalité a été jugé nécessaire en 1982, parce que nous étions dans l'idée qu'il fallait placer les collectivités locales dans une sorte de liberté surveillée, faute d'expérience. Nous n'en sommes plus là ! Aujourd'hui, certaines collectivités ont des services juridiques aussi compétents, sinon plus compétents que ceux de l'Etat ! Je crois que, dans une République moderne, le contrôle de légalité peut être aléatoire et ciblé, plutôt que systématique.

Les agents de la fonction publique d'Etat sont nombreux à rejoindre les collectivités locales, on le voit depuis longtemps dans les DDASS, qui sont réduites à la portion congrue, mais le mouvement touche aussi les sous-préfets. L'Etat a besoin des collectivités locales, voyez les politiques de l'emploi, les politiques sociales, les politiques du logement. Nous sommes dans un rapport de force intelligent.

Enfin, la question des directions régionales qui en viennent à « chapeauter » les préfets de département est directement liée à celle de la territorialisation de l'action publique. On peut imaginer une organisation où davantage de pouvoir réglementaire serait délégué à l'échelon local, de grandes démocraties fonctionnent de la sorte.

Quant au fait que, sur certaines matières, le préfet de région soit désormais compétent et non plus le préfet de département, je n'y vois aucun inconvénient : je m'adapte, en appelant directement le préfet de région.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Avez-vous le sentiment que le préfet de département parfois « s'abrite » derrière le fait que la décision relève de l'échelon régional, pour reporter la décision ?

M. Claudy Lebreton. - Les routes nationales relèvent désormais du préfet de région, c'est lui que j'appelle en cas de problème. Ce qui me gêne plus, c'est quand des décisions sont renvoyées à l'administration centrale, et reportées de beaucoup. Cela existe encore, même si c'est moins fréquent.

Avec la départementalisation, les TOS sont désormais beaucoup plus nombreux à être sur le terrain. C'est pourquoi l'essentiel me paraît bien dans la territorialisation de l'action et de la décision, gage d'efficacité. La question se pose évidemment pour les administrations territoriales elles-mêmes, qui prennent de l'importance : certaines régions emploient des milliers de fonctionnaires et si en Bretagne on fusionnait région et départements, nous nous retrouverions avec 30 000 agents ! Ce ne serait plus une administration de proximité.

M. François Patriat , président . - Après deux ans d'application, comment la RGPP est-elle vécue ?

M. Claudy Lebreton. - Il est trop tôt pour le dire, même si l'on sent ici ou là quelques dysfonctionnements. La nouvelle organisation de l'Etat affaiblit-elle le département, et le Conseil général ? La réponse, j'espère vous l'avoir démontré, dépend beaucoup des départements eux-mêmes. Comment l'Etat doit-il organiser sa présence dans mon département ? Il faut y réfléchir ensemble, dans le sens que je vous ai dit, d'une maison des services publics de proximité, efficaces.

M. François Patriat , président . - Merci pour toutes ces précisions.

M. Bruno Bourg-Broc, président,
et M. Serge Gloaguen,
de la fédération des maires des villes moyennes (FMVM)

____

M. François Patriat , président . - Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Bourg-Broc, président de la FMVM ainsi qu'à M. Serge Gloaguen, maire de Digne-les-Bains, et à Mme Nicole Gibourdel, déléguée générale à la FMVM.

M. Claudy Lebreton, président de l'ADF, que nous venons d'entendre, a affirmé qu'il était trop tôt pour dresser un bilan de la RGPP. Pour autant, ses effets se font déjà sentir sur le terrain. Le but de notre mission est d'apporter des solutions aux difficultés rencontrées sur le terrain. Comment les villes moyennes vivent-elles la RGPP ? Ont-elles été associées à la réorganisation des services déconcentrés de l'État ? Quel est l'impact de la RGPP ? Se traduit-elle par des économies et un meilleur service aux habitants ?

M. Bruno Bourg-Broc, président de la fédération des maires des villes moyennes (FMVM) . - Notre fédération regroupe les villes entre 20 et 100 000 habitants qui constituent le coeur de leur bassin de vie. Pour nous, Neuilly, malgré ses 90 000 habitants, n'est donc pas une ville moyenne. La FMVM est administrée à parité par la gauche et la droite. Au-delà des positionnements idéologiques, je tenterai de m'exprimer devant votre commission en tant que président de la FMVM et de maire de Châlons-en-Champagne.

La RGPP n'a pas fait l'objet d'un débat parlementaire, ce qui n'est en rien condamnable ; ses effets, importants pour nos territoires, sont étudiés dans les seuls rapports budgétaires. Il me semble prématuré d'en dresser un bilan alors que nous sommes encore en pleine réorganisation. A titre personnel, je suis favorable à la RGPP dès lorsque l'économie réalisée au service de l'État ne se traduit pas par une diminution des services apportés à la population. Les villes moyennes sont plus touchées que d'autres. De fait, cette politique se traduit par des concentrations des services de l'État, parfois au sommet. En conséquence, des villes comme Châlons-en-Champagne qui, malgré ses 50 000 habitants, est préfecture de département et de région, en ont plutôt profité tandis que d'autres connaissent, du fait d'un mouvement de concentration continu et de grande ampleur, une véritable hémorragie. Nous l'avions dit lors de notre audience par le Président de la République en juin 2008. Je conçois que les réformes de la Défense, de la Justice et de la santé ne soient pas menées dans une logique d'aménagement du territoire. Néanmoins, lorsqu'une ville moyenne perd son régiment, puis son tribunal et, enfin, son hôpital, ça fait mal ! D'autant que les mêmes avaient souvent déjà connu le départ de leur succursale de la Banque de France. Le raisonnement est très vertical -on a pensé la réforme de la Défense en tenant compte des seuls besoins militaires.

M. Serge Gloaguen . - Oui, ça fait mal. Digne-les-Bains, préfecture des Alpes de Haute-Provence, voit sa population, qui avait progressé de 2001 à 2006 pour atteindre le seuil critique des 20 000 habitants, diminuer depuis peu : moins 500 habitants en 2007, moins 200 habitants en 2008. Digne, cité administrative qui vit également du tourisme, du thermalisme et de l'artisanat, compte 12 000 emplois, qui font également vivre un arrière-pays dignois de 28 000 habitants. Pas moins de 53 % de ces emplois sont publics et parapublics. Or nous en avons perdu un certain nombre, notamment la direction des services vétérinaires et celle de l'administration fiscale.

Expert-comptable libéral jusqu'en 2002, je suis familier de la logique comptable. Ce qui est navrant, dans cette affaire, est le manque d'écoute de l'autorité préfectorale. « A Digne-les-Bains, il ne se passe rien. », nous répondait-on. Résultat, 3 000 Dignois ont manifesté leur mécontentement le 16 octobre dernier. Nous avons beaucoup donné à la République ; celle-ci doit maintenant faire preuve de solidarité à notre égard. Or, s'il faut évidemment réduire la voilure du train de vie de l'État, au vu du déficit qui se creuse depuis 1974, il faut aménager des compensations. Or le projet de réseau autoroutier, l'A585, depuis l'A51 jusqu'à Digne n'a pas été retenu dans le schéma national des infrastructures de transport. Le coup de grâce a été la programmation de la fermeture de la maison d'arrêt, la seule fermée de la région PACA. Cette maison d'arrêt représente quarante emplois directs pour une cinquantaine de détenus. Nous avons été avertis de ce projet par la presse en juillet ; j'avais pourtant rencontré le préfet le printemps précédent pour discuter des grands dossiers... Ce projet fragilisait le tribunal de grande instance et les effectifs de police nationale. Dès que nous l'avons appris, je me suis rapproché de l'autorité préfectorale qui m'a encouragé à demander des compensations. Les parlementaires bas-alpins et moi-même avons rencontré la garde des sceaux. Lors de cette entrevue, j'ai expliqué mon projet de construction d'un centre pénitentiaire. Début 2010, j'avais, en effet, proposé un terrain à cet effet à l'administration pénitentiaire. Elle m'a encouragé à lui transmettre un dossier. J'y travaille : un centre pénitentiaire créerait de l'emploi. Emplois publics et privés sont liés. Le départ des fonctionnaires, surtout ceux de catégorie A, entraîne la fermeture des services parapublics : EDF et La Poste ont déménagé une partie de leurs activités à Avignon ; la Mutuelle du Soleil s'est installée à Marseille.

Conseiller régional jusqu'en 2010, je ne suis pas contre la logique de métropolisation : il faut renforcer Marseille face à Barcelone. Mais arrêtons d'entasser les services dans les grandes cités qui concentrent les problèmes de logement, de transport, de sécurité et de santé publique. Digne, où un quatre pièces vaut un studio à Menton, est une ville où il fait bon vivre, sans compter que le taux de délinquance y est bas. Pour preuve, de nombreux fonctionnaires prennent leur retraite chez nous, dont récemment un préfet. En bref, je reproche à l'autorité préfectorale de nous avoir « enfumés » : elle a cherché à minimiser les effets de la RGPP.

Je ne ménage pas mes efforts pour créer de l'emploi, mais il nous reste peu de cartes à jouer. Dans le cadre des pôles d'excellence rurale, j'ai déposé un projet d'extension de l'activité thermale à la remise en forme. Cinq dossiers seront retenus sur dix ; espérons que Digne en fera partie. Cette situation fragilise l'activité privée : le projet d'installation d'un centre de balnéothérapie et d'une résidence sur le site du golf est gelé ; les investisseurs attendent. En septembre dernier, j'ai eu l'occasion de rencontrer Michel Sapin, le préfet de région, avant son départ. J'ai apprécié son franc-parler.

Nous travaillons à plusieurs projets : une solution alternative pour la desserte routière de Digne, la poursuite d'une ligne de chemin de fer jusqu'à Briançon, un projet de centre pénitentiaire, le maintien du service de réanimation à l'hôpital de Digne, qui représente 1 000 emplois. Nous ne sommes pas très exigeants, disais-je à la nouvelle préfète. Mais nous ne pouvons pas reculer ; cela signifierait une diminution de la population.

Pour conclure, je formulerai une question : est-il encore permis, en France, de parler d'aménagement du territoire ?

M. Bruno Bourg-Broc . - Pour illustrer ce propos, retenons l'exemple de la maison d'arrêt : sa fermeture signifie, à terme, celle du tribunal et de la brigade de gendarmerie.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Au fond, l'addition de politiques sectorielles, menées au nom de la RGPP, se traduit par d'importants dégâts collatéraux sur l'aménagement du territoire. Monsieur Bourg-Broc, pouvez-vous nous en dire plus sur votre expérience de gestionnaire d'une commune. La RGPP a-t-elle modifié vos relations avec les services de l'État ? Les usagers retrouvent-ils leurs petits dans les démarches administratives quotidiennes ?

M. Bruno Bourg-Broc . - Les villes moyennes ont été très touchées par la fermeture des tribunaux, des prisons, des casernes et des succursales de la Banque de France. La réorganisation des services déconcentrés de l'État, que j'ai négociée avec le préfet, a été plutôt favorable à Châlons-en-Champagne parce que la ville est chef-lieu de la région : quelque 150 emplois ont été supprimés au niveau départemental, la ville en a gagné entre dix et quinze. En revanche, Chaumont, Troyes et Charleville-Mézières ont perdu des emplois. Dans le principe, je suis favorable aux mutualisations et aux économies de moyens. Voyons maintenant comment cela fonctionne dans la pratique ; pour l'heure, les nouvelles directions n'existent que sur le papier. Et, malgré un important effort de pédagogie de l'État, nous ne savons pas encore très bien à quel service nous adresser. Un temps d'adaptation est nécessaire. Évaluer maintenant l'efficacité de la RGPP me paraît prématuré.

M. François Patriat , président . - Peut-être pas pour les petites villes ! En Bourgogne, Joigny a perdu 500 militaires, son hôpital et son tribunal. D'après le maire, cela correspond à 15 % de la ville ; l'État lui verse 3 millions en contrepartie. Pour ces communes, la RGPP a des effets bien réels. Pour nous, l'essentiel est de comprendre quels sont les effets de la RGPP sur les moyens et la population des communes.

Mme Catherine Deroche . - Les auditions montrent que l'impact de la RGPP est très différent selon les départements et les villes moyennes. Votre fédération a-t-elle réalisé des études d'impact ?

M. Gérard Miquel . - Châlons-en-Champagne, parce qu'elle est chef-lieu de région, a récupéré des cadres d'État. Dans la région PACA, vaste par son territoire, la réorganisation des services de l'État s'est-elle également traduite par un départ des services publics de Digne-les-Bains pour le chef-lieu de région ? Ne pensez-vous pas que la dimension territoriale doit être prise en compte dans ces opérations ? De fait, les régions sont diverses : en Alsace, qui compte seulement deux départements, le ressenti n'est certainement pas le même.

M. Jean-Luc Fichet . - Entre une collectivité menacée d'embonpoint ( M. Bourg-Broc nuance cette affirmation .) et une autre soumise à une sévère cure d'amaigrissement, quelle est la ligne de partage ? J'aimerais en savoir plus sur l'effet de filière, « l'effet domino » entre emplois publics et privés.

M. Raymond Couderc . - Maire de Béziers et membre du conseil d'administration de la FMVM, je veux apporter mon témoignage. Ville de 75 000 habitants, Béziers a la malchance d'être installée dans un département qui abrite Montpellier. Depuis 1987, sont partis pour le chef-lieu de région la direction d'EDF-GDF, l'Urssaf, la caisse d'allocations familiales, la caisse primaire d'assurance maladie et la direction régionale de l'Office national des forêts. De nombreuses entreprises privées ont suivi le mouvement ; les banques, par exemple, ont transféré leurs centres de décision à Marseille ou à Toulouse. Cette vision de l'administration du territoire est sans doute enseignée à l'ENA ou à l'École nationale des ponts et chaussées car on nous sert toujours les mêmes réponses...

Mon interlocuteur local est le sous-préfet. Nous avons des discussions claires et constructives : il m'a d'ailleurs prêté main forte lorsque les services de l'équipement, parce qu'on leur avait retiré le conseil aux communes, ont renforcé les contrôles dans des domaines où on ne leur demandait rien.

M. Bruno Bourg-Broc . - Nous n'avons pas établi d'études d'impact précises et globales. La RGPP, a eu raison de rappeler M. Courderc, a été précédée d'un mouvement lent et insidieux. Ma ville comptait 500 emplois de France Télécom ; elle en a perdu plus de la moitié récemment. Je me suis battu pour conserver la direction régionale : il n'y a plus que 6 postes contre cent autrefois ! Ces mouvements aux dépens des moyennes et petites villes sont inquiétants. Nous savons quelles ont été les conséquences de telle réforme sur l'emploi public, sans toutefois pouvoir mesurer son impact global. Les données démographiques sont connues ; mais leur évolution est-elle liée à la RGPP ?

Quant à la qualité du service public, elle devrait aller s'améliorant. A-t-on amélioré le délai de délivrance des passeports et des cartes d'identité en transférant ce service aux communes ? Notre mairie a réalisé des investissements pour accueillir ce service -j'en suis fier-, en contrepartie duquel nous avons reçu une subvention plus forte que prévu grâce à un amendement sénatorial. En revanche, la parole de l'État doit être plus claire : il faut avoir le courage de dire que ce service sera désormais réalisé dans des conditions différentes.

Oui à la prise en compte de la dimension territoriale : on ne peut pas traiter de la même façon l'Alsace et la Champagne-Ardenne qui s'étire sur 400 km.

M. François Patriat , président . -- Vous envisagez donc une différenciation de la RGPP selon les territoires ?

M. Bruno Bourg-Broc . - Naturellement ! Philippe Seguin, peu avant son décès, avait eu l'intelligence de dire que la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne pouvait pas s'appliquer uniformément selon les secteurs et les territoires. Oui à la réduction de l'emploi, mais à condition que le service public continue d'être rendu. Nous avons été habitués à un certain confort. : on attend tout du maire, de l'action sociale à la météo. La situation évolue : une espèce de RGPP est en marche partout en Europe.

M. Serge Gloaguen . - La parole de l'État doit être claire, sa stratégie aussi. Nous avions travaillé au relogement de la police nationale à l'hôtel de ville de Digne avec les préfets successifs avant que le ministre nous oppose une fin de non-recevoir. Il y a quatre ans, nous avons acheté un terrain en centre-ville à une congrégation religieuse pour y installer le commissariat. Depuis, silence radio. La réponse est venue de M. Michel Sapin : deux commissariats restent à construire, ceux de Digne et de Béziers ; l'espoir est permis pour 2012. Pour le centre pénitentiaire, même expérience. On balade les élus !

Digne accueille cinq lycées, le plus grand internat de la région PACA ainsi que le plus grand CFA, un IUT, une école d'infirmières, un IUFM... La ville respecte le quota de 20 % de logements sociaux, contrairement à de nombreuses communes du littoral. Mais l'emploi public baisse depuis deux ou trois ans. Ayant travaillé en entreprise, je cherche à compenser ces pertes en attirant de nouvelles activités : je ne baisse pas les bras ! La région fait beaucoup : elle a instauré un mécanisme de solidarité pour financer les routes départementales de montagne là où il y a des cols et de la neige. Pour autant, elle ne peut pas tout.

M. Michel Bécot . - Ces illustrations locales sont intéressantes, mais nous manquons d'une vision globale. Dans le monde de l'entreprise, d'où je viens, on établit des stratégies de long terme ; avant de se lancer sur un marché à l'export, on procède à des études de marché. Monsieur le président, ne faudrait-il pas interroger les concepteurs de la RGPP ?

M. François Patriat , président . - Nous entendrons le ministre dans quelques instants.

Mme Michèle André . - La RGPP est bien là, hélas ! Je l'ai constaté comme rapporteur spécial. Peut-on supprimer 700 postes dans les préfectures en 2011 en maintenant un service d'égale qualité ? La réponse est non ! Toutes me répondent : « nous sommes à l'os » quand certaines communes, contraintes d'accueillir le service des passeports et des cartes d'identité, ont dû embaucher. J'ai alerté les ministres du budget et de l'intérieur, en vain.

Supprimer un fonctionnaire sur deux, c'est une gestion aveugle ! Les effets se font sentir dans les préfectures et les sous-préfectures. Quant au préfet de département, on en fait un sous-préfet, soumis au préfet de région !

M. Bruno Bourg-Broc . - Je n'ai pas une hostilité aussi catégorique à la RGPP.

Mme Michèle André . - Je n'ai pas d'hostilité a priori, je ne fais qu'en constater les effets !

M. Bruno Bourg-Broc . - Il ne faut pas perdre de vue le lien entre RGPP et aménagement du territoire. L'État doit avoir le souci de la continuité de sa parole. Quand on laisse espérer un commissariat à une ville, il faut tenir parole, de gauche ou de droite ! La perte de confiance de la population à l'égard des hommes politiques et des institutions vient de ce que leur parole a perdu sa crédibilité.

M. François Patriat , président . - Merci de vos réponses.

M. Philippe Richert,
ministre chargé des collectivités territoriales

____

M. François Patriat , président . - Vous êtes le premier ministre que nous auditionnons. L'objet de notre mission est d'évaluer l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales, dans les services de l'État et les services publics en général. S'il est trop tôt pour tirer un bilan, nous pouvons attirer l'attention sur d'éventuelles dérives et être force de proposition.

M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales . - C'est un bonheur pour moi d'être ici aujourd'hui. Je répondrai le plus librement possible à vos questions, quitte à être abrupt.

La RGPP concerne autant les collectivités que l'État. Il s'agit d'améliorer la qualité du service rendu aux citoyens, car les besoins évoluent au fur et à mesure que la société change. En 2010, les ressources de l'État ont baissé de 20 % en valeur absolue, tandis que les transferts aux collectivités augmentaient d'1 milliard d'euros. Avec la crise, il est encore plus urgent d'utiliser au mieux les ressources et d'adapter au mieux les services aux besoins. Dans mon village, il y dix ans, le grand combat était d'obtenir une cabine téléphonique ; aujourd'hui, c'est d'avoir le très haut débit ! L'objectif de la RGPP est d'organiser les services publics de demain, d'adapter les politiques publiques à un monde qui change. Adapter l'État aux défis du XXIème siècle, c'est améliorer la qualité du service rendu, simplifier l'organisation de l'État, réduire le volume des dépenses publiques, notamment par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, responsabiliser les agents par la culture du résultat, moderniser la fonction publique et valoriser le travail des agents.

Il est facile d'invoquer le principe de libre administration des collectivités locales pour arguer que la réforme de l'État ne concerne que lui. Pour le gouvernement, la RGPP ne doit pas être menée en dehors des réformes menées par les collectivités territoriales, mais en harmonie avec elles. C'est la démarche du Premier Ministre depuis 2007.

Le groupe de travail présidé par Alain Lambert proposait de revenir sur la clause de compétence générale pour préciser les compétences des départements et régions - ce qu'a repris la réforme du 16 décembre 2010. Il propose d'associer les collectivités à l'allégement des contraintes normatives qui pèsent sur elles au sein de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), et d'imposer aux ministères producteurs de normes d'en justifier la pertinence. Le stock est de 400 000 normes : cela fait frémir ! En mai 2010, lors de la conférence sur le déficit, le Président de la République a donné une nouvelle impulsion à la lutte contre les normes excessives en édictant un gel des normes : si la CCEN émet un avis défavorable à une nouvelle norme, c'est le Premier Ministre lui-même qui tranche. M. Doligé rendra un rapport sur le sujet fin mars ; l'AMF et l'ADF ont été consultées.

Le rapport Lambert prône également la mutualisation des services communaux et intercommunaux, proposition reprise dans la loi du 16 décembre 2010. À partir de 2014, les régions et les départements mettront en place un schéma de mutualisation des compétences et des services. La RGPP est bien en harmonie avec la réforme des collectivités territoriales. La définition de la région comme échelon stratégique de l'action de l'État ne doit pas empêcher les préfets de département et les sous-préfets de répondre de manière adaptée aux besoins exprimés localement.

La RGPP vise la meilleure allocation des ressources des collectivités publiques, d'où un effort de péréquation sans précédent : plus de 350 millions d'euros au titre des droits de mutation à titre onéreux sont répartis à ce titre, et un fonds de 150 millions d'euros a été constitué pour les départements en difficulté.

La RGPP n'est pas qu'une réforme interne de structure et de pilotage interne à l'État. C'est une manière plus vigilante et mieux partagée de concevoir nos politiques publiques, de veiller au bon usage des deniers publics, avec comme objectif une meilleure efficacité.

M. François Patriat , président . - Comment la réforme des services d'équipement ou de transports se traduit-elle pour les collectivités territoriales ? Alors que la loi vient conforter les départements, la RGPP tend vers une régionalisation des services... Les préfets de département sont devenus des sous-préfets du préfet de région ! L'économie est-elle réelle ? Comment les réformes de la gendarmerie, de la carte judiciaire ou de la carte militaire ont-elles impacté les collectivités et les citoyens ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La RGPP a-t-elle associé les collectivités territoriales ? Ce n'est pas le sentiment qui se dégage du terrain. Quel est l'instance de concertation avec les collectivités ?

Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux et son corollaire, la réduction des effectifs, ne risque-t-il pas de se traduire par des embauches dans les collectivités territoriales ?

La RGPP semble parfois conduite dans une logique de « silo » : chaque ministère mène sa propre réforme, ce qui peut aboutir à des fermetures de services publics concentrées sur un même territoire. Ne faudrait-il pas un lieu où faire la synthèse des actions, pour apprécier les conséquences de la RGPP sur un territoire donné ?

Quels sont les indicateurs permettant de mesurer si les objectifs sont remplis, comme le délai d'obtention d'un permis de conduire ou d'une carte d'identité ?

L'organisation territoriale ne devrait-elle pas mieux tenir compte des particularismes locaux, de la densité de population ?

La RGPP semble s'inspirer largement du rapport Balladur qui fait primer le pôle régional sur le département. Or les départements n'ont pas disparu ! La réforme est-elle adaptée à cette réalité ? Dans le processus de décentralisation de l'autorité de l'État, quel est le rôle du préfet de département par rapport au préfet de région ?

M. Philippe Richert. - La RGPP a d'abord été pensée comme une réorganisation de l'État, mais pas exclusivement. Au plan national, les associations représentant les collectivités territoriales ont été associées, dès 2007, dans le cadre du groupe de travail présidé par Alain Lambert, dont les conclusions ont été intégrées dans les décisions du comité de modernisation des politiques publiques. Elles s'articulent autour de trois thèmes : la clarification des compétences, l'allègement des contraintes normatives, les relations financières entre l'État et les collectivités. Au niveau territorial, il y a eu concertation avec les services de l'État, ainsi qu'avec les organisations représentatives et les élus. À titre personnel, j'ai constaté que l'évolution était surtout portée par l'État, et les échanges focalisés sur ses services. En tant que président du conseil général, j'ai sillonné le département pour expliquer aux maires comment seraient dorénavant organisés les services de la DDE, transférés au conseil général. J'ai travaillé en étroite coopération avec le préfet de département, et la répartition des services publics s'est faite sans difficulté : l'ensemble de la présence territoriale a été conservée.

Le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux n'est pas appliqué uniformément : la justice, par exemple, fait exception. Il n'est aucunement lié au transfert de compétences aux collectivités. Je ne pense pas que l'embauche de fonctionnaires territoriaux supplémentaires soit due à la baisse du nombre de fonctionnaires de l'État, mais plutôt à l'évolution des compétences des collectivités. Ainsi de la dépendance : 1 300 Bas-Rhinois touchaient la prestation spécifique dépendance (PSD) ; ils sont 18 000 à toucher l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ! La demande explosant, il a fallu des moyens humains pour traiter les dossiers. Idem pour la loi sur le handicap de 2005. Les embauches sont la conséquence des lois que nous avons votées !

C'est la DATAR qui est chargée de faire la synthèse des mesures concernant un même territoire, pour éviter les effets « silo ». Le préfet de région coordonne l'ensemble.

Les indicateurs de résultat sont nombreux et publics. La compensation du coût du passeport biométrique accordée par l'État aux communes est passée de 3200 à 5 000 euros : cela me paraît suffisant pour faire face à cette charge nouvelle. Les efforts doivent s'apprécier en termes de service rendu : le délai pour obtenir un passeport est passé de trois semaines à moins de quinze jours dans 90 % des cas, moins d'une semaine dans 50 % des cas. En matière de naturalisations, le stock qui était de deux ans avant la réforme est aujourd'hui résorbé. Les progrès sont réels. Je vous communiquerai des réponses plus précises si vous le souhaitez.

La réponse sur le territoire national ne peut être uniforme. La problématique des territoires ruraux n'est pas celle des zones urbaines. La modularité est au coeur de la réforme. La réorganisation des services varie selon la taille du département, avec une direction départementale du territoire, une direction départementale de la protection de la population et une direction départementale de la cohésion sociale, ces deux dernières pouvant être fusionnées. Je n'ai pas entendu parler de difficultés, d'élus frustrés de ne plus trouver d'interlocuteur...

La directive nationale d'orientation insiste sur la prise en compte des circonstances locales et fixe les orientations pour les six prochaines années, avec des préfectures tournées vers le développement des territoires. À titre personnel, je trouve que nous avons gagné en efficacité, avec un patron, le préfet de région, qui coordonne les services. Les réponses sont coordonnées ; la transversalité améliore l'efficacité. Les sous-préfets sont dans leur rôle comme animateurs du territoire et conseillers des élus et des porteurs de projets, et le niveau de compétences des responsables de l'État me semble en hausse.

M. Gérard Bailly . - Je me félicite de la réflexion, au plus haut niveau de l'État, sur le nécessaire allègement des normes. Loin de moi l'idée de remettre en cause la RGPP, mais tout bouge encore, et les choses ne sont pas aussi claires en Franche-Comté qu'elles semblent l'être en Alsace... Il faut charger les préfets de clarifier les services aux élus, et identifier nos interlocuteurs, car on se cherche encore.

Pourquoi si peu de transparence sur les effectifs ? Lors de la décentralisation des routes aux départements, l'État a conservé 307 emplois sur 610... Les lamentations des administrations ne sont-elles pas excessives ?

L'État n'a-t-il pas perdu ses meilleurs agents au profit des collectivités territoriales ? Ne risque-t-il pas d'en subir le préjudice demain ?

À la tête de directions régionales, le préfet de région prime aujourd'hui sur le préfet de département. À qui nous adresser, par exemple en matière d'environnement ? Le préfet de région de Franche-Comté est à Besançon : les autres départements de la région n'ont plus d'interlocuteur départemental...

M. Roland du Luart . - La RGPP a recentré les missions d'ingénierie publique dans le secteur concurrentiel autour d'un rôle d'expertise. Cela ne risque-t-il pas de conduire à terme à la suppression de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), et à la fin des projets d'aménagement du territoire pour les petites collectivités territoriales ? Cette question revient souvent lors de nos réunions cantonales de maires.

Le décret de 2007, complété par l'arrêté de 2008, permet à un conseiller d'administration de l'Intérieur d'exercer les fonctions de sous-préfet dans 115 arrondissements de deuxième catégorie, sans bénéficier d'un logement ou d'un véhicule de fonction. Ne risque-t-on pas de voir apparaître des représentants de l'État de deuxième catégorie, alimentant le sentiment qu'ont les élus ruraux d'être déconsidérés par l'État ?

Enfin, la réorganisation des services déconcentrés de l'État ne risque-t-elle pas de conduire à des transferts rampants, au détriment des finances locales ? Le rapport que j'ai cosigné avec M. Krattinger fait état de constats inquiétants. Quel est le sentiment du ministre ?

Mme Michèle André . - Lors de ma mission de contrôle, j'ai constaté l'esprit constructif des fonctionnaires des préfectures, du secrétaire général aux syndicats, leur capacité d'adaptation et leur dévouement.

Les agents des départements ne maîtrisent plus les finances, a fortiori vu le fonctionnement approximatif du progiciel de gestion CHORUS. Vous avez de la chance en Alsace, monsieur le ministre : la situation des sous-préfets est loin d'être aussi idyllique que vous le dites ! Les élus les court-circuitent. Les préfectures manquent de cadres A. Faute de postes, le travail n'est pas fait ! Et ce sont les usagers qui en pâtissent.

Concernant les passeports, les préfets ont parfois forcé la main aux communes « volontaires ». Le Sénat a amélioré la compensation financière, mais celle-ci reste forfaitaire, et non fonction du nombre de passeports distribués.

M. Philippe Richert . - La situation n'est pas la même sur tout le territoire. L'État est aujourd'hui régionalisé mais, en tant que président de région, je rencontre souvent le préfet du Haut-Rhin, qui a une autorité fonctionnelle sur les directions régionales et est compétent en matière de sécurité, de contrôle de légalité, d'étrangers.

La RGPP n'entraîne pas de transferts rampants vers les collectivités. C'est le changement du périmètre des compétences, inscrit dans la loi, qui emporte des conséquences pour elles. Il faut renforcer le dialogue entre le gouvernement et le législateur d'une part, les associations de collectivités territoriales d'autre part, mieux prendre en compte à la fois les exigences de la société et les besoins des collectivités. Nous relançons la Conférence nationale des exécutifs (CNE) pour avoir ce lieu de débat.

La réforme des collectivités territoriales était nécessaire. L'État s'est réformé. La réforme de la carte judiciaire ou de la carte militaire n'a pas été facile, pas plus que la réorganisation des services au niveau régional. L'objectif de la RGPP est de faire des économies et d'être plus efficace sur le terrain. Il n'est pas imaginable que les collectivités territoriales ne s'interrogent pas elles aussi sur comment améliorer leur efficacité.

Les trois cents agents de la DDE qui demeurent dans le giron de l'État ne s'occupent pas des routes mais de la politique du logement et de la construction, compétences qui n'ont pas été transférées ! Même lors du transfert de l'aide à la pierre au département, l'ensemble du personnel n'a pas suivi. L'État conserve également quelques agents en charge des questions de contrôle, de procédures ; faut-il les transférer également ? Nous ne sommes pas au bout de la décentralisation.

C'est la direction interdépartementale des routes (DIR) de Nancy, en Lorraine, qui traite de l'ensemble de nos routes nationales : l'efficacité peut encore être améliorée...

M. François Patriat , président . - L'Alsace est manifestement une région exemplaire. Mais quand la ville de Joigny voit partir son régiment, son tribunal, sa clinique, son hôpital, les choses ne sont pas aussi idylliques !

M. Philippe Richert . - On coordonne aujourd'hui les conséquences ; il aurait sans doute fallu mieux coordonner en amont.

Quant au rôle de l'ATESAT, il a été confirmé par le Président de la République le 7 février 2009. L'appui technique aux collectivités territoriales est renforcé par la création de services interdépartementaux, dans les domaines non concurrentiels. De nombreux conseils généraux, dont le mien, ont mis en place des systèmes alternatifs.

M. Roland du Luart . - Il y a donc bien un transfert rampant !

M. Philippe Richert . - Non, car il s'agit de services différents de ceux qu'offre l'État. Nous faisons payer le service le cas échéant, dans le respect des clauses de concurrence.

Les conseillers d'administration exerçant les fonctions de sous-préfet sont au nombre de trois, pour tout le pays...

M. Roland du Luart . - Ce chiffre peut atteindre quinze.

M. Philippe Richert . - À titre personnel, je ne verrais aucune objection à ce qu'une sous-préfecture du Bas-Rhin soit tenue par un conseiller d'administration !

Le président Patriat a raison de souligner le risque d'une accumulation de réformes sur un même territoire : c'est à la DATAR de coordonner les choses pour éviter ces situations. Toute direction régionale a une antenne dans le département. Un schéma régional immobilier s'applique dans tous les départements.

La délivrance des titres et le contrôle de légalité se fait de plus en plus en préfecture ; les sous-préfets se concentreront sur la sécurité et le développement local du territoire. Dans ma région, ils sont les interlocuteurs des élus ; de contrôleurs tatillons, ils sont devenus de vrais conseillers avisés.

M. Adrien Gouteyron . - On oublie trop ce que signifie RGPP : révision générale des politiques publiques. Dans l'esprit du public, la RGPP se réduit à la baisse des effectifs et des moyens et à l'éloignement des services. Il y a un vrai problème de présentation et d'information. Tout n'est pas défendable ni utile, mais l'esprit de la RGPP était bon. Encore faut-il le rappeler, et le resituer dans son contexte.

M. Philippe Richert . - Nous traversons une période de turbulences. Les réformes de la taxe professionnelle, des collectivités territoriales, des services de l'État ont un impact sur l'organisation territoriale. Il faut prendre du recul, et voir au-delà des inévitables doléances. Chez moi, une commune de 1700 habitants s'est battue pour conserver une boîte aux lettres : in fine , j'ai du intervenir auprès du président de la Poste lui-même ! L'opinion se cristallise autour de tels symboles, et en oublie les progrès obtenus, par exemple en matière de délai d'obtention d'un passeport. L'objectif reste d'arriver, avec moins de moyens financiers, à une meilleure efficacité.

Mercredi 16 février 2011

Table ronde
avec les syndicats de la fonction publique :

Interco-CFDT : M. Yves Letourneux, président
FNACT-CFTC : MM. Alain Mazeau, secrétaire général et Patrice Beunard
Fédération des Fonctions Publiques CGC : MM. Jean-Pascal Lanuit et Dominique Zaug
FSU : M. Didier Bourgoin
UNSA Fonctionnaires : M. Hans Helmrich
CGT : MM. Jacques Nicolas et Patrick Hallinger
CFTC-FAE fonctionnaires : M. Denis Lefebvre, secrétaire général
CFDT : M. Patrice Rio

____

M. François Patriat , président . - Je vous remercie, messieurs, de votre présence. Vous êtes parmi les premiers invités de cette mission qui étudie les conséquences de la RGPP pour les collectivités locales. Nous avons auditionné le ministre des collectivités territoriales, nous allons entendre celui du budget. Nous sommes très intéressés par le vécu, dans les collectivités et dans les services comme par les citoyens, d'une politique qui avait trois objectifs : réorganiser, économiser, optimiser. Je ne pense pas qu'il soit trop tôt pour en évaluer les conséquences. M. Letourneux souhaite peut-être faire une déclaration liminaire ?

M. Yves Letourneux (Interco-CFDT). - Si l'intersyndicale m'a coopté à sa présidence, nous sommes trois membres de la CFDT. A ce stade, je dirai seulement qu'il n'est pas trop tôt pour s'interroger sur l'impact de cette politique afin d'en faire cesser les effets pervers.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Ma première question porte sur la méthode. Avez-vous été associés à la mise en oeuvre de la RGPP et à son suivi ? J'aimerais aussi savoir à quels rendez-vous vous participez, si vous y participez...

M. Patrick Hallinger (CGT). - Y a-t-il eu concertation ? Pour le représentant de la fonction publique d'Etat que je suis, la réponse est non. C'est même une caractéristique importante de la politique engagée depuis 2007 pour réorganiser les services dans l'intérêt, disait-on, des usagers, des contribuables et des fonctionnaires. Trois ans et demi plus tard, on observe une brutale destruction d'emplois dans la fonction publique d'Etat, et cela se traduit, du côté des collectivités territoriales, par une compression drastique des missions auxquelles elles avaient accès. C'est ainsi qu'après avoir allégé les fonctions de l'ingénierie publique, on s'attaque maintenant aux opérateurs. Le travail de la Cour des comptes concourt à la gestion privée des opérateurs, ainsi pour certains services de l'ONF ou de Météo France. En région Rhône-Alpes, c'est l'équivalent d'une direction départementale de l'agriculture qui a été supprimé en 2010 et en 2011, on a encore supprimé 10 % des emplois des directions départementales interministérielles.

Tout cela nuit au service rendu aux usagers. Il est grand temps de tourner la page et d'ouvrir en grand le débat public. J'observe d'ailleurs que les élus aussi ont été écartés, en même temps que les syndicats et les citoyens. Il faut rouvrir le débat sur les fonctions et les missions publiques et pour cela définir des instances, des lieux pour le mener.

M. Didier Bourgoin (FSU). - En l'absence de Bernadette Groison, retenue par des engagements antérieurs, il me revient de dire que la FSU a une vision négative de la RGPP comme de la RéATE (réorganisation de l'administration territoriale de l'État). La RGPP a surtout été faite pour réduire radicalement la dépense publique : peut-on faire plus avec moins ? Nous ne le croyons pas. Le versant RéATE peut apparaître de bon sens, mais on aboutit surtout à une réduction du nombre de fonctionnaires, M. Tron prônant même des bonifications financières pour les collectivités qui supprimeraient des emplois.

La vision d'ensemble est brouillée, parce que l'on n'a pas clarifié les compétences et qu'on a mis fin aux financements croisés, aux dépens des services publics locaux. Une circulaire incite aux privatisations en associant la réforme des structures logistiques et immobilières à une externalisation de leur gestion. Des parlementaires de la majorité et de l'opposition partagent ce constat. Nous vous ferons passer une contribution.

Un rapport d'information de l'Assemblée nationale présenté le 7 juillet 2010 a mis en évidence la difficulté de concilier des démarches horizontale et transversale en réduisant les moyens. C'est ainsi qu'en rattachant le champ des politiques en faveur de la jeunesse à la direction de la cohésion sociale, on peut les réduire à un traitement social et cesser de soutenir 2 500 associations.

Les négociations sur l'emploi précaire montrent que le contrôle de légalité ne joue plus son rôle et que les collectivités territoriales usent et abusent de l'emploi précaire : un emploi sur trois y est désormais un emploi hors statut. L'Etat se retire tandis que la marge de manoeuvre des collectivités se réduit parce que leur pouvoir politique, fiscal et financier est fragilisé.

M Yves Letourneux . - Nous n'avons pas été associés. Lorsque le dispositif a été annoncé, il devait y avoir trois niveaux de concertation : confédérations, fédérations et organisations de terrain. D'accord pour améliorer le service public et définir les territoires pertinents ... à condition de ne pas démanteler les services, de ne pas casser l'emploi public. Or le président de la République avait déjà annoncé la règle : ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux.

M. François Patriat , président . - Comment cela se traduit-il concrètement ?

M Yves Letourneux . - Les directions départementales interministérielles regroupent quatre secteurs, mais les services sont éclatés. Ceux de la concurrence et des prix ne reçoivent pas toutes les directives parce que le système informatique est incomplet ; en même temps, les ARS créées par la loi HPST obligent les conseils généraux à revoir leurs projets. Est-ce cela, améliorer le service public ? La question de la réforme était un enjeu majeur pour nous. Mais nous refusons ces procédés à la hussarde, sans concertation.

M. Patrice Rio (CFDT). - Les services de la consommation et de la répression des fraudes ont été éclatés entre la direction de la cohésion sociale au niveau départemental et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, la Direccte. Nous n'avons pas été associés à un changement qui a eu de très importantes conséquences. Nous avons en réalité subi deux réformes : en juillet 2008, la répression des fraudes a été intégrée à la Direccte puis, en décembre, il y a eu un éclatement, une remise en cause à laquelle nous ne nous attendions pas. Nous l'avons ressenti comme du mépris à notre endroit alors que la première réforme avait été acceptée, la répression des fraudes ayant déjà entamé une régionalisation, la redépartementalisation obligeant à rescinder des services mutualisés.

M. François Patriat , président . - Quel était l'intérêt de cette redépartementalisation ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Quels arguments a-t-on avancés ?

M. Patrice Rio. - Le souci de rapprocher dans la direction départementale interministérielle services vétérinaires et répression des fraudes, au nom de la politique sanitaire. Les services de la concurrence sont restés à la Dirrecte. Cette réorganisation a cassé les équipes et le réseau d'enquêteurs ; elle a éloigné ces derniers des lieux de leur intervention. L'état d'esprit actuel est dominé par un sentiment de découragement.

Est-il trop tôt pour dresser un bilan ? On aime bien les états statistiques aux finances et le 7 février, M. Lefèbvre a dressé le bilan d'action de la concurrence. Je suis d'accord avec ses chiffres, que j'interprète différemment. L'effectif a baissé de 2,39 % de 2009 à 2010 (la baisse est continue depuis plusieurs années), mais la diminution du nombre d'entreprises contrôlées a été deux fois plus forte, trois fois plus si l'on tient compte de la richesse des interventions effectuées : l'impact de la RGPP est très sensible. Que s'est-il passé avec la redépartementalisation ? On avait mutualisé au niveau régional des missions pointues comme le contrôle des engrais, des cosmétiques, des compléments alimentaires ; avec la redépartementalisation, il faut qu'elles soient représentées au niveau de chaque département alors qu'il y a moins d'agents. La polyvalence n'est pas gage d'efficacité : comme une enquête demande plus de préparation, on en fait moins, d'où une moindre protection des consommateurs, mais aussi des entreprises intéressées au respect des règles de la concurrence. Je peux vous transmettre une note détaillée.

M. François Patriat , président . - Quand je lui ai posé la question, M. Lefèbvre m'a répondu avoir les moyens de sa politique. La RGPP aurait optimisé l'efficacité.

M. Patrice Rio. - Souhaiteriez-vous que je contredise le ministre ? Il a certainement raison... Toutefois, les consommateurs n'arrivent plus à trouver les services de la concurrence et mes collègues de Rennes reçoivent tous les plaintes des consommateurs contre telle ou telle entreprise parce que leur laboratoire est le seul service de la répression des fraudes identifié comme tel dans l'annuaire. Inversement, sur qui le ministre exerce-t-il son autorité hiérarchique sinon sur la Direccte ? Comment piloter de services qui ne dépendent pas de lui ? Voilà des mois que nous le disons à Mme Lagarde. Nous fonctionnons aujourd'hui grâce aux anciennes relations entre collègues : tout repose sur le facteur humain.

M. Alain Mazeau (CFTC). - Nous aurions souhaité être associés à la démarche. Les interrogations sont palpables. La RGPP aurait pu permettre de clarifier le rôle et les compétences de chacun, mais c'est objectif n'a été atteint qu'en partie. Le processus n'est pas lisible pour les agents territoriaux -mais il est un peu tôt pour établir un bilan.

M. Denis Lefèbvre (CFTC-FAE). - La logique de la RGPP pour la fonction publique d'Etat  est comptable. Il n'y a pas eu d'audit préalable sur les missions de l'Etat, il fallait seulement limiter le déficit, donc les effectifs de fonctionnaires, mais cette politique trouve forcément ses limites. On a beau rapprocher la gendarmerie et la police, il faut toujours assurer le maillage du territoire. Si la restructuration de la défense a été mieux discutée, il n'y a pas eu de concertation, sauf pour la création des directions départementales interministérielles. Il n'y pas eu de tour de table. La CFTC n'a jamais été opposée à une évolution de l'administration, mais il s'agit ici d'une logique comptable. Il eût fallu commencer par un bilan de la situation, s'interroger sur les missions et en déduire les effectifs. On ne l'a pas fait, et c'est le vice de départ de la RGPP.

M. François Patriat , président . - L'Etat répond qu'il ne suit pas une pure logique comptable puisqu'il a augmenté parfois des effectifs, par exemple à Pôle Emploi.

M. Yves Letourneux. - Il y avait déjà eu des engagements sur Pôle Emploi et la décision avait été prise avant la présidence Sarkozy. Le guichet unique de l'emploi devait permettre une amélioration pour le personnel mais on supprime 1 500 emplois en 2011. Et quand le budget diminue de 400 millions, où est le gain pour Pôle Emploi ?

On ne peut demander aux ministres de dire le contraire de ce qu'ils doivent dire, mais l'on peut se rappeler du discours que l'on tenait après l'affaire du sang contaminé lorsqu'on a créé l'Afssaps, qui n'a pourtant pas évité l'affaire du Médiator.

Nous l'avons bien vu lors des trois journées que nous avons organisées pour les trois fonctions publiques, les fonctionnaires ne s'y retrouvent plus et les services ne tiennent que par leur engagement et leur attachement viscéral au service public. Les conditions de travail sont catastrophiques dans les services de l'Etat pour ne rien dire du secteur hospitalier, et cela va gagner la fonction publique territoriale.

M. François Patriat , président . - Pour d'autres raisons.

M. Yves Letourneux. - Il faut un constat honnête. Un ministre d'Etat comme M. Borloo a négocié avec l'encadrement du ministère afin de ne pas entrer totalement dans la RGPP. Le service public doit se réformer mais pas n'importe comment. Nous sommes toujours prêts à nous mettre autour de la table pour faire avancer les choses mais, comme pour les retraites, le gouvernement se contente de faire croire au dialogue social et casse tout sans répondre aux vrais problèmes de la fonction publique : le territoire pertinent et la proximité, entre la région et le département.

M. Hans Helmrich (UNSA). - La RGPP a sur les collectivités un impact qui varie selon leur taille. On ne s'est pas demandé quel service public l'on veut, avec quels fonctionnaires ; il n'y pas eu de concertation ; on est resté dans une logique comptable. On voit bien les effets pour les collectivités locales du désengagement de l'Etat. Les communes de moins de 1 500 habitants n'ont pas de service technique, pas d'ingénieurs ; depuis que les DDE ne les aident plus à établir les cahiers des charges et à préparer les marchés publics, elles sont obligées de faire confiance aux entreprises, ce qui les amène à valider des choses qui ne devraient pas l'être. On a fait la RGPP avant de mutualiser les services et comme les citoyens ne peuvent plus se tourner vers ceux de l'Etat, ils s'adressent aux collectivités qui sont proches ; les plus grandes peuvent faire face mais la situation des autres est complexe. Le contrôle de légalité permettait naguère aux élus de vérifier la conformité de certaines délibérations. Ils naviguent maintenant à vue.

M. Jean-Pascal Lanuit (CGC) - Il faut revenir sur la philosophie initiale de la RGPP. Cette démarche de modernisation a en effet suivi un processus descendant. On n'a pas cherché à améliorer le service public, on n'a pas consulté les partenaires sociaux, mais on a centralisé auprès du Premier ministre une décision qui a ensuite été déclinée par les ministres. Il n'est pas neutre que ceux-ci soient obligés de se justifier devant des groupes composés de fonctionnaires et d'auditeurs privés et non plus devant l'autorité législative. Ce processus descendant peut s'accélérer parce qu'il s'appuie sur un existant. Il y avait des rapports de la Cour des comptes ou des inspections générales. Comme on ne les avait pas appliqués parce qu'ils se heurtaient à des obstacles politiques ou sociaux, il ne faut pas s'étonner si l'on rencontre aujourd'hui des difficultés, en particulier au niveau de l'encadrement, auquel la CGC est attentive. Les fusions de corps affectent les collectivités locales. Celle qui est intervenue entre le génie rural et les ponts et chaussées a limité la visibilité du dispositif, et l'encadrement subit les conséquences de la réforme de l'ingénierie publique.

Tous les rapports de la RGPP n'ont pas été rendus publics. Comment discuter quand on ne dispose pas de toutes les données? Qu'en est-il du rapport entre l'Etat et les collectivités publiques, du contrôle de légalité et de l'ingénierie publique, des prestations et du contrôle ? Des données aussi importantes que les impôts locaux et les frais de gestion qu'elle occasionne ne rentrent pas dans une RGPP qui n'a pour objet ni d'améliorer le service aux collectivités ni le dialogue social.

M. Dominique Zaug (CGC). - Dans mon département, la RGPP n'a pas été synchronisée avec une procédure descendante au niveau des structures de l'Etat. Aussi avons-nous créé en interne une structure de vérification juridique pour les petites collectivités.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Où cela se passe-t-il ?

M. Dominique Zaug. - Dans les Vosges. La population est de 380 000 habitants.

Les compétences sociales du département heurtent celles de l'ARS, d'où des projets concurrents. Le personnel d'encadrement, partagé entre une politique centralisée et une équipe interministérielle, reçoit des ordres de différents ministères. Comment les agents que l'on place dans cette situation désagréable sont-ils dirigés ? Partageant des locaux, ils ont des rémunérations différenciées et des statuts hétérogènes.

M. Yves Letourneux. - Le premier effet de la RGPP est la suppression de l'ingénierie publique, la fin de l'accompagnement des collectivités qui doivent se tourner vers le privé.

Deuxièmement, avec la RéATE, on fait pression sur les conseils généraux. On leur demande des plans départementaux afin de sauver les emplois que l'on veut supprimer, en matière de gérontologie par exemple.

Le troisième effet concerne les missions de conseil confiées aux sous-préfectures -une bonne idée- mais on leur en retire les moyens.

Le quatrième effet concerne les ARS, qui résultent de la loi HPST. La CFDT était assez favorable à l'idée d'un décideur en la matière, mais aucune analyse n'a été menée en amont. A Hérouville-Saint-Clair, quatre directions avaient collaboré pour réaliser cinq places supplémentaires dans un établissement  mais, du fait de la création des ARS, il a fallu reprendre un travail de quatre ans !

Cinquièmement, la réforme de la taxe professionnelle pose la question du financement des collectivités. Quelle politique pour la région si on supprime ses moyens financiers et que 90 % de son financement vient de la TIPP ?

De surcroît on va partir d'une base 2009, très défavorable, puisqu'on était en pleine crise.

M. François Patriat , président. - Il y a concomitance avec la réforme des collectivités territoriales mais aucun lien de cause à effet.

M. Yves Letourneux . - La vraie question demeure : quels services publics veut-on pour quel projet de société ?

Mme Catherine Deroche . - Vous déplorez de n'avoir pas été associés, en 2007, à la mise en place de la RGPP, que vous qualifiez de brutale. Mais il y a eu, depuis, des rapports d'étape dans vos domaines d'activité. Y avez-vous été associés ?

Vous regrettez le manque de lisibilité de la réforme pour l'usager, mais n'est-il pas lié à la période transitoire et surmontable grâce à une communication adéquate ?

La RGPP vise en premier lieu à améliorer le service public, mais aussi à maîtriser les déficits publics.

Vous estimez les fusions de corps malvenues, mais le fait est que la complexité est telle que la simplification est apparue nécessaire.

Vous soulignez l'impact négatif de la réforme sur les collectivités, mais je relève que certaines avaient déjà leurs propres services instructeurs, pour les permis de construire, par exemple, où les démarches ne sont pas pour autant plus longues ou plus complexes. Dans mon département, on ne s'en tire pas mal.

Mme Marie-France Beaufils . - Vous avez évoqué une dégradation du service, en citant l'exemple de l'ingénierie ou des permis de construire, où l'on sent, dans les petites collectivités, que les capacités ne sont plus les mêmes que lorsqu'elles pouvaient compter sur les DDE. Y a-t-il des services, au-delà, qui ne sont plus vraiment rendus ?

On entend beaucoup parler, ces temps-ci, de territorialisation des politiques culturelles. Le sujet est-il pour vous lié à la RGPP ? Pour être responsable de la culture dans ma communauté d'agglomération, je sens venir le moment où l'écrémage sera tel dans les Drac qu'elles ne seront plus en mesure d'accompagner les projets.

Les services de l'Etat, enfin, sont-ils encore en mesure de mener les politiques d'ensemble définies par la loi -je pense aux plans de prévention des risques d'inondation ou des risques technologiques ? Quels outils reste-t-il pour que la loi soit mise en oeuvre dans les temps et que la population ne subisse pas les effets du manque de moyens ?

M. Dominique de Legge , rapporteur. - Vous avez évoqué les permis de construire, mais quid de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ? J'ai toujours été assisté, dans mon département, par les services de l'Etat, et je vois mal comment je pourrais m'en passer.

M. Gérard Bailly . - Dispose-t-on déjà de chiffres qui prennent en compte les transferts de compétences ? Quel impact a eu la dématérialisation, dont je suppose que les effets commencent à se faire sentir ?

J'ai le sentiment que les compétences du préfet de département sont peu à peu absorbées, dans de nombreux domaines, par le préfet de région. Voilà qui n'est pas pour rassurer les départements éloignés des grandes métropoles...

M. Jean-Luc Fichet . - Si j'en crois vos interventions, vous estimez tous légitime de réinterroger les politiques publiques, mais considérez que l'Etat met en place un dispositif davantage subi que dynamique. Ce qui lui a permis de transférer ses charges vers les collectivités locales, qui ont dû faire preuve d'imagination pour réinventer des services d'accompagnement ou d'ingénierie disparus. Et quand elles n'ont pu faire autrement, elles ont dû faire appel au privé.

Je me demande où la dépense a diminué car ce sont toujours les contribuables qui payent. Sans compter qu'il est paradoxal de transférer des charges nouvelles à des collectivités que l'on vilipende, dans le même temps, pour leur dissipation.

Quels sont, pour vous, les points positifs de la RGPP ?

M. Patrick Hallinger. - Alors que la crise nous fragilise un peu plus encore, se pose en effet la question vitale de la sécurité des biens et des personnes. On l'a vu lors des tempêtes en Vendée : le plan de prévention des risques n'a pas été respecté. Et je ne parle pas des alertes de la sécurité maritime... Cet hiver, on a vraiment eu le sentiment d'une carence publique, comme si l'Etat n'était plus capable d'assurer le minimum. Il n'y a pas eu mort d'homme, mais cela ne tenait qu'à un fil. Il faut revoir toute la gestion du risque, y compris avec les services de la Météo. Lorsque la neige est tombée sur l'Île-de-France, le préfet a réuni les services départementaux pour faire le point heure par heure. Mais à partir de 2012, il ne pourra plus compter sur la station de l'Eure-et-Loir, qui doit fermer à cette date. Même chose pour celle du Loiret, en 2015. Ce sont ainsi les capacités d'observation fine, sur le terrain, qui sont peu à peu mises en cause.

Il faut bien avoir conscience que nous sommes au bout du bout d'une démarche qui vise à réduire les moyens. Le dernier rapport d'étape, du 30 juin 2010, n'est qu'une compilation de rapports sectoriels. Il met en avant un grand succès : l'intégration de la direction générale de la fonction publique à Bercy. Mais en oubliant de rappeler que cette direction a d'abord été rattachée au ministère du travail, pour suivre M.Woerth, avant de revenir finalement à Bercy. Preuve que la rationalité de la démarche a ses limites... Autre grande réussite que l'on vante : Pôle emploi. En oubliant de dire qu'avec quatre millions et demi de dossiers à traiter, il lui a fallu recourir à du personnel précaire, et y compris même au privé, ce que dénonce la Cour des comptes. Il y a tout de même de quoi se poser des questions...

Nous n'avons pas été associés à l`élaboration de ce rapport. Nous sommes prêts à débattre. Il est temps de changer de méthode. Puisse cet appel être placé en exergue de votre rapport. Un an après le lancement de la RGPP ont été signés les accords de Bercy. Preuve qu'elle conduit à s'interroger sur le besoin de liant. La rénovation du dialogue social dans la fonction publique devra donner lieu à des échanges pour améliorer les décisions.

Les « usagers » ? Lancer des enquêtes de satisfaction ne mène pas à grand chose. Dans les années 1990, existaient des commissions de modernisation. Celle de la fonction publique ne se réunit plus depuis plusieurs années... Nous manquons véritablement de lieu d'expression. Nous voulons une administration de l'Etat en phase avec les réalités du pays. A cet égard, et même si la région reste le lieu de la synthèse pour l'aménagement du territoire, les services départementaux jouent un rôle essentiel de proximité. Je regrette que l'on puisse envisager de se passer d'eux. Les préfets de département, qui en sont le relais, ont un rôle central à jouer pour améliorer l'articulation entre services territoriaux et services de l'Etat, qui ne doivent pas se sentir en concurrence.

Les directions départementales interministérielles sont désormais les outils dont nous disposons pour mettre en oeuvre les politiques publiques. Mais pas moins de 10 % de leurs effectifs ont été supprimés en 2011, pour la plupart dans les services de proximité. Restent quelques moyens d'action, fragilisés, qu'il faut redynamiser. La relation entre services régionaux et départementaux gagnerait à plus de réciprocité. Il ne s'agit pas que l'un décide, tandis que l'autre applique : les services locaux ont une connaissance fine des besoins. Il faut mieux les écouter.

L'objectif premier de la RGPP était de réduire la dépense publique. Nous avions fort bien compris qu'après l'Etat viendraient les collectivités, la santé. Nous en sommes arrivés à un stade où l'on doit s'interroger sur les services publics que l'on veut dans notre pays. Sur les moyens de construire des solidarités nouvelles, intersectorielles. Les collectivités ont su réussir de grandes choses : les lycées, le ferroviaire. Il faut s'interroger sur leur complémentarité avec l'Etat. Mais il y faut aussi un peu de moyens. Ne pas remplacer un emploi sur deux rapporte 500 millions d'économie par an. Chacun est en mesure d'observer que l'outil fiscal est d'un bien meilleur rendement...

M. Jacques Nicolas (CGT). - Le baromètre BVA sur les services publics locaux témoigne depuis quatre ans d'une insatisfaction quant à l'action de l'Etat en matière de services publics. Près d'un Français sur deux est prêt à payer plus d'impôts pour améliorer le service public : autant dire que la doctrine de la RGPP est mise en cause par les usagers eux-mêmes. Quant aux fonctionnaires, de la fonction publique comme de l'Etat, ils jugent la réforme inefficace et s'estiment pénalisés par une réorganisation qui n'améliore pas le service public. Les petites collectivités, les plus nombreuses, souffrent d'être privées de toute une série de relais : comptable public, DDE... Nous avons transmis le questionnaire que vous nous avez fait tenir à nos antennes de base, les mieux à même de retracer fidèlement les effets de la RGPP, sachant qu'ils diffèrent selon la taille des collectivités. Certaines ont pu mettre en place des services relais, mais la majorité ne le peut pas.

M. Didier Bourgoin. - Avec la recentralisation le préfet de région s'érige en proconsul pour appliquer la politique du gouvernement, qui se désengage : nous nous inquiétons de l'émergence du secteur de la concurrence, le plus souvent sous la forme du partenariat public-privé. La réforme fiscale, avec la clause de compétence générale, place les collectivités face à une seule alternative : trouver d'autres moyens de financement ou réduire leur action. C'est ainsi qu'un département de la région parisienne vient de lancer un énorme projet de partenariat public-privé pour la construction et la gestion de collèges. C'est ainsi que l'on modifie insidieusement la notion même de service public local : l'usager devient peu à peu un client. Quelques exemples désastreux, en matière de gestion de l'eau ou du logement social, devraient pourtant avoir fait comprendre que la voie n'est pas la bonne. Voilà un exemple des dégâts collatéraux qui pèsent lourd sur les services publics locaux.

M. Yves Letourneux. - Je confirme que nous n'avons pas été associés aux rapports d'étape. Une bonne communication rendra les choses plus lisibles pour les usagers ? J'en doute. Les spots que l'on voit actuellement à la télé aideront peut-être un peu, mais ne suffiront pas. Au reste, ce terme d'usagers me gêne. Je préfèrerais que l'on parle de citoyens, car c'est à eux qu'appartiennent des services publics dont l'usager n'est que l'utilisateur. Ce sont eux qui financent ce bien commun, même s'ils n'en utilisent pas toujours tous les services. L'année 2011 sera l'année européenne de l'engagement citoyen : bonne occasion de lui rendre sa place dans la définition des services publics.

Nous ne sommes pas contre la maîtrise de la dépense, mais lorsque l'on parle de déficit public, il faut considérer et les dépenses et les recettes. Le bouclier fiscal coûte plus cher en moins-values de recettes que ce que la RGPP conduit à économiser en dépenses -surtout si l'on prend en compte le coût de l'ensemble des cabinets de conseil qui ont accompagné le processus...

Les missions publiques, comme l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, sont abandonnées aux collectivités, qui ne peuvent plus se faire accompagner par les services de l'équipement. La RGPP, par la façon dont elle a été menée, nous a fait passer à côté de la question, essentielle depuis la décentralisation de 1983, de la complémentarité entre les collectivités locales et l'Etat. C'est ainsi que l'on se retrouve, pour la prévention des risques naturels et technologiques, dans la situation suivante : un seul fonctionnaire de l'Etat, le préfet, qui utilise les services des collectivités locales. C'est le monde à l'envers. Il faut remettre les choses à l'endroit, et se demander quel service de sécurité civile revient à l'Etat pour prendre en charge, à l'échelon national, les risques.

La territorialisation des politiques ? Nous y sommes favorables, s'il l'on entend par là une vraie décentralisation : entendre la réalité des territoires. Les enjeux de santé publique, par exemple, ne sont évidemment pas les mêmes dans le Nord et en région PACA. Mais s'il ne s'agit que de passer la patate chaude aux collectivités, sans même qu'aie lieu un vrai débat législatif, nous ne sommes pas d'accord.

Les Drac sont encore le seul service de l'Etat qui semble n'être pas touché par la réforme de l'administration territoriale. Elles ont encore un directeur, un bâtiment. Mais il n'est pas sûr, en effet, qu'il reste grand chose dedans...

La compétence régionale sur les chemins de fer a permis de désenclaver bien des régions, mais il est du rôle de l'Etat de veiller à la cohésion sociale et à l'égalité.

Le préfet de département a clairement perdu son pouvoir : il est désormais sous l'autorité directe du préfet de région. Ne lui reste plus en propre que sa compétence de sécurité publique, comme représentant du ministère de l'Intérieur. Mais on ne peut rester ainsi au milieu du gué. Même placé sous l'autorité du préfet de région -dont on aimerait bien parfois qu'il ne se comporte pas comme s'il n'était préfet que du seul chef lieu de région- il doit pouvoir répondre. Quand au préfet de région, c'est sous l'autorité de Matignon, dont la compétence est interministérielle, qu'il devrait être placé, et non sous celle du ministre de l'Intérieur.

Peut-on trouver quelque chose de positif à la RGPP ? Il n'est pas mauvais que l'Etat se pose la question du territoire pertinent pour la définition des politiques publiques. La région est sans doute le bon échelon.

M. François Patriat , président . - L'échelon, pas le territoire.

M. Yves Letourneux. - Il faut bien que quelqu'un pilote : le préfet. Il existe un comité de l'administration régionale, mais qui ne suffit pas à assurer une vraie politique interministérielle. Et les changements de périmètre ne sont guère lisibles : alors que l'on lance la RGPP et que l'on crée des directions départementales interministérielles, comment expliquer que la direction générale de la fonction publique passe au Travail puis revienne à Bercy ?

Je me suis investi dans la branche santé-solidarité pour avoir une vision unifiée de la fonction publique. Or, je me suis vite aperçu qu'il existe autant de politiques que de ministères, voire que de directions au sein des ministères.

M. François Patriat , président. - Alors qu'il faudrait connaître les incidences de l'action ministérielle sur l'ensemble de l'action publique.

M. Yves Letourneux . - Nous sommes associés à la réflexion sur la dépendance : on s'aperçoit que les élus locaux ne sont pas conviés ! C'est une aberration : à ne pas s'asseoir tous ensemble autour de la table, on perdra de l'argent public.

M. Patrice Rio. - Le volet immobilier de la réforme est confié au préfet, dans chaque département. Pour regrouper tous les agents dans un même immeuble, il a fallu dépenser beaucoup d'argent. La direction interministérielle est implantée, depuis quelques jours, à Cesson-Sévigné, pour un coût de location de 800 000 euros par an, alors qu'auparavant, les services étaient logés gratuitement dans une cité administrative de l'Etat. Il me semble tout de même que vendre un immeuble pour avoir ensuite à payer un loyer ne relève pas d'une gestion « de bon père de famille »... Il a fallu créer de nouveaux systèmes informatiques : on a mis les anciens à la poubelle, tiré des câbles, installé des serveurs, et cela ne fonctionne pas, parce que le système est sous-dimensionné. Quand un agent de la DCCRF veut envoyer la photo d'un tapis de jeu pour enfant à ses collègues enquêteurs, il ne peut pas le faire, parce que la messagerie n'est pas assez puissante...

L'harmonisation des rémunérations ne fera pas faire d'économies : avant d'aller plus loin dans l'interministériel, il faut harmoniser régimes et statuts, par le haut.

Mme Beaufils demandait quels services ne sont plus rendus. A la DCCRF, les réductions d'effectifs ont isolé les enquêteurs, forcés à la polyvalence : il est bien évident que la protection du consommateur n'est plus assurée comme avant. Or, on a d'autant plus besoin, en période de crise, de faire des achats éclairés. Quant aux entreprises qui subissent la concurrence, elles non plus ne sont plus protégées comme avant.

M. Patrice Beunard (FNACT-CFTC). - Sur le terrain, les sapeurs-pompiers doivent être de plus en plus accompagnés par les forces de l'ordre, dont le nombre diminue. Nous sortons donc plus nombreux à chaque fois.

En montagne, la concurrence entre sapeurs-pompiers et CRS persiste. Certes, des commissions quadripartites ont été mises en place, réunissant services de l'Etat, sécurité civile, fédérations nationales de sapeurs pompiers et associations d'urgentistes, mais cela n'empêche pas que persiste, par exemple, la dualité entre urgentistes et Samu.

Dès que l'on s'éloigne de vingt kilomètres d'une grande agglomération, les difficultés commencent. Et cela alors que les secours à personnes représentent 80 % des interventions.

La direction de la prospective, de la programmation et de la sécurité ne compte pas un seul sapeur-pompier. C'est ainsi que lors des chutes de neige à Paris, le réseau de la sécurité civile a été laissé à l'écart : c'est bien regrettable, car cela aurait aidé à résoudre un problème qui était avant tout de circulation...

Les pompiers professionnels ne sont pas plus de 35 000, les pompiers volontaires 300 000. Entendre dire qu'un tel service coûte trop cher me fait vraiment mal au coeur.

M. Denis Lefèbvre. - M. Baroin a annoncé, avec l'enthousiasme qui est le sien, une nouvelle vague de la RGPP. Verra-t-on enfin s'ouvrir le dialogue social ? On parle d'inscrire dans la Constitution, à l'allemande, un principe d'équilibre des comptes. Mais tout cela pose la question des recrutements, des salaires... A quand le dialogue ? Il ne serait pas inutile...

La RGPP, d'accord, si elle ne se traduit pas par un transfert de charges massif vers les collectivités. Et je ne parle pas des effectifs civils de la Défense, qui ont été divisés par deux en vingt ans ! Avec les effets pervers que tout cela comporte, au premier rang desquels l'externalisation, dont on s'aperçoit in fine qu'elle coûte plus cher que l'administration. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes. Enfin, il faudrait peut-être réfléchir à la dimension européenne du problème, sachant que nous n'avons pas les moyens de nous payer un deuxième porte-avions !

M. Hans Helmrich. - Oui, des services ont disparu. Les études nécessaires aux PLU, aux Scot, coûtent aujourd'hui plus cher que lorsqu'on pouvait se tourner vers les services de l'Etat. Je doute donc que l'on ait fait des économies.

Quels services publics veut-on ? On regroupe les brigades de gendarmerie sous prétexte de rationalisation, résultat, les délais d'intervention passent d'une demi heure à une heure. Et dans les cas extrêmes, intervenir sous quinze secondes plutôt qu'après trois minutes n'est pas indifférent...

Le bilan ? Des services publics de moindre qualité, sans économies à la clé. Et tout cela faute d'analyses d'impact et de concertation avec les partenaires sociaux.

M. Jean-Pascal Lanuit. - L'Etat a mieux conscience de la misère dans laquelle il fonctionne : il faudra bien faire des choix. La réforme porte beaucoup d'effets invisibles, jusqu'au moment où l'on arrive au seuil critique, celui où le service public ne peut plus être rendu. C'est bien la seule vertu que l'on peut trouver à la RGPP...

Si le problème de lisibilité est sans doute en partie temporaire, des difficultés demeureront. Une grande partie de la population croit encore que le préfet est un élu, ou que l'architecte des bâtiments de France est un personnage tout puissant, alors qu'il n'est appelé à intervenir que sur très peu de bâtiments.

Les fusions de corps peuvent être positives, à condition que l'on n'y voie pas une solution. Les difficultés étaient jusqu'à présent en grande partie résolues grâce aux détachements. Le vrai problème tient plutôt au fait qu'à l'intérieur d'un même corps, les traitements varient beaucoup, à compétences égales selon le ministère. A quand une Inspection générale des ressources humaines ? La crainte que l'on peut avoir, c'est bien que cette réforme des corps ne soit mise au seul service de l'objectif de réduction des emplois. On ne lui affecte pas même, d'ailleurs, de moyens financiers temporaires, comme cela s'est fait dans d'autres pays. Est-ce un signe ?

Nous ne sommes pas plus consultés sur les rapports d'étape que nous ne l'avons été sur le rapport de départ.

La régionalisation met en symbiose Etat et collectivités. Avec cet effet que tout changement dans l'Etat se répercute sur tous les acteurs. Les zones fragiles le deviendront plus encore : les petites communes sont plus exposées que les grandes métropoles. Même chose pour leurs agents.

Pour les Drac, on peut espérer que la fusion avec les services de la direction des archives et du patrimoine, qui ont les pieds dans la glaise et sont en contact régulier avec les élus, leur donnera une vision plus proche du territoire. Restent cependant des difficultés d'intendance. Les bâtiments historiques dans lesquels étaient souvent installés les services sont coûteux à adapter à d'autres emplois que l'administration : ils ne seront pas faciles à vendre.

L'émergence du préfet de région peut être positive, mais il ne fait qu'affirmer son ascendant sur les services déconcentrés sauf sur la Défense, les Finances ou l'Enseignement supérieur, qui gardent leur autonomie.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie de ces interventions, qu'il serait utile que vous complétiez en nous fournissant des exemples concrets.

M. Yves Letourneux. - Nous vous transmettrons cette contribution. Car le plus grave dans la RGPP, c'est bien l'absence de débat démocratique sur les services publics. Le mouvement a été lancé sans débat au Parlement. On parle beaucoup de la réforme fiscale : ce doit être l'occasion de se demander au service de quoi on la met. Et comment corriger les effets pervers de la RGPP.

M. Patrick Hallinger - Nous partageons cette analyse.

M. François Patriat , président . - Ce qui est vrai en milieu rural peut l'être aussi dans les villes. Lorsque l'on s'étonne de la faible amplitude des horaires d'ouverture des préfectures, on s'entend répondre qu'il n'est plus nécessaire de s'y rendre...

M. François Baroin,
ministre du budget, des comptes publics,
de la fonction publique et de la réforme de l'Etat,
rapporteur général du conseil de modernisation
des politiques publiques

____

M. François Patriat , président . - Monsieur le ministre, nous souhaitons entendre votre analyse sur la mise en place de la RGPP, notamment sur la concertation, ainsi que sur ses effets après trois ans d'exercice. Les syndicats de la fonction publique, que nous venons d'auditionner, nous ont signalé que vous annonciez une deuxième vague de la RGPP : qu'en est-il ?

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, rapporteur général du conseil de modernisation des politiques publiques. - Je résumerai pour commencer le constat initial qui a conduit à la mise en oeuvre de la RGPP. L'intervention de l'Etat, d'abord, était devenue multiforme et parfois peu lisible. Ses missions s'étaient multipliées et superposées sans que la cohérence d'ensemble ne soit toujours garantie. Des politiques qui ne devaient être que temporaires avaient été pérennisées. Des missions, qui ne relevaient pas du coeur de métier de l'Etat, s'étaient développées. Il convenait donc d'engager une réflexion sur les priorités de l'Etat et sur la pertinence de certaines de ses missions.

L'organisation de l'Etat, ensuite, s'était progressivement complexifiée pour les usagers, contraints de s'adresser à différentes administrations pour trouver une réponse à une même demande et pour les fonctionnaires eux-mêmes.

Enfin, les effectifs de l'Etat s'était considérablement accrus depuis 30 ans avec le recrutement de plus de 300 000 agents, en dépit des transferts de compétences vers les collectivités territoriales et les opérateurs de l'Etat.

La RGPP est d'abord une démarche globale et équitable qui concerne toutes les structures de l'Etat: les administrations centrales et déconcentrées, les opérateurs et, dans le respect de la spécificité de leur gouvernance, les organismes de sécurité sociale.

Elle bénéficie d'un soutien politique très fort qui en assure sa continuité : elle est pilotée par le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) présidé par le Président de la République et fait l'objet d'un suivi régulier par le Comité de suivi co-présidé par le Secrétaire général de la Présidence de la République et par le Directeur de cabinet du Premier Ministre.

La RGPP repose sur une analyse des spécificités de chaque ministère. On procède à un échenillage, dans une logique de dialogue social et de redistribution. Le principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, par exemple, se décline de manière différente dans chacun des ministères. Ainsi, le ministère de la justice a bénéficié d'emplois supplémentaires quand le ministère du budget est allé au-delà du « 1 sur 2 ».

La RGPP fait l'objet d'un suivi très rigoureux : l'état d'avancement de chaque mesure est évalué sur la base d'objectifs et d'indicateurs précis. Chaque rapport d'étape, présenté en Conseil des ministres, assure la transparence des résultats, avec un système simple de feux tricolores.

La RGPP vise à réduire les dépenses, à améliorer la qualité du service rendu aux usagers et les conditions de travail des fonctionnaires. Contribuables, usagers, fonctionnaires, tous doivent y trouver leur compte.

Enfin, la RGPP est une démarche partenariale car il faut convaincre pour réussir.

Equité, continuité, rigueur, équilibre, voilà les principes au service de cette réforme d'ampleur.

Trois ans après, où en sommes-nous?

Des réformes structurelles majeures ont été menées à bien dans tous les ministères, avec une ampleur jamais connue. J'en citerai quelques-unes : la création de la DGFiP, à laquelle tous les gouvernements avaient renoncé ; la création de Pôle Emploi : les usagers selon une étude BVA trouvent que la complexité des démarches a baissé de 11 points, passant de 42 à 31 entre 2008 et 2010 ; la restructuration de l'appareil de défense ; la reconfiguration de la carte judiciaire ; la fusion des directions régionales, qui sont passées de vingt à huit et départementales, qui sont passées de dix à deux ou trois selon les départements. L'effort de restructuration a aussi porté sur les administrations centrales où le nombre de directions diminuera de 10 % sur le quinquennat.

Nous avons engagé des chantiers interministériels structurants pour améliorer la performance et la qualité des fonctions supports de l'Etat : l'opérateur national de paie gérera la paie de tous les fonctionnaires, Chorus - dont je vous signale qu'il gère l'ensemble de la dépense de l'Etat depuis le 1 er janvier -, le service des achats de l'Etat, France Domaine pour l'immobilier et bientôt, une direction des systèmes d'information de l'Etat.

La RGPP réalise un effort très important pour améliorer la qualité du service public. De nombreuses mesures visent à simplifier les démarches des usagers. J'ai présenté en début de semaine les nouvelles étapes de mise en place de l'administration numérique qui simplifiera la vie tant des particuliers que des entreprises et des collectivités. La procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sera plus simple et donc plus rapide. Nous publions aussi un baromètre semestriel comportant une quinzaine d'indicateurs de qualité.

Enfin, la RGPP a permis d'améliorer les conditions de travail des fonctionnaires. La mobilité entre administrations a été facilitée, les concours ont été révisés pour élargir l'accès à la fonction publique, le nombre de corps est passé de 685 en 2005 à 380 en 2010 et il va continuer de diminuer. Enfin, 1,8 milliard d'euros ont été redistribués aux fonctionnaires grâce aux économies résultant du « 1 sur 2 », ce qui correspond à environ 800 euros par agent par an en moyenne.

Entre 2011 et 2013, 100 000 emplois ne seront pas remplacés. Sur l'ensemble du quinquennat, ce chiffre le non-remplacement atteindra 150 000 emplois. Au total, dès 2012, nous aurons retrouvé le nombre de fonctionnaires de l'État dont la France disposait au début des années 1990.

La RGPP et la réforme des collectivités territoriales participent du même mouvement, pour améliorer la qualité du service public tout en rendant l'administration plus efficace et moins dépensière.

L'ambition renouvelée de la RGPP, pour être complète, doit trouver un écho favorable auprès des collectivités. Je souhaite donc que notre collaboration soit fructueuse et qu'elle permette à l'État de poursuivre sa démarche vertueuse de maîtrise des dépenses publiques.

M. François Patriat , président . - Les responsables syndicaux que nous avons auditionnés, nous ont dit que la RGPP s'était faite sans concertation, de haut en bas, et que l'Etat avait appliqué sa réforme sans étude d'impact et sans autre vue que comptable, ou notariale.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Effectivement, c'est une constante des auditions. Monsieur le ministre, la règle du « 1 sur 2 » fait craindre aux collectivités des transferts de facto, dès lors qu'elles devront offrir des services que l'Etat n'assurera plus, en particulier pour l'assistance à la maîtrise d'ouvrage : qu'en pensez-vous ? Il semble, ensuite, que les ministères ne se concertent pas et qu'ils prennent leurs décisions sans considérer les effets sur l'aménagement du territoire : certaines villes ont vu ainsi fermer leur hôpital, leur caserne et leur tribunal. Il semble, encore, que l'Etat réorganise ses services à partir de l'échelon régional, ce qui est cohérent avec les recommandations de la commission Balladur mais pas avec la réforme des collectivités territoriales: que pensez-vous de ce décalage ? Enfin, vous évoquez des indicateurs de performance : quels sont-ils ?

M. François Baroin. - L'idée générale de la RGPP était d'insuffler une dynamique à l'administration et il va de soi que ce mouvement nécessite d'y associer le plus grand nombre d'intervenants. La concertation a précédé le lancement de la RGPP, à travers le groupe de travail présidé par M. Lambert, consacré aux relations entre l'Etat et les collectivités territoriales : le rapport, remis en novembre 2007, proposait des pistes pour clarifier les compétences, les relations financières, et pour alléger les contraintes normatives pesant sur les collectivités. Les services de l'Etat ont été largement consultés, par des réunions autour des préfets. Les circulaires du 19 mars et du 7 juillet 2008, ensuite, ont rappelé la nécessité d'expliquer la réforme, pour que toutes les parties prenantes disposent d'un même niveau d'information. Les unions syndicales départementales ont été informées ainsi que le Conseil économique et social régional. La bonification indiciaire liée à la règle du « 1 sur 2 » fait l'objet de discussions avec les organisations syndicales de fonctionnaires.

La règle du « 1 sur 2 » ne donne lieu à aucun transfert de missions vers les collectivités locales. Voyez l'exemple des forces de sécurité : la RGPP se traduit par la mise en place de 60 brigades spécialisées de terrain, pour lutter contre la délinquance particulièrement dans les zones sensibles.

Il n'y a pas lieu de redouter une politique de silos dans l'application de la RGPP, chaque ministère décidant pour son compte : sa mise en oeuvre est unifiée par le Comité de suivi où siègent le Secrétaire général de la Présidence de la République, le Directeur de cabinet du Premier Ministre, le ministre du budget, les deux rapporteurs généraux des finances de l'Assemblée et du Sénat, ainsi que M. Pébereau comme personne qualifiée ; le comité se réunit tous les quinze jours. J'ajoute que le Premier ministre, pour mieux articuler la RGPP et l'aménagement du territoire, a demandé à tous les ministères de l'informer de leurs projets dans un souci de cohérence.

Je vous communiquerai tous nos indicateurs et leurs résultats. Il faut également prendre en compte des éléments qualitatifs. Nous sommes parvenus à fusionner les directions de l'impôt et de la comptabilité publique, c'était une réforme courageuse qui n'avait rien d'évident puisqu'on a réuni en une même direction deux cultures administratives. L'impact sur l'administration des douanes est tout à fait positif : les effectifs ont diminué mais les résultats n'ont jamais été aussi bons dans la lutte contre les stupéfiants, la contrefaçon, ou l'économie parallèle, et le temps de latence des marchandises dû aux opérations de dédouanement, a diminué de moitié.

Cela dit, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il y a un seuil en-deçà de quoi l'administration serait nécessairement moins efficace, mais nous n'y sommes pas.

Grâce aux indicateurs, l'évaluation est quantitative et qualitative : pour le 3939, par exemple, on examine le nombre d'appels restés sans réponse. Le système de « feu vert », « feu orange » et « feu rouge » permet d'agir en fonction d'une analyse fine, qui prend en compte en particulier l'acceptation de la réforme, aussi bien que la préparation du projet, la désignation d'interlocuteurs prêts à l'action.

Le conseil de modernisation des politiques publiques a décidé, en décembre 2007, de regrouper le contrôle de légalité en préfecture pour les actes les plus importants. Cela ne représente pas un retrait, mais une amélioration de la qualité du contrôle, ce qui donne aux préfectures une vision d'ensemble et une meilleure expertise sur ces matières.

L'ingénierie publique est maintenue, en appui aux collectivités locales. Le conseil de modernisation des politiques publiques a décidé, en 2008, que l'Etat devrait cesser d'offrir les services que des prestataires privés assument, comme certaines prestations de géomètres ou d'architectes, pour éviter une concurrence déloyale vis-à-vis de ces professions. Cette redistribution a libéré des ressources pour l'expertise mise à disposition par l'Etat au titre de l'ingénierie publique. Les collectivités locales ne sont donc pas abandonnées, puisque l'offre d'ingénierie privée est suffisante et soumise à concurrence. Ces changements ne sont pas incompatibles avec le maintien d'une ingénierie publique de qualité, en particulier pour les plus petites collectivités territoriales.

M. François Patriat , président . - Certains syndicalistes nous ont dit que des prestations avaient été supprimées. Et dans mes nombreux contacts, j'entends dire aussi que la fusion de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) est souvent très mal vécue par les agents.

M. François Baroin. - La RGPP est entrée dans les faits, et dans un pays qui compte cinq millions de fonctionnaires, on a accepté l'idée qu'il était légitime d'en diminuer le nombre tout en améliorant le pouvoir d'achat des fonctionnaires : deux milliards ont été redistribués, le pouvoir d'achat global des fonctionnaires a augmenté de 3,5 %.

M. Jean-Luc Fichet . - Nous avons auditionné le président de l'Association des départements de France, celui de la Fédération des villes moyennes, les syndicats de la fonction publique, tous nous ont dit que la RGPP se fait sans concertation aucune ! Elle peut être regardée comme un mal nécessaire, mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle est mal vécue par les agents, qui déclarent d'abord la subir, contrairement à la présentation que vous en faites. L'OCDE vient de souligner que notre taux d'encadrement à l'école se dégradait, dans les hôpitaux les infirmières sont débordées, et pour la justice, dans les services d'insertion et de probation, chaque agent devrait suivre 190 personnes, ce qui est impossible! Monsieur le ministre, vous nous dites que votre politique est acceptée, évaluée, qu'elle donne lieu à des rapports d'étape ; ce qu'on nous dit, ce que nous constatons, c'est plutôt que la RGPP est subie et qu'elle est une source de difficultés, de souffrance pour les agents, avec des effets dévastateurs pour les petites communes, notamment en matière d'ingénierie publique. La RGPP, pour les petites communes, est une source de dépenses plutôt que d'économies.

Comment comptez-vous aborder la deuxième vague de la RGPP ? Allez-vous vous prêter à davantage de concertation? Nous avons constaté combien les syndicats de fonctionnaires sont responsables, soucieux de l'offre de service public aux citoyens, et non pas seulement aux usagers puisque le service public est le bien commun de la Nation : Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que la RGPP poursuive ses véritables objectifs ?

M. Adrien Gouteyron . - Pouvez-vous nous dire comment la RGPP est appliquée et vécue dans les administrations centrales ? Vous nous avez dit que le nombre des directions diminuait, quid du nombre de fonctionnaires ?

Où en est-on, ensuite, sur les aspects immobiliers, en particulier sur la définition d'une surface maximale par agent ?

Enfin, comme maire d'une commune de 1 500 habitants, je sais combien l'ingénierie publique est indispensable à l'instruction des permis de construire, car les petites communes n'ont tout simplement pas les moyens de s'offrir les compétences techniques nécessaires, ni, souvent, leur communauté de communes. Monsieur le ministre, allez-vous maintenir l'assistance technique de l'Etat ?

Mme Michèle André . - Comme rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » de la loi de finances, j'ai constaté que le ministère de l'intérieur avait anticipé les gains de productivité attendus de la dématérialisation de certaines procédures, pour supprimer des postes, et que ces suppressions prématurées se traduisaient par un allongement des délais pour l'obtention de titres, comme la carte d'identité, et surtout par un accroissement considérable de la charge de travail des agents de préfecture. Les avantages de la dématérialisation des documents ont été également anticipés dans le contrôle de légalité, alors qu'elle ne concerne guère plus de 10 à 12 % des documents. Monsieur le ministre, avez-vous une étude d'impact de ces phénomènes ?

Lors de mes déplacements, j'ai constaté le dévouement des agents de préfecture et je sais que la suppression de 2 000 postes supplémentaires sera insupportable, surtout pour les agents d'accueil, de catégorie C, qui ont déjà vécu plusieurs réorganisations de leur service : je me fais leur porte-parole. Monsieur le ministre, à quoi servent les rapporteurs spéciaux, si le Gouvernement reste sourd à ce qu'ils écrivent !

Mme Jacqueline Gourault . - Le slogan du « 1 sur 2 » a le mérite d'être simple, mais je crains qu'il ne soit devenu simpliste. On en vient à penser que la règle s'applique uniformément à tous les services, alors que ce n'est pas le cas.

Dans mon département, la fusion des services financiers de l'Etat s'est bien passée, de même que celle de la DDA et de la DDE, laquelle a mis fin à la concurrence parfois stérile qui pouvait exister entre certains services.

Le problème, c'est que, comme la réforme territoriale a sanctuarisé la commune, la suppression de postes place les petites communes en grande difficulté. Les géomètres relèvent déjà depuis quelques années du privé, le problème se pose plutôt pour l'expertise administrative et juridique. Les communes ont besoin d'aide pour la création d'une ZAC, pour la rédaction de certains actes : le service était assuré par les préfectures, il a disparu, les intercommunalités doivent donc s'en occuper, ce qui constitue un véritable transfert.

Cependant, on constate qu'il y a toujours des doublons entre certains services de l'Etat et du département, en matière sociale notamment : il y a donc encore des marges de suppression de postes dans certains secteurs, alors qu'on supprime des postes dans d'autres secteurs très tendus. Ne faudrait-il pas mieux coordonner ?

Enfin, l'intéressement des fonctionnaires trouble les esprits et inquiète, parce qu'il n'est pas dans notre tradition, notre culture du service public : qu'en pensez-vous ?

M. Raymond Couderc . - Monsieur le ministre, je pense qu'il existe trois raisons de supprimer des postes : la suite, tardive, de la décentralisation et des transferts de compétences aux collectivités locales ; la conséquence des gains de productivité liés aux nouvelles technologies ; la politique volontariste de réduction des dépenses publiques. Que pensez-vous de cette distinction et entre-t-elle dans la définition de vos indicateurs?

M. Georges Patient . - Monsieur le ministre, la RGPP fait-elle l'objet d'une adaptation dans les collectivités d'outre mer ? Comment les spécificités territoriales sont-elles prises en compte ? Je pense bien sûr à la Guyane, où les problèmes d'immigration et d'insécurité, notamment, sont si particuliers.

M. François Baroin. - Monsieur Fichet, le Gouvernement s'emploie à entendre tous les avis, parce que tous comptent dans une réforme qui ne peut se passer de l'adhésion du plus grand nombre pour réussir : nous sommes donc très attachés au dialogue, que nous voulons permanent. Cependant, nous assumons les objectifs d'économies budgétaires de la RGPP. La France a traversé une crise économique majeure et notre endettement exige que nous réduisions la voilure de l'Etat : nous allons revenir au nombre de fonctionnaires du début des années 1990, ce qui n'implique pas une baisse de la qualité, car la qualité n'est pas corrélée au nombre de fonctionnaires.

Pour la deuxième vague de la RGPP, nous sommes donc très à l'écoute de toutes les pistes susceptibles d'améliorer la mise en oeuvre de la réforme. Nous serons particulièrement attentifs à tout ce que votre rapport aura identifié pour rendre la réforme plus efficace. Soyez assurés, d'ores et déjà, que le dialogue existe dans tous les ministères, à tous les niveaux, et que c'est par ce dialogue que nous avançons.

Madame Gourault, je vous concède que la reconnaissance du mérite est une petite révolution dans la fonction publique : c'est un élément de motivation. Dans ma propre ville, j'avais proposé qu'une partie des économies de fonctionnement aille à une bonification liée aux résultats obtenus : la chambre régionale des comptes avait tiqué, mais aucun agent n'a été choqué du procédé, les équipes se sont mobilisées, nous avons négocié jusqu'à parvenir à des objectifs, un calendrier et des méthodes partagées. La réforme ne doit pas tomber comme un couperet, si cela se passe ainsi chez vous, faites-le moi savoir.

Monsieur Gouteyron, notre programme immobilier est ambitieux : nous voulons alléger le parc immobilier de l'État de 500 000 mètres carrés d'ici 2013, en cédant environ 1 700 sites. Nos critères sont exigeants, avec un plafond de 400 euros par mètre carré pour la location. Pour le ministère de la justice un amendement d'origine parlementaire a empêché l'opération prévue de se faire : je respecte pleinement la décision de la représentation nationale, qui est par ailleurs pleinement associée à la gestion du patrimoine immobilier de l'État, à travers les lois de finances et la présidence par le député Yves Deniau du Conseil de l'immobilier de l'État.

Les petites communes, effectivement, n'ont pas toujours les compétences pour instruire les permis de construire ou lancer des ZAC : je serai particulièrement attentif à ce que les préfectures continuent de les épauler, avec leur expertise technique.

Madame André, je vous concède que Chorus a connu quelques accrocs dans sa période de mise en place, ce qui lui a valu bien des critiques que je comprends. Cependant, passée cette période d'installation, je suis convaincu que cet outil va produire ses effets budgétaires et de coordination, pour un Etat plus efficace et moins dépensier.

Monsieur Couderc, nous attachons toute notre attention aux indicateurs de performance, qui sont effectivement des outils déterminants pour le pilotage de la réforme. Je vous communiquerai toutes nos données recueillies depuis trois ans, afin que le Parlement dispose de la même information que le Gouvernement.

Monsieur Patient, la RGPP fait l'objet d'une adaptation aux collectivités d'outre mer : le comité interministériel du 6 novembre 2009 en a décidé ainsi, au lendemain du grand mouvement social qu'a connu la Guadeloupe. La nouvelle organisation est entrée en vigueur au 1 er janvier de cette année, elle comprend de nombreuses mesures d'adaptation concernant aussi bien l'alimentation, le fret, que l'action en direction de la jeunesse et l'action sociale. Nous continuerons d'adapter la réforme aux spécificités du territoire, par le dialogue. Les préfets sont vos interlocuteurs et, bien sûr, les ministres, que vous pouvez interroger au moins une fois par semaine.

M. François Patriat , président . - Monsieur le ministre, merci pour toutes ces précisions.

Mercredi 2 mars 2011

M. Eric Jalon,
directeur général des collectivités locales,
ministère de l'intérieur, de l'outre-mer,
des collectivités territoriales et de l'immigration

____

M. François Patriat , président . - L'objectif de cette mission est de mesurer l'impact de la RGPP sur les collectivités locales. Son périmètre est assez large : il va de la réorganisation des services de l'Éducation nationale et de la gendarmerie aux réformes de la carte sanitaire et de la carte judiciaire parce que toutes ont une incidence sur les collectivités. En tant que directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, pouvez-vous dresser un bilan de la première vague de la RGPP ? De fait, le ministre Baroin nous en a fait un tableau idyllique il y a peu en nous expliquant que le Gouvernement s'apprêtait à lancer la deuxième vague de la RGPP. Quelles sont les futures évolutions ? Quelle place pour les sous-préfectures demain ? Comment le nouveau train de suppression de postes affectera-il les préfectures ? Bref, pouvez-vous nous faire partager vos réflexions, vos espoirs et vos déceptions, en évitant un langage convenu qui ne servirait pas les objectifs de cette mission ?

M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales . - A titre préliminaire, rappelons ce que vous pouvez attendre de mon intervention. Seuls les secrétaires généraux des ministères de l'Intérieur et du Développement durable pourront vous renseigner sur la réorganisation du réseau des préfectures et des sous-préfectures et du réseau des services de l'équipement, et ses conséquences sur la présence territoriale de l'État. La direction générale des collectivités locales, elle, sert d'interface entre les administrations et les collectivités territoriales et assure son métier de contrôle de légalité. A ce titre, en bonne intelligence avec le secrétaire général du ministère, nous donnons des orientations aux préfectures en nous assurant qu'elles ont les moyens d'y faire face. Deuxième remarque introductive, l'axe des relations entre l'État et les collectivités territoriales, sans avoir été oublié, n'a pas été labellisé « RGPP ». Le rapport du sénateur Lambert, alors estampillé « RGPP », esquissait trois directions, dont les normes et les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Si vous le souhaitez, nous pourrons y revenir car ces chantiers continuent d'exister.

Je centrerai mon propos sur le contrôle de légalité. Le conseil de modernisation des politiques publiques est l'instance de décision la plus élevée de la RGPP. Lors de sa réunion du 12 décembre 2007, soit l'une des premières, il a décidé de rénover le contrôle de légalité. Premier objectif, la réduction du nombre d'actes soumis au contrôle de légalité. Pour ce faire, l'ordonnance du 17 novembre 2009, entrée en vigueur le 1 er janvier dernier, a allégé les obligations de transmission dans deux domaines : la fonction publique territoriale, pour les actes de gestion de portée technique tels que les actes de sortie contrainte du service, et la voirie routière, notamment pour les délimitations des routes communales et départementales et les redevances perçues pour leur occupation. Deuxième objectif, le recentrage du contrôle sur les actes présentant des enjeux majeurs. Dès janvier 2006, soit avant la RGPP, le ministre de l'Intérieur et le ministre des Collectivités territoriales demandaient aux préfets, par une circulaire, de définir des priorités et des plans de contrôle de légalité. Ensuite, des circulaires ont mis l'accent sur des zones à risque devant faire l'objet d'un contrôle plus approfondi. Pour exemple, une circulaire sur l'urbanisme en novembre 2009, longuement évoquée dans le cadre de la mission sénatoriale d'information sur Xynthia, qui soulignait l'impérieuse nécessité de la sécurité des personnes et des biens, et une circulaire interministérielle de septembre 2010 sur la commande publique, après un travail de préparation minutieux avec les services de Bercy. Troisième objectif, la centralisation du contrôle en préfecture qui est en vigueur depuis le 1 er janvier 2010 dans plus de 80 préfectures. L'expertise est désormais concentrée en préfecture, quoique des pôles thématiques aient été parfois conservés en sous-préfecture.

Le dernier rapport triennal sur le bilan du contrôle de légalité remis au Parlement, montre une réduction des actes transmis de plus d'un tiers, soit 37,3 % entre 2004 et 2010, si l'on exclut le pic cyclique lié au renouvellement des conseils municipaux et communautaires en 2008. C'est la conséquence des mesures législatives prises successivement dans la loi Murcef de du 11 décembre 2001, de la loi relative aux libertés et responsabilité locales du 13 août 2004 et de la loi de simplification du droit de 20 décembre 2007. Nous avons, sans doute, atteint un palier car le Parlement a réduit en 2009 la portée de l'habilitation législative que le Gouvernement lui avait demandé pour réduire le champ des actes soumis à transmission. On note également un renforcement des capacités d'expertise avec la centralisation en préfecture et la montée du pôle inter-administratif de contrôle de légalité à Lyon dont la compétence est désormais nationale, hors Île-de-France. Celui-ci a pris l'engagement de répondre aux questions adressées par les préfectures dans les dix jours ; dans les faits, la moyenne était en 2010 de 12 jours, ce qui reste compatible avec les délais relatifs au contrôle de légalité. Renforcement également de la notion d'actes prioritaires avec la préparation d'une circulaire sur la fonction publique territoriale. Nous avons également adressé des circulaires de méthodologie ; en décembre dernier, nous avons rappelé la liste des actes soumis à obligation de transmission afin d'éviter des envois inutiles et un tri fastidieux en préfecture. Nous nous apprêtons également à aider les préfets à mieux définir les actes prioritaires en proposant un socle minimal commun. Dernière tendance qui se dégage du rapport, faire du préfet, conformément à sa mission constitutionnelle, le responsable du contrôle de légalité. A nous de lui donner les moyens et les analyses juridiques nécessaires via les circulaires et le pôle de Lyon. A lui de définir sa stratégie locale avec l'ensemble des services déconcentrés. La directive nationale d'orientation 2010-2015 des préfectures a rappelé les trois niveaux de contrôle et les conditions d'élaboration d'une stratégie locale, dont l'identification des actes prioritaires par le préfet au sein d'un plan de contrôle partagé avec les services de l'État et la définition des méthodes de contrôle par sondage sur la base de critères préalablement définis. Ainsi, la préfecture d'Ille-et-Vilaine, dans son plan, a retenu pour thèmes la fonction publique territoriale et les actes concernant les agents non titulaires ; l'intercommunalité et les actes sur les décisions des organes délibérants ; la commande publique et un regard local porté sur les marchés de maîtrise d'oeuvre, les conventions de mandat et les délégations de service public ; et, enfin, l'urbanisme avec une adaptation du contrôle aux enjeux locaux et aux risques, qu'ils soient naturels ou industriels. Cela dit, aucun type d'actes ne peut être exclu a priori du contrôle, puisque celui-ci relève de la mission constitutionnelle des préfets.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Monsieur Jalon, le contrôle de légalité n'est pas la seule mission de votre direction... Vous avez cité l'exemple de mon département l'Ille-et-Vilaine. Les quelque 350 maires, à qui j'ai adressé un questionnaire sur le contrôle de légalité, se disent plutôt satisfaits ; les difficultés semblent surtout liées à des problèmes de personnalité. A propos du recentrage sur les actes prioritaires, vous avez évoqué de la tempête Xynthia ; je pense, dans mon département, à la sécurité de la côte et de la Baie du Mont-Saint-Michel. Ensuite, peut-être y verrez-vous le tropisme d'un élu d'une commune modeste de 1 500 habitants, nous attendons de l'État non seulement du contrôle, mais aussi de l'accompagnement et du conseil, notamment en matière d'ingénierie. Avez-vous le sentiment que les préfectures auront les moyens d'assurer leur mission de contrôle de légalité et d'accompagnement des collectivités face à de tels enjeux ? Ensuite, le point d'entrée de la RGPP, dans la ligne du rapport Balladur, est la région. Pour autant, la loi privilégie communes, intercommunalités et départements, pour les transferts de compétences. Comment concilier ces deux réalités ? Enfin, on s'inquiète beaucoup de ce que l'État occupe de plus en plus une position de « sachant », d'autorité supérieure face à des collectivités livrées à elles-mêmes. Qu'en pensez-vous ?

M. Eric Jalon . - Le contrôle de légalité s'exercera-t-il dans des conditions satisfaisantes ? Continuera-t-on de le concilier avec la fonction plus traditionnelle de conseil ? Le tassement du contrôle de légalité dans les deux dernières années est incontestable : entre 2009 et 2010, le nombre de lettres d'observation est passé de 46 498 à 40 453 et le nombre de déférés de 1 034 à 964. Est-ce la conséquence du recentrage du contrôle de légalité ? Nous le souhaitons. Faut-il y voir l'effet d'une démobilisation ? Je ne le crois pas. Est-ce lié à la réorganisation induite par la RGPP ? Nous ne le savons pas encore. En l'espèce, ces chiffres ne me paraissent pas inquiétants.

J'en viens à la fonction de conseil. L'un des enjeux de la centralisation du contrôle de légalité en préfecture est de faire monter en première ligne les autres services de l'État, notamment les sous-préfectures, dans l'assistance aux collectivités. Tout cela est conditionné à la réalité de la gestion des ressources humaines et des redéploiements d'effectifs entre préfecture et sous-préfecture. Or l'on ne peut attendre du contrôle de légalité et du conseil, une activité intellectuelle par excellence, les mêmes gains de productivité que pour la délivrance des titres avec le système d'immatriculation des véhicules ou les nouvelles modalités de délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports. Nous observons cette diminution de l'intervention des préfets avec vigilance, mais sans inquiétude.

Quant à la cohérence de la réforme territoriale, je ne partage pas votre postulat de départ. La réorganisation des services de l'État ne fait pas de la région le point d'entrée. Certes, le niveau régional conserve une structure homothétique, similaire au niveau central. Certes, de nombreux ministères ont ramené leurs fonctions au niveau régional. Le ministère du Développement durable et de l'équipement a ainsi dû muscler son expertise régionale pour mettre en oeuvre les deux lois Grenelle. Pour autant, l'État départemental ne s'est pas disloqué ; il s'est réorganisé en une structure simple et lisible. Lors de la réunion des préfets de départements au ministère, la semaine dernière, sur la préparation des schémas départementaux de coopération intercommunale, je n'ai pas eu le sentiment que les préfets ont déserté le terrain !

Enfin, votre dernière question sur la relation entre un État « sachant » et les collectivités m'embarrasse. Les petites communes qui n'ont pas l'expertise des grandes communes, en raison de leurs moyens plus modestes, doivent pouvoir demander conseil à l'État, tout en cherchant à développer leurs capacités en mutualisant leurs forces. Il ne me semble pas qu'il existe un complexe de supériorité chez les représentants de l'État...

M. Dominique de Legge . - La fonction de conseil s'estompant, la relation avec les services de l'État est fondée sur la seule autorité. C'est un sentiment partagé. Les communes redoutent que la RGPP n'aboutisse à un désengagement de l'État dans ses relations avec les collectivités locales, particulièrement dans les domaines de l'ingénierie et de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage.

M. François Patriat , président . - Les collectivités ont-elles été associées à la RGPP ? Les a-t-on préparées à la nouvelle donne ?

M. Eric Jalon . - C'était l'intention de l'État ! Le Premier ministre a publié deux circulaires en mars et en juillet 2008 rappelant que les préfets devaient mener la réforme en association avec les personnels, les administrés et les élus dans le cadre d'une concertation la plus large possible. Les difficultés sont souvent dues à des interférences. Pour les services de l'équipement, par exemple, la simultanéité de la RGPP avec l'achèvement du transfert des personnels dans le cadre de la loi du 13 août 2004. La diminution du nombre de lettres d'observation et de référés montre que le contrôle de légalité est loin d'être tatillon et formaliste. Nous allons maintenant tenter de comprendre les variations département par département. Je n'exclus pas qu'elles soient la conséquence de la réduction des effectifs. D'où notre vigilance, mais exempte de toute inquiétude.

M. Gérard Miquel . - Sénateur du Lot, j'ai initié avec le préfet une des premières opérations de restructuration des services de l'État ; nous avions alors rencontré beaucoup de difficultés avec les syndicats de la fonction publique d'État. Pour autant, dans la région Midi-Pyrénées plus vaste que la Belgique, je m'interroge sur l'opportunité de centraliser les services de l'État à Toulouse. Les agents de la DRIRE connaîtront moins bien le terrain ; cela n'entraînera-t-il pas des retards ? La centralisation n'est pas toujours gage d'efficacité, d'autant que les frais générés par les déplacements de ces agents désormais installés à Toulouse ne seront pas négligeables.

En revanche, je ne me battrai pas pour que l'on conserve un service d'ingénierie. Aux collectivités d'assumer la compétence voirie si elles l'ont prise. Mais les services de l'État doivent être réactifs et facilitateurs. Or cela ne semble plus être le cas : les préfets ont perdu la main pour réunir autour de la table tous les acteurs d'un dossier. Au vrai, la situation diffère selon les régions, certaines d'entre elles comprennent seulement deux départements.

M. Eric Jalon . - J'ai servi dans deux régions de taille significative : les Pays-de-la-Loire et l'Aquitaine. La DRIRE était déjà un service de niveau régional, doté d'antennes locales. Pour obtenir une certification technique sur le circuit des 24 heures du Mans, nous avions dû faire venir des agents de Nantes... Même chose en Aquitaine à l'époque de la mise en place de l'Itinéraire à Grand gabarit pour l'A380 et des périmètres Natura 2000 ; l'organisation des services de l'État était déjà régionale. Certes, il y a eu des évolutions -c'est une lapalissade de le dire- ; on ne pourra juger de leurs résultats qu'avec le recul. Votre mission fera oeuvre utile en attirant l'attention sur les erreurs de calage du dispositif.

M. Michel Bécot . - Les élus de terrain n'ont pas toujours la formation nécessaire pour appliquer les dispositions réglementaires en matière d'urbanisme -je pense, notamment, aux permis de construire. L'État a-t-il mis les moyens nécessaires ? En outre, je déplore la perte de savoir de la DDE en matière de voirie. Jamais un cabinet privé ne nous apportera la même expertise.

M. Eric Jalon . - Oui, il faut maintenir cette compétence et cette connaissance du terrain, que ne peuvent pas avoir les cabinets privés, et éviter que ne se creusent un écart entre élus et techniciens, entre élus et fonctionnaires. D'où le droit à la formation des élus locaux, conforté dans le « projet de loi n° 61 » relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, et l'attention portée à l'agrément des organismes de formation.

M. Gérard Bailly . - Lors de la réforme des collectivités territoriales, ont été fixés des seuils pour les intercommunalités. Or les élus ne gèrent bien que les territoires qu'ils connaissent bien. Avec la RGPP et de vastes intercommunalités, les élus ne savent plus vers quel service de l'État se tourner pour résoudre leurs difficultés et appellent souvent à l'aide les parlementaires...

M. Eric Jalon . - J'ai assisté à la totalité des débats parlementaires sur la réforme des collectivités territoriales. Fin août, à l'invitation du rapporteur Courtois, je me suis rendu à une réunion de maires de Saône-et-Loire. Elle était apolitique, le président du conseil général y participait. J'ai alors pris conscience des différences entre les communes du Mâconnais et celles des contreforts du Morvan qui peinent à atteindre les seuils. Par parenthèse, lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a quinze mois, mon premier réflexe a été d'afficher une carte de France en relief ! L'intercommunalité doit être d'une taille significative pour rendre possible des économies d'échelle, sans être trop vaste. Sinon, les agents de l'intercommunalité passeront plus de temps dans leur véhicule que sur le terrain ! D'après les études, au-delà d'une certaine taille, l'intégration stagne et baisse. Je défends donc le maintien des seuils, avec la possibilité de dérogations. Big n'est pas forcément beautiful !

M. François Patriat , président . - La RGPP a-t-elle amélioré le service rendu?

M. Eric Jalon . - Le service ne sera plus le même. Il a évolué au gré de la modification des missions de l'État et des collectivités territoriales. RGPP et réforme des collectivités territoriales sont liées : les communes doivent prendre en main leurs compétences via l'intercommunalité. M. Miquel a parlé d'or ! Habitude avait été prise que les services déconcentrés de l'État fassent le travail à la place de la commune en matière d'ingénierie. Et les agents de la DDE passaient parfois plus de temps au service des communes qu'à l'accomplissement des missions de l'État : quel paradoxe ! L'État n'a pas les moyens de poursuivre cette politique, qui est, de surcroît, contraire au droit européen de la concurrence. En outre, la situation n'était pas satisfaisante pour les communes : elles doivent exercer les compétences qui leur sont dévolues par les lois de décentralisation. Cette solution est préférable pour tous. Va-t-on perdre en efficacité du service ? Je suis persuadé du contraire !

M. François Patriat , président . - Le tableau est bien idyllique... Cependant, lorsque j'interroge mon préfet sur la mise au point des plans de prévention des risques inondation, qui bloque toute construction, il me répond qu'il ne peut plus faire face, faute de moyens humains ...

M. Eric Jalon . - Je ne suis pas préfet de la région Bourgogne et encore moins le pilote des réseaux concernés. Cette situation n'est-elle pas liée à des turbulences en période de transition ? Les PPRI relèvent des actions prioritaires de l'État.

M. Henri-Michel Comet,
secrétaire général du ministère de l'intérieur,
de l'outre-mer, des collectivités territoriales
et de l'immigration

____

M. François Patriat , président . - Bienvenue, monsieur le Secrétaire général ! Sans attendre, je passe la parole à M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur.

M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration . - Le ministère de l'Intérieur, dont je suis le secrétaire général, est celui qui a la vision la plus complète de l'administration territoriale de l'État et des collectivités locales. Cette audition a lieu dans un contexte particulier : par une instruction du 13 décembre dernier, le Premier ministre a arrêté les modalités définitives de cette nouvelle organisation de l'État, application d'un décret du 6 février 2010 « clé de voute » qui fixe les responsabilités des préfets de région et de départements. L'expérimentation est donc derrière nous.

M. François Patriat , président . - Les collectivités locales ont-elles été associées à la démarche et la performance est-elle au rendez-vous ? Nous venons de parler du contrôle de légalité et des services rendus aux collectivités, mais qu'en est-il de la maîtrise du foncier ou de la délivrance des titres ? Quand j'arrive à l'hôtel de région, je vois 200 personnes faire la queue devant la préfecture voisine, à 7 h 30 et les garagistes me disent que, pour les cartes grises, ça ne marche plus. Les maires, quant à eux, sont en face de services plus recentrés.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les services rendus aux collectivités ne sont pas les mêmes, on vient de nous le dire. Cela repose la question de la concertation. On le voit bien, la RGPP vise la limitation des dépenses de l'État, qui passe par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. J'entends bien que les collectivités locales doivent prendre leurs responsabilités et que des fonctions nouvelles incombent à l'État, mais qu'en est-il de la commande publique ? Les collectivités locales doivent s'organiser en EPCI pour se donner l'assistance à maître d'oeuvre et l'ingénierie -mais peut-être est-ce l'objectif ? J'aimerais donc savoir quels sont les indicateurs de performance. Est-ce mieux après la RGPP qu'avant ?

M. Henri-Michel Comet. - La RGPP ne se résume pas au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Il s'agit d'une autre organisation des services de l'État, d'une vision nouvelle de leur fonctionnement. Je n'ignore pas le stimulus budgétaire, mais elle est bien plus que cela, une modernisation générale des services publics.

Y a-t-il eu concertation ou association avec les collectivités locales ? Il y a eu concertation avec les collectivités concernées pour chaque geste de réorganisation, comme cela est naturel et nécessaire, pour la police d'agglomération ou la gendarmerie. Le contrôle de légalité a donné lieu à des échanges profonds avec les porteurs du suffrage universel : la concertation sur les transmissions obligatoires a été très longue et a amené le ministère à renoncer à certaines de ses propositions initiales. Il en a été de même pour les titres d'identité et pour les passeports biométriques : certes, le nécessaire équilibre par bassin de vie n'a pu permettre d'accéder à toutes les demandes, en revanche, des communes qui n'étaient pas favorables, ont finalement accepté d'accueillir les démarches -la concertation n'est pas un processus linéaire. Enfin, instruction a été donnée aux préfets de présenter et d'expliquer l'organisation nouvelle des services de l'État avant qu'elle se mette place.

Vous m'interrogez aussi sur la performance. Avec le système d'immatriculation des véhicules, l'on est passé de 150 à 2 000 guichets ; le service est meilleur pour les usagers qui ont moins de contraintes. Ils sont libres de faire le choix de payer un professionnel pour avoir de moindres délais ou de se rendre à la préfecture. Pratiquement tous les véhicules neufs sont immatriculés par un professionnel et un tiers des véhicules d'occasion, alors que ce n'était qu'auparavant qu'un geste commercial de certains garagistes. Si l'instauration de l'application informatique sur le système d'immatriculation des véhicules a été difficile, cela est désormais derrière nous et le service est meilleur, avec l'immatriculation du véhicule à vie, la multiplication des guichets, et la liberté de choix. Pour les immatriculations comme pour les pièces d'identité, le résultat est au rendez-vous.

La règle a été celle d'un allègement de l'ingénierie, sauf quand la solidarité était en cause. Le conseil peut être donné aux collectivités de la même façon. La position de l'autorité préfectorale à cet égard a été réaffirmée avec force, après de longs débats, et cela au nom de l'unité de l'autorité présente aux côtés des collectivités. Il incombe à l'État de trouver l'expertise nécessaire au sein de sa nouvelle organisation, mais pas toujours dans le service directement concerné - on se trouve dans un système proche du back office. Je distingue donc bien la capacité de conseil, de l'ingénierie, qui a évolué.

Les résultats sont-ils là aussi au rendez-vous ? Il s'agit d'assurer un service de meilleure qualité à un moindre coût. On peut évoquer les passeports : plus de guichets, moins de délais. La sécurité publique en offre un autre exemple avec la police d'agglomération.

M. Jean-Luc Fichet . - La situation n'est pas si simple que cela pour les cartes grises. On est en effet orienté vers les prestations privées. On trouve des informations sur internet : 45 euros pour un délai de 8 jours, 70 euros pour passer à 48 heures, ce qui, avec les plaques, représente une dépense de 100 euros : on est prié de payer pour acquitter une taxe ! Cela ne paraît juste ni dans le principe ni dans les modalités. Oui, la RGPP vise à mieux adapter les services. Cependant, elle n'est pas vécue comme cela car ce qui ressort, c'est la diminution des coûts. Comment les maires peuvent-ils suppléer cela ? Des EPCI peuvent prendre le relais ici, mais là, on s'en tient à leur mission et l'on ne souhaite pas créer d'emplois. Alors que les communes sont confrontées à ces difficultés, les élus restent et doivent rester des généralistes : ils ne peuvent être compétents pour les ordures ménagères, la voirie et les contrats d'affermage. Avec qui s'assurer que les 300 pages de ces derniers respectent les intérêts de la collectivité ? On peut faire appel à des cabinets privés, en espérant qu'ils ne sont pas des filiales du fermier... Ces situations insolites provoquent des coûts importants. Oui, il y a bien des choix à revoir parce qu'on a été plus dans le désengagement que dans l'amélioration.

M. Gérard Miquel . - J'ai à propos de l'ingénierie une position différente. Profondément décentralisateur, je considère en effet qu'après 25 ans de décentralisation, les collectivités doivent assumer les compétences dont elles se sont saisies. Mon département, qui compte 172 000 habitants, a mis en place des syndicats auxquels adhèrent les communautés ou les communes, et cela pour les déchets, l'eau et les réseaux de chaleur. Nous avons remplacé les services de l'État.

Nous ne sommes pas allés assez loin dans certains domaines. La RGPP aurait dû être précédée d'un toilettage de la décentralisation. Je gère les collèges, qui sont animés par un personnel d'État. Je paye pour le fonctionnement d'un foyer de l'enfance dirigé par un fonctionnaire d'État que je ne choisis pas, ce qui est anormal.

Nous avons des problèmes d'urbanisme car, si des agglomérations s'organisent, les petites collectivités ne le peuvent pas. Il convient de trouver les niveaux pertinents.

Pourquoi le colonel de gendarmerie me demande-t-il de rénover des casernes ? Cela relève pourtant de l'État, qui doit assumer cette mission régalienne. Et pourtant, si nous n'intervenons pas, les gendarmeries se dégraderont. En même temps qu'il convient de clarifier les relations entre l'État et les collectivités, nous avons besoin de réactivité. Or la région Midi-Pyrénées est plus grande que la Belgique et tout a été recentré à Toulouse, de sorte que nous avons pour interlocuteurs des gens qui ne connaissent pas le terrain. Cela retarde les dossiers. Nous devons mettre en place une équipe d'archéologie préventive et, bientôt, une équipe d'écologues naturalistes pour dénombrer les espèces à protéger. Il faut gagner en rapidité et il incombe à l'État d'accepter la diversité territoriale en assumant ses missions régaliennes : vu de Paris, on distingue mal une région qui ne comporte que deux départements d'une autre qui en a huit... Je pourrais citer ici les routes nationales : il n'y en plus que 16 kilomètres dans mon département, mais l'État me demande un cofinancement pour entretenir celles-ci. Je suis donc très inquiet de la RGPP, passée et à venir.

M. Gérard Bailly . - Je m'inscris dans la continuité de ce qu'a dit mon collègue. A-t-on pour interlocuteurs des services réactifs et facilitateurs ? L'État n'a pas plus les moyens de vous répondre, m'assurent-ils, ils ne peuvent pas accélérer un dossier urgent. Comment mesurer l'évolution des effectifs à la préfecture ? On sait seulement chez moi, dans le Jura, que sur 605 agents de la DDE, 306 sont passés au département. Les services de l'État en ont-ils encore 299 ou 250 ? Cela manque de lisibilité...

J'insiste aussi sur les directions régionales interministérielles parce que, quand nous sommes sollicités sur un problème d'environnement, par exemple pour la vallée du Hérisson, mais aussi pour l'éolien ou le photovoltaïque, il faut aller jusqu'à Besançon, ce qui représente cinq heures de trajet aller et retour. Si un service doit être redépartementalisé, c'est celui-ci, plus sans doute que la DRAC. Que pouvez-vous me répondre ?

M. François Patriat , président . - Je pense à l'exemple inverse, chez moi, d'une gendarmerie de douze logements, supprimée après avoir été rénovée avec nos financements.

M. Henri-Michel Comet. - L'augmentation considérable du nombre de guichets pour l'immatriculation des véhicules a accru la liberté de l'usager qui n'est plus obligé de se déplacer. S'il ne veut pas une procédure spéciale, le service public est là, en préfecture ou en sous-préfecture. J'ai confié tout à l'heure que les débuts avaient été difficiles, j'ajouterai que si nous sommes encore en phase d'amélioration, le nouveau système est plus sûr et qu'avec une application entièrement automatisée, les contraintes sont objectivement différentes.

Pour la proximité, l'Etat a choisi de confirmer l'autorité préfectorale qui reste la représentante de tous les ministères. Votre interlocuteur sur tous les sujets se trouve à la préfecture ou à la sous-préfecture, à charge pour lui de vous apporter une réponse. Nous partageons le concept de proximité et apportons une solution plus complète. Proximité et unité, telle est notre façon de voir.

Nous n'avons rien à cacher sur la réduction des effectifs. Cette information est acquise et peut être fournie aux parlementaires qui votent le budget. Il est de notre devoir de répondre là-dessus. Le réseau des préfectures et des sous-préfectures a beaucoup contribué à la réduction globale des effectifs durant le triennal qui se termine ; l'effort devrait s'atténuer durant le prochain. Cela est raisonnable dans le temps.

L'État ne se désengage pas de l'ingénierie territoriale. Un service public national ne peut assurer des prestations qui relèvent du secteur privé et concurrentiel -cette très lourde contrainte n'est pas que nationale. Le gouvernement a décidé de l'appliquer avec raison et de manière nuancée : il reste là pour des communes très rurales et nous tenons à assurer une fonction de conseil dans tous les domaines.

La clarification des rapports entre l'État et les collectivités locales a suscité de votre part quelques exemples taquins. L'État est conduit à faire des choix, dont une contribution des collectivités locales au réseau routier, par exemple, peut contribuer à atténuer la rudesse. Si j'ai 100 et que je veux faire 120, il faut une contribution supplémentaire de 20. L'État est en permanence confronté à ce dilemme.

Vous m'interrogez sur les normes et l'État facilitateur. Si je ne suis pas législateur, j'observe que le poids des normes concerne surtout la sécurité civile. Nous comprenons le souci d'un allègement des normes, qui doit faire l'objet d'une démarche partagée. Un membre de la Haute assemblée doit rendre un rapport à cet effet.

Vous comprendrez que je ne m'exprime pas sur une clarification plus globale des relations entre l'État et les collectivités. C'est un débat plus large et plus lourd.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Quel bilan tirez-vous de la maison de l'État de Boulogne-Billancourt ?

M. Henri-Michel Comet. - Nous croyons beaucoup à ce concept d'une maison regroupant en un ensemble immobilier unique différentes missions de l'État. Nous avons un débat avec la collectivité concernée parce que l'emprise n'est pas celle d'une sous-préfecture : les conversations sont rugueuses, mains nous tenons à ce projet et espérons aboutir.

M. Gérard Miquel . - Notre interlocuteur, dites-vous, demeure le préfet. Que pensez-vous du préfet qui signe avec le président du conseil général l'autorisation d'ouverture d'un établissement d'hébergement pour personnes dépendantes et dont l'ARS, faute de crédits, refuse d'honorer la signature ?

M. Henri-Michel Comet. - Cela déborde un peu mes compétences. Nous avons eu d'autres cas, que nous avons résolus dans le respect de la parole de l'État.

M. François Patriat , président . - J'aimerais connaître le nombre des suppressions d'emplois et le montant des gains -il s'agit, après tout, disons-le, de dégraisser le mammouth. Il faudrait aussi mesurer le coût que cela a entraîné pour les collectivités.

M. Henri-Michel Comet. - Je n'ai pas à l'esprit le chiffre des réductions d'emploi dans l'ensemble des services, mais pour le réseau des préfectures et sous-préfectures, il s'agit de 700 emplois par an sur un total de 30 000 personnes.

M. Michel Bécot . - Qu'y aura-t-il dans ces maisons de l'État ?

M. Henri-Michel Comet. - Nous en avons une acception ouverte : à côté des services de l'État, elles pourraient accueillir des partenaires comme Pôle emploi ou des organismes semi-publics.

MM. Olivier Dussopt, vice-président,
et Nicolas Soret,
association des petites villes de France (APVF)

____

M. François Patriat , président . - M. Malvy étant retenu au comité des finances locales, je salue MM. Olivier Dussopt, vice-président de l'Association des petites villes de France (APVF) et Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien.

Après avoir entendu de très hauts fonctionnaires, il serait intéressant de connaître l'avis des petites villes. Comment perçoivent-elles la RGPP, quelles améliorations et quelles difficultés rencontrent-elles ?

M. Olivier Dussopt, vice-président de l'association des petites villes de France (APVF). - M. Malvy, dont je renouvelle les excuses, m'a prié de présenter les résultats du questionnaire que l'APVF a adressé à nos adhérents. Notre association regroupe en effet 1 100 de ces communes qui comptent de 3 000 à 20 000 habitants et regroupent 19 millions d'habitants. Ses adhérents sont aussi bien des villes-centres que des communes périphériques à proximité d'agglomérations plus importantes, et elle a une bonne représentativité.

La RGPP a été imposée sans concertation ni avec les élus ni avec les syndicats, les coupes ont été décidées sans cohérence et ont eu un impact sur la qualité du service rendu. Pour Claude Guéant, l'actuel ministre de l'intérieur, « si nous avions adopté des méthodes classiques de préparation de la décision, avec ce que cela implique de concertation et d'interministériel, nous en serions à 5 % du chemin parcouru. Cette méthode a été choisie parce que l'interministériel ne marche pas, fabrique du compromis et souvent des demi-décisions ». M. Guéant est aujourd'hui ministre de l'Intérieur

L'administration territoriale de l'État a connu fusions et baisses des effectifs. Des mesures qui pouvaient paraître positives n'ont été ni accompagnées, ni comprises. La fermeture des services publics n'a pas commencé avec la RGPP pour les petites villes, mais celle-ci l'a accélérée. L'absence de concertation a contribué à l'effet domino : la fermeture d'un service public entraîne une perte d'emplois, le déplacement de familles, des pertes pour les commerçants, des fermetures de classes, voire d'écoles, sans parler de l'effondrement du marché immobilier -on y reviendra à propos de Joigny.

Si nombre d'adhérents ont souligné le cercle vicieux initié par ces fermetures, la capacité des petites villes à faire fonctionner leurs services a également été touchée par la fin de l'offre concurrentielle des DDE pour le réseau routier. Cela vaut aussi pour le droit du sol, l'instruction des permis de construire. Les collectivités locales manquent des ressources et de compétences.

Ce sont 2 107 postes qui ont été supprimés dans les préfectures et sous-préfectures, d'où un éloignement plus grand et une perte d'efficacité. La dématérialisation a en revanche permis une plus grande fluidité pour les paiements, le droit du sol et les travaux.

Dans le domaine sensible de la santé, ce sont 42 établissements qui ont été supprimés dans le secteur public et non lucratif, plus la fermeture de blocs, de services et de maternités. La justice, lors de la réforme de la carte scolaire, a dû subir la suppression de 317 juridictions, dont 239 dans des petites villes, touchées par les pertes d'emploi conséquentes. Les réorganisations militaires n'ont pas frappé que Metz ou Nancy, mais aussi des petties villes comme Barcelonnette, Dieuze, Guéret ou Joigny..., où l'impact a été proportionnellement plus fort. La sécurité ? Ce sont les transferts d'effectifs et les commissariats remplacés par des gendarmeries, 10 policiers étant remplacés par 6 ou 7 gendarmes, réputés plus disponibles -mais cela fait 30 % d'emplois en moins à Autun, Commercy, Issoudun ou Annonay.

Nous ne sommes pas opposés à une réforme qui va dans le sens de l'efficacité et qui se réalise en concertation avec les élus, afin de ne pas altérer la qualité du service -c'est particulièrement important dans les villes qui ont une fonction de centralité. Il faut définir un seuil minimal de service public. En 2007, nous avions défendu l'idée d'un bouclier de service public par territoire, afin d'assurer son développement. Le développement de l'intercommunalité peut assurer un service technique mais il ne peut s'agir de se substituer à l'État qui doit assurer ou le service public ou une compensation. Quant à la santé, nous nous interrogeons sur les conditions d'installation des praticiens afin de lutter contre les déserts médicaux. Le gel des dotations aux collectivités locales, enfin, n'est-il pas l'une des formes de la RGPP, qui aboutit à réduire le champ d'action de la sphère publique ?

M. Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien. - La communauté de communes du Jovinien est un EPCI de 18 000 habitants centré sur la ville de Joigny, petite ville de 18 000 habitants au coeur d'un bassin de vie qui en compte 50 000. La réorganisation des services publics devait mieux adapter les administrations aux besoins des usagers, valoriser le travail des fonctionnaires et réduire les dépenses publiques. Seul le dernier axe a été privilégié depuis 2007 sur notre territoire -à Joigny, c'est toute la décennie 2000 qui a été meurtrière. Avec la réforme de la carte hospitalière, celle de l'armée et de la justice, avec la reconfiguration des forces de police et de gendarmerie, avec l'évolution des effectifs au lycée et au collège, au Pôle emploi, au Trésor public sans oublier EdF-GdF, quand c'était une entreprise publique, nous avons perdu 500 emplois, ce qui est sans commune mesure avec les pertes d'emploi dans le privé : l'État est responsable du plus grand plan social de la décennie.

La carte militaire d'abord. Nous avons perdu le 28 e groupe géographique, régiment spécialisé dans la cartographie militaire. Cela nous a coûté 410 emplois directs. Le régiment injectait 650 000 euros par mois de masse salariale, soit 7,8 millions d'euros l'an, dont 80 % pour l'économie locale. Depuis lors, le marché immobilier est déséquilibré, les commerces souffrent et des familles entières ayant quitté notre territoire pour l'Alsace, des classes et parfois des écoles sont menacées de fermeture. L'État a cédé l'emprise foncière de 10 hectares en plein coeur de la ville pour l'euro symbolique, mais notre budget de fonctionnement a augmenté.

En outre, il a prévu une aide à l'investissement de 3 millions d'euros et une aide à l'emploi d'un million. Ces chiffres sont à comparer aux 7,8 millions d'euros dont j'ai parlé et aux 21 millions d'euros du budget de la ville et de la communauté de communes. Comment l'aide est-elle calculée ? Barcelonnette, Givet ou Provins ont obtenu beaucoup plus ! Aucune concertation n'a eu lieu : c'est par un article dans le journal Libération , en juillet 2008, que nous avons appris la délocalisation du régiment.

Mais ce n'est là que la dernière étape : nous avons subi une décennie entière de remise en cause des services publics à Joigny. La réforme de la carte judiciaire nous a fait perdre le tribunal de commerce au 1 er janvier 2009 : il faut désormais se rendre à Sens, à une demi-heure de voiture. Nous avons perdu le tribunal d'instance au 1 er janvier 2010, soit dix emplois. L'égal accès aux tribunaux est mis à mal ! La réforme de la cartographie des forces de police et de gendarmerie nous a coûté notre commissariat en 2004 : jusqu'alors, avec le canton voisin, nous disposions de 52 policiers et 12 gendarmes. Les policiers sont partis et ont été remplacés par 39 gendarmes : nous avons perdu 13 équivalents-temps-plein mais n'avons pas les moyens de créer plus de trois postes de policiers municipaux.

L'agence de Pôle emploi a connu une augmentation de son activité de 30 % entre 2008 et 2010 : l'une des plus fortes progressions de l'hexagone, hélas. Or nous avons perdu deux agents et les mutations internes ne sont pas compensées, si bien que l'agence pourrait perdre encore cinq postes d'ici la fin de l'année. Joigny compte 2 550 demandeurs d'emploi, soit 232 par agent... Il est facile de calculer à combien de minutes par mois a droit chacun de ces chômeurs. Ils se sentent délaissés et les réactions violentes sont de plus en plus fréquentes. Les conditions de travail des agents empirent, les résultats sont en chute.

Quant au centre des impôts, désormais « centre des finances publiques », il reste à Joigny, comme la trésorerie... Mais avec 34 agents, contre 44 il y a six ans ! Les conditions de travail et la qualité du service rendu en souffrent inévitablement. La trésorerie a perdu 4 agents, elle aussi, alors que son ressort territorial s'élargit, les trésoreries voisines étant fermées.

En cinq ans, le lycée a perdu dix-huit postes d'enseignants et trois d'assistants d'éducation. Il perdra à nouveau sept postes à la prochaine rentrée à cause de la réforme du Bac sciences et technologies industrielles (STI). Le collège a perdu cinq enseignants en cinq ans ; trois autres suppressions interviendront en septembre 2011. Pourtant, à la rentrée 2010, nous avons franchi le triste cap de 50 % d'élèves dits « de CSP moins », autrement dit issus de familles défavorisées. Enfin, l'établissement régional d'enseignement adapté ne dispose même plus d'une assistante sociale à plein temps : celle-ci se partage désormais entre l'EREA, un collège et deux lycées...

La caisse primaire d'assurance maladie a perdu huit agents en cinq ans, EDF et GDF ont fermé des bureaux commerciaux : encore 30 emplois en moins ! Le service se dégrade. Quant à la réforme de la carte hospitalière, elle nous a privés dés le début de la décennie d'une maternité et d'un service de chirurgie, malgré l'effort qui avait été consenti pour la modernisation du plateau technique - 50 millions d'euros d'investissements.

Les services de la préfecture de l'Yonne se dépeuplent aussi. Les petites communes y ont perdu l'accompagnement dont elles bénéficiaient auparavant. Les maires les plus anciens, qui ont connu une autre époque, se sentent de plus en plus seuls.

Voilà l'impact de la RGPP sur un territoire comme le nôtre. Les conséquences sont évidentes : service dégradé, agents démoralisés et surchargés, usagers mécontents, citoyens incrédules, amers, voire violents. Il y a, je le répète, une rupture d'égalité dans l'accès aux services publics. Si nous, élus locaux, avions été consultés, nous aurions pu faire valoir les tristes spécificités de notre territoire, mais, chaque fois, on nous a mis devant le fait accompli. Il est temps que la ruralité ait elle aussi son bouclier !

M. Dominique de Legge . - Une telle accumulation de décisions peut avoir de lourdes conséquences pour un territoire. Avec la concentration des services de l'État au niveau régional, on a allégé les services au niveau départemental : comment cela est-il ressenti par vos collectivités ? Quelle appréciation portez-vous sur les relations entre les préfets de région, les préfets de département et les sous-préfets -que l'on envisagerait de remplacer par des attachés d'administration ...

Sur le contrôle de légalité, M. Jalon nous a parlé d'allègements là où cela était possible, de renforcement des moyens là où cela était nécessaire : qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Dussopt . - Ces décisions ont un effet d'orgue : plus exactement, d'orgue de Staline, car elles détruisent tous les services publics sur nos territoires. La régionalisation des services de l'État produit un sentiment d'éloignement, mais peut-être faut-il laisser aux uns et aux autres le temps d'apprendre à travailler ensemble. L'allègement des services départementaux laisse craindre leur disparition pure et simple. Les directeurs départementaux ne sont plus toujours remplacés. En Ardèche, la direction du travail et de l'emploi est dirigée par intérim par le directeur de la Drôme.

Enfin, on régionalise sans tenir compte des spécificités du territoire. C'est l'administration régionale qui gère les fonds européens, or les zonages, tel le 2b, ont disparu et les petites communes se sentent en concurrence avec les métropoles : elles ont l'impression que l'accès aux financements devient plus compliqué. Quant aux sous-préfets, la situation est très différente d'un département à l'autre, mais ils sont souvent identifiés comme des interlocuteurs valables et des partenaires de bonne foi... mais dépourvus de moyens !

Le recentrage du contrôle de légalité n'est pas en soi contestable. Ce qui l'est plus, c'est que les moyens dégagés ne sont pas consacrés à renforcer l'appui aux collectivités. Ils se volatilisent très vite ! Et les communes se sentent bien seules, par exemple pour instruire les dossiers d'urbanisme et de droit des sols.

Mme Catherine Deroche . - Merci d'avoir mené cette enquête. Avez-vous pu séparer les réponses des villes centres et des communes périphériques ? L'efficacité et la proximité suscitent un débat sans fin : la proximité est-elle toujours gage de qualité, je songe aux services hospitaliers ? Enfin, avez-vous découvert au cours de cette enquête des dispositifs innovants mis en place par l'État ou par les collectivités locales, pour compenser la réorganisation ?

M. Olivier Dussopt . - Nous n'avons pas pu distinguer entre ces deux types de communes, mais nous savons qu'une distorsion des réponses est inévitable selon la situation géographique, à population équivalente. La proximité garantit l'égal accès -à la santé par exemple. Nous avons mené notre enquête en prévision de cette mission ; les maires ont répondu avec enthousiasme mais ceux des villes centres s'inquiètent car, comme Joigny, elles sont particulièrement touchées.

Nous n'avons pas expressément interrogé les maires sur les dispositifs innovants mais nous avons plutôt entendu parler de palliatifs ! Quelques initiatives fondées sur les nouvelles technologies ont été prises mais elles restent limitées.

M. Bernard Vera . - Il serait intéressant pour nous de disposer de toutes les conclusions de votre enquête, si cela paraît possible.

L'APVF propose un rééquilibrage, à partir d'un socle minimum de services publics. C'est ce que vous appelez le « bouclier ». Quel en serait le contenu ?

M. Olivier Dussopt . - Santé, éducation, justice, me paraissent un minimum. Et le Trésor public, complémentaire. Il faut en tout cas réfléchir moins en distance qu'en temps d'accès, afin de tenir compte des spécificités géographiques. Parcourir 20 kilomètres en Ardèche pour se rendre à la maternité, ce n'est pas rouler 20 kilomètres en plaine, sur une autoroute...J'ai participé aux travaux du groupe socialiste de l'Assemblée nationale sur une proposition de loi qui sera discutée prochainement : elle reprend ces thèmes en s'appuyant sur les études réalisées par l'APVF.

M. François Patriat , président . - Nous vous remercions.

Jeudi 3 mars 2011

M. Georges Tron,
secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique

____

M. François Patriat , président . - Je vous remercie d'être avec nous ce matin. Vous êtes le troisième ministre que nous auditionnons, après MM. Richert et Baroin. La RGPP devait dégager des économies, mais aussi optimiser et clarifier, tout en simplifiant la vie de nos concitoyens. Or les élus ne savent plus très bien où s'adresser pour obtenir des réponses qu'ils demandaient aux services de l'Etat. De hauts responsables nous ont assuré qu'ils assumaient pleinement leurs missions et que le fonctionnement avait été amélioré, mais les syndicats regrettent un manque de concertation notoire, tandis que les usagers subissent les conséquences de la réduction des effectifs. Pouvez-vous nous dire comment vous remplissez les objectifs fixés, quelles économies l'on réalise et quelles charges on supporte ? Enfin, quels sont vos projets ?

M. Georges Tron, secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique . - Je suis très heureux d'échanger avec vous sur ce sujet, car, même s'il n'entre pas dans le périmètre de mes attributions, je discute à chacun de mes déplacements de questions statutaires, de carrières et de repyramidage, autant de questions complémentaires de la réorganisation qui dépend de M. Baroin.

Je partage votre présentation : la RGPP n'est pas, et c'est heureux, exclusivement une approche comptable de la réorganisation de l'administration, même si l'objectif de rétablissement des comptes publics est incontestable. Il y a eu, de 1980 à 2000, 300 000 fonctionnaires supplémentaires. La masse du bloc rémunérations plus pensions, jointe à la charge des intérêts, produisait une contrainte telle qu'il y a eu un consensus sur la nécessité de réformes, de manière à traiter tous les grands problèmes de recrutement, de gestion, de rémunération et de dialogue social -je pense au texte voté l'an dernier après les accords de Bercy.

Contrairement à ce que j'entends souvent, la RGPP a eu des précédents. Dès 2003, Eric Woerth avait conduit des stratégies ministérielles de réforme, des audits au tropisme plus central que déconcentré. Les audits engagés par Jean-François Copé en 2005 ont prolongé les stratégies ministérielles. On avait donc déjà travaillé quand s'est mise en place la RGPP, copilotée par le secrétaire général de l'Elysée et par le directeur de cabinet du Premier ministre.

La simplification a été un axe de la réforme engagée, tant au niveau de l'administration centrale que de l'organisation territoriale de l'Etat (la ReAT). Je suis solidaire de cette réforme fondamentale, dont l'achèvement permettra de simplifier l'organisation territoriale. J'identifie cette réorganisation comme un sujet majeur. L'on voit bien les chantiers. La professionnalisation des concours, d'abord, permettra de valoriser une pratique (je vois avec les négociations sur la résorption de l'emploi précaire que les organisations syndicales y sont favorables). Nous aurons cet été revisité 360 concours. Avec 400 à 450 élèves, les classes préparatoires intégrées marchent bien, même si les résultats au concours de l'ENA ne sont pas tout à fait à la hauteur.

Une meilleure gestion des carrières, ensuite. La fusion des corps avance sans problème majeur : de 685 en 2005, nous sommes revenus à 380, l'objectif étant de 230. La loi sur la mobilité de 2009 fonctionne, à quelques détails près. La rémunération à la performance est bien engagée, la garantie individuelle du pouvoir d'achat s'ajoute à la rénovation des grilles indiciaires.

Le dialogue avec les organisations syndicales se passe mieux. Notre logique de mise en oeuvre des réformes s'est traduite par quatre accords de suite entre 2006 et 2010, qui ont été transposés dans la loi : à un article près (celui sur les infirmières), la loi sur le dialogue social reprenait l'accord avec les organisations syndicales. Avec les nouveaux comités techniques mis en place cet automne dans les directions départementales interministérielles, les instances de concertation sont bien identifiées.

Si la RGPP a permis de prendre conscience de la nécessité d'engager des réformes, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a en réalité dégagé de 900 millions à 950 millions d'économies sur un exercice budgétaire. L'engagement d'en reverser la moitié aux agents a été tenu, le taux de retour étant même très largement supérieur en 2010 : 72 %, soit de 650 millions à 750 millions. Il ne faut pas se faire d'illusions, car l'on a engagé des réformes supplémentaires grâce au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Nous avons ainsi dégagé 200 millions pour le LMD (licence-master-doctorat) et, si l'on tient compte des indemnités aux proviseurs, principaux et professeurs en primo-installation, ce sont entre 250 millions et 300 millions qui ont ainsi été fléchés à cette fin à l'Education nationale. Nous avons utilisé plus d'économies que prévu pour les réformes.

L'on ne doit pas attendre à court terme de retours plus importants de l'exercice du un sur deux. L'économie réalisée se fera sentir à plus long terme. On raisonnera ici en termes de carrière : si l'on pense que la carrière d'un agent de la fonction publique c'est 1 300 000 euros, un million en catégorie C et un million et demi en catégorie A+, on comprend que les économies réalisées sur 40 ans sont considérables. Dès que l'on reste sur le court terme, à cinq ans, on dégage un milliard et on finance les réformes que j'ai citées.

Nous avons réussi l'exercice d'engager l'évolution de l'administration et, s'il n'est pas certain que les résultats du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux soient à la hauteur des espérances, cela est rassurant parce que cela montre que l'exercice n'est pas exclusivement comptable. Nous le poursuivrons avec trois gros chantiers dont le premier est la résorption de la précarité dans la fonction publique. La réunion conclusive se tiendra le 7 mars prochain. Il y a consensus pour qu'un CDI soit titularisé après 6 ans. Faut-il qu'il passe vers le statut ? Oui, après un examen professionnel assis sur la reconnaissance des acquis de l'expérience. Faut-il faire de même pour les CDD ? Oui, sans remettre en cause le recrutement par concours. Fixe-t-on une limite dans le temps ? Là encore, la réponse est positive : 4 ans. Nous prévoyons en outre une amélioration des indemnités pour les CDD et une délégation de leur versement à Pôle emploi.

Nous poursuivons la mutualisation des concours administratifs, avec une optimisation de la formation initiale dans le prolongement du rapport Le Bris, et des indicateurs de performance pour les écoles de service public. Il en va de même pour la formation continue.

S'agissant de l'administration déconcentrée de l'Etat, je suis convaincu que toute réforme doit être pilotée de manière identifiée, comme je l'ai dit dans mon rapport sur l'immobilier de l'Etat. Le pilotage par Matignon est très précis et Bercy doit y être directement associé. J'ai rencontré la semaine dernière M. Filippini, le nouvel adjoint au secrétaire général du gouvernement, et nous sommes convenus de coopérer. Les fonctionnaires perçoivent bien ce chantier. Il rencontre néanmoins trois types de difficultés. Premièrement, il suppose un aggiornamento, voire une révolution culturelle afin de mélanger des cultures très verticales en deux ou trois directions départementales et sept ou huit directions régionales ; je l'entends bien lors de mes déplacements, malgré leur bonne volonté les agents restent habitués à des logiques centralisées. Aussi faut-il que le secrétaire général adjoint du gouvernement fasse passer des recommandations aux ministres pour qu'ils cessent de se comporter comme si l'organisation restait verticale.

La deuxième difficulté est difficile à percevoir. C'est ainsi que lorsque j'ai rencontré Jacques Attali, il a craint que les régions fassent les frais de la réforme. Or je perçois exactement l'inverse. Nous avons aujourd'hui un échelon régional déconcentré, à la fois juge et partie des affectations et des réaffectations de postes. Il faut être prudent pour que le niveau départemental, échelon de proximité, ne se sente pas démuni -j'ai perçu une inquiétude. Il convient de trouver un équilibre.

Troisième difficulté, les préfets de région sont confrontés à un exercice très délicat : réorganiser toute l'administration déconcentrée sans disposer des leviers budgétaires et alors que l'organisation reste verticale. De mon point de vue, il est donc important d'apparier l'exercice budgétaire, centralisé, et la nouvelle organisation, horizontale. C'est d'ailleurs la préoccupation majeure des préfets.

Nous sommes en train de relever ces défis. Il fallait apporter des réponses et nous le faisons, mais il reste délicat de modifier des cultures. Enfin, l'implication constitue un enjeu d'importance. L'implication personnelle est là, les agents adhèrent à la simplification et à la lisibilité pour les administrés. Leur adhésion doit en revanche s'exprimer en termes d'engagement et de régime indemnitaire. Il faut faire en sorte que l'harmonisation des statuts se fasse par le haut, ce qui répond à leur souhait. Cela suppose une capacité budgétaire et une harmonisation des échéances. Nous disposons pour cela d'outils statistiques ; il reste à homogénéiser les rémunérations : la prime de fonctions et de résultats aboutit à mettre de l'ordre dans l'incroyable maquis des 1 800 primes. L'accélération de l'homogénéisation des statuts correspond à une attente des agents. Nous sommes au milieu du gué parce que des difficultés surgissent, notamment dans le domaine des restructurations immobilières. Dans l'Essonne, mais aussi à Rennes, des blocages surviennent autour de tels dossiers : on mesure combien la totalité des réformes constitue un groupe homogène.

Les agents sont impliqués, mesurent le service rendu aux usagers, aux collectivités comme aux entreprises. Certes, l'ingénierie concurrentielle a été remise en cause mais non le service rendu aux petites collectivités. Cela se fait avec les agents -j'ai déjà signalé la mise en place des comités techniques en octobre. Les organisations syndicales, les confédérations s'en sont saisies à l'occasion des élections aux comités techniques et aux commissions administratives paritaires, le 20 octobre.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie, monsieur le Ministre, de cet exposé brillant sur les objectifs, les méthodes et les résultats de la réforme. Vous avez déjà donné quelques chiffres mais quel est son impact sur les collectivités ? La loi conforte les départements mais l'administration renforce l'échelon régional, d'où un éloignement des directions -l'on cite souvent l'exemple du Midi-Pyrénées et du Lot, cher à M. Miquel. Certains disent qu'avec la décentralisation, les collectivités doivent assumer leurs missions, mais cela les conduit à assumer des coûts, pour l'ingénierie par exemple. Dans le même temps, les préfets et les sous-préfets nous disent en aparté souvent, en réunion parfois, qu'on est « à l'os », qu'ils n'ont plus les moyens d'apporter les réponses que nous demandons dans les délais que nous souhaitons, pour les plans d'exposition aux risques, les permis de construire etc. Nous sentons d'ailleurs le besoin d'exister des préfets et sous-préfets. On a parlé de formation professionnelle, d'exportation et M. Lellouche veut colocaliser l'administration. Reste que les petites communes de 100 à 700 habitants ne peuvent pas faire face et doivent faire appel au privé dont les prestations sont coûteuses à défaut d'être toujours de qualité.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous avez répondu par avance à plusieurs de mes questions et fourni quelques chiffres. Pouvez-vous nous en donner d'autres.

D'autre part, les représentants des syndicats nous assurent qu'il n'y a eu aucune concertation. J'imagine qu'il y en pourtant eu sur le « retour sur investissement ». Comment expliquez-vous ce sentiment ?

A Saint-Amand-Montrond, le président de la République a souhaité une polyvalence du personnel en milieu rural. Avec quels outils peut-on atteindre ce louable objectif ?

Les collectivités territoriales ayant reçu beaucoup de compétences nouvelles, est-il plus difficile de recruter dans la fonction publique d'Etat ?

Beaucoup de postes ont été supprimés mais pas de manière uniforme. Pour autant, il faudra affiner les moyens et les objectifs. Quelles sont les possibilités ?

M. Georges Tron, secrétaire d'Etat. - Je commencerai par le ressenti des élus. Ils ont des réponses, mais elles sont plus sectorisées. Le centre des finances traite les questions fiscales, l'inspection d'académie le scolaire, le contrôle de légalité relève de la préfecture plutôt que des sous-préfectures, la direction des territoires s'occupe de l'urbanisme. La logique du repyramidage conduit à bien identifier leurs interlocuteurs. On n'a pas fermé de sous-préfecture, ce qui avait été envisagé et aurait pu se faire sans remettre en cause l'aménagement du territoire. Je mesure bien le différentiel entre la présence géographique, qui témoigne d'une politique d'aménagement du territoire, et la réorganisation de l'Etat territorial et sa simplification pour l'ensemble des acteurs de la vie locale, des collectivités aux usagers sans oublier les entreprises.

La proposition de la multifonctionnalité des agents dans les petites communes constitue une piste tout à fait intéressante. Je suis prêt à répondre à la requête du président de la République d'agents multifonctionnels. J'ai été frappé au Canada, la semaine dernière, de voir comment sur un territoire de plusieurs millions de kilomètres carrés, la réforme de l'Etat s'est conjuguée avec l'aménagement du territoire grâce à 650 points de contact, des guichets uniques regroupant entre 16 000 et 17 000 agents. Je ne prétends pas que cet exemple soit transposable mais je crois volontiers à une simplification, à des interlocuteurs mieux connus, à des formules plus homogènes.

L'organisation des trois fonctions publiques reste inscrite dans le statut qui a pris un coup de vieux avec la réforme. Le vecteur de la mobilité est important. La loi de 2009, dont les effets s'étendent aux trois fonctions publiques, conduira à modifier la formation initiale à l'ENA comme à l'INET ; les passerelles devront être facilitées ; la forme du concours à l'une des fonctions publiques assurera des compétences pour les deux autres. A Rennes, à l'école de la santé publique, les questions des élèves de deux promotions ont porté sur les passages dans les autres fonctions publiques. Tout cela modifiera structurellement les modes d'organisation tout en répondant aux aspirations des agents.

La ReAT permet d'approfondir l'appui technique aux collectivités publiques. Si le privé peut assumer l'ingénierie concurrentielle, le grand chantier du développement durable justifie qu'on renforce l'expertise. Les prestations d'ingénierie sont réorientées dans le respect de la solidarité et de l'aménagement du territoire. Les réorganisations vont de pair avec une meilleure identification. Pour autant, concilier ReAT et aménagement du territoire représente un enjeu, car la réforme ne doit pas s'effectuer au détriment de ce dernier. Je ne sais pas quelle est la meilleure réponse à apporter, je sais seulement qu'il ne faut pas donner le sentiment que nous privons les territoires de la présence de l'Etat. Des députés de la majorité avec lesquels j'ai déjeuné hier me l'ont rappelé avec force.

Le un sur deux au niveau local, ensuite. Il n'y a pas d'impact direct sur la ReAT, mais les préfets de région doivent maîtriser la gestion des ressources humaines. L'on ne peut pas dire que l'on touche l'os car la France reste administrée. Au demeurant, les effectifs de l'administration décentralisée ont augmenté de 440 000 personnes entre 1998 et 2008, dont 120 000 en raison des transferts de compétence. Le nombre d'agents publics s'est maintenu au même niveau et il n'y a pas eu régression de la présence publique dans le pays. Il faut le souligner, sans entrer ici dans le débat sur la nécessaire participation des collectivités publiques à la maîtrise des comptes publics.

Non, on ne mesure pas de désaffection pour la fonction publique de l'Etat. Le nombre de candidats au concours de l'ENA est passé de 1 352 en 2009 à 1 493 en 2010 ; en 2009, les IRA ont attiré 3 860 candidats, soit 500 de plus qu'en 2008. Même succès pour les classes préparatoires intégrées qui préparent à vingt écoles et où sur 15 élèves qui ont préparé le concours de l'ENA, un a été admissible.

Les organisations syndicales ont été associées à la réforme de l'administration territoriale de l'État au niveau ministériel, via les comités techniques, et au niveau interministériel, via le Conseil de modernisation des politiques publiques et des groupes de travail thématiques animés par la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Nous avons tenu compte de leurs remarques ; de même que, plus en amont, le Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique de Jean-Ludovic Silicani s'est nourri du dialogue avec elles.

Mme Christiane Demontès . - Avez-vous mesuré l'impact financier du recul de l'âge légal de départ à la retraite des fonctionnaires, au moins à moyen terme ?

Mme Catherine Deroche . - Les gains obtenus grâce au non remplacement d'un départ à la retraite sur deux profitent aux fonctionnaires, nous avez-vous expliqué. Ce n'est pas le sentiment des organisations syndicales qui évoquent une charge de travail toujours plus lourde ! Le succès de la réforme, me semble-t-il, passe par une simplification des normes. Le thème est à la mode : on parle beaucoup de réduire les normes pesant sur les entreprises et les collectivités territoriales.

M. Michel Bécot . - Les enseignants se tournent souvent vers nous ; ils ne comprennent pas pourquoi ils sont chargés de cours dans un établissement situés à 50 km du collège où ils effectuent un mi-temps quand une place était libre plus près... Pourquoi envoyer les enseignants aux quatre coins de la France sans prendre en compte leur situation familiale ? Ne faut-il pas envisager une déconcentration de ces nominations ?

En outre, nous avons besoin de généralistes de l'administration dans nos départements et régions. L'installation de ces généralistes dans des « maisons d'État » serait vraiment un « plus » pour nos concitoyens. Qu'en pensez-vous ?

M. Georges Tron, secrétaire d'État . - Madame Demontès, je n'ai pas les éléments pour évaluer l'impact de la réforme. Je veux néanmoins préciser que le recul de l'âge de départ en retraite -très progressif, puisque la progression est limitée à quatre mois par an- ne fait qu'accélérer un mouvement déjà observé dans nos collectivités ; de plus en plus d'agents, pour des raisons de pouvoir d'achat, demandaient à partir plus tard.

Madame Deroche, je partage totalement votre point de vue : une simplification drastique s'impose. D'ailleurs, le Président de la République a demandé un gel des normes des collectivités territoriales à la fin de l'an dernier. Le chantier est déjà bien engagé avec la proposition de loi Warsmann, auquel le Président de la République a confié une nouvelle mission sur la simplification des normes pesant sur les entreprises. Moins il y aura de paperasserie, plus il sera facile de faire passer le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. En revanche, je suis plus dubitatif sur l'appréciation des organisations syndicales. Les gains de productivité sont une réalité. Certes, tout n'est pas rose. Identifions les failles et faisons acte de contrition plutôt que de verser dans l'autojustification, disais-je déjà lorsque j'étais parlementaire. Prenons le système d'information financière Chorus et le système d'information sur l'immobilier de l'État Chorux RE-FX, ils ne sont pas à la hauteur. La mise en place de contrôles interne et externe est utile, rôle que joue d'ailleurs excellemment la Cour des comptes. Pour autant, ne feignons pas d'ignorer les évolutions technologiques qui diminuent le besoin d'administration territoriale. Pour m'en tenir à quelques exemples, les agriculteurs étaient 30 % à télécharger leur dossier de subvention pour les aides européennes en 2009 ; ils sont désormais 40 %. Aujourd'hui, un tiers des foyers fiscaux téléchargent leur déclaration de revenus en 2010 ; nous avons bon espoir qu'ils soient 40 % dans les trois années à venir.

Monsieur Bécot, la déconcentration des nominations est une piste tout à fait intéressante vers laquelle nous pouvons progresser avec les bourses d'emploi. En revanche, les organisations syndicales y sont résolument hostiles, dans ce secteur comme dans les autres. Effectivement, nous avons besoin de généralistes. D'où notre idée de revisiter 350 concours avant la fin de la mandature pour constituer un véritable corps interministériel. La fusion des corps est, au reste, une demande récurrente des agents. Cela suppose d'assouplir encore le principe de mobilité, après les premiers pas effectués en ce sens dans la loi de 2009, entre les trois fonctions publiques et à l'intérieur de chacune d'entre elles. La loi sur la résorption de la précarité qu'examinera prochainement le Parlement sera l'occasion d'innover. Le transfert des compétences aux collectivités territoriales, le besoin d'une présence de l'État dans les territoires ruraux rendent absolument nécessaires une formation et une compétence partagées. A titre personnel, je suis favorable à une mobilité obligatoire entre les deux fonctions publiques, voire les trois, à partir d'un seuil de responsabilité. De fait, un fonctionnaire de l'administration territoriale de l'État peut-il être efficient sans avoir connu de l'intérieur une collectivité territoriale ?

Mercredi 9 mars 2011

M. Raphaël Bartolt,
directeur de l'agence nationale
des titres sécurisés (ANTS)

____

M. François Patriat , président . - En préambule à cette audition, je rappelle que notre mission d'information vise à évaluer l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales et le service rendu à l'usager. Son périmètre est large puisqu'il renvoie aussi bien à l'éducation nationale qu'à la défense, à la justice, à l'intérieur... L'objectif poursuivi par cette politique est clairement chiffré : il s'agit de réaliser 7 milliards d'économies selon le Gouvernement. Mais comment cette politique se décline-t-elle au niveau local ? A-t-elle fait l'objet d'une concertation ? Quels sont ses résultats à ce jour ? Autant de questions auxquelles il nous appartient de répondre.

M. Raphaël Bartolt, directeur de l'agence nationale des titres sécurisés (ANTS) . - L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) a été créée en février 2007, à la suite d'un rapport d'audit de réforme de l'Etat. Son objectif est de prévoir et d'accompagner l'entrée en vigueur d'une nouvelle génération de titres d'identité, dits « titres biométriques ». Ces titres répondent en effet à une exigence de sécurité accrue depuis les événements du 11 septembre 2001 et correspondent à la voie tracée par le règlement européen du 13 décembre 2004. Au niveau européen, il convient de s'assurer de la cohérence des normes et des processus mis en oeuvre, dans un souci d'interopérabilité. Ainsi, en France, le programme INES a-t-il été mis en place dès 2005 dans la perspective notamment du passage au passeport biométrique et à la carte nationale d'identité électronique.

L'entrée en application du nouveau passeport a induit une évolution des relations entre l'Etat et les mairies dans le domaine de la délivrance des titres. L'ANTS a également mené la mise en place du titre de séjour européen et travaille aujourd'hui à la carte nationale d'identité électronique, qui devrait être instaurée par un texte législatif probablement prochainement inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Ce projet de carte nationale d'identité électronique constitue véritablement le « vaisseau amiral » de la politique conduite depuis plusieurs années en matière de titres d'identité. Cette nouvelle carte comprendra deux puces : l'une comportera les informations répondant aux exigences régaliennes de l'Etat, l'autre permettra d'avoir recours à la signature électronique lors de procédures dématérialisées sur Internet. Ce nouveau moyen d'authentification des personnes permettra de développer très fortement la e-administration, avec un très bon niveau de sécurité. Elle facilitera également la promotion du e-business, avec un gain économique chiffré par un rapport de l'AFNOR en janvier 2009 à 3,6 milliards d'euros.

Il faut d'ailleurs souligner que, dans ce domaine, la France est en retard par rapport à certains pays voisins, tels que la Belgique ou l'Allemagne. Ces nouvelles modalités d'identification et d'authentification des personnes donnent d'ailleurs lieu à une vraie bataille industrielle entre de grands opérateurs privés. A cet égard, la France a la chance de pouvoir compter sur quelques-uns des leaders mondiaux de la carte à puce : Gemalto, Safran, Oberthur, Thalès.

Je rappelle également que les plateaux techniques de l'ANTS sont situés à Charleville-Mézières.

Deux nouveaux projets sont en cours d'étude au sein de l'agence : la dématérialisation des titres d'état civil dans les mairies et le développement de cartes permettant l'authentification des agents dans les ministères.

M. François Patriat , président . - En quoi cette réforme a-t-elle impacté les collectivités territoriales ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Votre présentation démontre clairement que les projets menés dans le cadre de l'ANTS répondent à une démarche initiée au niveau européen, voire mondial. Mais la RGPP est-elle déterminée par la conduite de cette politique européenne ?

Concernant le passeport biométrique, les communes accueillant des stations d'enregistrement ont-elles été choisies sur la base du volontariat ? De quelle nature a été la concertation avec les mairies ? Les photographes ont-ils eux aussi été consultés ? Enfin, le niveau d'indemnisation des communes permet-il de couvrir les charges supplémentaires induites par la délivrance du passeport biométrique en mairie ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous faire le point sur la situation actuelle du nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV), dont les débuts ont été plutôt laborieux ?

Pour finir, en matière de délivrance des titres, le service est-il désormais mieux rendu ? Quels sont les résultats obtenus, notamment s'agissant des délais ?

M. Raphaël Bartolt. - La RGPP est à l'origine d'une réforme organisationnelle profonde. Par exemple, dans le domaine du passeport, 2 091 communes délivrent désormais ce document, 3 600 stations ont été installées et 212 consulats à l'étranger sont aussi concernés. Au total, le principe d'une chaîne télématique s'est substitué à celui du dossier papier.

Du point de vue de l'usager, on a procédé à une véritable déterritorialisation de la délivrance des titres. Ainsi, par exemple, la carte grise peut-elle être désormais demandée aussi bien en préfecture que chez les garagistes agréés par le trésorier payeur général. Beaucoup d'échanges papier ont disparu. Dans le domaine des véhicules neufs, 7 % seulement des achats donnent lieu à une démarche en préfecture. Pour les véhicules d'occasion, cette proportion se monte toutefois à 70 %.

En janvier 2011, le délai de délivrance de la carte grise était de 2,5 jours, le titre étant remis par La Poste après vérification d'identité. Pour le passeport, ce délai était de sept jours, alors qu'une étude de la revue « Que choisir ? » l'avait estimé entre deux et huit semaines en 2009.

Les projets conduits par l'ANTS visent à accroître le « confort » des Français et à permettre la réalisation du plus grand nombre possible de procédures depuis le domicile de l'usager. Nous testons par exemple actuellement, notamment à Lyon et à Marseille, un dossier CERFA « dynamique » pouvant être pré-rempli au domicile, l'usager ne se déplaçant en mairie que pour procéder à la prise d'empreintes. De même, 20 % des timbres fiscaux nécessaires à la délivrance d'un titre de séjour sont désormais payés par voie dématérialisée.

Les efforts de l'ANTS ont visé à limiter les coûts de maintenance pour ces divers projets et à traiter les appels (des usagers, des mairies, des préfectures...) en mettant en place un « système qualité » exigeant. Nous travaillons également à l'uniformisation des cartes de reconnaissance pour les agents des collectivités territoriales, notamment dans les mairies. Un récent rapport du député Etienne Blanc sur la dématérialisation de la chaîne pénale a fortement recommandé la mise en oeuvre de ces processus.

Concernant la concertation avec les mairies, celle-ci a été demandée par la circulaire du 7 mai 2008. De plus, cinq séances ont eu lieu au ministère de l'intérieur. La dernière s'est tenue le 3 mai 2006, en présence notamment de l'Association des maires de France (AMF).

Une dotation annuelle de compensation a été accordée aux mairies accueillant des stations d'enregistrement pour couvrir leurs frais. Initialement fixée à 3 000 euros, cette dotation a été augmentée grâce à un amendement de votre collègue Michèle André. Elle se monte actuellement à 5 030 euros. Par ailleurs, un forfait visant à couvrir les frais d'installation des stations a été versé aux communes pour un montant de 4 000 euros. Il a été procédé à une évaluation de ce dispositif d'indemnisation : établi en concertation avec l'AMF, le rapport O'Mahony a présenté les conclusions de cette étude en février 2010. Il conviendra certainement de revenir sur le montant d'indemnisation des communes, à l'occasion du passage à la carte nationale d'identité électronique.

La circulaire du 7 mai 2008 définit des critères de choix clairs des communes, avec le souci d'une concertation la plus étroite possible. Au début, certaines communes ne voulaient pas entrer dans le système. Mais, à l'exception d'Angoulême, elles ont finalement toutes donné leur accord.

Avec la carte nationale d'identité électronique, on va encore un peu plus mutualiser les tâches.

En outre, la fraude au passeport a diminué des deux-tiers avec le passage au passeport biométrique. Le risque se porte désormais en amont de la procédure de délivrance. C'est pourquoi nous travaillons sur la dématérialisation du certificat de naissance, en concertation avec l'AMF et avec l'avis favorable rendu par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) en septembre 2009. La phase d'expérimentation va prochainement démarrer et le maire n'aura plus qu'à vérifier le document envoyé.

Les photographes professionnels ont fait l'objet d'une démarche de concertation, à laquelle ils ont souhaité mettre un terme. La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, prévoit que tous les titres d'identité devront avoir une photo réalisée par un professionnel, sauf si la mairie a déjà installé un dispositif de prise de photographies. Dans ce dernier cas, un décret fixera le délai à l'issue duquel ce dispositif devra être retiré. Par ailleurs, un travail avait été initié au niveau de l'ANTS pour permettre la mise en ligne des photographies, dans un souci de simplification et d'efficacité.

Les débuts du SIV ont certes été laborieux, mais essentiellement dans les préfectures et pas chez les garagistes (sauf dans le cas d'un « concentrateur » particulier). Ce système est entré en vigueur à partir du 15 avril 2009. En préfecture, les difficultés ont résulté de coupures de réseau. A partir de décembre 2009/janvier 2010, les problèmes ont été largement résolus, grâce notamment à un travail de fond sur l'ergonomie du formulaire à remplir par l'agent. Le système a évolué et sa dernière version en date sortira d'ailleurs le 20 mars 2011. Au total, je rappelle qu'il a été procédé, avec le nouveau SIV, à 17,2 millions d'immatriculations (soit 42 % du parc de véhicules) et qu'il a été délivré 4,5 millions de passeports (y compris les 250 000 passeports réalisés à la demande des consulats). Les professionnels de l'automobile sont très satisfaits du SIV.

M. François Patriat , président . - Non, pas ceux que je rencontre ! En plus, c'est un service payant et les préfectures ont des problèmes pour délivrer les cartes grises du fait d'une insuffisance des personnels.

M. Jean-Luc Fichet . - En termes de confidentialité et de traçabilité, quelles sont les limites d'usage des cartes à puce ?

Le service de délivrance des cartes grises est gratuit en préfecture, mais les délais y sont plus longs et les erreurs multiples. De leur côté, les garagistes intègrent désormais automatiquement le prix de ce service dans le montant global de leurs prestations. A terme, les services directs de la préfecture vont disparaître et être pris en charge par des acteurs privés !

M. Pierre-Yves Collombat . - Vous nous indiquez un gain évalué à 3,6 milliards d'euros grâce au développement de la signature électronique et des cartes d'authentification. Mais qui réalisera ce gain ? Dans le domaine bancaire, par exemple, on constate une explosion du coût des services. Et puis, n'y-a-t-il pas des transferts de charges ?

Vous nous dites aussi que l'usager peut désormais aller partout faire sa demande pour un passeport. Mais, en réalité, il peut juste aller dans l'une des 2 000 communes ayant une station ! Avant, l'usager pouvait aller retirer son document d'identité dans sa mairie, y compris dans les petites communes.

Enfin, quels sont les risques de piratage de vos systèmes informatiques ? N'y-a-t-il pas un problème de sécurité, malgré toutes les précautions prises ?

M. Raphaël Bartolt . - La durée de vie d'une puce est actuellement d'environ 18 ans et les titres d'identité sont conçus pour une durée de 10 ans.

En matière de sécurité, nous travaillons sur l'environnement des systèmes informatiques, notamment en amont.

S'agissant de la gratuité des services, il faut rappeler que l'usager ne paie plus pour le « WW », ni pour les deux plaques de l'ancien système d'immatriculation. On observe, chez les garagistes, une dispersion des prix pratiqués pour les dossiers de cartes grises : à partir de 50 euros et plus... Concernant l'achat de véhicules d'occasion, les préfectures resteront encore longtemps au centre du dispositif d'immatriculation.

A propos de l'indemnisation des communes, celle-ci ne vise à couvrir que les opérations liées aux demandes d'usagers « extérieurs » à la commune. Le maire traitait déjà, en effet, les dossiers de passeport et de carte nationale d'identité pour les résidents de sa commune.

M. Pierre-Yves Collombat . - Il faut en finir avec cette hypocrisie : la délivrance des titres représente bien une charge supplémentaire pour les mairies, quel que soit le lieu de résidence du demandeur !

M. Raphaël Bartolt . - Les rapports de l'inspection générale de l'administration et de la Cour des comptes ont permis une évaluation du dispositif d'indemnisation des communes dans le cas du passeport. Pour la délivrance de ce titre, le « temps machine » passé à enregistrer la demande s'élève à neuf minutes et dix-sept secondes, tandis que le temps consacré à la remise de ce titre est de une minute et cinquante sept secondes. La Cour des comptes, pour sa part, a estimé le temps global passé sur chaque dossier à vingt-deux minutes. L'indemnisation des communes a été calculée sur la base du nombre de demandeurs « extérieurs » à la commune.

Dans une enquête portant sur l'année 2008, le CREDOC avait estimé à 210 000 le nombre de cas d'usurpation d'identité. Ce chiffre est important, mais les documents munis d'une puce sont beaucoup plus difficiles à frauder.

Les risques de piratage sont majeurs, mais nous sommes très vigilants. Nous avons notamment mis en place un dispositif anti-intrusion très « pointu ». Les cartes d'authentification des agents publics permettent, en outre, de retracer la provenance de certaines attaques.

M. François Patriat , président . - Monsieur le directeur, je vous remercie pour cet éclairage très technique des dossiers que conduit l'ANTS dans le cadre de la RGPP.

M. Yvon Ollivier,
préfet honoraire

____

M. François Patriat , président . - Monsieur le Préfet, votre grande connaissance de l'Etat, des territoires et des administrations, à travers les différentes fonctions que vous avez exercées, m'amène à vous poser plusieurs questions : quels sont les axes à suivre pour la réforme de l'Etat, comment l'articuler efficacement avec la réforme des collectivités territoriales, comment jugez-vous aujourd'hui la RGPP ?

M. Yvon Ollivier, préfet honoraire . - J'ai participé à la RGPP en tant que responsable d'un groupe d'audit au ministère de l'intérieur en 2007 et 2008. Je suis parti ensuite à la retraite et me suis éloigné de la mise en oeuvre de la RGPP. Je suis donc un observateur extérieur manquant d'informations. Cela expliquera la prudence de certains de mes propos.

La réforme de l'Etat aujourd'hui a besoin de réflexion sur ce que sont les missions de l'Etat. Nous n'avons pas encore assez réfléchi à ce qu'elles doivent être au XXIème siècle : Etat stratège, Etat régulateur, Etat correcteur des inégalités, Etat prestataire ... La part relative de ces différentes missions doit évoluer et je crains qu'on ne se soit pas toujours donné assez de temps pour cette réflexion.

La réforme de l'Etat doit se faire en tenant compte de la réforme des collectivités territoriales et des progrès de la décentralisation. Au moment du lancement de la RGPP, le problème se posait encore de la bonne distribution des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales : la réponse est évidemment politique. Nous restons encore dans un tel flou et un tel mixage des compétences entre collectivités territoriales ainsi qu'entre collectivités et Etat que forcément se pose un problème de lisibilité pour le citoyen qui ne sait plus qui fait quoi. La RGPP, c'est comment améliorer la performance de l'action publique avec le minimum de moyens budgétaires. Je crains que nous ne soyons pas encore au terme de la clarification des compétences alors qu'un des principes de base de la décentralisation est leur répartition claire entre l'Etat et les collectivités territoriales. L'Etat lui-même connaît quelques problèmes à abandonner des compétences qui ont pourtant été décentralisées. C'était un des constats de départ de la RGPP. Les effectifs de l'Etat ont continué à croître tandis que les effectifs des collectivités territoriales ont, parallèlement, enflé au fur et à mesure des transferts de compétences. La RGPP s'inscrit dans une optique budgétaire.

M. Dominique de Legge , rapporteur. - Deux logiques se sont télescopées : la logique du Comité Balladur qui privilégie la région et celle de la réforme des collectivités territoriales qui met en avant les communes et les départements. Dans le même temps, la réforme de l'Etat s'est surtout appuyée sur l'échelon régional : le département n'est plus le lieu de la réflexion de l'Etat mais celui de l'exécution.

Le préfet de la région Bretagne a attiré mon attention sur le fait que de plus en plus on lui demande de coordonner les services de l'Etat dans une logique horizontale alors que la réalité des moyens humains et financiers dont il dispose reste dans une logique très centralisée, ministère par ministère.

Quel est votre sentiment et les voies d'amélioration sur ce point ?

M. Yvon Ollivier . - Je suis en phase avec la direction prise : le niveau pertinent de l'administration territoriale de l'Etat est plutôt celui de la région car c'est celui notamment de la problématique de l'aménagement du territoire ; que l'Etat s'allège au niveau du département pour se concentrer à la région est dans la logique de la décentralisation. L'Etat doit accepter de réduire sa présence sur le territoire. Au vu des comparaisons internationales, la France reste un pays très administré (car nous avons une double administration -Etat et collectivités territoriales- avec des chevauchements entre elles). Cela correspond peut-être à notre culture nationale et à la demande de l'opinion publique. L'évolution va dans le sens de la logique régionale : comme préfet, je l'ai vécu : je pense notamment aux contrats de plan. Il faut une concentration des moyens. En ce qui concerne les travaux du comité Balladur, on a assisté à une offensive régionale et à une forte résistance départementale.

J'ai le sentiment que depuis longtemps nous sommes obsédés en France par une vision un peu trop uniforme de l'administration territoriale. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays qui distinguent les zones rurales et faiblement urbanisées des zones fortement urbanisées en ayant deux types de structures : la structure ordinaire de type province et celle des villes-province, dans laquelle la ville prend les compétences de la province. Ne sommes-nous pas dans cette situation en France dans un certain nombre de départements ? C'est déjà le cas à Paris, commune et département. Mais prenons les exemples de Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux... Ce sont des collectivités importantes, y compris dans des secteurs normalement de compétence départementale comme l'action sociale et les établissements scolaires qui pourraient être de la compétence de l'agglomération. Les derniers textes ont prévu des dispositifs de délégation. Je suis favorable à une évolution de ce genre. Il ne me semble pas qu'une structure agglomérée qui parfois dépasse les limites du département, doit être gérée absolument comme la Corrèze où le département a un rôle important : il joue le rôle de conseil et de support des collectivités de base. Ce rôle de conseil n'existe plus dans les départements très urbanisés. De façon expérimentale, cette piste pourrait être exploitée mais cette distinction se heurte à la tradition française dans laquelle la réalité départementale est très fortement ancrée. Elle est plus visible, pour les Français, que le niveau régional.

L'intercommunalité a une vertu extraordinaire. Les gouvernements ont dû renoncer aux fusions communales qui sont pratiquées dans certains pays démocratiques comme la Suède. L'intercommunalité progresse et présente l'avantage de concilier le regroupement des petites communes sur des compétences qu'elles ne peuvent pas exercer comme l'urbanisme, les transports, tout en maintenant ce lien social des petites communes avec la présence de milliers de quasi-bénévoles dont je souligne le travail formidable.

M. François Patriat , président . - La méthode de la RGPP est-elle bonne ? Simplicité, économie, efficacité. La RGPP a-t-elle répondu à ces objectifs ?

M. Pierre-Yves Collombat . - On se fait beaucoup d'illusions sur les collectivités locales étrangères. Je pense à la situation d'endettement des communes allemandes. On y trouve aussi la complexité territoriale.

On a assisté à la montée en puissance de la région alors que la réforme des collectivités territoriales a privilégié le département.

Pourriez-vous nous expliquer la logique de la réorganisation des services de l'Etat entre ce qui est du niveau régional et ce qui est du niveau départemental ? Quel est finalement le rôle du préfet de département ? Je suis bien conscient qu'il faut tenir compte de la décentralisation mais j'ai l'impression que pour l'Etat maintenant il s'agit de faire payer aux collectivités territoriales des charges qui, avant, relevaient de l'Etat.

L'Etat doit-il s'occuper des seules fonctions régaliennes en imposant des normes et des contrôles ?... Avant les élus avaient affaire à des fonctionnaires d'Etat qui disposaient des moyens de leur expertise. Ils étaient appréciés des petites collectivités. A l'équipement, les agents sont là pour nous aider à agir... Aujourd'hui cela se double d'un contrôle plus tatillon qu'auparavant.

M. Yvon Ollivier . - L'approche de la RGPP était nécessaire. Elle a été bien accueillie par le corps préfectoral et la haute administration. Avec ses indicateurs de performance, la RGPP est la suite logique de la LOLF, surtout à un moment où la pression européenne s'exerce plus fortement pour le respect des critères de Maastricht.

Je suis d'accord, Monsieur le Sénateur, pour ne pas trouver seulement de bonnes solutions à l'étranger mais, quand même, ces exemples sont à regarder comme les bonnes expériences étrangères par rapport auxquelles nous sommes en retard.

Il y a ce dilemme entre la nécessité d'aller vite pour obtenir des résultats et la nécessité d'agir de façon concertée : la RGPP n'a pas vraiment été un modèle de concertation sociale ni de concertation avec les élus car tout est allé vite. Un exemple : au ministère de l'intérieur, le chantier a démarré en plein été, les premières recommandations sont tombées en octobre et le rapport définitif au mois de mars suivant. Or, il a fallu procéder à des travaux techniques d'ampleur. La concertation a varié selon les sujets. Elle a été étroite entre l'équipe RGPP et le ministère. Ainsi on s'est trouvé face à un processus de décision très rapide et ensuite face à un processus de mise en oeuvre très rapide également. Je songe à la mise en oeuvre de la réforme des titres délivrés par le ministère de l'intérieur, très importante pour dégager des gains de productivité. Mais en la menant très rapidement, on a pris le risque que les suppressions de poste résultant du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite interviennent avant la réalisation des gains de productivité.

J'en viens à l'articulation des responsabilités du préfet de région et de celles du préfet de département, l'insuffisance des moyens de l'Etat au niveau local que vous évoquez : il était normal de concentrer la représentation de l'Etat au niveau régional car l'Etat conserve des compétences fortes en matière d'aménagement du territoire et de développement économique et c'est à ce niveau que l'interface avec le monde économique et les collectivités locales doit s'exercer. Le rôle du préfet de département reste essentiel en matière de sécurité et de gestion de crise qui est très sensible dans notre société. Il reste celui qui veille à l'application de la loi sur le terrain qu'il administre et à la régulation en matière d'urbanisme ou sanitaire. Je ne suis pas sûr que l'Etat sur ce point se soit organisé de façon efficace.

Nous avons eu un débat au comité de suivi sur un allègement sensible du contrôle de légalité. Il existait des tenants de la suppression du contrôle de légalité. Il a été décidé de le maintenir en réduisant de moitié sa portée, en ne conservant que les actes les plus porteurs d'enjeux, l'urbanisme et les marchés publics. Je ne suis pas sûr que l'Etat était bien armé dans le passé pour assurer le contrôle de légalité, il fallait que le contrôle préfectoral s'appuie sur le TPG en matière de contrôle budgétaire, de marchés publics, sur l'équipement pour les permis de construire ... Les clivages verticaux dans l'administration ont été atténués au fil des réformes mais la dernière qui met les directeurs des services déconcentrés sous l'autorité du préfet devrait permettre une meilleure appréhension du contrôle de légalité et du conseil aux collectivités locales, une plus grande efficacité par une plus grande intégration des équipes qui, avant, étaient dispersées.

La décentralisation consiste à être responsable de ce qu'on fait et à le faire soi-même sans l'Etat comme garant. Les experts de l'Etat peuvent parfois avoir tendance à se substituer aux responsables locaux dans le souci de bien faire.

Je suis partisan de la prise de responsabilités par les collectivités locales. Les intercommunalités y participent en se dotant de services comptables, juridiques, qu'on allait auparavant chercher du côté de l'Etat.

Dans le cadre de la RGPP au ministère de l'intérieur, on s'est interrogé sur la justification du maintien des sous-préfectures auquel certains n'étaient pas favorables. Pour notre équipe, il fallait les conserver comme relais de l'Etat de proximité. Dans certaines sous-préfectures, vont rester le sous-préfet, son chauffeur et sa cuisinière, puisque l'essentiel des missions soit a disparu, soit a été transféré à la préfecture. Il va donc falloir aménager le rôle des sous-préfets. Les intercommunalités pourraient jouer le rôle des sous-préfectures vis-à-vis des collectivités de base. Le gouvernement ne nous a pas suivis dans l'opportunité de se passer d'un certain nombre de sous-préfectures.

M. François Patriat , président . - Je reviens sur un point qui ici peut faire consensus. Je songe aux propos de notre collègue Gérard Miquel : la décentralisation implique, pour les collectivités locales, de prendre pleinement leurs responsabilités et de se doter des services compétents comme l'ingénierie pour les routes. Le problème c'est le sentiment que les collectivités locales ont des difficultés à obtenir des réponses sur les autres missions : c'est le problème de l'éloignement des DREAL, c'est celui de l'élaboration des PPRI (mon préfet, aujourd'hui, n'a pas les moyens suffisants pour les établir rapidement). Deuxième question : c'est l'impact sur les collectivités locales de la réforme des différentes cartes : certaines communes sont dans une situation dramatique.

M. Yvon Ollivier . - Il est vrai, aujourd'hui, qu'il y a des tâtonnements dans les préfectures dans la mise en place de la RéATE. Le point d'équilibre est-il trouvé entre la nécessité de faire rapidement et l'engrangement des gains de productivité ? Je suis mal placé pour y répondre mais il me semble que l'impact de la nouvelle organisation territoriale s'effectuera plus facilement dans deux ou trois ans. La RéATE a été mise en place au début de l'année 2010. Quand on voit le temps d'apprentissage pour beaucoup de réformes, c'est un temps très court et des ajustements devront être réalisés pour trouver les bons circuits de décision.

Il y a, par ailleurs, une question structurelle en France : d'un côté, on a suivi le modèle anglo-saxon de la gestion de performance à travers des budgets de programme et la création de responsabilités verticales -le modèle, dans beaucoup de pays, a été de transformer les administrations centrales en agences autonomes-. Nous sommes allés beaucoup moins loin que les Anglais, les Suédois ou les Canadiens dans ce domaine. Mais à travers la LOLF, un responsable de programme de service public est investi d'objectifs chiffrés et doit rendre des comptes au Parlement.

Nous avons, parallèlement à ce modèle, la prétention d'avoir une cohérence de la présence de l'Etat au niveau régional et départemental grâce au système préfectoral. C'est donc une forme de contradiction : comment concilier la logique verticale de la LOLF et la logique horizontale de la RéATE ? Des techniques ont été mises en place pour introduire le préfet de région et le trésorier payeur général de région dans les programmes de la LOLF mais ce n'est pas évident car les deux logiques sont opposées. C'est un défi de les concilier sur le terrain, cela peut se traduire par des frottements.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie Monsieur le Préfet.

Mercredi 23 mars 2011

M. Jacques Pélissard,
président de l'association des maires de France (AMF)

____

M. François Patriat , président . - Notre mission a entendu les représentants des petites villes, des villes moyennes. L'audition du président de l'AMF est l'une des plus importantes à nos yeux. Nous souhaitons avoir votre avis, Monsieur le président, et celui de l'AMF, sur l'impact de la RGPP pour les collectivités locales.

M. Jacques Pélissard, président de l'association des maires de France (AMF) . - La RGPP est une politique d'Etat sur laquelle nous ne portons pas de jugement d'opportunité. Mais elle a bien sûr des conséquences sur les collectivités territoriales. Il n'y a pas eu grande concertation en amont. Cette réorganisation de l'administration territoriale d'Etat a été mise en oeuvre par les préfets. Au niveau des départements, ils ont -bien-- informé les parlementaires, les maires des villes les plus importantes, les conseils généraux, mais il ne s'agissait que d'information.

Il n'est pas anormal que l'Etat veuille ajuster son organisation en fonction des évolutions démographiques ou techniques : trop longtemps la France est demeurée passive, conservant des structures du passé. La volonté des gouvernements successifs de s'adapter à un monde en mutation doit être saluée. Mais une concertation en amont aurait été souhaitable. Nous sommes en train d'obtenir du gouvernement la réactivation de la Conférence nationale des exécutifs, CNE, qui était un forum où de très nombreux participants s'exprimaient, chacun à son tour, mais sans véritable dialogue. La nouvelle formule sera plus resserrée, plus dense, avec trois représentants de l'Association des régions de France, trois de l'Assemblée des départements de France et trois de l'AMF. Des réunions plus thématiques se tiendront aussi avec les ministères compétents. Il s'agira d'une instance de concertation, non de négociation à proprement parler car le mot n'a pas été prononcé, mais d'échange sur les attentes et les préoccupations respectives. La CNE aura un rôle à jouer en amont du processus législatif et réglementaire. Ce matin, nous avons tenu une réunion avec les autres associations d'élus locaux, afin d'organiser nos positions.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les collectivités n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer en amont, vous l'avez rappelé. Certains maires, certains présidents d'Epci, s'inquiètent du désengagement de l'Etat et du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, qui les obligent à recruter du personnel. Dans mon département, j'ai interrogé les 350 maires : leur première difficulté tient à la moindre présence de l'Etat pour les assister dans la maîtrise d'ouvrage. On observe du reste une confusion entre les conséquences de la réglementation européenne sur la concurrence et les conséquences de la moindre présence de l'Etat. Quel est votre sentiment sur cet aspect ?

Le président de la République a récemment prôné la polyvalence des services de l'Etat, singulièrement en milieu rural. Qu'en pensez-vous ? Enfin, quel est le sentiment des maires sur la gestion des passeports biométriques et la réforme présentée initialement comme une mesure de simplification ?

M. Jacques Pélissard . - La réaction n'est pas la même dans les grosses villes comme Dijon et les villes moyennes, pour lesquelles la RGPP, modifiant les effectifs dans les préfectures et sous-préfectures, a des incidences notables. Dans ma ville, la forte réduction du nombre des fonctionnaires a eu un impact sur l'activité... Et dans les zones rurales, l'ingénierie publique, assurée naguère par les directions départementales de l'équipement (DDE) ou de l'agriculture (DDA), a purement et simplement disparu ! Or ces administrations fournissaient une assistance efficace et fiable. Les conséquences sont financières. Certains départements ont créé une agence départementale au service de toutes les communes ; des bureaux d'études intercommunaux ont été mis en place. Dans mon intercommunalité, qui compte 33.000 habitants, nous avons ainsi mutualisé un bureau, mais avec un coût supplémentaire. L'Etat allège son dispositif sur le terrain : tant mieux pour les finances publiques d'Etat ; mais les finances publiques locales supportent un poids nouveau.

L'AMF est depuis longtemps l'avocat de la polyvalence. En zone rurale, elle conditionne l'équité de répartition des services publics ; mais l'émiettement, la parcellisation des services publics ne sont pas souhaitables et la réponse se trouve donc dans le regroupement et la mutualisation des services. En avril 2005, nous avons conclu un accord avec La Poste. Lorsqu'un bureau utile quelques heures par semaine est accueilli dans une mairie qui n'est pas surchargée non plus, tout le monde, le maire, les usagers, La Poste, est satisfait. Un nouveau contrat tripartite vient d'être signé avec La Poste et la dotation du fonds de péréquation postale a augmenté, 170 millions d'euros par an désormais. Les mairies deviennent des maisons de services publics et la qualité des services s'améliore.

Sur les passeports biométriques, nous nous sommes battus... avec le concours efficace du Sénat ! Les 3.000 euros proposés initialement par machine ont été portés à 5.000 ; et l'arriéré a été pris en compte dans le cadre d'une forfaitisation -95 millions d'euros ont été débloqués pour apurer la situation. Aujourd'hui, plus de 2.500 communes sont dotées d'une station biométrique. L'inspection générale de l'administration, l'inspection générale des finances et l'AMF ont conduit ensemble une expertise pour évaluer les coûts réels, dans 2.074 communes volontaires. La dotation globale doit être de 8.830.0000 euros, soit 7,25 euros par titre -l'IGA parvenait, elle, à un coût de 7,13 euros mais elle ne prend pas en considération les congés maladie ni les RTT, qui imposent de compter 1,5 agent par station. Et si l'équilibre est presque atteint sur les passeports, lorsque s'y ajouteront les cartes nationales d'identité, le niveau actuel de compensation ne sera plus viable. J'ai donc demandé au secrétaire général du ministère une évaluation du surcoût à venir.

M. François Patriat , président . - Avez-vous recensé les communes touchées par la transformation des cartes militaire, judiciaire, sanitaire, scolaire ?

M. Jacques Pélissard . - Non, nous ne l'avons pas fait. Nous nous sommes beaucoup mobilisés lors de la révision de la carte militaire car les conséquences étaient dramatiques pour les petites communes qui voyaient leur régiment s'en aller. Nous avons maintenu une pression forte afin qu'elles bénéficient de compensations. Nous avons peu agi, en revanche, lors de la révision des cartes judiciaire et hospitalière. Nous avons transmis les attentes globales des communes, maintien de l'offre de soins etc. La globalisation de l'offre est une réponse si l'on maintient la présence hospitalière sur l'ensemble du territoire.

M. François Patriat , président . - La RGPP appliquée aux cartes militaire, scolaire, judiciaire, a été mal vécue par certaines communes. A-t-elle eu des contre-effets positifs ? Comment ont été traités les problèmes des collectivités, des commerces locaux ?

M. Jacques Pélissard . - A la demande de l'AMF, des compensations ont été accordées : possibilité pour les communes de racheter à prix préférentiel des emprises foncières délaissées, mesures financières d'accompagnement. Aujourd'hui, nous n'avons plus guère de remontées sur ces questions.

M. Éric Doligé . - Existe-t-il des services de l'Etat où la réduction des effectifs atteint un seuil critique, induisant désormais des problèmes majeurs ? Lors des regroupements d'administrations en une seule unité, un service a-t-il pris le pas sur les autres, la direction régionale de l'environnement (Diren), DDE ou autre ? Enfin, les nouvelles directions ainsi créées n'ont-elles pas tendance à faire du contrôle plutôt que du conseil ?

M. Jacques Pélissard . - Oui, elles tendent plutôt à contrôler qu'à conseiller. Quant à la pondération au sein des nouvelles directions, tout dépend des hommes. Lorsque le pilotage est assuré par l'ancienne DDA, l'orientation est agricole et rurale ; lorsque c'est la DDE, les questions de logement ou d'urbanisme sont privilégiées. Il n'y a pas encore d'approche uniforme.

M. Jean-Luc Fichet . - Nous sommes en queue de peloton européen pour l'encadrement dans les écoles primaires : la diminution des postes continue pourtant ! Les communes vont bientôt se révolter, je crois, car les classes sont surchargées et l'on a transféré aux collectivités les jardins d'éveil et la sécurité. Si un pépin se produit un jour, à qui faudra-t-il en imputer la responsabilité ? Des écoles ferment : les communes perdent leur avenir. De plus en plus nombreux, les hôpitaux locaux sont devenus centres hospitaliers. Certains ont été fermés. Aujourd'hui on prône les communautés hospitalières de territoire : elles auraient un intérêt si elles entraînaient une mutualisation réelle mais il n'en est pas ainsi. Comme pour la RGPP, la mise en place a été brutale. Dans le Finistère, le directeur d'un hôpital a été informé qu'il devenait sous-directeur de la structure d'à côté ; le conseil de surveillance n'avait même pas été averti, les procédures n'ont pas été respectées. Nous avons été conviés à des réunions de réorganisation hospitalière -menée à marche forcée... Dans certaines spécialités, les praticiens sont rares mais deux misères ne font pas une richesse. En gériatrie, par exemple, les manques sont énormes. Partagez-vous le sentiment que la machine est lancée et que les dépenses à consentir localement sont considérables pour gérer les conséquences dans les territoires touchés ?

M. Jacques Pélissard . - Dans le secteur scolaire, on a atteint un point bas, avec à nouveau 16.000 suppressions de postes cette année. On ne peut plus raisonnablement, à partir de ce niveau, poursuivre la réduction des effectifs. L'AMF sera hostile à toute nouvelle suppression, après celle de 2011. Quant aux maternités, on ne peut aujourd'hui, pour des raisons de démographie médicale et d'impératifs de santé publique, maintenir un morcellement des lieux de soins. Chez moi, en 1989, bien avant que ne soit inventée la RGPP, coexistaient une maternité qui effectuait 200 accouchements par an, une autre à Champagney à quelques dizaines de kilomètres -200 accouchements également- et une clinique privée, 1.200 accouchements par an. Les trois établissements ont été réunis à l'hôpital public de Lons-le-Saulnier, mais les consultations avancées et la préparation à l'accouchement ont été maintenues sur les anciens sites.

On manque aujourd'hui d'IRM, de scanners, d'équipements de médecine nucléaire : ils coûtent cher et l'on ne peut en doter tous les établissements. Du reste, on ne possède pas les compétences dans tous les établissements... En outre, les médecins doivent se côtoyer pour traiter plus efficacement le patient. Les regroupements dans une communauté hospitalière de territoire, dotée d'équipes mobiles, me paraissent intéressants. J'ajoute que le temps de communication -envoi, par exemple, des radioscopies effectuées sur un patient- a beaucoup diminué grâce à internet. Aujourd'hui, on peut regrouper les médecins et maintenir une présence territoriale et une bonne desserte des populations.

M. Jean-Luc Fichet . - Certes, on ne peut maintenir un plateau technique dans chaque commune. Mais la gériatrie par exemple exige une prise en charge de proximité ; or, avec la création de ces pôles, les hôpitaux locaux ne peuvent plus survivre. Ils ne sont pas, pourtant, des établissements coûteux. Les regroupements de médecins dans un seul pôle, pourquoi pas, mais je ne vois pas comment on créera des équipes itinérantes, car les praticiens seront déjà débordés de travail au sein du pôle ! Localement, on ne trouve pas de spécialistes et les médecins ne sont pas remplacés quand ils partent en vacances. On a alors recours à des entreprises d'intérim et les médecins qu'elles envoient sont payés 1.100 euros par jour !

Les populations finiront par migrer pour se rapprocher des centres de prise en charge. Pendant ce temps, on dit aux maires : si vous voulez maintenir une offre de santé sur vos territoires, libres à vous de créer des pôles de santé.

M. Jacques Pélissard . - Mais chaque fois qu'un plateau technique est supprimé, il est remplacé par un pôle gériatrique, installé au plus près des lieux où les personnes accueillies ont passé leur vie. On n'a pas besoin, dans ces centres, d'une réactivité médicale rapide, les patients peuvent être transférés vers le pôle hospitalier en cas de nécessité.

Les « mercenaires médicaux », en particulier dans certaines spécialités, anesthésie par exemple, sont payés des sommes considérables. Ils sont très mobiles, et l'un d'eux à qui je proposais une sédentarisation dans l'hôpital de ma ville m'a ri au nez car les rémunérations n'ont rien à voir avec ce qu'ils perçoivent en se déplaçant et les fidéliser est par conséquent impossible.

M. Michel Bécot . - Nous avons auditionné de nombreuses personnalités : plusieurs ont évoqué l'idée de généralistes de l'administration dans des maisons d'Etat. On n'a pas besoin de disposer partout de toutes les spécialités ; un généraliste doté des moyens de communication modernes peut répondre à bien des sollicitations.

M. Jacques Pélissard . - On a besoin d'une administration compétente. Je ne reviens pas sur l'ingénierie, je l'ai déjà évoquée. Mais je souhaite le maintien des services des finances publiques, direction générale des impôts, direction du Trésor, direction des finances publiques, la fusion ne nous posant pas de problème si les services rendus aux maires sont de bonne qualité. Les maires ont besoin d'aide dans la construction de leurs budgets. Le trésorier principal n'était pas toujours « au top ». Je préfère un responsable hautement compétent, qui se déplace, à un maillage trop serré mais sans compétences pointues. La nouvelle organisation n'a pas suscité de dysfonctionnements, je n'ai enregistré aucune remontée à ce sujet.

M. François Patriat , président . - Longtemps, les maires ont souhaité recevoir une assistance en matière budgétaire ou d'ingénierie. Et ils en ont toujours besoin : une commune de 30 ou de 80 habitants ne peut se doter des compétences correspondantes ! Et pourtant, sur bien des sujets, les réponses aux questions se font attendre longtemps car le préfet ne dispose pas des moyens humains suffisants. Les départements ont été maintenus au fil des lois votées. Mais l'Etat a choisi de régionaliser ses services. Dans les communes des départements les plus éloignés du chef-lieu de région, on attend, on attend...

M. Jacques Pélissard . - La gestion de proximité et le conseil sont des points importants. C'est pourquoi il me semble essentiel de maintenir un bon maillage de sous-préfectures. Le sous-préfet est le bon interlocuteur des communes concernant les actions de l'Etat ; et il lui revient de faire remonter les besoins. Les intercommunalités aussi jouent un rôle de plus en plus important. L'instruction des documents d'urbanisme, des permis de construire, relève de la compétence communautaire, même si le maire conserve la signature. La gestion de proximité va gagner en puissance.

M. François Patriat , président . - Les sous-préfectures comptent généralement deux agents, le sous-préfet et sa secrétaire...

M. Jacques Pélissard . - Les préfectures et sous-préfectures vont être impactées directement par la diminution des effectifs. Mais pour retrouver sa compétitivité, notre pays doit veiller à une meilleure efficacité de la dépense publique.

M. François Patriat , président . - L'Etat doit se réformer, certes. La décentralisation a également changé la répartition des tâches et provoqué une remise en cause de certains blocs de compétences. Mais le Médiateur M. Delevoye hier a brillamment souligné la souffrance de nos concitoyens face au manque non seulement de services publics mais de biens publics. L'analyse de M. Delevoye rejoignait parfaitement un ressenti que nous connaissons bien.

Dans la région que je préside, l'Etat nous a demandé de mettre aux normes les lycées, salles de classes, laboratoires, matériel. Et cette année il annonce : « on ferme la filière » ! Nous allons tout faire pour réutiliser ces équipements au profit des jeunes et de l'apprentissage, mais quel manque de coordination, quel dysfonctionnement ! On ne gère pas un territoire avec un esprit notarial... Dés lors nous nous posons la question : faut-il investir dans le lycée agricole de Château-Chinon ? Ne va-t-on pas le fermer ?

M. Jacques Pélissard . - Les communes vivent cela aussi. Elles rénovent l'école, la cantine, et elles apprennent que l'établissement est menacé. Nous avions, dans un document signé en 2006 avec le ministre concerné, obtenu -arraché, devrais-je dire- un délai de deux ans, en cas d'investissement accompagné par l'Etat, avant toute décision de modification du nombre de postes. Ce n'est pas suffisant.

Soit on choisit une organisation beaucoup plus verticale, secteur par secteur, en modifiant la répartition actuelle des compétences ; soit on opte pour une concertation fine, à valeur prescriptive pour le moyen terme et non seulement le court terme. La CNE représente me semble-t-il la première pierre dans la voie de la concertation, pour éviter à l'avenir les situations que vous évoquez. Dans mon département, l'Etat a imposé des équipements, laboratoires, paillasses, lors de la création d'une filière de gestion des déchets. Ils n'ont jamais servi...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - En matière de permis de construire, il y a une contradiction : l'Etat menait l'instruction des permis de construire, il s'occupe aujourd'hui de contrôle de légalité. Il faut clarifier les choses... Que pensez-vous de l'orientation vers un contrôle de légalité focalisé sur les actes les plus importants ? Quelles en sont les conséquences au quotidien sur nos délibérations ?

M. Jacques Pélissard . - Les contrôles semblent moins nombreux mais le plus souvent pointilleux -et pas toujours intelligents... Avec les réformes de 1982, 1994, 2010, on est passé d'un Etat qui s'occupait de tout et contrôlait tout à des pouvoirs locaux pour l'instant mal articulés avec les moyens financiers locaux. La question des compétences et du financement de ces compétences est encore en chantier ! Votre mission amorce un cheminement essentiel pour notre communauté nationale.

M. Daniel Canepa,
préfet de paris, préfet de la région Île-de-France,
président de l'association du corps préfectoral
et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur,
de l'outre-mer, des collectivités territoriales
et de l'immigration

____

M. François Patriat , président . - Monsieur Canepa, en tant que préfet de région et président de l'association du corps préfectoral, pouvez-vous faire le point sur la première phase de la RGPP ? A-t-elle été menée en concertation avec les collectivités ? Ce n'est pas le sentiment du président de l'association des maires de France que nous venons d'auditionner... Les objectifs, notamment financiers, ont-ils été remplis ? Comment envisager la deuxième phase de cette réforme ?

M. Daniel Canepa, préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France, président de l'association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration . - Je remercie le Sénat d'avoir invité le président de l'Association du corps préfectoral. Sa liberté de ton sera plus grande que celle du préfet de région...

Contrairement à une idée reçue, la réforme de l'administration territoriale de l'État, engagée depuis 2007, ne constitue pas une rupture. Les expérimentations menées depuis 2004 poursuivaient des buts proches, sinon identiques. Premier objectif de cette réforme, améliorer la lisibilité de l'administration territoriale de l'État et, donc, la cohérence de son action. La multiplication des services avait des effets pervers ; sur un même dossier, chacun y allait de sa vision, ce qui jetait le trouble... Dès 2004, on a expérimenté la fusion des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et directions régionales de l'environnement (DIREN), des directions départementales de l'équipement (DDE) et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et, enfin, le rapprochement des services de l'emploi et des trésoriers-payeurs généraux, notamment, à Lille. Cette dernière expérience n'a pas abouti ; toutefois, peut-être a-t-elle eu le mérite d'inspirer le rapprochement des finances et de l'emploi dans le Gouvernement de 2007... Les résultats sont-ils au rendez-vous ? Sans aucun doute, puisque six directions seulement, en sus des rectorats et des agences régionales de santé, siègent désormais à la table du « conseil d'administration » de l'État.

Deuxième objectif, le renforcement de l'échelon régional dans la continuité des efforts régulièrement poursuivis depuis les années 1970. Il s'est traduit par le décret de 2004, qui a accru le rôle du préfet de région dans la conduite des politiques publiques, et le décret de 2010 qui a fixé l'organisation territoriale de l'État et les relations entre préfets de région et de département. L'administration territoriale fonctionne, maintenant, selon deux logiques : au niveau régional, la déclinaison des politiques nationales par les services des différents ministères ; au niveau départemental, une démarche intégrée et interministérielle. En 2008 et 2009, les préfets de département ont craint un court-circuitage du niveau départemental par les élus. Une circulaire de 2010, qui a limité le droit d'évocation du préfet de région aux questions générales et de principe, a apaisé ces craintes.

Troisième objectif, l'adaptation de l'organisation de l'administration territoriale de l'État aux besoins des territoires et aux demandes des populations. Cette recherche, intéressante, constitue une rupture avec notre droit administratif : assurer une égalité d'objectifs, et non plus une égalité de moyens. Ces efforts restent modestes, en raison de la volonté de certaines administrations centrales de maintenir une organisation identique en tout point et en tout lieu. Pour autant, l'organisation territoriale tient désormais compte de certains critères : l'importance démographique du département détermine le nombre de ses directions interministérielles -deux pour les moins peuplés, trois pour les autres- ; les facteurs géographiques, avec la création d'une direction départementale des territoires et de la mer pour les départements littoraux ; des difficultés spécifiques à certains territoires, avec la mise en place d'une direction régionale de l'hébergement et du logement en Île-de-France. L'Association du corps préfectoral souhaite avancer sur ce chemin. Dans l'ensemble, la réforme de l'administration territoriale de l'État est plutôt un succès : une meilleure coordination, une meilleure lisibilité, bien que les sigles restent incompréhensibles -un travers bien français !-, une meilleure adaptation de l'organisation aux territoires.

Au-delà de la réorganisation des services de l'État, l'essentiel est, pour moi, de passer d'une administration de guichet et d'exécution à une administration de conseil, d'orientation et de matière grise en nous appuyant sur les nouvelles ressources technologiques comme l'ont fait les réseaux bancaires il y a vingt ans... Ne faut-il pas en faire un des objectifs de la deuxième étape de la réforme ? Prenons deux exemples de nature différente : la modernisation de la fabrication des passeports et des cartes nationales d'identité de même que la possibilité ouverte à des tiers, qui agissent comme collaborateurs du service public, de faire établir les cartes grises, ont permis de rapprocher le service du consommateur tout en réalisant des économies aussitôt réinvesties ; la création d'une plate-forme pour le contrôle de légalité afin de répondre à la difficulté grandissante des questions posées. Si l'on veut réussir dans cette voie, il faut investir dans la formation des personnels B et C pour leur confier d'autres tâches et leur faire gravir des échelons. C'est la seule manière d'avoir suffisamment de matière grise pour répondre aux demandes des administrés.

M. François Patriat , président . - Passer d'une administration de guichet à une administration de matière grise ; voilà une bonne formule ! En attendant, lorsque j'appelle la préfecture en fin d'après-midi ou en soirée, j'entends : « tapez 1, puis 2, puis étoile... ». Il me faut au moins cinq minutes pour arriver à parler à quelqu'un... Autre exemple, ma petite commune a notifié sa décision de réviser le PLU début janvier. Hier matin, j'ai contacté ma préfète pour me renseigner sur l'avancement de ce dossier : la secrétaire générale m'a répondu que l'instruction débutera en avril, faute de moyens... Les administrés devront attendre !

M. Daniel Canepa . - Lorsque les organisations syndicales s'inquiètent de la diminution des effectifs et des moyens, je leur réponds qu'elle n'est pas liée à la réforme ; de toute façon, les effectifs auraient été réduits. Certes, il eût été plus facile de mener la réforme à moyens constants, de ne pas manger son blé en herbe en évitant d'utiliser les économies avant même de les avoir réalisées... La réduction des effectifs est-elle trop rapide ? Je serais tenté de répondre oui. En tant que président de l'Association du corps préfectoral, je note que l'administration territoriale de l'État, au sein du ministère de l'intérieur, subit une très forte diminution d'effectifs, compte tenu du faible nombre de ses agents : 30 000 agents contre, par exemple, 200 000 policiers. Et, à cause des contraintes budgétaires de plus en plus fortes, nous ne sommes pas en mesure de faire appel à des compétences extérieures ou de recruter pour mener à bien des actions rapides et immédiates. En bref, dans les préfectures et les sous-préfectures, il n'y a plus de « gras » ; le muscle est déjà atteint.

M. François Patriat , président . - Si ce n'est l'os !

M. Daniel Canepa . - La survie passe par la mutualisation. Pour exemple, les départements ont mutualisé le standard avant qu'il ne soit automatisé -ce qui a permis de réaliser des gains considérables sur les soirées et les nuits. Enfin, l'absence de révision des missions. Celles-ci progressent, les moyens diminuent. De quoi donner le grand frisson aux élus, mais surtout au corps préfectoral dont on connaît le sens du service public ! De nouvelles réductions d'effectifs dans les préfectures et sous-préfectures signifieraient que l'os est atteint. Je le dis clairement, avec l'Association, il faudra se poser la question de la carte préfectorale. Elle n'a pas évolué depuis 1926...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Réforme et réduction des effectifs ne sont pas liées, avez-vous dit. Pourtant, les ministres, lorsque nous les avons auditionnés, ont cité parmi les objectifs de la RGPP un service public de meilleure qualité et une productivité renforcée avec le non remplacement d'un départ sur deux à la retraite. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements supplémentaires ? La RGPP, qui renforce l'échelon régional, est inspirée du rapport Balladur. Or la réforme des collectivités territoriales n'a pas suivi cette voie, elle a plutôt réaffirmé l'importance des départements. Cela ne constitue-t-il pas une difficulté ? La mission des préfets de coordonner les services départementaux dans une logique horizontale ne se heurte-t-elle pas au maintien d'une organisation verticale ? De fait, les agents continuent de dépendre des ministères... La simplification du contrôle de légalité se traduit, nous a dit le président de l'association des maires de France, par des contrôles aléatoires et tatillons. Quid de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ? Le sujet préoccupe les maires... Enfin, pouvez-nous dire quelques mots de la RGPP en Île-de-France ?

M. Daniel Canepa . - La RGPP, facteur de productivité ? Oui, si l'on parle de la réforme de l'organisation territoriale. Rechercher davantage de productivité en améliorant la qualité du service rendu est une équation délicate à résoudre, mais un équilibre peut être trouvé. Les économies doivent être la conséquence d'une meilleure organisation -les mutualisations et les suppressions de services redondants-, et non le postulat.

Le non remplacement d'un départ sur deux à la retraite ? Les 30 000 agents de l'administration territoriale pèsent peu de poids par rapport aux autres bataillons de la fonction publique. Combien faudrait-il supprimer de postes ailleurs pour atteindre cet objectif ?

J'ai eu la chance et l'honneur de participer aux travaux du comité Balladur. Certes, il existe un décalage. Mais les communes ont la liberté de fixer leur organisation interne ; pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'État ? Le maintien d'une organisation verticale pose effectivement difficulté aux préfets de région. Les administrations centrales, si elles vivent mal la perte de tout ou partie de leurs compétences, doivent réaliser des économies sur les territoires pour atteindre leurs objectifs. Le système sophistiqué des budgets opérationnels de programme, introduit par la LOLF, permet une discussion entre préfet de région et administrations centrales. Il m'est arrivé d'émettre un avis négatif ; on en a tenu compte.

Sur la question des effectifs, je vous fournirai un argument supplémentaire : au sein des administrations, la répartition des effectifs entre le niveau territorial et central est-elle satisfaisante ? Pour des questions de lisibilité, on crée parfois des agences et des établissements publics. Leur applique-t-on l'objectif d'un départ en retraite sur deux non remplacé ? Non !

Quant au contrôle de légalité, il est ciblé, en fonction d'une stratégie définie en début d'année -par exemple, les marchés compris entre telle et telle somme, une catégorie de collectivités, un type de délégation de service public. Tatillon ? Sans doute, j'ai tendance à le penser aussi lorsque je suis contrôlé par la Cour des comptes ! Ensuite, l'administration est composée d'hommes et de femmes qui ont, chacun, leur particularité ; c'est sa richesse, mais aussi sa faiblesse...

J'en viens à l'assistance aux communes. La réduction du nombre de postes décourage les ingénieurs des ponts et chaussées, avions-nous indiqué, M. Folz et moi-même dans notre rapport, lesquels travaillent de plus en plus pour les collectivités. Un jour, ce seront peut-être les communes qui porteront assistance à l'État !

Sur la RGPP en Île-de-France, permettez-moi une confidence : je n'étais pas un fanatique des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, les DREAL. Je préconisais plutôt une fusion de la direction de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et de la DIREN et un maintien de la direction régionale de l'équipement. Le champ des DREAL me semble un peu excessif. Étant têtu, j'ai obtenu gain de cause en Île-de-France. Il y existe donc une direction régionale de l'équipement et de l'aménagement, qui intègre la direction des routes ; une direction régionale de l'hébergement et du logement et la réconciliation de l'environnement et de l'énergie au sein d'une même direction régionale. Autre spécificité, l'Île-de-France est une zone extrêmement urbanisée partageant des problèmes communs ; d'où des directions régionales interdépartementales, notamment pour les trois départements de la petite couronne. Enfin, dernière originalité : la préfecture de Paris intègre, en son sein et dans le même lieu physique depuis un mois, les unités territoriales de l'aménagement et de l'équipement et la direction de la cohésion sociale sous l'autorité du préfet sur le modèle de l'expérimentation conduite dans le Lot, soit l'intégration au sein d'un service unique comme dans les conseils généraux.

M. Charles Revet . - J'aurais aimé en savoir plus sur les agences, dont le nombre a cru et embelli ces dernières années. Depuis que l'État s'est recentré sur sa mission régalienne de contrôle, c'en est fini de la période faste où les services de l'État accompagnaient les communes dans la maîtrise d'ouvrage. Pour autant, contrôle et conseil sont-ils incompatibles ? N'est-ce pas dans l'intérêt de tous de diminuer les risques d'erreur ?

M. Jean-Luc Fichet . - En Bretagne, la situation est inquiétante. Quel est le devenir des sous-préfectures ?

M. Éric Doligé . - Le renforcement des pouvoirs des collectivités territoriales ne pose-t-il pas un problème psychologique aux agents des préfectures et sous-préfectures ?

Mme Valérie Létard . - L'objectif de la réforme de l'administration est de changer de culture, de passer d'une logique de guichet à une logique de conseil. L'assistance à la maîtrise d'ouvrage est donc au coeur du sujet. Les intercommunalités peuvent certes mutualiser les moyens, mais ce n'est pas toujours suffisant, vu la complexité des exigences auxquelles il faut nous conformer pour respecter la législation. L'État ne gagnerait-il pas à adopter une approche de coproduction et de conseil, plutôt que de se limiter à l'instruction et à la censure ? Une intervention de l'État en amont éviterait de perdre du temps, des financements, et limiterait les difficultés en aval !

M. Raymond Couderc . - Attention aux effets pervers. Si les sous-préfets sont toujours prêts à nous accompagner, les directions spécialisées, en revanche, s'empressent de juger impossibles tous nos projets... Ces fonctionnaires compenseraient-ils une perte de pouvoir par un contrôle excessivement strict ?

M. Daniel Canepa . - S'agissant de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, complexité signifie rareté des hommes, et donc nécessité de regrouper. Or les élus ont besoin de proximité ; c'est possible, avec un sous-préfet comme pilote et un droit de tirage sur la capacité en matière grise, regroupée au niveau régional.

Le sous-préfet doit être maître Jacques : il n'a pas tous les moyens à disposition, mais doit pouvoir les mobiliser ; les directions régionales doivent se plier à ses orientations.

Je pense avec vous que l'État doit jouer un rôle de coproduction et de conseil auprès des collectivités, et non seulement de censeur. Je m'efforce qu'il en soit ainsi. Il sera toutefois amené à rendre des décisions ou des avis emportant un jugement. Au préfet de piloter les directions régionales et interministérielles dans ce sens. Seule limite, les moyens...

L'Association du corps préfectoral estime qu'il faut ouvrir le dossier de la réorganisation des sous-préfectures. Sur ce point, nous sommes en décalage avec le ministère de l'Intérieur... Il faut dire que les villes vivent la perte de leur sous-préfecture comme une atteinte intolérable à leur standing ; lorsque j'avais suggéré que Boulogne et Montreuil-sur-mer se partagent un sous-préfet, les élus avaient demandé ma tête !

Je ne pense pas qu'il y ait des services en souffrance, mais il peut y avoir des agents en souffrance. Le rôle du management est aussi de redonner confiance et d'accompagner le changement. Celui-ci peut être douloureux, mais il n'y a pas de raison de laisser un agent continuer à faire ce qu'il fait depuis vingt ans si cela ne sert plus à rien !

M. François Patriat , président . - Merci de vos réponses.

M. Jean-Marc Rebière,
président du conseil supérieur
de l'administration territoriale de l'État (CSATE)

____

M. François Patriat , président . - Merci de venir nous entretenir de votre vision et de votre expérience en matière de réforme de l'État. Je ne vous poserai qu'une question : quel bilan le CSATE tire-t-il de la réforme des administrations territoriales ?

M. Jean-Marc Rebière, président du conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État (CSATE). - Le CSATE est un organisme peu connu. Créé par le décret du 29 novembre 2006, il a succédé au préfet en mission extraordinaire chargé de l'évaluation des préfets, instauré en 1999. Nous ne sommes pas un corps d'inspection : notre coeur de métier est l'évaluation des préfets et sous-préfets - cent à cent-vingt par an -, non des outils de l'administration.

Du fait de la diversification du recrutement du corps préfectoral, le CSATE, composé essentiellement de préfets, a également une fonction de tutorat, de transmission de pratiques et d'informations.

Enfin, nous rendons au ministre de l'Intérieur un avis confidentiel sur l'évaluation de la fonction de préfet à l'égalité des chances, créée à la suite des émeutes urbaines de 2005. Nous n'avons pas à nous prononcer sur les choix d'organisation, nationale ou territoriale, mais uniquement sur l'équation humaine. Le préfet ou le sous-préfet conduit-il la réforme en optimisant les compétences, en valorisant ses équipes ? Quid des nouveaux profils de représentants de l'État ?

La réforme des administrations territoriales est très récente ; changer des habitudes de travail prend du temps. Nous interrogeons les partenaires du préfet, ses collaborateurs. Les directeurs disent avoir perdu en autonomie mais gagné en intelligence : ils sont désormais de réels interlocuteurs du préfet, et comprennent mieux les enjeux. Bref, le resserrement quantitatif s'est traduit par plus de cohérence et de réactivité.

Nous interrogeons également les présidents de conseils généraux, les maires de grandes villes sur leurs relations avec le représentant de l'État. Pour que le préfet demeure leur interlocuteur privilégié, il lui faut de nouveaux savoir-faire. Cela suppose de changer de pratiques, d'aller chercher l'expertise, de construire un réseau d'influence pour faire entendre les attentes du territoire, de travailler en équipe autour du préfet de région... Le préfet a-t-il bien appréhendé le nouveau mode opératoire, pour garantir une réponse de l'État de qualité, et donc crédible ? À nous de mesurer sa capacité à évoluer, qualité dont le corps préfectoral a su faire preuve après la décentralisation.

Je ne porterai pas d'appréciation sur la réforme des administrations territoriales ; le CSATE délibère sur les dossiers d'évaluation individuels, pour donner au ministre un avis sur la capacité du corps préfectoral à évoluer. Les élus ont besoin d'une simplification du paysage institutionnel, de lisibilité, d'un État proche, accessible, qui les accompagne et les aide tout en garantissant le respect de la loi.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - J'ai compris que vous ne vous sentiez pas autorisé à nous donner votre avis sur la RGPP... Quels sont les critères d'évaluation du corps préfectoral ? Si le ministre de l'Intérieur attend de ses serviteurs qu'ils mettent en place la RGPP, sans doute a-t-il donné des instructions sur les méthodes de travail et défini des priorités ? La règle du non remplacement d'un départ sur deux entraîne une réduction des moyens, et donc un recentrage sur des priorités.

Sans trahir le secret du confessionnal, que pouvez-vous nous dire des difficultés que disent rencontrer les préfets, et de leurs attentes ?

Enfin, quel est le climat relationnel entre le préfet de région, qui coordonne, et les préfets de département, qui peuvent sembler relégués au statut de sous-préfet ?

M. Jean-Marc Rebière. - Notre évaluation est simple. Le préfet ou le sous-préfet a-t-il une aptitude à la pédagogie ? Sait-il faire comprendre la réforme et susciter l'adhésion ? Est-il capable de conduire un vrai dialogue social, de sorte que la volonté de l'État se traduise dans la réalité avec un minimum de tension ? Par exemple, le schéma immobilier n'est pas indifférent pour les agents : le préfet doit concilier la recherche d'économies et le maintien de conditions de travail satisfaisantes. Le dialogue social, avec notamment le nouveau comité technique paritaire interministériel, est un outil structurant de la réorganisation.

Outre la réduction des moyens touchant les fonctions de production de cartes d'identité et de passeports, le préfet doit préserver le niveau de compétence et d'expertise en matière de contrôle de légalité. Nous évaluons comment le préfet s'organise pour garantir un niveau de compétence pertinent.

Les préfets ne se confient guère à nous, car nous sommes dans un rapport d'évaluation.

M. François Patriat , président . - Ils ne distillent pas leurs souffrances ?

M. Jean-Marc Rebière. - Sans doute considèrent-ils qu'exprimer des doutes serait un signe de faiblesse...

S'ils s'interrogent, c'est sur leur faculté à trouver dans l'appareil de l'État les expertises pointues dont ils ont besoin, compte tenu de la complexité des sujets. Un préfet peut ainsi être amené à s'adresser au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). L'expertise est aussi une garantie, par exemple pour décider d'une hospitalisation d'office. Pour rester crédible, le représentant de l'État doit maintenir ce niveau d'expertise, au niveau régional ou zonal -ce dernier étant trop oublié alors que c'est l'échelon de gestion des crises. Les acteurs publics et les usagers ne doivent pas avoir à pâtir de la complexité de l'architecture institutionnelle ; au préfet de la décoder.

Nous évaluons les capacités de décision, notamment dans l'engagement des forces de l'ordre, épreuve à laquelle tout préfet est confronté. Nous fournissons au ministre des éléments d'appréciation pour valider le choix de représentants de l'État qui doivent être en première ligne, trouver le ton juste, apporter des réponses à la population. Management, rapport avec les médias : les compétences prises en compte ne sont pas que techniques. Le préfet doit instaurer un rapport de confiance avec les collectivités locales afin de conduire avec elles les politiques publiques, dans l'intérêt général. Bref, nous mesurons ce qui fait le charisme, la carrure, l'identité d'une personnalité.

M. Charles Revet . - À entendre les avis contraires émanant des différentes directions, on pouvait penser qu'il y avait plusieurs États dans un même département ! La logique voudrait que le préfet soit coordonnateur : est-ce la solution retenue ?

Par ailleurs, la multiplication des agences ne va-t-elle pas à l'encontre de la volonté d'offrir un guichet unique de l'État ?

M. Jean-Marc Rebière. - La RGPP vise précisément à résoudre ces problèmes. Il est vrai que les avis des différentes directions, sur la révision des documents d'urbanisme par exemple, n'étaient pas toujours cohérents... La direction départementale des territoires sera désormais tenue de faire la synthèse des points de vue. Elle n'englobe toutefois pas tout ; le préfet conserve toute sa légitimité pour assurer la coordination, y compris avec les agences. Par le décret de février 2010 et la circulaire du Premier Ministre, le préfet est le délégué de chaque agence, et leurs unités territoriales sont placées sous sa responsabilité.

M. Charles Revet . - Les agences de l'eau également ?

M. Jean-Marc Rebière. - Les agences de l'eau ont une part d'autonomie, surtout quand elles ont des ressources fiscales et que le périmètre de leur bassin diffère de celui de la région. La collégialité est toutefois de mise quand il s'agit d'arrêter la politique de l'eau. Il y a des cordes de rappel pour assurer la cohérence des différents démembrements de l'État, même s'il faudra sans doute du temps pour que les comportements s'adaptent. Les décisions d'extension des exploitations agricoles en Bretagne n'étaient pas en phase avec la stratégie défendue par la France à Bruxelles... Il s'agit avec la RGPP de donner plus de force et de cohérence aux politiques publiques portées par le Parlement.

M. François Patriat , président . - Il est désormais possible de retirer sa carte grise auprès du concessionnaire automobile, qui toutefois la facture. Faute de moyens, certains continuent donc de se rendre à la préfecture, où il faut faire la queue pendant des heures... L'agent de la préfecture, seul à son guichet, dit ne pouvoir faire face ; dans le même temps, un concessionnaire me demande d'intervenir auprès du préfet car il n'a pas reçu son lot de cartes de grises ! Les préfets vous disent-ils être à l'os, et ne pouvoir assumer leurs missions ?

M. Jean-Marc Rebière. - Préfet des Hauts-de-Seine, j'ai connu les files d'attente devant la préfecture dès le petit matin...

L'objectif est que les usagers aient un guichet unique. Pour l'acquéreur d'une automobile, c'est le garagiste. Nous sommes en phase de transition : 20 % des cartes grises sont encore émises dans les préfectures. Il est hors de question d'imposer aux concessionnaires de devenir chargés de mission de service public, surtout en zone rurale. Une opinion est un fait, disait Edgar Faure : certes, mais la réforme n'est pas encore aboutie. On cumule les inconvénients : les moyens ont baissé dans les préfectures, alors que les garagistes ne sont pas encore formés. Obtenir tous les éléments lors d'un même rendez-vous sera un indéniable progrès. Les garagistes sont ouverts le samedi ; pour retirer sa carte à la préfecture, il faut prendre une demi-journée de congé ! C'est un surcoût non négligeable. La véritable égalité républicaine sera que chacun ait accès à un service équivalent ! L'interlocuteur unique, voilà la modernité.

Mercredi 30 mars 2011

M. Vanik Berberian,
président de l'association des maires ruraux de France (AMRF)

____

M. François Patriat , président . - Nous sommes heureux de vous accueillir pour vous entendre nous livrer vos observations quant à l'impact de la RGPP sur les communes rurales.

M. Vanik Berberian , président de l'association des maires ruraux de France (AMRF) . - Puisque vous m'invitez à parler librement, je le ferai avec plaisir. Il est vrai que si la RGPP préoccupe, depuis plusieurs années déjà, l'ensemble des élus, le regard que portent sur elle les maires des communes rurales, qui vivent une situation très spécifique, peut apporter un éclairage nouveau.

L'idée de réformer les politiques publiques n'est pas en soi mauvaise. Rationaliser, simplifier, économiser pour mieux servir sont autant d'objectifs louables. Mais la méthode, qui détermine l'environnement psychologique, compte pour beaucoup. Elle peut conduire à l'échec. C'est ce que l'on a vu se passer avec la RGPP. Les élus ruraux l'ont vécue comme un mouvement de reflux de l'État, qui les laisse démunis face à la marée de normes qu'ils voient, dans le même temps, monter. D'où un sentiment d'abandon très palpable. Les maires de communes rurales ont de plus en plus de mal à assumer leur mandat, et cela déborde largement le seul domaine de l'ingénierie publique.

La méthode compte pour beaucoup, disais-je. Ainsi, clamer dans les medias que l'on ne remplacera pas un fonctionnaire sur deux partant à la retraite sans autre explication, sans distinguer la nature de ceux qui ne seront pas remplacés, sans avoir réfléchi à la manière dont les tâches seront par la suite assumées, c'est plonger les gens dans l'incertitude.

L'AMRF n'a pas été associée au processus. Des explications a minima nous ont été délivrées au cours d'une réunion avec le préfet, mais il n'y a eu aucune concertation. Et nous voici aujourd'hui avec ce sentiment de n'avoir plus d'interlocuteur face à nous : raréfaction générale des politiques publiques, c'est ainsi que beaucoup développent aujourd'hui le sigle de la RGPP.

M. François Patriat , président . - Pouvez-vous nous donner des exemples précis qui viendraient corroborer ce sentiment d'abandon ? Concerne-t-il les écoles, la gendarmerie... ?

M. Vanik Berberian. - L'ensemble des services publics. Je vous conterai une anecdote significative. J'ai dernièrement reçu une lettre de la part d'un cabinet d'analyse des eaux pour m'informer que j'aurai désormais à faire une fois par an une analyse des eaux chaudes dans les établissements accueillant du public. Il est tout de même significatif que ce soit un cabinet privé, et non pas les services de la préfecture, qui m'informe de l'existence d'une norme nouvelle... pour me proposer ses services !

Ecoles, gendarmerie, voirie : dans tous les domaines, on a de plus en plus de mal à trouver un interlocuteur compétent, voire un interlocuteur tout court. Lorsque j'interroge le sous-préfet sur un dossier, il me répond qu'il lui faudra du temps pour me répondre, tant s'est alourdie la charge de travail. Je suis maire depuis 1989. A cette époque, je voyais les gendarmes régulièrement : ils venaient à la mairie faire des photocopies. Aujourd'hui, je ne les vois plus, et ce n'est pas seulement parce qu'ils ont leur propre photocopieuse : ils ont été réorganisés en comités de brigade.

Il y a pire. L'État n'assume pas les engagements qu'il a pris auprès des communes. Je pourrais citer l'exemple des contrats éducatifs locaux, financés pour partie par le syndicat des écoles. En juillet, nous avons reçu une lettre de la direction de la jeunesse et des sports nous informant qu'elle ne pourrait pas nous servir les crédits annoncés au contrat, et qu'elle n'avait aucune certitude pour l'an prochain. Il ne nous reste plus qu'à financer le complément ou à réduire les activités.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Je suis maire d'une commune de 500 habitants et vis au quotidien les problèmes que vous évoquez. Pour revenir à la question de la maîtrise d'ouvrage, cependant, n'est-il pas difficile de faire la part entre désengagement de l'État et dispositions européennes relatives à la concurrence ? J'ai élaboré une enquête auprès des départements, parmi les sujets qui posent problème, l'assistance à la maîtrise d'ouvrage est systématiquement mentionnée. Le ministre me répond qu'il ne faut pas l'imputer à la RGPP, mais aux règles européennes, tout en m'assurant que l'État travaille à maintenir ses prestations. Il y a deux mois, le Président de la République, a avancé l'idée de la polyvalence des agents de l'État. Comment pourrait-elle, d'après vous, se concrétiser ?

M. Vanik Berberian. - Invoquer les règles de la concurrence est bien étrange. Pour qu'il y ait concurrence, il faut plusieurs offres. Or, le plus souvent, l'interlocuteur n'est plus là, et il n'y a personne pour tenir sa place.

Etre polyvalent, pourquoi pas, mais on ne peut s'improviser tel. C'est plutôt à un empilement que nous assistons. On retire des postes de fonctionnaires et ceux qui restent, même s'ils sont polyvalents, croulent sous les tâches. Promouvoir la mutualisation en réponse à la réduction des moyens est intellectuellement satisfaisant, mais dans les faits, ce n'est pas la mutualisation qui prévaut, c'est l'accumulation. Et les responsabilités se déplacent, du même coup, vers les pôles urbains d'échelon supérieur. Voilà à quoi l'on aboutit quand on mène la réforme sans y avoir réfléchi en amont : les décisions arrivent brutalement, les tâches se sédimentent et l'administration se sclérose. Envoyer des réponses sur les questions d'urbanisme par internet ? Très bien, mais quand elles arrivent deux jours avant la date butoir, les services n'ont pas le temps de traiter les dossiers...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - M. Miquel, qui ne pouvait être aujourd'hui parmi nous, estime que compte tenu de la décentralisation, il n'est pas incohérent d'envisager que l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ne soit plus assurée par l'État mais par les collectivités ou leurs groupements, sous réserve de compensation. Qu'en pensez-vous ?

M. Vanik Berberian. - La question du financement est primordiale, qu'il revient à l'État, responsable, d'assurer. Autre chose est la répartition des responsabilités de gestion. Je ne vois pas d'obstacle à la mettre entre les mains d'une communauté de communes ou d'un service départemental, pour autant qu'elle reste efficace. Car déplacer le traitement du dossier ne change rien au fond. Ce qui compte, c'est de simplifier le circuit et de donner les moyens de traiter les dossiers. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Pierre-Yves Collombat . - Quid cependant, dans ce cas de figure, du principe constitutionnel qui veut qu'une collectivité ne puisse exercer sa tutelle sur une autre ?

Quant à l'exigence d'information sur les changements de normes, j'ai bien compris votre parabole : apprendre qu'une règle nouvelle a été édictée d'un cabinet privé ou de la préfecture ne change rien au plan pratique, mais tout dans l'ordre symbolique.

M. Vanik Berberian. - Pour respecter le principe constitutionnel, il faut bien distinguer entre celui qui traite le dossier et celui qui détient la signature. Que l'instruction du dossier dépende de l'intercommunalité, fort bien, mais le maire doit garder la signature. On mutualise les moyens, mais pas l'autorité et les pouvoirs.

Il est vrai que la provenance de l'information ne change rien, mais qu'elle ne vienne plus des services préfectoraux renforce le sentiment de disparition de l'État. Est-ce aller dans le sens de l'histoire que d'aller vers un État virtuel ? Je n'en suis pas convaincu. Pour nous, la présence de l'État dans ses sous-préfectures est primordiale. Nous avons besoin d'interlocuteurs incarnés. L'éloignement des lieux de décision, vers le chef lieu de département, et un jour peut-être vers le chef lieu de région, nuit à la proximité sans être ni plus efficace, ni plus économe. Où est donc l'intérêt ?

M. Jean-Luc Fichet . - Evaluer les politiques publiques pour améliorer le service rendu aux administrés n'est pas incongru, nous avez-vous dit. La RGPP poursuit trois objectifs : améliorer la qualité du service public, réduire les dépenses publiques, moderniser la fonction publique. Avez-vous le sentiment que ces objectifs sont atteints ?

Une enquête menée par la C.F.D.T. cadres fait apparaître que 55 % d'entre eux ont le sentiment de bien faire leur travail, mais dans une situation de surcharge telle qu'ils risquent à tout moment la faute, et que 25 à 30 % se disent isolés, perdus tandis que d'autres se posent la question du sens, s'inquiétant de voir se dégrader à grande vitesse le souci de l'intérêt général et avec lui, la considération pour le service public.

M. Vanik Berberian. - Aucun de ces objectifs n'est atteint. Un tel chantier exigeait que l'on recherche le consensus. Personne n'aura jamais rien à redire aux objectifs, car qui pourrait être contre plus d'efficience ? Mais à user de la méthode violente, sans concertation, on passe à côté du sujet. La seule alternative, pour les communes rurales, c'est soit de faire les choses en douce, en prenant le risque de l'illégalité, soit de ne rien faire, au détriment de l'aménagement du territoire. Voilà pourquoi la RGPP est mal ressentie.

Mme Catherine Deroche . - Avez-vous interrogé vos adhérents ?

M. Vanik Berberian. - Oui, et il nous est revenu beaucoup d'exemples de dysfonctionnements, dans tous les domaines. Gendarmerie, éducation nationale, santé, selon les départements, c'est l'une ou l'autre rubrique de l'action publique qui est davantage mise en cause.

M. François Patriat , président . - Et le contrôle de légalité ?

M. Vanik Berberian. - On sait qu'il est désormais aléatoire, d'où un sentiment d'insécurité. Si certains, et ce n'est pas l'attitude la plus glorieuse, se réjouissent à l'idée de passer entre les gouttes, les autres regrettent que leur manque cette fonction, qui joue aussi comme force de conseil. Longtemps, les sous-préfectures ont incarné, pour les communes, la règle et la compétence. Aujourd'hui, l'un et l'autre versants sont perdus.

Mme Christiane Demontès . - Je ne suis pas maire de commune rurale mais de banlieue, et je me reconnais pourtant dans vos propos. Le regroupement qui s'opère aujourd'hui des services préfectoraux suscite, paradoxalement, des cloisonnements qui isolent les agents. Et c'est souvent le maire qui doit faire le lien. Avez-vous le même sentiment, en milieu rural ? Cela est parfaitement contraire à l'esprit qui devrait présider à toute modernisation visant un meilleur respect de la règle et un meilleur conseil. On assiste, en même temps qu'avance la RGPP, à un effritement de l'Etat.

M. Vanik Berberian. - Il est clair que nous avons bien des choses en commun. L'an dernier, à l'occasion d'une conférence de presse sur la réforme de la fiscalité des collectivités, j'ai pu constater que j'étais souvent sur la même longueur d'ondes que le président de l'Association des maires villes et banlieue. Les problématiques liées à la mobilité, à la santé, nous sont communes.

Il arrive, en effet, que le maire doive faire le travail. Quand il est expérimenté, il s'en sort, mais les nouveaux élus sont surpris et poussés, par le fait, à une forme d'inertie. On n'a pas réfléchi, en lançant cette réforme, à la simplification des procédures, ce qui laisse tout le monde dans l'incertitude. J'assistais hier à une réunion du conseil général de l'Indre qui cherche à instaurer ce que l'on appelle des circuits courts pour les cantines des écoles primaires. C'est un projet complexe à mettre en place. Beaucoup de questions se posent. Or, j'ai été affligé de constater que le chef de service du préfet se comportait, par le flou de ses réponses, comme un frein. « C'est compliqué », « il faudra que je me renseigne », « je ne sais pas si vous pouvez » : il n'était pas capable de donner la moindre précision ! Sur certains points, c'est le conseil général qui a dû l'informer. Par où l'on voit les limites de la polyvalence...

M. François Patriat , président . - Je vois bien ce dont il s'agit : une réappropriation de l'agriculture périurbaine, une nouvelle organisation au profit des écoles, des hôpitaux, bref, ce que l'on appelle les circuits courts. Si je comprends bien, vous manquez des ressources de savoir pour avancer en respectant les règles ?

M. Vanik Berberian. - Chacun s'efforce d'agir en apportant ses compétences. Nous avons associé les comités santé.

M. François Patriat , président . - Vous voulez créer une plate-forme ?

M. Vanik Berberian. - La chose est complexe, il faut coordonner les commandes organiser l'approvisionnement auprès des producteurs, la distribution. Sont engagées des règles relatives aux marchés publics, des règles sanitaires : cela est lourd à porter. Le moins que nous puissions attendre de l'administration, c'est qu'elle nous fournisse l'information réglementaire. Nous avons aussi besoin de savoir quelle entité juridique pourrait porter le projet.

M. François Patriat , président . - L'intercommunalité ?

M. Vanik Berberian. - Non, car le périmètre est plus large.

M. Raymond Couderc . - Vous avez évoqué cette réunion où l'administration n'avait pas les réponses, mais y en a-t-il eu d'autres ?

M. Vanik Berberian. - Cela fait trois ans que nous travaillons là-dessus. Ne pas avancer devient démotivant, à la longue !

M. Raymond Couderc . - Les DDE et les DDA, qui avaient l'habitude d'assurer la maîtrise d'ouvrage déléguée et souvent la maîtrise d'oeuvre, se recentrent sur le contrôle, parfois un peu tatillon, comme pour se consoler de n'avoir plus la direction des opérations.

M. Vanik Berberian. - Tout dépend du tempérament du fonctionnaire. Les plus anciens sont bien souvent désabusés. On leur impose un cadre auquel ils ne croient pas, qui ne répond pas aux idéaux qui les avait poussés dans la carrière. Ils sont, en esprit, entrés en résistance et continuent de donner un coup de main. Il en est d'autres, en revanche, qui se retranchent derrière les règles. On finit par tout faire pour se passer d'eux. J'ai ainsi eu un litige avec un fonctionnaire des bâtiments de France. Je me suis tourné vers l'architecte des bâtiments de France, qui a reconnu que ses exigences étaient un peu excessives et m'a donné raison non sans devoir se livrer à quelques contorsions, pour ne pas désavouer son chargé de mission.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Mais cela est sans rapport avec la RGPP.

M. François Patriat , président . - Avec les DIRECCTE, les DREAL, on souffre d'un sentiment d'éloignement. Il est difficile d'obtenir le bon conseil lorsque l'on est éloigné de la préfecture de région.

M. Vanik Berberian. - Voilà. La préfecture de la région centre est très lointaine. Le chef lieu de région est Orléans, alors que je suis plus proche de Limoges. Quand je dois aller à une réunion, cela signifie quatre heures de voyage aller-retour. D'où l'importance du relai départemental, proche du terrain.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Ce sentiment d'éloignement a-t-il émergé depuis la mise en oeuvre de la RGPP ou est-il plus ancien ?

M. Vanik Berberian. - Il existait déjà.

M. Raymond Couderc . - Toutes les régions comportent des zones géographiques à la marge. Dans la mienne, je pourrais citer Castelnaudary, plus proche de Toulouse que de Montpellier.

M. Vanik Berberian. - La région est là pour jouer un rôle de coordination, apporter une vision d'ensemble, assumer les compétences structurantes, mais il y faut des déclinaisons locales, de même qu'il faut savoir passer de la réflexion à l'action concrète. Des schémas de cohérence territoriale, d'accord, pour assurer l'harmonie des espaces, mais la mise en oeuvre, la gestion, c'est localement qu'elle se fait. Nous connaissons le terrain, nous sommes plus réactifs. Puisse ne pas se reproduire l'exemple malheureux de la réforme des perceptions, il y a quelques années. Dans mon département, c'est dans le journal que nous avions appris que deux d'entre elles allaient fermer. Quel défaut de psychologie ! Au Trésorier payeur général, chez lequel nous avions déboulé, nous avions alors fait valoir que nous n'étions pas hostiles à une rationalisation, mais qu'il serait bon, afin qu'elle n'ait pas d'incidence sur le fonctionnement des communes, que nous y soyons associés. Nous avions ainsi fait observer que rien n'obligeait à tout ramener vers le chef lieu. Il nous a répondu tout net que nous avions raison, et n'en a tenu aucun compte : au J.O. de fin d'année, neuf fermetures étaient inscrites. Tout cela a fini comme il fallait s'y attendre, en parpaings pour bloquer les portes, et tout le tremblement. Nous savons comprendre que des fermetures sont nécessaires, mais pas les erreurs de stratégie. Celle à laquelle nous nous sommes heurtés n'a su que suivre un couloir : les murs d'Argenton-sur-Creuse ne suffisent plus, donc il faut construire un nouvel hôtel. Et c'est ainsi que l'on a fermé Eguzon et Saint-Gaultier. Et la même chose se passe avec la SNCF. On supprime les arrêts secondaires, moyennant quoi il faut faire cent kilomètres pour aller prendre le train à Châteauroux.

M. François Patriat , président . - La région va rouvrir des lignes.

M. Vanik Berberian. - Encore faut-il que les trains s'arrêtent.

M. François Patriat , président . - Le cadencement fait son chemin.

M. Vanik Berberian. - Sa rythmique n'atteint pas Argenson. Il faut prendre la voiture.

Les turbo trains sont comme les turbo percepteurs : ils n'ont plus le temps. Je ne vous parle pas des TGV. Autrefois, le percepteur venait s'asseoir à la table pour faire avec vous le budget. Aujourd'hui, on vous dit qu'il peut vous consacrer une demi-heure pour regarder ce que vous avez préparé. Je renonce. La demi-heure, je préfère qu'il la consacre à un maire moins armé que moi.

M. François Patriat , président . - Si je résume sans trahir votre pensée, on peut, au bilan, regretter que la RGPP se soit faite sans concertation avec les maires. Ils n'ont trop souvent été informés qu'après coup des décisions prises. La méthode ne répond pas au besoin d'efficience et d'efficacité économique. J'aimerais connaître, à présent, le point de vue de vos administrés. Comment vivent-ils leur relation à la puissance publique ?

M. Vanik Berberian. - Les secrétaires de mairie vous le diraient mieux que moi : ils sont à la peine. Ce sont eux qui sont en première ligne pour débrouiller les problèmes.

M. François Patriat , président . - Quid des compétences obligatoires, état civil, cartes grises...

M. Vanik Berberian. - Tout passe par le secrétariat communal. Il faut bien comprendre que les gens ne distinguent pas entre compétences de l'Etat et compétences communales. Le secrétaire de mairie est leur premier interlocuteur.

M. François Patriat , président . - Le sentiment d'un chef d'entreprise qui a besoin des documents nécessaires à son implantation ?

M. Vanik Berberian. - Il doit s'armer de patience. Les interlocuteurs sont multiples, les délais, énormes.

M. François Patriat , président . - La RGPP les a-t-elle accrus ?

M. Vanik Berberian. - La RGPP les a accrus.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie. Et j'espère que nous vous aurons libéré à temps pour ne pas rater le train de Châteauroux.

MM. Daniel Delaveau, président,
et Christophe Bernard, secrétaire général,
de l'assemblée des communautés de France (AdCF)

____

M. François Patriat , président . - Nous auditionnons maintenant M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France (ACDF), ainsi que M. Christophe Bernard, secrétaire général. Messieurs, quel bilan faites-vous de la RGPP ?

M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France (AdCF). - Pour être vécue diversement dans les territoires, la RGPP fait l'objet de bien des critiques : les élus intercommunaux constatent un désengagement de l'Etat, en particulier pour l'expertise technique, et ils relient souvent ce qu'ils appellent une « déliquescence » des services extérieurs de l'Etat, à une réaffirmation du contrôle étatique, qui devient parfois tatillon. Je crois ne rien vous apprendre par ce constat, qui est aussi fait par le Médiateur de la République. Chacun convient que la modernisation de l'Etat est un défi à relever, mais l'approche seulement financière est trop réductrice pour tenir lieu de politique. Ce qu'il faut faire plutôt, c'est adapter l'administration territoriale aux évolutions de la société, objectif qui ne saurait se contenter du chas de l'approche comptable.

L'intercommunalité est bien souvent l'échelle pertinente de l'action territoriale, mais les institutions intercommunales sont trop souvent décriées au motif qu'elles exerceraient des compétences qui relèveraient de l'Etat lui-même, en le doublonnant, et l'inflation normative ajoute de la difficulté à la bonne administration territoriale. Je crois qu'il faut tirer davantage les conséquences de la décentralisation, en demandant à l'Etat de se focaliser sur ses missions régaliennes et en aidant les collectivités locales, en particulier les intercommunalités, à gérer leurs territoires.

M. François Patriat , président . - Vous dites qu'il y a des doublons, mais l'Etat, selon vous, assume-t-il correctement ses missions régaliennes ?

M. Daniel Delaveau. - Sur ses missions régaliennes mêmes, l'Etat a désormais besoin de ses partenaires territoriaux et il ne saurait leur imposer des décisions. Mais quand il n'assume pas entièrement ses compétences, les citoyens se retournent naturellement vers les collectivités locales, ce qui nous force à agir. On le voit par exemple en matière de droit d'asile : des collectivités mobilisent des logements d'urgence, alors que la compétence est entièrement entre les mains de l'Etat, qui ne le fait pas. De fait, les agents territoriaux de l'Etat déplorent eux-mêmes la déliquescence des services extérieurs de l'Etat, le constat est unanime.

M. Christophe Bernard, secrétaire général de l'AdCF. - La RGPP a directement visé les missions régaliennes de l'Etat -en supprimant des casernes, des palais de justice, des trésoreries-, avec des conséquences évidentes pour les territoires, elle a aussi diminué considérablement les moyens d'expertise de l'Etat, mais celui-ci paraît se faire plus tatillon dans le contrôle de règlements toujours plus nombreux, notamment dans le domaine de l'environnement. C'est cette disjonction que les élus intercommunaux critiquent.

M. Daniel Delaveau. - Nous constatons diverses formes de recentralisation, une volonté de l'Etat de contrôler davantage l'action publique à mesure qu'il diminue sa participation -c'est le cas avec « l'agencification », la multiplication d'agences nationales, par exemple l'ANRU, qui enjoignent aux collectivités d'agir dans telle ou telle direction, définie à l'échelle nationale, ou encore avec des appels à projets, qui font dépendre le soutien étatique de la poursuite de tel ou tel objectif défini sans tenir compte des contextes locaux. Nous avons le sentiment que moins l'Etat a de moyens, plus il paraît vouloir contrôler, tout en tâchant d'accréditer l'idée que les collectivités locales seraient dispendieuses et mal gérées.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous nous donnez votre impression, mais nous avons besoin de faits : avez-vous des éléments plus tangibles ? N'est-ce pas contradictoire, ensuite, de dire que l'Etat retire des moyens, et qu'il contrôle davantage ? La décentralisation implique un certain retrait de l'Etat, c'est légitime ; mais l'Etat exerce-t-il correctement ses missions régaliennes ? Considérez-vous que les EPCI aient vocation à remplacer l'Etat dans les missions d'accompagnement et d'assistance à maîtrise d'ouvrage ?

M. Daniel Delaveau. - Pour citer Gilles Deleuze, je dirais que personne n'est jamais mort de ses contradictions, et si je vous dis mon sentiment vis-à-vis de la RGPP, sachez qu'il ne tombe pas des nues et qu'il se fonde sur des réalités. Un exemple : dans un dossier de construction, un fonctionnaire a exigé que le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) contienne une étude du risque de crues non pas centenaires, comme le prévoient les textes, mais millénaires ! Cet exemple est caricatural, il n'en n'est pas moins bien réel et il démontre que l'Etat entre parfois en contradiction avec les règles qu'il édicte.

Les EPCI jouent déjà un rôle important et peuvent aller bien plus loin. On le voit dans les politiques du logement, où ils sont délégataires de l'aide à la pierre et où les agglomérations mettent souvent plus de moyens que l'Etat lui-même. A côté de cela, dans le cadre de la politique de la ville, on assiste à des réunions pléthoriques pour distribuer de maigres subventions à des associations locales : c'est là qu'on mesure l'effet de la RGPP ! Ne serait-il pas plus simple et plus efficace de déléguer ces subventions aux territoires, en exerçant un contrôle a posteriori ? Les outils contractuels existent, au service d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui passe par plus de confiance dans les administrations territoriales et par une meilleure reconnaissance du fait urbain, je songe en particulier à la métropole.

M. François Patriat , président . - Les intercommunalités ont-elles dû créer des services suite à un désengagement de l'Etat ?

M. Daniel Delaveau. - Oui, par exemple en matière d'urbanisme, où nos agences n'ont plus rien à envier aux services de l'Etat. C'est bien pourquoi je crois que la réforme territoriale doit s'appuyer sur des intercommunalités plus fortes, ou, selon les territoires, sur le département, qui peut devenir, comme le déclarait mon prédécesseur Marc Censi, « le Sénat des intercommunalités » et mutualiser bien des outils inaccessibles à chacune d'elles.

M. François Patriat , président . - Vous prônez le couple département-intercommunalités, comme nous prônons le couple Etat-régions...

M. Charles Revet . - Vous paraît-il possible que l'Etat, sans revenir aux missions de conseil et de maîtrise d'ouvrage telles qu'il les assumait il y a quinze ou vingt ans, puisse cependant aider les collectivités locales dans l'élaboration de leurs projets ? Ressentez-vous que les services extérieurs de l'Etat vont au-delà des exigences réglementaires, en particulier pour l'application du Grenelle ? S'agissant des marchés publics, que pensez-vous de l'idée de relever les seuils de déclenchement des appels d'offres, pour se rapprocher de ce que pratiquent nos voisins ? Ne pensez-vous pas que nous avons des progrès à faire sur la gestion même de certains de nos équipements publics ? Je pense à une piscine municipale sur mon territoire : elle est gérée par une association et nous nous en trouvons fort bien ! Enfin, n'y a-t-il pas une certaine redondance entre les départements, les communautés d'agglomération et les métropoles ?

M. Daniel Delaveau. - Je crois que l'Etat doit s'en tenir à exercer ses missions régaliennes et à contrôler la légalité de notre action.

M. Christophe Bernard. - La ligne de partage entre la pédagogie et la prescription est parfois ténue, de même que celle entre l'Etat concepteur et l'Etat accompagnateur.

M. Daniel Delaveau. - Ce qui gêne bien souvent les collectivités c'est l'enchevêtrement des procédures et des prescriptions sur un même dossier, qui fait perdre du temps et de l'efficacité. De fait, le délai de réalisation des projets s'est considérablement allongé.

M. François Patriat , président . - Par manque de moyens ?

M. Daniel Delaveau. - Je dirais plutôt par l'enchevêtrement des procédures.

Mme Valérie Létard . - Les collectivités ont souvent besoin d'une ingénierie à proximité, telle que l'Etat la leur apportait auparavant. Il s'agirait aujourd'hui, en quelque sorte, de coproduire les projets avec l'Etat, avec un conseil en amont, de telle sorte qu'on ne se heurte pas à une opposition qui apparaît en fin de parcours, par le contrôle, et qui nous oblige à revoir tout le dossier. Une telle procédure est-elle envisageable ?

M. Daniel Delaveau. - On parle de l'Etat au singulier, mais les difficultés concrètes tiennent à ce que l'Etat est pluriel : trop souvent, des services n'interprètent pas les règles de la même façon et nous devons recourir à l'arbitrage du préfet.

M. Gérard Bailly . - Mais qui est l'Etat, aujourd'hui ? Le ministre, le préfet, l'attaché de préfecture zélé ? Qui a exigé, dans le dossier que vous citez, qu'on tienne compte d'une crue millénaire ? Pour l'avenir, ne croyez-vous pas que la coordination de l'action revienne à la direction départementale des territoires ?

M. François Patriat , président . - Le Parlement vote la loi, l'administration applique la réglementation, constatez-vous des décalages territoriaux ?

M. Charles Revet . - J'ai décidé de construire une unité de dénitratation des eaux, rendue nécessaire par la réglementation. Mon appel d'offres est terminé depuis trois ans, mais nous commençons tout juste les travaux, ceci parce que nous avons rencontré à chaque étape de nouvelles obligations, dont nous n'avions pas été informés : nous avons besoin d'un mode d'emploi et nous perdrions moins de temps si l'on nous disait les choses en début de projet !

M. Daniel Delaveau. - La crue millénaire, c'était un service de l'Etat, et j'ai dû remonter au Préfet pour régler le problème.

L'Etat a-t-il les moyens de ses politiques ? Je crois que c'est le problème et qu'il est complexe puisqu'il inclut celui de la modernisation de l'action publique. Ce que nous constatons, c'est le dépit des fonctionnaires eux-mêmes, qui nous disent ne plus avoir suffisamment de moyens pour remplir leurs missions, ou encore leur frustration de ne plus être considérés pour leurs compétences.

M. Michel Bécot . - Vous nous parlez de déliquescence technique des services de l'Etat et d'une « recentralisation » via les agences nationales, les appels à projets ou la contractualisation. Cependant, dès lors que la décentralisation se met en place, comment vous donner plus de moyens pour développer vos propres services ?

M. Daniel Delaveau. - De fait, une mutation est en cours, où se définit une nouvelle action publique territoriale. Je crois beaucoup, pour y parvenir, à la contractualisation, dans son sens plein et entier, celui où le contrat rassemble deux partenaires qui respectent chacun les compétences et les responsabilités de l'autre. Les contrats de plan Etat-région ont montré la voie, celle d'un Etat stratège et animateur.

M. Michel Bécot . - Cependant, pour que cela fonctionne, il faut que l'Etat ait une vision à long terme, ce dont il paraît dépourvu actuellement : cette vision à long terme est davantage du côté des collectivités locales.

M. Daniel Delaveau. - L'idée de contrat renvoie au projet, à la définition d'objectifs, non à la notion d'administration courante.

M. Christophe Bernard. - Le contrat est le point de rencontre entre des objectifs nationaux légitimes de l'Etat - ceux définis par le Grenelle de l'environnement par exemple - et la territorialisation assumée par les collectivités.

Mme Valérie Létard . - La contractualisation est très intéressante pour la politique de la ville et l'accompagnement des populations. Or chaque année les dotations aux associations sont remises en question et chaque année l'Etat, les départements, les communes et les intercommunalités déploient des efforts considérables pour fixer à nouveau le budget de ces partenaires. Donnons-leur une sécurité budgétaire ! Nous l'avons expérimenté dans le Nord-Pas-de-Calais sur certains sujets sociaux, c'est parfaitement envisageable.

Avec les intercommunalités, nous réfléchissons à l'aide que nous pouvons apporter aux territoires en difficulté. Nous avons ainsi décidé de créer un pôle métropolitain : en effet, notre communauté d'agglomération est entourée de nombreuses petites intercommunalités dépourvues de moyens, en ingénierie tout particulièrement. Un syndicat mixte sert à mutualiser les moyens. Il faut optimiser l'action des collectivités, d'autant que les bons projets sont ceux qui sont présentés au bon moment... Lorsque l'Etat n'est plus là, une solution souple comme celle du pôle est intéressante.

M. Charles Revet . - Je suis bien d'accord.

Mme Valérie Létard . - Et l'on peut alors vraiment parler de coproduction ; on traite presque d'égal à égal avec l'Etat.

M. Daniel Delaveau . - Les pôles métropolitains ont le grand mérite de renforcer l'approche territoriale sur des sujets où celle-ci est très nécessaire.

M. François Patriat , président . - Quels sont les effets sur les intercommunalités de la réforme des cartes, militaire, judiciaire, scolaire, hospitalière ?

En 1989, j'étais maire d'une petite commune, sur le territoire de laquelle un groupe étranger investissait 300 millions de francs pour ériger un complexe hôtelier de luxe, avec un golf : je sentais que les difficultés allaient s'accumuler à mesure que le projet se développait. Je m'en suis ouvert au préfet de Bourgogne d'alors, Edouard Lacroix. Il a réuni tous les services concernés dans un local de la commune -jeunesse et sports, culture, DDE, DDA- et il nous a annoncé que nous sortirions de ce conclave... lorsque tous les problèmes seraient réglés. Le soir, tout était fini. Cela serait-il encore possible aujourd'hui ?

M. Daniel Delaveau. - J'ai bien connu le préfet Lacroix et cette anecdote ne m'étonne nullement !

M. Jean-François Monteils,
secrétaire général du ministère de l'écologie,
du développement durable, des transports et du logement

____

M. François Patriat , président . - Nous avons reçu M. Baroin il y a trois semaines : il a dressé un bilan élogieux de la RGPP. Lors d'une conférence de presse, il a indiqué qu'elle avait produit 7 milliards d'euros d'économies, bientôt 10 milliards. Selon lui, les trois objectifs ont été atteints, moindres dépenses, meilleure efficacité, réaménagement.

Nous avons entendu des élus locaux, maires ruraux, responsables d'intercommunalités, petites villes, départements, régions bientôt... Nous souhaiterions avoir votre sentiment sur les résultats de la RGPP, en particulier l'efficacité du service rendu aux territoires et l'amélioration des performances.

M. Jean-François Monteils, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement . - La RGPP a concerné l'ensemble du ministère et de ses opérateurs. Les nombreuses réformes ont touché tous les pans de l'action ministérielle. Mais le sujet le plus symbolique fut la réorganisation de l'administration territoriale, qui a eu un impact énorme sur ce ministère.

La réforme était pilotée par le secrétariat général. J'ai effectué de nombreuses visites sur le terrain. Nombre des objectifs sont à présent atteints, mais une marge d'amélioration subsiste, des gains sont encore possibles. Le Sénat, en juin 2000, avait publié un rapport d'information sur l'administration territoriale. Il estimait alors que « l'effet des restructurations est trop limité », que « trop de directions se côtoient dans un même département». Il mettait en avant l'expérimentation menée depuis 1997 dans quelques départements et appelait de ses voeux une simplification et un regroupement autour de quelques pôles : population, santé, sécurité, équipement, économie. Prescience de la Haute Assemblée, car c'est à présent le système en vigueur ! Mais il aura fallu plus de dix ans pour y parvenir.

Le point de départ était intéressant, ciblé sur les missions et non sur les économies de moyens. Je songe au pôle de l'équipement et aux actuelles directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui forment l'armature principale de l'administration locale de notre ministère. La dénomination est intéressante également. Elle n'aurait pas été choisie en 1997, mais entre temps, le vocable de développement durable a prospéré.

Les regroupements entre administrations devaient apporter lisibilité, rationalité d'organisation, évolution des missions. Depuis 1997, les enjeux socio-politiques et la demande sociale ont évolué. Avant tout, la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat a eu pour objet et pour effet de permettre au ministère de s'adapter à ses nouvelles missions. Les Dreal comprennent les anciennes Drire, Diren, DRE : mélange de cultures et de traditions difficile à opérer, jamais lancé à pareille échelle. L'effort a été gigantesque pour adapter les structures aux missions.

Le but essentiel de la RGPP et de la réorganisation était de permettre aux administrations de répondre à la nouvelle demande sociale et politique mais aussi d'être capables de répondre, dans l'avenir, à ce que l'on ne pouvait encore prévoir. C'est que les nouvelles structures étaient installées pour au moins trente ans !

Les demandes évoluent constamment. Celles touchant la protection des populations ont connu un bouleversement le 11 mars dernier... La nouvelle structuration en région répond bien à ces sujets. La Dreal de la région Paca, avec le Centre d'études techniques et de nombreux partenaires, vient de mener un remarquable travail sur « la sismicité et le risque nucléaire » : il est le fruit de la transversalité.

M. François Patriat , président . - M. Delaveau nous a parlé des PPRI : l'administration demande désormais que l'on prenne en compte les crues non pas centenaires mais millénaires. Qui l'a décidé : l'Etat ? Un fonctionnaire pris d'excès de zèle ? En Bourgogne, appliquer aux barrages sur les canaux le même type d'exigences a des conséquences terribles pour les collectivités locales, qu'il s'agisse des équipements sportifs, touristiques ou autre !

M. Jean-François Monteils. - C'est le ministre qui décide. Il détient l'autorité politique et décide en fonction des retours d'expérience, des travaux et études menés. La décision est proposée par les services ministériels mais j'hésiterais avant d'affirmer que l'instruction se substitue à l'autorité politique !

M. Gérard Bailly . - Mais un préfet prend sur le terrain une décision contraire à celle du ministre...

M. Jean-François Monteils. - Vous touchez du doigt un problème essentiel, l'articulation entre le préfet et les services territoriaux, la collaboration entre des services auparavant complètement séparés et qui se renvoyaient la balle. A présent, un seul guichet, une seule direction... Votre réflexion soulève la question de l'évolution de la décision. Notre ministère a une culture de discussion et de négociation. Le Grenelle de l'environnement a ainsi défini une gouvernance à cinq, société civile, ONG et associations, partenaires sociaux, élus, Etat. Aujourd'hui, les sujets sont complexes et exigent une fluidité dans la prise de décision et la mobilisation de partenariats.

M. François Patriat , président . - La réorganisation du ministère est pertinente, dites-vous, elle répond aux défis d'aujourd'hui. Dans cette nouvelle organisation, les directions régionales ont-elles les moyens de leurs missions ? Je songe à la délimitation des zones inondables, à une ouverture de carrière par une entreprise : la Drire sollicitée le 11 mars dernier fixe un rendez-vous le 2 mai prochain ! Y a-t-il moyen de répondre dans des délais normaux aux élus et aux acteurs économiques ?

M. Jean-François Monteils. - C'est la question que je me pose au quotidien, celle sur laquelle je devrai être jugé. Mais sans la réorganisation, les moyens humains auraient-ils été mieux adaptés ? Non. Il faut distinguer entre réorganisation et réduction des effectifs, une donnée avec laquelle il faut composer. On a demandé aux chefs de services de construire des directions départementales ou régionales en prenant en compte l'évolution des missions et la réduction des effectifs. C'est à peine imaginable. Mais en France, on ne réforme que lorsque l'on ne peut plus faire autrement.

Les moyens humains ne sont pas seulement quantitatifs. Sur le plan qualitatif, la réorganisation passe par un effort gigantesque de formation. Et une adaptation culturelle... Vous exprimez une frustration devant une attitude que l'on peut, certes, encore rencontrer. Les origines culturelles des agents sont hétérogènes. L'administration de l'équipement, qui avait toujours construit des routes et des ponts, a dû depuis trente ans faire face à un complet changement de missions : elle est déstabilisée.

Le ministère de l'écologie a longtemps compté très peu d'agents, travaillant sur des thématiques auxquelles personne ne croyait. On leur on disait « faites avec ce que vous avez », c'est-à-dire avec pas grand-chose. L'action administrative, pour eux, passe essentiellement par des réglementations coercitives.

Quant aux agents de la Drire, ils ont une culture industrielle, une conception proche de celle du ministère des finances : contrôle et accompagnement. Il faut opérer un mélange entre ces diverses origines pour forger une administration de solutions. Comment y parvenir ? Cela prendra du temps mais la mutation culturelle est indispensable, parallèlement à la réorganisation administrative. La mue concerne d'ailleurs l'Etat dans son entier.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Nos interlocuteurs précédents ont souligné la coexistence de deux mouvements en sens contraires au sein de l'Etat : désengagement et reprise en main. Tous ceux que nous avons interrogés nous ont dit ne pas avoir été associés au projet de RGPP. Actuellement, un fonctionnaire en retraite sur deux n'est pas remplacé. Pourtant, dans votre domaine, on observe une montée en puissance et des besoins, liés à la prégnance croissante des thématiques environnementales... Comment concilier les fonctions de contrôle et les fonctions de conseil ? Quels moyens avez-vous pour assurer l'accompagnement ?

La logique de la RGPP privilégie la région pour assumer la coordination et l'animation. Celles-ci sont confiées aux préfets de région. Mais la réalité budgétaire est différente, les crédits demeurent attribués ministère par ministère. Si sur un territoire un agent de la Dreal s'en va, si le préfet estime que l'on peut prélever un poste sur la Drac, comment faites-vous ?

M. Gérard Bailly . - Les services de l'environnement devraient être proches du terrain. Quand les agents de la Diren doivent se rendre à 120 kilomètres de Besançon sur un site classé, imaginez-vous l'émission de CO2 correspondante ? Pourquoi ces services sont-ils rattachés à l'administration régionale ?

M. Charles Revet . - Cette réorganisation était nécessaire, imposée notamment par les directives européennes. Avoir un interlocuteur unique coordonnant les actions de l'Etat était mon rêve ! Hélas, l'Etat n'assume plus l'une de ses deux principales missions sur le terrain, ayant abandonné l'accompagnement, l'aide à la maîtrise d'ouvrage, pour renforcer le contrôle -ce qui est peut-être une façon de reprendre les choses en mains ?

Les missions de contrôle et de conseil sont-elles incompatibles ? Je suis président d'un syndicat d'eau et d'assainissement. Nous avons voulu construire une unité de dénitritation : trois ans se sont écoulés entre l'appel d'offre et les travaux car l'administration ajoutait sans cesse une nouvelle exigence. Si nous avions été conseillés par l'administration au départ, les choses n'auraient pas traîné ainsi.

M. Jean-François Monteils. - Accompagnement et contrôle : ces deux rôles de l'Etat vous donnent l'impression d'un double mouvement de désengagement et de reprise en main. Il faut faire face à une baisse des effectifs sans que la qualité en souffre, et ce, alors que la nature des missions évolue. L'Etat aujourd'hui n'a plus une mission globale dans les territoires comme il y a cinquante ans. Il ne décide plus seul de l'opportunité d'une opération, de la pertinence d'un tracé ou d'une construction. Les problématiques sociales, environnementales, les questions de voisinage, de nuisances, sont de plus en plus présentes. On pourrait parler de nouvel engagement de l'Etat dans un cadre nouveau. Quoi qu'il en soit, le plus simple pour améliorer la qualité chimique des cours d'eau est encore d'édicter une interdiction : la reprise en main n'est pas forcément condamnable sur ces questions ! Les modes d'intervention continueront du reste à évoluer.

Vous décrivez un fonctionnement qui n'est pas encore optimal. Mais il faut aussi tenir compte du nécessaire apprentissage de l'Etat, confronté à de nouvelles exigences, de nouvelles problématiques. Naguère, s'il fallait installer un éclairage public, l'administration savait tout mettre en place, de la source d'énergie au réverbère. Or aujourd'hui, à peine est-on habitué à une réglementation qu'une nouvelle préoccupation prend le pas. Il importe donc de disposer d'une administration moderne et souple, c'est-à-dire des services regroupés qui sachent tirer le bon fil.

M. Charles Revet . - J'ai eu affaire à des sociétés d'équipement portuaire néerlandaises : en Hollande, lorsqu'un permis de construire est accordé, il est valable pendant cinq ans même si la réglementation change ; en France un changement de règle peut remettre en cause un permis accordé six mois auparavant !

M. Jean-François Monteils. - La durée de validité d'une autorisation est celle inscrite aux articles législatifs du code... Aux parlementaires de décider.

La ministre et le secrétaire d'Etat au logement réfléchissent à une révision du droit de l'urbanisme : le président de la République en a demandé la simplification, ce qui est un travail compliqué.

J'ai vu, dans le cadre d'autres fonctions, le fonctionnement de l'administration dans des pays comme l'Allemagne, les pays nordiques, la Hollande. Et je me félicite qu'une réglementation « tatillonne » nous ait assuré une qualité de vie et un aménagement du territoire que nos voisins nous envient.

L'Etat aurait-il été bien reçu s'il avait voulu être associé à la réorganisation des conseils généraux ?

Mme Michèle André . - Il ne s'en est pas privé !

M. Jean-François Monteils. - En France nous savons fort bien confondre concertation et blocage. Cette réforme était indispensable, elle devait être menée rapidement et énergiquement. Le rythme a été très rapide, les agents ont été bousculés, les habitudes de travail bouleversées. Il a fallu ramer. Mais enfin, la réforme est faite !

Montée des besoins, réduction des moyens, tel est effectivement le défi qui nous est lancé et pour y répondre il faut aborder les choses différemment : proposer des solutions bien bâties, accompagner, contrôler. Je ne dis pas que nous remplissons entièrement ces objectifs. Mais parmi les éléments très encourageants, je veux citer la transversalité dans les Dreal. La réorganisation est partie des structures puis a touché les missions -c'est qu'il est plus difficile de réformer les missions ! Aujourd'hui, il faut une adéquation entre les missions et les moyens et l'Etat s'est résolu à abandonner des missions pour lesquelles il n'avait pas forcément la meilleure légitimité.

La logique régionale de l'administration est-elle en contradiction avec la réforme des collectivités locales ? Je n'en suis pas certain. Les départements conservent au niveau de l'organisation administrative d'Etat une importance majeure. Les régions sont en charge du développement durable. On partait d'une conception simpliste de l'articulation entre la région et le département, « la première pilote, les autres exécutent » -passons sur les états d'âme des préfets. Aujourd'hui, on sait qu'un cours d'eau peut traverser plusieurs régions et que les missions relevant de l'environnement sont de niveau planétaire ; mais, de plus en plus, les départements exercent une vraie mission de proximité à haute valeur ajoutée. Ils ont une connaissance fine du terrain. Leurs cadres de haut niveau, leurs contrôleurs travaillent dans une administration de mission, plus concentrée mais en lien étroit avec le « back-office » régionalisé et mutualisé. La région exerce des missions d'expertise, de pilotage et de coordination, par sa vision d'ensemble elle est à même de donner de la cohérence aux actions menées.

L'administration préfectorale, traditionnellement, a tendance à estimer que tout procède du département mais celui-ci ne peut pas répondre à toutes les questions ; lesquelles exigent à la fois le pilotage par le préfet de département et l'expertise par la région -voire par le niveau zonal pour les questions de sécurité. Il faut poursuivre la réflexion sur l'articulation entre région et département, car le schéma préfectoral exagère la coupure entre les deux. Le préfet de région n'apprécie guère qu'un directeur de mon ministère s'adresse directement à une préfecture de département, mais le lien est pourtant indispensable : nous sommes donc encore loin du schéma ultime.

Les transferts de postes -je ne parle pas ici des agents mais des postes- sont possibles dans le cadre de l'autorisation parlementaire, c'est-à-dire le budget de chaque ministère. La mutualisation ouvre des possibilités mais le changement de périmètre se heurte à cette limite. Quant à l'échange d'agents, il pose une vraie difficulté, dés lors que la réorganisation intervient dans une période de réduction des moyens. Nos schémas d'emploi limitent la venue d'agents d'autres ministères. Cette absence de fluidité est un frein, incontestablement.

M. Charles Revet . - Comment les agences s'articulent-elles avec les nouvelles directions et la nouvelle organisation ?

M. Jean-François Monteils. - Ce ministère compte plus d'une centaine d'opérateurs et d'agences. Ils sont, comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses. Une agence, l'Ademe par exemple, c'est une politique publique bien identifiée, dotée de moyens précis. Lorsque le système dépasse la mission, lorsque l'agence devient technocratique, servant à sanctuariser des crédits ou prenant ses décisions hors le pilotage du préfet, des difficultés peuvent apparaître... Une réflexion pourrait être menée sur le pilotage des opérateurs. Mme Corinne Etaix qui m'accompagne aujourd'hui est la directrice du service du pilotage et de l'évolution des services ministériels -sur l'ensemble du territoire. Elle est chargée de coordonner le pilotage des opérateurs. Autrement dit, vos questions vont recevoir des réponses structurelles grâce à la création de ce service.

Mme Michèle André . - Je suis rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » et je me suis livrée dans ce cadre à un contrôle approfondi du fonctionnement des préfectures. Je me suis rendue dans des préfectures de région, de département, de tailles variables. Chaque fois j'ai tenu à discuter sur place de la réorganisation. Je constate une difficulté des gros départements à admettre l'autorité de la préfecture de région, par exemple en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dans les différentes directions, les cultures sont très différentes. Le secrétariat général aux affaires régionales (Sgar) ajoute encore une autre problématique. Le ministère de l'intérieur a une culture d'ordre et de sécurité publique : lorsque l'on veut promouvoir un fonctionnement interministériel, est-il judicieux de placer tous les services sous sa tutelle ? Celle du Premier Ministre ne serait-elle pas plus indiquée ?

Dans le Puy-de-Dôme, les services de la Dreal ont mené sans en informer aucunement les élus locaux une étude sur une réserve nationale qui s'installerait sur le territoire Natura 2000. Ce fut un tollé quand la chose s'ébruita ! Le projet fut rejeté d'emblée. Les fonctionnaires de la direction régionale en furent malheureux. Ce fut un beau gâchis. Quand l'Etat intervient dans un cadre incompréhensible, quand on ne sait qui décide, quand un fonctionnaire sur deux disparaît, on cumule toutes les difficultés et cela n'est pas dans l'intérêt public. Reste alors au préfet de région à aller calmer les élus...

M. Jean-François Monteils. - Je partage votre avis à 100 % ! Les mutations ne sont pas seulement culturelles. Des répercussions importantes se font sentir sur le fonctionnement même des ministères régaliens. Et l'évolution que vous tracez ne résoudrait sans doute pas tout mais elle poserait le dernier clou de la construction en cours.

J'ajoute que, fort heureusement, ce n'est pas un poste de fonctionnaire sur deux qui disparaît, mais un fonctionnaire partant en retraite sur deux qui n'est pas remplacé. Ce n'est pas la même chose.

M. François Patriat , président . - Je sais le pouvoir immense qu'ont les parlementaires pour faire bouger les budgets... (Sourires)

Mercredi 6 avril 2011

M. Emmanuel Berthier,
délégué interministériel
à la Délégation à l'aménagement du territoire
et à l'attractivité régionale (DATAR)

____

M. François Patriat , président . - Après deux mois d'auditions, nous sommes d'accord pour dire que l'État a besoin de se transformer, de s'alléger, que des économies sont nécessaires, que la décentralisation a entraîné une nouvelle répartition des tâches. Suit-il pour autant la bonne méthode ? Les principaux objectifs de la révision générale des politiques publiques sont-ils atteints ? Nous avons entendu le gouvernement, les représentants des collectivités territoriales, des syndicats de la fonction publique : le ressenti n'est pas le même. Les chiffres du gouvernement ne concordent pas avec ceux de la Cour des comptes. La réforme de l'État aurait-elle pu être conduite autrement ?

M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). - J'ai été nommé délégué interministériel le 3 janvier 2011, après avoir exercé les fonctions de préfet de département dans les Hautes-Pyrénées, en Guadeloupe et dans la Sarthe. J'ai vécu sur le terrain l'application de la RGPP.

La Datar n'est pas membre du conseil de modernisation de l'État, qui pilote la RGPP. Les audits et les analyses d'impact relèvent des ministères concernés. Elle a toutefois deux compétences d'attribution : la réorganisation des armées d'une part, et le suivi interministériel des conséquences territoriales des réorganisations en cours d'autre part.

La réforme de la carte militaire a d'importantes répercussions sur l'aménagement du territoire : 82 fermetures d'établissements, 47 transferts d'ici 2015, 54 000 emplois supprimés. C'est pourquoi le Premier Ministre a voulu faire de la Datar le pilote interministériel de la réforme, en lien avec le ministère de la défense. L'objectif est de compenser la perte d'emplois militaires, via les contrats de redynamisation des sites de défense (CRSD) ou les plans locaux de redynamisation (PLR), pour les sites perdant moins de cinquante emplois. Le financement s'élève à 320 millions d'euros sur la période 2009-2014, un tiers provenant du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) et les deux tiers du ministère de la défense, via le Fonds pour les restructurations de la défense (FRED). On part d'un diagnostic territorial pour élaborer des programmes d'actions, avec les collectivités territoriales.

La loi permet de céder, pour un euro symbolique, les emprises militaires aux collectivités concernées par un CRDS. Autres mesures : l'extension du zonage AFR (Aides à finalité régionale) ; la mise en place de zones de restructuration de défense (ZRD) dans douze zones d'emploi, avec exonérations sociales et fiscales pour les entreprises en création ou en expansion ; la création d'un fonds de soutien de 25 millions pour aider les communes les plus touchées par les pertes de population ; la relocalisation d'administrations parisiennes, notamment à Metz.

Au 31 mars 2011, dix CRDS et six PLR ont été signés, et près de 100 millions engagés sur les 320 millions. Le dispositif monte en puissance : 28 emprises militaires ont été cédées pour un euro symbolique aux collectivités, et nous avons négocié avec la Commission européenne l'extension des AFR à 110 communes. Le fonds d'aides aux collectivités territoriales du ministère de l'intérieur a été engagé à hauteur de 4,4 millions, pour Sourdun, Briançon, Thierville-sur-Meuse et Barcelonnette.

Par ailleurs, le conseil des ministres du 5 janvier 2011 a chargé la Datar d'assurer le suivi interministériel des conséquences territoriales des restructurations en cours. Nous sommes en train d'obtenir des ministères les données sur la traduction territoriale de la RGPP. Nous créerons une base géo-référencée pour faire apparaître les communes cumulant les restructurations et identifier les territoires les plus vulnérables. Les études seront lancées avant l'été, et un premier bilan sera tiré fin 2011. Nous sera notamment communiquée la géographie des agents de l'État au 31 décembre 2006, ainsi que des données au 31 décembre 2009.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Certains territoires cumulent les restructurations, de l'armée mais aussi des hôpitaux, de la justice... Quelle est votre vision des conséquences au-delà de la seule restructuration militaire ? Sur les 320 millions d'euros annoncés, 100 millions ont été engagés à ce jour. Que recouvrent concrètement ces dépenses ? Les moyens dégagés par l'État ont-ils pour ambition de compenser les 54 000 emplois supprimés ? S'agit-il de susciter des créations d'emploi ? Quels sont les résultats, et les perspectives pour 2011 ?

M. Emmanuel Berthier. - La révision de la carte judiciaire, conduite sur proposition des procureurs généraux et des premiers présidents, a entraîné le déplacement de 1 800 agents du ministère de la justice, qui a mis en place un plan d'accompagnement social, avec une aide à la réinstallation des avocats.

Quant à la réforme de l'offre de soins menée par le ministère de la santé sur la période 2007-2010, elle a concerné 42 établissements ; il s'agit essentiellement de la fermeture de plateaux chirurgicaux qui effectuaient moins de deux cents actes par an, reconvertis en soins de suite ou en structures de prise en charge des personnes âgées. Il n'y pas d'impact net sur le nombre d'emplois. Le ministre de la santé a annoncé en janvier qu'il allait réactiver l'Observatoire des recompositions hospitalières.

L'objectif est bien de compenser les 54 000 emplois militaires supprimés en recréant 54 000 emplois, à travers les CRDS et les PLR. Exemples d'actions concrètes : la création d'une zone d'activité sur une base qui ferme, avec la mise en place de dispositifs d'accompagnement pour attirer les entreprises.

L'évaluation de cette action va commencer maintenant. Le plan court jusqu'en 2015 ; un tiers des sommes a déjà été engagé.

M. François Patriat , président . - En tant que président de la région Bourgogne, j'ai signé un CRDS avec le préfet. Le maire de Joigny - qui voit son unité de géographie militaire partir à Haguenau - a toutefois souligné une grande disparité des crédits accordés aux territoires. La commune hérite de douze hectares, avec des bâtiments difficilement transformables, pour un euro symbolique - mais elle s'est vu demander 400 000 euros de frais de mutation ! La situation est la même à Château-Chinon.

On dit vouloir créer des emplois, mais il n'y a pas de capillarité avec les services de l'État. J'avais proposé Joigny et ses 70 logements neufs pour accueillir un internat d'excellence ; il ira finalement à Montceau-les-Mines, où il y a tout à construire, pour un coût de 5 millions d'euros ! Je n'ai pas pu convaincre le ministre de l'Éducation nationale et les services de l'État qu'il était plus judicieux d'utiliser des locaux existants. On pourrait être bien plus efficaces en termes d'impact territorial !

M. Emmanuel Berthier. - Je vous rejoins. La signature à Joigny est récente ; cette commune fera l'objet d'une analyse particulière. Je ne peux vous répondre sur l'internat d'excellence, mais la question s'est posée ailleurs ; nous allons, je l'espère, en installer un dans une emprise militaire à Metz.

Il faut une articulation entre le préfet de département, qui conclut les CRDS, et le préfet de région, qui traite des restructurations d'une plus grande ampleur. Nous devons avoir une approche coordonnée, territoire par territoire.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Avez-vous estimé les conséquences de la suppression des 54 000 emplois militaires et du départ des familles sur les emplois « civils », sur l'épicier ou le teinturier, sur la vie scolaire ou culturelle des territoires impactés ?

M. Emmanuel Berthier. - Le diagnostic analyse la perte des emplois directs et induits, et estime l'impact sur le tissu économique, avec la volonté de recréer une activité équivalente.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Pouvez-vous faire une estimation ?

M. Emmanuel Berthier. - Elle varie selon les secteurs. Je vous transmettrai des chiffres.

M. François Patriat , président . - Difficile d'expliquer à l'épicière de Joigny que son chiffre d'affaires chute de 20 %, mais qu'elle participe à l'effort de restructuration militaire de la France !

Mme Christiane Demontès - Y a-t-il d'autres restructurations à venir ?

M. Emmanuel Berthier. - La liste a été arrêtée et annoncée en juillet 2008 ; la restructuration va être mise en oeuvre d'ici fin 2015.

M. François Patriat , président . - Chez nous, elle l'a été dès 2009 !

On annonce que Pôle emploi doit recevoir dans les trois mois 1,5 million de chômeurs de longue durée pour leur proposer un emploi ou une formation. Comment faire, alors que Pôle emploi va perdre 800 emplois et fermer un tiers de ses sites ?

M. Emmanuel Berthier. - Je ne peux vous répondre sur ce point.

Plus largement, le problème est celui de l'accessibilité des services. La Datar réfléchit à l'accès physique aux services ainsi qu'à l'accès à distance. La référence à un temps de trajet maximal figure de plus en plus souvent dans les conventions d'objectifs entre l'État et ses opérateurs. Dans le cas de Pôle emploi, la convention tripartite d'avril 2009 prévoit que 80 % des demandeurs d'emploi doivent être à moins de 30 minutes d'une unité polyvalente. À Pôle emploi de s'organiser pour répondre à cet objectif. La Datar vérifie si l'accessibilité est bien conforme à l'objectif fixé. Même chose pour la Poste.

M. François Patriat , président . - Dans les territoires ruraux et interstitiels, nombre de demandeurs d'emploi sont à plus de 30 minutes d'une structure de Pôle emploi. Quant à l'accès à Internet, n'en parlons pas, c'est la croix et la bannière !

M. Emmanuel Berthier. - Pôle emploi fait partie des opérateurs avec lesquels nous travaillons dans le cadre de l'expérimentation « Plus de services au public ». Cette conception extensive du service public englobe les services offerts par les collectivités territoriales, les prestataires sociaux, Pôle emploi, la SNCF, ERDF, la Poste, etc. D'où la mise en place des Maisons de services publics, et la réflexion voulue par le gouvernement, à la suite du Ciadt du 11 mai 2010, pour mailler le territoire en développant des formules intégrées d'offres de services. Dans 23 départements, nous finalisons des contrats avec les préfets pour ajouter des points-contact et mutualiser les services. Pôle emploi participe à cette démarche, avec des dispositifs informatiques intégrés, servis par des agents pluridisciplinaires.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Pouvez-vous nous dire un mot de la polyvalence, idée lancée par le Président de la République ?

On cherche à développer les formes modernes de communication, mais dans ma commune d'Ille-et-Vilaine, l'accès à la téléphonie mobile et à Internet n'est effectif qu'en centre-bourg - et encore, si l'on grimpe au clocher ! Beaucoup de personnes n'ont pas accès à ces technologies. Faut-il attendre que ces survivants s'éteignent, ou que les opérateurs acceptent de desservir des secteurs moins rentables ?

M. Emmanuel Berthier. - Votre département a bénéficié d'un pôle d'excellence rurale, qui a permis de mettre en place des polyvalences. Les opérateurs n'étaient pas acquis à l'idée de l'agent polyvalent : après une formation adaptée, un agent de la SNCF, par exemple, aiderait le demandeur d'emploi à remplir son formulaire sur des machines polyvalentes, utilisées par des agents disponibles plus longtemps... Nous tenons au moins une réunion par semaine avec les opérateurs, dans l'espoir de démontrer, avant la fin 2011, qu'il s'agit d'une perspective intéressante.

Sur le numérique, je vous rejoins. Malgré les investissements publics significatifs consentis depuis 2003, une cinquantaine de communes ne sont toujours pas couvertes en 2G. Nous espérons intégrer dans l'appel à projet pour la 4G une disposition sur le renforcement de la couverture 2G, comme le prévoit la loi sur la fracture numérique.

M. François Patriat , président . - Y a-t-il eu concertation avec les collectivités territoriales dans le suivi des restructurations militaires ? Comment évaluez-vous la qualité des services publics locaux en mode RGPP ?

M. Emmanuel Berthier. - Dès la décision prise sur la carte militaire, nous avons immédiatement travaillé avec les collectivités, pour établir le diagnostic et signer les CRDS. Nous participons chaque semaine à des comités de pilotage.

L'État se réorganise en appliquant les objectifs de la RGPP, les collectivités territoriales aussi. Il y a une modification de l'équilibre, selon que les restructurations touchent des secteurs plus ou moins fragiles. Les zones rurale sont diverses, le tissu des villes moyennes aussi. Il faut identifier les zones particulièrement fragiles. Je ne peux donc vous répondre, sinon pour dire que les choses ont bougé.

M. Raymond Couderc . - Vieil élu de terrain, cela fait des décennies que j'observe une volonté technocratique de regrouper les centres de décisions et les services dans les chefs-lieux de département, et surtout de région, au prétexte d'économies. Après avoir échoué dans les années 1990, cette tendance aboutit aujourd'hui - alors que les nouvelles technologies permettraient d'envisager un tout autre aménagement du territoire ! Faisons preuve d'un peu plus d'imagination : la Datar ne pourrait-elle donner l'impulsion pour faire pièce à cette technocratie triomphante ?

M. Emmanuel Berthier. - Vous fixez un objectif bien ambitieux pour un organisme de 150 personnes ! Pour les services de l'État, la RGPP se traduit par la concentration d'effectifs dans les chefs-lieux de région. Nous veillons toutefois au maintien sur le territoire des départements des unités d'oeuvre de toute catégorie nécessaires pour appliquer la politique du gouvernement. À l'échelon régional la conception et le contrôle, à l'échelon départemental la mise en oeuvre. Par rapport à la première mouture, le point d'équilibre est revenu vers le département.

Sur les nouvelles technologies, je vous rejoins. La Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris fait traiter, avec succès, certains de ses appels par la CAF de la Creuse, qui a recruté plus de dix personnes. C'est une piste à étudier.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - C'est une expérience intéressante, mais qui illustre bien les limites de la polyvalence : la CAF fait appel à des agents de la CAF !

M. Emmanuel Berthier. - La CAF de la Sarthe délègue l'accueil du public à d'autres opérateurs... Certaines fonctions peuvent être mutualisées, et portées par des territoires non métropolitains.

M. Gérard Bailly . - Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) sont les administrations qui ont le plus à faire de terrain. Ne faudrait-il pas là aussi revenir au niveau du département ?

M. Emmanuel Berthier. - Dans les Pays de la Loire, la Dreal a accepté le maintien de plus de postes de catégorie A que prévu. Pour mettre en oeuvre une politique, il faut des fonctionnaires de l'État sur le terrain.

M. Gérard Bailly . - On ne peut demander aux usagers de faire deux heures de route pour se rendre dans une administration : c'est trop !

M. Emmanuel Berthier. - Je rejoins votre diagnostic.

M. François Patriat , président . - Merci. Nous attendons une contribution écrite de votre part sur les points précis que nous avons abordés.

M. François-Daniel Migeon,
directeur général de la modernisation de l'Etat (DGME),
ministère du budget, des comptes publics,
de la fonction publique et de la réforme de l'état

____

M. François Patriat , président . - Je vous remercie, monsieur le Directeur général, de venir devant notre mission. Ses membres, dont vous pouvez mesurer l'assiduité, se demandaient si vous étiez installé à Bercy.

M. François-Daniel Migeon, directeur général de la modernisation de l'Etat (DGME). - Au bâtiment Sully, pas très loin de Bercy.

M. François Patriat , président . - Nous en convenons tous, l'Etat doit être plus performant, mais si l'objectif est partagé, notre mission a pour but d'évaluer les méthodes, la concertation et les résultats. Je ne répèterai pas qu'on hésite parfois entre le désespoir et la béatitude, cependant, malgré la sérénité et à la satisfaction affichées par certains, d'autres ont le sentiment d'un désengagement, notamment dans les petites collectivités confrontées aux nouvelles cartes judiciaire, scolaire, hospitalière... Elles connaissent de grandes difficultés et des territoires, qui ont des attentes toujours fortes à l'égard de l'Etat, veulent des services publics différents.

Vous répondrez à notre questionnaire par une communication écrite, mais pouvez-vous nous présenter votre vision de la RGPP ?

M. François-Daniel Migeon. - Je suis honoré de cette opportunité de vous présenter un sujet qui m'est cher. J'ai en effet envie de servir l'administration et le pays et, sans être parfait, notre travail est assez ambitieux -faut-il parler d'un contexte clair-obscur ? Peu après son audition par votre mission, M. Baroin a eu l'occasion, le 9 mars dernier, de présenter au président de la République un rapport d'étape dont je voudrais partager avec vous quelques éléments. Les résultats sont au rendez-vous ; trois ans après, la RGPP a transformé le paysage de l'administration. Une modification aussi ample constitue en soi une réussite. Pour cette modernisation et cette amélioration de la qualité du service public, nous avons pris le parti de la transparence, avec des rapports d'étape réguliers, prenant à témoin tous ceux qui se sentent concernés. Est-il trop tôt pour dresser un bilan  de ces larges modifications structurelles ?

La RGPP, c'est la confiance, la responsabilité et l'équité. Les usagers et les fonctionnaires nous ont fait part de leur volonté de voir l'administration changer. Nous avons compris ce désir de confiance réciproque, mais celle-ci ne se décrète pas, elle se prouve, elle se vit. Et la RGPP prouve qu'améliorer la qualité du service est possible. Le rapport d'étape du 9 mars décrit les attentes de nos concitoyens : l'indice de satisfaction est de 87 % pour les études supérieures, 84 % pour l'orientation à l'université, mais 49 % aux urgences. C'est en les prenant en compte que l'on construit autour de la confiance la relation nouvelle entre nos concitoyens et l'administration.

Songez qu'en 2007 il n'y avait pas à la direction générale de modernisation de l'Etat de service pour écouter les usagers. Notre première décision a été d'en créer un, pour initier des forums, des panels, en somme une France miniature afin d'être aux écoutes de nos concitoyens ; nous avons également établi le site ensemble-simplifions.fr . Les idées sont alors passées au double tamis de la faisabilité et l'opportunité. Nous avons publié le 9 mars les chiffres sur la complexité de l'administration perçue par nos concitoyens, que nous nous étions donné les moyens d'analyser fin 2008 pour différentes événements de la vie. Voici leur évolution sur deux ans : « je perds un proche », de 40 à 30 %  grâce à la charte du respect de la personne endeuillée ; « je donne naissance à un enfant », de 25 à 19 %, grâce à un site de la CNAF ; « je déménage », de 19 à 12 % avec un service en ligne « je change de coordonnées ».

La confiance passe par l'écoute, l'analyse et le concret. La situation n'était pas réjouissante en 2007 car peu de services étaient dotés d'un dispositif de traitement des réclamations. Nous les avons systématisés -quoi de plus significatif du respect porté à l'usager ?- et avons construit un référentiel.

L'Etat se modernise afin de simplifier la vie des Français. L'on a dû consentir des réformes plus lourdes. La qualité du service, c'est le guichet unique, celui des impôts, celui de l'emploi, c'est aussi la réforme de l'administration territoriale. Si elles ont demandé du courage, ces mesures sont plébiscitées, ainsi le guichet fiscal, et des présidents de conseil général m'ont dit qu'après un petit flottement ils appréciaient la lisibilité et la réactivité.

Confiance, mais aussi responsabilité pour garantir la pérennité et la qualité de nos services publics. Dans la continuité de la mise en oeuvre consensuelle de la LOLF, la RGPP traduit le souci que chaque euro soit utile, car la performance est au coeur du service public. La contrainte sur les comptes publics, qui a conduit à souhaiter retrouver une trajectoire soutenable, n'est pas un objectif mais bien un déterminant méthodologique. Nous avions besoin d'un ajustement structurel et de le calibrer, ce qui n'était pas si simple. La règle du non-remplacement d'un départ en retraite sur deux porte un message intrinsèque d'adaptation à une réalité démographique et sociale : les chaises qui disparaissent sont des chaises vides. Alors que peu d'organisations prennent ce parti, nous avons décidé de résoudre l'équation paradoxale de ne pas décevoir nos concitoyens qui veulent des services publics et d'en faire évoluer les moyens. Cela suppose de revoir l'organisation et les méthodes de travail, d'où les 400 projets de réforme identifiés par lesquels passe notre ambition. D'autres pays ne s'embarrassent pas de tant de précautions, mais nous avons voulu prendre le temps d'écouter nos concitoyens pour construire et penser la réforme -voilà la marque de la RGPP.

J'ai commencé ma carrière comme chef de la section grands travaux d'une DDE dans les années 1990. Les demandes de la Diren s'ajoutaient à celles de la DDA et le préfet demandait qui portait la parole de l'Etat. Tout cela ne pouvait-il pas être plus fluide, plus simple ? On parlait de rapprochement depuis un certain temps. Dans un rapport sénatorial, Jean-Paul Delevoye appelait l'Etat à plus de volontarisme. Excusez-nous d'avoir mis dix ans à le faire.

Confiance, responsabilité, et enfin équité. Contrairement à bien des entreprises de modernisation de l'Etat, la RGPP a pris le parti, et c'est fondamental, de refuser la victimisation car chacun contribue en fonction de ce qu'il est. Elle n'a pas pour autant ignoré les spécificités, car l'équité n'est pas l'égalité. Aussi a-t-elle su s'adapter aux différents secteurs.

L'audit a mobilisé les expertises pour trouver les bonnes réponses dans la différenciation et la précision. La règle chapeau du 1 sur 2 s'est appliquée de manière nuancée selon les besoins et il en a été de même du retour sur les économies réalisées. Cette logique a été particulièrement visible dans l'enseignement supérieur ou dans la justice.

Le rapport d'étape revient sur l'équité de traitement dans l'ensemble des ministères.

Permettez-moi de rendre hommage aux fonctionnaires qui depuis trois ans ont manifesté un surcroît d'énergie. Ils ont pris sur eux et ce sont leurs résultats que la DGME a accompagnés. L'encadrement de proximité mérite une mention spéciale, car, si l'impulsion est venue d'en haut, il a saisi cette opportunité pour incarner la liaison entre le passé et l'avenir dans la continuité des valeurs du service public. Force est pourtant de reconnaître ici un déficit : la remise, la semaine dernière, du prix du manager public n'a pas eu l'écho qu'elle méritait et l'on ne sait pas assez que l'école de la modernisation de l'Etat a déjà reçu 500 élèves. Or l'on ne peut plus s'appuyer sur les structures : les hommes méritent d'être accompagnés et peut-être ne l'avons-nous pas assez fait.

Voilà quelques perspectives d'ensemble en complément du rapport d'étape du 9 mai.

M. François Patriat , président . - Les élus territoriaux ne manqueront pas de joindre leurs questions à celles du rapporteur.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Votre conceptualisation générale n'était-elle pas idyllique ? Oui, réformer l'Etat est nécessaire mais il ne faut pas nier des difficultés et là-dessus vous êtes resté coi.

Le président Jacques Pélissard, toujours mesuré, a estimé : « L'Etat allège son dispositif sur le terrain : tant mieux pour les finances publiques d'Etat ; mais les finances publiques locales supportent un poids nouveau ». M. Delevoye, quant à lui, n'est pas sûr que la RGPP contribue toujours à une amélioration du service public comme on aime à le répéter quand, pour un dossier de naturalisation, on est obligé en Ile-de-France de passer par un numéro unique ouvert de 14 à 16 heures un jour par semaine. Ne  faut-il pas nuancer votre propos ?

La RGPP est initiée par l'Etat comme c'est sa responsabilité, mais comment les collectivités territoriales et les élus ont-ils été associés à cette grande ambition ? L'on a cru comprendre lors des auditions qu'ils ne l'avaient pas été. Les personnes rencontrées ont exprimé le sentiment d'un désengagement...

M. François Patriat , président . - D'un abandon !

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Nous verrons plus tard comment l'interpréter, mais je voudrais savoir si la RGPP a bien été accompagnée d'un travail d'explication.

L'informatique et la numérisation permettent sans doute de dégager des postes et vous avez évoqué les chaises vides. Cependant, quand les nouvelles technologies affectent des postes de catégorie B ou C, la demande d'accompagnement des collectivités locales concerne les catégories A. L'Etat, nous dit-on, n'est plus dans le conseil mais dans le contrôle de légalité, voire la censure.

L'administration centrale continue de fonctionner avec de grandes directions ; en revanche, les préfets de région doivent organiser les services sur le terrain et il y a dans un département deux directions interministérielles qui n'ont pas toujours les moyens de leurs missions. Nous pensions pourtant que la loi sur les collectivités territoriales avait conforté les départements ou, du moins qu'elle n'avait pas anticipé sur leur disparition.

Enfin, le 1 sur 2 va-t-il pouvoir continuer longtemps ?

M. François Daniel Migeon. - Loin de me livrer à un exercice d'autosatisfaction, j'ai engagé mon propos en disant qu'on ne pouvait pas espérer avoir eu le temps de tout régler en quelques années. Voilà moins de trois ans que les réformes ont été engagées, et l'on voudrait que le bilan soit parfait ? J'en ai souligné les aspects positifs en sachant que le traitement n'est pas terminé.

Quant à la concertation avec les collectivités territoriales, la RGPP concernant les missions de l'Etat, il y a peu de transferts. L'exercice est d'abord de réorganisation de l'Etat, et cela pour les collectivités, pour les usagers. Le Premier ministre a donné très clairement instruction aux préfets de réunir les parties intéressées par les réformes, c'est l'objet des circulaires du 19 mars et du 7 juillet 2008.

Je ne m'explique le sentiment d'abandon que par la phase de mise en place : le 1 er janvier 2010, c'est encore tout récent. Les élus ont besoin de retrouver des repères, d'identifier des interlocuteurs. Le travail d'ajustement a pu donner l'impression temporaire d'un moindre répondant. L'administration n'a pas d'inclination pour l'interministérialité mais les personnes qui doivent travailler ensemble appartiennent désormais aux mêmes services et la lisibilité, elle, est durable. La montée en compétence représente un défi. Il faut s'occuper de la mobilité, de la formation, de l'évolution des métiers. N'incriminons pas le programme de transformations, le statu quo n'aurait pas mieux répondu aux attentes nouvelles de nos concitoyens.

Je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de votre remarque sur la contradiction avec la réforme des collectivités locales. Telle que je l'entends, la réforme a pour objet de mettre en cohérence les niveaux régionaux et départementaux de l'Etat, au moment où, dans les collectivités locales, les mêmes élus vont siéger au conseil général et au conseil régional. C'est l'objet de la modification du décret de 2004 donnant au préfet de région un droit d'évocation de dossiers que l'on est mieux à même de traiter à ce niveau qu'à celui de l'administration de proximité départementale. Il y a ainsi deux mécanismes cohérents.

La question du 1 sur 2 me dépasse. La loi de finances triennale prévoit cette norme d'ajustement dont nous voyons bien qu'elle a été utile. Cependant, la décision ne m'appartient pas.

M. Gérard Bailly . - Tous les élus ne partagent pas l'espérance que vous exprimez. Je note plutôt une impression de complexité croissante. J'ai écrit aux maires de mon secteur et voici l'une des réponses. Le maire d'une commune de moins de 200 habitants déplore une application trop stricte de la réglementation, notamment en matière de certificat d'urbanisme car, quand il veut construire en bout de village, la direction départementale des territoires conteste au motif que c'est au-delà de la zone urbanisée actuelle. Il ne comprend pas non plus qu'on exige une étude hydrogéologique pour un projet d'assainissement qui améliorera la propreté des eaux, jusque là rejetées sans le moindre traitement ! C'est aussi le trésorier, qui requiert une pléthore de justificatifs ; pour une facture de 2 700 euros d'un bureau d'études, il faut non seulement la délibération mais aussi le devis et encore la note méthodologique en 12 exemplaires. Face à ce toujours plus, la RGPP devait apporter confiance, responsabilité et équité. Oui, le guichet fiscal unique a simplifié, mais, non, on ne fait pas confiance à cet élu et permettez à un partisan de la RGPP de dire que si cela ne change pas, les gens ne la comprendront pas.

M. François Patriat , président . - Ces simplifications ne relèvent-elles pas du règlement ou de la loi plutôt que de la RGPP?

M. Jean-Luc Fichet . - Ai-je mauvais esprit ? Je ne vois pas la RGPP comme vous la décrivez « Tout va très bien... » et le décalage est d'autant plus grave que vous n'avez pas un seul instant de doute. Depuis le début des auditions, on a relevé une absence totale de concertation : cette réforme a été plus subie que voulue et l'on voit les conséquences qualitatives de ce manque de dynamisme quand des gens qui n'en ont pas l'habitude descendent dans la rue, comme les médecins ou les magistrats, pour dire qu'ils ne peuvent plus assurer leur mission. La CFDT-cadres a fait écho à un sentiment d'isolement et à la crainte de prendre une décision irréparable; pour le président de l'association des maires ruraux, le reflux de l'Etat laisse les élus démunis face à la marée des normes et il évoque un sentiment palpable d'abandon ; il fallait certes réajuster mais la RGPP est majoritairement mal vécue par les fonctionnaires. Quant à « l'équité » et à la « confiance », je me dis que vous devriez délaisser les enquêtes et les pourcentages pour aller prendre le pouls du terrain, vous y croiseriez des présidents de Conseil général plus inquiets que ravis ! Le rouleau compresseur de la RGPP, qui a d'abord été une question d'économies, continuera-t-il à ce rythme ou bien une respiration, un ajustement permettront-ils plus d'équité et de dynamisme ?

Mme Valérie Létard . - Nous le disons à chaque réunion, cette entreprise se télescope avec les grands chantiers comme les SCOT qui demandent toujours plus de technicité. Alors que les maires sont démunis, l'administration apporte moins d'ingénierie et exerce plus de contrôle. Il faudrait au contraire, accompagner, coproduire et faciliter, sinon, comment construire un projet et éviter les erreurs ? Si nous comprenons les enjeux de la RGPP, nous savons aussi qu'avec le non-remplacement d'un fonctionnaire partant en retraite sur deux, « on est arrivé à l'os », comme l'a dit le président de l'association du corps préfectoral. Rationaliser pour un meilleur service rendu, bien sûr, mais pour progresser dans l'organisation des services de proximité. Les collectivités et leurs intercommunalités auront beau s'organiser, pour les dossiers très complexes, les territoires auront toujours davantage besoin de travailler en amont avec les services de l'Etat que de recevoir en fin de procédure des avis négatifs. On gagnerait du temps et l'on s'épargnerait bien des efforts grâce à des relations apaisées. Ne peut-on aller dans ce sens ?

M. François Daniel Migeon. - Le rouleau compresseur ? Mais je vais sur le terrain, j'écoute et nous avons un baromètre des cadres : nous ne sommes pas autistes publics. Nous ne manquons pas de rappeler le sens de ce que nous sommes en train de faire. Beaucoup se sont engagés, ils ont mouillé leur chemise et souffrent de ne pas entendre rappeler la raison d'être de notre action. C'est ce que j'ai fait sans cynisme. Je les ai entendus et nous les accompagnons, ce qui passe par des missions, des moyens. Donner du sens n'est pas être idyllique.

Vous m'interrogez aussi sur la proximité, le conseil, l'attention. Nous sommes en phase d'ajustement. Au niveau départemental revient le conseil de proximité, généraliste, polyvalent, donc interministériel, qui est à l'opposé d'une déclinaison tatillonne des politiques sectorielles ; au niveau régional les fonctions de support et l'expertise. Nous avons mis en place l'approche que vous souhaitez ; c'est un contresens de croire qu'il n'y a pas une très haute valeur ajoutée dans le département et que ce n'est qu'un niveau d'exécution

Les vues que l'on avait sur la réforme il y a quelques années n'étaient pas très différentes des nôtres, mais c'est leur conjonction avec la contrainte de la réduction des effectifs qui a historiquement permis de les enclencher. Si d'aventure on nous disait demain que la réduction d'effectifs a été suffisante, la DGME ne considèrerait pas pour autant que la réforme est achevée, les deux sujets sont distincts.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Mercredi 13 avril 2011

M. Alain Rousset,
président de l'Association des Régions de France (ARF)

____

M. François Patriat , président - Dans le cadre de notre mission, nous souhaiterions savoir comment la RGPP est vécue par les régions. Il me semble que celles-ci ont été informées par les préfets de la mise en oeuvre de la RéATE et n'ont pas ressenti directement, contrairement aux autres niveaux de collectivités, l'impact de la réforme autour de ses trois objectifs initiaux : simplification, optimisation et économie.

Des évaluations sont aujourd'hui disponibles sur le bilan de la réforme, réalisées par le ministère des finances ou la Cour des Comptes dont les conclusions sont divergentes. Notre réflexion nous conduit à distinguer l'application de la RGPP dans les services déconcentrés de l'État stricto sensu mais également l'impact des différentes cartes administratives (judiciaire, pénitentiaire, hospitalière, militaire ou scolaire). A titre d'exemple, la réforme de la carte scolaire a un impact direct sur les collectivités territoriales, en termes d'aménagements de locaux, de construction de cantines ou de gymnases.

Il existe un consensus, au sein de notre mission, sur la nécessité de réformer l'État, afin de le rendre plus efficace et moins coûteux. Quelle est la position de l'ARF sur l'ensemble de ces constats ?

M. Alain Rousset, président de l'association des régions de France (ARF) - Je comparerai la RGPP à une tondeuse à gazon : tous les services de l'État ont été arasés uniformément ce qui montre d'ailleurs les limites de cette politique. En règle générale, un chef d'entreprise, préalablement à toute organisation, définit les produits qu'il souhaite vendre et les entreprises qu'il va filialiser, supprimer ou conserver. Ce n'est pas la logique qui a guidé la RGPP : celle-ci a été indifféremment appliquée ; elle est souvent douloureusement vécue. Philippe Séguin avait d'ailleurs déclaré « Tout ça pour ça » : le fait de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux est insuffisant et mérite une réflexion plus approfondie.

Les régions ont vécu la mise en place de la RGPP avec beaucoup de surprise et d'agacement. En effet, l'État souhaite exercer des compétences dont il a perdu l'ingénierie. On le voit, par exemple, lors des réunions organisées dans des bassins d'emploi par les sous-préfets alors qu'ils ne disposent d'aucun moyen. Les régions y participent pour apporter l'ingénierie nécessaire aux projets. Dans l'enseignement, les régions sont amenées à doter les lycées professionnels et parallèlement, des sections scolaires sont fermées et des équipements non utilisés. Un tel constat n'est pas rationnel du point de vue de la décentralisation. Cette mécanique d'économie apparente et de débudgétisation est malheureusement à l'oeuvre dans tous les domaines.

Votre mission pourrait évaluer le coût lié à l'appel de consultants privés par l'État, suite à la diminution de sa propre ingénierie. Cela ne sert à rien de diminuer ses propres services pour ensuite faire appel à des entreprises extérieures. Aujourd'hui, en matière de maîtrise d'ouvrage directe, l'État perd toute son ingénierie. Par exemple, dans le cadre du plan Campus, Mme Valérie Pécresse elle-même m'avouait récemment que son ministère ne disposait plus des moyens et des compétences nécessaires pour réhabiliter les universités, d'où le recours aux partenariats public-privé. Or, le recours aux PPP a un coût colossal, non seulement pour l'avenir en reportant la charge de la dette sur les générations futures, mais également pour le présent avec la réduction de l'autonomie des universités qui devront arbitrer entre l'appel budgétaire aux régions ou l'augmentation des droits d'inscription.

L'État aurait dû définir préalablement les compétences régaliennes qu'il souhaitait conserver. Aujourd'hui, on constate que l'État est à la fois la tour de contrôle et le pilote de l'avion et qu'il est également dans la soute à bagages. Une telle conception de l'État n'est pas responsable et rationnelle.

Aujourd'hui, on est donc face à des services de l'État qui ont perdu leur ingénierie et leurs moyens financiers et qui, dans le même temps, souhaitent continuer à commander. En matière d'apprentissage, par exemple, l'objectif est de doubler le nombre d'apprentis, sans comprendre que celui-ci est lié à la volonté des entreprises, et alors que le taux d'échec est de 10 % plus élevé que celui de l'échec scolaire.

La France se caractérise par un paradoxe : on estime que, dans notre pays, le coût de la décision publique, c'est-à-dire celui de l'administration, et le temps de la décision publique sont plus lourds et plus longs qu'ailleurs, en raison du nombre élevé de fonctionnaires et de para-services publics. Or, l'État ne peut se permettre de perdre de la compétence. Hier, lors de la commission de la Défense à l'Assemblée nationale, le pilote de la construction du site de Balard, prévu pour réunir les services du ministère de la Défense, nous confiait que l'État est incapable de construire un Pentagone à la française. C'est pourquoi une entreprise privée -Bouygues- a obtenu le marché. De même, l'État est incapable de réhabiliter l'université de Jussieu. Il est choquant que l'État perde de l'ingénierie.

Il est tout aussi choquant que l'État conserve des services et des agents dans des compétences qui ont été transférées aux collectivités territoriales. L'État est responsable des doublons comme, par exemple, pour la gestion des fonds européens ou la gestion de la solidarité et de l'action sociale. D'où la nécessité d'une organisation rationnelle de l'État, afin de diminuer le coût et le temps de la décision publique.

Les exemples de l'innovation et du service public de l'emploi sont révélateurs de ce manque de rationalité. A titre d'exemple, le service public de l'emploi se compose de plusieurs strates successives : Pôle Emploi qui traverse actuellement une crise liée à la fusion de deux métiers différents -l'insertion et l'indemnisation-, les missions locales pour les jeunes, auxquels s'ajoutent les dispositifs mis en place par les communes, les EPCI et les régions. Ainsi, la politique de l'emploi se caractérise par une absence de pilote, d'organisation de l'information et de la mobilité régionales et par un cloisonnement entre les mondes de la formation et de l'entreprise. Comment peut-on avoir confiance dans un État donneur de leçons de rationalité qu'il ne s'applique pas à lui-même ?

Nous sommes favorables à une RGPP intelligente. Nous avons besoin de gendarmes, de policiers, de juges, de diplomates, d'enseignants, de chercheurs. Nous devons également rémunérer correctement nos fonctionnaires afin d'éviter que les meilleurs d'entre eux aillent pantoufler dans le secteur privé. L'expert de la dette française travaille actuellement chez Véolia et il est régulièrement consulté par le Ministère des Finances !

Les régions ne souhaitent pas que des services déconcentrés quasi-inexistants viennent leur donner des leçons sur l'application de leurs politiques publiques locales. En revanche, dans les domaines où les services de l'État sont nécessaires -les compétences régaliennes-, ils ont disparu. Les sous-préfets, des DRIRE ou des DRASS sont le reflet d'une protection paternaliste envers les collectivités à laquelle il faut mettre fin. La décentralisation va avec la responsabilité !

M. François Patriat , président - Les maires, notamment des petites communes, ont besoin de la présence et du maintien des sous-préfectures en matière de conseil, en raison de la quasi-disparition du contrôle de légalité.

M. Alain Rousset - C'est une situation que je qualifierai de syndrome de Stockholm : la France est le seul pays où il existe des préfets et des sous-préfets. Leur présence maintient les petites communes dans l'irresponsabilité et la tutelle.

M. François Patriat , président - Les communes ayant adopté un plan local d'urbanisme ont besoin de l'expertise des services de l'État pour le mettre en oeuvre.

M. Alain Rousset - Ne peut-on pas concevoir le PLU d'une commune au niveau de l'intercommunalité ? Par ailleurs, beaucoup de conseils généraux ont mis en place des structures d'aide aux communes et les régions cofinancent des agences d'urbanisme à échelle régionale, destinées à aider les petites communes. Je m'interroge sur les compétences particulières des sous-préfets en matière d'urbanisme.

Nous ne contestons pas que l'État fixe des principes globaux en matière de sécurité, ou des mesures d'ordre général pour le tracé d'une ligne à grande vitesse. Or, en Aquitaine, en Midi-Pyrénées et en Limousin, nous avons vécu le phénomène inverse : le préfet a autorisé la réalisation de lotissements sur des terrains qui doivent être utilisés pour le tracé d'une nouvelle autoroute.

M. Dominique de Legge , rapporteur - La vision de l'ARF est tranchée...

M. Alain Rousset - J'espère qu'elle est cohérente !

M. Dominique de Legge , rapporteur - Les auditions organisées jusqu'à présent accréditent le sentiment selon lequel la tondeuse à gazon, avec notamment l'application du principe du « un sur deux », n'aurait pas eu des conséquences uniformes entre les échelons central, régional et départemental. Je souhaiterai avoir votre avis sur ce sentiment.

Nous avons également le sentiment que l'État s'est réorganisé conformément aux conclusions du rapport Balladur, qui estimait que la région était le niveau pertinent des politiques publiques et le département le bras armé de la structure de l'État. C'est pourquoi le préfet de région s'est vu confié une mission de coordination des politiques publiques de l'État. Pourtant, les départements sont renforcés par la récente réforme des collectivités territoriales. N'y aurait-il pas une déconnection entre la RGPP qui conforte l'échelon régional et une réalité des collectivités territoriales qui reste résolument départementale ?

Enfin, dernière question, avez-vous été associé ou, au moins concerté, dans l'application de la RGPP au niveau régional ?

M. Alain Rousset - A la dernière question, la réponse est très clairement, non !!

Je partage votre constat selon lequel l'administration centrale, et plus particulièrement Bercy, a été relativement épargnée par la RGPP, liée certainement à l'échec de Christian Sauter qui a dû peser sur les négociations avec les organisations syndicales. Cette situation pose la question des relations de l'État avec nos concitoyens : quels contacts avec la société peut avoir une administration retranchée dans un « bunker » ministériel ?

S'agissant de votre deuxième question, je n'oppose pas les départements et les régions, sur le plan de la décentralisation. J'estime que le temps de la décentralisation et de la responsabilité est arrivé. La France est le seul pays où l'interlocuteur du président du conseil général ou du conseil régional est un préfet, quel que soit le domaine considéré -sortie de crise, lutte contre l'échec scolaire, créativité industrielle, recherche ou action sociale. Cette situation apparaît d'ailleurs indécente sur le plan du protocole. Lors de l'inauguration d'un bâtiment public dans lequel l'État n'a apporté aucun financement, il revient pourtant au préfet de parler après les exécutifs locaux qui sont conduits à lui faire une sorte de révérence !!

M. François Patriat , président - Le préfet nous accompagne dans nos projets.

M. Alain Rousset - Cette situation démontre un asservissement à la fois intellectuel, financier et politique de notre décentralisation à l'égard du monde administratif. C'est en quelque sorte « Tanguy » qui est resté chez ses parents. Tant que nous n'assumerons pas la décentralisation, la France ne se relèvera pas. Sous prétexte d'avoir réussi une grande école, un préfet est-il supérieur à des élus, fût-ce de petites communes, désignés démocratiquement ? Pourquoi existe-t-il encore des préfets aujourd'hui alors qu'il n'en existe pas en Espagne ou en Allemagne? Il s'agit de mon sentiment personnel, non celui de l'ARF.

Pour revenir à votre question relative aux relations entre départements et régions, l'État a plutôt vocation à s'organiser au niveau départemental, en raison de ses compétences régaliennes. Les compétences de développement ou d'animation économiques sont des politiques de la région.

M. François Patriat , président - Les régions, dans ses rapports avec les services de l'État en région, rencontrent-elle des difficultés particulières du fait de la RGPP ?

M. Alain Rousset - Quelles sont actuellement les compétences partagées entre les régions et l'État ? Les compétences assumées avec le rectorat : nous parvenons à nous entendre avec les services du ministère de l'Éducation nationale sur des projets concrets. Toutefois, force est de constater que les financements permettant la modernisation des lycées professionnels proviennent des régions. Mais il est parfois difficile de savoir ce qui est lié à la RGPP ou à la volonté de réforme du ministère de l'Éducation nationale.

Les régions mettent en place un service public de l'orientation, de la formation et de l'emploi : une formation avec une bonne orientation est une formation réussie avec un emploi stable, comme l'ont démontré les expériences canadiennes et québécoises. Or, l'absence de formation -et notamment permanente- des enseignants, qui sont à la base de l'orientation des élèves, est préjudiciable pour les régions. Toutefois, il ne s'agit pas d'un problème directement lié à la RGPP mais plutôt d'un problème de politique publique. S'agissant des autres compétences des régions -apprentissage, emploi, développement économique- les services de l'État souhaitent continuer à intervenir dans ces domaines alors qu'ils ne disposent pas des moyens matériels et financiers suffisants.

Le problème de la RGPP est lié aux réponses apportées au « qui fait quoi ». Il est surprenant de constater la diminution du nombre de gendarmes, de professeurs ou de juges et la conservation d'effectifs dans les compétences transférées aux départements ou aux régions.

Enfin, l'idée selon laquelle les services de l'État sont le garant de l'aménagement du territoire me fait sourire. Lorsque les départements ont bénéficié du transfert des compétences sanitaires et sociales, force est de constater qu'il y avait un grand désordre, avec une inégalité entre les départements au sein d'une même région. Le même constat s'applique sur les dotations des collèges et des lycées en TOS qui révélaient une situation de clientélisme.

M. Rachel Mazuir - Dans les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie, les collectivités territoriales ont imaginé des solutions visant à faciliter les déplacements des Français travaillant en Suisse, pour un coût total de 120 millions d'euros. Le préfet de région a souhaité coordonné les diverses modalités de transport organisées par les collectivités tout en précisant qu'il ne disposait d'aucun moyen financier pour participer aux projets !

S'agissant du niveau territorial pertinent, le département est, à mes yeux, une collectivité de proximité tandis que la région, selon son importance, peut conduire des politiques fortes au niveau international.

Rappelons que la RGPP a été initiée pour réduire les coûts. Or, les communes se tournent aujourd'hui soit vers l'offre privée, soit vers les conseils généraux -les intercommunalités ne disposant pas toujours des moyens suffisants- en matière d'assistance juridique, suite à la disparition des DDE, ce qui se traduit in fine par un transfert des coûts de l'État vers les collectivités.

Je partage l'idée selon laquelle il faudra aborder la question du « qui fait quoi », au niveau des régions, des départements et de l'État. Les préfets de département disposent aujourd'hui de pouvoirs réduits au profit du préfet de région.

M. Jean-Luc Fichet - Je partage pleinement votre plaidoirie sur la RGPP, bien qu'elle soit en contradiction avec les précédentes auditions de la mission.

Vous avez rappelé que les préfectures et les sous-préfectures ne conservaient pas aujourd'hui une grande utilité. Il est vrai que moyens humains préfectoraux sont parvenus « à l'os. » Toutefois, dans un même temps, le Gouvernement déclare vouloir conserver le réseau des sous-préfectures. Au-delà de l'enjeu, quel est, selon vous, l'avenir des territoires ruraux ? Le sous-préfet représente souvent la dernière considération de l'État pour ces territoires, compte-tenu de la mise en place des différentes cartes administratives. Par ailleurs, les intercommunalités n'ont pas toujours les capacités nécessaires pour suppléer les sous-préfectures en matière d'ingénierie publique par exemple. Comment ces territoires peuvent-ils s'organiser ?

M. Alain Rousset - L'aspect le plus important pour un territoire n'est pas le maintien du sous-préfet mais la création d'une maison de santé, le maintien d'un hôpital local ou d'une maison de retraite. Rappelons que les maisons de santé n'ont pas été créées par l'État mais par les collectivités territoriales, qui sont également à l'origine des politiques de la ville ou de l'insertion. Tout est lié à un problème de confiance en soi.

On regrette que l'intercommunalité ne soit pas assez forte et, dans le même temps, on la refuse. On en revient au syndrome de Stockholm : on refuse l'aboutissement de la responsabilité des élus. Il s'agit d'un véritable débat philosophique et opérationnel : est-il plus important de conserver un sous-préfet sans moyen ou un service public essentiel à la population ?

M. Jean-Luc Fichet - Pour les maires, la préservation de la santé ou de l'enseignement sur un territoire est lié au maintien des services de l'État.

M. Alain Rousset - C'est possible. Pourtant, à Marmande dans le Lot-et-Garonne, le tribunal de commerce a été supprimé alors que le sous-préfet a été maintenu. J'aurai préféré que ce fût l'inverse.

Le problème principal de la RGPP est lié au fait qu'elle vient « d'en haut », issue d'un dialogue opaque entre quelques organisations syndicales, les grands corps de l'État et un ou deux ministres. Le groupe de travail présidé par M. Alain Lambert a représenté, selon moi, un excellent exercice du dialogue entre les associations nationales d'élus et les directeurs des principales administrations centrales de l'État. Au cours de ces travaux, le directeur du Trésor estimait que l'intercommunalité était à l'origine de l'explosion du nombre de fonctionnaires dans la fonction publique territoriale entre 1985 et 2005. Ce constat, indéniable, est lié à l'explosion des normes dans les domaines de l'eau ou des transports. Or, au cours de cette même période, la fonction publique d'État augmentait de plus de 230 000 fonctionnaires !

L'exemple des DDE est symptomatique : la compétence a été transférée aux départements mais non les moyens. Historiquement, il ne revient pas à l'État de s'occuper des routes qui est une compétence des collectivités. Il ne faut pas se plaindre, il faut prendre pleinement notre responsabilité d'élu local. Nous ne pouvons pas à la fois être critique vis-à-vis de l'État et lui demander qu'il nous protège. Il s'agit d'un problème de culture. Le président de la Catalogne me confiait récemment que les communautés espagnoles acceptaient toujours les transferts de compétences car elles savent qu'elles vont bénéficier par la suite des moyens nécessaires. Ce n'est pas le cas en France. Or, nous gérons bien mieux les politiques publiques que l'État. Alors, arrêtons de nous plaindre ! Nous ne pouvons pas demander le maintien de la clause générale de compétence et avouer ne pas pouvoir tout assumer.

M. Rachel Mazuir - Je souhaite conserver la compétence générale pour les départements mais également récupérer les 25 % de mon autonomie fiscale qui ont été supprimés.

M. Alain Rousset - L'autonomie fiscale des collectivités a diminué et celle des régions a disparu. Dans les autres pays européens, les ressources des collectivités reposent principalement sur le transfert d'une part d'impôts d'État.

M. Rachel Mazuir - Les départements ont une compétence particulière : la gestion de prestations sociales individuelles.

M. Didier Guillaume - Je partage l'idée selon laquelle il faut arrêter de se plaindre.

Toutefois, les compétences sociales représentent, pour les départements, 64 % du compte administratif. Pour le département de la Drôme, leur coût s'élevait à 140 millions d'euros en 2005 et à 250 millions d'euros en 2011, soit une augmentation de 110 millions d'euros en six budgets ! En 2009, la chambre régionale des comptes a évalué à 37 millions d'euros la dette de l'État. Une telle situation nous conduit inévitablement à ne plus aider les communes en matière d'ingénierie, en raison de la diminution de notre capacité d'autofinancement. Nous souhaitons récupérer notre dû en matière d'allocations sociales que nous versons au nom de l'État qui ne respecte pas ses obligations constitutionnelles de compensation !

M. Alain Rousset - Les régions ont perdu plus d'autonomie fiscale que les départements : notre pouvoir fiscal ne concerne aujourd'hui que les vignettes, qui représentent 7 % de nos recettes.

Par ailleurs, si une région souhaite construire une ligne à grande vitesse ou rénover une université, elle ne peut compter sur une participation financière de l'État. Les régions ont d'autres contraintes que les départements. C'est pourquoi une répartition claire des compétences est nécessaire.

M. François Patriat , président - Je vous remercie pour la franchise de vos propos et de votre vision de l'effet de la RGPP sur les régions, qui apparaissent moins impactées que les autres échelons territoriaux.

MM. Thierry Latger, Secrétaire général,
et Laurent Janvier, du Syndicat national des ingénieurs
des travaux publics de l'Etat
et des collectivités territoriales (SNITPECT)

____

M. Didier Guillaume , vice-président. -  Je vous remercie de votre présence ainsi que de la contribution écrite que vous nous avez transmise. Sur la base de votre expérience, comment percevez-vous cette réforme et les relations entre les agents des collectivités territoriales et leurs collègues de l'Etat ?

Au bout de quelques mois, quel bilan tirez-vous objectivement de cette réforme et quelles en sont les conséquences sur les services ? Les services publics sont-ils aujourd'hui aussi bien rendus qu'hier ?

M. Thierry Latger, secrétaire général du syndicat national des ingénieurs des travaux publics de l'Etat et des collectivités territoriales (SNITPECT) . - La RGPP et la RéATE sont deux processus distincts.

Nous avons lu les comptes-rendus des auditions précédentes : l'ensemble des intervenants, sauf le directeur général à la modernisation de l'Etat, ont constaté qu'il n'y avait pas de processus démocratique derrière la RGPP qui est présentée comme une révision de l'organisation de l'Etat. Mais sur le terrain, elle a changé le contrat social passé avec les agents publics. Elle attaque les missions. Les ministères sont réduits à un rôle passif. Certains ministres sont obligés de se justifier devant leur administration.

La RGPP diminue le coût de fonctionnement de l'Etat sans s'interroger sur le coût final pour l'usager.

La RGPP, c'est la transformation des services publics solidaires payés par l'impôt en services publics payés par les usagers.

Les conséquences de la réforme sont très négatives : c'est relevé par les élus et le Médiateur.

Nous avons constaté le service dégradé sur la voirie l'hiver dernier. La RéATE est un processus légitime mais dévoyé par la RGPP, par les suppressions massives de personnels, par la fin de certaines missions comme l'ingénierie publique.

On demande des suppressions de postes avant d'avoir engrangé les gains des réorganisations nécessaires.

La réduction du nombre de fonctionnaires par le non-remplacement d'un sur deux, s'établit à trois sur quatre dans les DDI. Il est procédé à de très nombreuses mutualisations dans tous les sens : au prétexte de la parole unique de l'Etat sur le territoire, la lisibilité de la LOLF est brouillée (on ne sait plus qui travaille pour qui).

Le ministère de l'intérieur a relancé, le mois dernier, 36 nouveaux projets de mutualisation. Et l'on assiste à la régionalisation du fonctionnement de l'Etat avec la volonté de séparer les services de leurs ministères et, en conséquence, de leur réseau professionnel. Donc, on met en cause l'efficacité des agents.

On a escamoté les débats : auparavant, on avait des ministères qui, historiquement, portaient des positions très différentes comme l'équipement et l'environnement. Le débat était sur la place publique et on pouvait prendre une décision en connaissance de cause. Aujourd'hui, il est escamoté dans la structure de l'Etat

Les phases suivantes peuvent être encore plus brutales : on peut imaginer des directions régionales interministérielles, la disparition des administrations centrales remplacées par des agences qui ne traiteront que du dialogue de gestion avec les préfets de région.

On a le sentiment que la RéATE se traduit petit à petit par la disparition de l'organisation ministérielle de l'Etat.

Deux sondages récents ont manifesté les critiques des fonctionnaires sur leur administration.

Cette voix affaiblie de l'Etat est inquiétante.

Au niveau de notre ministère -le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement-, la RGPP a pris la forme d'un dossier : RH 2013 (ressources humaines 2013) qui est la traduction pure et dure des suppressions RGPP (dans les 2 ans à venir, un agent sur 2 va être muté vers un autre ministère). On a mis « en mouvement forcé » 10 000 agents sur les 60 000 que compte le ministère. Quelques chiffres : en Bourgogne, moins 24 agents sur 2012-2013 pour l'application du droit du sol. La DDT de la Creuse va perdre 80 agents en 6 ans.

La démotivation des agents est historique, notamment chez les cadres, très critiques, alors que, auparavant, ils portaient les réformes.

Les conséquences seront directes et importantes pour les collectivités locales, ne serait-ce que pour la mission en matière de droit du sol : ce sont moins 700 agents sur la mission pour l'ensemble de la France.

Le conseil aux collectivités passera au dernier plan. L'ATESAT est en train de mourir de sa belle mort.

Il va falloir prioriser les missions obligatoires : on ne fera pas tous les plans de prévention des risques en même temps. Certaines communes vont donc attendre des années ou abandonner.

Tout le monde regrette, en conséquence, le bon temps des DDE. On a lu le rapport de M. Daudigny.

Dans un département, on nous a signalé qu'il n'y avait plus de contrôle sanitaire sur les cantines depuis 2 ans. C'est assez inquiétant.

Des agents vont être déplacés.

Dans le Maine-et-Loire, par exemple, on est passé de 14 subdivisions territoriales à 4. Deuxième phase : on va supprimer les subdivisions territoriales.

Les DDT ne sont pas les seules affectées : on peut citer les services de navigation. Se posent des questions sur les missions portées, notamment sur les réseaux secondaires où les moyens vont manquer. Les services routiers, n'en parlons pas : les centres d'exploitation ferment les uns après les autres, en particulier en montagne.

Notre corps des ingénieurs TPE comportait 2.400 membres en 2006 dans les DDE, et moins de 1 000 à la fin de l'année.

Il faut donc redessiner le rôle de l'Etat, redéfinir l'articulation entre les différents niveaux et redéfinir le management, maintenir l'équilibre entre niveaux régional et départemental.

Aujourd'hui, il n'y a plus de moyen suffisant pour les formations.

Il faut mettre en place un management intelligent pour travailler en réseau. Les fonctionnaires techniques ne peuvent fonctionner qu'en réseaux notamment scientifiques et techniques de notre ministère.

La notion de confiance disparaît.

Les administrations centrales sont trop prises, aujourd'hui, dans des considérations de court terme.

Il y a donc le besoin de reconstruire la confiance entre l'Etat et ses fonctionnaires.

M. Didier Guillaume , vice-président . - Pensez-vous que par rapport au service public, à la fois la RéATE et la RGPP peuvent avoir des conséquences sur la façon dont le service public est rendu par vous et par d'autres ?

M. Thierry Latger . - Le service public s'appuie sur des personnels et sur des compétences.

On peut imaginer différentes organisations mais il est impératif de développer les compétences.

Même si les missions de service public peuvent être développées par les collectivités locales dans le cadre de leurs compétences, ces collectivités ont aussi besoin d'un réseau de compétences pour innover.

Avec la décentralisation, on peut imaginer la mutualisation des moyens, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Je souhaite vous poser quatre séries de questions :

Les auditions passées étaient toutes assez marquées par le sens de la nuance. Je n'ai pas entendu beaucoup de personnes remettre en cause le principe même de la nécessité de la réforme. Est-ce à dire que le grand soir des services publics est arrivé, que l'on passe de la lumière aux ténèbres ?

J'ai compris qu'en gros, « on est bien entre nous ». Il y a des opérateurs locaux et ce n'est pas une mauvaise chose. Ne croyez-vous pas que vis-à-vis de l'usager, il y a nécessité d'avoir une logique moins verticale et plus horizontale ?

Vous avez dit : un agent sur six est en mouvement forcé. Est-ce à dire que la mobilité n'est pas positive pour le personnel et les services publics ?

Le non-remplacement d'un agent sur deux est-il traité de la même façon aux niveaux départemental et régional ?

Du processus de décentralisation ont résulté des transferts de compétences aux collectivités territoriales. Il y a donc une certaine logique à ce que l'ingénierie qui va avec ces compétences soit aussi transférée.

Il faut examiner ce qui relève des conséquences de la directive sur les services et ce qui relève de la solidarité.

M. Thierry Latger .- Notre syndicat avait fait, parallèlement à la RéATE, des propositions pour réformer l'organisation des structures de l'Etat. Mais c'est la manière qui ne nous convient pas :

- Le mélange de la RéATE et d'une RGPP très dogmatique avec la réduction du nombre de postes ;

- La manière de faire : il faut travailler avec les agents et non contre eux qui, aujourd'hui, n'ont pas de visibilité sur leur avenir.

Sur les réseaux, l'idée n'est pas de dire : « on est bien entre nous. » On a constitué le ministère de l'équipement, on a contribué à constituer le ministère de l'écologie. On a donc un peu cette vision horizontale et on sait prendre en compte la complexité des projets.

Il n'en reste pas moins -et c'est compatible- que pour travailler sur le terrain, on a besoin des réseaux : inter-administrations et inter-fonction publiques.

La mobilité est dans notre cursus et dans notre façon de travailler. Mais dans les services, sont en poste des personnels de catégorie B ou C qui portent l'historique et qui sont moins mobiles que des cadres A. On ne peut pas les déplacer brutalement aux quatre coins de la France.

La mobilité est un élément positif pour la fonction publique, qui fait partie de nos valeurs. Mais elle ne doit pas s'effectuer n'importe comment.

Le non-remplacement d'un agent sur deux : j'ai tendance à dire que plus vous montez dans la hiérarchie du ministère, plus il se dilue.

Beaucoup d'ingénieurs TPE ont suivi les transferts résultant de la décentralisation, et aidé les collectivités territoriales à prendre en main leurs responsabilités.

Aujourd'hui, il devient difficile à l'Etat de trouver des ingénieurs, des spécialistes des routes qui sont dans les collectivités territoriales, qui interviennent de façon efficace. Mais la source se tarit. L'Etat a du mal, aujourd'hui, à former ces ingénieurs routiers.

Les compétences peuvent être partagées entre l'Etat et les collectivités locales pour les mettre au bénéfice de tous.

M. Laurent Janvier.- Un témoignage de terrain et un constat. Le retrait de l'Etat de l'ingénierie concurrentielle a laissé les collectivités locales un peu orphelines.

Les deux limites :

La maîtrise d'ouvrage est un processus complexe. A l'échelle de l'intercommunalité, le service créé sera pertinent pour répondre aux besoins récurrents de la gestion quotidienne. Sa limite sera les sujets complexes et la compétence technique sur les sujets nouveaux.

Sans revenir dans le système de l'ingénierie concurrentielle, il serait intéressant de conserver la compétence de l'Etat pour apporter un appui particulier aux collectivités locales.

L'ATESAT peut être la réponse aux difficultés de la maîtrise d'ouvrage.

Mais elle comporte un point de faiblesse : aujourd'hui, les intercommunalités sont peu éligibles à l'ATESAT qui devrait être facilitée dans ce champ.

M. Didier Guillaume , vice-président.- L'ATESAT va basculer dans les mois à venir.

M. Laurent Janvier.- Oui, mais c'est encore réversible : les moyens existent. L'idée est de préserver ce qui existe encore.

Il faut éviter le message négatif des ministères car on a du mal à conserver leur attractivité aux postes territoriaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les EPCI exercent une fonction de conseil auprès des petites collectivités. Question : si elle est remplie par les EPCI, pourquoi conserver cette fonction à l'Etat ?

M. Laurent Janvier.- L'ingénierie, au niveau des collectivités locales, a-t-elle vocation à se développer ?

Un technicien intercommunal n'aura pas vocation à devenir un spécialiste de l'agenda 21.

Nous pouvons être en appui de l'intercommunalité pour ces projets un peu complexes.

M. Gérard Bailly .- Concrètement, qui a décidé la réorganisation des services dans chaque département ?

Les agents transférés aux collectivités locales sont-ils plus ou moins satisfaits de leur nouvel état ?

Quels sont les vrais effectifs des agents ? J'aimerais bien qu'on dispose de ces données.

M. Jean-Luc Fichet .- Êtes-vous prêts à accompagner le développement de l'ingénierie des collectivités locales ? A ce moment-là, je ne vois pas l'intérêt des doublons.

Mieux vaut trouver le mode d'accompagnement pour retrouver la qualité de service qu'elles ont perdue.

M. Thierry Latger.- La réorganisation s'est passée de façon brutale : les objectifs de la RGPP ont été imposés par l'administration centrale ; le préfet a redessiné les organigrammes des services avec les directeurs.

Les ingénieurs TPE en collectivités sont très heureux. Ceux de l'Etat sont anxieux et inquiets.

Aujourd'hui, on peut trouver de l'espace pour tout le monde, avec le développement des compétences techniques pour les enjeux énergétiques.

Aujourd'hui, un directeur interdépartemental des routes ne sait plus entretenir ses gros matériels comme un chasse-neige.

M. Laurent Janvier.- Pour l'ATESAT, le rôle que l'Etat peut jouer est l'accompagnement en formation ; on peut imaginer cette complémentarité.

M. Thierry Latger.- La réforme de l'Etat est une nécessité mais on ne peut pas la faire n'importe comment.

M. Didier Guillaume , vice-président.- Je vous remercie.

M. Vincent Descoeur, Président,
et de Mme Chantal Robin Rodrigo, Secrétaire générale,
de l'association nationale des élus de la montagne
(ANEM)

____

M. Didier Guillaume , vice-président . - Quel bilan général faites-vous de la RGPP ? Quel est l'impact de la RGPP sur les territoires de montagne ? Comment les services y sont-ils rendus ? Avez-vous été consultés ou interrogés dans le cadre de la mise en place de la RGPP ?

Mme Chantal Robin Rodrigo, secrétaire générale de l'association nationale des élus de la montagne (ANEM) . - Pour nous, la loi de 1985 sur la montagne tient lieu de pierre angulaire. Elle prend en compte les spécificités des territoires de montagne, tant du point de vue géographique que du point de vue climatique. Nous ne sommes pas opposés à la réforme de l'Etat, mais la RGPP a été menée à marche forcée, que ce soit dans le cas de La Poste, des écoles ou encore des hôpitaux. Concernant la réforme de la carte hospitalière, je souligne ici qu'on accouche de plus en plus souvent dans les ambulances. La RGPP a été conduite sans concertation et dans la précipitation. On s'interroge à propos du devenir des sous-préfectures et de certains autres services. Il ne nous paraît pas possible de faire de l'aménagement du territoire dans ces conditions là. De même, les suppressions de postes d'enseignants sont bien souvent inadmissibles dans les zones de montagne. Il faut en effet tenir compte non seulement des distances, mais aussi des temps de déplacement dans ces territoires.

M. Vincent Descoeur, président de l'association nationale des élus de la montagne (ANEM) . - Le maintien des services publics dans les zones de montagne est plus difficile qu'ailleurs du fait de la dispersion des populations. Il faut en effet autant tenir compte sur ces territoires des délais de transport que de la distance elle-même. Dans le cadre de la RGPP, nous avons été informés mais pas concertés. Cette politique doit s'accompagner d'une approche territoriale, au risque dans le cas contraire de déboucher sur un amoindrissement de la qualité du service rendu. Ainsi, par exemple, dans le domaine de l'éducation, les départements de montagne risquent d'être désorganisés par la politique actuellement menée. Le service public de l'éducation tend à s'éloigner des familles et, même si le taux d'encadrement constaté dans les établissements situés en montagne est parfois élevé, ce critère n'est pas pertinent du fait de l'organisation particulière des classes dans les zones de montagne. La limite de l'exercice conduit avec la RGPP réside dans la notion de seuils.

Nous avons réussi à préserver la présence du service postal en zone de montagne, mais dans le cas de l'éducation nationale, les familles vont être confrontées au problème des distances.

L'excessive régionalisation des services publics entraîne l'éloignement des centres de décision et des compétences. Par exemple, dans le cas du rapprochement des directions départementales de l'équipement (DDE) et des directions régionales de l'environnement (DIREN), on n'a pas abouti à un schéma optimal et des difficultés se posent en matière de déneigement. Avant la RGPP, l'Etat assurait une assistance technique qui est désormais très éloignée des collectivités locales. Celles-ci tendent à substituer à cette assistance des agences techniques départementales. Les départements ont ainsi multiplié le développement de certains services parallèlement à la mise en place de la RGPP. Cette tendance nécessite de définir de nouveaux critères d'appréciation du service public.

Mme Chantal Robin Rodrigo . - J'insiste sur le problème posé par la désertification médicale. Dans les régions touristiques, on ne tient pas compte de l'afflux saisonnier de population. De ce fait, il existe un fort risque de santé lié à l'enjeu des distances et des difficultés climatiques. Or, le service public de la santé est bel et bien primordial. De ce point de vue, la récente loi sur la santé n'a malheureusement rien changé. Il aurait fallu une réelle concertation. Nous sommes arrivés aujourd'hui au bout du bout. Cela est d'autant plus regrettable que la démographie redémarre dans les zones de montagne et qu'il faut encourager cette reprise.

M. Didier Guillaume , vice-président . - Y-a-t-il une corrélation entre la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite et la baisse de la qualité du service public en zone de montagne ? Par ailleurs, qui possède réellement le pouvoir entre le préfet de région et celui de département ? Y-a-t-il une volonté de maintenir les sous-préfectures ?

M. Vincent Descoeur . - Le préfet demeure incontestablement un interlocuteur pour les collectivités locales, mais la RGPP s'est accompagnée de la montée en puissance du préfet de région. Aujourd'hui, l'interlocuteur des élus pour la question des routes est la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui relève du niveau régional et pas départemental.

Il faudrait certainement un vrai débat sur l'avenir des sous-préfectures. Mais l'Etat ne doit pas se contenter d'une présence au niveau régional. Les intercommunalités n'ont malheureusement pas la taille critique pour monter des services d'ingénierie.

Mme Chantal Robin Rodrigo . - Le préfet n'a plus aucun pouvoir sur l'organisation des territoires du point de vue de la santé. Concernant les sous-préfectures, les conseils généraux ont dû depuis longtemps suppléer aux carences de l'Etat, ce qui a notamment entraîné une hausse des impôts locaux.

M. Vincent Descoeur . - L'évolution actuelle pose la question du seuil minimum en deçà duquel l'Etat ne peut pas descendre. L'Etat devrait passer des conventions d'objectif (dans le domaine de l'éducation, de la santé...), faire une pause dans les réformes et se poser la question du maillage minimum nécessaire au maintien de la qualité des services publics sur tout le territoire. Dans le secteur de l'éducation, on doit privilégier les zones rurales et la banlieue.

M. Didier Guillaume , vice-président. - Faut-il des critères différenciés selon les zones ?

M. Vincent Descoeur . - Oui, c'est une évidence. Ceci n'est d'ailleurs pas difficile à conceptualiser et on pourrait parfaitement définir une règle du jeu claire avec l'Etat. Cette année, les objectifs fixés à l'éducation nationale ne sont pas compatibles avec le maintien d'un juste maillage du territoire.

Mme Chantal Robin Rodrigo . - Ces préoccupations ont d'ailleurs été parfaitement bien reprises par le Médiateur de la République dans son dernier rapport.

M. Vincent Descoeur . - Nous avons bien conscience toutefois qu'il n'est pas possible d'apporter une réponse à chaque problème.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Je comprends que pour bien aborder les territoires de montagne, il faut tenir compte de leurs spécificités, tant en terme de densité que de temps de transport et de distance. Toutefois, dans le cadre de l'accès aux soins, ces spécificités sont moins grandes et certaines fermetures d'hôpitaux peuvent se justifier.

A quoi servent aujourd'hui les sous-préfectures ? Sont-elles là pour marquer une présence de l'Etat ou apporter un service ? Quel est votre avis sur le regroupement des trésoreries ? Comment concilier l'existence de l'échelon départemental avec la prééminence de la région ? A cet égard, la fusion des DDE et des DIREN me paraît plutôt positive.

Dans le domaine de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, si les collectivités locales acceptent des compétences, il faut aussi qu'elles en acceptent les conséquences. Quelle est selon vous, dans ces conditions, la place des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ? N'avez-vous pas le sentiment que, dans le secteur de l'ingénierie, l'Etat se désengage progressivement ?

M. Vincent Descoeur . - La mise en place des nouvelles directions départementales des finances publiques (DDFiP) n'a pas suscité de traumatismes locaux. Aujourd'hui, on compte environ 45 communes par trésorerie.

Le déclin de l'assistance technique traditionnellement accordée par l'Etat pose le problème du nécessaire transfert de compétences. On le voit par exemple dans le domaine de l'assainissement de l'eau. Nous prévoyons la création d'une agence technique qui répondra aux appels d'offres. Il n'est toutefois pas normal qu'un élu ne puisse pas avoir un interlocuteur technique clairement identifié sur des problématiques liées au désenclavement.

Certes, les sous-préfectures doivent évoluer. Mais quels services faut-il laisser pour assurer la proximité du service public ? Le sous-préfet demeure à la fois un interlocuteur et un vrai recours, mais il devrait avoir des collaborateurs plus spécialisés.

Mme Chantal Robin Rodrigo . - Le sous-préfet est le premier représentant de l'Etat, en ce qu'il est le plus proche des élus locaux. S'il doit certainement évoluer dans ses missions et moderniser son mode d'action, il ne doit certainement pas disparaître.

En zone de montagne, les intercommunalités ne pourront guère dépasser quelques milliers d'habitants, ce qui pose un problème de taille critique.

M. Vincent Descoeur . - On n'attend pas tout de l'Etat. Par exemple, on a créé une mission d'assistance pour l'eau, qui est désormais l'interlocutrice d'environ 200 communes. Le sous-préfet devrait être un « développeur ». Il faut préciser que les communes ont aussi besoin d'une assistance juridique, tout comme les pôles d'excellence régionaux (PER) ont besoin d'un chef d'orchestre.

M. Didier Guillaume , vice-président . - Dans les zones de montagne, la population est-elle mobilisée ?

M. Vincent Descoeur . - La population est très sensible aux questions qui ont trait au service public de l'éducation, à La Poste, à la démographie médicale... Si l'Etat voulait bien consacrer un peu de temps et de matière grise à améliorer sa présence sur le territoire, il ne serait pas très difficile d'optimiser les moyens mis en oeuvre. Il y a parfois des contraintes insurmontables (comme par exemple les programmes scolaires dans les collèges) mais une dose de bon sens serait la bienvenue.

M. Didier Guillaume , vice-président . - A propos de la question des normes, il y a des seuils en deçà desquels on ne peut pas descendre. C'est par exemple le cas pour les maternités. Mais, en même temps, la fermeture d'une maternité a un impact sur les territoires. Aussi, les normes ne devraient-elles pas être différenciées selon les territoires ? Cela permettrait notamment de sauver certains hôpitaux en zone de montagne.

Mme Chantal Robin Rodrigo . - Il faut encourager les coopérations, y compris entre le public et le privé, pour éviter les doublons. La vie d'une femme peut être mise en danger si elle est trop éloignée d'un hôpital et je veux rappeler que les petites maternités présentent parfois des statistiques meilleures que les grandes. Il faut absolument préserver la proximité du service public.

M . Vincent Descoeur . - La tarification à l'activité tend à précipiter la chute de certains établissements de santé. Mais la fermeture d'une maternité peut aussi s'accompagner du renforcement du pôle « urgences ».

Mme Chantal Robin Rodrigo . - Une maternité qui ferme, c'est un hôpital entier qui est ébranlé.

M. Didier Guillaume , vice-président . - Il faut certes tenir compte des effets en chaîne d'une telle fermeture.

M . Vincent Descoeur . - Bien sûr et il faut insister sur l'égalité du service rendu, quels que soient les territoires.

Mercredi 27 avril 2011

MM. Jean-Pierre Auger, président,
et de François Guillot, vice-président,
de l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

____

M. François Patriat, président . - Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur la RGPP ? Quelle est votre évaluation de cette réorganisation ? A-t-elle donné lieu à une concertation ? Comment se traduit-elle sur le terrain ?

M. Jean-Pierre Auger, président de l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) . - Etant des fonctionnaires territoriaux, nous ne pouvons juger que les conséquences de la réforme sur le terrain. Nous ne pouvons pas juger de la concertation qui l'a entourée.

De manière précise, nous pouvons mesurer l'évolution de l'ingéniérie publique, les transferts de l'ingéniérie d'Etat à l'ingéniérie territoriale, les conséquences sur la fonction publique territoriale.

Il y a trois niveaux d'ingéniérie : la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre et le réseau scientifique et technique (RST) de l'Etat.

Il est important que les élus soient entourés par des techniciens suffisamment compétents pour assumer le rôle du maître d'ouvrage.

La réorganisation des DDE laisse un vide dans le paysage, ne serait-ce que pour l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Les élus des petites collectivités sont démunis pour l'assistance à maîtrise d'ouvrage en direct ou en consultation.

Côté bâtiments, on a des réponses. Mais en matière d'espace public, de voirie, je ne suis pas persuadé de la pertinence de l'ingéniérie privée dans un domaine où l'ingéniérie publique a été très présente jusque-là.

C'est quasiment le même phénomène, à un niveau différent, pour la maîtrise d'oeuvre.

Les grandes collectivités ont les moyens de leur autonomie. En revanche, les petites communes et intercommunalités se retrouvent seules.

Les initiatives des collectivités territoriales se traduisent par la mise en place d'agences départementales, de structures comme les sociétés publiques locales. Mais qu'en est-il du rôle de l'élu en tant que décideur ? A-t-il une parfaite autonomie ? Ces solutions sont-elles conformes à la loi et aux règles de mise en concurrence ? Je ne suis pas sûr que cela soit parfaitement légal.

Il y a une interrogation sur la capacité de ces structures à bien répondre aux missions et à l'assistance auprès des élus. Comment 3 ou 4 ingénieurs réunis au sein d'une agence peuvent bien assurer le rôle d'aide à la décision auprès des élus ?

Cette question peut évoluer avec le nouveau schéma départemental de la coopération intercommunale et le regroupement d'intercommunalités : il sera possible de parvenir à des structures plus importantes, d'une certaine technicité. Mais un regroupement de 5.000 habitants n'est pas suffisant.

M. François Patriat, président . - Mon expérience des commissions départementales de la coopération intercommunale m'incline à penser que les regroupements d'intercommunalités ne sont pas si faciles à mettre en oeuvre.

Au niveau des intercommunalités de 5.000 habitants, l'ingéniérie n'est pas gérable.

M. Jean-Pierre Auger, président . - La taille critique de l'intercommunalité est à cet égard de 15.000 à 20.000 habitants.

Je ne suis pas sûr que le département apporte toutes les réponses.

Aujourd'hui, on travaille de plus en plus de régie car quand il y a appel à des bureaux extérieurs, surtout sur sujets qui concernent l'espace public, il n'y a pas toute la rigueur souhaitée.

C'est encore trop sous l'influence des DDE. On traite encore la rue comme la route alors que dans l'urbain, on est sur des espaces partagés.

Le réseau scientifique et technique (RST) a l'avantage d'exister.

L'intérêt du privé comme du public est, de manière générale, de disposer d'une bonne ingéniérie.

Si les entreprises françaises étaient à la pointe, c'était en raison de la qualité de l'ingéniérie d'Etat.

L'exigence des collectivités territoriales est plus pointue que celle de l'Etat, plus directe en raison du contact avec l'usager.

Dans une collectivité, si on rate les besoins des usagers, on rate sa mission.

Le RST d'Etat a besoin d'évoluer. Les services aux collectivités territoriales ne correspondent pas aux mêmes métiers mais les activités sont comparables techniquement. Certains organismes sont à la pointe comme le Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU).

Quelle gouvernance sur le RST ? La DREAL reprend le relais. A mon niveau, je vois peu la différence entre l'ancien et le nouveau système, sauf une meilleure lisibilité -un seul service-. Mais, selon les départements, l'efficacité n'est pas toujours au rendez-vous. Avec le temps, un équilibre pourra néanmoins être trouvé.

M. François Patriat, président . - Certains départements comme le Lot prennent les choses à bras-le-corps en créant les services pour mettre en oeuvre leurs compétences.

Existe-t-il des situations très différenciées selon les départements ?

M. Jean-Pierre Auger . - Les départements ont plutôt pris les opérations en main. Premier schéma : inviter les anciens ingénieurs des DDE à rejoindre leurs services ou utiliser l'ingéniérie territoriale pour créer des services.

M. Dominique de Legge, rapporteur . -  L'Etat est-il encore présent ? Le modèle étatique est-il encore en place ?

Les initiatives locales, que ce soit l'agence départementale ou l'intercommunalité, sont-elles compatibles avec la directive services ?

Comment intégrer l'ATESAT, qui met en oeuvre une solidarité vis-à-vis des petites collectivités, dans le cadre de cette directive ?

Un réseau scientifique et technique des collectivités territoriales ne pourrait-il pas prendre le relais du RST d'Etat ?

A partir du moment où l'Etat est moins en situation de construire et que ses compétences ont été transférées aux collectivités territoriales, n'est-il pas logique que son savoir-faire leur soit transmis ?

Vos collègues de l'Etat ont dit des choses étonnantes, qu'ils étaient les seuls à détenir le savoir-faire. Les écoles sont pourtant les mêmes !

M. Jean-Pierre Auger . - En effet, je ne vois pas les lacunes qu'il pourrait y avoir dans la formation. Au contraire, par les différences de formation, les ingénieurs de l'Etat et les territoriaux sont complémentaires.

Les services de l'Etat étaient très présents auprès d'un certain nombre de structures des petites collectivités territoriales et le retrait des DDE a créé un vide.

Durant cette période, les ingénieurs privés ne venaient pas dans l'assistance à maîtrise d'ouvrage ou pour imaginer un projet, seulement dans le conseil.

Cette très grande présence de l'Etat se retrouvait dans d'autres domaines -comme l'eau et d'assainissement- avec les DDA.

Il a fallu qu'on sorte des schémas pré-acquis, soit des services de l'Etat, soit des grands groupes qui préconisent leur savoir faire. L'élu doit se voir proposer un vrai choix.

Théoriquement, il y a mise en concurrence pour assurer la maîtrise d'oeuvre.

Je ne suis pas sûr que l'agence soit la solution au besoin de proximité. Et quel est l'avenir des départements vis-à-vis des régions ? Qu'en sera-t-il des conseillers territoriaux et de la gestion de ces structures ? On constate une différence de gouvernance au niveau de la ville et à celui de l'agglomération. Même chose pour département et région. Ce sont des gouvernances différentes selon l'échelle à laquelle on se positionne.

Mme Catherine Deroche . - Le donneur d'ordre est la collectivité. Les projets ne sont pas les mêmes selon les collectivités.

M. Jean-Pierre Auger . - La difficulté de l'agence : elle va être mise à disposition d'un maître d'ouvrage pour satisfaire ses besoins. C'est une chose compliquée : qui commande l'agent à disposition ? Si toutes les collectivités sont concernées, comment cela s'organise t-il ? Comment les élus qui ont la maîtrise d'ouvrage travaillent-ils ?

Mme Catherine Deroche . - C'est la question à laquelle sont confrontés tous les bureaux d'étude.

M. François Guillot, vice-président de l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) . - Le schéma ancien a bien fonctionné avec des résultats satisfaisants.

Aujourd'hui, avec la directive services, on entre directement dans le domaine de la concurrence : c'est une prestation. Ces règles ne s'accommodent pas forcément des schémas traditionnels et anciens.

On a démontré que l'ingéniérie publique à partir du moment où elle est intégrée par les grandes collectivités locales qui ont pu la mettre en oeuvre, a fait ses preuves.

Mais se pose une question : quelle est la taille critique requise pour se donner des moyens propres d'ingéniérie au service du territoire, qui essaimera sur les petites communes ?

Les initiatives des départements ont au moins le mérite de pallier le retrait de l'Etat au bénéfice des cantons, des petites communes ; mais il faut examiner leur pertinence par rapport à la directive services.

M. François Patriat, président . - La réorganisation des services de l'Etat s'est-elle traduite par un surcoût pour les collectivités territoriales ?

M. François Guillot . - Si celles-ci doivent financer les prestations, bien sûr c'est un surcoût.

Historiquement, les prestations rendues par l'Etat l'étaient à des conditions économiques très performantes. L'Etat en subventionnait une partie.

M. François Patriat, président . - Ce qui compte, c'est le coût global, pour le citoyen.

Aujourd'hui, la réforme a-t-elle généré une économie pour le citoyen ?

M. Jean-Pierre Auger . - Globalement, il devrait y avoir la même charge, pas forcément au même endroit.

On ne peut pas répondre. L'équation n'est pas simple car le taux de rémunération de l'Etat ne se rencontre pas au niveau du privé.

M. François Patriat, président . - Donc la RGPP n'est pas forcément une économie pour l'Etat. Est-elle plus performante ? Vous n'en êtes pas convaincus. Vous dites : aujourd'hui, les services propres des collectivités sont beaucoup plus portés sur l'urbanisme que sur les routes. Donc, on a gagné en qualité. Vous ai-je bien compris ?

M. Jean-Pierre Auger . - Oui, globalement. Mais pour moi, la difficulté, c'est l'équilibre général.

Cette réforme a plutôt été menée du côté de l'Etat sur un résultat comptable lié à la réduction d'effectifs que sur un objectif qualitatif.

Tant qu'une image n'a pas été établie avant le début de la réforme, il est difficile de procéder à des comparaisons. On peut même s'attendre à des surcoûts car avant, le système était bâti sur une hypercentralisation et les effets de la mutualisation ne sont plus là aujourd'hui. Il y a forcément de la perte en ligne qui sera portée deux fois par les collectivités locales.

M. François Patriat, président . - Avant, le conseil de l'Etat aux collectivités territoriales était universel. Il n'est pas sûr que le nouveau schéma soit source de simplification.

M. Jean-Pierre Auger . - Avant, les élus recevaient une réponse administrative et technique à leur problématique.

Aujourd'hui, l'élu prend ses décisions face à la présentation complète d'un projet (coût de fonctionnement compris). Il prend donc sa décision en connaissance de cause.

J'ai présent à l'esprit l'exemple de la construction d'une station d'épuration : l'Etat avait imposé un choix innovant à une collectivité et la station s'est révélée inopérante.

M. François Guillot . - Les structures territoriales, par la proximité, la relation quotidienne avec les élus et les liens employeurs-employés, font que les décisions et les alternatives dans l'intérêt strict de la collectivité et du projet politique sont mieux pris en compte avec des moyens propres qu'avec des moyens externes -d'Etat ou privés- en termes de maîtrise d'ouvrage.

M. Dominique de Legge, rapporteur . - Avant, les collectivités bénéficiaient de prestations gratuites. Elles sont aujourd'hui payantes. Il en résulte donc un surcoût. Est-ce un coût au titre de la RGPP ?

Les prestations de l'Etat étaient facturées à un taux inférieur au taux facturé par le privé.

Le fait que l'Etat était à la fois prestataire de service, assistant à maîtrise d'ouvrage et gardien de la légalité, le conduisait à en rajouter sur les exigences légales. Je vous renvoie à votre exemple de la station d'épuration.

Paye-t-on donc plus pour une ingéniérie de moindre qualité ? La réponse mérite d'être nuancée mais la question mérite d'être posée.

M. François Patriat, président . - Les collectivités locales ont recruté car elles avaient des besoins. On ne peut pas être manichéen en la matière.

M. Dominique de Legge, rapporteur . - Derrière la RGPP, se trouve certainement un certain nombre de transferts de compétence non identifiés en tant que tels.

M. François Patriat, président . - Exactement. C'est pour cela qu'un discours trop simpliste n'est pas bon.

L'offre privée est-elle prête ?

M. Jean-Pierre Auger . - Un exemple : on vient d'inaugurer le tramway à Reims. Il est exploité en délégation de service public. Mais l'ingéniérie a dû être très précise pour la rédaction du cahier des charges et la surveillance des travaux.

Donc, si on ne trouve pas d'ingénieurs capables de défendre les intérêts des collectivités territoriales, on est dépassé.

M. François Guillot . - L'ingéniérie privée est prête pour les projets qui appellent des savoir-faire connus depuis longtemps. Elle n'est pas encore tout à fait prête pour l'ingéniérie de proximité. L'espace public urbain exige une connaissance du terrain avec des choix qualitatifs architecturaux.

L'ingéniérie privée n'a pas encore la connaissance des exigences et des besoins territoriaux.

M. Jean-Pierre Auger . - Le privé est plus pertinent « côté » bâtiments.

Mme Catherine Deroche . - Les collectivités sont aujourd'hui face à des projets sur lesquels elles ne bénéficient plus de l'assistance de l'Etat. Il est indéniable que c'est un transfert de charges non compensé.

Mais en parallèle, l'exigence de qualité n'est pas la même que celle d'autrefois.

Le privé présente plus d'adaptabilité que le public.

Les collectivités locales ne peuvent pas se dispenser d'avoir un service d'urbanisme sauf à perdre toute maîtrise de ce qui se passe sur leur territoire.

On fait différemment mais pas forcément la même chose. On veut faire mieux. C'est donc forcément plus cher.

M. Jean-Pierre Auger . - Les projets ont évolué en termes techniques et de coût, notamment à la suite du « Grenelle de l'environnement ». Les comparaisons doivent donc être faites sur des bases qui sont différentes.

L'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) peut avoir la prétention d'être un réseau mais sans véritable autonomie. Elle revendique 4.500 cotisants sur les 15.000 à 17.000 ingénieurs des collectivités territoriales. L'association constitue des groupes de travail. Mais elle ne dispose pas de moyens de publication. Elle travaille avec les ministères mais n'est qu'une association. Les services de l'Etat disposent eux de véritables structures.

M. François Guillot . - Dans un contexte où la lisibilité et la perméabilité entre fonction publique d'Etat et fonction publique territoriale, est loin d'être acquise, les agents d'Etat viennent toujours plus nombreux exercer dans les collectivités territoriales. Mais il est dommage que l'Etat n'ouvre pas davantage la mobilité aux agents territoriaux. Cela répondrait à bien des questions.

M. François Patriat , président . - Constatez-vous un appauvrissement de l'Etat en compétences ?

M. Jean-Pierre Auger . - En nombre mais pas forcément en qualité.

M. François Patriat , président . - Une question provocatrice : les collectivités locales peuvent-elles s'appliquer aujourd'hui une RGPP ?

M. Jean-Pierre Auger . - Ma maire s'est engagée à un niveau de « fiscalité zéro ». En clair, cela implique des suppressions de postes.

M. François Guillot . - A Caen, le maire a un objectif : la réduction des dépenses de fonctionnement de 4 % par an qu'il étend à l'agglomération. Cela entraîne aussi des suppressions de postes.

Les collectivités ont adopté des schémas budgétaires. C'est nouveau et c'est bien. Cela aura nécessairement un impact sur le personnel.

M. François Patriat , président . - Certaines dépenses de fonctionnement croissent nécessairement comme le chauffage par l'augmentation du coût du fioul. C'est l'investissement qui baissera.

Mme Michèle André . - Le gel des dotations aux collectivités locales, plus les conséquences financières de la disparition de la taxe professionnelle, signifient une diminution des recettes subie par les collectivités et, forcément, des dépenses en moins. Les collectivités sont condamnées à un régime maigreur. Ce n'est pas dans ces périodes que les élus sont les plus créatifs car ils sont le dos au mur. Cela signifie moins d'investissement donc moins de dynamique économique.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie.

M. Jean-Marie Bertrand,
président de chambre,
rapporteur général du comité du rapport public
et des programmes à la Cour des Comptes

____

M. François Patriat, président - Nous attendons beaucoup de votre audition. Nous avons commencé nos travaux en février afin d'apprécier les trois objectifs principaux assignés à la RGPP : économie, clarification et efficacité. Notre mission approuve l'idée selon laquelle l'État se réforme. Pourtant, les résultats présentés par les différents ministres auditionnés par notre mission diffèrent de ceux de certaines institutions. C'est pourquoi nous souhaiterions connaître le bilan réalisé par la Cour des Comptes sur la mise en oeuvre de la RGPP, entre l'ambition affichée et le bilan réel.

M. Jean-Marie Bertrand, président de chambre, rapporteur général du comité du rapport public et des programmes à la Cour des comptes . - Bien qu'aucun rapport thématique exclusivement consacré à la RGPP n'ai été publié, la Cour des comptes s'est déjà exprimée à plusieurs reprises sur l'évolution de l'État territorial à travers notamment son rapport public thématique consacré à « la conduite par l'État de la décentralisation », publié en octobre 2009, ou par le biais de ces rapports périodiques sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État et sur la situation et les perspectives des finances publiques. En outre, plusieurs rapports portant sur la RGPP et ses conséquences sont actuellement en cours. Il en est ainsi du prochain rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui sera présenté au Parlement le 22 juin prochain, qui se fonde sur l'analyse des rapports annuels de performance de la loi de finances pour 2010. Un rapport sur la mise en oeuvre de la LOLF, demandé par le Premier Président de la Cour des Comptes, paraîtra cet automne et évaluera son impact sur la gestion territoriale et son articulation avec la RGPP. Enfin, la Cour des Comptes a programmé pour la période 2011-2013 des travaux sur la RéATE. Toutefois, je ne peux m'exprimer sur les conclusions de ces futurs rapports, tant qu'elles ne sont pas rendues publiques.

Ce préalable étant posé, il convient de replacer la question des conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux dans une double perspective. La première est liée à la nécessité du redressement global des comptes publics. Dans son rapport public annuel de février 2011, la Cour des Comptes a souligné que la dette publique est supérieure à 1 600 milliards d'euros. Pour passer d'un déficit public de 7 % du PIB en 2010, selon les dernières estimations du Gouvernement, à un déficit de 3 % en 2013, et parvenir ensuite à l'équilibre des comptes publics, un effort de redressement considérable doit être réalisé.

La seconde perspective est liée aux évolutions de long terme dans l'équilibre entre État et collectivités territoriales, telles qu'elles sont issues des deux actes de la décentralisation. Dans son rapport thématique d'octobre 2009, la Cour des comptes a dressé quelques constats dérangeants : alors que les collectivités territoriales prenaient progressivement en charge des politiques auparavant assumées par l'État, les dépenses de celui-ci sont demeurées constantes jusqu'en 2006 alors que celles des collectivités n'ont cessé de progresser.

Trois facteurs permettent d'expliquer l'augmentation des dépenses locales depuis 1980 : les transferts de charges, la création de moyens de fonctionnement supplémentaires accompagnant ces transferts et un rattrapage qualitatif des équipements ou services transférés par l'État, illustré par exemple par la remise à niveau des établissements secondaires du second degré, tant sur les plans immobilier que de la gestion des ressources humaines.

En outre, s'il existe un lien général entre la décentralisation et la montée en puissance de la fonction publique territoriale, la Cour des comptes relève toutefois que la progression est particulièrement forte pour les échelons territoriaux qui n'ont pas été concernés au premier chef par les transferts de compétences. En effet, la croissance totale des effectifs s'est élevée à 62,8 % dans les collectivités territoriales entre 1980 et 2006, à 47,5 % dans les communes et à 147 % dans les structures intercommunales, alors qu'elles n'ont été concernées que de façon marginale par la décentralisation. Les travaux des juridictions financières sur l'intercommunalité ont également confirmé que la généralisation d'un double niveau d'administration des services publics de proximité s'accompagnait d'un surcroît de personnels, rémanent dans les communes, émergent dans les intercommunalités. S'agissant des effectifs de l'État, ils ont été globalement peu sensibles à la décentralisation : en effet, l'impact des transferts de compétences sur l'allègement des effectifs de l'État a été, jusqu'à une période récente, dilué et différé. Pourtant, les mesures de décentralisation engagées depuis les années 1980 auraient dû se traduire, toutes choses égales par ailleurs, par un allègement corrélatif des effectifs de l'État. Or, les effectifs totaux de la fonction publique d'État ont augmenté de 1980 à 2006 de 351 271 agents, soit + 16,16 %. En d'autres termes, l'acte I de la décentralisation a eu peu d'impact sur les effectifs de l'État en raison de l'absence de transfert des personnels des directions départementales de l'équipement (DDE) chargées des routes départementales ou des techniciens et ouvriers de services (TOS) des collèges et lycées. L'effet de la décentralisation sur les effectifs de l'État est en revanche plus marqué avec l'acte II de la décentralisation. Fin 2008, il ne restait plus, au titre des transferts opérés par la loi du 13 août 2004, que 20 000 agents à transférer sur les 128 000 agents devant faire l'objet d'un tel transfert. Le mouvement a donc été massif et rapide.

Globalement, le rapport public thématique de 2009 souligne « une adaptation tardive de l'État à l'organisation décentralisée de la République » avec :

- un remodelage contrasté des administrations déconcentrées, une réorganisation autonome et tardive des services de l'équipement au niveau interdépartemental après 2004 ;

- un lent dépérissement des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, le désengagement de l'État n'ayant pas pour autant empêché celui-ci de continuer à confier à ces services des missions de coordination et d'acteur opérationnel de terrain en tant que généralistes de l'action et de l'urgence ;

- une insuffisante réorganisation des administrations centrales avec, par exemple, une absence de réorganisation de la direction générale des affaires sociales (DGAS) malgré les transferts de compétences de gestion des prestations sociales dont ont bénéficié les conseils généraux en 2002, 2003 et 2005. Au contraire, on note un recentrage opéré sur le pilotage des politiques sociales, l'animation des opérateurs et le soutien aux collectivités.

C'est en fonction de cette double perspective -obligation de redressement des comptes publics et adaptation à la décentralisation- à laquelle il faudrait également associer une analyse de l'évolution des fonctions et du rôle de l'État, qu'un regard peut sans doute être porté sur la RGPP, en dissociant les principes et la réalité.

Sur le plan des principes, la Cour des Comptes s'est prononcée à de multiples reprises en faveur de mesures structurelles, aussi bien en recettes qu'en dépenses, destinées à redresser les comptes publics. Elle a également marqué son attachement à une revue de programme, au sens de revue de politiques, telle que réalisée dans d'autres pays et envisagé lors du lancement de la RGPP. Elle aurait conduit à s'interroger sur la raison d'être des politiques publiques et permis de dépasser la logique des moyens. Il convient par ailleurs de souligner que certaines mesures de la RGPP, telles que les conservations des hypothèques ou la gestion des pensions des fonctionnaires, sont issues de recommandations de la Cour.

Dans la réalité, la RGPP mobilise fortement les administrations, plus au niveau de la redéfinition de leurs organigrammes que sur la révision des politiques à mettre en oeuvre. Par ailleurs, le champ budgétaire couvert par la réforme s'élève à environ 140 milliards d'euros, qui s'avère plus réduit que prévu. La réforme est désormais centrée sur les seules dépenses de fonctionnement de l'État, hors interventions et intérêts, soit moins de 15 % de la dépense publique. Malgré tout, le champ sur lequel porte la RGPP représente près de 40 % du budget de l'État.

Selon la Cour des Comptes, une autre démarche mérite d'être engagée pour maîtriser la dépense publique, celle de l'évaluation des politiques publiques qui permettrait de sortir d'une approche reposant uniquement sur le fonctionnement de l'État et ses personnels.

Le champ budgétairement restreint de la RGPP conduit à des économies vraisemblablement limitées. Pour mémoire, rappelons que, pour l'ensemble des administrations publiques, les principales dépenses sont les prestations sociales en espèces (34 % du total en 2009), les rémunérations (24 %), les dépenses de l'assurance maladie (11 %), les subventions et transferts à des entités classées hors du champ des administrations publiques (10 %) et les dépenses de fonctionnement hors rémunérations (9 %). Selon le rapport du cinquième conseil de modernisation des politiques publiques publié en mars 2011, le Gouvernement prévoit que la RGPP permettra une économie d'environ 13 milliards d'euros pour la période 2009-2013, dont 5 milliards d'euros pour la seule année 2011 et 10 milliards d'euros pour les années 2011 à 2013. Le non remplacement d'un départ à la retraite sur deux doit se traduire par une économie brute d'environ 1 milliard d'euros chaque année dont la moitié doit être rétrocédée aux fonctionnaires. En d'autres termes, l'économie nette totale attendue de la RGPP sur cinq ans est de 10,5 milliards d'euros, dont 2,5 milliards d'euros grâce à la maîtrise de la masse salariale, le solde provenant des dépenses d'intervention et de fonctionnement.

Ces montants sont à rapprocher des besoins en recettes et en dépenses nécessaires pour redresser le solde des administrations publiques : dans son rapport sur la situation des finances publiques de juin 2010, la Cour des Comptes a recommandé un effort structurel de réduction du déficit de l'ordre de 20 milliards d'euros. C'est pourquoi elle estime nécessaire de « changer l'échelle des économies réalisées ».

Par ailleurs, dans un rapport demandé par la commission des finances de l'Assemblée nationale, en application de l'article 58-2 de la LOLF, la Cour a observé que les mesures actuelles n'étaient pas de nature à stabiliser la masse salariale de l'État. La rétrocession aux agents des économies induites par le schéma d'emplois a été en réalité nettement supérieure à 50 %. Estimée à 430 millions d'euros dans les rapports annuels de performance, soit la moitié des économies supposées avoir résulté de la règle du « un sur deux », elle avoisinerait en réalité les 700 millions d'euros !

S'agissant de la véracité des économies annoncées par le Gouvernement dans le cadre de la RGPP, la Cour a considéré, dans ses travaux déjà publiés, que le chiffrage du gouvernement était peu documenté. Le chiffrage global des économies escomptées, présenté au Parlement au mois de juin 2008, a été élaboré à partir des travaux des équipes d'audit. Il s'agit d'économies brutes pouvant donner lieu à des redéploiements et conduisant par conséquent à un gain net inférieur. On constate d'importants écarts entre les fiches de suivi de mesures réalisées par les ministères, lorsqu'elles comprennent une évaluation, et les travaux initiaux. La traçabilité des décisions mises en oeuvre, notamment de leurs effets budgétaires, est insuffisante, comme l'atteste un récent référé de la Cour sur les bases de défense. En effet, les évolutions des décisions ainsi adoptées ne sont jamais présentées dans les rapports du CMPP alors que la RGPP se présente comme un flux de décisions permanentes, dont le contenu évolue avec le temps.

Il est, de fait, difficile, à partir des documents transmis à la Cour, d'établir un lien clair entre le budget triennal de l'État et la RGPP. Dès lors, la Cour recommande que la lecture des documents budgétaires permette d'appréhender les économies, pour chaque mesure ou groupe de mesures, tant en crédits qu'en équivalent temps plein travaillé, en précisant l'horizon temporel envisagé de ces économies au regard des missions confiées aux administrations.

Sur l'incidence de la RGPP sur le plan territorial, force est de constater que, comme pour l'ensemble des mesures, les économies sont faiblement documentées en ce qui concerne les préfectures. Le ministère de l'intérieur ne souhaite communiquer, au titre de l'exercice 2010 en ce qui concerne la réalisation des mandats RGPP, que sur les résultats escomptés. Ainsi, sur la période 2009-2010, on compterait un gain en emplois de 1 393 EPTP dans les préfectures, dont 421 au titre du contrôle de légalité, 180 au titre de la carte nationale d'identité et des passeports, 65 au titre du système d'immatriculation des véhicules et 727 au titre des fonctions support (dont 500 pour la logistique et l'immobilier). La réalisation des mandats RGPP se heurte à des difficultés pour le système d'immatriculation des véhicules, ce qui a nécessité le maintien d'effectifs sur le terrain « par la budgétisation » de vacataires.

En matière de chiffrage, il conviendrait d'adopter une démarche plus globale pour au moins trois raisons :

- les négociations avec la direction du budget s'effectuent non par programme mais par ministère : le programme 307 « administration territoriale » peut donc être amené à perdre plus d'effectifs que prévu afin de suppléer les besoins des deux programmes de la mission « sécurité » ;

- le ministère a ouvert un nouveau chantier, conformément à la circulaire du 15 juillet 2010 sur la démarche qualité, au moment où les services doivent « rendre » des effectifs et qu'il faut prendre en compte les effets de la RéATE ;

- certaines mesures RGPP se traduisent in fine par un transfert d'attributions aux collectivités territoriales et aux opérateurs comme l'illustre l'exemple de l'agence nationale des titres sécurisés.

S'agissant de la RéATE à proprement parler, la Cour des Comptes a inscrit, dans son programme triennal de travail pour la période 2011-2013, le contrôle de sa mise en oeuvre. Parallèlement, elle examine les conditions d'application de la LOLF par les préfets et dans les services déconcentrés et la mise en oeuvre de la nouvelle politique immobilière de l'État (NPIE) dans les régions et départements. Dans son principe, l'application de la RéATE rejoint les préoccupations d'efficience et d'efficacité de l'administration déconcentrée exprimées par la Cour. L'une de ses limites tient cependant à son périmètre : elle ne concerne pas la justice, l'éducation, et la défense alors que, dans une acception large, peuvent s'y rattacher la réorganisation des administrations financières ainsi que celles du secteur sanitaire et social, avec la création des agences régionales de santé.

L'affirmation du niveau régional de l'État sur le niveau départemental pour la conduite des politiques publiques, à travers le pouvoir d'instruction du préfet de région aux préfets de département, correspond aux orientations promues par la Cour. Cette évolution, déjà ancienne et confirmée par le décret du 16 février 2010, n'a pas remis en cause le niveau gestionnaire du département, où se concentrent les moyens de l'État. Par ailleurs, la Cour des Comptes suit attentivement les réformes mises en oeuvre depuis 2010, notamment la création des directions départementales interministérielles, dont elle établit actuellement un bilan.

La Cour a également contrôlé la gestion territoriale de l'immobilier de l'État, par un référé du 30 novembre 2009 et un relevé d'observations provisoires d'octobre 2009. Les textes définissant les pouvoirs des préfets prévoyaient de longue date une telle gestion territoriale, indispensable à l'économie et à l'efficacité de la politique immobilière. Mais il n'existait ni instrument budgétaire, ni rassemblement des compétences humaines, ni programmation interministérielle des entretiens et des restructurations des implantations. Les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle politique immobilière de l'État (NPIE) répondent à plusieurs observations et recommandations de la Cour. Les objectifs de la RéATE, à travers la création des directions départementales interministérielles et le regroupement des directions régionales, ont permis de reconsidérer l'immobilier existant, et de faire des choix compatibles avec les exigences nouvelles de superficie par poste de travail et les perspectives de baisse d'effectifs, d'économies de fonctionnement et d'investissement, qui sont à replacer dans le contexte du Grenelle de l'environnement.

Toutefois, au moment où elle intervient, la RéATE se heurte aux insuffisances des travaux préalables de diagnostic et de stratégie immobilières, comme à celle des outils informatiques. Par ailleurs, les opérateurs de l'État ont été tardivement invités à élaborer des schémas stratégiques immobiliers (SPSI). Malgré ces réserves, la RéATE semble obtenir des résultats tangibles en matière immobilière. Les travaux de l'instance nationale d'examen des projets (INEI) -instance d'arbitrage placée auprès du secrétariat général du Gouvernement- indiquent que les projets d'initiative locaux élaborés par les préfets visent à réduire les sites immobiliers de 35 %, les surfaces de 15 %, et s'équilibrent globalement par les produits de cession.

Sur la question de la gestion territoriale des crédits, les difficultés souvent évoquées entre la gestion ministérielle des crédits et le rôle interministériel des préfets seront abordées dans le futur rapport de la Cour des Comptes sur la mise en oeuvre de la LOLF. Je rappellerai à votre mission que la LOLF, telle que souhaitée par le Parlement, prévoit une gestion des crédits de l'État par politiques publiques. A l'exception du programme des interventions territoriales de l'État, il n'existe pas de « programme territorial ». En outre, depuis la mise en oeuvre de la LOLF, au sein des comités de l'administration régionale, existe un dialogue de gestion, certes encore imparfait, mais qui a néanmoins le mérite d'exister par rapport à la situation antérieure. Ce que l'on constate depuis le début de la mise en oeuvre de la LOLF est une déclinaison territoriale très fragmentée des programmes en budgets opérationnels de programmes et en unités opérationnelles. Cette situation peut s'expliquer essentiellement par le retard pris dans l'évolution de l'organisation territoriale de l'État et par l'émergence tardive de l'échelon régional en tant qu'échelon de gestion de droit commun.

Reste à savoir qui doit opérer les crédits des programmes sur le plan territorial : le préfet de région a vocation à être le répartiteur effectif bien que, dans le système actuel des responsables de budgets opérationnels de programmes, il revient aux responsables « thématiques », tels que la DREAL, d'exercer la réalité de la fonction en liaison avec leur responsable de programme.

En conclusion, je rappellerai que, sur le principe, la Cour ne peut qu'être attachée à une révision générale des politiques publiques qui porterait bien son nom, en envisageant la question globale de l'efficacité et l'efficience des politiques publiques, et non simplement les questions d'organisation. Ensuite, la mise en oeuvre des politiques publiques est aujourd'hui largement partagée entre l'État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale selon des schémas excessivement complexes. Dans ces conditions, la cohérence de la répartition des compétences est au coeur des problématiques d'optimisation de la gestion publique. Enfin, les observations et recommandations de la Cour montrent que l'efficience de l'administration territoriale peut être améliorée : la proximité est certes un élément important mais ne représente qu'une composante du choix du bon niveau d'administration.

M. François Patriat, président - Je vous remercie pour la qualité de votre intervention et pour la richesse des informations fournies, qui répondent aux interrogations de notre mission d'information.

M. Dominique de Legge, rapporteur - Vous nous avez indiqué que le champ budgétaire initial de la RGPP s'élève à 140 milliards d'euros mais il a été, par la suite, considérablement restreint. Pourriez-vous nous détailler les dépenses couvertes par le champ des 140 milliards d'euros ?

La Cour des Comptes dispose-t-elle d'éléments relatifs à l'application du principe du « un sur deux » entre les échelons central, régional et départemental ? Nous avons le sentiment qu'un traitement différent a été réservé pour chaque niveau.

Enfin, vous estimez que les économies engendrées par la RGPP, évaluées par le gouvernement à environ 7 milliards d'euros, ne sont pas fiables. Disposez-vous d'éléments d'information sur un éventuel tableau de bord de l'État auquel vous seriez associé ? A combien s'élèvent, selon vous, les économies issues de la RGPP, en distinguant la part liée à la réduction du nombre de fonctionnaires?

M. Jean-Marie Bertrand - Le chiffre de 140 milliards d'euros représente le périmètre actuel sur lequel s'applique la RGPP, en dehors des dépenses d'intervention.

La Cour des Comptes ne dispose pas de données relatives à la répartition de la diminution des effectifs entre les trois échelons administratifs. Les prochains rapports consacrés à l'exécution budgétaire et à la situation des finances publiques, qui seront publiés en juin prochain, vous fourniront des éléments d'information sur cette question.

Nos prochains travaux nous permettront d'actualiser les économies engendrées par l'application du principe du « un sur deux ». Selon nos dernières analyses qui datent de l'été 2010, ces économies s'élevaient à 860 millions d'euros. Mais il faut imputer à cette évaluation deux dépenses : celles liées au paiement des heures supplémentaires (environ 140 millions d'euros) et les dépenses de restructurations liées à la mise en oeuvre de la RGPP (160 millions d'euros). Rappelons que la RGPP est un flux continu de décisions et de réformes ; il n'est donc pas possible, aujourd'hui, de vous fournir des données plus actualisées.

M. François Patriat, président - Lorsque le Gouvernement annonce des économies de 7 milliards d'euros, quel montant vous paraît le plus vraisemblable ?

M. Jean-Marie Bertrand - La Cour des Comptes ne dispose pas de chiffres. Néanmoins, il ne nous semble pas qu'il faille être plus optimiste aujourd'hui qu'il y a un an.

Mme Michèle André - Je suis rapporteure spéciale de la Commission des Finances du Sénat sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Dans ce cadre, j'ai procédé au contrôle de la fabrication des titres en préfectures, qui a fait l'objet d'un rapport publié en octobre dernier. Les économies envisagées n'ont pas été au rendez-vous en raison du recours à des vacataires ou aux heures supplémentaires pour pallier les difficultés engendrées par la réforme. S'agissant des économies théoriques de 430 millions d'euros censées être rétrocédées aux fonctionnaires, disposez-vous de moyens permettant de distinguer les dépenses liées au recours aux heures supplémentaires ? Quelle forme prend la rétrocession de ces économies aux personnels et comment sont calculées les primes ? Enfin, existe-t-il des éléments objectifs pour le calcul de ces primes qui, parfois, semblent liées à la réalisation de certains objectifs ?

M. Jean-Marie Bertrand - Nous disposons d'éléments d'information sur ces sujets mais ils datent de l'été dernier, lors de la publication de notre rapport à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dans lequel nous avons pris l'exemple de la police nationale. S'agissant des heures supplémentaires, elles profitent, pour une large part, à l'Éducation nationale.

S'agissant des restructurations, nous sommes en train d'affiner nos analyses afin de distinguer, par exemple, les primes de mobilité et les primes de départ volontaire. Les résultats seront publiés en juin 2011.

M. François Patriat, président - Nous vous remercions pour tous ces éléments d'information clairs et précis.

Mercredi 4 mai 2011

M. Jean-François Verdier,
directeur général de l'administration
et de la fonction publique (DGAFP),
ministère du budget, des comptes publics,
de la fonction publique et de la réforme de l'état

____

M. François Patriat , président . - Monsieur Verdier, en tant que directeur général de l'administration et de la fonction publique, la RGPP est votre coeur de métier. Cette politique, nous le savons, ne se limite pas au non remplacement d'un départ à la retraite sur deux -le un sur deux. Elle consiste en une réforme de l'État, de l'éducation à la santé en passant par la défense et l'équipement, qui provoque des dégâts collatéraux dans les collectivités, des régions aux communes.

M. Jean-François Verdier, directeur général de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) . - La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a l'honneur, et parfois le désagrément, de former, avec la direction générale de la modernisation de l'État (DGME) et la direction général du budget (DGB), la troïka de mise en oeuvre de la RGPP. La DGME gère le grand Meccano de l'organisation des ministères de leur mode de fonctionnement, notamment l'amélioration des process ; la DGB a l'oeil rivé sur l'évolution des effectifs ; quant à ma direction, elle a la responsabilité du volet des ressources humaines et une compétence parfois étendue à la fonction territoriale et à la fonction hospitalière, concernant l'édiction des normes juridiques et les négociations salariales. En bref, mon travail consiste à faire en sorte que tout baigne dans l'huile -si je puis m'exprimer ainsi- pour les agents. Pour compléter ce tour d'horizon administratif, mentionnons l'adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, poste créé depuis trois ans si ma mémoire est bonne. Celui-ci a la charge de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATe) et constitue le patron des directions départementales interministérielles.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La semaine dernière, la Cour des comptes a nuancé le panorama des économies attendues de la RGPP, entre autres, parce que les retours aux agents semblent supérieurs aux prévisions. Comment expliquer cette hausse ? Est-elle durable ? Ensuite, comment sont décidées et réparties les suppressions de postes entre le niveau central et les échelons territoriaux au sein des ministères ?

M. Jean-François Verdier . - Le principe du « un sur deux » est un moyen, non un objectif. Dès 2007, le Président de la République avait pris l'engagement que 50 % des économies réalisées grâce à la RGPP bénéficieraient aux agents. Ces retours ont atteint 400 millions en 2008, 640 millions en 2010. Ils devraient s'élever à 605 millions cette année et se situer entre 500 et 600 millions les deux années suivantes. Le taux de retour est aujourd'hui d'environ 53 %. Et ce, pour une raison simple : la mécanique du « un sur deux » n'est pas enfermée dans une logique strictement comptable, certains ministères ont voulu faire davantage, tel Bercy qui a appliqué une règle de deux sur trois la première année. Les retours sont fonction de la proportion des efforts réalisés. Chaque ministère est libre de l'utilisation de ces retours. Pour exemple, au ministère de l'intérieur, elles ont davantage profité au secteur de la police qu'au réseau des préfectures. Si ces retours sont essentiellement catégoriels, d'autres ministères en ont profité pour revoir les grilles ou les durées de carrières, mesures de plus long terme.

S'agissant de la répartition des effectifs, le ministre du budget arrête la trajectoire des finances publiques après discussion avec les ministères. Ensuite, les ministères reçoivent au début de l'été une lettre fixant le plafond d'emploi à ne pas dépasser, chacun étant libre de concentrer l'effort sur tel ou tel échelon. Certains, dont les services sont peu déconcentrés, ont réalisé des économies sur l'échelon central, d'autres sur les échelons régionaux ou départementaux. On a souvent entendu dire que l'on dépouillait l'échelon départemental au bénéfice du niveau régional. Les mois passant, les choses s'équilibrent, nous disent les préfets. De fait, si l'État veut continuer à assumer ses missions régaliennes, on ne peut pas aller plus loin. D'où les trois missions en cours sur la redéfinition des missions de l'État. Aucun arbitrage n'a encore été rendu. Quoi qu'il en soit, le processus de décision est assez directif : il y a peu d'échanges entre le niveau central et les échelons locaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Le préfet de région assure les arbitrages au niveau régional afin de garantir la présence de l'État. Or il semblerait que la mobilité des agents entre les différents ministères soit délicate, ce qui complique son travail d'adaptation des moyens aux besoins. Comment faciliter sa tâche ? Certes, la finalité première de la RGPP n'est pas le « un sur deux ». Pour autant, l'État, devant la diminution de ses effectifs, devra inévitablement affirmer ses priorités et peut-être abandonner certaines de ses missions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Quelles sont vos observations à ce sujet ?

M. Jean-François Verdier . - La difficulté des préfets de région à réallouer les moyens humains au niveau local tient, non à des difficultés administratives et juridiques puisque la loi d'août 2009 a levé tous les obstacles, mais à des considérations budgétaires. La situation est la suivante : dans le cadre de la restructuration d'un service déconcentré de l'État, un agent ne souhaite pas revenir à Paris et trouve un emploi dans une sous-préfecture ; son ministère refuse l'affectation au motif que son plafond d'emploi ne l'autorise pas à accueillir un fonctionnaire supplémentaire en détachement.

Pour remédier à cette difficulté réelle mais limitée à un petit nombre de cas, nous avons créé un dispositif dérogatoire à la LOLF, avec l'aval de la DGB, qui consiste en une chambre de compensation, que nous appelons également le « un sur un ». Nous avons récemment étendu ce mécanisme, initialement limité au ministère de l'agriculture et au ministère de l'écologie et du développement durable, aux cinq ministères concernés par les fusions au niveau local. Cette chambre de compensation, qui a son siège auprès du Secrétaire général du Gouvernement, associe la DGAFP, la DGB et les secrétaires généraux des ministères concernés. Mais nul ne sait ce que va en penser la Cour des Comptes...

Nous avons désormais peu de marge de manoeuvre sur le « un sur deux » ; dans de nombreux services, nous sommes à l'os, a souligné mon secrétaire d'État. D'autant que le nombre de départs à la retraite diminuera rapidement dans les années à venir pour passer de 70 000 départs à 35 000 dans 4 à 5 ans, chiffre qui correspond aux recrutements actuels. Difficile de conserver ce rythme de suppression de postes, sauf à renoncer à certaines missions de l'État et à rationaliser encore ; il suffit de voir la longueur des files d'attente devant les préfectures. La discussion sera difficile car chaque ministère veut garder sa politique, ses dépenses d'intervention et ses fonctionnaires.

Au reste, la diminution des effectifs de la fonction publique d'État ne signifie pas forcément une réduction de l'emploi public ; les quinze dernières années l'ont prouvé. Pour la première fois, l'an dernier, nous avons constaté une stabilisation du nombre des agents des trois fonctions publiques.

M. François Patriat , président . - D'après M. Georges Tron, économiser des postes dans la fonction publique d'État n'est plus possible. Il faut donc s'attaquer à Météo France, le CNRS ou encore Pôle emploi. Or les responsables de ces opérateurs, avec lesquels j'entretiens des contacts réguliers en région, me confient qu'ils ne pourront plus assumer leurs tâches de plus en plus lourdes et complexes -je pense surtout à Pôle Emploi- si on leur supprime des emplois. L'objectif de 100 000 postes supprimées entre 2011 et 2013 vous semble-t-il réalisable ? Et comment ?

M. Jean-François Verdier . - D'après les prévisions, l'objectif est réalisable, y compris au sein de la fonction publique de l'État. La réforme des retraites, décidées fin 2009, n'aura pas d'impact arithmétique. En revanche, elle a conduit de nombreux agents à différer leur départ en retraite. Nous n'avons pas prise sur ces facteurs psychologiques. Le nombre des départs a été inférieur de 20 % à celui prévu.

M. Baroin, après M. Woerth, veut appliquer aux opérateurs publics les exigences que s'impose l'État. Ceux-ci n'ont pas suivi la cure d'austérité qu'a connue la fonction publique d'État en termes d'effectifs et d'immobilier -en ce domaine, les marges d'économie ne sont pas négligeables. Certes, les responsables d'opérateurs adressent des messages ; il y a trois ans, les secrétaires généraux des ministères tenaient le même discours...

J'ai bon espoir que l'objectif des 100 000 postes supprimés sera tenu, bien que le déclin du nombre de départs en retraite nous complique la tâche. Pour les opérateurs publics, le respect des prévisions dépend des inflexions politiques. Si l'on confie à Pôle emploi d'autres missions -ils ont reçu récemment de nouvelles instructions afin d'augmenter le nombre de personnes reçues-, il leur sera difficile de tenir le cap. Enfin, entre 2011 et 2013 subsiste une inconnue : les élections de 2012.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Le « un sur deux » ne se traduit pas forcément par une réduction de l'emploi public, avez-vous dit. Autrement dit, il y a transfert de charges... La chambre de compensation rend-elle possible le passage entre fonction publique de l'État et fonction publique territoriale ? Prenons l'exemple de l'ingénierie publique : d'après les syndicats d'ingénieurs, ceux de l'État ont une charge d'État moindre tandis que ceux des collectivités sont davantage sollicités. Comment faciliter les passerelles ?

M. Jean-François Verdier . - La chambre de compensation, qui a vocation à régler environ 1 500 cas, tient du cautère sur une jambe de bois. La seule solution pour faire vivre la réforme de l'État serait de confier au préfet de région les enveloppes salariales et les ETPT des agents publics de l'État et d'obliger les ministères à pourvoir les emplois vacants au niveau local par des agents sur place plutôt que d'alimenter la province par les Parisiens méritants. Nous sommes les seuls, avec le ministère de l'intérieur, à militer pour cette formule. La décision revient au Premier ministre.

J'en viens maintenant aux passerelles ; elles existent depuis la loi d'août 2009 avec des mécanismes de compensation. Les blocages sont davantage culturels que budgétaires : les provinciaux craignent de travailler à Paris, les Parisiens craignent d'être soumis à des pressions politiques directes dans la fonction publique territoriale. Nous incitons les agents à diversifier leurs parcours, à travailler dans les secteurs territorial et privé ; nous avons également ouvert de nombreux corps de l'État aux fonctionnaires territoriaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Si l'on confie aux préfets de région les enveloppes salariales et les ETPT des agents publics de l'État, ne faut-il pas placer ces préfets sous l'autorité du Premier ministre ?

M. Jean-François Verdier . - Ce projet est de l'ordre du possible, puisqu'il existe un précédent : les préfets de région ont déjà la maîtrise des crédits de fonctionnement des services de l'État dans leur ressort géographique. Nous proposons de renforcer ce mouvement, en conservant peut-être au niveau central les crédits immobiliers. Quant à l'autorité hiérarchique des préfets, le corps préfectoral est divisé en deux sur cette question qui fait figure de serpent de mer. Pour l'heure, on continue de dire que certaines autorités ne sont pas rattachées au Premier ministre malgré leur caractère interministériel, telles la DGB et la DGFAP. A titre personnel, cette évolution me semble d'actualité, surtout depuis la RGPP et la RéATe.

M. François Patriat , président . - Le but de la RGPP est de clarifier, de simplifier et d'optimiser. Est-il atteint ? Qu'ils aillent à la DREAL plutôt qu'à la DRIRE ne change rien pour les petits maires ruraux. Ceux-ci ne savent pas à qui s'adresser. Enfin, à la suite des réorganisations, certains fonctionnaires ne sont-ils pas surchargés ? Un fonctionnaire de la DRAAF me demandait récemment ce qu'il devait faire pour être engagé à la région Bourgogne, considérant qu'il n'en pouvait plus d'être sur les routes du matin au soir.

M. Jean-François Verdier . - Ce sujet me passionne. Avec la DGME, nous avons entrepris un tour de France des régions afin de prendre la mesure des transformations induites par la RGPP sur le terrain. Concernant l'objectif de simplification, je sais, pour être un ancien sous-préfet, que la situation aujourd'hui est plus complexe qu'autrefois. Néanmoins, ces réformes sont récentes ; songez au nombre d'années qu'il a fallu pour que l'on arrête de parler des anciens francs. Plus inquiétant, lors de la première phase de la réforme, les agents ne savaient plus eux-mêmes dans quelle direction ils travaillaient. On a créé des directions regroupées avant de définir les modes de fonctionnement et de gestion des personnels de ces directions, un peu comme si l'on avait construit un immeuble de cinq étages sans poser les fondations. Cela a suscité beaucoup de troubles chez les agents : l'an dernier, dans l'Est, j'ai vu un directeur adjoint pleurer. De fait, les missions n'ont pas diminué, contrairement aux effectifs, et les personnels, provenant de différents ministères, sont plus difficiles à gérer. Nous avons pris ce chantier à bras-le-corps ; nous sommes presque au bout du chemin de l'harmonisation des régimes d'action sociale et de temps de travail -il y en aura trois contre 10. Tout cela sera résolu avant l'été 2011. En revanche, l'harmonisation des régimes indemnitaires, dont le Président de la République a souhaité qu'elle se fasse par le haut, sera progressive, compte tenu de l'état des finances publiques. J'ai plaidé pour qu'on ne la repousse pas plus loin que le 31 décembre 2013. Dans les semaines suivantes, le Premier annoncera le calendrier de cette réforme. Optimiser le fonctionnement de l'administration est impossible sans les agents.

M. François Patriat , président . - Y aura-t-il des conséquences sur les collectivités territoriales ?

M. Jean-François Verdier . - Sans doute, si l'on veut garder le même niveau de services...

M. François Patriat , président . - ...et instaurer la polyvalence demain...

M. Jean-François Verdier . - ...ce qui suppose des actions de formation. La DGME travaille à la conservation d'un même niveau de service avec des effectifs moindres via les chartes Marianne, qui ne sont pas un simple gadget. Autre conséquence, la redéfinition des missions de l'État sur laquelle travaillent actuellement trois missions.

Mme Michèle André . - Poser les fondations après avoir construit un immeuble de cinq étages ? Cette image, pour appartenir à une famille auvergnate du bâtiment, me choque. Rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je sais que les services de délivrance des papiers d'identité et des cartes grises doivent recourir à des vacataires pour informer les usagers. Même constat concernant le contrôle de légalité : il se concentre sur certains points et certains espaces. N'a-t-on pas fragilisé à l'extrême l'édifice de l'État ?

M. Jean-François Verdier . - J'aime employer cette image parce qu'elle est parlante. Pour autant, elle est peut-être caricaturale car une partie des fondations est là : il n'y a pas eu de rupture du service public. Directeur des ressources humaines à Bercy, j'ai combattu les mesures absurdes préconisées par des auditeurs de 25 ans, qui n'avaient jamais travaillé de leur vie. Les mesures décidées pour les directions départementales interministérielles sont différentes, mais procèdent de la même logique volontariste. Au reste, la plupart des agents s'accordent sur l'objectif -la nécessaire réforme de l'État-, mais non sur les moyens, qu'ils critiquent, y compris aux plus hauts échelons -c'est une nouveauté de cette réforme. Le ministère de l'intérieur a été le seul à recourir à l'intérim, autorisé depuis 2009 ; les autres s'en sont tenus aux contractuels. Dans deux ans, on se félicitera d'avoir construit les fondations en un temps record. Regardez la rapidité de la fusion entre les Impôts et le Trésor public : elle concernait pas moins de 140 000 agents.

M. Gérard Bailly . - Deux tiers des bénéfices dégagés grâce à la RGPP reviendraient aux agents. Pouvez-vous confirmer ce chiffre ?

M. Jean-François Verdier . - Les retours catégoriels sont plutôt de 53 %, d'après la Cour des comptes. Je ne conteste pas le chiffre, mais son interprétation. Les ministères décident de l'utilisation de ces retours en toute liberté : certains revalorisent la rémunération des agents, d'autres prévoient des mesures incitatives à la mobilité pour que les agents quittent le Sud, où ils sont en surnombre, pour le Nord qui est chroniquement déficitaire. Bref, il s'agit surtout de fluidifier la réforme.

M. François Patriat , président . - Merci pour votre franchise ; nous avons apprécié que nous ne maniiez pas la langue de bois.

M. Marc Censi, président,
et Mme Delphine Vincent, directrice,
d'Entreprises, Territoires et Développement (ETD)

____

M. François Patriat , président . - Merci de votre présence, Monsieur Censi. Vous êtes un acteur parfaitement averti de l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales, compte tenu des fonctions que vous avez occupées et dans celles qui sont aujourd'hui les vôtres. Vous êtes à même de nous apporter votre sentiment sur la RGPP, dont tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité. Pourtant, cette réforme indispensable s'est faite sans aucune concertation.

M. Marc Censi, président d'Entreprises, Territoires et Développement (ETD) . - Merci de solliciter l'avis d'ETD, qui est une structure étroitement liée à la Datar et à la Caisse des dépôts. Je suis venu avec Mme Delphine Vincent, directrice d'ETD.

Plutôt que de répondre point par point au questionnaire que vous m'avez adressé, je vais vous donner mon avis sur la RGPP et Mme Vincent vous présentera des exemples précis puisqu'ETD nous met en contact avec toute sorte de territoires. L'activité d'ETD nous permet en effet d'avoir une vision assez large du développement territorial au regard de la RGPP.

Mon expérience déjà ancienne m'a permis de connaître ce qu'a été l'apogée de la présence de l'État avant la décentralisation. A cette époque, les services de l'État, notamment la DDA et la DDE, avaient une mission de proximité auprès des maires ruraux, mais aussi des villes. Le groupe étude et programmation, le GEP, qui dépendait de la DDE, a ainsi aidé ma ville à élaborer son schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme et son POS. Rodez a d'ailleurs été la première ville à signer un contrat ville moyenne. Nous avions bénéficié pendant plusieurs mois de la présence sur place d'une équipe interministérielle de projet, ce qui a abouti à la signature d'un contrat qui a complètement modifié la physionomie de la ville. Nous étions alors à l'apogée du centralisme étatique et nous ne savions pas que nous entendions le chant du cygne des services de l'État sur le territoire.

Les maires ruraux ont pendant des années bénéficié de l'appui technique des ingénieurs subdivisionnaires de la DDE et des techniciens de la DDA. Aujourd'hui, nombre d'entre eux regrettent cette période. Il ne faudrait pas pour autant en faire un paradis perdu. Durant cette période, il y avait des avantages, mais aussi de nombreux inconvénients, dont la mise sous tutelle des maires ruraux.

La décentralisation avait pour but de libérer les initiatives locales. Je pense en particulier au fameux discours de Lyon de De Gaulle en 1969, qui ne lui a d'ailleurs pas porté chance puisque quelques mois plus tard il quittait le pouvoir. Nous sommes ensuite passés d'une période de top down à une période de bottom up où les initiatives locales devaient porter les projets de développement local. Les conséquences de cette révolution copernicienne ont été très importantes. On a assisté à un abandon progressif du territoire par les services de l'État avec, dans un premier temps, la suppression des pouvoirs exécutifs du préfet. Dans certain cas, cela a été ressenti comme un véritable séisme. Le dégraissage s'est fait au cours des années et il se conclut aujourd'hui par la RGPP, qui aurait dû intervenir bien plus tôt.

Hélas, cette RGPP, qui a débuté plus de 20 ans après la décentralisation, s'est faite sous la pression de la pénurie des finances publiques et non pas dans le but de réformer l'État. La méthode employée n'est pas exempte de reproches. Ainsi, la RGPP ne s'est nullement préoccupée d'aménagement du territoire. Certains territoires ont été touchés par une double, triple, voire quadruple peine lorsqu'ils ont perdu à la fois leur tribunal, leur école, leur poste, leur perception, ce qui a eu un fort impact sur l'économie, mais aussi sur l'attractivité de ces territoires.

En second lieu, la RGPP a eu lieu sans aucune concertation : j'ai appris un matin dans la presse que le tribunal de Rodez allait perdre l'instruction des dossiers, qui seraient renvoyés à Montpellier. Or, entre Rodez et Montpellier, il y a 200 kilomètres ! Est-il vraiment rentable de déplacer les témoins, les gendarmes, les prévenus sur de telles distances ? J'ai appris cette décision alors que nous venions de terminer les travaux d'extension et de restauration du tribunal et que l'on venait de décider, en accord avec l'État, de reconstruire la maison d'arrêt de Rodez. Est-il possible de faire pire?

La RGPP a donc poussé les élus ruraux à revendiquer le maintien de leurs services publics. Il n'y a pas eu de réflexion sur le maintien du service au public, ce qui aurait sans doute été préférable.

La RGPP a été menée selon des procédures dites en silos ou en tuyaux d'orgue, c'est-à-dire sans aucune relation horizontale entre les ministères, chacun ayant sa propre logique. Tout cela a eu de graves conséquences sur les collectivités territoriales : elles ont enregistré une perte d'expertise au moment même où elles en avaient particulièrement besoin pour accompagner leurs démarches de développement local fondées sur le projet et sur le contrat. Celles qui le pouvaient ont fait appel à des bureaux d'étude privés ou à des consultants, mais d'autres n'en avaient pas les moyens. De plus, l'État a développé les appels à projet, ce qui est profondément inéquitable puisque certaines collectivités pouvaient répondre tandis que d'autres ne le pouvaient pas.

J'exerce la fonction de médiateur de l'eau : récemment, je manifestais mon étonnement devant le nombre d'installations qui ne sont pas aux normes dans le domaine de l'alimentation en eau. Je ne parle même pas de l'assainissement, et encore moins de l'assainissement non collectif. Les collectivités rurales sont démunies : autrefois, l'ingénieur de la DDA contrôlait la conformité au règlement de l'installation des compteurs en limite de propriété. Aujourd'hui, la plupart des conflits que j'ai à régler viennent du fait que ces règlements n'ont pas été respectés et ne sont contrôlés par personne.

Des territoires perdent donc leur attractivité à cause de la RGPP.

Enfin, les collectivités ont dû supporter des transferts de charge. Pour avoir été président d'une communauté d'agglomération et président de l'Assemblée des communautés de France, j'ai toujours été choqué par le reproche injuste que l'on fait aux collectivités territoriales, notamment à l'intercommunalité, d'avoir recruté du personnel. Entre 1995 et 2007, elles ont embauché 290 000 fonctionnaires territoriaux, ce qui est effectivement énorme, mais cela n'a pas été fait par plaisir ! Elles devaient faire face à leurs nouvelles responsabilités relatives au développement local, qui est d'autant plus compliqué qu'il devient durable. Ce reproche lancinant que l'on fait aux collectivités n'est pas acceptable.

Quelles sont les solutions envisageables ? Elles sont multiples. Il ne faut pas que l'État cède à la tentation d'un retour en arrière. En revanche, d'autres formules sont possibles, notamment l'auto-organisation locale. La balle est en effet dans le camp des collectivités. Il faut que l'État accepte enfin d'être partenaire, avec de réelles concertations au niveau local et non pas un simulacre. Jusqu'à présent, la concertation consistait surtout à expliquer aux maires dans quelles conditions ils allaient perdre leur bureau de poste ou leur perception.

Un mot sur les sous-préfets développeurs, créés par Charles Pasqua. J'ai toujours été très dubitatif sur cette fonction, qui dépendait beaucoup des qualités personnelles de ces fonctionnaires, mais il me semblait contradictoire de compter sur eux pour faire du développement local alors que nous étions en pleine décentralisation. Avec ces sous-préfets, on était encore dans une situation de top down , espérant qu'ils apportent des solutions alors qu'elles ne relevaient pas de leurs compétences. En revanche, les collectivités ont beaucoup souffert de se retrouver devant un État multicéphale. Si un pays voulait monter une maison des services publics, il devait entrer en contact avec La Poste, avec le percepteur, avec l'éducation nationale... Si le sous-préfet développeur pouvait parler et agir au nom de tous ces services, ce serait une réelle avancée.

La plupart des solutions passent par une réorganisation de l'architecture de la gestion territoriale de la France et, pour être franc, je n'ai pas l'impression que la réforme des collectivités territoriales actuelle réponde à cette nécessité. La partie du texte sur l'intercommunalité correspond assez bien aux attentes, mais l'intercommunalité ne répond pas à la recherche fantasmagorique du territoire pertinent. L'intercommunalité est une brique de base d'une bonne gouvernance qui permet à des communautés humaines cohérentes d'accéder à l'inter-territorialité. L'organisation des services publics, de l'habitat et de la protection de l'environnement, pour ne prendre que ces thèmes, ne concerne pas des territoires identiques. Chaque fois, les périmètres et les organisations sont différents. Ce qui marche, c'est l'inter-intercommunalité à la carte qui s'adapte à des thèmes particuliers, souvent sur des bases contractuelles et pour des durées limitées. Ces coordinations locales interterritoriales permettent de répondre à des objectifs précis durant une période limitée. Ces coordinations peuvent être horizontales, mais aussi verticales. Certains problèmes ne peuvent se régler sur le plan strictement local.

Un exemple : la création d'agences d'urbanisme par des départements. Je n'adhère pas à cette coordination verticale car il appartient aux territoires de se réunir à des échelles différentes pour répondre à la mutualisation de l'ingénierie. Autre exemple : la ville de Rodez avait participé à deux réseaux de ville, l'un réunissant Aurillac, Mende et le Puy et l'autre spécialisé dans l'enseignement supérieur avec Figeac, Albi, Castres, Mazamet. Toutes ces villes étaient confrontées à des problèmes d'ingénierie. Elles faisaient appel à des bureaux d'étude privés, mais l'assistance à maîtrise d'ouvrage pouvait très bien donner lieu à la création d'une agence d'urbanisme qui aurait été partagée entre trois ou quatre de ces villes. C'était une bonne solution car les villes gardaient la maîtrise locale de la gestion et la responsabilité de l'agence de l'urbanisme, ce qui n'est pas le cas lorsque c'est le département qui crée une agence. Cette agence n'a pas pu se mettre en place car les départements n'en voulaient absolument pas et parce qu'il aurait fallu attendre cinq ou six ans avant qu'elle soit créée, du fait de nombreuses lourdeurs administratives.

Il faudrait se garder de regretter la disparition des services de l'État : nous nous sommes tous battus pour la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent rester aux commandes : il leur appartient donc de s'organiser pour faire face aux diverses difficultés que crée la disparition des services de l'État. Dans le même temps, les collectivités territoriales sont face à leurs responsabilités et elles doivent s'orienter vers l'inter-territorialité. Il n'en reste pas moins que l'État partenaire conserve une responsabilité financière, notamment dans le domaine de la péréquation.

M. François Patriat , président . - Vous avez dit que la RGPP avait été décidée sans concertation ni souci d'aménagement du territoire, d'où une perte d'attractivité de certains territoires et des transferts de charges non compensées. En conclusion, vous estimez qu'on ne peut regretter la disparition des services de l'État du fait de la décentralisation. A partir du moment où l'État opère des transferts de compétence au profit des collectivités, il est normal que son périmètre se réduise.

Mais aujourd'hui l'État semble tout vouloir reprendre en main : il territorialise les politiques de l'environnement, il reprend à son compte l'innovation, l'apprentissage et la formation professionnelle alors qu'il n'a plus les moyens humains et financiers de les assumer. C'est une réalité, même si j'en fais une présentation plutôt manichéenne.

Mme Jacqueline Gourault . - Un État totalement décentralisé a-t-il encore besoin d'un pouvoir central ? Actuellement, nous sommes dans un flou total, car nous ne savons pas ce que l'État veut continuer à faire, ce qu'il veut reprendre en main, tout en transférant d'ailleurs de nouvelles charges aux collectivités territoriales. Or, toutes les collectivités attendent de l'État qu'il soit présent sur un certain nombre de sujets. Nous aimerions savoir quels sont les pouvoirs régaliens que l'État va continuer à assumer et ce qu'il va arrêter de faire.

M. Gérard Miquel . - Pendant longtemps, nous avons travaillé sur les problématiques du développement local, Marc Censi et moi. Je partage l'analyse qu'il nous a présentée.

Aujourd'hui, nous reprochons à l'État de ne pas assumer ses fonctions régaliennes. Quand il vient demander à une collectivité de construire une gendarmerie, les bras m'en tombent !

La recentralisation est en route et nous assistons au transfert de certains services départementaux à la région ; quand celle-ci est vaste, comme Midi-Pyrénées, cet éloignement est dramatique : les fonctionnaires en déplacement à Cahors ne connaissent plus le terrain. Nous voudrions garder les services de l'État dans nos départements.

Certes, je comprends que des villes veuillent créer une agence de l'urbanisme, mais quid des communes rurales ? Le rôle du département est alors indispensable : il doit intervenir, avec des outils qui permettent de faire jouer la solidarité envers toutes les communes de son ressort. La disparition des services de l'État impose la mise en place de ce type d'outils pour venir en aide aux petites communes.

M. Marc Censi . - Je n'ai jamais défendu la disparition pure et simple de l'État. Un État décentralisé n'implique pas sa disparition. Il existe toujours des missions régaliennes et la gendarmerie en fait partie, y compris l'hébergement, pour répondre à la remarque de M. Miquel. Ceci dit, il y a beaucoup de gendarmeries qui ont été construites par des collectivités, voire par des fonds privés.

M. Raymond Couderc . - C'est bien antérieur à la RGPP.

M. Marc Censi . - La décentralisation impliquait la disparition de l'État interventionniste au niveau local. En revanche, l'État partenaire garde toute sa place et les sous-préfets développeurs pourraient être l'expression d'un comité interministériel local qui serait l'interlocuteur unique des collectivités voulant se développer. Comme je l'ai dit, elles ont pour l'instant des interlocuteurs multiples, ce qui n'est pas de bonne gestion. Dans le sud Aveyron, j'ai rencontré ce problème alors que nous voulions créer une maison des services publics. Or, nous n'avons pas réussi à mettre d'accord les différents services de l'État. Il faut donc que l'État soit partenaire, ce qui implique qu'il ne tape plus sur la table pour imposer ses vues. La décision locale appartient aux élus locaux, à ceux qui représentent légitimement la population. L'État partenaire doit faciliter le dialogue avec ses services et assurer financièrement un certain nombre de charges. Loin de moi l'idée de défendre l'absence d'un État central !

Enfin, il ne devrait pas être très difficile de faire l'inventaire des activités régaliennes de l'État.

M. François Patriat , président . - D'après vous, les collectivités ne peuvent exercer les contrôles qui étaient assumés par la DDA. Pensez-vous que l'État, qui a besoin de se réformer et de faire des économies, ait atteint ses objectifs ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous avez dit qu'ETD avait des liens privilégiés avec la Datar. Quel jugement portez-vous sur l'accompagnement qu'a apporté la Datar à la RGPP, notamment en ce qui concerne la révision de la carte militaire ?

M. Marc Censi . - Je n'ai pas une liberté d'expression totale à l'égard de la Datar, ne serait-ce que parce qu'elle assure une grande partie du financement d'ETD. Nous sommes un outil à la disposition de la Datar, outil d'autant plus précieux que la RGPP a entraîné la disparition d'un certain nombre d'organismes de réflexion et de prévision. ETD est aujourd'hui une des rares structures qui conduit une réflexion de fond sur tous ces sujets et les travaux que nous publions sont de grande qualité.

La Datar a créé ETD à l'époque où l'association des trois notions -entreprise, territoire et développement- avaient une signification particulière. Mais la mondialisation est passée par là. Les relations entre les entreprises et le territoire sont devenues beaucoup plus aléatoires. Notre mission a donc beaucoup évoluée. La Datar est notre bras protecteur et nous travaillons pour elle. Quant à la présence de la Datar sur le territoire local, il y a bien longtemps que tout le monde en a fait son deuil. La RGPP n'a pas eu de grande influence sur les rapports de la Datar avec les structures locales.

Mme Delphine Vincent, directrice d'Entreprises, Territoires et Développement (ETD) . - A la lumière des questions que vous avez posées, je vous ferai parvenir une note afin d'entrer dans le détail et d'illustrer nos propos par des exemples précis.

Mme Valérie Létard . - Je voudrais que vous reveniez sur la notion d'inter-territorialité. Quels sont les outils qui vous semblent les plus intéressants à explorer pour faire en sorte que les territoires puissent disposer de l'ingénierie nécessaire ?

M. Marc Censi . - On a longtemps cherché quel territoire serait parfaitement pertinent ; le pays fut -hélas- conçu comme le territoire pertinent pour le développement local. On estimait en effet que la commune était trop petite et que l'intercommunalité n'atteignait pas des dimensions suffisantes ; on a donc cherché dans le bassin de vie ou d'emploi. La Datar a beaucoup couru dans ce sens, avec M. Guigou. En définitive, on s'est retrouvé dans une impasse et on s'est aperçu que la notion même de périmètre pertinent est un fantasme. Il y a autant de pertinences que de thèmes à aborder. Nous nous retrouvons donc avec un véritable problème de gestion de la complexité. Il vaut mieux essayer d'avoir des territoires qui soient des briques de base de la gouvernance : l'approche par l'humain est préférable à celle qui privilégie la cartographie. Pour atteindre des pertinences différentes, il faut imaginer des constructions à la demande, qui peuvent être interterritoriales, que cela soit horizontal ou vertical, d'ailleurs. Pour faire un Scot, quatre ou cinq intercommunalités pourraient se regrouper pour créer une association contractuelle qui se donne pour mission de l'élaborer pendant trois ans, de le gérer pendant six ans et ensuite de tout mettre à plat pour éventuellement signer un nouveau contrat. Entre temps, des équipes de projets seraient mises en place et les ressources internes seraient mutualisées. On peut également concevoir une inter-territorialité qui fasse intervenir le département et la région. Je pense en particulier aux transports.

Il faut cesser de courir après la simplification, qui était pourtant l'objectif de la réforme territoriale : on ne simplifie pas la complexité de la vie, mais on peut la gérer au mieux grâce à des associations interterritoriales, qui permettent de s'adapter aux besoins.

M. Bruno Le Maire,
ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche,
de la ruralité et de l'aménagement du territoire

____

M. François Patriat , président . - Monsieur le ministre, merci d'être venu devant nous. En tant que ministre de l'agriculture, vous êtes concerné comme les autres par la réforme de l'Etat : nouvelles directions départementales, réduction du personnel, révision du lien avec les collectivités. M. Censi nous a dit les difficultés auxquelles particuliers et collectivités sont confrontés depuis que l'Etat n'exerce plus de contrôle ni même de soutien dans le secteur de l'eau. Vous êtes aussi ministre de l'aménagement du territoire, et l'objet de notre mission d'information vous intéresse au premier chef. La RGPP a-t-elle rempli ses trois objectifs, simplifier, clarifier et économiser ? Avec quels personnels, dans quelles conditions, après quelle concertation, et avec quels effets ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Je me réjouis d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous à ce sujet. La RGPP était indispensable, car l'organisation de l'Etat n'était plus adaptée aux réalités sociales et économiques : la décentralisation a confié aux collectivités des tâches autrefois exercées par l'Etat, et nos concitoyens attendent des services publics plus lisibles, plus efficaces et plus accessibles. Il fallait en outre maîtriser la dépense publique, passée de 28 % du PIB en 1950 à 56 % en 2000.

S'agissant des services publics dans les territoires, je suis convaincu que l'avenir est à la mutualisation : des tâches remplies autrefois par des services et des agents distincts, dans des locaux séparés, peuvent être regroupées. L'Association des régions de France partage désormais cette analyse. Nous avons signé un accord de partenariat avec neuf opérateurs nationaux tels que la Caisse des dépôts et l'Union des points d'information et de mutualisation multiservices (Pimms). La RGPP ne peut se réduire à la baisse des moyens et des effectifs : elle implique la réorganisation des services, et donc la formation des agents. La mutualisation doit être expérimentée dans 23 départements et sera généralisée en cas de succès. Les conventions de mise en oeuvre territoriale doivent être signées d'ici la fin du mois.

Dans le domaine de la santé, l'heure est aussi à la mutualisation. Nous finançons la construction de 250 maisons de santé pluridisciplinaires, et un appel à projets sera lancé en juillet pour créer des outils numériques améliorant les services à la personne : 30 à 40 millions d'euros y seront consacrés dans le cadre des investissements d'avenir.

En ce qui concerne les services postaux, le fonds de péréquation postale a été porté de 124 à 170 millions d'euros, et l'accord tripartite que j'ai signé le 26 janvier avec Mme Lagarde garantit la présence de 17 000 points d'accès et d'un distributeur de billets dans chaque chef-lieu de canton. Nous travaillons aussi avec le Crédit agricole et le Crédit mutuel pour créer des points de retrait d'argent chez les petits commerçants, en particulier chez les buralistes.

Enfin, le Gouvernement a lancé une nouvelle génération de pôles d'excellence rurale, qui proposent une offre de services innovante.

J'en viens aux services rendus par l'Etat aux collectivités. Une réforme était nécessaire : le référent technique des communes doit être désormais l'intercommunalité ; l'Etat assumant le contrôle de légalité, il ne peut être juge et partie, en particulier en ce qui concerne l'ingénierie publique ; enfin il n'était plus possible de continuer à offrir des prestations entrant dans le champ concurrentiel. Mais l'Etat continuera à aider les territoires qui en ont le plus besoin, notamment ruraux. Si la RGPP a supprimé l'ingénierie concurrentielle, le Gouvernement a maintenu 1650 ETP pour l'assistance technique de l'Etat, pour raison de solidarité et d'aménagement du territoire, avec un coût de 147 millions d'euros : cela permet d'aider les communes qui n'ont pas les moyens de recourir à un prestataire privé. Les sous-préfectures ont une fonction d'accompagnement et de conseil, la délivrance des titres et le contrôle de légalité ayant été dévolus aux préfectures. Enfin les territoires ruraux peuvent bénéficier de moyens nationaux et européens dans le cadre du réseau rural.

La réorganisation de l'Etat est nécessaire, mais il faut compenser son impact sur certains territoires. Les réformes des établissements de santé et de la carte judiciaire font l'objet de mesures compensatoires de la part des ministères concernés. En revanche, c'est mon ministère qui est chargé d'accompagner la reconversion des territoires touchés par les restructurations militaires, au titre de l'aménagement du territoire. La modernisation est indispensable si l'on veut que notre appareil de défense reste budgétairement soutenable, mais elle a des répercussions importantes sur l'économie de territoires où des bases étaient implantées de longue date. D'ici 2015, 82 sites doivent fermer, 47 être transférés, et 54 000 emplois seront supprimés. Notre politique n'a pas pour objectif de tailler dans les effectifs et les dépenses : nous faisons en sorte de revitaliser les territoires concernés. Dès 2008, le Premier ministre a demandé à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) d'accompagner les restructurations, en liaison avec le ministère de la défense ; 320 millions d'euros ont été débloqués dans le cadre de contrats de redynamisation des sites de Défense (CRSD) et de plans locaux de redynamisation (PLR). La loi de finances pour 2009 a autorisé la cession aux collectivités locales, pour un euro symbolique, des emprises militaires devenues inutiles. Le zonage des « aides à finalité régionale » (AFR) a été étendu aux territoires les plus affectés. Dans les zones de restructuration de défense (ZRD), nous avons octroyé des exonérations fiscales et sociales aux entreprises en création ou en extension et un crédit d'impôt aux micro-entreprises : 12 zones d'emploi et 11 communes sont concernées. Un fonds de soutien aux communes les plus touchées a été créé et abondé de 25 millions d'euros pour la période 2009-2011.

La RGPP ne se fait pas toujours au détriment des territoires : elle peut être une chance pour beaucoup d'entre eux. Je me suis rendu à Cambrai avec M. Juppé pour signer le CRSD, à Dax pour signer le PLR : dans ces deux territoires, où les restructurations de défense auraient pu entraîner une crise grave, elles ont donné de nouvelles perspectives grâce à une politique de développement économique fondée sur l'innovation. Je ne nie pas, cependant, la nécessité d'établir un diagnostic détaillé de la situation des territoires à la suite des restructurations ; la Datar a engagé ce travail à la demande du Premier ministre et remettra son rapport à la fin de l'année.

Dans le champ du ministère de l'agriculture, nous avons pour ambition de réorganiser les services départementaux dans le sens d'une plus grande interministérialité, afin de mieux répondre aux besoins. La RGPP nous a fait faire d'importantes économies dans les services déconcentrés : entre 2011 et 2013, 525 emplois sur 7 100 y auront été supprimés, soit une baisse de 7 %. C'est lourd pour les services, sans doute, mais notre logique n'est pas purement comptable : seuls des emplois correspondant à des missions identifiées sont supprimés, selon un calendrier progressif, et sans porter atteinte aux politiques prioritaires du ministère -le développement rural, l'économie agricole, la forêt. Dans les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), ces suppressions portent surtout sur les fonctions support, et sont facilitées par la rationalisation des services et l'amélioration des outils informatiques. Dans les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), elles s'expliquent seulement par la suppression de l'ingénierie publique concurrentielle -137 ETP entre 2011 et 2013- et la rationalisation des fonctions support -264 ETP. Ces réorganisations ont permis de regrouper des services au sein des directions départementales et régionales, de mieux collaborer avec les services déconcentrés d'autres ministères, et finalement d'offrir un service proche à moindre coût.

Il faut cependant souligner deux problèmes. D'une part, nos outils informatiques, qui devraient accompagner ces transformations, ne sont pas toujours à la hauteur : je pense aux dysfonctionnements du service de paiement des aides de la PAC, qui affectent directement les agriculteurs. Car 40 % des déclarations au titre de la PAC s'effectuent désormais par voie électronique, ce qui était loin d'être le cas, j'imagine, quand vous étiez en charge de ce dossier, monsieur le président. La gestion des demandes sur papier était alors une lourde charge pour le ministère.

Au plan culturel, les agents sont attachés à l'identité de leur ministère, et ne souhaitent pas se retrouver dans de vastes directions indifférenciées. Il faut donc définir clairement les missions de chaque ministère, et ce que l'on attend de chaque agent. Cet aspect des choses est trop souvent négligé lorsque l'on parle de rationalisation de l'Etat.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous nous avez exposé la philosophie de la RGPP. Tous ceux que nous avons auditionnés ont convenu que tout n'allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, et qu'une réforme était nécessaire. Mais beaucoup se sont plaints de l'absence de concertation. Il fallait agir, direz-vous.

Vous avez souligné que les agents ont besoin de connaître leurs missions, mais les collectivités aussi aimeraient connaître les tâches que l'Etat assume encore. Elles ont souvent le sentiment que l'Etat se désengage et se repositionne. Elles ont besoin de savoir ce qu'elles peuvent attendre de lui. Vous avez dit par exemple que le référent technique des communes devait être l'intercommunalité. Nous reconnaissons tous, M. Miquel le premier, que la décentralisation suppose logiquement que certaines tâches anciennement assumées par l'Etat soient dévolues aux collectivités. Mais c'est la première fois que l'entends un ministre s'exprimer aussi clairement sur l'assistance à la maîtrise d'ouvrage et l'ingénierie. Peu de collectivités entendent ce discours.

Vous avez évoqué la suppression de 525 emplois dans les services déconcentrés, au titre du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Combien de postes ont été supprimés dans l'administration centrale de votre ministère en vertu du même principe ?

Vous avez aussi insisté sur le rôle de l'informatique. Depuis vingt ans, on vante les gains de productivité procurés par l'informatique ; ils sont indéniables, mais portent surtout sur des postes de catégorie C, alors que l'on a surtout besoin de personnel de catégorie A, dans le cadre de la mutualisation par exemple. Ne faudrait-il pas apporter de la souplesse à la règle de non-remplacement, et raisonner par types d'emplois plutôt qu'en ETP ?

M. Bruno Le Maire . - Plus on se concerte, mieux on se porte. Cela fait plusieurs mois que les préfets disent que l'interlocuteur technique des communes doit être l'intercommunalité. Mais on a parfois perdu du temps en voulant écourter le débat, par exemple lors de la création de l'Institut français du cheval et de l'équitation et du GIP France haras. Il était indispensable de réformer les Haras nationaux, devenus trop coûteux, mais on se heurtait là aux réalités culturelles très fortes du monde du cheval, des palefreniers, au souci de préserver des races équines... Il a fallu s'y reprendre à deux fois pour créer le GIP France haras le 1 er février 2011, au lieu du 1 er février 2010. Après un an de concertation, nos interlocuteurs se sont laissé convaincre que nous ne voulions pas abandonner les services publics équestres.

Les services déconcentrés ont, plus que l'administration centrale, supporté le poids des suppressions d'emplois : 525 emplois y ont été supprimés pendant la période triennale, 75 dans les services centraux en 2009 et 2010. Il faudra équilibrer les choses, car dans les services déconcentrés il est difficile d'aller beaucoup plus loin.

Je vous livrerai enfin une réflexion qui n'engage que moi, et pas le Gouvernement : je crois que plus on donne de souplesse aux ministres pour appliquer la RGPP, mieux c'est. Chaque ministre pourrait disposer d'une enveloppe budgétaire pour trois ans, libre à lui de décider si des postes doivent être supprimés dans les services centraux ou déconcentrés, dans l'enseignement agricole public ou privé, de catégorie A ou C, etc. Car il est vrai que la télé-déclaration a réduit les besoins en personnel de catégorie C, mais non de catégorie A. Cela supposerait que le ministre définisse plus clairement les missions et les priorités de son ministère. La RGPP y gagnerait une plus grande signification politique.

Mme Catherine Deroche . - Je vous apporterai un témoignage. Les élus que j'ai rencontrés dans le Maine-et-Loire ne sont pas très critiques à l'égard de la RGPP, mais ils se plaignent que les agents de l'Etat contrôlent plus qu'ils ne conseillent, et que les avis divergent entre les services d'une même direction. Comme le rapporteur, j'estime qu'une clarification est nécessaire : l'Etat doit dire quelles missions il assume encore, et lesquelles il abandonne -alors les collectivités s'organiseront, même s'il leur en coûtera davantage.

Il faut conserver un lieu de conseil auprès des collectivités territoriales. Mieux vaut un conseil en amont que de voir ensuite le projet censuré...

M. Bruno Le Maire. - Je partage votre analyse. À mon sens, il faut d'une part accorder une plus grande autonomie aux responsables d'administrations, c'est-à-dire aux ministres, et d'autre part définir le sens de la mission confiée aux agents. On ne peut laisser penser que le seul objectif de la RGPP est de réduire les effectifs, sans redéfinir les missions. J'ai ainsi fixé pour 2011 un objectif de 50 % de télé-déclarations pour la PAC. Même chose pour les sous-préfectures, qu'il faut décharger du contrôle de légalité et réorienter vers une mission de conseil.

M. François Patriat , président . - Pensez-vous vraiment qu'ils puissent être efficaces ?

M. Bruno Le Maire. - C'est le rôle qu'ils devront remplir.

M. Raymond Couderc . - Pour ma part, j'ai la chance d'avoir un sous-préfet qui joue fort bien son rôle de facilitateur.

Il n'est pas trop tard pour redonner un contenu philosophique à la RGPP, trop souvent perçue par les élus comme une simple suppression d'effectifs. Je regrette l'absence d'explication préalable sur l'objectif poursuivi, sur la place à donner à l'État. J'ai participé à tous les stades de la « concertation », qui était en réalité une simple information : la RGPP était présentée aux élus par le préfet comme une réorganisation administrative, sans que l'on explique les objectifs qui la sous-tendent.

M. Bruno Le Maire. - Je partage cette analyse : la RGPP ne peut se réduire à une simple réorganisation administrative et budgétaire.

Le ministère de l'agriculture a mis en place une Agence de services et de paiement (ADP) chargé d'instruire, de contrôler et de payer les aides de la PAC. Dès lors, quelle doit être la mission principale du ministère, déchargé de cette tâche ? La sécurité sanitaire ? Le contrôle des conditions pour bénéficier des aides de la PAC ? Le conseil aux agriculteurs ? N'oublions pas qu'il est aussi le ministère de l'alimentation ; c'est une dimension qui va croître, car elle correspond à une attente des citoyens. La RGPP doit comprendre une redéfinition des missions confiées à l'État, ministère par ministère.

M. Gérard Bailly . - Les élus, notamment communaux, n'ont guère saisi ce qu'est la RGPP, sinon une réduction du nombre de fonctionnaires. Heureusement, les préfets ont fait un travail de pédagogie, et elle rentre progressivement dans les moeurs.

Reste le problème des compétences maintenues au niveau régional, et notamment de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Le sous-préfet aura un rôle de conseil, dites-vous, mais chez moi il est à 1 heure 45 de Besançon, où se trouve la DREAL ! En matière d'environnement, il faut se rendre sur place ; comment faire remonter l'information, si un maire rencontre un problème ? Idem avec les directions des territoires (DDT), en charge des dossiers agricoles. Vous paraît-il logique que ces administrations soient aussi éloignées du département ? L'environnement doit-il relever de l'échelon régional ?

M. Bruno Le Maire. - Vous touchez à une question sensible. Sur les questions environnementales, nous n'avons pas encore trouvé le bon équilibre. Les remontées du terrain font état d'une application difficile d'un certain nombre de normes, due notamment aux conflits entre intérêts agricoles et intérêts environnementaux : retenues collinaires, pollution des eaux, épandage, etc. Les arbitrages sont difficiles. La réforme vise à favoriser le travail en commun, à rapprocher les enjeux, en offrant aux élus un conseil plus efficace.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Dans la nouvelle organisation générale des services déconcentrés, c'est l'échelon régional qui coordonne l'action de l'État. Le préfet de région est chargé de coordonner les actions et les priorités de chacun des ministères. Or il n'a quasiment pas de marge de manoeuvre en termes de personnel, d'autant que les disponibilités ne correspondent pas nécessairement aux besoins. Dans ce contexte, ce n'est pas en renforçant l'autonomie des ministres que l'on répondra aux difficultés des préfets...

La RGPP est une mutualisation, dites-vous. Faut-il centraliser pour disposer des meilleures compétences ou au contraire rester au plus près du terrain ? Désormais, le préfet de région est presque le supérieur hiérarchique du préfet de département ; faut-il aller plus loin, ou au contraire revenir en arrière ? Le rôle du sous-préfet va-t-il se limiter à assurer la représentation galonnée de l'État lors de manifestations patriotiques ? Quelle est son utilité, s'il n'a plus de mission propre ?

M. Bruno Le Maire. - Le sous-préfet joue un rôle indispensable de conseil aux collectivités territoriales. Si ce service ne donne pas satisfaction, il y a un problème ; aux élus de l'évaluer.

Le renforcement du rôle du préfet de région est d'autant plus justifié qu'il coordonne l'application de politiques publiques de plus en plus complexes, aux enjeux parfois contradictoires. Renforcer l'autonomie du ministre ne signifie pas empiéter sur les responsabilités du préfet. À mes yeux, le ministre est le plus à même d'évaluer, sur trois ans, les réductions d'ETP envisageables. Lui laisser la marge de manoeuvre nécessaire pour fixer le rythme de la réduction des effectifs, sur la base d'une enveloppe budgétaire, irait dans le bon sens.

Mme Catherine Deroche . - N'est-il pas paradoxal d'entamer une démarche de simplification quand la tendance est à la complexification des normes, notamment en matière environnementale ? De même, on accentue la régionalisation, alors que la réforme des collectivités territoriales, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, a renforcé l'échelon départemental. Proximité ne signifie pas qualité : ne vaut-il pas mieux créer un pool de compétences pointues, même si cela entraîne des déplacements ? Enfin, il est désastreux, en termes de communication, de parler de la « suppression » d'un fonctionnaire sur deux : il s'agit du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux !

M. Bruno Le Maire. - Je vous rejoins sur ce dernier point, même si je n'ai pour ma part pas d'état d'âme sur cette politique. La France a créé un million d'emplois publics supplémentaires en quinze ans ; cela ne me paraît pas une bonne direction pour notre pays. Arrive un moment où, pour obtenir des résultats, il fallait appliquer une règle mécaniste stricte : c'est celle du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux. Dans un second temps, la RGPP doit se construire sur la question des missions à confier à l'État.

Plus les normes sont complexes, plus les procédures doivent être simples et les responsables, clairement identifiés. Je doute que nous arrivions à simplifier les normes autant que nous le voudrions, malgré la mission confiée à M. Doligé sur le sujet : notre société est complexe, elle exige toujours plus de protections, des garanties, des règles, ce qui suppose des normes. Ainsi, les règles nutritionnelles dans les cantines scolaires, qui étaient exagérément complexes et donc inappliquées, ont-elles été simplifiées, avec des exigences moindres mais claires, et rendues obligatoires. Mais pas question de supprimer toute règle nutritionnelle ! Idem pour le taux de nitrates dans l'eau, l'épandage ou la taille des bâtiments d'élevage.

Enfin, l'essentiel est de disposer de services compétents, quitte à ce qu'ils soient un peu éloignés, qui répondent aux besoins.

M. François Patriat , président . - M. Censi nous disait que la RGPP avait été faite sous la pression des exigences financières. Elle a en tous cas été instaurée sans concertation : en Bourgogne, le préfet de région m'a annoncé comment les choses allaient se passer, sans autre forme de procès.

Le meilleur moyen de simplifier les normes, c'est de ne pas en voter ! Lors du débat sur le Grenelle de l'environnement, les sénateurs de tous bancs - qui dénoncent aujourd'hui l'excès de normes - en introduisaient de nouvelles à chaque page ! J'avais écrit autrefois un article intitulé « Gare à la peste communautaire » ; on pourrait écrire aujourd'hui « Gare à la peste normative » !

Vous êtes un ministre compétent ; vous avez une vision, sinon technocratique, disons ministérielle de votre mission, que vous remplissez le mieux possible, avec les moyens qui vous sont alloués. Je ne mets pas en doute votre bonne volonté. Reste que quand un maire a besoin de conseil, il veut le trouver à proximité, et le moins cher possible !

La RGPP administre son coup de rabot à l'aveugle. Allez parler d'innovation, de reconversion à Château-Chinon, victime de la restructuration de la carte militaire ! Joigny a perdu un régiment, un tribunal de commerce, un bloc opératoire, une clinique, un centre éducatif : huit cents emplois en un an ! Nous avons signé un contrat de site, mais je note que les crédits par emploi perdu diffèrent selon les sites : tous les sites ne sont pas traités de la même manière.

Bref, la vision du ministre est peut-être un peu idyllique...

M. Bruno Le Maire. - Malgré les efforts consentis pour accompagner la réforme de la carte militaire, les transitions sont difficiles, tout particulièrement quand il n'y a pas localement d'infrastructures, de moyens de communication. La restructuration est facilitée quand il existe déjà des projets économiques, prêts de longue date, comme à Dax ou Cambrai. Chaque fermeture militaire est un drame localement et un défi économique. Pour ma part, je me suis battu pour conserver la base aérienne 105 à Évreux. Enfin, il ne manque qu'un Président de la République natif de Château-Chinon pour relancer la ville !

Mercredi 11 mai 2011

M. Christian Piotre,
secrétaire général de l'administration
du ministère de la défense et des anciens combattants

____

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, d'avoir répondu à notre invitation. Dans le prolongement des auditions et des déplacements entrepris par la mission depuis février, nous sommes très heureux d'entendre le secrétaire général du ministère de la défense.

M. Christian Piotre, secrétaire général de l'administration du ministère de la défense et des anciens combattants. - Le ministère de la défense est engagé depuis 2008 dans ce que je pourrais presque appeler une révolution. Cette grande réforme résulte d'une double démarche, avec d'un côté le livre blanc sur la défense et la sécurité, approuvé par le chef de l'Etat à l'été 2008, et qui fixe à l'horizon 2010 les contrats opérationnels des armées et l'organisation de notre défense, et, de l'autre, la révision générale des politiques publiques, démarche interministérielle pour optimiser l'emploi des ressources de toutes les administrations de l'Etat. La Défense s'est inscrite résolument dans cette révision, et aucun secteur d'activité, nulle de ses organisations n'y a échappé.

La loi de programmation militaire 2009-2014 définit de nouvelles capacités opérationnelles, mais aussi un nouveau format, se traduisant par une réduction sensible des effectifs comme des implantations. Cependant, la réforme ne s'accompagne pas d'une réduction des ressources : elle passe par une réallocation substantielle. Les économies sur la masse salariale et sur le fonctionnement courant ont vocation à financer la modernisation des équipements et l'amélioration de la condition des personnels.

L'effet territorial de ce processus est non négligeable. Environ quatre-vingts fermetures et une cinquantaine de transferts d'unité ont été programmés entre 2009 et 2014, avec deux années particulièrement lourdes, 2010 et 2011. Quelque 35 projets de modernisation conduits dans le cadre de la RGPP contribuent à la réduction du format. Le ministère doit supprimer 54 000 emplois d'ici 2015, dont les trois quarts dans l'administration générale et le soutien commun, et une répartition entre militaires (75 %) et civils (25 %) conforme à leurs proportion respective.

Le ministère de la défense n'est pas organisé selon la logique de déconcentration régionale et départementale des services de l'Etat. L'exception qu'était l'ancienne direction des anciens combattants sera corrigée à la fin de l'année, l'Office national des anciens combattants devenant l'unique service de proximité pour les ayants droit.

La conduite et l'accompagnement de la réforme ont fait l'objet d'une réflexion. Il fallait en effet des objectifs précis. Le ministre préside le comité exécutif ; le comité de modernisation du ministère, que je préside, se réunit tous les mois et entretient le rythme de la réforme ; une mission de coordination, dirigée par un officier général, est en charge du contact quotidien sur les 35 projets de la RGPP et, suivant l'instruction du ministre, privilégie l'initiative. Chacun des trois grands responsables du ministère, le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement, et le secrétaire général pour l'administration, est en charge de la partie de la réforme qui lui est confiée dans son domaine de compétence. Enfin, le ministère s'inscrit dans le dispositif interministériel que vous a décrit M. Migeon.

L'accompagnement de la réforme est d'abord social. Il a alors pour objet de faciliter les réductions d'effectifs et la mobilité des personnels. Les incitations au départ sont le principal levier ; il s'agit des pécules pour les militaires et des indemnités de départ volontaire pour les civils, ainsi que de l'indemnisation de la mobilité géographique (déménagement ou éloignement du lieu de travail) et des dispositifs de reclassement dans les trois fonctions publiques et de formation. Au total, nous y consacrons 238 millions en 2011.

C'est aussi le dialogue, l'écoute et l'accompagnement individuel, avec une antenne mobilité reclassement dans chaque organisme concerné par une restructuration et des médiateurs mobilité au niveau local. Le nombre de personnes en difficulté en 2009 et 2010 se compte sur les doigts de la main. Les organisations syndicales pour les personnels civils, les commissions participatives, le conseil supérieur de la fonction militaire pour les militaires, aident à percevoir les difficultés sur le terrain, mais aussi les réussites.

L'accompagnement immobilier, ensuite. On le sait peu, le ministère gère 40 % du domaine de l'Etat. La loi de programmation militaire a identifié un volume de ressources spécialement destinées aux opérations immobilières et d'infrastructure directement liées aux restructurations et réorganisations -il ne s'agit pas du Rafale à Saint-Dizier mais de dédensification et de sites à aménager. Le Parlement peut suivre la consommation des 1,2 milliards prévus à ce titre. Pour 2011, cela représente 498 millions en autorisations d'engagement. Des cessions à titre gratuit bénéficient aux collectivités les plus touchées. La Défense participe à la réduction du parc immobilier de l'Etat aux stricts besoins. Nous avons réalisé des schémas directeurs de base de défense pour les dix années à venir.

L'accompagnement économique, enfin, a été conçu dès 2008. Il a fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre en juillet 2008. Le délégué interministériel à l'aménagement du territoire vous l'a décrit lors de son audition. Les collectivités les plus touchées élaborent des contrats de redynamisation qui peuvent ouvrir droit à l'acquisition, à l'euro symbolique, des immeubles dont la Défense n'a plus l'usage. Là où l'impact des restructurations est plus diffus sans être négligeable, des plans locaux de redynamisation peuvent être définis à l'échelle départementale. Des crédits du Fonds national d'aménagement du territoire et du Fonds pour les restructurations de la Défense (FRED) peuvent y contribuer. Sur 320 millions ainsi mobilisés, 225 millions sont destinés aux contrats de redynamisation, 75 millions aux plans locaux, et 20 millions à l'outre-mer. L'objectif fixé est de 25 contrats et 30 plans.

La délégation aux restructurations, dirigée par Hervé Oudin, qui m'accompagne aujourd'hui, s'appuie sur tous les services compétents du ministère et travaille en coordination étroite avec la Datar.

Quant au bilan, le calendrier des restructurations est respecté, les réductions d'effectifs sont au rendez-vous et les principales échéances honorées. En 2011, nous avons généralisé l'organisation autour des bases de défense. La pente de réduction des effectifs est tenue : sur 54 000 emplois à supprimer avant 2015, 53 400 ont déjà été identifiés. Rien ne laisse présager un affaiblissement de l'effort. Le ministère est tendu vers l'objectif de dégager des ressources, le différentiel de masse salariale finançant des équipements nécessaires.

Les outils d'accompagnement ont fait la preuve de leur efficacité. Même si nous sommes en ligne avec nos objectifs, nous devons rester extrêmement vigilants, ne serait-ce que parce que les marges de reclassement peuvent se rétrécir -cette problématique nous préoccupe.

Nous avons signé 14 contrats de redynamisation pour plus de 90 millions d'euros, 15 millions allant aux plans locaux de redynamisation. Le ministre a souhaité que la quasi-totalité des contrats et plans soient finalisés avant la fin de l'année. L'objectif est de construire un projet pour rebondir après les restructurations. Une trentaine d'emprises ont été cédées à l'euro symbolique. Leur valeur (50 millions) participe à la compensation des pertes subies par les territoires.

Le ministère est préoccupé par la reconversion des personnels dans la fonction publique d'Etat. Nous avons du mal à trouver des postes pour les militaires. Malgré nos efforts, le dispositif interministériel mis en place voilà dix-huit mois ne donne pas les résultats escomptés. L'échange d'informations entre ministères n'est pas parvenu à un degré de maturité suffisant et à la transparence souhaitable -il est vrai que chaque administration a ses préoccupations... A contrario , le bilan des reclassements dans la fonction publique territoriale est encourageant, avec plus de 500 militaires en 2010.

Les procédures immobilières sont longues et la réglementation pour la dépollution très contraignante. Nous nous imposons des obligations, et tout cela affecte le calendrier de mise à disposition. Un travail interministériel serait de nature à améliorer les procédures.

La réforme se met en place alors que l'engagement militaire de la France est très soutenu. On ne peut pas isoler celui-ci de celle-là, car ce sont les mêmes agents, les mêmes personnels. La Défense met à la disposition de la France et du chef des armées un outil adapté aux menaces comme aux engagements et aux choix de notre pays. Nous devons protéger le périmètre opérationnel sans renoncer aux économies recherchées. L'équilibre à trouver est délicat.

Nous entendons préserver la cohésion globale de la communauté de défense. Tous les personnels du ministère sont concernés par ses évolutions. Les accompagner est prioritaire au moment où on leur demande beaucoup. Les personnels dont le service a été regroupé à Toulon sont heureux de voir leur avenir assuré, mais, s'ils travaillent dans de meilleures conditions, le nombre de dossiers par personne est passé de 400 à 1 200 voire plus. Malgré un meilleur outil informatique, la productivité doit satisfaire à des critères plus exigeants. Le personnel doit être motivé, formé, reconnu, d'où la notion de retour. De même, j'ai passé 24 heures non stop à bord du Charles de Gaulle au large de la Libye. Nos hommes y sont depuis 50 jours, concentrés sur des missions opérationnelles. N'ont-ils pas droit, quand ils retournent dans leur base, à des capacités d'entraînement à la hauteur de l'effort opérationnel ? Cette communauté est une richesse, préservons-là. Les civils représentent aujourd'hui la moitié des personnels des armées, et l'on compte 20 000 entrées et 20 000 sorties tous les ans. Gérer ce flux de ressources humaines représente un défi permanent. Il ne faut pas fragiliser cet outil.

M. François Patriat , président . - Vous avez évoqué l'engagement des forces armées après nous avoir donné une vision presque idyllique de leur réorganisation. Certes, vous avez engagé des moyens financiers à la hauteur des enjeux que vous avez constatés, mais, vue d'en bas, la réalité n'est pas celle-là. La commune de Joigny reçoit une aide à l'investissement de 3 millions d'euros et, pour l'euro symbolique, 12 hectares de terrain, mais avec des bâtiments à maintenir hors de l'eau et un projet à monter. J'étais vendredi dans cette collectivité : les élus sont désemparés parce qu'ils ont perdu le 28 e groupe géographique, envoyé à Haguenau. On se mobilise mais il y a aussi le tribunal, l'hôpital et, au total, la ville a perdu 10 % de sa population. Expliquer au buraliste que la baisse de son chiffre d'affaires contribue à l'effort de défense de la France ne suffit pas.

Bien sûr, M. Houpert est content d'avoir sauvé Luxeuil et nous sommes contents pour Dijon. Pourtant, ne pourrait-on prolonger l'accompagnement et éviter le sentiment d'injustice provoqué par les variations de calcul de la compensation d'un lieu à l'autre ?

M. Christian Piotre. - Est-on armé pour traiter de cette problématique ? La Défense et la Datar souhaitent éviter le syndrome du fire and forget , tirer un missile et l'oublier. Les contrats et les plans ne dédouanent pas l'Etat de sa responsabilité, et Gérard Longuet va écrire aux préfets des territoires concernés : attention, l'Etat doit veiller au devenir des projets. L'accompagnement, c'est un plan sur plusieurs années. L'engagement financier n'est pas pour solde tout compte et nous pourrons aller au-delà. Il revient au représentant de l'Etat de poursuivre le dialogue au-delà de la signature de manière continue. Le ministère se mobilise également pour faire venir des entreprises. Je partage votre conviction, il faut prolonger l'action.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Il y a de moins en moins de militaires, ce qui nous renvoie à ce trait général de la RGPP qu'est l'externalisation, l'agencialisation des missions. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? En février, je suis allé trois jours sur les bases aériennes en Bretagne (Landivisiau, Lanvéoc, Lorient). Des missions ont été externalisées, la restauration mais aussi l'entretien des équipements, qu'assurent les constructeurs. Mais sur le Charles de Gaulle, que vous évoquiez, Sodhexo ne prépare pas les repas, et M. Dassault n'est pas présent sur le théâtre des opérations. La RGPP est-elle adaptée à la spécificité des armées ?

Un mot aussi du retour sur investissements : comment les économies réalisées améliorent-elles pouvoir d'achat des serviteurs de la République ?

M. Christian Piotre. - J'ai parlé d'une réduction de 54 000 emplois. Il convient de distinguer ici le livre blanc et la RGPP : si 18 000 emplois à caractère opérationnel ont été touchés, c'est en raison de l'évolution des armées, du fait de la disparition d'unités ou de matériel obsolète, dans le génie, l'artillerie, le train et autres régiments d'appui à la volumétrie ancienne. Le reste, c'est l'administration générale et le soutien, c'est l'administration centrale, ce sont à 75 % des fonctions purement administratives sans lien avec l'opérationnel.

La réduction d'effectifs porte à 75 % sur des militaires et à 25 % sur des civils. Si la part de ces derniers augmente légèrement, le personnel sous statut militaire se concentre dans l'opérationnel.

Vous posez la question de l'externalisation en termes très clairs. Sur le Charles de Gaulle, les Rafale sont à 95 % entretenus par les personnels militaires hautement qualifiés, l'industriel pouvant apporter des précisions techniques à nos mécaniciens et ingénieurs militaires. Voilà exactement ce que nous devons préserver. Aussi bien les enjeux de l'externalisation ne sont-ils pas très bien perçus. Nous engageons des expérimentations. L'externalisation a parfois un sens, par exemple pour la formation, comme à Cognac, où l'on achète des heures de vol et non du matériel pour l'entraînement. Nous sommes plus prudents sur l'alimentation : 8 sites vont faire l'objet d'une expérimentation -le ministère ne se jette pas dans cette affaire à corps perdu pour des raisons idéologiques. Les trois ministres qui se sont succédé depuis le début de la RGPP ont toujours été très prudents : ils ont demandé des travaux convaincants avant d'autoriser une expérimentation. Nous venons même d'avoir pour instruction de comparer non seulement entre le système actuel et son externalisation mais aussi avec son amélioration, ce qui signifie bien qu'on modernise et qu'on rationalise avant d'externaliser... J'allais oublier de répondre sur le retour sur investissement. La programmation 2011-2013 prévoit 75 millions d'euros pour le retour catégoriel vers le personnel.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Sur ?

M. Christian Piotre. - L'équation globale 2008-1011 était de 1,4 milliard sur la masse salariale, et de 900 millions pour les coûts de fonctionnement, soit 2,3 milliards, essentiellement pour l'équipement.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie de vos réponses. N'oubliez pas les collectivités locales.

M. Jean-Jacques Brot,
préfet de la Vendée

____

M. François Patriat , président . - Nous sommes heureux de vous recevoir, monsieur le préfet. Vous connaissez bien les territoires, puisque vous avez été affecté à Mayotte, en Eure-et-Loir, en Vendée, mais aussi à Tokyo et en Guadeloupe. Or notre mission s'efforce de dresser un bilan objectif de la RGPP et de son impact sur les collectivités. J'ai rencontré jeudi soir un sous-préfet qui me disait que la RGPP était nécessaire, que les choses allaient bien pour les cadres A et B, mais qu'il voyait chaque semaine des cadres C pleurer, accablés de travail. En Haute-Saône, la DDT demande des mois pour répondre à une question sur les points d'eau et les zones humides. Nous comprenons tous que l'Etat doive se réformer, et les collectivités assumer les tâches qui leur ont été déléguées. Mais ces dernières ont été très affectées, par exemple, par la réforme des cartes scolaire, militaire et judiciaire.

Sur la RGPP, on entend deux discours contradictoires : les uns invoquent les contraintes économiques et vantent les succès de la réforme, les autres déplorent les problèmes de terrain qui s'ensuivent. Il y a eu des réussites, comme la réforme des finances. Mais dans l'ensemble, les maires se plaignent de la complication des procédures : auparavant, ils s'adressaient à la DDA au sujet de l'eau, à la DDE au sujet des routes, à présent ils ne savent même pas s'ils doivent se tourner vers le département ou la région. Quel est d'ailleurs, selon vous, le rôle respectif des préfets de régions, des préfets de départements et des sous-préfets ?

M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée . - Merci de m'avoir invité. Pour ma part, je reste assez sceptique sur l'efficacité de la RGPP, même si je conçois que les traités européens et l'objectif de réduction des déficits publics la rendent nécessaire. Le principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a été appliqué sans trop de discernement, et après la fermeture de divisions et de sous-préfectures viendra peut-être celle de préfectures... Prenons garde !

Je nuancerai cependant les propos que j'avais tenus devant la mission d'information sénatoriale sur la tempête Xynthia. La RGPP et la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE) ont eu des effets positifs, comme la création de directions départementales interministérielles (DDI) qui sont de mieux en mieux connues des élus, même si des efforts restent à faire. La réorganisation des services régionaux me laisse plus dubitatif. En règle générale, on assiste au transfert des moyens financiers et humains du niveau départemental au niveau régional, non sans lien avec la réforme concomitante des collectivités territoriales. Mais le département demeure un échelon de proximité indispensable : c'est là que s'adressent en premier lieu les élus, les chefs d'entreprises et les responsables associatifs. Un palier a été atteint, et il serait dangereux d'aller plus loin dans la baisse des moyens.

Encore une fois, il y a eu des succès, comme les DDI. Les ministères des affaires sociales, du travail, de l'agriculture, de l'intérieur ont joué le jeu. Cependant il y a encore des îlots de résistance : la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) rechigne, ce qui a des conséquences directes au sein des directions départementales de la protection des populations (DDPP). On a créé des mastodontes régionaux comme les agences régionales de santé (ARS) ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). En 2011, au terme d'un prétendu « dialogue de gestion », les cinq directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) des Pays-de-la-Loire ont cédé 80 postes, mais la Dreal n'en a gagné que deux... Les réorganisations sont parfois absurdes : 40 ETP avaient été transférés de la DDTM de Vendée vers la Dreal des Pays-de-la-Loire, mais celle-ci a dû nous renvoyer des ingénieurs après la tempête Xynthia, lorsque mes services ont dû préparer les plans d'hiver...

La RGPP et la RéATE, mises en oeuvre contre l'avis du personnel et sans grande concertation avec les préfets, ont donc produit des résultats mitigés. Les trois DDI de Vendée forment avec les directeurs de la préfecture une équipe soudée et loyale, bien comprise du président et des vice-présidents du conseil général, ainsi que des communes et EPCI. Mais au niveau régional, la conférence administrative régionale qui se réunit toutes les six semaines passe plus de temps à examiner les budgets opérationnels de programmes (BOP) qu'à définir des politiques publiques. Le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) est de moins en moins un chargé de mission, et il assume de plus en plus la gestion des BOP.

Quant au droit d'évocation, il n'a pas trouvé à s'appliquer en Pays-de-la-Loire, mais il est parfois dévoyé. Le préfet coordonnateur du bassin d'Orléans, mon ami M. Michel Camus, s'est mis en tête de régler les arrêtés-cadres de limitation des usages de l'eau dans tous les départements du bassin, sans aucune base juridique. Souhaitant en outre que la plupart des communes adoptent un plan communal de sauvegarde, il m'a fait savoir qu'il écrirait à tous les maires du bassin. Mais en vertu de l'article 72 de la Constitution, je suis maître dans mon département !

J'espère qu'il n'y aura pas de deuxième vague de la RGPP, pas plus pour les cadres A que pour les cadres B ou C. Dans le cas contraire, je me verrais dans l'obligation d'allonger le délai de délivrance des titres, par exemple. Quoi qu'il en soit, je ferai tous mes efforts pour continuer à aider les communes et intercommunalités, ainsi que les entreprises qui s'installent, et à assurer un contrôle de légalité rigoureux, faute de quoi on s'exposera à des catastrophes, comme les vingt-neuf morts de la tempête Xynthia.

M. François Patriat , président . - Merci d'avoir parlé avec franchise, réalisme et expérience. Nous entendons parfois des discours convenus.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - J'avais déjà apprécié votre liberté de ton lors de la mission sur la tempête Xynthia. La réforme de l'administration territoriale de l'Etat et celle des collectivités territoriales privilégient l'échelon régional. Mais le département reste l'échelon de proximité. Quelles sont vos relations avec le préfet de la région Pays-de-la-Loire ? Le considérez-vous comme un supérieur hiérarchique ?

Vous avez dit que face à la pénurie, il vous faudrait bientôt faire des choix, mais quelles sont vos marges de manoeuvre ? On raisonne en général verticalement et par ministère. La règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a surtout touché les services déconcentrés de l'Etat, et les services départementaux plus que les régionaux, car le préfet de région procède aux arbitrages.

Quel rôle les sous-préfectures peuvent-elles encore jouer? Sont-elles nécessaires, selon vous, pour que l'Etat reste proche des citoyens et des élus ?

Les services déconcentrés ont un caractère de plus en plus interministériel, mais les préfets dépendent toujours du ministère de l'intérieur. Ne serait-il pas plus judicieux de vous rattacher au Premier ministre ? Vous avez eu raison d'évoquer quelques mastodontes : les ARS, mais aussi les services des finances et de l'éducation nationale.

Je voudrais aussi aborder la question de l'ingénierie publique. Vous l'avez dit à l'occasion de la tempête Xynthia : il vous paraît impossible que les préfectures continuent à instruire les dossiers de permis de construire et à assurer en même temps le contrôle de légalité, car c'est être à la fois juge et partie. Qu'est-ce donc que les collectivités peuvent continuer à attendre de l'Etat ? Pour ce qui est du contrôle de légalité, contrôlez-vous tous les actes, comme la loi l'impose en principe ? Ou lesquels contrôlez-vous en priorité ?

M. Jean-Jacques Brot . - Comme vous l'avez dit, les moyens humains et financiers continuent à être alloués verticalement, et le dialogue de gestion n'a pas lieu entre le préfet de région et celui du département, mais par exemple entre la DDTM, la Dreal et le ministère de l'écologie. Un lien quasi hiérarchique s'est créé entre les DDTM et les Dreal, et le préfet de département est peu à peu mis hors jeu.

Mes relations avec le préfet de région, dans le Centre comme en Pays-de-la-Loire, ont toujours été excellentes, et nous n'avons même pas trouvé le moyen d'appliquer le droit d'évocation du préfet de région, même si je souhaiterais que la Vendée et la Loire-Atlantique coordonnent leurs politiques sur l'éolien off-shore , l'extraction de granulats marins ou la défense contre la mer. Mais vu le champ immense des politiques publiques et le temps requis par les arbitrages sur les BOP, nos rapports sont condamnés à rester un peu superficiels. J'aimerais d'ailleurs passer plus de temps à définir les politiques publiques qu'à discuter des moyens. La gestion des demandes d'asile a été transférée des départements aux régions ; en conséquence, les autorisations provisoires de séjour sont délivrées en quatre semaines au lieu de deux jours, et l'on doit pour loger les nouveaux venus puiser sur le BOP 177 destiné aux personnes sans domicile fixe. Voilà un bel exemple d'inefficacité de la RGPP !

Quant aux sous-préfectures, leur rôle doit évoluer, mais il faut absolument les maintenir si l'on veut éviter un déséquilibre entre le chef-lieu et le reste du département. En Vendée, la sous-préfecture de Fontenay-le-Comte a vu ses effectifs diminuer de moitié ; elle ne s'occupe plus de contrôle de légalité et ne délivre plus de titres, mais se concentre sur l'accompagnement des entreprises et des collectivités, notamment pour les programmes de développement territorial. Aux Sables-d'Olonne, plusieurs services de délivrance de titres ont été maintenus, ainsi que des services d'ingénierie territoriale : aide aux collectivités, aux entreprises, mais aussi aux associations pour l'hébergement d'urgence ou l'accueil des gens du voyage. Les sous-préfectures assurent des missions de proximité, et il faut y maintenir des cadres A, B et C.

Sur la carte des sous-préfectures, j'exprimerai un avis qui n'est peut-être pas celui du ministère de l'intérieur. Dans les départements ruraux, sans doute est-il possible de regrouper certaines sous-préfectures, là où elles sont nombreuses comme dans les Deux-Sèvres, en Charente-Maritime ou en Gironde, mais il faut veiller à ce que les gens n'aient pas à parcourir des kilomètres pour une carte d'identité ou un passeport. Dans les zones urbaines sensibles, en revanche, il est indispensable de maintenir toutes les sous-préfectures existantes, voire d'en créer. A Boulogne-Billancourt, par exemple, la sous-préfecture a joué un rôle crucial dans la politique de la ville, avec les collectivités et les associations.

Depuis 1802, le corps préfectoral dépend du ministère de l'intérieur, mais nos missions de plus en plus interministérielles rendent tout à fait légitime que l'on s'interroge sur un rattachement au Premier ministre. Sur le BOP 133, qui définit les moyens alloués aux DDI, notre interlocuteur est déjà le secrétariat général du Gouvernement. D'ailleurs, en vertu de l'article 72 de la Constitution, le préfet représente tous les membres du Gouvernement.

Sur l'ingénierie publique, je répéterai ce que j'ai dit l'an dernier. Depuis lors, l'affaire Xynthia est passée à l'ère médiatico-judiciaire, et le maire se défend en arguant que la DDE a instruit les dossiers et la préfecture exercé son contrôle de légalité. Il est indispensable que les collectivités se dotent de services d'ingénierie publique ou recourent par convention aux services de bureaux d'études.

M. François Patriat , président . - Avec quel argent ?

M. Jean-Jacques Brot . - Cela suppose bien sûr de revoir les dotations. Mais le système actuel ne garantit ni le préfet, ni les maires contre les poursuites.

En 2010 la préfecture de Vendée a reçu 88 990 actes, elle en a effectivement contrôlé 12 191, elle a émis des observations sur 241 d'entre eux et n'en a déféré que dix -dont neuf dans le domaine de l'urbanisme et un seul concernant la fonction publique territoriale. Il faut s'interroger sur les modalités d'exercice du contrôle de légalité. Faut-il sélectionner de manière aléatoire les actes, ou identifier des « dossiers à fort enjeu », comme dans l'administration fiscale ? En Vendée, l'urbanisme et les marchés publics me semblent être les sujets prioritaires. Quoi qu'il en soit, nous devons disposer de structures juridiques fortes. La préfecture de Vendée compte quatre bureaux d'études consacrés au contrôle juridique interministériel, dont un qui ne s'occupe que de contentieux interministériel, et nous gagnons la plupart de nos procès.

Comme je l'ai dit à l'assemblée des maires, la baisse de nos moyens nous obligera à faire des choix. Ma préfecture perd sept emplois par an, et compte désormais moins de deux cents agents pour 636 000 habitants, alors que la commune des Herbiers en compte 230 pour 15 000 habitants... Quoi qu'il arrive, je continuerai à aider les responsables consulaires et les entreprises, notamment au sujet des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) qui posent de redoutables problèmes juridiques, et à assurer le contrôle de légalité pour protéger les élus autant que la préfecture.

La mutualisation a réussi lorsqu'elle ne s'est pas faite de manière technocratique. Nous n'avons pas attendu la RGPP pour mettre en place le standard commun à Nantes et La-Roche-sur-Yon, ni pour mutualiser certaines fonctions juridiques ; je compte le faire aussi pour la communication. En revanche, mutualiser les achats au niveau national par le biais de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) ne fait faire aucune économie.

Les préfectures et sous-préfectures ne doivent pas être privées des moyens humains et financiers dont elles ont besoin. Je suis obsédé par la proximité, surtout en cette période de crise sociale : le nombre de surendettés a augmenté de 50 % en Vendée. Les citoyens comme les élus ont besoin du corps préfectoral ; ils ont besoin d'être écoutés, je dirai même d'être aimés.

M. Gérard Miquel . - Dans le Lot, j'ai soutenu les efforts de réorganisation de l'ancien préfet M. Georges Geoffrey. Mais votre exposé me confirme dans le sentiment que le jacobinisme n'est pas mort en France ; il a même repris une nouvelle vigueur depuis quelque temps. Certes, les collectivités doivent assumer les compétences qui leur ont été attribuées. Mais peut-on faire remonter tous les dossiers au niveau régional, alors que la région Midi-Pyrénées est plus grande que la Belgique ? Vous n'imaginez pas la difficulté que l'on a à obtenir un avis de la DREAL ! Il était question de construire une plateforme de distribution de Mr Bricolage pour le grand Sud-Ouest, et d'abattre pour cela quelques chênes du Causse : il a fallu un an pour obtenir le permis de construire ! Les inspecteurs d'établissements classés ne connaissent plus le terrain, et je ne parle même pas des ARS... Les élus ont besoin d'un Etat facilitateur, mais on ne fait que compliquer les choses.

M. Jean-Jacques Brot . - Je connais bien le Lot, puisque j'ai une maison à Cavagnac. Votre diagnostic est juste. Autrefois, pour obtenir un avis sur un plan local d'urbanisme, on se tournait vers la DDE ou la DDT, mais aujourd'hui il faut s'adresser à la Dreal. Les agents de la Dreal se prononcent depuis le chef-lieu de région -Toulouse ou Nantes- sans jamais se déplacer sur le terrain, et le préfet de département doit parfois se battre pour obtenir la révision d'un avis négatif. En mars 2010, un mois après Xynthia, je voulais entreprendre des travaux d'urgence à La-Faute-sur-Mer pour consolider un cordon dunaire, mais un fonctionnaire de la Dreal n'était pas d'accord ; pour me couvrir, j'ai écrit que si je n'étais pas autorisé à faire ces travaux, la Dreal répondrait des conséquences d'une inondation, et éventuellement des morts, et c'est alors seulement que j'ai obtenu gain de cause. Mais que de temps et d'agent perdus !

La décentralisation devait s'accompagner d'une déconcentration des services de l'Etat. C'est cet équilibre que perturbe la RGPP. Les élus locaux et les préfets travaillent chaque jour ensemble sur le terrain, pour l'intérêt général ; ils sont d'ailleurs co-responsables des défaillances et, le cas échéant, co-inculpés. Il est absurde qu'un préfet de bassin veuille se mêler des plans de prévention des risques d'incendie, car ce sont le préfet de département et le maire que la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 rend responsables devant les tribunaux !

Face à l'émiettement et à l'avalanche normative, il faut retrouver le bon sens républicain. Vous avez raison de mettre en cause un mauvais jacobinisme, qu'il ne faut pas confondre avec celui d'un grand républicain comme Clemenceau. Revenons à une vision départementaliste, à une proximité garante du pacte républicain. Nos concitoyens, de même que les élus égarés par les rapides évolutions réglementaires, ont besoin d'être entendus et soutenus.

M. Gérard Bailly . - Pensez-vous que les conséquences de la RGPP soient les mêmes dans les départements où sont situés les chefs-lieux de région, et où le préfet de région est aussi préfet de département ?

Qui a eu l'idée saugrenue de faire traiter au niveau régional les questions environnementales ? Dans ce domaine plus qu'ailleurs, il faut être proche du terrain et pouvoir se déplacer. J'ai posé une question écrite au Gouvernement à ce sujet, mais je n'ai pas eu de réponse.

Nous avons voté plusieurs lois de simplification du droit. Constatez-vous dans les faits une simplification des normes ?

Des maires se plaignent que certains fonctionnaires leur mettent des bâtons dans les roues pour prouver que le système ne fonctionne pas. Pensez-vous que cela soit fondé ?

Enfin, les agriculteurs étaient inquiets de la suppression des directions départementales de l'agriculture, et craignaient même que l'instruction des dossiers n'échappe au ministère de l'agriculture pour être confiée à celui de l'équipement. Qu'en est-il réellement ?

M. Jean-Jacques Brot . - Pour répondre à votre première question, les préfets de région sont accaparés par les dossiers régionaux -finances, visites ministérielles, etc.- et ils n'ont pas le temps de s'occuper des questions départementales : M. Jean Daubigny, préfet des Pays-de-la-Loire et de Loire-Atlantique, s'en plaignait récemment auprès de moi.

Je ne sais pas qui a eu le vice de vouloir confier aux préfectures de région la gestion de l'environnement, mais c'est un vice répandu ! Un décret en préparation prévoit de transférer au niveau régional les commissions départementales des objets mobiliers -chargées de classer les objets au patrimoine et d'assurer leur entretien- et par conséquent les conservateurs des objets d'art et antiquités. Mais dans ce domaine comme dans celui de l'environnement, il faut être proche du terrain, sillonner le pays, travailler avec les sociétés savantes dans un cas, les associations de chasseurs ou de pêcheurs de l'autre ! Une manie technocratique de la régionalisation s'est emparée de certains cercles parisiens...

On est bien loin d'assister à une simplification des normes ! Cela fait des mois que je demande à cor et à cri une simplification des dispositions du code minier relatives à l'extraction de granulats en mer. Actuellement, le code impose une enquête publique, puis une concertation conduite par le préfet de département et le préfet maritime, après quoi le ministre chargé de l'industrie établit le titre minier, pour qu'enfin le préfet de département puisse délivrer l'autorisation. On pourrait faire plus simple ! Le sujet est sensible, puisque l'extraction peut abîmer les côtes.

De même, le nouveau système d'immatriculation des véhicules nous fait perdre le temps gagné grâce au passeport biométrique, car les documents établis par les professionnels doivent le plus souvent être revus en préfecture.

M. François Patriat , président . - Et c'est le contribuable qui paie !

M. Jean-Jacques Brot . - Il paie même deux fois, chez le garagiste, et pour financer le travail des préfectures.

On se heurte indéniablement aux résistances de certains syndicats, mais aussi d'agents des anciennes directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui estiment que leur culture n'est pas compatible avec celle des directions des services vétérinaires. Pour manifester leur mécontentement, ils se montrent extrêmement tatillons : au Puy-du-Fou, ils sont allés vérifier huit fois que l'on vendait bien du jambon de Vendée... En revanche, France Domaine fait un travail remarquable : suite à la tempête Xynthia, nous avons acheté en huit mois 660 propriétés. Il est rare que les résistances viennent des ministères. Mais je me suis trouvé dans une situation ubuesque lorsque j'ai voulu faire réparer le portail de la sous-préfecture de Fontenay, endommagé par un malfaiteur ; il s'agissait de recourir au BOP 309, qui finance les travaux dans les immeubles appartenant à l'Etat. Il a fallu quatre mois pour obtenir l'autorisation d'effectuer ces travaux, d'un coût de 356 euros ! Naturellement, j'avais fait réparer le portail sans attendre...

Les agriculteurs étaient inquiets, en effet, de la disparition des DDA, et en Vendée comme en Eure-et-Loir ils ont fait pression pour que l'ancien directeur de l'agriculture prenne la tête de la nouvelle direction départementale de l'équipement et de l'agriculture (DDEA). Mais ils ont été rassurés de voir que le préfet continuait à s'occuper des problèmes : eau, nitrate, phosphore, etc.

M. Jean-Luc Fichet . - Vous avez parlé de bon sens républicain. Eh bien ! le bon sens implique de sauvegarder des échelons de proximité dans l'administration de l'Etat. Je suis de plus en plus inquiet de l'avenir des sous-préfectures, car j'entends à ce sujet les avis les plus variés : certains disent qu'elles sont devenus superflues dans les campagnes, d'autres au contraire considèrent qu'il faut les y maintenir pour éviter que les usagers ne parcourent des distances trop longues, mais qu'ailleurs la préfecture suffit.

Il est heureux que certaines sous-préfectures subsistent, encore faudrait-il qu'elles aient les moyens de fonctionner. Je suis maire de Lanmeur, dans le Finistère, et je m'adresse de moins en moins à la sous-préfecture, car je tombe le plus souvent sur un répondeur téléphonique... D'après M. Alain Rousset, plutôt que de maintenir des sous-préfectures dénuées de moyens, il vaut mieux préserver les services publics essentiels : santé, éducation, etc. Qu'en pensez-vous ? Les sous-préfectures sont-elles vouées à disparaître ?

On se proposait, grâce à la RGPP, de faire des économies. Ce but est-il atteint ?

M. Jean-Jacques Brot . - Je me suis mal fait comprendre : je considère que les sous-préfectures sont indispensables, surtout dans les zones urbaines sensibles où elles travaillent en étroite collaboration avec les associations et les élus dans les domaines de la politique de la ville et de la sécurité. Dans certains départements ruraux, il est peut-être possible d'en regrouper, afin de préserver le conseil aux élus et aux entreprises tout en maintenant des services de délivrance des titres à une distance raisonnable des usagers. A la sous-préfecture de Fontenay-le-Comte, je vous l'ai dit, on ne délivre plus de titres, mais il y aura bientôt une « maison des services publics » où je compte installer peut-être les inspecteurs de l'éducation nationale -j'avais pensé à l'établissement public du marais poitevin, mais celui-ci est appelé à se développer, les agences et établissements publics de l'Etat étant beaucoup moins affectés par la RGPP que les services préfectoraux... Aux Sables-d'Olonne, il y aura bientôt un troisième fonctionnaire de catégorie A, et je compte installer la subdivision de la mer. Le sous-préfet doit être un facilitateur, et même s'il n'est pas compétent sur tous les dossiers, il sait à qui s'adresser.

La RGPP a-t-elle fait faire des économies à l'Etat ?

M. François Patriat , président . - M. Baroin parle de 7 milliards.

M. Jean-Jacques Brot . - De par ma fonction, je ne peux qu'acquiescer...

M. François Patriat , président . - Monsieur le préfet, merci : ce fut une des auditions les plus vivantes que nous ayons menées. Si notre rapport est à l'avenant, je crois qu'il pourra recueillir l'assentiment général.

Jeudi 12 mai 2011

M. André Marcon,
président de l'Assemblée des chambres françaises
de commerce et d'industrie (ACFCI)

____

M. François Patriat , président . - Notre mission a déjà entendu des représentants des collectivités locales, des usagers, des syndicats, ainsi que des ministres, des hauts fonctionnaires et la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire (DATAR). Votre point de vue nous intéresse d'autant plus que les chambres de commerce et d'industrie (CCI) sont également engagées dans un processus de réforme. En quelque sorte, vous faites votre propre RGPP. Une comparaison entre ces deux mouvements menés en parallèle paraît donc d'autant plus instructive.

M. André Marcon, président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) . - La réforme des CCI a en effet été accomplie, comme la RGPP, en vue de pouvoir dégager des économies. Elle n'a pas été simple à mener mais elle répond à une forte contrainte qui va peser sur les recettes des chambres dans les années à venir. Comme chacun le sait, une fusion n'est jamais facile à réaliser. Celle des chambres a suscité beaucoup de débats, mais la réorganisation est désormais en cours.

La RGPP représente pour nous un élément positif dans la mesure où elle vise à restructurer et à réorganiser efficacement les services de l'Etat. La question qu'elle pose réside dans le maintien du niveau de service de la part de l'Etat dans un contexte de réduction des moyens. De notre point de vue, cette réforme souffre d'un manque de lisibilité, notamment concernant les partenaires qui sont désormais amenés à dialoguer avec les CCI. D'une manière générale, on peut regretter une certaine perte de la culture commune qui faisait jusqu'à présent la force des services de l'Etat. On constate par ailleurs des différences notables dans les réponses qui sont apportées aux CCI selon les départements.

Dans la région Languedoc-Roussillon par exemple, il est manifeste que la logique des « silos » qui caractérisait les services de l'Etat, a été remplacée par une approche plus globale facilitant les relations de travail. En revanche, dans la région Bretagne, la lisibilité de la réforme est faible et on doit déplorer non seulement l'absence d'une stratégie globale mais aussi des interférences dans les actions menées dans le domaine international. Sur ce dernier point, on peut regretter la disparition de la direction régionale du commerce extérieur (DRCE) qui garantissait auparavant une meilleure répartition des compétences. Du point de vue des petites et moyennes entreprises (PME), il est difficile de trouver un interlocuteur dans chaque service de l'Etat.

Au niveau départemental, la relation avec les services de l'Etat est très bonne dans les Alpes-maritimes et dans le Gers, par exemple. On peut cependant déplorer une moindre fluidité dès lors qu'on passe au niveau régional.

Au total, la RGPP doit encore réaliser des progrès pour une plus grande efficacité au niveau territorial. Ces difficultés sont d'ailleurs très comparables à celles rencontrées dans le cadre de la réforme des CCI et de la mise en place des CCI territoriales prochainement rattachées à la région.

M. François Patriat , président . - N'y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de l'Etat de resserrer ses moyens sur les missions régaliennes et la reprise en main de certaines autres missions (missions exportation, innovation, apprentissage...) ? Par ailleurs, dans le cadre de la réforme des CCI, vous avez opté, à juste titre, pour privilégier le niveau régional. Il en est de même dans le cadre de la RGPP, mais l'échelon départemental est par ailleurs conforté par les lois de 2004 et 2010 relatives à la décentralisation et à l'organisation territoriale. N'y a-t-il pas là une seconde contradiction ?

M. André Marcon . - Nous constatons des redondances entre les structures de l'Etat et nous souhaitons un Etat « architecte » qui permette de répondre à la question : qui fait quoi et comment ?

La réduction des effectifs de l'Etat a en outre pour effet d'affaiblir l'offre en ingénierie. Selon nous, l'Etat doit désormais s'appuyer sur une ingénierie extérieure.

Nous souhaitons également que l'Etat soit « animateur » dans des domaines tels que l'action à l'international, l'intelligence économique ou l'innovation par exemple. Il s'agit là d'une condition d'efficacité et de réduction de la dépense.

Alors qu'auparavant les chambres avaient un très bon contact avec les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), il n'en va pas de même avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Il faut donc maintenant renouer avec un système plus efficient au coeur duquel l'Etat devient « animateur ».

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Quel bilan tirez-vous de la création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), en particulier dans l'aide qu'elles peuvent apporter aux jeunes entreprises ?

Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement des DREAL ? Leur action porte-t-elle sur l'accompagnement des entreprises ou plutôt sur la seule application des réglementations ?

La mise en oeuvre du nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) a fait l'objet d'appréciations contradictoires devant notre commission. Quel impact a-t-il, selon vous, sur les professionnels de l'automobile et les usagers ?

Quelles sont les conséquences de Chorus en matière de délais de paiement ?

Quelles sont vos préconisations pour améliorer les résultats actuels de la RGPP ?

M. André Marcon . - Après une phase d'expérimentation, les DIRECCTE ont fait de grands progrès. Elles doivent toutefois concilier des cultures différentes entre les ex-DRIR et les anciennes directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation (DDEFT), cette situation ne facilitant pas le lancement des projets.

Du côté des DREAL, il faut déplorer qu'elles ne soient plus centrées sur l'opérationnel. Auparavant, avec les DRIRE, il était possible de parler directement à l'ingénieur.

Dans le domaine des cartes grises, les premières difficultés ont été assez vite résolues. La filière automobile n'a pas donné de consignes particulières concernant la commission perçue par les professionnels procédant aux opérations d'immatriculation. Empiriquement, on constate que cette commission s'élève en général entre quarante euros et cinquante euros.

M. François Patriat , président . - Hier, le préfet de la Vendée nous disait que les professionnels de l'automobile remplissent mal les pièces du dossier et qu'il était nécessaire ensuite de refaire le travail dans les préfectures.

M. André Marcon . - Nous n'avons pas eu ce retour du terrain. S'agissant de l'entrée en application de Chorus, il nous semble que ce nouveau système d'information correspond à une initiative intéressante visant à gagner en efficience dans le domaine de la commande publique. Je veux toutefois souligner que cette commande publique ne doit pas systématiquement relever du niveau national, car le service après-vente a besoin de proximité pour être efficace.

La première de nos préconisations consisterait à définir plus clairement les rôles de l'échelon régional et du niveau départemental, notamment dans le cas des services économiques. Nous sommes candidats pour faire de la maîtrise d'oeuvre. Ainsi, par exemple, des référents PME pourraient utilement être mis en place avec le concours des CCI qui disposent d'une excellente connaissance du terrain. Actuellement, on confie des missions aux chambres sans augmenter leurs moyens : la gestion de l'aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise (ACCRE), les contrats d'apprentissage...

La deuxième de nos préconisations réside dans la recherche d'une plus grande simplification, celle-ci passant notamment par la dématérialisation. Cette dématérialisation débouche malheureusement trop souvent sur de véritables usines à gaz et les résultats seraient probablement meilleurs si cette démarche était initiée avec une plus grande proximité du terrain.

M. Jean-Luc Fichet . - La RGPP a-t-elle des implications s'agissant des relations entre les chambres consulaires ?

M. André Marcon . - Lors de la récente réforme des CCI, on est passé à côté de la chance de créer une chambre économique regroupant le commerce, les métiers, l'industrie... La France est le seul pays en Europe ne disposant pas d'une telle chambre. Je milite fortement pour ma part en faveur de l'interconsulaire qui a donné de bons résultats, par exemple, dans le Massif central.

M. Adrien Gouteyron . - Vous nous avez fait part des différences de réponses données par l'Etat selon les départements. Il existe en effet dans notre pays une très grande diversité de situations en fonction des régions et des départements.

J'aimerais savoir ce qui caractérise désormais, selon vous, le rôle des préfets. Y a-t-il des différences entre les préfets dans le domaine de l'animation des politiques ?

M. André Marcon . - Les pôles d'excellence rurale (PER) constituent un bon exemple des différences de réponses que peut donner l'Etat selon les territoires. J'ai personnellement eu beaucoup de difficultés avec ma préfecture lorsque j'ai voulu monter un PER. La préfecture de département m'en a en effet dissuadé en m'assurant que ce pôle ne serait pas éligible à l'aide. Ce PER a cependant reçu le plein agrément de la préfecture de région ainsi qu'à Paris, sans difficulté. On m'a même dit que je n'avais pas assez demandé ! J'ai apporté mon soutien à d'autres projets dans le Gers et dans le Gard avec l'aide active des préfectures de département.

M. François Patriat , président . - De ce que vous nous expliquez, je comprends donc que l'Etat a perdu en compétence du fait de la RGPP.

M. André Marcon . - Avant la RGPP, le préfet de région était d'abord un préfet de département. Selon mon expérience personnelle en Auvergne, cette tendance s'est inversée et il est certain que les préfets de région doivent avant tout se préoccuper de la région.

M. François Patriat , président . - Vous avez créé des antennes territorialisées des CCI, ce qui est intéressant dans le cadre de la réflexion sur le lien entre la région et le département.

J'ai beaucoup porté la dématérialisation dans ma région avec notamment la création d'une plateforme dématérialisée de services aux entreprises qui fonctionne bien (« e-Bourgogne »).

M. André Marcon . - Les CCI territoriales ne sont pas des antennes territorialisées mais des établissements publics rattachés à la région et où chaque département est représenté par des élus. Elles visent à permettre certaines mutualisations telles que dans le domaine de la paie par exemple.

Lorsqu'on réfléchit à la dématérialisation, encore faut-il prendre soin que les systèmes puissent se parler entre eux. A cet égard, il convient de travailler en « cluster », c'est-à-dire en « grappes » afin de permettre l'appropriation du nouvel outil par le plus grand nombre, comme ce fut le cas en Bourgogne. Pour réussir la dématérialisation, il faut simplifier et passer outre une administration trop souvent marquée par le respect de procédures rigides.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Comment est ressentie par les entreprises la fusion des services des impôts et de ceux du Trésor dans les nouvelles directions départementales des finances publiques ?

M. André Marcon . - Cette fusion est trop récente pour qu'on puisse en tirer un bilan. Elle renvoie toutefois à une simplification utile mettant fin à une séparation des services qui était assez kafkaïenne.

Mercredi 18 mai 2011

M. Christian Charpy,
directeur général de Pôle Emploi

____

M. François Patriat , président . - Merci aux sénateurs présents aujourd'hui, après la journée dense que nous avons passée hier à Orléans où nous avons rencontré autorités préfectorales de région et département, maires, représentants de chambres consulaires et syndicats patronaux.

Monsieur Charpy, nous attendions avec impatience votre audition pour en savoir davantage sur la manière dont la RGPP affecte Pôle emploi et son activité. D'autant plus que le ministre du budget a déclaré, il y a une quinzaine de jours, que la règle du « un sur deux » s'appliquera demain aux grands opérateurs publics que sont Météo France, le CNRS et Pôle emploi. Pouvez-vous dresser un bilan de la fusion des Assedic et de l'ANPE ? Quelles sont vos perspectives ?

M. Christian Charpy, directeur général de Pôle Emploi . - Merci de cette invitation.

Commençons par rappeler que la création de Pôle emploi à partir de la fusion des Assedic et de l'ANPE est intervenue avant le lancement de la RGPP, une politique avec laquelle elle partage l'objectif de modernisation du service public. Après deux ans et demi d'existence, le temps est venu d'un bilan. Je me suis livré à cet exercice devant le Conseil économique, social et environnemental il y a deux mois et j'ai également été auditionné par la mission d'information de votre Haute assemblée.

Pôle emploi fonctionne, bien que la fusion n'ait pas été chose facile. De fait, il a fallu absorber le choc du rapprochement de deux établissements aux statuts, missions, comptabilité et personnels différents alors qu'explosait le chômage durant l'été 2008. Pour m'en tenir à quelques chiffres, le choc de la crise a signifié 100 000 chômeurs supplémentaires durant notre premier mois d'existence et, depuis août 2008 jusqu'à aujourd'hui, plus de 800 000 demandeurs d'emplois à inscrire, indemniser et accompagner.

Cette réorganisation poursuivait deux objectifs. Premièrement, simplifier l'accès au service public de l'emploi. Dès la première année, nous avons fusionné les plates-formes téléphoniques avec un numéro de téléphone unique : le 3949. Plus de 80 % des appels sont décrochés dans la minute suivante sur 500 000 appels par jour, dont deux tiers sont traités par service vocal interactif et un tiers par nos 2 000 conseillers présents dans les plates-formes téléphoniques régionales. Depuis le 2 janvier 2009, il existe un site unique -pole-emploi.fr-pour tous les services, de l'inscription jusqu'au placement. Quelque 27 millions de visiteurs s'y rendent par mois, surtout pour les questions de retour à l'emploi. Désormais, les 950 agences de Pôle emploi offrent tous les services, contre 650 antennes des Assedic consacrées uniquement à l'indemnisation et 900 sites de l'ANPE pour le seul placement. Dans les deux cas, les usagers y ont donc gagné en proximité. Leur mise en place en 2009 a nécessité relogements, déménagements et restructurations. L'affaire a été complexe avec un système de front office et de back office , mais le tout était transparent pour les demandeurs d'emploi : le guichet était désormais unique. Fort d'un programme de restructuration immobilière, nous reverrons dans les quatre à cinq années à venir l'intégralité de nos installations. Entre 90 et 95 % des dossiers d'indemnisation sont traités au moins dans les quinze jours, le délai moyen de traitement étant d'un jour à un jour et demi par dossier. L'essentiel est qu'il n'y ait pas eu de retard. Bref, nous avons rempli l'objectif de simplification avec succès, bien que des progrès restent à faire.

Deuxième objectif de la fusion : renforcer l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Malgré l'augmentation des effectifs de 5 000 personnes, les moyens n'étaient pas à la hauteur pour suivre 35 à 45 % de personnes supplémentaires. D'où la concentration des efforts sur certaines phases de l'accompagnement et certains publics. Nous avons mis l'accent sur l'inscription et les entretiens à partir du quatrième mois jusqu'au retour à l'emploi. Toutefois, la charge de travail demeure lourde : il était prévu un conseiller pour 60 personnes dans la convention tripartite, la moyenne est d'un conseiller pour 100 personnes, ce qui est loin de refléter la situation de certains agents... En revanche, est réservé un conseiller pour 60 demandeurs d'emploi dès lors qu'il s'agit de personnes qui ont signé un contrat de transition professionnelle ou une convention de reclassement personnalisé -soit, environ 120 à 130 000 personnes en 2010- dans le cadre d'un licenciement économique ou les publics loin de l'emploi. Reste que, d'après l'enquête de l'Inspection générale des finances remise au ministre il y a deux ou trois mois, notre niveau d'accompagnement -le nombre de participants au service public de l'emploi rapporté au nombre de demandeurs d'emploi- est nettement inférieur à celui des Allemands et moins bon que celui des Britanniques.

M. François Patriat , président . - Pouvez-vous préciser ?

M. Christian Charpy . - A considérer les quatre missions du service public de l'emploi, la France est plus productive en matière d'inscription et d'indemnisation, consacre davantage d'agents au service aux entreprises -10 % du temps des agents en France contre 4 % en Allemagne et au Royaume-Uni, un fait peu connu !- ; en revanche, Pôle emploi est deux à trois fois moins doté que ces deux voisins européens en matière d'accompagnement. Question de choix ! L'accompagnement sera un sujet important de la nouvelle convention tripartite à signer avant la fin de l'année.

En 2010, Pôle emploi a connu d'importantes transformations. Je pense au transfert aux Urssaf du recouvrement des assurances chômage, sauf celles des intermittents du spectacle et des expatriés, ce qui a entraîné le reclassement de 1 300 personnes -je crois- dans de bonnes conditions. En avril 2010, conformément aux préconisations du sénateur Carle dans son rapport, nous avons également récupéré l'intégralité des fonctions et des 900 personnels de l'association pour la formation professionnelle des adultes (l'AFPA) -psychologues du travail et techniciens d'orientation.

J'en viens au budget de Pôle emploi. Par la convention tripartite, l'État s'est engagé à verser une dotation annuelle de 1,36 milliard ; l'Unedic, quant à elle, a été contraint de verser au moins 10 % du produit de ses contributions d'assurance chômage. La première année, nous avons ainsi fonctionné dans de bonnes conditions budgétaires, malgré un déficit comptable dû essentiellement à la reprise d'engagements sociaux de l'Unedic. En revanche, 2011 sera encore plus tendu que 2010. De fait, les contributions de l'État pour frais de gestion, notamment 90 millions pour le versement de l'allocation de solidarité spécifique, ont disparu ; en outre, la reprise des personnels de l'AFPA ne s'est pas accompagnée d'une dotation complémentaire, bien que cette fusion représente une économie de 70 millions pour l'État en année pleine. Des efforts de synergie et de modernisation sont donc nécessaires sur les achats, l'immobilier et les frais de fonctionnement. Nous y travaillons d'autant que les frais de gestion augmentent à mesure que s'alourdit la charge de travail. Plus de demandeurs d'emplois signifie des coûts d'affranchissement plus importants ; davantage d'employés imposent des achats de matériels informatiques et des espaces de bureau pour les accueillir...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les demandeurs d'emploi et les entreprises trouvent-ils leur compte dans la fusion des Assedic et de l'ANPE ? Quels indicateurs utilisez-vous pour mesurer leur satisfaction ?

Ensuite, les effectifs. Aujourd'hui, la moyenne est plutôt d'un conseiller pour 100 personnes que le chiffre prévu d'un conseiller pour 60 personnes. Comment interprétez-vous les récentes déclarations du ministre Baroin sur l'application de la règle du « un sur deux » à Pôle emploi ?

Quid des maisons de l'emploi ? L'État s'est engagé pour au moins trois ans à les financer, mais demande aux collectivités territoriales de mettre la main à la poche. Nous sommes inquiets pour l'avenir. A terme, cela ne se traduira-t-il par un transfert de charge vers les collectivités, en particulier les EPCI ?

Enfin, quel avenir pour les missions locales ? D'aucuns affirment qu'elles ont moins de raison d'être. Est-il trop tard pour envisager leur fusion avec Pôle emploi ? Quelles seraient les conséquences pour les collectivités territoriales qui les financent largement ?

M. Christian Charpy . - Pour mesurer la satisfaction des usagers, nous lançons chaque année une vague de questionnaires et avons entrepris une grande consultation sur internet à l'automne dernier. Les résultats de ces enquêtes sont cohérents, quoique celle menée sur internet me semble plus instructive car les usagers répondent à froid, et non sitôt après la rencontre avec le conseiller. Cette enquête, dont les résultats sont moins favorables, a porté sur 500 000 demandeurs d'emploi, qui avaient accepté de nous communiquer leur adresse de messagerie électronique. Son but était de mesurer la satisfaction globale vis-à-vis de Pôle emploi, puis envers les services que nous proposons, le sentiment ou non d'une amélioration pour les personnes inscrites avant la fusion et, enfin, l'identification des freins à l'emploi. Environ 65 % des personnes interrogées ont une opinion positive de Pôle emploi, ce qui n'est pas un mauvais score pour une maison qui a la réputation de ne pas répondre à la demande. Quelque 80 % se déclarent satisfaites de l'indemnisation, 55 % du placement. Cela paraît logique quand le public sondé n'a pas retrouvé d'emploi. En outre, la satisfaction croît avec la durée d'usage de nos services entre le troisième mois et le douzième mois avant de diminuer, sans doute en raison de la lassitude Les ateliers autour de l'écriture du CV et les bilans de compétentes sont jugés utiles. En revanche, le taux de satisfaction des entreprises est de 66 %, ce qui me semble faible par rapport au chiffre attendu de 80 à 90 %. Pôle emploi n'est peut-être pas assez proactif lorsque surviennent des difficultés de recrutement. Cela constitue, pour nous, une alerte sérieuse. Globalement, le service public de l'emploi a mauvaise presse dans tous les pays : en Allemagne, le taux de satisfaction est compris entre 23 et 25 %. La France se classe au deuxième rang.

J'en viens aux effectifs. Nous avons recruté 1 840 personnes durant l'été 2009 et 1000 personnes fin 2009. L'heure est aujourd'hui aux réductions de postes : l'État demande la suppression de 1 800 emplois, dont 1 500 CDD et 300 CDI. Un message difficile à faire passer... Nous nous sommes engagés à tenir cet objectif fin 2011. Cela a-t-il un rapport avec la RGPP ? Non, car je suis le seul fonctionnaire de cette maison dont 80 % des personnels sont des agents de droit privé. En outre, Pôle emploi n'est pas, au sens juridique, un opérateur public puisque l'État le finance seulement un tiers de son budget, l'essentiel des ressources provenant des partenaires sociaux. Cette réduction des effectifs de 1 800 personnes correspond aux personnes autrefois chargées du recouvrement des assurances chômage, compétence transférée aux Urssaf. Comme vous, j'ai pris note des déclarations de M. Baroin. Nos personnels ne sont ni fonctionnaires ni agents publics, du moins pour la plupart d'entre eux. Néanmoins, en tant qu'opérateur public, nous devons contribuer à la réduction des effectifs. Avec une population jeune du fait de nombreux recrutements, le nombre de départs à la retraite est évalué à un chiffre compris entre 600 et 800 par an.

Quid des engagements financiers de l'État envers les maisons de l'emploi ? Je ne saurais répondre à cette question. En revanche, je puis vous dire que leur cahier des charges met aujourd'hui l'accent moins sur l'accompagnement que les diagnostics territoriaux et l'animation et que leurs crédits ont diminué entre 2010 et 2011. Pôle emploi contribue aux maisons de l'emploi, dont il est membre de droit, par la mise à disposition de services ou notre installation dans leurs locaux. En revanche, nous ne leur apportons pas de financement direct. Une telle solution me semble difficilement imaginable.

L'avenir des missions locales ? Elles accompagnent les jeunes pour monter un projet de vie, résoudre les problèmes de santé, de logement ou encore d'insertion sociale, qui ne relèvent pas de la compétence de Pôle emploi. La logique est à la complémentarité, non à l'absorption. Il y a un an et demi, nous avons signé un accord-cadre définissant les conditions dans lesquelles nous leur adressons des jeunes demandeurs d'emploi, environ 200 000 par an, contre versement d'une contribution financière.

Mme Catherine Deroche . - Les mesures de simplification administrative demandées aux entreprises impactent-elles Pôle emploi ? Si oui, dans quels domaines ? Comment avez-vous procédé à l'harmonisation entre les personnels issus de l'ANPE et ceux des Assedic ? Dans la fonction publique, les gains de productivité obtenus grâce à la RGPP ont profité aux agents. En pratique, comment s'est traduite la mise en place d'un interlocuteur unique pour les demandeurs d'emploi ? Enfin, quels sont leviers pour adapter les effectifs aux évolutions de la conjoncture économique et aux disparités régionales ?

M. Christian Charpy . - Nous avons fortement contribué aux mesures de simplification administrative par l'unification du recouvrement des contributions obligatoires au sein des Urssaf. Ensuite, nous expérimentons la dématérialisation de l'attestation employeur, exigée en cas d'inscription, dans une région, avant de l'étendre à tout le territoire. Cela simplifiera la vie des entreprises, comme la nôtre. Concernant les déclarations de cotisations sociales, nous participons également au groupement d'intérêt public « Modernisation des déclarations sociales » (GIP-MDS). De son temps, l'Unedic avait mis en place un programme « déclaration nominative des assurés », abandonné du fait de la fusion. Pour le reste, nous ne sommes pas impactés directement.

Une question délicate que l'harmonisation des statuts avec 30 000 salariés de droit public et 15 000 salariés de droit privé régis par une convention collective. La loi prévoyait une convention collective de droit privé, qui s'appliquerait à tous les anciens agents de droit privé, et une possibilité d'option pour les agents de droit public. Deux éléments ont compliqué les négociations. D'après la loi, les partenaires sociaux avaient la charge de fixer la date-limite pour la signature de la convention -la règle classique impose un délai de 15 mois, ce qui constitue une forte incitation. Autant demander aux syndicats de signer leur arrêt de mort ! Nous avons finalement retenu 18 mois de négociations. Autre annonce publique, l'harmonisation devait conduire à prendre le meilleur des deux statuts. Soit, mais globalement ou section par section ? La différence de rémunération était de 25 %. La convention collective, signée fin novembre 2009, a entériné l'harmonisation vers le haut des salaires, ce qui a incité les agents de l'ANPE à opter pour le nouveau statut. Pour ce faire, ils avaient deux ans. Fin 2010, ils étaient 57 % à avoir utilisé leur droit d'option ; aujourd'hui, nous en sommes environ à 64 %. Au total, 80 % des personnels de Pôle emploi sont aujourd'hui de droit privé. Enfin, nous avons tenu un dialogue social intense sur le temps de travail, la mutuelle, la prévoyance ou encore les accords seniors.

Lors de la fusion, je croyais peu à un interlocuteur unique, car l'indemnisation et le placement sont deux métiers différents. A l'automne 2009, nous y avons renoncé car cette solution présentait davantage de problèmes qu'elle n'en résolvait. Il existe aujourd'hui un système à trois étages : le socle commun de compétences sur l'indemnisation et le placement, l'expertise professionnelle concernant l'intermédiation -la relation entre entreprise et demandeur d'emploi- ou la gestion des droits ; et, enfin, pour les agents qui le souhaitent, l'acquisition de compétences dans les deux métiers. Pôle emploi a besoin de 25 à 30 % de ces agents doubles pour ajuster les effectifs et garantir la pérennité du service de l'emploi, notamment dans les zones rurales. Ce système semble satisfaire les personnels. Enfin, durant la première partie de la fusion, nous avions gardé deux entretiens : d'une part, l'inscription administrative et l'indemnisation ; d'autre part, le diagnostic professionnel. Depuis le début de l'année, 150 sites sur 950 pratiquent l'entretien d'inscription et de diagnostic unique. L'expérimentation sera généralisée à la fin de l'année.

Enfin, l'adaptation des effectifs à la conjoncture économique et locale est la question la plus complexe. Au plan national, tout dépend de l'État et du conseil d'administration, ma marge de manoeuvre est donc nulle, si ce n'est que je peux recruter des CDD en cas de signature d'un contrat de transition professionnelle. Pour réajuster les effectifs selon les régions, nous mesurons la charge annuelle de travail. L'option du licenciement étant exclue et les déménagements toujours difficiles, le lissage des effectifs s'opère sur deux ou trois ans. C'est un véritable casse-tête pour les directeurs régionaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Quel rôle a joué Pôle emploi dans l'accompagnement et la reconversion des territoires frappés par la réforme des cartes hospitalière, judiciaire et militaire ?

M. Christian Charpy . - En ce domaine, Pôle emploi n'a pas eu d'actions ciblées. Pour autant, ses directeurs régionaux participent aux groupes de travail formés par la préfecture.

A propos de carte, il existe également un schéma des implantations pour l'emploi. Lors de la création de Pôle emploi, nous avions confié à Bernadette Malgorn, alors secrétaire générale du ministère de l'intérieur et membre du conseil d'administration, un rapport à ce sujet avec deux objectifs : plus de 80 % des demandeurs d'emploi à moins de 30 mn d'une agence et aucune suppression dans les zones urbaines sensibles. Nous avons présenté le schéma des implantations pour l'emploi au conseil d'administration en septembre 2010. Avec celui-ci, 95 à 97 % des demandeurs d'emploi sont à moins de 30 km d'une agence si bien que le nombre d'agences a plutôt crû : création d'agences dans les territoires vierges -Doubs ou à Concarneau en Bretagne ou encore à Dole-, suppression d'agences dans les agglomérations. Pour exemple, Nantes compte dix ou onze agences quand six ou sept suffisent.

M. Didier Guillaume . - Je crains un transfert des maisons de l'emploi vers les collectivités territoriales. A mon sens, cela placerait les élus en difficulté : ils ne sont pas compétents en ce domaine.

Je salue la qualité de vos directeurs régionaux et de vos personnels. Cependant, je m'interroge sur les effectifs : on nous alerte souvent sur l'insuffisance des moyens de Pôle emploi face à l'accroissement du stock de chômeurs en raison de la crise. Mon département de la Drôme compte aujourd'hui 32 000 chômeurs et 13 000 allocataires du RSA. La cohésion sociale passe par l'accès au service public de l'emploi.

Enfin, de nombreux chefs d'entreprise se plaignent : « On veut recruter, mais Pôle emploi n'est pas en mesure de nous fournir des collaborateurs. »...

M. François Patriat , président . - D'où le système boostemploi ...

M. Didier Guillaume . - Certes, mais il relève des collectivités ! Quelles expérimentations mettre en place pour une meilleure adéquation entre la liste des demandeurs d'emploi et les besoins des entreprises ?

M. Christian Charpy. - Les maisons de l'emploi ont été créées par la loi de cohésion sociale de 2005 -Pôle Emploi n'existait pas. Il s'agissait dans l'esprit du ministre d'impliquer les collectivités territoriales dans la politique de l'emploi et d'engager une synergie entre l'ANPE et les Assedic, sans aller jusqu'à une fusion alors jugée trop coûteuse. Fallait-il maintenir ce dispositif ? Les parlementaires ont pris cette décision.

Si les administrations sociales participent au diagnostic territorial, le développement économique et la formation sont de la compétence des intercommunalités et des régions. Bien des collectivités territoriales ont des services emploi.

La fusion, avec son lot de déménagements, de nouveaux systèmes informatiques et de stress, a impacté les conditions de travail. Beaucoup de choses ont déjà été rectifiées, mais la situation reste complexe, et le métier difficile. L'écart est cependant assez fort entre le ressenti des agents et l'expression des organisations syndicales. J'entends dire que les plateformes téléphoniques sont des usines anonymes, avez-vous perçu cela lors de votre visite en Ile-de-France ? Les conditions de travail sont meilleures dans les nouvelles agences. J'espère que l'éclaircie sur le front de l'emploi se confirmera.

Reste qu'il faudra réaliser des choix de priorité. Si l'on s'occupe d'abord de ceux qui sont le plus près de l'emploi, on pourra ensuite s'occuper mieux des autres. D'autres considèreront que les premiers ont moins besoin de nous, qu'il faut tout de suite se concentrer sur ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, et qui demandent plus d'accompagnement. Faut-il mieux segmenter les demandeurs d'emploi ? Le conseil d'administration n'est pas unanime.

Nous interrogeons les entreprises sur leurs projets de recrutement et sur leur sentiment de la difficulté à les réaliser. Certes, 40 % anticipent des difficultés, mais la plupart des recrutements sont le fait de PME qui n'ont pas de service du personnel. En outre, le taux d'emplois vacants en France, entre 0,3 et 0,4 %, se compare avantageusement au 1,7 % de l'Union européenne et aux 2,2 % constatés en Grande Bretagne.

Vous évoquez le débat sur les métiers en tension. Il n'y pas de cuisiniers au chômage, ni de maçons. Il faut donc inciter des demandeurs d'emploi à se reconvertir. Or notre système invite, il ne contraint pas. Il convient de revaloriser l'image de ces professions, comme l'a fait le bâtiment, de les faire redécouvrir. Les entreprises doivent aussi accepter de recruter d'autres personnes. Quand le président de Synhorcat dit que nous ne trouvons pas de candidats qualifiés, c'est qu'il n'y en a pas. Il n'y a pas d'autre solution que d'en former et de recruter en alternance. Nous avons aussi une méthode de recrutement par simulation : on l'a fait à Béziers pour les gens qui font décoller les avions sur les bâtiments de la marine nationale.

M. Raymond Couderc . - Ça continue...

M. François Patriat , président. - C'est aux professionnels qu'il appartient de rendre les métiers plus attractifs, et d'abord par de meilleures rémunérations -la TVA... Je pense à la métallurgie, à Metal' Valley qui offre 250 emplois commençant à 1 500 euros et offrant des plans de carrière à 30 ans et plus : nous sommes forcés de mettre en place des formations ! Quel écart entre la vision d'un directeur général, au niveau national, et celle que j'ai sur le terrain ! Les agents me disent qu'ils n'y arrivent plus, que ce n'est plus possible ; sans notre aide, assurent les directeurs régionaux, il n'est pas possible d'organiser la semaine pour l'emploi. Oui la conjoncture est difficile, mais je ne retrouve pas votre description sur le terrain. Où sont les 70 % de satisfaits quand lundi, à l'anniversaire des missions locales, on découvre qu'elles regorgent de travail parce que Pôle Emploi n'a pas les moyens de ses missions ?

M. Christian Charpy. - Avec 800 000 chômeurs de plus à suivre qu'en 2008 et seulement 5 % d'effectifs en plus, il y a forcément plus de dossiers par personne.

M. François Patriat , président . - Est-ce le moment, malgré l'embellie ? La Bourgogne a perdu 23 000 emplois en 2 ans, dont 10 000 emplois industriels.

M. Alain Houpert . - A cause des 35 heures !

M. François Patriat , président . - Il y a 50 agents de plus pour 23 000 chômeurs.

M. Christian Charpy. - Les effectifs sont fixés en loi de finances. La transformation du recouvrement a permis de remettre 1 000 personnes sur le terrain.

Comment attirer les jeunes sur les métiers en tension ? Peugeot a recruté 2 000 jeunes en contrat de professionnalisation, 30 à 40 % ont arrêté au bout d'un mois. Nous avons la responsabilité de les accompagner, de les motiver, et nous devons continuer à travailler.

Il est logique que les directeurs régionaux se rapprochent des régions pour les formations. C'est le cas en Bourgogne comme en Rhône-Alpes car, quand nous formons 120 000 à 130 000 demandeurs d'emploi, les régions en forment deux à trois fois plus. Une coordination est utile comme elle l'était avec les départements sur le RMI -les quelque 60 avec lesquels nous avions contracté finançaient 600 emplois pour s'occuper de l'insertion ; une cinquantaine d'entre eux continuent de le faire, mais le nombre d'agents ayant diminué d'un tiers, je suis contraint à un service de base. Dans une entreprise de service comme la nôtre, remettre dans le réseau 7 à 8 % des fonctions support n'est pas à la hauteur de ce qui est nécessaire.

M. François Patriat , président . - L'Etat a décidé de supprimer l'allocation pour les chômeurs en fin de formation, ce qui représente 8 millions pour la région.

M. Christian Charpy. - Nous avons, le 1 er janvier, remis une rémunération de fin de formation, rétroactive à compter du premier janvier. C'est un peu moins généreux, mais il y a quelque chose pour eux comme pour les chômeurs non indemnisés.

M. Alain Houpert . - Au risque d'être iconoclaste, je constate que la fusion n'a pas été efficace. A Dijon, les employés me disent qu'ils passent leur temps à maquiller les chiffres, à trafiquer les dates. C'est fortement décevant.

M. Christian Charpy. - Nos contrôles internes permettent de vérifier que les statistiques ne résultent pas de telles situations. Nous essayons de les réduire, avec succès d'ailleurs.

Pôle Emploi collecte 3,3 millions d'offres d'emploi pour assurer le recrutement de 3 millions de personnes par an. Nous assurons entre 16 et 18 % du marché de l'embauche et 38 % pour les offres supérieures à un mois. Les entreprises d'intérim représentent 50 000 embauches en CDD ou en intérim. Nous restons le principal intermédiaire de l'emploi.

M. Alain Houpert . - Les candidatures spontanées sont plus efficaces.

M. Christian Charpy. - Avec 3 millions d'offres pour 3 millions de demandeurs, nous ne pouvons proposer plusieurs emplois à chacun. Nous assurons la transparence du marché de l'emploi ; nous accompagnons les demandeurs dans leur recherche (les Allemands et les Britanniques ont deux fois moins d'offres) ; enfin, nous améliorons leur employabilité.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie de vous être prêté à nos nombreuses questions.

Mmes Emmanuelle Wargon,
secrétaire générale des ministères
chargés des Affaires sociales,
et Annie Podeur,
directrice générale de l'offre de soins,
ministère du travail, de l'emploi et de la santé

____

M. François Patriat , président. - Comment avez-vous vécu la RGPP, ses objectifs ont-ils été atteints et les économies réalisées ? Bref, l'efficacité est-elle au rendez-vous ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire générale des ministères chargés des Affaires sociales. - Les agences régionales de santé sont des pilotes régionaux de la politique de santé en matière de soins et de prévention. L'objectif est d'améliorer l'accès aux soins, la fluidité et l'efficacité des parcours et cela dans le respect de l'Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie (Ondam).

Le premier des outils est la régulation des crédits que les ARS distribuent en partenariat. C'et aussi le projet régional de santé et le schéma régional d'organisation des soins (SROS). Nous agissons par l'organisation territoriale, les autorisations d'activité et la répartition des enveloppes. L'objectif est d'assurer un bon maillage du territoire. Pour ce faire, le projet régional de santé est territorialisé ; une conférence par territoire définit les besoins. L'adéquation de l'offre peut mener à une restructuration des hôpitaux. Autant d'éléments très concrets pour un directeur d'Agence régionale de santé (ARS).

Mme Annie Podeur, directrice générale de l'offre de soins . - Les fermetures des centres hospitaliers sont exceptionnelles. Il peut arriver qu'une clinique privée ferme ; il s'agit dans les autres cas de reconversion et de recomposition. Il n'y a plus, depuis 2003, de carte sanitaire ni de carte hospitalière. A une organisation vue de Paris, l'on a substitué une organisation régionalisée. En revanche, lorsque l'on prépare un texte, l'on établit des études d'impact, ce qui est de bonne gestion.

L'ordonnance de 2003 a des précédents puisque dans les années 1980, l'on avait essayé de combiner une carte sanitaire et des schémas d'organisation sanitaire. La Cour des comptes a critiqué une dualité d'instruments, aussi a-t-on gardé le seul schéma régional. Les SROS répondent à quatre priorités : mieux évaluer les besoins de santé ; prendre en compte la dimension territoriale à travers des territoires de santé moins nombreux ; associer les professionnels, les élus et les usagers ; animer les territoires grâce à la conférence de territoire et à la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA).

Oui, il y a des restructurations, des recompositions et oui, la reconversion d'un établissement fait l'objet d'une concertation sous l'égide de l'ARS. Tout retrait ou non-renouvellement d'autorisation donne lieu à consultation de la commission spéciale de la CRSA où siègent quatre élus (un conseiller régional, un président de conseil général, un représentant d'intercommunalité, et le représentant d'une commune). Au-delà, il est impensable qu'un directeur général d'ARS s'exonère d'une concertation préalable avec l'élu concerné.

L'on peut constater qu'un besoin a diminué. Un exemple défraie la chronique : la chirurgie cardiaque régresse au profit de la cardiologie interventionnelle ; il faut alors pour celle-ci un plateau qui répondre de manière fiable au besoin sur le territoire. Il peut également arriver que les conditions techniques de fonctionnement ne soient pas remplies. L'on examine l'activité de soins, les moyens mis en oeuvre et la capacité à poursuivre cette activité. La démographie médicale permet-elle de maintenir une équipe capable d'assurer la continuité des soins et la permanence de l'activité ? Il ne suffit pas d'organiser un défilé d'intérimaires. Le dialogue doit alors se nouer avec l'établissement, avec les élus. La faible attractivité de certains établissements montre parfois que les usagers ont déjà fait leur choix, le taux de fuite pouvant atteindre jusqu'à 90 %.

Le volontariat est plus positif. Des regroupements permettent une répartition d'activités et la construction de filières plus complètes et pérennes. En ce cas, la fermeture envisagée d'un service de chirurgie ou de maternité, peut être compensée par l'ouverture d'une unité de périnatalité, de soins de suite ou médicaux, afin d'apporter en toute sécurité une réponse plus satisfaisante. Cela se gère au long cours, sur une ou deux années et les élus y sont associés.

M. Didier Guillaume . - Jamais !

Mme Annie Podeur. - De 1996 à 2008, les ARH ont conduit 600 opérations ; il y en a encore eu 60 en 2009 et 2010. Je précise que 314 ont concerné la chirurgie et 212 l'obstétrique. Il s'agit essentiellement de services qui ont choisi de s'associer de se regrouper. La cancérologie est un merveilleux exemple parce les usagers ont apporté leur appui, on a eu le souci d'accompagner.

M. François Patriat , président . - Sortons de l'ambiguïté : êtes-vous concernées par la RGPP ? D'autre part, nous avons rencontré hier un préfet mécontent de l'indépendance de l'ARS.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Le directeur de l'ARS, quoique convié, n'est d'ailleurs pas venu... Plus sérieusement, le préfet doutait de la capacité de l'ARS à faire face à une crise sanitaire d'urgence.

Quelles relations entretenez-vous avec les autres services déconcentrés de l'Etat ? Quel est le rôle territorial des ARS, sur lequel Claude Evin s'interrogeait, et le partage des compétences entre l'ARS et les autres services de l'Etat est-il clair ?

Des maisons de santé fleurissent ici ou là. Quand leur ouverture est conditionnée à un concours des collectivités territoriales, n'y a-t-il pas transfert de charges sur ces dernières, amenées à intervenir dans le financement de la politique de santé ?

Enfin, serez-vous concernées demain par la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux ?

Mme Emmanuelle Wargon. - La RGPP s'applique aux ARS, pas aux établissements. Les agences emploient 7 500 fonctionnaires et 1 500 agents de l'assurance maladie sous convention collective de celle-ci. Nous avons supprimé 144 emplois en 2011, dont 119 côté Etat.

Mme Annie Podeur. - La fonction publique hospitalière échappe à la règle du non-renouvellement d'un départ sur deux, qui pourrait porter atteinte à la qualité des soins. Il incombe aux établissements autonomes de définir les moyens à allouer aux activités qui leur sont confiées, en assurant la qualité de soins avec efficience. Des consignes sont données pour qu'ils équilibrent leur budget  (c'est l'objet de l'état des prévisions des recettes et des dépenses) ; un regard vigilant est porté sur le procès de soins, l'organisation est améliorée, les recrutements nécessaires opérés. A cet égard, Hospi-diag est un comparateur qui permet de rapporter la productivité d'un établissement au PMSI (nous l'étendons actuellement à la psychiatrie). Les taux d'encadrement connaissent des écarts énormes. L'on constate des améliorations constantes sur le fonctionnement.

Mme Emmanuelle Wargon. - L'ARS est un service régional dont le préfet préside le conseil de surveillance. Sa situation n'est pas différente de celle du rectorat ou de la direction des finances publiques. Les relations sont globalement bonnes avec les préfets de région -sur 26 couples, 24 ou 25 sont tout à fait harmonieux. Les choses sont plus délicates au niveau départemental en raison de la réforme des services déconcentrés. Les ARS regroupent quant à elles une dizaine de structures plus les DDASS, que pilotaient déjà les ARH. Le choix a été laissé à chaque ARS de trouver son organisation. Dans les régions qui ne comptent que deux départements, comme le Nord-Pas-de-Calais, le siège est très présent, ne laissant à la délégation territoriale que des compétences réduites ; elles jouissent ailleurs de plus d'autonomie, quitte à s'appuyer sur le siège. Quand le lien vertical est très fort, il y a une hiérarchie entre le siège et le délégué territorial. Une clarification doit tendre vers l'uniformité, mais cela se traduira par un renforcement de la transversalité là où elle n'est pas assez affirmée. La construction est récente et, déjà, le contrat d'objectifs et de moyens prévoit que d'ici la fin de l'année tout poste fera l'objet d'une fiche.

Les ARS travaillent avec les directions départementales de la cohésion sociale. Nous avons commencé à coordonner notre action avec les directions régionales de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale. Nous en sommes à la quatrième circulaire, la dernière portant sur la MDPH (maison départementale du handicap). Les ARS participent aux CAR (comités de l'administration régionale).

La gestion de crise ? Des protocoles ont été signés avec les préfets de région. Nous avons déjà connu plusieurs crises et, après une période blanche en début de période, les remontées ne justifient aucune inquiétude, même s'il faut rester humble. En région Paca comme en Languedoc-Roussillon, le préfet et le directeur de l'ARS ont travaillé en bonne intelligence.

M. Didier Guillaume . - Plusieurs commissions portent le même nom de sorte que mes collègues, conseillers généraux ou présidents de conseil général, ont besoin d'être éclairés, sans quoi, ils ne mettront plus les pieds dans ces aréopages.

Je me demande si la sécurité des soins ne passe pas après les considérations budgétaires. Bien sûr, il pourrait y avoir plus de patients dans tel ou tel hôpital local, mais faut-il pour autant considérer qu'il ne peut y avoir d'hôpital qu'à Paris, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Lyon et Montpellier ? Dans ma région, des hôpitaux attendent des crédits pour leur rénovation : pour l'instant, ils n'ont que ceux des collectivités... Pendant ce temps, des maternités ferment en raison des normes -mais qui donc les établit ?

Le directeur de l'ARS juge que la maternité de Die n'est pas rentable. La mobilisation l'a sauvée. Il ne faut pas, sur de tels sujets, raisonner en distance, mais en temps de parcours, parce que l'on n'a pas le temps d'aller à Valence lorsque les choses ne se passent pas bien. Quand je vois qu'on manque de généralistes, je m'interroge sur le risque de certains changements. Je plaide pour qu'on ne compte pas en kilomètres, mais en minutes.

M. François Patriat , président . - Dans l'Yonne, 45 % du territoire n'a pas d'accès direct aux soins le week-end.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous ne m'avez pas répondu sur les maisons médicales.

M. Alain Houpert . - J'ai plus de relations avec l'ARS en tant que médecin qu'en tant que sénateur. Les ARS semblent hors sol. Il serait bon que leur directeur rencontre les parlementaires : nous ne mordons pas ! Nous avons tous une même mission : faire que ça marche. Il m'a fallu un mois pour obtenir un rendez-vous avec le précédent directeur général de l'ARS de Bourgogne. À se couper ainsi du terrain, on perd en réactivité !

M. François Patriat , président . - Pour ma part, je n'ai nullement à me plaindre du directeur général de l'ARS, qui est toujours venu me voir, sur tous les dossiers.

M. Gérard Miquel . - Dans le Lot, nos avons mis rapidement en place les maisons du handicap, dès lors que la compétence était transférée au département. Mais les moyens n'ont pas suivi. Les personnels des Ddass se sont vu proposer le choix entre un maintien dans les services de l'État ou un transfert au conseil général ; beaucoup ont opté pour l'État, obligeant le département à recruter du personnel. Or la compensation de cette charge par l'État n'a été que très partielle. C'est anormal.

Mon département attirant beaucoup de retraités, nous avons créé nombre d'établissements pour personnes âgées dépendantes, presque tous publics. Alors qu'un accord avait été signé entre le préfet et président du conseil général autorisant un tel établissement et que nous en étions à l'ordre de service aux entreprises, l'ARS a annoncé qu'elle ne suivrait pas, faute de moyens. Il faut passer par le filtre de l'appel à projet régional, dites-vous, mais les élus ne comprennent pas que la signature de l'État ne soit pas honorée ! Le préfet et moi-même sommes très mécontents.

Mme Emmanuelle Wargon - Le nombre d'instances de concertation incluant les élus est en effet élevé. Nous incitons les directeurs généraux d'ARS à développer des relations bilatérales. Il serait bon qu'ils nouent des relations avec les élus nationaux. Certains le font spontanément, d'autres ont pris plus de temps pour installer les relations institutionnelles.

Le dossier des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) est compliqué. L'État récupère en surnombre des agents qui se sont vu offrir un droit de retour, et doit rembourser aux collectivités la masse salariale engagée pour recruter. En attendant la proposition de loi Blanc, nous avons trouvé des crédits en gestion 2011, centralisés sur le programme 157, à hauteur de 5,7 millions d'euros, pour rembourser autant que possible cette dette. L'État est aujourd'hui dans une situation paradoxale, d'autant que le retour de ces agents en surnombre, pour certains sans mission, peut bloquer sa capacité de recrutement.

S'agissant de l'EHPAD de M. Miquel, nous essayons d'honorer la parole de l'État. Les ARS doivent mettre en place des appels à projet, mais rien ne les empêche de traiter en priorité les dossiers déjà engagés ! L'Ondam médico-social ayant été dépassé l'an dernier, la campagne budgétaire médico-sociale est soumise cette année à une forte contrainte budgétaire, et il est difficile de financer de nouveaux projets. Nous avons plutôt essayé d'honorer les conventions de médicalisation déjà signées dans les EHPAD. Je regarderai le dossier.

M. Gérard Miquel - J'ai écrit au ministère sur le sujet.

Mme Annie Podeur - Vous avez le sentiment que le maillage territorial se détend...

M. François Patriat , président . - C'est un sentiment d'abandon !

Mme Annie Podeur - Il faut mettre les choses en perspective. L'organisation sanitaire française est la plus hospitalo-centrée, nous sommes le pays avec le plus d'hôpitaux par rapport à la population.

M. Didier Guillaume - Nous ne voulons pas que cela change !

Mme Annie Podeur - La réponse réside dans notre capacité à structurer une réponse au besoin de soins dans le champ ambulatoire, et d'éviter une dégradation de l'état de santé telle qu'il faille un plateau technique. La filière de soins doit proposer une réponse allant du généraliste de proximité au plateau technique à vocation interrégionale.

Si nous fermons de petits plateaux, comme à Die, ce n'est pas pour faire des économies mais parce qu'il est très difficile d'y attirer des médecins. Qu'ils soient libéraux ou salariés, ceux-ci souhaitent travailler en équipe. La complexité des savoirs, la nécessité d'une approche pluridisciplinaire encouragent le développement d'autres modes de prise en charge. La France est en retard en matière de télémédecine, réponse qui offre, en proximité immédiate, l'intermédiation du médecin généraliste ou de l'hôpital de proximité. Nous avons tous les outils pour assurer la continuité des soins.

Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) sont un exemple de collaboration réussie avec les préfets. Une circulaire de 2010 prévoit un plan d'implantation de 250 MSP en milieu rural sur trois ans, et une commission de sélection régionale coprésidée par le directeur général de l'ARS et le préfet. La condition est que le projet de MSP repose bien sur un projet médical, autour du regroupement de professionnels de santé, avec un souci de pérennité et d'attractivité.

Vous parlez de transfert de charges vers les collectivités territoriales ? L'assurance maladie, via le fonds d'aide à la qualité des soins de ville, apporte 50 000 euros pour amorcer des MSP en zone rurale, le double en zone urbaine sensible. Le fonctionnement est intégralement financé par l'assurance maladie, qui expérimente de nouveaux modes de rémunération. Les crédits à la main des préfets - DGE et FNADT - sont un levier pour obtenir des fonds européens. L'État ne tend nullement la sébile aux collectivités, qui ne sont en rien obligées de contribuer. Les crédits qu'elles apportent viennent en sus.

Le bilan est encourageant, avec 205 projets en milieu rural et 43 en zone urbaine. Les choses sont plus difficiles en zone urbaine sensible. La loi HPST prévoit que lorsque l'initiative libérale fait défaut, un établissement de santé peut apporter une réponse de proximité, via un centre de santé qu'il gère, mais c'est bien la réponse libérale que le Président de la République et le gouvernement nous demande d'encourager.

Ces maisons départementales sont un exemple de collaboration réussie entre les préfets et les directeurs généraux d'ARS.

M. François Patriat , président . - Merci. La Bourgogne a créé quatorze maisons de santé, financées par la région, le département et la communauté de communes, mais nullement par l'État. La région n'a pas la compétence santé ! Il est anormal à mes yeux que les départements construisent des gendarmeries, mais il est logique qu'ils contribuent aux maisons médicales.

Mme Annie Podeur . - Les modalités de financement feront l'objet d'une évaluation. Je peux pour ma part vous citer 150 maisons de santé qui n'ont pas demandé un sou à une collectivité locale !

Sur les contrats d'engagement de service public, les bourses accordées aux étudiants en médecine, l'État prend le relais des collectivités territoriales, et ce sur dix ans.

Mme Emmanuelle Wargon - Le partenariat en Bourgogne est exemplaire ; il faut dire que votre vice-présidente est très engagée, et que vous n'oubliez pas les transports, essentiels pour l'accès aux soins en milieu rural.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Je pourrais citer bien des exemples en Bretagne où la commune a été maître d'ouvrage d'une maison médicale, et où l'amortissement n'est pas couvert... Les médecins, dont la rémunération n'a déjà rien de libéral, demandent en outre qu'on leur fasse des conditions matérielles incitatives !

M. Didier Guillaume - Derrière les fermetures, il y a une conception de l'aménagement du territoire. Une maternité qui ferme, c'est des gens en moins sur le territoire, des élèves en moins dans les écoles ! La présence publique entraîne un cercle vertueux, notamment dans les territoires ruraux. L'organisation des soins doit être différenciée selon les territoires !

Mme Annie Podeur . - L'aménagement du territoire n'est pas étranger à nos préoccupations. Permettez-moi de vous faire une réponse alternative. Vaut-il mieux, pour la vie de la commune, avoir une succession de médecins qui viennent assurer des vacations dans un hôpital, ou une maison de santé qui fonctionne, qui fait venir de jeunes médecins et de jeunes infirmières qui s'installent sur le territoire ? En termes de dynamisme, mieux vaut une réponse ambulatoire plutôt que de tout miser sur des plateaux techniques hospitaliers, qui ne seront jamais pointus.

Les hôpitaux locaux sont des espaces de vitalité, des interfaces entre ville et hôpital, sanitaire et médico-social. Ils rendent de grands services, notamment pour le maintien des personnes âgées. On ne peut pas dire qu'en engageant une reconversion vers les soins de suite, on en fait des mouroirs !

M. Yves Sarrand,
directeur général des services du conseil général
de la Savoie, membre de l'association nationale des directeurs généraux et des directeurs généraux adjoints
des régions et départements (ANDGDGARD)

____

M. Yves Sarrand, directeur général des services du conseil général de la Savoie, membre de l'association nationale des directeurs généraux et des directeurs généraux adjoints des régions et départements (ANDGDGARD) . - Vous m'interrogez sur la RGPP vue depuis les services d'un conseil général. Depuis trois décennies, le centre de gravité du service public à l'usager s'est déplacé de l'État vers les services du département. Nous sommes donc à la fois observateur et acteur.

Tout d'abord, la refonte de l'organisation était devenue urgente. L'État était resté immobile depuis les lois Defferre ; les directions départementales de l'équipement, de l'agriculture, des affaires sanitaires et sociales étaient devenues des entités croupion, vidées d'une partie de leurs compétences et de leurs moyens. La simplification de l'organisation de l'État était donc attendue : on tire enfin les conséquences des transferts de compétences, on met fin à la multiplicité des interlocuteurs. La méthode a été brutale, mais y en avait-il une autre ? Les tentatives larvées de rapprocher DDE et DDA dans les années 90 ont échoué. La création des directions interministérielles, la simplification du système d'acteurs locaux est une avancée - à condition que les moyens suivent.

M. François Patriat , président . - Vous approuvez donc le principe d'une réforme de l'État, et, tout en reconnaissant que la concertation a fait défaut, et estimez qu'il n'y avait pas d'autre méthode possible. Les relations des services départementaux avec l'État sont-elles devenues plus lisibles ?

M. Yves Sarrand . - La simplification des interlocuteurs est une avancée. Certes, l'État est passé en force, en profitant notamment de la faiblesse des syndicats après l'acte II.

Sur la régionalisation, le constat est plus mitigé. On impose un modèle unique, alors qu'il y a une grande hétérogénéité entre régions. Le dogme veut que le niveau régional soit le plus pertinent.

M. Didier Guillaume - C'est faux !

M. Yves Sarrand . - Le regroupement des moyens de l'État au niveau d'une région aussi grande que Rhône-Alpes laisse perplexe. Les DREAL, par exemple, sont de superbes outils, mais bien loin du terrain. Sachant qu'il leur faut 3 heures 30 pour rejoindre Val d'Isère, comment des fonctionnaires basés à Lyon peuvent-ils apporter une réponse pertinente sur des sujets tels que la protection des espaces sensibles ? L'État prend des positions parfois théoriques, car ses agents sont éloignés du terrain.

Autre exemple, le médico-social reste une compétence partagée entre l'État et le département. Avec l'ARS, le centre de gravité de cette politique se déplace vers la région, d'où un éloignement de l'usager dans des domaines où la proximité est cruciale.

L'organisation territoriale retenue par l'ARS de Rhône-Alpes, qui repose sur la sectorisation hospitalière, est source d'incompréhension entre les départements et un service régional éloigné du terrain. Les délégations territoriales de l'ARS, bâties sur les restes des DDASS, ont peu de marges de manoeuvre. Quant au préfet, il fait ce qu'il peut pour assurer un minimum de cohérence...

Troisième point, les moyens. Sans doute fallait-il soumettre les services de l'État à une cure d'amaigrissement, mais sans aller jusqu'à l'anorexie ! Le peu de gras qu'avaient conservé les services de l'État a vite fondu avec la règle du non-remplacement d'un départ sur deux. L'État conserve des compétences importantes ; encore faut-il qu'il ait les moyens, en termes d'expertise, de les exercer. L'évolution actuelle est inquiétante.

On assiste à un transfert de charges rampant dans le domaine des compétences partagées. Depuis les lois Defferre, la délivrance des permis de construire est de la compétence des maires, mais les services de l'État continuaient à faire l'instruction pour le compte des communes. Or, devant la fonte des moyens de l'État, les directions des territoires et les préfets incitent les collectivités à assumer elles-mêmes cette instruction.

M. François Patriat , président . - Quand un maire rural le lui a reproché lors de notre déplacement en région, le préfet s'est mis en colère !

M. Yves Sarrand . - Il est dans son rôle ! Le préfet instruit, mais avec les moyens à sa disposition, dans les délais qui sont les siens. Si cela ne convient pas, à la commune ou à l'intercommunalité de se charger de l'instruction. Celles-ci se retournent donc vers le département, or l'instruction des permis de construire n'est aucunement une compétence du conseil général.

Dans le domaine social, le service à l'usager relève du conseil général, mais l'État a conservé un domaine de compétence important, notamment via les caisses d'allocations familiales et la Mutualité sociale agricole, qui ont leurs propres travailleurs sociaux. RGPP oblige, ces services disparaissent, faute de moyens : les bénéficiaires se tournent donc vers les travailleurs sociaux du département, qui se voit obliger de créer des postes pour compenser le retrait de l'État.

Autre exemple, l'État a conservé la protection judiciaire de la jeunesse, qui est un partenaire important des conseils généraux. Or la PJJ n'a plus les moyens de financer l'assistance éducative en milieu ouvert. Impossible de laisser ces jeunes en déshérence : le département n'a donc d'autre choix que de prendre la relève.

En Savoie, la fermeture du tribunal d'instance à Saint-Jean-de-Maurienne signifie la fin de la présence judiciaire dans la vallée de la Maurienne. L'État propose de créer une maison de la justice et du droit, en partenariat avec les collectivités. Le maire de Saint-Jean met un local à disposition, la Justice assure la formation - et la création d'un poste de permanent incombe au département. Conclusion, la collectivité locale « irresponsable » crée un emploi public de plus, quand l'État « vertueux » réduit ses effectifs !

En conclusion, si la simplification de l'organisation de l'État est très pertinente, la régionalisation des compétences inquiète, notamment dans les grandes régions comme Rhône-Alpes. Enfin, les directions interministérielles n'ont de sens que si on leur donne les moyens nécessaires pour fonctionner.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous confirmez ce que nous entendons depuis plusieurs mois : c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle !

La réorganisation de l'État autour de la région semble être perçue différemment par le préfet selon que son département est chef lieu de région ou non. En cas de problème, vous adressez-vous au préfet de département ou au préfet de région ?

Faute de moyens, l'État n'assume plus un certain nombre de missions d'ingénierie publique. Est-ce le principe même de ce désengagement qui vous paraît gênant, ou le fait que le département, l'EPCI ou la commune soient obligés de se substituer à l'État sans que leur soient transférés les moyens correspondants ?

Il ne me paraît pas aberrant que l'instruction des permis de construire relève du maire, d'autant que l'État effectue le contrôle de légalité. À l'époque où j'étais directeur de l'action sociale du département de Paris, une même famille avait au moins quatre travailleurs sociaux référents ; il me semblait plus pertinent d'avoir un chef de file. Ceci étant, si la caisse d'allocations familiales (CAF), l'Éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) se désengagent, si le secteur associatif n'est plus financé, on va se tourner vers le département, qui n'en peut mais ! Le désengagement de l'État pose-t-il un problème sur le plan des moyens ou des principes ?

M. Yves Sarrand . - Dans un département comme la Savoie, éloigné de la préfecture de région, notre interlocuteur naturel est le préfet de département, avec lequel les relations sont excellentes. Nous sommes loin d'avoir pris l'habitude de nous tourner vers le préfet de région. Les préfets de département et les sous-préfets s'attachent à réduire les incohérences entre région et départements.

Je connais l'ingénierie publique pour avoir été directeur départemental de l'équipement. S'agissant de l'instruction des permis de construire, le transfert de la compétence n'a pas été accompagné d'un transfert de moyens, car il était entendu que les services de l'État restaient à la disposition des communes. Ce transfert de charges qui ne dit pas son nom pose donc un problème de principe.

M. François Patriat , président . - D'autant qu'il n'y aura pas de loi pour prévoir des ressources supplémentaires !

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Voyez-vous une opposition déontologique à ce que le titulaire du droit du sol soit celui qui instruit ?

M. Yves Sarrand . - Certainement pas, mais la compétence n'a jamais été totalement aux mains des maires, qui n'hésitaient d'ailleurs pas à s'abriter derrière les décisions de la DDE.

Le problème est celui du transfert de ressources. La refonte de la carte de l'intercommunalité doit faire émerger des structures intercommunales, qui seront l'échelon pertinent pour mutualiser l'instruction. Reste le problème du financement des postes à créer.

L'ingénierie publique de l'État est un autre sujet : il s'agissait là d'un service que l'État facturait aux communes. La disparition de cette exception française me parait aller dans le sens de l'histoire, d'autant qu'elle n'était pas sans effets pervers, les fonctionnaires de l'État étant à la fois juge et partie. La difficulté vient de la rapidité de la réforme : les maires de petites communes se retrouvent brutalement orphelins, mais les choses devraient rentrer progressivement dans l'ordre.

Mercredi 25 mai 2011

MM. Jean-François Roubaud, président,
et Pascal Labet, directeur des affaires économiques,
de la Confédération générale
des petites et moyennes entreprises (CGPME)

____

M. François Patriat , président . - Notre mission se penche sur l'impact de la révision générale des politiques publiques sur les collectivités territoriales. Les entreprises que vous représentez sont en contact avec l'État et avec les collectivités, au moment de leur création, de leur transmission, de leur développement, en matière d'exportation ou encore de formation. Quels sont pour vous les effets de la réforme des différentes cartes administratives, des suppressions d'emplois ou de la réorganisation des services ?

M. Jean-François Roubaud, président de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). - La CGPME a accueilli avec satisfaction le lancement de la RGPP ; nous partageons les objectifs d'amélioration de la qualité, de réduction des dépenses et de modernisation de la fonction publique. Nos chefs d'entreprise sont pragmatiques : ils voient avant tout les simplifications qu'apporte la RGPP sur le terrain. Ainsi, la mise en place de guichets unique est saluée. Avec le commissaire à la simplification, on entre dans une phase active. Je crains toutefois qu'il ne faille prendre d'autres dispositions si l'on veut réduire le déficit budgétaire à 3 % d'ici 2013...

L'information sur la mise en place des nouveaux services déconcentrés et leur accessibilité nous paraît-elle suffisante et acceptable ? Sur le plan fiscal, la simplification est indubitablement efficace.

M. Pascal Labet , directeur des affaires économiques de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) . - Du moment que les chefs d'entreprise ne sont pas au bord de la jacquerie, c'est que le dispositif est a priori pertinent.

Il n'y a pas eu de document de vulgarisation global retraçant les effets de la RGPP pour les entreprises.

M. Jean-François Roubaud. - Nous mesurons l'insatisfaction des chefs d'entreprise, pas leur satisfaction. Parmi les causes d'insatisfaction, il y a Pôle Emploi. En revanche, le rapprochement entre l'administration fiscale et les entreprises pendant la crise est à saluer. L'administration est sortie de son rôle de contrôleur et s'est mise à notre écoute, accordant des délais de paiement, des facilités aux entreprises en difficulté. Désormais, les relations sont établies, les entreprises appellent directement le directeur de l'Urssaf ; j'ai récemment remis une médaille au trésorier-payeur général d'Annecy pour le remercier de sa collaboration exemplaire. Cette évolution, qu'elle découle de la RGPP ou de la crise, est en tout cas source de satisfaction.

M. Pascal Labet . - Prenons l'exemple de l'administration des douanes : d'un rôle de sanction, elle est passée à celui d'interlocuteur des entreprises, notamment en matière de lutte contre la contrefaçon. La création d'indicateurs de performance a encouragé cette nouvelle relation.

Les conséquences du retrait de services publics sur les emplois privés sont-elles évaluées et suffisamment prises en compte ? Dans les zones rurales, le regroupement des services publics, le retrait des services postaux par exemple, est parfois ponctuellement mal vécu. En revanche, la création des directions départementales des finances publiques (DGFIP) ne pose pas de problème.

M. Jean-François Roubaud. - Le retrait de garnisons dans certaines villes pose bien évidemment problème localement. Quant à la création des DGFIP, elle n'a pas occasionné de retour particulier de la part des entreprises.

M. Pascal Labet . - Il était aberrant que la même administration soit en charge à la fois de l'assiette et du recouvrement de la TVA. Pour l'ex-taxe professionnelle et l'impôt sur les sociétés, l'assiette relevait de la direction générale des impôts (DGI), le recouvrement de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP). Les chefs d'entreprise apprécient de n'avoir qu'un seul interlocuteur.

La qualité des relations varie bien entendu selon les cas : dans certains départements, le remboursement anticipé du crédit de TVA s'est très bien passé ; dans d'autres, les chefs d'entreprise tombaient toujours sur un répondeur !

M. Michel Bécot - Il en allait de même avant !

M. Pascal Labet . - Ce n'est pas la RGPP qui est en cause, mais le facteur humain. Idem dans les administrations où le personnel change régulièrement.

Reste le problème de la stratification, voire de l'empilage de mesures prises très rapidement et parfois sans réelle cohérence : une mesure sur l'impôt sur les sociétés, une sur la TVA... Quid de la taxe sur les salaires, des autres types d'impôt ? Les seuils varient selon les impôts. Pour les PME, ce n'est pas gérable ! Pour la certification électronique, une filiale avait 25 documents à remplir ! Il y a donc encore des dissonances dans la mise en oeuvre des mesures, même si elles sont relativement marginales.

M. Jean-François Roubaud. - Le bilan du guichet simplifié unifié est globalement positif. Pour le crédit d'impôt recherche, nous avons encore plusieurs interlocuteurs : DGFIP, ministère de la recherche, Oseo. Mais globalement, les choses fonctionnent bien.

La création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) est positive. J'ai eu à faire à des directeurs très compétents ; l'un avait ainsi mené un travail de fond sur le coffre-fort numérique. C'est une grande satisfaction. Nous n'avons reçu aucun écho négatif de la part des entreprises.

M. Pascal Labet . - Les seuls blocages dont nous avons eu l'écho seraient liés au facteur humain. Nous n'avons eu aucun retour négatif, y compris lors des assises de la simplification.

M. Jean-François Roubaud. - Parmi les mesures de simplification, lesquelles nous paraissent les plus efficaces ? Nous avons cité le guichet unique, la qualité des hommes. La difficulté pour l'heure est d'assurer la coordination, de mettre de l'huile dans les rouages. Attention aussi à ne pas faire trop de guichets uniques ! Beaucoup de formulaires sont désormais disponibles en ligne, mais il faut toujours les remplir à la main et les renvoyer par la Poste !

De gros progrès ont été faits dans l'appui à l'exportation. Avec Ubifrance ou Coface, nous avons les outils adéquats. Exporter ne coûte rien pendant les deux premières années, mais ce n'est pas pour autant que les entreprises exportent davantage... À nous, chambres de commerce, de convaincre les chefs de petites entreprise qu'ils peuvent exporter, notamment vers les pays du bassin méditerranéen !

M. Pascal Labet . - En quoi la RGPP a-t-elle modifié le fonctionnement et les méthodes de travail des PME ? Si la mise en place des télé-procédures a pu être source de complexité, le recours aux experts comptables a été bénéfique, qu'il s'agisse de délais ou d'efficience. La dématérialisation des imprimés évitera d'avoir à se déplacer : c'est positif, mais cela demande du temps.

M. Jean-François Roubaud. - La mise en place du système Chorus a retardé le paiement des prestataires de l'État. Il nous a fallu intervenir, car beaucoup d'entreprises étaient pénalisées.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La situation s'améliore-t-elle ?

M. Jean-François Roubaud. - Oui. À terme, le système devrait fonctionner.

M. Pascal Labet . - C'est surtout le ministère de la défense qui a accumulé les retards de paiement.

M. Jean-François Roubaud. - Quelles sont nos propositions d'amélioration ? Tout d'abord, poursuivre et renforcer le dialogue entre administration et entreprises. Le changement de comportement, induit par la crise, a été positif, et l'on ne craint plus désormais de s'adresser à l'administration. Il faut poursuivre la simplification, mais il faudra plus que des mesurettes si l'on veut réduire le déficit public à 3 %...

M. François Patriat , président . - Quid des nouvelles directions à l'échelon régional, comme les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou les directions de l'innovation, la recherche, l'économie et le tourisme (DIRET) ? Les entreprises souffrent-elles de l'éloignement qu'implique la régionalisation ?

M. Pascal Labet . - Nous n'avons pas eu de retour négatif. A priori , le système est efficient.

M. Jean-François Roubaud. - Cela pose la question plus large de la réorganisation administrative de l'État. L'empilage des échelons régionaux, départementaux et communaux est-il nécessaire ?

M. François Patriat , président . - C'est un autre sujet !

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Merci de vos réponses exhaustives. Permettez-moi de vous poser une question plus générale. Dans l'accompagnement des entreprises, quelle est aujourd'hui la ligne de partage entre ce que l'on peut attendre de l'État, des organismes professionnels institués comme les chambres de commerce et d'industrie, et de vos propres organisations professionnelles ?

M. Jean-François Roubaud. - L'administration ne fait pas suffisamment la différence entre une grande entreprise capitalistique et une PME : pour elle, une « petite » entreprise compte déjà 500 salariés ! Or il faut aussi prendre en compte les petites entreprises de dix ou vingt salariés ! Le succès de l'auto-entrepreneur prouve l'intérêt de la simplification pour la création d'entreprises. Un patron de PME patrimoniale n'est pas un manager : pour lui, le résultat d'entreprise a peu d'importance au regard de la pérennité de son entreprise et de ses salariés, qu'il connaît personnellement. Or certaines décisions parfois hâtives, comme la prime de 1 000 euros, ne tiennent pas compte de ces spécificités....

M. Dominique de Legge , rapporteur . - C'est un sujet sur lequel nous sommes très sollicités.

M. Jean-François Roubaud. - La question de l'intéressement dans les petites entreprises mérite d'être posée. La situation actuelle est bien trop complexe : les chefs d'entreprise s'y perdent. Pour promouvoir l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés qui ne connaissent pas la participation, il faut être incitatif. Prévoyons un intéressement « hors charges » pendant trois ou quatre ans, afin que le chef d'entreprise y trouve lui aussi son intérêt ! Les contrats-types actuels sont encore trop compliqués pour les entreprises de dix à vingt salariés. Il faut simplifier les dispositifs, en associant les chefs d'entreprise à la réflexion.

M. Jean-Luc Fichet . - Qu'en est-il de la formation professionnelle ?

M. Jean-François Roubaud. - Nous finançons la formation professionnelle, et pas seulement pour les salariés de nos entreprises. Le système fonctionne assez bien. Mais c'est avant tout à Pôle Emploi de former les demandeurs d'emploi pour répondre aux besoins des entreprises. Or on nous répond qu'il n'y a pas de candidats !

M. François Patriat , président . - Pour les métiers sous tension ?

M. Jean-François Roubaud. - Impossible de trouver un serveur de restaurant, un maçon, un frigoriste. Pourtant, il suffirait de former pendant quatre mois un titulaire d'un CAP d'électromécanicien pour qu'il trouve un emploi de frigoriste à 2000 euros par mois !

M. Jean-Luc Fichet . - Comment faire pour mieux cibler la formation professionnelle ? Je connais pour ma part un gaillard de 24 ans, qui ne demande qu'à se former, mais auquel on ne propose rien ! Il faudrait que les PME contribuent à former ces personnes sans diplômes.

M. Jean-François Roubaud. - C'est ce que nous faisons, notamment via le contrat de professionnalisation et la préparation opérationnelle à l'emploi, qui comprend une formation de quatre mois.

M. François Patriat , président . - Le ministère du budget annonce la suppression de 800 points de Pôle Emploi, et de 1800 emplois. Comment voulez-vous que les choses s'améliorent ?

M. Jean-François Roubaud. - Je ne suis pas qualifié pour vous répondre. Il est certain que la fusion à l'origine de Pôle Emploi a entraîné des problèmes d'organisation, qui ne sont pas encore résolus, et que le fonctionnement actuel n'est pas satisfaisant.

M. François Patriat , président . - Vous dites que les choses vont mieux avec les douanes. La diminution du nombre d'agents vous aurait donc profité ?

M. Pascal Labet . - Avant le dossier des formulaires de TGAP, il y avait peu ou pas de relation avec la douane. Pour le chef d'entreprise, cette nouvelle facette de l'administration a une traduction concrète. La RGPP a fixé des indicateurs : l'administration est tenue de contacter 1500 entreprises. Une relation s'est tissée sur le terrain, notamment dans le domaine de la contrefaçon, où les entreprises sont désarmées. S'il y a moins d'agents, c'est que l'administration fait mieux avec moins !

M. Michel Bécot . - Sur le plan fiscal, il y a désormais une écoute : c'est un grand pas, c'est de l'excellence territoriale ! L'administration a compris que les TPE et PME avaient besoin d'être accompagnées.

En effet, Pôle Emploi fonctionne mal, malgré la bonne volonté des agents. On ne trouve pas d'électriciens, de frigoristes, de femmes de ménage. Il y a un vrai problème de formation. Qu'en est-il de la formation professionnelle adulte, qui permettait de former des jeunes sans diplôme ?

M. Pascal Labet . - Nous avons connu plusieurs révolutions culturelles. D'abord, la commission Aicardi, en 1987. Ensuite, le rescrit, à la suite du groupe de travail mis en place par M. Woerth. C'est une nouvelle relation. En droit fiscal français, l'impôt est déclaratif. On institue le dialogue : à chacun de jouer le jeu. C'est une vraie révolution culturelle. On propose désormais d'étendre le dispositif au rescrit social.

Le fait d'imputer le crédit d'impôt sur l'impôt sur les sociétés doit-il nécessairement entraîner un contrôle ? La fraude fiscale représente entre 40 et 50 milliards d'euros par an ; on reconnaît enfin que c'est un vrai sujet. Là aussi, les indicateurs retenus sont déterminants.

M. Jean-François Roubaud. - Les PME forment beaucoup de monde, en formation professionnelle adulte, en apprentissage ou en alternance. Avec le gouvernement, nous travaillons à augmenter encore ce chiffre. Il s'agit de développer l'alternance dans toutes les écoles, à tous les niveaux, jusqu'aux doctorants. Reconnaissons que beaucoup de choses fonctionnent, compte tenu que nous ne sommes pas encore complètement sortis de la crise !

M. François Patriat , président . - Les entreprises sont désormais confrontées à la hausse des prix des matières premières.

M. Jean-François Roubaud. - C'est en effet la première préoccupation de nos entreprises aujourd'hui.

M. Pascal Labet . - Cela fait deux ans que la CGPME propose au législateur un amendement pour revenir à une provision pour hausse des prix.

M. Jean-François Roubaud. - Cela donnerait un peu de souplesse.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La RGPP n'a pas pour unique objectif de réaliser des économies : il s'agit également d'améliorer la qualité des services. Selon vous, quelles seraient les pistes à explorer, ou au contraire à éviter ?

M. Jean-François Roubaud. - Je doute que l'on parvienne à un déficit de 3 % en 2013 : nous dépensons trop par rapport à ce que nous gagnons. On ne peut continuer à asseoir le financement de la protection sociale sur les seuls salaires. Je prône pour ma part une flat tax , ou une TVA sociale, mais cela suppose une vraie volonté politique. Il faut réduire les charges pesant sur les entreprises, augmenter le pouvoir d'achat des salariés, si nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation que connaît l'Espagne aujourd'hui. Il faut revoir nos modes de financement pour être plus performants, changer nos habitudes.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie.

M. Claude Guéant,
ministre de l'intérieur, de l'outre-mer,
des collectivités territoriales et de l'immigration

____

M. François Patriat , président . - Nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir dégagé un peu de votre temps précieux pour être auditionné par notre mission. Bien entendu, à chaque audition, nous renouvelons le constat que la réorganisation de l'État et l'optimisation de ses services étaient nécessaires. Notre objectif est d'en évaluer les conséquences sur les collectivités territoriales. Le constat que celles-ci en retirent varie selon leur taille. Les plus grandes, disposant de compétences et de moyens de gestion importants, sont moins affectées que les petites villes et, a fortiori, que les communes rurales. Ces petites collectivités ont besoin de l'État et elles éprouvent un sentiment d'abandon : 84 % des 180 maires interrogés par l'Association des petites villes de France pensent que l'État ne joue plus son rôle. Il faut reconnaître que l'accumulation des cartes à établir -sanitaire, judiciaire, scolaire etc.- gênent sérieusement certaines villes.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration - Je vous remercie de ces mots de bienvenue et je salue le travail de votre mission.

La RGPP était nécessaire pour dynamiser les services publics. En même temps elle est tout à fait compatible avec la recherche d'un meilleur service rendu au public. Elle est née d'une préoccupation majeure, celle de maîtriser la dépense publique en un moment où notre dette atteint 1 600 milliards d'euros et où son service coûte annuellement 45 milliards, soit deux fois le budget de l'Intérieur. Elle repose aussi sur la détermination des agents de la fonction publique auquel je rends hommage pour leur investissement dans cette réforme. Elle a eu pour résultat financier de diminuer de 7 milliards les dépenses de 2011 par rapport à celles de 2009. Mais cette recherche d'économies a toujours été précédée et accompagnée d'une analyse en profondeur du fonctionnement de l'administration. Et cette analyse préalable a permis que l'évolution de l'administration et la diminution de ses effectifs n'affectent pas la qualité des services publics.

Le ministère de l'intérieur a mis en oeuvre 67 réformes : 10 sont déjà appliquées, 44 le sont progressivement, 4 nécessitent encore des ajustements et 3 seulement sont retardées. Entre 2009 et 2011 nous avons gagné plus de 9 000 emplois équivalents temps plein. Nous avons renforcé la présence sur le terrain des forces de sécurité en les recentrant sur leur coeur de métier. Avec le ministère de la justice, nous avons, depuis 2009, développé la visioconférence, ce qui diminue le nombre de transports de détenus, transports gros consommateurs de personnel. Nous avons aussi réduit les forces de sécurité chargées des audiences ou de la surveillance au dépôt, la Justice faisant davantage appel à des réservistes de nos deux ministères ou à des sociétés privées. Nous avons transféré la gestion des centres de rétention administrative de la gendarmerie mobile à la police des frontières. Il faut savoir que, pour une fonction déterminée, il faut un fonctionnaire statique et 1,7 fonctionnaire mobile ou de gendarmerie mobile.

Il est vrai que, souvent, cette réorganisation des services publics peut gêner les élus. Mais, elle est la condition de la pérennité ou de l'amélioration de ces services. En matière sanitaire par exemple, la qualité des soins sur l'ensemble du territoire dépend de leur réorganisation, ce qui passe, souvent, par des restructurations. De même La Poste, une fois transformée, peut apporter des services supplémentaires, bancaires par exemple, y compris au profit de populations auparavant privées d'accès au réseau bancaire.

L'autre objectif de la RGPP, c'est l'amélioration des services rendus. La délivrance des titres est désormais plus sûre et plus commode. Déjà 5 millions de passeports biométriques ont été délivrés, plus de 2 000 communes sont équipées et le délai de délivrance est de 7 jours. Le nouveau Système d'immatriculation des véhicules, après des débuts difficiles a permis d'immatriculer environ 20 millions de véhicules et plus de la moitié des cartes grises ont été délivrées sous trois jours et sans déplacement à la préfecture. Cette délivrance rapprochée a été possible grâce au concours des maires, et les titres délivrés sont plus sûrs. Dans les préfectures le courrier se dématérialise et, à la fin de 2010, 15 % des actes étaient télétransmis et 19 % des collectivités locales étaient raccordées. D'où économies, rapidité et sûreté de la réponse.

Dans un but de rationalisation, la gendarmerie a été rattachée à l'Intérieur en 2009 et il été décidé en 2007 que DST et RG fusionneraient au sein de la DCRI. Avec les RG nous avons supprimé le dernier vestige de police politique qui subsistait en France. Nous avons adapté les zones de compétences des deux corps dont la complémentarité opérationnelle est désormais évidente, comme j'ai pu le vérifier lors de ma visite en Eure-et-Loir, département qui subit des raids de cambrioleurs venus de Paris. Il ya également complémentarité entre les deux corps en matière de ressources humaines, d'immobilier, de commandement ou d'utilisation des hélicoptères. Certains services quotidiens -par exemple les trafics urbains difficiles- sont maintenant exécutés par les deux forces.

Deux autres réformes sont maintenant en préparation. La Direction de la sécurité civile et celle de la prospective et de la planification de la sécurité nationale vont fusionner en une Direction générale de la sécurité civile et des crises, d'ici l'automne. Nous rapprocherons également en un collège les différentes Inspections générales du ministère.

Les collectivités territoriales participent à ces réformes. Le groupe de travail du sénateur Lambert, en 2007, plaidait en faveur d'une clarification des compétences des diverses collectivités, ce que permet la récente réforme territoriale. Nous avons déjà allégé les contraintes normatives pesant sur elles, par le biais de plusieurs lois de simplification du droit. Leurs relations financières avec l'État ont évolué et nous avons fait un effort de péréquation en faveur des communes rurales et de celles qui bénéficient de la DSU. Il y aussi eu une réorganisation entre les différents services régionaux et départementaux.

L'État dispose donc désormais d'une nouvelle administration qui se rénove en permanence. Reste à compléter, à imaginer. Pour les sous-préfectures par exemple dont beaucoup d'anciennes fonctions ont migré vers les préfectures. Très prisées par les élus, elles doivent réinventer leurs fonctions.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les collectivités territoriales, notamment les petites communes, ont le sentiment d'un certain désengagement de l'État et craignent que la diminution de ses effectifs n'aboutisse à un moindre service de celui-ci auprès de ces communes. A un moindre service par exemple en matière d'ingénierie et d'assistance à la maîtrise d'ouvrages. Au sein de notre mission les avis divergent : les uns dénoncent ce désengagement tandis que les autres y voient la conséquence logique des transferts de compétences. Mais si l'État fixe à la RGPP l'objectif de diminuer ses dépenses, on peut craindre que les missions qu'il exerçait autrefois, soient désormais remplies par les collectivités territoriales et, cela, sans que les moyens correspondants aient été transférés.

La RGPP renforce l'échelon régional, via les nouvelles compétences des préfets -conformément au rapport Balladur qui voyait dans la région l'échelon pertinent. Mais la réforme territoriale privilégie l'échelon départemental. N'est-ce pas contradictoire ? Le préfet de région a une mission de coordination de l'ensemble des politiques publiques. A-t-il les moyens de cette coordination alors que les moyens humains et matériels sont très centralisés, ministère par ministère ?

Et si le préfet de région doit coordonner les politiques publiques dans une logique interministérielle, pourquoi ne pas le placer sous l'autorité du Premier ministre et non plus sous celle du ministre de l'intérieur ?

M. Claude Guéant. - La réforme de l'État tire enfin les conséquences de la décentralisation et de la répartition des compétences. Car malgré le vote des grands textes de décentralisation, tout le monde, y compris l'État, continuait à faire un peu tout. Moi-même, lorsque j'étais préfet de Bretagne, je m'occupais parfois de domaines qui relevaient d'autres collectivités.

L'assistance technique aux petites communes continuera. Le problème est de fixer le seuil à partir duquel on a affaire à une « petite » commune. Autre question : est-il bien opportun, ne serait-ce que du point de vue de la réglementation européenne, que ce soit l'État qui leur fournisse leurs moyens d'ingénierie ? Là aussi, mon expérience passée m'a appris que la fourniture de cette prestation par l'État aux collectivités était parfois un frein à la présence sur place de services d'ingénierie, y compris privés, qui auraient pu concourir au développement économique local.

Nous souhaitons conserver le maillage des sous-préfectures. Si l'on excepte le cas bien connu de Boulogne-Billancourt, leur réseau demeurera, même s'il faut, pour cela, renouveler leurs fonctions.

Le choix a été fait de privilégier le niveau régional comme élément de cohérence des politiques de l'État. C'est le préfet de région qui dispose donc des moyens nécessaires. Cette cohérence était indispensable parce qu'une même politique peut être traduite différemment selon les départements. Je me souviens de nos combats en Bretagne pour la qualité de l'eau : les arrêtés de la police de l'eau différaient selon les départements.

Il y a encore des progrès à faire : les ministères ont toujours tendance à gérer de façon verticale les personnels et les politiques. Mais pour les fonctions les plus interministérielles, l'implication du Secrétaire général du gouvernement est forte et cet engagement se traduira sans doute par une organisation de droit commun qui passera au ministère de l'intérieur. Il vaut mieux que les hauts cadres de l'État soient gérés de façon personnalisée, par un ministre, plutôt que, de façon anonyme, par une administration.

M. Didier Guillaume . - Les élus, toutes tendances confondues, sont troublés par cette réorganisation. Par celle de La Poste par exemple ou par la mise en place des Maisons de santé. Le problème n'est pas le même pour des services moins quotidiens. Je n'ai jamais vu de manifestations de citoyens réclamant le maintien de leur perception. Reste que la fermeture d'une perception rurale, la disparition de ses deux ou trois agents et de leurs enfants, peut concourir à faire fermer des classes, puis l'école.

Pourquoi ne pas délocaliser le travail plutôt que les agents ? En région urbaine les comptables - de services hospitaliers, d'organismes HLM etc. - sont surchargés. L'informatisation permettrait de délocaliser leur travail.

J'accorde que l'aspect régional est essentiel et que le préfet a un rôle de coordination. Mais prenons garde à ce qu'il ne devienne pas un sous-préfet de région. Le rôle d'ingénierie du sous-préfet est indispensable en zone rurale ou par exemple dans mon département qui compte 100 communes de moins de 50 habitants.

Ne peut-on envisager une gestion différenciée entre les zones urbaines et rurales ? Notre République « une et indivisible » est aussi « diverse ».

Envisagez-vous d'aller plus loin dans la clarification des compétences ? A-t-on encore besoin, maintenant que les ARS sont en place, que les ex-DASS restent dans les départements ?

Le gel des dotations et l'augmentation des dépenses sociales départementales laissent peu de marge de manoeuvre pour assurer le travail d'ingénierie. Le gouvernement envisage-t-il de nouvelles avancées -en matière de compétences et de ressources- pour assurer une meilleure cohésion sociale ?

M. Raymond Couderc . - A en juger par les dernières perspectives en matière de croissance et de taux de chômage, il semble que cette politique de maîtrise des dépenses publiques est opportune. Et il était nécessaire de clarifier les différents échelons de compétences. Mais l'État n'aurait-il pas dû, au lieu de préparer sa réforme tout seul, le faire en concertation avec les collectivités territoriales, puisque cette RGPP a de notables conséquences sur celles-ci ?

Mme Michèle André . - Les sous-préfets nous disent qu'ils ont du mal à continuer à faire du conseil, qu'ils ne font quasiment plus de contrôle de légalité et qu'ils s'interrogent, lorsqu'ils ne disposent plus que d'un fonctionnaire de catégorie A, sur la possibilité de remplir leur mission de conseil. Certains vont aussi, chaque matin, travailler en préfecture... Quelle est votre doctrine à ce sujet ?

Sur le contrôle de légalité : un personnel moins nombreux ne peut que contrôler moins d'actes, ce qui pose des problèmes aux élus.

Sur les titres : les photographes attendent un décret qui mette fin à la prise de photographies en mairie. Quand sortira ce décret et quand sera mise en place la carte nationale d'identité biométrique et électronique ? Actuellement 2 000 communes assurent la prise des empreintes et la démarche du CERFA mais ce ne sont pas les communes de naissance. Faudra-t-il modifier le réseau ? Certaines communes pourraient délivrer ces cartes d'identité avec le même matériel mais cela risque d'être plus compliqué dans les grandes.

Mme Catherine Deroche . - Le rapprochement entre police et gendarmerie a tout d'abord suscité des inquiétudes mais j'ai récemment entendu le responsable de la gendarmerie du Maine-et-Loire le qualifier de très positif. Ce rapprochement connaîtra-t-il d'autres évolutions ? On entend la gendarmerie et la police se plaindre d'avoir à gérer les procurations électorales. Quelle autre solution peut-on envisager ? On demande le maintien des sous-préfectures en zone rurale mais il faudrait définir précisément leurs nouvelles fonctions.

M. Adrien Gouteyron - Où en sont les schémas régionaux pour l'immobilier de l'État ? Tout le territoire est-il couvert ?

Question du maire d'une petite commune : l'organisation de la gendarmerie en comités de brigades peut varier. Dans mon département, on peut les redéfinir. Comment y associer les élus ? Autre problème : le maire n'a d'autre moyen, pour exercer ses pouvoirs de police, que de faire appel aux gendarmes. Or, ceux-ci sont de moins en moins disponibles...

M. Claude Guéant. - Je dis clairement que les sous-préfectures doivent être maintenues, sauf exception en cas de consensus local. Cela pose évidemment la question de leurs missions. Elles sont un représentant de l'État, proche des maires, des citoyens, des associations. La difficulté vient de ce qu'elles avaient auparavant deux missions : le conseil juridique ou contrôle de légalité et la délivrance des titres. Le transfert du contrôle de légalité à la préfecture permet un contrôle plus pointu. Auparavant ce contrôle de légalité était souvent fait par deux agents non spécialisés, perdus dans le dédale des différentes règlementations. Des agents plus compétents sont garants d'une meilleure sécurité juridique. A l'avenir les sous-préfectures pourraient être les relais des politiques prioritaires de l'État ; la transition ne serait pas facile car les agents des sous-préfectures étaient des agents d'exécution et, lorsqu'on a fait toute sa vie des cartes grises, on ne s'improvise pas conseiller en matière d'emploi.

Monsieur Guillaume, l'informatisation, la télétransmission et le télétravail permettront en effet de délocaliser le travail. J'ai vu une sous-préfecture faire la sous-traitance d'une préfecture. Dans la sous-préfecture de Châteaubriant, trois agents travaillent sur la délivrance de titres, comme s'ils étaient à la préfecture, ce qui a évité leur déménagement.

Mais les services de l'État n'ont pas tous vocation à réaliser l'aménagement du territoire : la carte militaire, par exemple, n'est pas faite pour ça. Et la réforme de la DGFIP, avec la disparition de certaines trésoreries démontre que, lorsque plusieurs services sont rassemblés en un même lieu, le service public est amélioré. Faut-il aller plus loin, par exemple dans le secteur de la santé ? Les anciennes DASS ne représentent que peu d'agents. La question est posée mais l'État doit disposer d'un minimum de masse critique pour pouvoir réagir lors de circonstances exceptionnelles.

Monsieur Couderc, vous demandez si la concertation avec les collectivités a été suffisante. Si vous posez la question, c'est qu'elle n'a pas été suffisante. On aurait dû faire davantage, y compris avec les agents de l'État qui peuvent être fiers des réformes accomplies.

Monsieur Gouteyron, il peut y avoir des variations dans l'organisation des comités de brigade. Il faut que cela se fasse en lien étroit avec les élus. J'ai demandé aux commandants de brigades de gendarmerie d'informer davantage les élus de l'activité de leur brigade et de l'actualité de la sécurité telle qu'ils la ressentent.

Madame André, la carte nationale d'identité électronique sera l'occasion d'implanter 300 stations supplémentaires. Le décret sur les photographies est au Conseil d'État, il sera publié avant l'été et le 31 décembre 2011 sera le dernier jour des photos en mairie. La proposition de loi Lecerf sur la protection de l'identité passera le 31 mai devant le Sénat. C'est un texte important.

Madame Deroche, je vous confirme que les rapports entre police et gendarmerie sont excellents et que c'est un plaisir de constater leur esprit de collaboration.

J'ai cité un exemple tout à l'heure, mais il y en a bien d'autres.

Les gendarmes sont extrêmement attachés à leur statut militaire. Le gouvernement aussi. Bien sûr, la distribution des rôles doit être équitable. Je m'y attache.

M. François Patriat , président . - Conjuguer la RGPP, la réforme de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités territoriales : telle est source des difficultés. On peut donc s'interroger légitimement sur l'opportunité d'une pause.

D'autre part, nous ne connaissons pas la répartition par départements des suppressions de postes opérées dans les ministères.

M. Claude Guéant . - Je vous les communiquerai.

Comme vous le savez, 15 escadrons de gendarmerie mobile ont été dissous ou doivent l'être. Pour l'essentiel, les postes seront affectés à la gendarmerie départementale, la pacification des rapports sociaux permettant de privilégier la sécurité au quotidien.

Jeudi 26 mai 2011

MM. Emmanuel Rébeillé-Borgella, secrétaire général
et Marc Nielly, chargé de mission RGPP,
du ministère de la justice et des libertés

____

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - Je vous présente les excuses du président Patriat, qui anime cette mission sur la RGPP et que je tenterai de remplacer aujourd'hui. Monsieur le secrétaire général, nous vous avons demandé de venir nous exposer les conséquences de la RGPP sur le monde judiciaire. Nous en avons déjà quelques aperçus après notre visite auprès de juridictions de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. La Première présidente, le parquet et le bâtonnier nous ont déjà donné quelques avis.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella, secrétaire général du ministère de la justice et des libertés. - Nous adresserons au Sénat, à la fin de la semaine prochaine, la réponse écrite, et notamment chiffrée, au questionnaire que vous nous avez envoyé. A la différence des autres ministères, à la Justice, la RGPP n'avait pas pour objectif premier de réduire les effectifs mais plutôt de rationaliser leur répartition. Si elle a surtout concerné les fonctions support, les trois secteurs du ministère que sont le monde judiciaire, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ont été diversement affectés. L'administration pénitentiaire bénéficie d'un programme de construction d'établissements et, dans le monde judiciaire, compte tenu de la nécessité de renforcer les juridictions, la RGPP, n'a pas eu pour objectif la règle du « un sur deux ». La réduction des effectifs a donc été partielle.

Passés la première réaction et les commentaires suscités par la réforme de la carte judiciaire, la RGPP est nonobstant perçue aujourd'hui de manière parfaitement positive. J'ai pris mes fonctions il y a neuf mois et je constate que parmi les professionnels, chefs de cour et de juridiction, les données macroéconomiques comme la nécessité de maîtriser la dépense publique, de rationaliser et d'améliorer le service rendu et, sinon l'efficience, du moins l'efficacité, sont maintenant beaucoup mieux admises. Il n'en va pas de même dans toutes les organisations syndicales...

Les chefs de cour portent désormais un jugement positif sur la réforme de cette carte, estimant qu'elle a permis un indispensable recalibrage des moyens humains affectés à certains tribunaux d'instance et de grande instance, et de mieux les répartir là où ils étaient nécessaires. Cette approbation n'est pas forcément exprimée publiquement, mais, dans les discours de rentrée de TGI ou de cour d'appel, on ne discerne plus de désapprobation de principe, alors même que 170 tribunaux d'instance ou de proximité ont été supprimés, ainsi que 23 TGI. Nous n'avons pas encore pu mesurer le gain en termes d'efficacité, c'est-à-dire de raccourcissement des délais de jugement dans les juridictions qui ont été renforcées, car la réforme de la carte des tribunaux de grande instance n'a été achevée qu'à la fin de 2010. Pour quelques uns des tribunaux d'instance, dont la réforme a été terminée un an auparavant, je pourrai vous fournir l'évolution des délais de traitement des dossiers au civil et au pénal.

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - La majorité des élus que nous avons rencontrés nous ont dit avoir souffert du manque de concertation : ils ont subi la RGPP. J'ai entendu des maires, des présidents d'intercommunalité s'offusquer de la fermeture de leur TGI ; lorsqu'elle s'est ajoutée à celles résultant de la réforme des cartes sanitaire et militaire, ils considéraient que leur collectivité était sinistrée. En réalité, comment cela s'est-il passé avec les élus ?

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - On avait mis en place un dispositif à deux étages. En interne, les chefs de cour avaient mission de se concerter avec leurs personnels et avec les professions judiciaires. Quant aux préfets, ils ont été chargés d'organiser la concertation avec les élus et les chambres consulaires. Cela a été fait, avec plus ou moins de zèle selon les cours et selon les régions administratives. La suppression des tribunaux d'instance a en effet pu poser des problèmes d'accès au droit auxquels le ministère tente de remédier en installant, en liaison avec les collectivités locales. Nous créons des Maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées des TGI. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela constitue une compensation, une contrepartie ; simplement, nous mettons en place ces Maisons « nouvelle génération », travaillant avec les 94 centres départementaux d'accès au droit, là où elles paraissent nécessaires et dans la mesure du possible. Actuellement il y a 196 de ces Maisons : les nouvelles sont mieux informatisées, les collectivités locales leur fournissent le local, le ministère finance à 85 % les travaux et aménage les dispositifs informatiques. Les tribunaux d'instance ont été supprimés lorsque leurs magistrats étaient trop peu nombreux donc trop peu spécialisés pour organiser un service suffisant. Il y avait des raisons objectives, indépendantes de la RGPP.

Si je comprends la réaction des élus locaux, je ne peux personnellement qualifier le processus de concertation dans son ensemble.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - En quoi la carte judiciaire, la visioconférence et la dématérialisation des procédures ont-elles simplifié et amélioré la vie du justiciable ? Les différentes cartes (judiciaire, sanitaire, etc.) se chevauchent. Lors de l'élaboration de la carte judicaire y a-t-il eu des échanges avec les autres ministères ?

J'ai cru comprendre que le transfèrement des détenus serait désormais assuré par l'administration pénitentiaire. Où en est-on ? Et les moyens autrefois affectés à la police et à la gendarmerie pour cette mission ont-ils été transférés à la Justice ?

Quelles mesures de mutualisation le ministère envisage-t-il pour les cours d'appel et les autres juridictions ? On n'a pas beaucoup touché aux cours d'appel. Leur organisation était-elle parfaite ?

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Pour l'usager, l'intérêt de la RGPP, c'est-à-dire du renforcement et du regroupement des juridictions, de leurs effectifs et de leurs moyens se mesure à la rapidité des jugements rendus. On ne peut en revanche quantifier ce qui a été perdu en termes de qualité du fait des suppressions. Cassiopée, qui n'est pas une chaîne applicative dématérialisée, n'a pas d'impact direct sur les usagers ; elle vise seulement à mieux organiser les données de base de la procédure pénale et à ainsi permettre aux acteurs des juridictions de mieux fonctionner. Elle n'a donc que des effets indirects en termes de capacité de traitement des dossiers et de diminution du stock de peines à exécuter -Le ministre M. Michel Mercier y est très vigilant.

Nous faisons un gros effort pour équiper les établissements pénitentiaires et les juridictions pour la visioconférence, qui améliore sensiblement le travail entre la justice et les professionnels, entre les juridictions et la police, la gendarmerie ou l'administration pénitentiaire. Les professions judiciaires pourraient également l'utiliser, mais magistrats et avocats ont une réticence culturelle à l'encontre de la visioconférence à laquelle ils reprochent de supprimer le contact avec le détenu, qui est parfois nécessaire. Pour l'instant, cette pratique n'a pas eu d'effet direct sur les usagers. En revanche, nous mettons en place des dispositifs informatiques, par exemple dans la gestion des majeurs protégés sous tutelle, afin d'échanger les informations nécessaires. Et nous préparons un portail grand public d'accès aux juridictions qui permettra aux usagers d'avoir toutes informations sur le fonctionnement de ces juridictions et sur les procédures. Un GIP a été créé avec la Caisse des dépôts et consignations. Nous tentons de le programmer pour 2013 mais le budget ne suit pas. Ce portail serait pourtant d'autant plus nécessaire que l'Union européenne a le projet d'en faire un pour les usagers des justices européennes et que la France est pilote dans cette affaire.

La carte judiciaire ne correspond pas à la carte administrative puisqu'il y a en métropole 30 cours d'appel contre 22 régions. La carte de l'administration pénitentiaire et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est différente de celle de droit commun. Pour l'administration pénitentiaire, il y a 9 Directions interrégionales (c'est le niveau zonal), mais pas de structure départementale, le nombre d'établissements étant variable selon les départements. La RGPP a rationalisé la carte de la PJJ en supprimant les petites directions départementales qui étaient sous le seuil critique : maintenant, il n'y a plus que 50 directions départementales ou interdépartementales pour la PJJ. Les services de probation et d'insertion sont départementalisés.

La carte des cours d'appel a été étudiée place Vendôme. On a décidé de ne pas en réduire le nombre en raison de l'impact que cela aurait sur les personnels et sur la charge de travail qui retomberait sur les cours d'appel appelées à grossir ; à cela s'ajouterait le coût de l'immobilier et les frais de fonctionnement de grosses cours d'appel, soit de 800 millions à 900 millions. Si on ne prévoit pas de réorganiser leur carte pour la rapprocher des 22 régions administratives, on a, en revanche, créé 18 plateformes Chorus pour les 35 cours d'appel. Et il n'est pas exclu que nous réduisions aussi le nombre de centres Chorus pour les services judiciaires, en mettant en place des plateformes interrégionales de service pour mutualiser les moyens et effectifs dans les fonctions immobilier, ressources humaines, action sociale, formation et handicap. Sur les fonctions budgétaires et comptables, il y aura une seule plate-forme Chorus pour gérer les quatre grands programmes du ministère.

Il n'y a pas adéquation principielle entre Justice et Santé. Ces ministères n'ont pas travaillé à coordonner les cartes judiciaire et sanitaire.

Un arbitrage a prévu qu'à partir de 2011, les transfèrements et extractions seraient assurés par l'administration pénitentiaire, ce qui a des conséquences sur les moyens et effectifs, sur l'organisation entre établissements pénitentiaires et juridictions, et sur l'utilisation de la visioconférence. Les ministères de la Justice et de l'Intérieur diffèrent dan l'appréciation des moyens et effectifs nécessaires pour ces transfèrements. Le chiffre acté est de 800 ETP, ce qui nous semble un peu sous-évalué. Le nouveau dispositif sera mis en place dans les cours d'appel de Metz, Nancy, Riom et, en fin d'année, à Caen. Depuis avril une expérimentation est en cours à Épinal et entre Moulins et Cusset, qui permettra d'apprécier les chiffres réels.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Votre ministère, avez-vous dit, n'est pas affecté par la règle du « un sur deux ».

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Sauf pour les fonctions support.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Donc, vous conservez vos effectifs. Aurez-vous 800 ETP supplémentaires  pour le transfèrement ? Si ce chiffre est sous-évalué, vous serez obligés de prendre le différentiel sur vos effectifs actuels.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Il s'agit de 800 postes transférés. Pour ces extractions judiciaires, la situation en matière d'ETP est tendue. L'utilisation de la visioconférence éviterait des transfèrements inutiles. Mais cela exige de sensibiliser les magistrats qui n'y sont pas tous favorables. Et cette nouvelle tâche de l'administration pénitentiaire exige un très lourd travail d'organisation et de planification entre cette administration, les juridictions et les magistrats instructeurs. C'est une lourde charge pour les responsables de juridiction qui doivent estimer la longueur de chaque audience.

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - Les élus locaux jugent que la nouvelle carte prive les justiciables de services de justice de proximité. Les justiciables doivent faire des kilomètres pour répondre à une convocation, alors même qu'ils sont déjà dans une situation sociale précaire. On s'expose à constater de plus en plus de non-réponse aux convocations.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Le ministère, conscient du problème, envisage en compensation de densifier le réseau des Maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées d'un tribunal d'instance ou de grande instance. Mais on ne peut nier que c'est une compensation insuffisante. L'objectif est de trouver le bon équilibre entre taille critique des juridictions et accessibilité à la justice pour tout usager. En 2010 et 2011, nous créons 16 nouvelles Maisons. Les services de probation et d'insertion, eux, sont organisés sur une base départementale depuis 1999 et la RGPP n'a pas eu d'impact sur eux.

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - Mais ils sont rattachés à des tribunaux. Et ces tribunaux sont transférés ! Par exemple, on a fermé le tribunal d'instance de Morlaix. Il faut désormais aller à Brest, et on a invité les antennes du Service pénitentiaire d'insertion et de probation à suivre le tribunal d'instance à Brest, ce qu'elles ont fait. Les bornes interactives sont installées dans des locaux multiservices. C'est une difficulté supplémentaire pour les justiciables. Finalement, les frais économisés par les tribunaux sont maintenant payés par l'usager. Le manque de contact nuit à l'essentiel, la relation du justiciable avec le juge et l'avocat.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - C'est pour cela que nous tentons de mettre en place la visioconférence de façon mesurée car, en effet, à certains stades de la procédure, il faut un contact direct entre magistrat et prévenu. La Cour européenne des droits de l'homme a émis une prescription à ce sujet. Mais il y a certaines autres étapes de la procédure où il est vraiment inutile d'extraire le détenu, d'autant qu'il peut, pour donner un renseignement, rester une journée entière dans l'enceinte du tribunal dans un lieu guère plus agréable que sa cellule ; sans parler des risques que comporte toute extraction. Même s'ils ne fétichisent pas la visioconférence, les services judiciaires sont beaucoup plus équipés en la matière que les commissariats -ce qui, d'ailleurs, pose un problème pour la réforme de la garde à vue.

M. François Fortassin . - Citoyen et justiciable, je constate qu'on reproche à la justice d'être lente et d'utiliser un galimatias tel que le justiciable moyen devient un Béotien ne comprenant ni pourquoi il est condamné, ni pourquoi il est acquitté. D'autant que l'immense majorité des prévenus est souvent d'un bas niveau socioculturel. Ya-t-il eu amélioration sur ces deux points ?

Sur les transferts : serait-il inconcevable de déplacer les magistrats, plutôt que les détenus ? Il y aurait dans chaque maison d'arrêt une pièce prévue pour cela, qui ferait office d'annexe du tribunal. Et on n'aurait pas besoin du concours de forces de police ou de gendarmerie. Je m'étonne qu'on n'ait pas pensé à faire cette économie...

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Il y a la procédure judiciaire et les perceptions subjectives. Le droit imposant une technique, le vocabulaire juridique restera toujours décalé par rapport aux connaissances des justiciables. Dans les procès pénaux, certains magistrats font l'effort d'expliquer la logique de la décision, afin qu'elle soit bien comprise. Mais il est vrai que l'explicitation des décisions de justice pourrait être améliorée afin qu'elles soient traduites dans un langage plus accessible au commun des mortels.

M. François Fortassin . - Dans un langage moins ésotérique.

M. Marc Nielly, chargé de mission RGPP au ministère de la justice et des libertés. - Cet effort a été fait récemment pour le classement sans suite : on a conservé les termes juridiques mais on les a aussi traduits. C'est maintenant systématique.

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - L'élu que je suis reçoit souvent en mairie des justiciables qui me présentent leur courrier en me disant : « je n'y comprends rien ! ».

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Un gros effort a été fait pour l'accueil des justiciables dans les juridictions. On les renseigne sur l'aide juridictionnelle, sur les délais avant une convocation etc. Des ETP sont consacrés à cette tâche. J'ai constaté la semaine dernière qu'au TGI de Mulhouse quatre personnes sont employées en permanence à aiguiller le justiciable.

Déplacer les magistrats dans les prisons plutôt que les détenus dans les tribunaux ? Le juge d'application des peines se déplace dans les établissements pénitentiaires parce que c'est consubstantiel à sa mission. Mais ce serait beaucoup plus difficile à obtenir des magistrats instructeurs. A l'heure actuelle, c'est peu envisageable...

M. Marc Nielly. - Et les déplacements prendraient au magistrat instructeur un temps précieux, ce qui réduirait considérablement son rendement et sa capacité à traiter rapidement les dossiers.

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - On voit aussi cela pour le temps médical.

M. François Fortassin . - Mais parfois, on fait déplacer un détenu pour une signature !

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Les avocats, tout autant concernés, restent aussi au tribunal. Le déplacement en prison est étranger à leur pratique professionnelle. Leurs objections d'organisation et de principe sont les mêmes que pour les magistrats.

M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - La proposition est un peu provocatrice pour la culture professionnelle des magistrats, mais quelles conséquences la RGPP a-t-elle eues sur les avocats. ? Et comment voyez-vous la suite de cette RGPP dans le monde judiciaire ?

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Un gros chantier est actuellement engagé dans les services judiciaires. Il vise à décomposer et rationaliser les processus de gestion des affaires civiles, sociales, pénales, commerciales, etc., pour les rendre plus efficaces et parvenir à des économies. Soutenu par la Direction générale de la modernisation de l'Etat, il n'est pas spécifique au ministère de la justice. Engagé en 2010 dans les cours d'appel de Poitier, Rouen et Montpellier, il sera étendu en 2011 et 2012 à une quinzaine d'autres cours d'appel et à une trentaine de TGI. Ces processus visent à expertiser la façon dont le travail se fait dans les juridictions et, dans les trois cours d'appel expérimentales, il a permis d'économiser 20 % du temps de travail. Ce chantier d'envergure qui permet d'améliorer la rapidité des services, suppose la remise en cause des pratiques professionnelles, notamment dans le sens d'un travail plus collectif entre les magistrats et les greffes comme entre les différentes chambres. Au final, cela peut bénéficier au justiciable du fait que cela permet de traiter plus rapidement les dossiers et d'économiser des emplois lesquels peuvent être mieux utilisés ailleurs. Au départ, les magistrats des cours d'appel et des TGI étaient un peu réservés, considérant qu'il s'agissait là d'une application technocratique de méthodes pensées pour le privé par des cabinets de conseil. Avec le temps, leur avis devient plutôt positif et c'est pourquoi nous avons étendu l'expérimentation. Le bilan sera plus net à la fin de 2012.

La réforme de la carte judiciaire est terminée.

Il faudra maintenant mesurer les apports de Cassiopée et autres dispositifs informatiques. Le portail grand public, encore soumis à des arbitrages budgétaires, pourrait avoir des effets très importants pour le grand public.

Mercredi 1er juin 2011

M. Guy Vasseur,
président de l'assemblée permanente
des chambres d'agriculture (APCA)

____

M. François Patriat, président. - Après avoir auditionné les autres chambres consulaires, il nous est apparu important d'entendre les chambres d'agriculture pour connaître leur appréciation sur la nouvelle organisation de l'État. Celle-ci est-elle vécue comme une clarification supplémentaire pour vos adhérents ?

M. Guy Vasseur, président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). - Les chambres d'agriculture ont été amenées à se réformer, en raison de la RGPP mais pas seulement. Notre objectif est de proposer une organisation de proximité à nos adhérents tout en prenant en compte la nouvelle organisation de l'État.

Le bilan que nous faisons de la mise en place des nouvelles directions départementales des territoires (DDT) est contrasté. Nous distinguons trois approches. La première est positive lorsque le directeur de la DDT est l'ancien directeur départemental de l'agriculture. La seconde est plus négative lorsque le nouveau directeur de la DDT est l'ancien directeur départemental de l'équipement : les relations sont plus difficiles. Enfin, la troisième approche concerne le cas où le nouveau directeur de la DDT est l'ancien directeur départemental de l'agriculture, qui consacre plus de temps à ses nouvelles missions liées à l'équipement et, par voie de conséquence, délaisse ses missions relatives à l'agriculture.

Selon nous, la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE) n'a ni renforcé, ni diminué l'action de l'État dans les départements. La réforme de l'État ne constitue pas une avancée significative pour nos adhérents.

M. François Patriat, président. - Le monde agricole a-t-il le sentiment que l'État s'éloigne, se rapproche de lui, ou bien est-on dans la même situation qu'auparavant ?

M. Guy Vasseur. - Le monde agricole a plutôt le sentiment que l'État s'est éloigné. Encore faut-il distinguer les responsables professionnels des agriculteurs. Les premiers pensent que l'État s'est effectivement éloigné tandis que les seconds n'en ont pas encore conscience, sauf peut-être à travers la dématérialisation des procédures. Nous sommes favorables à celle-ci car elle permet d'alléger la tracasserie administrative à laquelle nous devons faire face. Toutefois, nous estimons que son développement est trop rapide, car tous les agriculteurs ne sont pas équipés d'Internet ou n'ont pas accès au haut débit. C'est pourquoi nos organisations ont mis en place un certain nombre d'actions afin de permettre à nos adhérents de s'inscrire dans ces démarches dématérialisées. Celles-ci doivent se faire par étape. Si elles permettent d'engranger des économies pour l'administration, elles sont également source de charges supplémentaires pour les agriculteurs, qui peuvent être amenés à se déplacer auprès de leur DDT pour disposer de précisions sur leur notification PAC, notamment pour ceux n'ayant pas accès à Internet.

La dimension « aménagement du territoire » n'a pas été prise en compte par la RGPP. La nouvelle carte judiciaire n'a que peu d'impact sur le monde agricole. Pour les hôpitaux, il est nécessaire de préserver les secours de proximité mais, dans le même temps, le manque d'équipements ou de compétences ne doit pas aggraver le cas clinique du patient. Il faut trouver un équilibre entre le fait que chaque citoyen bénéficie d'une qualité de soins et la proximité des premiers secours. Il faudra nécessairement renforcer la présence médicale de proximité : il est en effet impensable que certains citoyens soient à plus d'une heure d'un établissement hospitalier. En outre, on constate que la réduction de la présence des gendarmes sur le terrain conduit à une hausse de l'insécurité. Les exploitations agricoles sont menacées en raison de leur isolement, d'où des vols de fioul, des dégradations de cuivre, etc. Sur la question de la carte scolaire, l'absence ou la fermeture d'écoles représente des handicaps pour les agriculteurs et, plus généralement, pour le monde agricole. Il s'agit même d'une question essentielle pour nous, avant celles liées à la santé et à la sécurité. Les jeunes agriculteurs souhaitent disposer des mêmes services que les autres actifs.

La RGPP a certainement conduit au rétrécissement des missions traditionnelles de conseil de l'État aux collectivités territoriales, ce qui a des conséquences pour le monde agricole. On peut toutefois s'organiser autrement pour y faire face. Nous ne sommes pas convaincus que l'intercommunalité soit la réponse à ce désengagement de l'État. Certaines intercommunalités souhaitent prendre en charge le développement agricole : il n'est pas certain que cela conduira à une meilleure rationalisation de l'utilisation de l'espace et des deniers publics. Tout dépend de leur taille mais l'ingénierie devrait plutôt être assurée au niveau départemental, en raison des transferts dont ont bénéficié les conseils généraux au cours des dernières années.

Le financement n'est effectivement pas assuré pour les aides A.S.A. Il y a un désengagement de l'État en la matière. Nous acceptons certains transferts de la part de l'État mais il ne faut pas que ce dernier se désengage totalement de l'accompagnement administratif de l'installation des jeunes agriculteurs. Les Chambres d'agriculture ne peuvent pas augmenter les taxes à due concurrence pour y faire face. Au demeurant, on ne peut pas nous demander de réduire la voilure et, dans le même temps, d'assurer de nouvelles missions telles que l'apprentissage, sans transfert de moyens. Malgré l'accompagnement financier de l'ONEMA, les chambres d'agriculture ne peuvent pas tout assumer financièrement.

La RGPP n'a pas de conséquences sur les métiers agricoles. Il en sera peut-être autrement demain mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, nous ne pouvons pas établir aujourd'hui si, globalement, la RGPP a réduit la qualité des services publics locaux et ce qu'il faudrait faire pour l'améliorer. Il est trop tôt pour le dire.

La gestion de l'eau n'est plus du ressort des DDT ou, plus généralement, du niveau départemental, mais relève désormais du niveau régional. C'est pourquoi les chambres d'agriculture devront être présentes à ce niveau là. Dans le même temps, cette nouvelle organisation doit s'accompagner d'un renforcement de notre présence auprès de nos adhérents, car l'utilité passe également par la proximité et la compétence. Certaines compétences n'existeront plus au niveau départemental mais devront l'être soit au niveau régional, soit au niveau interdépartemental.

M. François Patriat, président. - Lors de notre récent déplacement dans le Nord, nous avons constaté que les chambres départementales du Nord et du Pas-de-Calais et la chambre régionale sont en train de fusionner pour créer une chambre de région. On constate ainsi que les chambres consulaires privilégient le niveau régional alors que le poids départemental a été renforcé par la récente réforme des collectivités territoriales.

M. Guy Vasseur. - Nos démarches de réorganisation demeurent ouvertes et relèvent de la responsabilité des professionnels du monde agricole. Notre démarche, que nous avons appelée « Terres d'avenir », vise à renforcer le niveau régional. Dans le même temps, nous devons proposer de la proximité à nos adhérents. Compte-tenu de la diminution du nombre d'agriculteurs et de leurs préoccupations plus pointues, nous devons acter certains désengagements. C'est le cas pour le référent porc, qui existait dans chaque département, ce qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui. Les spécialistes doivent être aujourd'hui soit au niveau régional (mais pas forcément dans le chef-lieu de région), soit au niveau interdépartemental, pour renforcer à la fois les niveaux régional et départemental. Ainsi, les chambres de Savoie et de Haute-Savoie sont en train de fusionner, il en est de même pour celles du Doubs et du Territoire-de-Belfort. La proximité et la performance sont nos maîtres-mots.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je vous remercie pour vos réponses très complètes.

L'État a réorganisé ses services avec une vision régionale alors que l'échelon départemental a été renforcé par la loi de réforme des collectivités territoriales. Les compétences entre le niveau régional de l'État, d'une part, et celles du niveau départemental et des unités territoriales, d'autre part, sont-elles suffisamment claires ? En cas de difficultés, quelle est l'instance d'arbitrage ?

M. Guy Vasseur. - Aujourd'hui, notre interlocuteur est le préfet de département, même pour les problématiques de l'eau qui relèvent pourtant de l'échelon régional. Nous savons bien que le préfet de département et les DDT n'ont plus de pouvoirs administratifs mais nous devons quand même passer par eux.

Le législateur a renforcé l'échelon régional via la RGPP. Toutefois, nous avons besoin de réactivité sur certains problèmes particuliers ou locaux. Nous constatons en effet que nos interlocuteurs sont plus faciles à convaincre au niveau départemental qu'au niveau régional, ce que nous regrettons. Cette situation est certainement liée à une implication moins forte des conseils régionaux sur le terrain.

Mme Jacqueline Gourault. - Le législateur n'a pas légiféré sur la RGPP mais seulement sur la réforme territoriale. Les compétences attribuées aux régions sont antérieures à la réforme des collectivités territoriales. Mais il est naturel que la régionalisation des services de l'État induite par la RGPP s'accompagne d'une certaine régionalisation des chambres d'agriculture.

Bien que cette question soit en marge de la RGPP, je souhaiterais savoir si, sur le plan fiscal, la suppression d'une part du foncier non bâti a eu un impact sur le monde agricole ?

M. Guy Vasseur. - Sur la question de la régionalisation des chambres d'agriculture, nous avons l'obligation de nous organiser autrement. Notre objectif est de conserver de la proximité vis-à-vis de nos adhérents, via nos chambres départementales. Nous devons répondre aux nouveaux besoins des agriculteurs en nous organisant autrement.

Nous n'étions pas favorables à la suppression d'une part de foncier non bâti. Malgré les injustices de cette taxe, liées à l'absence de révision des valeurs locatives cadastrales, une telle suppression entraînera inéluctablement l'instauration d'un nouvel impôt. Les agriculteurs doivent en outre contribuer au financement de la vie communale. Par ailleurs, cette réduction fiscale de 20 % n'avantage pas forcément les agriculteurs, car c'est un impôt qui s'adresse aux propriétaires.

M. Gérard Bailly. - J'observe que les techniciens spécialisés relèvent, au niveau des chambres d'agriculture, plus souvent du niveau régional que du niveau départemental.

Je regrette que la DREAL soit également un service de niveau régional, sous l'autorité des préfets de région, ce qui ne permet pas à ses agents d'apprécier justement certaines problématiques locales liées, par exemple, à l'application de Natura 2000 - qui concerne 27 % de mon département - ou des routes forestières. Or, les problématiques liées à l'environnement nécessitent une expertise proche du terrain. N'y a-t-il pas là une lacune à corriger ?

Sur les compétences « urbanisme » des services de l'État, plus particulièrement sur l'instruction des permis de construire, le rapprochement dans les mêmes locaux de ces missions a-t-il simplifié les choses ?

Enfin, les agriculteurs identifient-ils bien leurs nouveaux interlocuteurs avec la mise en place des DDT et bénéficient-ils des mêmes compétences qu'auparavant ?

M. Guy Vasseur. - Les agriculteurs ne rencontrent pas de problèmes d'identification des nouveaux interlocuteurs, car ce sont souvent les mêmes.

En revanche, plus l'expert est éloigné, et plus nous rencontrons de problèmes. Nous partageons votre idée selon laquelle les problématiques environnementales nécessitent de la proximité, que l'on a perdue. C'est un véritable problème par rapport aux citoyens agriculteurs. Il faudra y remédier rapidement, pour éviter certains décalages inacceptables.

M. Jean-Paul Delevoye,
ancien Médiateur de la République,
président du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

____

M. François Patriat, président. - Votre audition est très attendue, suite à l'excellent rapport que vous avez remis récemment au Président de la République. Notre mission a pour objet d'apprécier l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales mais également sur les citoyens dans leurs relations avec les administrations.

M. Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE).  - Mon obsession est de voir comment restaurer l'acteur politique et l'acteur syndical pour accompagner le changement que la société française subit aujourd'hui.

Les événements que connaissent actuellement l'Espagne, la Grèce et les pays d'Afrique du Nord démontrent que, soit les sociétés sont accompagnées dans un changement souhaité et partagé, soit elles ne le sont pas et elles sont secouées par des spasmes émotionnels suicidaires pour leur avenir.

La problématique de la RGPP pose une question complexe : quelle doit être la régulation publique qui permette d'équilibrer une vision de court terme avec une vision de long terme ? Aujourd'hui, les décideurs politiques et économiques doivent faire face à des mécanismes financiers privilégiant la spéculation financière et non le financement des entreprises.

Nous sommes frappés par le constat suivant : les Français ne croient plus au destin collectif de la France mais croient en revanche à leur destin individuel. 33 % de nos concitoyens ont un rejet viscéral de l'administration, non pas parce qu'ils rejettent les fonctionnaires ou les services publics en général, mais parce qu'ils estiment que le modèle de l'ascenseur social n'a plus l'efficacité attendue. Les contraintes de services publics ne sont plus libératrices par rapport à un parcours dans lequel ils ne perçoivent plus leur avenir. C'est pourquoi la question de la régulation publique et de l'offre de services publics est majeure aujourd'hui.

Nous pilotons notre société d'aujourd'hui avec les outils d'hier. L'offre de nos services publics met l'accent sur l'échec des individus et non sur leur potentialité. Toutes nos politiques publiques sont également orientées en ce sens.

L'approche de la RGPP, qui est, ne l'oublions pas, fille de la LOLF, donne une vision purement comptable de la maîtrise des dépenses publiques, qui est aujourd'hui une nécessité. Elle fait perdre le sens de la force collective des politiques publiques, d'une vision politique de notre société. Les débats sur la réforme des retraites ou sur la sécurité sociale démontrent que les débats sont purement comptables. Faire bouger une société sur un projet alternatif doit venir de son chef, non du comptable. Le contribuable a perdu le sens de l'impôt et estime qu'il en paie trop. Le bénéficiaire des aides publiques a également perdu le sens de la solidarité et estime qu'il devrait en recevoir plus. La RGPP ne doit pas faire oublier le sens du service public. Or, aujourd'hui, cette réforme, proposée comme une alternative de qualité du service, est uniquement présentée sous son angle budgétaire. Personne ne peut nier la nécessité de réduire les déficits publics. Mais il faut un vrai débat sur la nature de la dette publique, afin d'éviter de se retrouver dans la situation actuelle de la Grèce, qui doit arbitrer entre la disparition de ses services publics ou la saisie de ses avions. En d'autres termes, le débat public que nous devons avoir est aujourd'hui de savoir comment réduire la dette publique tout en augmentant nos recettes. C'est pourquoi il faudrait s'interroger sur une éventuelle évolution de la LOLF, pour l'adapter à ce nouveau défi. En effet, aujourd'hui, au niveau de la dette publique, il est difficile de distinguer ce qui relève de la dette active, laquelle finance les investissements productifs qui s'accompagnent de retours sur investissements (tels que le grand emprunt), de ce qui relève de la dette passive, laquelle finance les dépenses courantes.

Je ne crois pas au capitalisme d'État mais à l'État capitaliste. Nous devons réfléchir à l'optimisation du patrimoine public, des services publics. Nous devons nous interroger sur la gratuité des services, sur l'optimisation des ressources, par rapport à un projet politique. Quelle devra être la place du service public demain, son périmètre, ses compétences ?

Si la guerre ne se gagne pas avec les généraux, elle se perd avec l'intendance. On ne peut pas demander à des fonctionnaires moins nombreux d'assumer plus de missions, comme c'est le cas actuellement dans le monde judiciaire. Si on décide de réduire la voilure du service public, peut-être faut-il également s'interroger sur la réduction de ses missions. C'est pourquoi j'estime que le contrôle parlementaire sur la capacité des services publics à assumer leur mission devrait être au coeur de la RGPP.

Nous assistons aujourd'hui à une amélioration du service public, en raison de l'accroissement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, en matière fiscale ou avec la SNCF. Toutefois, il faut distinguer le traitement de masse, qui est satisfaisant, du traitement individuel. Beaucoup de concitoyens sont en attente d'un traitement humain de leurs dossiers. L'aveuglement informatique et l'absence de lieux d'écoute créent un traumatisme social. Nous sommes dans un système informatique qui ne permet pas d'accompagner la mobilité géographique, professionnelle, conjugale des individus. Certaines réformes peuvent être complètement remises en cause par ce défaut d'écoute et d'accompagnement. Nous avons ainsi constaté que la Charte Marianne a été mise à mal par la RGPP car la qualité minimale du service à rendre n'était pas atteinte.

Nous avons constaté des améliorations dans certains domaines et une aggravation dans d'autres. Nous avons attiré l'attention sur l'augmentation des délais d'attente pour les étrangers, liée à la diminution des effectifs dans certaines préfectures. Les préfets sont parfois amenés à prendre certaines décisions pour y faire face comme, par exemple, fermer certains après-midi les services préfectoraux. La RGPP aurait du s'accompagner d'une réflexion sur l'ouverture des services publics avec, éventuellement, la mise en place de prises de rendez-vous, comme cela existe dans les hôpitaux. Laisser croire au libre accès des services publics au moment où ils se réorganisent créé des phénomènes de collapsus, contraires à l'intérêt même du service public.

Le refuge derrière les plates-formes téléphoniques nécessite également une réflexion approfondie, en raison des phénomènes générés, liés à l'absence de réponse devant un problème. Récemment, nous avons eu à régler le cas d'une personne handicapée qui, en raison d'un euro supplémentaire de revenu, a perdu le bénéfice de son allocation complémentaire. Le bon sens n'est possible que quand on échange avec un individu, non avec un ordinateur.

Le fonctionnaire n'est pas fier de ce qu'il est amené faire. Or, il est essentiel qu'il retrouve sa fierté dans le cadre du projet conduit par la RGPP. Celle-ci est nécessaire, la réduction des déficits publics est importante, l'adaptation des moyens à l'évolution des services publics est essentielle mais à la condition de prendre le temps de l'appropriation du projet et le temps de la conduite du changement.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie pour la qualité de votre présentation et je ne manquerai pas de réutiliser vos formules le moment venu.

M. Dominique de Legge, rapporteur - Je suis gêné pour poser ma question en raison de la qualité de l'intervention. Je souhaiterais savoir comment peut-on concilier demande de proximité, notamment en matière judiciaire ou de santé, avec une exigence de qualité, dans le cadre d'une société de plus en plus sophistiquée, qui ne peut s'exprimer de la même façon dans chaque commune.

M. Jean-Paul Delevoye. - Vous posez là une question essentielle. On peut concilier les deux. Le décideur politique doit poser les principes de dépenses publiques, ceux des recettes publiques mais également les principes d'organisation du service public. Il existe deux principes républicains qu'il convient de garder à l'esprit : l'égal accès du citoyen au service public, qui n'est pas forcément physique, d'une part, et l'égale qualité des réponses apportées par le service public, qui est incompatible avec l'éparpillement du service public, d'autre part.

Pour être provocateur, j'ai été frappé de constater deux absences du législateur :

- la fusion des collectivités territoriales ne s'est pas accompagnée d'une réflexion sur les conséquences sociales d'une telle politique. Fusionner les structures, c'est bien mais rassembler les hommes et les femmes qui les font fonctionner est plus difficile, comme en témoigne l'exemple de Pôle Emploi.

- on a déconnecté l'organisation politique des territoires de l'organisation administrative.

Or, il aurait fallu s'interroger de la façon suivante : sur notre territoire, quelle est la meilleure organisation de l'offre de services publics que l'on peut imaginer pour nos concitoyens, pour répondre aux exigences de proximité et de qualité. Pourquoi ne pas envisager des communes sans administration et mettre en place des maisons de services publics à l'échelle des pays, avec des urbanistes, des juristes, etc. Il est nécessaire d'avoir de la réactivité, de la sécurité juridique, de la prévention, qui passe par une autre offre de services publics que l'offre actuelle.

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication permettent de concilier proximité et qualité, ce qui pose toutefois des questions en termes d'aménagement du territoire. La dépendance, sur laquelle le Conseil Économique, Social et Environnemental rendra un rapport prochainement, va-t-elle prédéterminer une nouvelle vague de désertification rurale ? En effet, le logement non adapté aux personnes âgées, la disparition de services de proximité risquent d'être à l'origine d'une incitation à revenir dans les bourgs-centre. Ou bien, au contraire, les nouvelles technologies vont-elles permettre le maintien à domicile en permettant une nouvelle forme de service public ? A une nouvelle société correspond une nouvelle offre de service public, ce qui nécessite de décrocher le service d'un territoire, afin d'éviter que chacun se sente propriétaire de sa maternité, de sa mairie, pour favoriser la concentration des compétences qui est un élément de réflexion central de la meilleure offre de service public.

La question proximité / qualité est un vrai sujet. Il faut permettre un accès aux services publics pour chaque personne et non favoriser des services publics dans chaque commune. Le maire est un guichet d'accès de proximité, permettant d'accompagner des personnes dans des démarches administratives de plus en plus complexes.

Sur la RGPP proprement dite, pourquoi ne sommes-nous pas capables d'avoir une réflexion au niveau régional, entre l'État, les collectivités territoriales et les différents services publics, pour organiser une offre globale et cohérente de services publics au lieu d'avoir une offre par service ? La France est un pays où la défense des structures l'emporte sur l'adaptation des structures à la société. Nous assistons aujourd'hui à un problème de gouvernance et de dialogue social. Il est nécessaire que tous les acteurs, politiques, syndicaux, etc., s'approprient l'idée de modifier l'offre de services publics. La RGPP pourrait dans ce cadre retrouver tout son sens, avec un objectif clair. Or, la pression sur le budget est forte. Elle est en revanche faible sur le dialogue social. Beaucoup de fonctionnaires subissent la RGPP sans en comprendre le sens. Ainsi, ils ne sont pas acteurs du changement. Or, il faut retrouver fierté et sens du service public. Ceci passe également par une révision culturelle des élus locaux. Je n'ai jamais compris pourquoi des élus se battaient pour le maintien de maternités dans lesquelles ils n'enverraient jamais leurs épouses. La RGPP pourrait être un outil de responsabilisation des acteurs, d'accompagnement au changement, en permettant la mobilisation des agents publics. Nous devons tous être conscients que nous ne pouvons plus jouer avec les services publics ou l'argent public.

Mme Michèle André. - Dans mon rapport en tant que rapporteure spéciale de la commission des finances sur la mission « administration générale et territoriale de l'Etat » (AGTE), j'ai montré les difficultés des préfectures pour assumer leurs missions relatives aux passeports biométriques ou au SIV. Nous ne pouvons que partager l'objectif de dématérialiser ces procédures dans un souci de renforcement de la sécurité. Pourtant, le ministère de l'Intérieur a anticipé la suppression des postes avant de savoir comment allaient s'organiser la mise en oeuvre de ces missions. Le présupposé du ministère était qu'il n'y aurait plus besoin d'avoir des personnes derrière les guichets et les ordinateurs. C'est pourquoi, aujourd'hui, certaines préfectures souhaitent abandonner les métiers de guichet. Comment espérer qu'un individu, qui vient d'acquérir un véhicule d'occasion, accepte de payer entre 30 et 150 euros auprès d'un garage pour obtenir une carte grise alors qu'il peut l'avoir gratuitement à la préfecture ? Les postes dans les préfectures ont été supprimés trop rapidement. J'ai demandé, l'année dernière, une pause dans les suppressions, ce que je n'ai pas obtenu. Les préfectures ont dû fermer leurs services une partie de la journée pour traiter les demandes. Cette situation est due, selon moi, à l'absence d'étude d'impact préalable, peut-être en raison du manque d'ingénierie de l'État. Par ailleurs, la diminution des effectifs entraîne une réduction du contrôle de légalité et une insécurité profonde des élus.

M. Jean-Paul Delevoye. - Quand la qualité du service public se dégrade, c'est la confiance dans le monde politique qui est touchée, ainsi que l'image des élus locaux. La même critique peut être formulée pour les collectivités territoriales qui ne doivent pas tomber dans un centralisme administratif qui leur nuirait.

S'agissant du contrôle de légalité, mon angoisse est liée au possible recul de l'engagement citoyen pour l'exercice des mandats locaux, à cause des décisions que les élus locaux seraient appelés à prendre et qui ne seraient pas sécurisées sur le plan juridique.

M. Raymond Couderc. - En sus des aspects financiers de la RGPP que vous avez évoqués, il faut également noter le problème de l'adaptation de l'administration d'État aux compétences transférées aux collectivités territoriales. Fallait-il maintenir les DDJS ou les DDASS, selon les mêmes contours dans lesquels elles ont existé jusqu'à présent ?

M. Jean-Paul Delevoye. - Il est vrai que lorsque la société évolue, l'administration doit également évoluer. Mais il faudrait savoir si cette adaptation s'est opérée de façon homogène entre administration centrale et administration locale.

Si on fait reposer la totalité des efforts sur les administrations locales et non sur les administrations centrales, celles-ci abreuvent les premières -qui sont plus fragiles car disposant de moins de moyens- de contrôles et d'évaluations à effectuer. La vraie question repose sur les relations existantes entre les administrations centrales et les administrations locales.

M. Gérard Bailly. - Nous avons certainement manqué de pédagogie pour expliquer la nécessaire réorganisation des services publics. En raison de l'apparition des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les services publics ne peuvent pas fonctionner comme il y a vingt ans !

M. Jean-Paul Delevoye. - Si les citoyens sont convaincus que la réorganisation des services publics va leur apporter une augmentation de services publics, tout le monde partagerait les objectifs.

Va-t-on trop loin ou pas assez ? En Belgique, il existe un numéro unique d'identification pour la carte d'identité, la carte de sécurité sociale et le numéro fiscal. En France, la CNIL souhaite une séparation des fichiers. Il faudra pourtant approfondir à la relation citoyens / service public en ligne. Le service public n'est pas adapté aujourd'hui à ceux qui travaillent la nuit. Il faut réfléchir à comment mettre en oeuvre un service public accessible à tous, 24 heures sur 24, avec une égale qualité de réponse.

Ce que je reproche à la RGPP ce n'est pas son objectif, qui est pertinent, mais sa méthode d'application : la précipitation est mauvaise conseillère. Il aurait fallu quelques années d'expérimentation pour la mettre totalement en oeuvre.

M. François Patriat, président. - Les maires nous font part de leur sentiment d'abandon et d'éloignement, même s'il s'agit plus d'un ressenti que d'une réalité auquel ils réagissent mal.

M. Jean-Paul Delevoye. - Les élus locaux ont envie que tous les partenaires, dont l'État, s'engagent à leurs côtés. Leur sentiment d'abandon pose éminemment problème.

Table ronde avec des associations
de consommateurs et d'usagers :
Association d'entraide des usagers de l'administration
et des services publics et privés (ADUA),
Mme Josette Mondino, présidente,
MM. Bertrand de Quatrebarbes et Jean-Pierre Vaillant,
vice-présidents
Confédération de la consommation, du logement
et du cadre de vie (CLCV),
M. Thierry Saniez, délégué général

____

M. François Patriat , président . - Notre mission d'information est particulièrement intéressée à entendre la position des associations d'usagers sur la RGPP et les mesures qui l'accompagnent. Le monde associatif est en effet bien placé pour nous dire comment cette réforme est vécue par les collectivités locales et ceux qui habitent leurs territoires.

Mme Josette Mondino, présidente de l'association d'entraide des usagers de l'administration et des services publics et privés (ADUA) . - L'ADUA a accepté d'être entendue par votre commission afin de faire valoir et de faire mieux connaître la position des usagers qu'elle représente.

Agissant depuis plusieurs années pour l'amélioration de la qualité des relations entre l'administration et les usagers, notre association intervient toujours dans l'intérêt général, sans parti pris politique, et avec pour objectif l'entraide de l'usager et la défense de ses droits.

Notre but est de remettre le service public au service du public. A ce titre, nous tentons de participer de manière constructive à toutes les réformes qui vont dans ce sens.

C'est pourquoi l'ADUA soutient le développement de l'administration électronique, qui facilite l'accès aux services publics mais ne supprime pas le besoin d'un accueil téléphonique - ou en face à face au guichet - utile pour certaines opérations et certaines catégories de population.

Un important mouvement de réformes a été entamé avec les lois de décentralisation en 1982. Ce mouvement a été amplifié depuis cinq ans et s'inscrit dans une volonté de modernisation et de simplification. Le but consiste également en la restructuration des collectivités territoriales en vue de rendre le service public plus accessible, plus efficace, plus performant et surtout moins coûteux.

Cette réforme doit en principe répondre aux aspirations des usagers. Ceux-ci considèrent que le système est actuellement très opaque, illisible et rendu très onéreux, du fait de l'empilement des structures, de l'enchevêtrement des compétences et du labyrinthe des financements croisés.

Si les usagers, qui sont des citoyens mais aussi des électeurs, sont sensibilisés à la nécessité des réformes et adhèrent pour leur grande majorité à leur principe, ils considèrent néanmoins que la démarche doit être méthodique, transparente et articulée du niveau local au niveau interministériel. Ces réformes doivent être élaborées à partir d'éléments tangibles, concrets, cohérents et logiques.

Les axes majeurs de réflexion doivent prendre en compte l'écoute, l'implication et la participation des usagers comme celle des agents publics de tous grades.

Les objectifs à atteindre sont à définir clairement. Ils doivent être délimités et ciblés précisément sans perdre de vue le souci de l'éthique. Rien n'est pire que des mesures prises à la hâte, qui risquent de générer des dommages collatéraux, comme le soulignait le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, dans son rapport de mars 2011.

Le constat est clair : les réformes se font trop vite. Un des exemples type des difficultés générées par la précipitation correspond à la création de Pôle Emploi, né de la fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et des ASSEDIC. Ce rapprochement s'est déroulé dans un climat brutal et les agents ont dû s'approprier, en urgence, de nouvelles pratiques sans un accompagnement ni une formation adaptés. Les usagers ont ressenti ce malaise, la situation a été préjudiciable pour tous et le service rendu n'a pas été de qualité. La réforme, sans doute utile dans son fondement, aurait mérité plus de souplesse dans sa mise en oeuvre.

Le désengagement de l'Etat, l'éloignement des centres de décisions -qui passent le plus souvent du niveau départemental au niveau régional ou interrégional- laissent perplexes. Par ailleurs, l'impact de la RGPP n'est pas le même suivant les territoires où elle s'applique. La proximité de l'Etat dans les départements ruraux ou urbains ne doit pas être organisée de la même manière.

Nous sommes surpris et inquiets par les conséquences de la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE) qui fait disparaître l'ingénierie publique de l'Etat, laquelle était au service des collectivités territoriales. Comment et par qui seront mis en place les plans de prévention des risques technologiques, par exemple ? Il en est de même en matière d'urbanisme et de plan local d'urbanisme (PLU).

Les départements et les communes doivent désormais faire appel à des cabinets spécialisés, des agences techniques départementales doivent être créées. On assiste à une confrontation du service marchand au service public. Où sont les économies en termes financiers et d'emplois ? Le désengagement de l'Etat au niveau des directions départementales de l'équipement (DDE) et des directions départementales de l'agriculture (DDA) a entrainé une perte de compétences et d'expertise des fonctionnaires déjà formés.

Les réductions d'effectifs n'ont pas entrainé les gains de productivité attendus, mais plutôt une dégradation de la qualité du service rendu.

S'agissant du contrôle de légalité, celui-ci n'est plus véritablement assuré. Il en résulte une insécurité ou une lenteur injustifiée, ce qui ralentit certains projets.

Actuellement, les effectifs réduits et la diminution du nombre de cadres A constituent deux facteurs fragilisant le contrôle de légalité.

Le Gouvernement propose de regrouper les collectivités territoriales autour de deux pôles : un pôle département-région et un pôle communes-intercommunalité.

A notre connaissance, aucune concertation n'a été envisagée avec les usagers à ce niveau.

Au Parlement, aucun débat public n'a été engagé à ce sujet. Les effets de la RGPP ne semblent être étudiés qu'au travers de rapports budgétaires.

Le principe d'économie prôné par la RGPP ne doit pas ressortir d'une logique purement comptable, mais être corrélé par le souci constant d'amélioration du service public et de la qualité de vie des citoyens. Les réformes impliquent des concentrations, des rapprochements, voire des fusions. Les économies se font souvent au bénéfice des communes les plus importantes, avec des conséquences sociales très pénalisantes pour les collectivités qui subissent les fermetures de services publics. A titre d'exemple, les réformes des cartes judiciaire, sanitaire ou militaire, perturbent le tissu économique et génèrent des bouleversements profonds sur le plan humain. Une ville qui perd sa maison d'arrêt, son tribunal de grande instance, son hôpital, et qui voit fondre ses effectifs de police ou de gendarmerie, subit un véritable sinistre, car les bassins d'emplois du secteur public et du secteur privé sont liés.

La tranquillité et le sentiment de « bien vivre » des citoyens sont sacrifiés sur l'autel de la logique budgétaire. Nous pensons que la qualité du service public est une exigence qui doit aussi faire une place à cet aspect sociétal et environnemental.

En conséquence, nous formulons des propositions :

- détricoter l'enchevêtrement des compétences et des financements entre les divers niveaux d'administration territoriale, en privilégiant l'intercommunalité et la région, tout en conciliant au mieux l'efficacité et la proximité pour le citoyen. Il convient en particulier de veiller à ce que cette règle soit bien mise en oeuvre dans tous les nouveaux textes ;

- imposer une phase de concertation avec les associations représentatives des usagers, lors de la préparation de tout nouveau texte ayant un impact sur ces derniers ;

- imposer, dans le rapport de présentation de nouveaux textes au Parlement ou dans celui accompagnant la signature de nouveaux décrets, que figure la liste des textes publiés depuis cinq ans sur le même thème, avec une information sur l'avancement de leur application et leurs effets. Il s'agit ici d'éviter, ou au moins de limiter, la mise en place de nouvelles mesures incohérentes, ou non compatibles, avec d'autres prises moins récemment ;

- mettre en place, dans chaque ministère, une cellule chargée de veiller à la bonne mise en oeuvre des textes votés ou décrétés, avec la possibilité de proposer des mesures correctives impératives en cas de mise en oeuvre déficiente.

Dans leur grande majorité, les usagers considèrent que les réformes s'imposent. Ils souhaitent toutefois une réflexion plus approfondie et des consultations plus élargies qui permettent de rétablir l'équilibre, la confiance et la visibilité indispensables à la conduite des réformes.

On ressent, à leur écoute, un besoin d'être informé. Chaque citoyen doit pouvoir s'approprier l'organisation administrative de son cadre de vie. L'architecture nouvelle des territoires doit être claire et les responsabilités de chaque collectivité identifiées.

Or, aujourd'hui, la vision est floue et compliquée. Le service public s'éloigne de l'usager, au lieu de s'en rapprocher. Le risque est d'aboutir à une véritable fracture sociale.

La RGPP et la RéATE ont leur utilité, elles doivent stimuler les forces vives du territoire en favorisant l'émergence d'un service public moderne, efficient et solidaire. Mais les usagers, dans une forte proportion, sont aujourd'hui fragilisés par le chômage, le grand âge ou la précarité. Ils ont donc besoin d'un Etat attentif et protecteur. Le service public doit rester au plus près du public, même si cela a un coût qu'il convient de maîtriser. Il faut changer de culture et rationaliser sans déshumaniser. Voilà le défi qu'il convient de relever pour assurer le succès des réformes en cours.

M. Thierry Saniez, délégué général de la confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV) . - Je veux tout d'abord excuser notre présidente, Mme Reine-Claude Mader, qu'un empêchement de dernière minute n'a pas permis de participer à cette table ronde.

Pour nous, la RGPP pose un problème majeur de lisibilité. Qui fait quoi ? Qui perçoit les taxes ? Il est de plus en plus difficile de répondre à ces interrogations, ce qui rend nécessaire une clarification des compétences. Sur le terrain, le sentiment général consiste à penser que la rationalisation et l'optimisation des ressources visent en fait, plus simplement et trop souvent, à masquer la baisse des dépenses publiques.

Un autre sujet de préoccupation réside dans l'absence de concertation. Il s'agit ici, en effet, de ne pas confondre l'information a posteriori et la concertation avant la prise de décision. Les populations vivent de plus en plus mal cette absence de consultation.

Des territoires, comme par exemple les régions du centre de la France, cumulent les réductions ou les suppressions de services publics et souffrent d'un éloignement croissant. Celui-ci contribue à accentuer les clivages et à mettre encore un peu plus en lumière les carences de la politique d'aménagement du territoire. Certaines zones rurales voient leur population vieillir, leur pouvoir d'achat passer en-dessous de la moyenne nationale et leurs problèmes de déplacement s'aggraver.

La carte actuelle des préfectures et des sous-préfectures répond toujours à la vieille logique napoléonienne, selon laquelle tout lieu du département devait être atteint en moins d'une journée à cheval. Cette logique est sûrement à revoir, mais la sous-préfecture est aussi fréquemment le moyen pour certaines petites communes de préserver un accès au service public. Une sous-préfecture représente également un appel pour les entreprises publiques.

On ne peut pas être contre la dématérialisation et l'e-administration, qui évitent les déplacements et fonctionnent à moindre coût. Mais environ la moitié de la population n'utilise pas internet et beaucoup de gens veulent valider les informations en ligne par un contact direct ensuite. L'e-administration ne doit donc pas nécessairement rimer avec une recherche effrénée d'économies. Je veux à cet égard rappeler que ce sont les catégories les plus fragiles qui, en général, ont le plus recours au service public.

S'agissant de l'amélioration de la qualité des services publics, on ne peut que regretter qu'il n'y ait pas des outils plus efficaces pour suivre et évaluer les progrès accomplis.

Nous nous interrogeons sur le coût de fabrication du passeport biométrique, et cela d'autant plus que le prix de ce document a augmenté. La transparence sur les coûts doit être une nécessité pour l'Etat. Il faut par ailleurs souligner que, lorsque certaines communes ne délivrent pas de passeport, il en découle le sentiment d'un certain déclassement du territoire en question.

Le nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) nous paraît constituer une avancée, puisqu'il permet d'attribuer un numéro d'immatriculation à vie à chaque véhicule et qu'il facilite certaines démarches. Dans ce cadre, lorsque les professionnels de l'automobile facturent leur prestation d'immatriculation, la règle de la transparence doit aussi s'appliquer. Selon les travaux que nous avons pu mener, le prix de cette prestation serait d'environ cinquante euros.

Nous considérons qu'il faut parvenir à une logique de guichet unique, dans un souci de qualité du service rendu. Désormais, l'usager attend plus de l'administration, et des phénomènes tels que les files d'attente ne semblent plus acceptables. A cet égard, la mise en place du passeport biométrique s'est accompagnée d'un système d'alerte par mail lorsque ce document est à disposition de l'usager, ce qui nous paraît une amélioration indéniable du service. Dans certaines entreprises publiques comme La Poste, des avancées doivent aussi être soulignées.

M. François Patriat , président . - Vous estimez que le service rendu par La Poste s'est amélioré ?

M. Thierry Saniez . - Oui, du fait notamment de l'extension de l'amplitude des horaires d'ouverture des agences de la poste.

Nous devons changer notre modèle culturel et il est désormais inadmissible d'attendre trop longtemps au téléphone comme de passer d'interlocuteur en interlocuteur avant de trouver la bonne personne au sein de l'administration.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Regrettez-vous la disparition de l'ingénierie publique d'Etat, ou considérez-vous, comme certains, qu'il s'agit là d'une conséquence logique de la décentralisation ?

Les usagers demandent des services de proximité, mais leur exigence va également de manière croissante s'agissant de la qualité de ces services. L'exemple des maternités en constitue une bonne illustration. Comment, selon vous, peut-on concilier ces deux attentes ?

M. Thierry Saniez . - La solution passe par une plus grande concertation, alors qu'aujourd'hui on doit malheureusement constater un déficit en la matière. Ce déficit est, par exemple, flagrant dans le cas de la fermeture de certains établissements ou services publics.

M. François Patriat , président . - Dans le cas de ces fermetures, pensez-vous vraiment qu'on puisse concerter ?

M. Thierry Saniez . - Pourquoi cela ne serait-il pas possible ?

M. François Patriat , président . - Dans certains domaines, c'est surtout de l'explication et de l'information qu'il faut faire. Parfois, ceux là même qui protestent contre les fermetures n'utilisent même pas, en réalité, ces services ! Après la phase de contestation suit fréquemment une phase de résignation. Vous le comprenez, je me fais ici l'avocat du diable...

M. Thierry Saniez . - Il faut prendre garde à ce que cette résignation ne devienne pas de la frustration.

M. Bertrand de Quatrebarbes, vice-président de l'ADUA . - Quand un territoire perd son école, puis sa maternité et la Poste, quelles perspectives lui reste-t-il ? Il y a quelques années, la politique menée permettait aux départements de se projeter dans l'avenir, et de s'imaginer un futur. Ce n'est plus possible aujourd'hui. Qu'obtient-on en contrepartie de certaines fermetures de service public ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Comment peut-on donc concilier les exigences de proximité et d'efficacité ? Parfois des fermetures sont nécessaires, même si elles provoquent de fortes protestations.

M. Thierry Saniez . - Une décision ne peut être acceptée que si elle s'inscrit dans une stratégie globale, avec une vision d'ensemble. Aujourd'hui, on a uniquement l'impression d'un détricotage, alors qu'il faudrait inventer, innover et s'inspirer des bonnes pratiques qui sont mises en oeuvre à l'étranger.

M. Bertrand de Quatrebarbes. - Actuellement, les médecins sont désespérés car les petites maternités ne donnent pas les garanties nécessaires en termes de sécurité. Pourtant, les usagers sont bien souvent prêts à prendre des risques.

M. François Patriat , président . - Mais comment faire s'il n'y a plus d'anesthésiste ?

M. Bertrand de Quatrebarbes. - Il ne faut pas généraliser. Les usagers sont prêts à s'adapter, mais la question posée par la RGPP relève en quelque sorte de la justice sociale : aujourd'hui, dans notre société, qui perd et qui gagne ?

Mme Josette Mondino . - Le désengagement de l'Etat s'illustre par exemple en matière de plan local d'urbanisme (PLU). Au niveau local, les services administratifs ont perdu les compétences requises pour accompagner les collectivités, ce dont souffrent les petites communes notamment.

M. Jean-Pierre Vaillant, vice-président de l'ADUA. - Il y a encore dix ans, les DDE et les DDA aidaient les communes en matière d'ingénierie. Cet accompagnement n'a aujourd'hui plus lieu. Au fil du temps, les services ont d'ailleurs perdu leur expertise du fait du transfert de la responsabilité des routes aux départements puis, plus généralement, des réorganisations. Les compétences ont été transférées aux départements, mais ceux-ci ne sont pas toujours en capacité de répondre aux communes. Les intercommunalités ne sont pas non plus toujours en situation de le faire. Pour ce qui est du privé, il ne se mobilise que sur des projets ayant déjà une certaine taille. Au total, l'insatisfaction au niveau local est forte.

Même lorsque le département apporte son expertise, les choses ne sont pas simples et on peut redouter une mise sous tutelle des communes recevant son aide. Il faudrait donc créer une agence d'ingénierie au service des communes.

Concernant l'e-administration, il faut bien reconnaître que les maisons des services publics sont une réussite, car beaucoup de gens ont des difficultés à lire ou à parler le français et que la médiation d'un agent public devient dans ces cas là nécessaire.

M. Bertrand de Quatrebarbes. - Dans certaines régions, comme l'Auvergne par exemple, beaucoup a été fait en matière de maisons des services publics. Mais malgré les progrès de la France dans le domaine de l'e-administration, notre pays se situe seulement dans la moyenne européenne, ainsi que le démontrent les enquêtes de l'OCDE. Les investissements réalisés sont encore insuffisants, malgré les progrès enregistrés.

De même, s'agissant de Pôle Emploi, certaines incohérences d'organisation doivent être signalées et il faut rappeler que le nombre de conseillers est proportionnellement plus important en Allemagne ou en Grande-Bretagne qu'en France.

Nous souffrons aussi d'une délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) trop passive.

M. Thierry Saniez. - Le problème de la DATAR est effectivement important, mais il faudrait aussi parler des contrats de service public à passer avec la SNCF ou La Poste. Ces entreprises publiques traversent une phase de libéralisation qui ne peut pas aller sans une certaine régulation en contrepartie.

La numérisation crée certes des fractures, mais elle offre aussi des solutions de proximité comme en atteste par exemple l'utilisation des Smart Phones.

Mme Josette Mondino . - Il y a deux ans, notre association a fait des observations concernant le fonctionnement de Pôle Emploi, et notamment sur le système du 39 75. Hélas, ces observations n'ont été suivies d'aucun effet. Aujourd'hui, l'obtention d'un numéro d'identifiant pour les URSSAF peut prendre six mois.

M. François Patriat , président . - A vous écouter, je note que, du point de vue des usagers, la réforme s'est plutôt traduite par un éloignement de l'Etat.

Mme Josette Mondino . - Il y a quand même des aspects positifs, comme par exemple le rapprochement entre les services d'assiette et de recouvrement du ministère des finances. Mais l'administration fiscale souffre d'incessants changements et le chantier de la simplification est encore devant nous.

M. François Patriat , président . - Les collectivités territoriales ne trouvent plus la matière grise nécessaire pour accomplir leur mission en toute sécurité. Concernant les nouvelles cartes (judiciaires, sanitaires, de défense, etc.), les ministres nous expliquent qu'il ne rentre pas dans leur mission de faire de l'aménagement du territoire. Il faut toutefois se garder de quelques idées reçues : la proximité d'un service public n'en fait pas nécessairement un service de qualité.

Mercredi 8 juin 2011

M. François Moutot,
directeur général de l'Assemblée permanente
des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA)

____

M. François Patriat , président . - Après une cinquantaine d'auditions, nous en sommes à notre avant-dernière journée d'auditions. Nous recevons aujourd'hui le directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) et également maire de Thoiry. Nous aimerions avoir son sentiment sur la RGPP à ces deux titres ...

M. François Moutot, directeur général de l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) . - Vous avez oublié de dire que j'ai également servi dans un ministère dont vous fûtes ministre...

La RGPP n'a pas, selon moi, encore donné tous les effets que l'on était en droit d'en attendre. Dans la plupart des cas, les réorganisations ont pris du temps et les effets directs ne se sont pas fait encore sentir, à la seule exception des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

En ce qui concerne la direction générale des finances publiques (DGFiP), le regroupement des services financiers de l'État était attendu depuis très longtemps. Les entreprises se félicitent d'avoir désormais un seul interlocuteur qui s'occupe de l'évaluation de l'impôt et des prélèvements financiers. Il s'agit d'une avancée remarquable, mais qui se met en place progressivement et qui n'est, à ce jour, pas achevée. De façon générale, il est satisfaisant d'avoir un seul interlocuteur pour traiter un dossier. De plus, les relations entre les entreprises et l'administration des finances ont évolué dans le bon sens.

J'en viens aux Direccte : leurs relations sont bien différentes avec les entreprises et avec les chambres des métiers. Pour les entreprises, l'évolution n'a en effet pas été sensible : le fouillis règlementaire reste tel que les entreprises s'y perdent. En revanche, les chambres des métiers sont satisfaites d'avoir une direction unique pour toutes les régions.

Pour les entreprises, la mesure la plus efficace a été la simplification de l'ensemble du réseau comptable et fiscal.

La dématérialisation est d'importance relative pour les entreprises. Un certain nombre de documents doivent continuer à être remplis et signés. En outre, nous ne sommes pas convaincus que l'administration joue toujours le jeu de la dématérialisation. Nous avons ainsi créé il y a trois ans une clé informatique qui permet à nos adhérents, soit un million d'entreprises, de s'identifier et de déclarer leur TVA. Or, nous venons juste d'obtenir sa validation par l'administration des finances ! Grâce à cette clé, les garagistes pouvaient valider le dispositif d'immatriculation et nous avons dû attendre très longtemps avant d'obtenir l'agrément. Les procédures de dématérialisation devraient donc être simplifiées pour réduire leur temps d'instruction. Aujourd'hui, un million d'entreprises françaises ont à leur disposition une clé informatique pour un coût de 65 euros : il faut absolument parvenir à valoriser cet outil.

La RGPP prend-elle suffisamment en compte la dimension aménagement du territoire ? J'ai du mal à me prononcer. Les problèmes d'aménagement du territoire sont liés à l'organisation politique mais ne sont pas de la compétence des chambres de métiers. En revanche, je m'étonne que certaines programmations d'aménagement du territoire écartent systématiquement les corps intermédiaires. Ainsi, le Parlement va devoir se prononcer sur un texte qui écarte les corps consulaires des établissements publics fonciers pour des raisons qui m'échappent totalement. Si l'on veut aménager les centres-villes, pourquoi nous exclure du processus ?

Vous m'interrogez sur l'aménagement des cartes judiciaire et hospitalière. Les entreprises ne se sentent pas concernées, mais il est bien évident que tout ce qui leur coûtera moins cher aura leur préférence.

Autres question : en quoi la RGPP a-t-elle modifié le fonctionnement et l'organisation des chambres de métiers ? La RGPP est arrivée à un moment où nous étions déjà en train de réorganiser nous-mêmes notre réseau. La RGPP n'a donc pas été subie, mais elle a accompagné notre réflexion. Les entreprises artisanales étant des entreprises de proximité, elles ont besoin de services de proximité : un boulanger n'a pas les moyens de perdre une journée de travail. Les services qui les accompagnent doivent donc être en totale proximité. Dans la plupart des cas, le département est le bon échelon pour gérer les relations entre les entreprises et les structures qui les accompagnent.

En ce qui concerne la représentation politique des professionnels, l'échelon départemental doit être maintenu, car il y a de fortes solidarités territoriales entre l'élu et les entreprises. En revanche, tout ce qui ne relève pas de ces relations entre l'élu et les entreprises peut être centralisé au niveau régional, voire national. Notre schéma est donc le suivant : au niveau départemental, le lien direct avec les entreprises ; au niveau régional, l'organisation de tout ce qui peut être mutualisé, c'est-à-dire les fonctions support, et les relations avec la région. Il est en effet souhaitable d'avoir un seul interlocuteur au niveau régional pour obtenir un plan régional de développement des entreprises.

Dès lors que nous avions des structures régionales et départementales, nous nous sommes demandé si nous devions unifier les structures juridiques. Après un large débat, l'assemblée permanente des chambres de métiers a décidé de laisser les chambres régionales et départementales libres de choisir leur statut juridique. Avec deux ans de recul, nous nous félicitons d'avoir choisi cette solution. La Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais ont décidé d'avoir une seule structure juridique. D'autres régions ont fait de même, mais seulement en partie : la majorité des chambres se sont regroupées et seule une minorité est restée indépendante. L'Assemblée générale qui s'est tenue hier et se poursuit aujourd'hui a évoqué le sujet et toutes les régions ont considéré qu'elles progressaient vers la mutualisation, quels que soient les statuts choisis. Pour nous, la RGPP passe par la mutualisation des moyens et pas forcément par la transformation des structures. Ainsi, tous les supports informatiques seront mutualisés d'ici deux ans, ce qui nous permettra de faire des économies substantielles.

Y a-t-il concordance entre la RGPP, les corps consulaires et les structures politiques ? Oui, car nous avons régionalisé toutes les fonctions de compétence régionale et nous avons laissé au niveau départemental ce qui nous semblait lui revenir.

Nous avons également modifié le régime électoral des chambres de métier : auparavant, les chambres de métiers régionales étaient élues au suffrage indirect par les chambres départementales qui désignaient les élus régionaux. Aujourd'hui, les suffrages des artisans départementaux se portent à la fois sur des délégués départementaux et régionaux. Il y a donc une relation directe entre l'artisan départemental et son représentant qu'il envoie siéger dans la chambre régionale mais qu'il élit dans son département. Ce système fonctionne depuis six mois à la satisfaction de tous.

Dans le système politique antérieur, nous assistions à des blocages aussi bien au niveau régional que départemental. Aujourd'hui, nous n'avons aucun blocage dans les 102 chambres départementales, contre 15 à 20 % auparavant, et nous n'avons enregistré qu'un seul blocage dans une des 26 régions : le président a reconnu qu'il ne parviendrait pas à gérer la région, il a démissionné et un de ses collègues a pris la suite. Aujourd'hui, la totalité des régions est en ordre de marche.

Votre question suivante concerne le système d'information Chorus et ses conséquences en matière de délais de paiement des prestataires de l'État. La question des délais de paiement est un peu compliquée : les délais prévus ne sont pas faciles à respecter par les collectivités territoriales et certaines entreprises ne peuvent pas exiger des collectivités qu'elles respectent les délais. Le système actuel n'est donc pas complètement opérant.

Le système d'immatriculation des véhicules fonctionne bien et nous avons mis en place un dispositif qui permet d'y accéder facilement. Nous nous félicitons donc de ce progrès qui permet désormais aux acquéreurs de véhicules de partir avec leur immatriculation. Comme je n'ai pas de remontées négatives des concessionnaires, j'en conclus qu'ils sont satisfaits. En revanche, rien de tel pour les photographes professionnels qui se trouvent dans une situation difficile. L'évolution technologique de la photographie et le régime de l'auto-entrepreneur ont eu des conséquences catastrophiques pour ces professionnels. De nombreuses personnes se sont autoproclamées photographes sans en avoir nécessairement les compétences. Les photos d'identité faisaient partie du fonds de commerce traditionnel des photographes professionnels : le fait d'avoir confié ce travail aux communes n'est pas de nature à les aider alors qu'ils rencontrent déjà des difficultés.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous n'avez pas parlé des relations entre l'APCMA et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), anciennement Drire (directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement,), et Diren (directions régionales de l'environnement).

M. François Moutot . - En tant que directeur général de l'APCMA, je n'ai pas d'opinion particulière. En revanche, en tant que maire, j'aurais beaucoup à dire : c'est épouvantable ! Dans ma commune, nous avons le parc de Thoiry, à la fois site classé et activité économique : je suis donc confronté aux avis non convergents de la Diren, de la direction des services vétérinaires (DSV), de la direction des affaires sanitaires et sociales (Dass), de l'agriculture, des sites classés : c'est une horreur absolue ! Les différents pouvoirs départementaux, régionaux et nationaux qui s'appliquent sur un même territoire prennent des décisions contradictoires. Il faudrait un seul interlocuteur, une seule autorité, une seule compétence. Ce que je dis vaut pour le maire, mais aussi pour l'entreprise : le parc de Thoiry rencontre les mêmes difficultés que moi. Il faut que cela cesse.

M. François Patriat , président . - Dans mon département, un zoo qui fonctionnait très bien a dû fermer du fait des exigences multiples auxquelles il devait faire face.

M. François Moutot . - Quand les exigences sont multiples, c'est difficile ; quand elles sont contradictoires, c'est ingérable.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Ces difficultés sont-elles dues à la RGPP ou préexistaient-elles ?

M. François Moutot . - Avec la RGPP, les choses vont un peu moins mal... Il y a eu harmonisation à chaque niveau. Le problème, c'est qu'il reste divers niveaux de compétence... Encore une fois, il est indispensable que, pour un territoire donné, il n'y ait qu'un seul interlocuteur.

M. Raymond Couderc . - Votre expérience rejoint la mienne en tant que maire de Béziers, notamment en ce qui concerne mes relations avec la Dreal.

M. François Moutot . - Quand une entreprise est confrontée à six ou sept règlementations différentes, tout devient caricatural.

Un exemple : la réglementation pour les handicapés. Les entreprises artisanales installées en centre-ville ne peuvent déposer un permis de construire. Si la réglementation actuelle devait être appliquée à la lettre, il faudrait fermer toutes les boucheries et les boulangeries ! Nous devrions parvenir à trouver un équilibre entre les contraintes et les possibilités. Si nous laissions l'administration édicter les règles, il serait impossible d'avoir des permis de construire pour améliorer les locaux. Les entreprises en centre-ville doivent pouvoir continuer à exister.

M. François Patriat , président . - Cela vient sans doute de notre hyperfécondité normative !

Dans le Nord-Pas-de-Calais et en Bourgogne, la mutualisation est positive et les artisans ne se plaignent pas de la RGPP. Combien de régions ont créé des guichets uniques ?

M. François Moutot . - Les deux régions que vous avez citées sont parvenues à une intégration complète. En Basse-Normandie, un département fait de la résistance pour des raisons politiques et, en Aquitaine, les départements des Landes et des Pyrénées-Atlantiques ne sont pas intégrés car trop éloignés de Bordeaux. En revanche, tout le nord de la région s'est regroupé, à la satisfaction de tous.

Aujourd'hui, 20 régions sur 22 fonctionnent avec des mutualisations telles qu'elles sont très proche de l'intégration.

Le président de l'APCM, Alain Griset, dans la région Nord, et le vice-président Pierre Martin, dans la région Bourgogne, étaient très attachés à cette évolution et ils ont donné l'exemple. En outre, nous étions déjà dans une phase de mutualisation et d'harmonisation si bien que la RGPP a clarifié les choses.

En revanche, nous avons des présidents départementalistes qui considèrent que leur département doit être géré exclusivement par eux. C'est un sentiment logique, pour peu qu'ils acceptent de faire des économies.

M. François Patriat , président . - Logique, mais pas forcément louable !

Merci pour votre intervention.

Mme Marie-Luce Penchard,
ministre chargée de l'outre-mer

____

M. François Patriat , président . - Madame Penchard, merci de nous rejoindre pour nous donner votre sentiment sur la RGPP outre-mer. Les effets de cette politique sont amplifiés outre-mer, disait le sénateur Georges Patient ce matin. Qu'en pensez-vous ? Notre souci est de dresser un premier bilan objectif de cette réforme. A-t-elle rempli son triple objectif : simplifier, optimiser et économiser ? Son but, à notre sens, ne peut pas être seulement comptable. Les économies, si elles sont nécessaires, ne sont pas toujours pertinentes dès lors qu'il s'agit des pouvoirs publics.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer . - Merci de me recevoir. Pour moi, l'objectif de la RGPP est d'abord d'adapter les missions de l'État aux défis du XXI e siècle. Il s'agit d'insuffler une nouvelle culture du résultat et de la responsabilité, en vue de rétablir l'équilibre des comptes publics, tout en améliorant le service rendu aux entreprises et aux citoyens.

Concernant l'outre-mer, cette politique consiste en des mesures correctives, définies lors du Conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008. Ainsi, la loi pour le développement de l'outre-mer, adoptée en février 2009, tout en créant de nouvelles dispositions comme les zones franches d'activité, a recentré le dispositif d'exonération des charges sociales sur les bas salaires et les petites entreprises dans les secteurs porteurs à compter du 1 er janvier 2010. Autre objectif de cette loi : améliorer l'encadrement de la défiscalisation prévue par la loi Girardin -un outil nécessaire au développement économique de l'outre-mer- avec l'abaissement des seuils d'agrément, l'obligation de déclaration des investissements défiscalisés dès le premier euro et la priorité donnée au logement social. On a aménagé une sortie en sifflet pour le logement intermédiaire et le logement libre. À propos de ce dernier, la défiscalisation s'applique dorénavant aux seuls primo-accédants à la propriété et aux maisons individuelles dont la surface est inférieure à 150 m 2 .

Ensuite, l'extinction de l'indemnité temporaire de retraite (ITR), créée en 1952, est une nécessité au regard de l'évolution du monde et de l'injustice de ce système qui bénéficiait à 34 000 fonctionnaires installés à la Réunion, à Mayotte, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais non à ceux des Antilles. Cette réforme, votée dans des conditions particulièrement difficiles, a permis l'écrêtement des pensions les plus élevées et le gel du montant des indemnités déjà octroyées. Grâce à elle, l'enveloppe financière est passée de 330 à 320 millions ; si nous n'avions rien fait, elle aurait atteint 370 millions en 2010.

Autre sujet, la modernisation de l'administration centrale de l'outre-mer. Le ministère a abandonné sa mission de gestion pour se consacrer aux tâches de conception et d'évaluation. Cette transformation en une administration de mission, décidée en 2009, s'est opérée durant l'année 2010. Elle a consisté en un transfert des tâches de gestion et des crédits afférents aux ministères sectoriels. En contrepartie, nous avons récupéré les crédits prévus dans le cadre des contrats de projet ou des contrats de développement.

Enfin, la réforme des congés bonifiés, confiée au délégué interministériel de l'outre-mer en début de mandature, n'est plus d'actualité, compte tenu de la complexité de la question et des relations avec les syndicats.

Dans le cadre de la RGPP, a également été décidée en 2009 la suppression du service de l'état civil du ministère, dont l'existence remontait à l'édit royal de juin 1776 qui faisait obligation aux ultramarins installés en métropole de posséder un duplicata de leur acte de naissance. Avec les moyens modernes, ce service, qui délivrait 15 000 actes par an, ne se justifiait plus. Enfin, nous espérons mener à bien cette année la transformation de l'indemnité particulière de sujétion et d'installation, qui visait à rendre plus attractifs les postes de fonctionnaires en Guyane, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, en une indemnité de sujétion géographique limitée à la Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le ministère a également accompagné la réforme de l'administration territoriale de l'État, applicable depuis le 1 er janvier 2011, en tenant compte des observations formulées lors des états généraux et de la spécificité de l'outre-mer. Les régions ultramarines étant monodépartementales, elles comptent désormais six directions régionales, sans compter l'ARS et le rectorat ; disparaissent les trois directions départementales existant en métropole. Dans le cadre de cette réorganisation, 50 postes ont été ouverts avec la volonté de promouvoir les ultramarins ; sept postes ont été pourvus. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de cette réforme applicable depuis le début de l'année.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - J'ai noté que les conséquences de la RGPP sur les collectivités territoriales d'outre-mer ne seront visibles que dans les mois à venir, la réforme des services ne s'appliquant que depuis le 1 er janvier 2011. Mais comment le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux s'applique-t-il outre-mer ? Les états généraux de l'outre-mer ont été l'occasion d'une concertation avec les élus ultramarins. Nous les envions ! Les ministres en charge de la RGPP, que nous avons auditionnés, n'ont pas caché leur volonté de passer outre, ajoutant même que la concertation, si elle avait eu lieu, aurait bloqué la réforme. Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience ?

Mme Marie-Luce Penchard . - L'outre-mer n'échappe pas au principe du « un sur deux ». Néanmoins, ces territoires ayant un niveau de vie comparable à celui d'un pays en développement, ils ont besoin d'un accompagnement fort de l'État. La réduction des effectifs de l'administration territoriale, si ma mémoire est bonne, se limite à 0,98 %. Le conseil interministériel de l'outre-mer a créé des commissaires au développement endogène, poste imaginé lors des états généraux. Leur mission, confiée à des personnalités dotées d'une solide expérience internationale, est de développer l'économie et l'emploi en favorisant l'insertion des territoires de l'outre-mer dans leur environnement régional. Autre particularité : les sous-préfets à la cohésion sociale, une nécessité pour accompagner le retour à l'emploi et développer le potentiel des métiers de la croissance verte quand le taux d'illettrisme outre-mer est cinq fois supérieur à celui de la métropole.

S'agissant des autres emplois de la fonction publique, les ministres sectoriels en savent davantage que moi. Pour autant, je constate que cette politique est modulée selon les besoins des territoires : les moyens de l'Éducation nationale ont baissé à la Réunion ; ils ont augmenté en Guyane et à Mayotte où la population a doublé. Pas moins de 150 postes ont été créés pour le seul secondaire.

L'organisation des états généraux de l'outre-mer a traduit la volonté de l'État de tout remettre à plat après la fameuse crise de 2009. Ces travaux ont permis d'identifier le fort besoin d'assistance technique des collectivités ultramarines. La réflexion est désormais aboutie sur la création d'une cellule d'ingénierie publique ciblée sur certains secteurs : la prévention des risques naturels, tel le risque sismique en Guadeloupe et en Martinique- car de nombreux crédits destinés à la remise aux normes des équipements scolaires n'étaient pas consommés, faute de soutien- ainsi que l'assainissement, l'alimentation en eau potable et la gestion des déchets. Nous verrons comment aller au-delà, sachant que l'État dispose déjà de deux agences spécialisées dans l'aide à la construction de logements : la société immobilière de Guadeloupe (SIG) et la société immobilière de Martinique (SIMAG).

M. Georges Patient . - La réforme de l'administration territoriale de l'État, entrée en vigueur en 2010 en métropole, s'applique depuis le 1 er janvier 2011 à l'outre-mer. En tant que maire, j'ai simplement reçu un courrier le 26 janvier accompagné d'un dépliant à afficher dans un lieu public. Compte tenu de l'enjeu, le plan de communication est peut-être à revoir...

Avant l'application officielle de cette politique, des décisions de réduction d'effectifs avaient déjà été prises. Ainsi, en Guyane, le nombre de géomètres experts est insuffisant. Or, au moment où l'État demande aux collectivités guyanaises de compter davantage sur leur fiscalité locale, ces fonctionnaires remplissent une tâche essentielle pour l'élargissement de l'assiette : établir le cadastre. Cinq géomètres pour un territoire de 80.000 km 2 , aucun pour la commune de Saint-Laurent, cela paraît très insuffisant. Mieux vaudrait doter correctement l'outre-mer afin qu'il puisse mener à bien cette tâche et ne plus être contraint de quémander des crédits.

La direction départementale de l'équipement et la direction départementale de l'agriculture et de la forêt apportaient une ingénierie technique très appréciée en Guyane. Alors qu'elles remplissent un rôle fondamental pour l'aménagement de l'immense territoire guyanais, faut-il appliquer les normes nationales de la RGPP ? Le problème de la compensation des charges se pose également, comme en métropole. Enfin, les sous-préfectures sont vidées de leurs personnels. Veut-on les fermer ? À Saint-Laurent, la sous-préfecture est l'unique point de contact avec l'État ; Cayenne est loin. Or la ville n'abrite plus qu'un service des papiers pour les personnes en situation irrégulière.

Mme Marie-Luce Penchard . - L'État continuera d'aider les collectivités de Guyane à élargir leur assiette ; nous avons créé un poste supplémentaire de géomètre pour mener à bien la réalisation du cadastre. Il en faudrait plus, me répondrez-vous. Soit, mais ces postes sont difficiles à pourvoir en raison de l'éloignement. Nous en revenons au problème de l'attractivité...

L'ingénierie publique sera désormais concentrée sur certains secteurs. Pour autant, les sous-préfectures continueront de jouer un rôle de conseil ; et ce, d'autant mieux, que l'on a augmenté la qualification des personnels. En Guyane, il y a désormais 42 cadres A, contre 27 auparavant.

Toute réorganisation, notamment la dématérialisation, entraîne une perturbation temporaire des services. Quant à la communication sur la réforme, sa déclinaison a été fonction des territoires : la Martinique a organisé des réunions de présentation aux élus, publié dépliants et communiqués de presse.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La dématérialisation des procédures pose-t-elle un problème particulier outre-mer ?

Mme Marie-Luce Penchard . - D'après les premiers chiffres disponibles, l'outre-mer se situe dans la moyenne nationale pour le traitement des cartes grises, des permis de conduire ou encore des passeports. En revanche, je ne dispose pas encore de données sur le taux de satisfaction des usagers.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Qu'en est-il de l'équipement en informatique des ultra-marins ?

Mme Marie-Luce Penchard . - Contrairement à ce que l'on pense souvent, chaque foyer ultramarin possède au moins un ordinateur, y compris dans les familles modestes. Celui-ci représente une ouverture sur le monde, un moyen de remédier à l'enclavement des territoires. Les collectivités territoriales en offrent un à chaque lycéen. Reste à toucher leurs parents. Pour leur apprendre à utiliser l'informatique, associations et bénévoles mènent des actions. C'est, en outre, l'un des axes des plans de lutte contre l'illettrisme.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les collectivités territoriales, d'après les auditions menées par notre mission, s'inquiètent des conséquences de la réforme de l'administration territoriale de l'État sur le contrôle de légalité et l'ingénierie publique. En bref, elles craignent une plus grande insécurité juridique et un retrait de l'État en matière de conseil. Ce problème se pose-t-il en termes identiques outre-mer ?

Mme Marie-Luce Penchard . - L'organisation proposée sera plus efficace : centralisation du contrôle de légalité en préfecture et, donc, recentrage des sous-préfectures sur la fonction de conseil et la première orientation. Les sous-préfets se disent satisfaits : ils pourront jouer leur rôle de conseiller de proximité auprès des maires. Nous verrons à l'usage ; il est encore trop tôt pour se prononcer.

M. François Patriat , président . - La carte scolaire fait-elle l'objet d'un traitement différencié outre-mer pour tenir compte de l'objectif de lutte contre l'illettrisme ?

Mme Marie-Luce Penchard . - Bien sûr ! La politique de lutte contre l'illettrisme, axe dégagé lors des états généraux de l'outre-mer au sein de l'atelier sur l'égalité des chances, a été renforcée lors du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009 par décision du Président de la République. Nous voulons toucher tous les publics, enfants et adultes. Le plan de l'Éducation nationale, élaboré peu de temps après, s'intègre donc dans des plans régionaux de lutte contre l'illettrisme. Ceux-ci ont été signés en Guyane, à la Réunion et à la Martinique ; un autre sera bientôt finalisé en Guadeloupe.

J'ai décortiqué à titre personnel le plan martiniquais, un travail remarquable, mené de concert par l'État et les collectivités territoriales. Il est assorti d'un système d'évaluation avec des indicateurs. La logique de partenariat est très forte : la part des collectivités est de 1,8 milliard pour un coût total de 5 milliards d'euros. Nous nous sommes donné rendez-vous dans un an pour dresser un bilan.

L'objectif est de réduire de moitié l'écart entre le taux d'illettrisme constaté en métropole, qui est de 9 %, et celui en outre-mer, qui atteint 14 % en Martinique, 20 % à la Réunion. En Guyane, les chiffres ne sont pas connus. Néanmoins, si l'on se réfère aux tests effectués lors de la journée défense et citoyenneté, 42,5 % des jeunes Guyanais ne savent pas lire correctement. Une situation inacceptable ! Dans ces conditions, comment accéder à l'emploi ? Le plan est mis en oeuvre depuis plus d'un mois dans ce territoire.

M. François Patriat , président . - Nous vous remercions.

Mercredi 15 juin 2011

M. Jean-Louis Daumas,
directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ),
ministère de la justice et des libertés

____

M. François Patriat, président . - Je vous remercie de répondre aux questions qui vous ont été adressées.

M. Jean-Louis Daumas, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) . - D'un point de vue territorial, la RGPP a d'abord été un exercice de formatage des territoires par la réduction du nombre de circonscriptions régionales de 15 à 9.

Les structures des services des 100 départements ont été réduites en 53 directions territoriales (DT) contrastées. Un exemple : la DT de Seine-Saint-Denis est compétente pour le seul département de Seine-Saint-Denis, comme la DT du Nord (le plus gros département en termes de prise en charge). En revanche, une seule DT est compétente pour les Vosges, le Jura, le territoire de Belfort et la Haute-Saône. Les administrations ont été rationalisées en conséquence.

Cette décrue a permis de récupérer un nombre important de personnels techniques et administratifs dédiés à des fonctions support et reversés sur les fonctions « coeur de métier » (l'éducatif).

L'encadrement a subi la même évolution, une réforme lourde : jusqu'en 2010, les directeurs -de catégorie A-, recrutés à Bac + 3 étaient en charge d'un établissement de placement éducatif (EPM) qui regroupe environ 15 fonctionnaires ; aujourd'hui, le directeur de service a compétence pour deux unités éducatives (il a sous ses ordres deux responsables d'établissement, de catégorie A).

En ce qui concerne la mission de l'enfance en danger, la loi de 1986 et deux lois de 2007 ont transformé radicalement les relations entre l'Etat et les départements.

Pour la PJJ, le département est devenu la structure de proximité qui prend en charge la personne humaine depuis le petit âge jusqu'à la fin de vie.

L'Etat régalien s'est recentré sur les adolescents les plus difficiles, pris en charge au pénal et à titre subsidiaire quand l'intervention administrative des départements n'a pas produit de résultats (avec l'intervention de l'autorité judiciaire).

La PJJ a donc concentré tous ses moyens sur ces adolescents mais ne s'est pas pour autant désengagée du reste. Le décret de 2008 a d'ailleurs positionné le DPJJ comme étant en charge de toute la protection de l'enfance.

Je regrette qu'aujourd'hui certains acteurs publics opposent les missions les unes aux autres. Protéger les mineurs délinquants, c'est protéger l'enfance en évitant la réitération.

Les départements ont été associés à la réforme. Mon prédécesseur a rencontré le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Il est vrai que les divergences sur les politiques gouvernementales ont pesé sur la discussion.

Mais la collaboration est fructueuse avec les départements en termes d'audit sur la politique éducative des établissements. Un corps de 170 auditeurs a été créé à la PJJ, proposé aux départements pour conduire des audits conjoints de certains établissements de protection de l'enfance. Cela a abouti à la signature de 41 conventions signées avec des départements de toutes les familles politiques.

Jusqu'en 2005, les services de la PJJ développaient l'aide aux jeunes majeurs de 18 à 21 ans  qui représentaient 40 % des crédits de fonctionnement (par le coût du prix de journée de la prise en charge de ces jeunes majeurs). Après 2007, la PJJ s'est recentrée sur les mineurs délinquants et ces 40 % leur ont été réaffectés. C'est une question de choix éminemment sensible, politique. On constatait la demande de jeunes adultes qui sollicitaient dès leurs 18 ans révolus la protection de la PJJ car ils étaient en situation de grande précarité. Question : cela relève-t-il des missions du ministère de la justice ?

Dès lors que le législateur a demandé un recentrage des missions de la PJJ, celle-ci a fait porter ses efforts sur la prise en charge des mineurs délinquants. Les effectifs concernés -16 % des 8 000 ETP PJJ- ont été récupérés au profit de cette mission. Cela a pu conduire à un « défaussement » sur les départements.

Un rapport de la Cour des comptes a émis en 2003 un jugement extrêmement sévère sur le fonctionnement de la PJJ. Mais dans son rapport de suite, la Cour a acté que, par la réforme managériale des fonctions support, le tir avait été favorablement corrigé en 2006.

La réforme structurelle prend en compte les bassins de vie, les bassins socio-démographiques plutôt que les limites administratives des territoires. Indéniablement, donc, aujourd'hui, la réunion de plusieurs départements permet de mieux appréhender le territoire au-delà des limites administratives.

Deux réformes importantes ont eu une incidence sur les services de la PJJ :

- la réforme de la carte judiciaire a impacté celle de la PJJ ;

- depuis la loi de programmation de la justice de 2002, la PJJ est intervenue de nouveau dans les lieux de détention de mineurs.

Actuellement, on entend les propos de certains leaders d'opinion sur l'échec des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), à la suite de la prise en otage d'une éducatrice à Meyzieu. Ma carrière m'a conduit à connaître les deux mondes -PJJ et administration pénitentiaire (AP)- : à partir de 1978 comme éducateur de l'éducation surveillée puis à l'AP en dirigeant quatre prisons pendant 18 ans. Aujourd'hui, je suis retourné à la PJJ. Les frontières entre les deux secteurs n'ont pas de sens.

Pendant 20 ans, on a retiré les éducateurs de l'AP : c'était une mauvaise chose. En 2002, les éducateurs de la PJJ sont retournés dans les prisons et c'est très bien. En 2002, 900 mineurs étaient détenus dans les prisons ; ils sont aujourd'hui 780. C'est une décrue lente mais continue.

10 % de la PJJ (des éducateurs) ont été versés dans les prisons. Cela coûte très cher mais il faut savoir ce qu'on veut. Tant qu'on voudra des prisons spécialisées pour les mineurs, il faudra y affecter des éducateurs.

Pour les fonctions de soutien, l'application de la règle de la suppression d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, s'est traduite à la PJJ par le non-remplacement de deux postes sur trois sur les trois dernières années : une diminution de trois fois 140 postes.

M. François Patriat, président . - Comment assumez-vous alors vos fonctions ?

M. Jean-Louis Daumas . - Grâce à la réorganisation des fonctions support. Une direction territoriale regroupe 12 à 15 personnes.

On a sanctuarisé les ETP éducateurs. Mais il est clair que si le mouvement se poursuivait dans la loi de finances pour 2012, on attaquerait « l'os » ; nous serions obligés de réduire les missions car les fonctions support ne présentent plus d'emplois à supprimer.

M. Didier Guillaume . - Je suis très impressionné par la qualité de l'exposé.

Quelques remarques :

- sur les mauvaises relations entre l'ADF et la PJJ ; votre vision n'est pas bonne. Les divergences politiques avec le Gouvernement n'expliquent pas les mauvaises relations. Le président de l'ADF représente l'ensemble des présidents de conseil général. Les départements sont confrontés à de vraies difficultés. Ils accueillent toujours plus de monde sur décision de justice. Ils arrivent à saturation. Ils ne peuvent plus, le samedi à 23 heures 30, aller chercher un enfant à 250 km. C'est difficile pour nous comme pour vous. Les départements, à un moment, expriment leur ras-le-bol.

C'est vrai que le département accompagne l'humain de la naissance à la mort. Mais certains d'entre eux connaissent d'énormes difficultés à gérer.

Sur la rationalisation des fonctions support, on constate les difficultés de la PJJ à effectuer des missions sur le terrain et cela a un impact sur les départements.

Les conseils généraux gèrent à l'intérieur des limites administratives et constatent que la réorganisation n'est pas un signe de plus grande qualité, en dépit de la compétence des collaborateurs de la PJJ. Mais On est déjà « à l'os ». Le travail ne se fait pas faute de moyens.

Il y a trois ans, la situation des mineurs délinquants n'était pas la même qu'aujourd'hui. Les jeunes majeurs posent un vrai problème aux départements.

La PJJ a besoin de plus communiquer sur le terrain (quand des difficultés surgissent, on recherche toujours un bouc émissaire...).

M. Jean-Louis Daumas . - Oui, sur les relations avec l'ADF, j'ai été rapide ; les crispations des relations entre l'Etat et les collectivités peuvent aussi être liées au dialogue républicain.

M. Didier Guillaume . - C'est au coeur de la réflexion sur le dialogue républicain. Les élus sont engagés politiquement, notamment les parlementaires, mais les élus font la différence entre les représentants du pouvoir politique et ceux qui travaillent sur le terrain.

M. François Patriat, président . - On sent la passion de l'acteur engagé sur le terrain quotidiennement.

Mme Michèle André . - Sur la réorganisation des fonctions-support : on a vu ce que cela donnait dans les préfectures.

Aujourd'hui, il faut regrouper les forces restantes pour travailler efficacement.

La question est : où est la place de la PJJ ? Et à côté, le rôle des associations ? Ce débat est toujours là !

A Mayotte, où je me suis rendue en mission, quelles sont les forces de la PJJ ? Ne doit-on pas là-bas utiliser des moyens forts pour une jeunesse en grande difficulté ?

M. Jean-Louis Daumas . - Sur la rationalisation des fonctions support, il était utile, hors RGPP, de réfléchir à la réorganisation de cette direction (alors, 8.000 agents et un maillage de 15 directions régionales et de 100 directions départementales), avec les gains en technologie et en bureautique.

Le reformatage à la baisse est inéluctable. Mais cet exercice a ses limites.

A Mayotte, les difficultés concernent la présence de mineurs étrangers isolés qu'il faut protéger. Cette question a été très bien analysée dans un rapport de la sénatrice Isabelle Debré en 2010. Il y a là un vrai problème.

M. Jean-Luc Fichet . - Il est vrai que la RGPP, à un moment, permet de revisiter les fonctions support et ce n'est pas une mauvaise chose en soi.

Mais aujourd'hui, la RGPP a une incidence sur le recrutement de personnels et sur leurs missions. Quelle est la formation de ces personnels et se soucie-t-on toujours de la qualité de la formation ?

M. Jean-Louis Daumas . - Le choix stratégique a été fait de maintenir le cursus à deux années pleines de formation pour les éducateurs de la PJJ car les publics en charge sont les plus pauvres et démunis de la République et on doit leur attribuer des agents bien formés.

J'ai dirigé l'école de la PJJ qui appartient au réseau des écoles du service public. L'école historique de Vaucresson a été délocalisée, il y a deux ans, à Roubaix, de forte culture ouvrière, de fort sentiment identitaire. Un effort a été fait sur les bâtiments avec des salles, un amphithéâtre, une résidence hôtelière et un restaurant.

M. François Patriat, président . - Je vous remercie, Monsieur le directeur.

Général d'armée Jacques Mignaux,
directeur général de la gendarmerie nationale

____

M. François Patriat , président . - La Gendarmerie nationale et la police nationale ont fait l'objet de nombreux questionnements au sein de notre mission au cours des dernières semaines. Elles sont également largement évoquées dans les courriers de réponse que les maires nous ont adressés suite à différents questionnaires. Les interrogations portent sur l'impact de la RGPP sur les forces de sécurité dans le pays. Cela n'est pas surprenant dans la mesure où la Gendarmerie nationale est l'un des partenaires privilégiés des élus locaux et notamment des maires.

Général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale . - La Gendarmerie nationale compte un peu moins de 100 000 personnels, civils et militaires. Son action couvre 50 % de la population et 95 % du territoire, aussi bien en zones rurales que périurbaines. Je qualifierais volontiers les relations que la Gendarmerie entretient avec les élus comme étant étroites, confiantes et indispensables. La RGPP illustre dans la Gendarmerie la difficulté à concilier la nécessité de se réformer et celle de garantir un service de proximité. Je veux ici souligner que des mesures qui apparaissent comme indolores au niveau national peuvent avoir des répercussions importantes au niveau local, notamment lorsqu'elles s'appliquent à des effectifs de taille réduite.

La réforme engagée vise à recentrer les forces de sécurité sur leurs missions au service des citoyens. Quatre axes ont été retenus.

Tout d'abord, la Gendarmerie nationale a été rattachée au ministère de l'intérieur afin d'accroître son efficacité. Ce rattachement a permis de conduire des politiques de sécurité plus performantes, de mutualiser des fonctions supports, de baisser les coûts d'achat, de supprimer des doublons, de mettre en cohérence des services de soutien de la Gendarmerie nationale et de la police nationale, de rationaliser la flotte d'hélicoptères ainsi que les bases, de créer des fichiers communs, d'adapter les capacités de formation (avec notamment la réduction du format de quatre écoles de la Gendarmerie nationale) et de mutualiser d'autres formations avec la police nationale (comme dans le cas des plongeurs).

Le deuxième axe de la réforme correspond au recentrage des forces de sécurité sur leur coeur de métier. Il renvoie au désengagement de missions considérées comme périphériques, à l'allègement des gardes statiques, au transfert de la garde des centres de rétention administrative (CRA) à la police des airs et des frontières (PAF), au développement de la visioconférence et à la réduction du format des forces mobiles sans altérer la capacité à gérer les crises (quinze escadrons ont été dissous ou sont en cours de dissolution). Ce recentrage sur le coeur de métier a aussi eu pour conséquence de transférer des missions de police administrative et judiciaire à des personnels civils ou militaires autres que les gendarmes.

Le troisième axe de la RGPP tend à adapter les forces de sécurité à l'évolution de la délinquance par une meilleure couverture du territoire. Il s'agit là de rationaliser les implantations, les dispositifs concernant les grandes plaques urbaines ainsi que les forces d'appui. Les redéploiements entre les deux forces ont débouché sur la prise en charge par la Police nationale de douze communes auparavant placées sous la compétence de la Gendarmerie nationale et, en sens inverse, sur le transfert de sept circonscriptions de sécurité publique placées désormais sous la responsabilité de la Gendarmerie nationale. Au total, nous sommes parvenus à maintenir une couverture territoriale cohérente tout en préservant le potentiel opérationnel. Nous avons procédé à la fermeture de 200 unités sur près de 4 000.

Le dernier axe de la RGPP réside dans le renforcement de la lutte contre l'insécurité routière. Les unités dédiées à cette mission ont été regroupées, redimensionnées et leur périmètre d'action s'est étendu au réseau secondaire routier. Si 58 unités spécialisées sur près de 500 ont été supprimées, le dispositif est toutefois désormais mieux ciblé et plus réactif.

Je veux souligner que les objectifs fixés à la Gendarmerie nationale par la RGPP ont été remplis et que le calendrier a été respecté. Au total, ce sont 3 509 emplois équivalent temps plein (ETP) qui auront été supprimés d'ici à la fin de l'année : 475 ETP au deuxième semestre 2008 et 3 034 ETP sur la période 2009-2011. Ces suppressions ont été obtenues notamment par la contraction du format de la Gendarmerie mobile et de la Garde républicaine. On a essayé de faire du qualitatif en redéployant les effectifs de gendarmerie départementale sur les secteurs les plus sensibles (soit 25 départements identifiés comme ayant une activité très soutenue).

La première phase de la RGPP a donc été respectée avec le souci de ne pas dégrader le service rendu. L'organisation et le fonctionnement de la Gendarmerie ont été revus. Dans le même temps, la sécurité n'a pas reculé pour nos concitoyens comme l'illustrent la baisse de 5 % de la délinquance générale, de 5,5 % de la délinquance de proximité et le chiffre de 193 vies épargnées en matière de sécurité routière (soit une baisse de 6 %).

Mais la RGPP a suscité un vrai questionnement. La concertation conduite par les préfets a toutefois été continue. Pour la période 2012-2013, la poursuite de la RGPP apparaît délicate à mettre en oeuvre, mais nous ferons en sorte de ne pas altérer la qualité du service.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - A propos de concertation, celle-ci a-t-elle été menée par les seuls préfets ? Quelles initiatives a pris la Gendarmerie en la matière ?

Les réductions d'effectifs ont surtout porté sur la fonction soutien. Si celles-ci sont poursuivies, cette fonction n'en sera-t-elle pas affectée ? Quelles seront les conséquences de ces réductions sur le potentiel opérationnel de la Gendarmerie ?

Général Jacques Mignaux . - S'agissant de la concertation, nous avons travaillé au niveau central et le plus tôt possible en amont des décisions prises. Les préfets ont eu des échanges avec les commandants de groupements. Dans certains cas, comme lorsque deux brigades cohabitaient dans le même canton ou lorsqu'une brigade couvrait une zone dépendant également de la police nationale, les décisions de suppression ont été faciles à justifier. Elles ont été plus difficiles à expliquer lorsqu'il s'est agi de supprimer d'autres brigades. Il convenait en effet d'éviter les déserts sécuritaires et les élus savent parfaitement bien où la Gendarmerie nationale peut être utile.

Sur chaque dossier, le préfet s'est impliqué au travers d'une explication pédagogique avec les élus. Cela ne s'est pas trop mal passé dans l'ensemble. Nous n'avons pas appliqué des recettes « vues de Paris » et nous avons préservé le maillage territorial.

Ce travail a été plutôt facile concernant l'optimisation des effectifs des pelotons de surveillance et de protection ou des brigades de recherche. Dans ce dernier cas, la concertation a également été menée avec les magistrats afin de dégager des économies sans entraver la capacité opérationnelle des brigades. Nous avons aussi fusionné des groupes de commandement de compagnies afin d'économiser des emplois : une quarantaine de groupes ont ainsi été supprimés car ils n'étaient pas viables du fait de leur trop petite taille (cinq personnes par exemple).

Globalement, nous n'avons pas eu de tensions particulières avec les élus. Nous avons fait en sorte de maintenir sur les territoires concernés par les restructurations soit un poste de Gendarmerie, soit une permanence, soit même un simple passage.

Les effectifs à rendre concernent en priorité les fonctions de soutien (740 postes rendus), la Garde républicaine (100 postes), l'état major (200 postes) et la gendarmerie départementale (1 770 postes supprimés, dont 750 ont été remplacés par des effectifs en provenance de la gendarmerie mobile). Il faut reconnaître que sur les fonctions de soutien nous sommes un peu « à l'os ».

Il existe un décalage entre les gains d'emplois anticipés grâce à la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication (par exemple le procès-verbal électronique) et les économies effectivement réalisées qui se traduisent par des « petits bouts » d'ETP qu'il est ensuite difficile d'agglomérer.

Pour l'avenir, la Gendarmerie mobile ne sera pas touchée par la deuxième vague de la RGPP et la couverture du territoire sera préservée. Mais il faudra toutefois faire des choix afin de rendre 2 067 ETP dans les deux ans à venir.

Mme Michèle André . - Les effectifs supprimés au niveau de la Garde républicaine peuvent manquer. La RGPP prévoit un recours accru à la visioconférence afin de limiter les escortes. Où en est-on de ce point de vue là ?

La Gendarmerie nationale est-elle concernée par CHORUS et comment ? Il est apparu que la transition vers ce nouveau système d'information budgétaire et comptable pose des problèmes à d'autres services de l'Etat, notamment dans le domaine des relations avec les fournisseurs.

Général Jacques Mignaux . - Le taux d'emploi des effectifs dans la Garde républicaine est très soutenu et il n'est donc pas simple d'assurer une prestation de qualité identique dans un contexte de réduction des emplois.

M. François Patriat , président . - Quels sont les effectifs de la Garde républicaine ?

Général Jacques Mignaux . - Nous avons 3 000 hommes dans la garde républicaine. Par ailleurs, les transfèrements de détenus étaient jusqu'à présent assurés par la Gendarmerie et la Police (surtout dans le cas des dépôts pour cette dernière). En application de l'article D-315 du code de procédure pénale, la Gendarmerie intervient lorsque le périmètre couvert correspond à plusieurs circonscriptions de Police. Nous effectuons plus de 160 000 transfèrements par an. La réforme pénitentiaire a eu pour conséquence une implantation accrue des établissements pénitentiaires en dehors du centre des villes. Aussi, avons-nous créé des unités dédiées à cette mission dans la mesure où les transfèrements désorganisent les petites unités territoriales (une détention provisoire peut avoir pour conséquence de mobiliser des effectifs tout une journée).

Un contrat a été passé avec le ministère de la justice en vue de réduire de 5 % par an le nombre des transfèrements. En 2010, soit la première année de mise en place de ce contrat, l'objectif a même été dépassé. Il faut constater l'émergence d'une nouvelle culture chez les magistrats qui se sont approprié les moyens de visioconférence à leur disposition et permettant de relier la maison d'arrêt au palais de justice.

En dehors des mesures liées à la RGPP, il a en outre été prévu que, sur la période 2011-2013, l'administration pénitentiaire reprenne les transfèrements de personnes placées sous écrou (ces escortes étant considérées comme induites par le fonctionnement interne du système judiciaire). En contrepartie, 800 ETP doivent être rendus au ministère de la justice, dont 600 ETP issus de la Gendarmerie nationale. Cette évolution devrait à l'avenir permettre d'éviter de désorganiser les unités du fait de l'organisation des transfèrements, mais, pour le gestionnaire, il est difficile de « reconstituer » les ETP en question.

M. François Patriat , président . - Combien de gendarmes faut-il pour être opérationnel sur un territoire donné ?

Général Jacques Mignaux . - Nous ne raisonnons pas de cette manière. La disponibilité du gendarme est organisée avec 48 heures de repos par semaine travaillée, dont deux week-ends par mois. Au-delà de cette donnée de base, on doit tenir le terrain. Nous travaillons à la mutualisation et à l'appui réciproque des brigades dans la perspective d'assurer la mission dévolue à la Gendarmerie nationale. Pour les commandants, c'est tous les jours la quadrature du cercle. On ne peut pas se disperser. Une circulaire pose les grands principes de ce qu'on attend des brigades. Il faut ensuite beaucoup d'intelligence au niveau local car les effectifs sont toujours comptés.

Fort heureusement, la Gendarmerie peut également compter sur 24 000 réservistes très utiles. S'appuyant sur une enveloppe budgétaire de 45 millions d'euros, ce dispositif permet de gérer les flux de population en cours d'année (par exemple dans les régions touristiques de montagne ou sur le littoral).

M. François Patriat , président . - Et pourtant, les maires nous écrivent pour nous dire qu'ils sont mis devant le fait accompli. Il y a certainement une part d'irrationnel dans leur jugement, mais aussi une part de réel.

Général Jacques Mignaux . - La mise en route de CHORUS a été difficile, surtout du fait des milliers de baux que la gendarmerie a eu à ressaisir dans le nouveau système informatique. Nous avons essayé de définir des priorités dans les paiements. Désormais, les services se sont approprié l'outil, qui reste toutefois une contrainte particulière.

On est parfois obligé de mettre les élus devant le fait accompli, car personne ne peut se satisfaire d'une décision de suppression d'une brigade par exemple. Un travail préparatoire est mené, puis la décision est expliquée sur le terrain.

M. François Patriat , président . - Comment les choses se passent-elles en matière de logement des gendarmes ?

Général Jacques Mignaux . - Nous sommes souvent obligés de résilier des baux, mais l'exercice est compliqué car nous sommes très imbriqués.

Il faut toutefois rappeler qu'on a toujours supprimé des unités pour s'adapter au territoire, et cela avant même la RGPP. Ainsi, avant 2009, une quarantaine d'unités étaient supprimées par an, ce qui suscitait beaucoup de discussions avec les élus souvent attachés à leur brigade. Parfois, ces derniers construisent même de belles casernes qui constituent un argument pour mieux conserver leur brigade dans l'avenir.

Avec la Police, nous travaillons sur des formes de coopération pour ne pas fermer certains locaux.

M. Didier Guillaume . - Vous avez beaucoup de chance, car les citoyens et les élus vous aiment. Cet attachement vient de l'histoire de la Gendarmerie et d'un taux de délinquance moindre en zone rurale. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, du fait de la RGPP, ne peut pas s'appliquer à la sécurité, car sur le terrain les choses ne se passent pas bien. La force de la Gendarmerie nationale, c'est le contact et l'échange d'informations. Mais j'entends beaucoup d'interlocuteurs m'expliquer que le gendarme n'a plus le temps d'accomplir cette mission essentielle. Le travail de proximité qui incombait jusqu'à présent à la Gendarmerie n'existe plus désormais, sous l'effet des réductions d'effectifs fixées par la RGPP et de l'augmentation de la charge de travail administratif pesant sur le gendarme.

Concernant les transfèrements, dans mon département, la Drôme, nous avons une gare qui voit transiter près de trois millions de passagers par an. Quand la brigade de gendarmerie est appelée sur la gare, elle s'y rend mais alors elle délaisse le reste du territoire. Il faut incontestablement tenir compte des services que vous rendez à d'autres pour justement calibrer vos effectifs. Dans le cas contraire, un problème se pose sur le terrain.

Général Jacques Mignaux . - La Gendarmerie nationale est très attachée à son contact avec la population et à son ancrage dans les territoires. La difficulté consiste à trouver le meilleur moyen de préserver la proximité et la visibilité de nos effectifs. Le travail du gendarme s'est constamment alourdi au fil du temps : réforme de la garde à vue, réforme de la médecine légale... Tout ceci éloigne le gendarme de son coeur de métier. Arrêter plusieurs fois le même individu correspond par ailleurs à une débauche d'énergie. Dans le même temps, le territoire ne se dépeuple pas et les flux de population demeurent.

Le gendarme souhaiterait bien sûr être plus souvent dehors et voir plus fréquemment ses procédures suivies d'effets. L'objectif est d'être dehors pour dissuader.

La RGPP représente un exercice contraignant, qui a ses vertus et ses limites.

M. Frédéric Péchenard,
directeur général de la police nationale

____

M. François Patriat, président. - Nous parvenons à l'ultime audition de notre mission, qui vise à apprécier comment les élus ressentent aujourd'hui les effets de la RGPP. Le sujet de la Police nationale est éminemment médiatique. Comment conciliez-vous les objectifs qui vous sont assignés en matière de sécurité avec vos contraintes d'optimisation et d'économies que vous devez respecter dans le cadre de la RGPP ?

M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale - Étant fonctionnaire, j'applique les directives du Gouvernement et je suis soumis à un devoir de réserve.

En tant que directeur d'une administration importante, tant par ce qu'elle représente que par le nombre de fonctionnaires, je suis tenté d'affirmer que je ne dispose pas assez d'effectifs et de moyens, dans un contexte où les exigences d'efficacité qui me sont demandées se sont renforcées, d'où un « effet ciseaux ». Toutefois, jusqu'à présent, nous sommes parvenus à concilier ces deux impératifs. En analysant l'activité des services de police, nous constatons, depuis 2007, date de mon arrivée, une augmentation des personnes mises en cause et du taux d'élucidation. En d'autres termes, la Police travaille plus et mieux. Ce constat s'explique aussi bien par le travail individuel de chaque policier que par les moyens qui nous sont alloués en matière de police technique et scientifique, où les fichiers des empreintes digitales et des empreintes génétiques nous permettent d'identifier les personnes commettant des infractions ou des délits. Pour être efficace, nous avons besoin d'effectifs qui se déplacent. Un audit commun réalisé avec l'ancien directeur de la Gendarmerie nationale sur la police technique et scientifique nous a révélé que nous ne nous déplacions que sur 50 % des cambriolages. Nous sommes aujourd'hui à 80 % et demain, à 100 %. Encore faut-il avoir du personnel nombreux et formé.

C'est pourquoi je ne suis pas, a priori, complètement hostile à la RGPP et à la baisse des effectifs. La contrepartie de la réduction de personnels est de disposer d'une police bien payée, mieux formée et mieux recrutée - ce que nous avons réussi - avec des moyens importants, ce qui n'est pas le cas actuellement. Sur le premier point, rappelons qu'un gardien de la paix de base ressemble beaucoup à un inspecteur de police de catégorie B d'il y a trente ans. L'officier de police d'aujourd'hui est recruté à Bac + 3 pour occuper l'un des soixante-dix postes proposés au niveau national. Les métiers de la police attirent car ils sont convenablement payés et enthousiasmant. Nos personnels bénéficient d'une formation longue : un an pour les policiers et les gardiens de la paix, dix-huit mois pour les officiers et de deux ans pour les commissaires. Rappelons que les agents du FBI sont formés en seize semaines.

En revanche, depuis mon arrivée, notre budget n'a cessé de baisser, ce qui s'opère au détriment de notre immobilier, de l'informatique et de ce qu'on aurait pu faire en plus en police technique et scientifique. Ainsi, on peut perdre des effectifs - il y aura un seuil à partir duquel ce sera plus difficile - à condition de disposer des ressources nécessaires. La mutualisation avec la Gendarmerie conduira soit à engranger des économies, soit à ne pas bénéficier d'économies mais à apporter un meilleur service à la population, soit à assumer des dépenses importantes dans un premier temps avant de profiter d'économies à terme.

Dans le cadre de la RGPP I, nous avons réduit nos effectifs de 4 000 équivalents temps pleins travaillés (ETPT). 3 000 ETPT devront être supprimés dans le cadre de la RGPP II. On estime souvent qu'il est facile de réduire les personnels affectés aux fonctions support afin de préserver les personnels affectés à des missions opérationnelles. Cette vision angélique des choses est très éloignée de la réalité. Par exemple, avant l'application de la RGPP, chacun des trente services de la Police judiciaire disposait d'un technicien chargé de la maintenance informatique. Ce personnel en était un élément important en raison des tâches administratives contraintes auxquelles est soumise la police judiciaire. Pourtant, le directeur de l'époque, estimant le coût engendré par ces techniciens trop élevé, a décidé d'en supprimer vingt sur trente. Chacun des chefs de service a dès lors fait appel à un gardien de la paix opérationnel pour qu'il s'occupe, non officiellement, de la maintenance informatique. Si, visuellement, nous avons économisé vingt emplois, nous en avons en réalité perdu dix puisque trente policiers opérationnels ont été affectés à des tâches informatiques, ce qui répondait à un véritable besoin. Ainsi, la réduction des effectifs de la Police nationale ne s'opère pas seulement sur les fonctions support mais a incontestablement des conséquences sur les effectifs affectés aux missions opérationnelles.

En revanche, la réduction des moyens nous invite à dépenser mieux, ce qui est source d'une vraie vertu pédagogique : même si je prends le contre-pied de ce que je viens de dire, la diminution des personnels s'est opérée sur des missions qui n'étaient pas stratégiques. Toutefois, cet exercice a ses limites que nous avons aujourd'hui atteintes.

A l'exception de la préfecture de police et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), la RGPP a concerné l'ensemble des services de la Police nationale. La DCRI a été épargnée en raison de sa création récente, datant de 2008, qui est une véritable réussite, puisque nous sommes parvenus à déjouer l'ensemble des tentatives d'attentats islamistes sur notre territoire, contrairement aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Allemagne. En raison de la menace terroriste actuelle, il est indispensable que la DCRI dispose d'effectifs suffisants. En revanche, je serai contraint de diminuer les effectifs de la préfecture de police, dès 2011. A la sortie de l'école, les jeunes sont affectés massivement à celle-ci et c'est à partir de ce vivier qu'est irrigué le reste de la France. L'un des échecs de la Police nationale est que nous ne parvenons pas à fidéliser les policiers en région parisienne, en raison d'un coût de la vie plus élevé et des difficultés du métier dans ce territoire. En effet, 80 % des bandes et des cités sensibles se situent en région parisienne.

M. François Patriat, président. - En d'autres termes, les policiers les moins expérimentés sont affectés, en premier poste, en Île-de-France. Ne pourrait-on pas envisager une situation inverse ?

M. Frédéric Péchenard - Ce serait mieux. Nous avons créé un concours de policiers spécifique à l'Île-de-France : les lauréats doivent rester au moins huit ans en région parisienne. Une filière a également été mise en place afin de permettre à ceux qui souhaitent poursuivre leur carrière dans des secteurs difficiles de devenir brigadier plus rapidement.

Malgré mon constat pessimiste, nous disposons de policiers d'expérience en région parisienne et l'Île-de-France propose de nombreux avantages : le conjoint peut y trouver plus facilement du travail et le policier peut poursuivre sa carrière en changeant de secteur géographique sans être toutefois obligé de déménager. Notre difficulté est de ne pas envoyer de jeunes policiers seuls en mission car ils peuvent mal réagir dans certaines situations difficiles, d'où l'importance de l'encadrement. Lors des émeutes de Villiers-le-Bel, au cours desquelles cent-cinquante policiers ont été blessés dont soixante-quinze par armes à feu, aucun d'entre eux n'a riposté alors qu'ils étaient objectivement dans une situation de légitime défense. Cela a été possible grâce à un bon encadrement. Il s'agissait d'éviter le début d'une émeute nationale, comme en 2005. Avoir des jeunes policiers est un atout s'ils sont suffisamment encadrés. Je veux rendre un hommage appuyé aux forces de maintien de l'ordre qui font preuve de professionnalisme, de capacités d'encadrement et d'expérience dans l'exercice de leurs missions.

M. Dominique de Legge, rapporteur - La RGPP permet un retour sur investissement, en permettant de mieux rémunérer les policiers mais n'a pas conduit à une amélioration des moyens matériels dont vous disposez. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Il semblerait que, jusqu'à présent, les réductions d'effectifs se soient principalement concentrées sur les fonctions support. Estimez-vous que toute suppression supplémentaire se traduirait par une moindre présence effective sur le terrain ?

Qu'en est-il des implantations sur le territoire ? Avez-vous mis en place une politique de restructuration, souvent vécue comme un recul de la présence des forces de l'ordre sur le terrain ?

M. Frédéric Péchenard - La meilleure rémunération et la meilleure formation des policiers ne sont pas liées à la RGPP. Elles datent de la réforme des corps et carrières de la police nationale de juin 2005. Une police bien payée prévient le risque de corruption et permet d'attirer des candidats de qualité.

Dans le cadre de la RGPP, nous avons fermé un certain nombre de sites. J'ai fait le choix de ne pas toucher aux effectifs de policiers opérationnels de sécurité publique, de police judiciaire, de police aux frontières et de la DCRI. Notre effort a principalement porté sur la direction de la formation et la direction centrale des CRS. En matière de formation, nous étions surdimensionnés, avec dix écoles de police et neuf centres de formation, ce qui pouvait répondre auparavant à une problématique d'aménagement du territoire. Ce n'est pas mon problème ! Je présente des solutions techniques au ministre de l'Intérieur qui est le décisionnaire politique. Dans un premier temps, nous avons fermé tous les centres de formation professionnelle puis les écoles de police de Marseille, de Vannes, de Paris et de Draveil. Nous avons conservé au moins une école par zone de défense. Malgré la hausse de nos effectifs depuis la LOPPSI I, nos écoles et nos centres de formation n'étaient occupés qu'à moitié. En ne conservant que nos cinq écoles de police les plus modernes, nous sommes toujours en capacité de former 5 000 policiers par an. Ces restructurations n'ont pas nui à l'efficacité de la formation de la police.

Nous avons également réduit les personnels des unités des compagnies républicaines de sécurité (CRS), avec une diminution de 1 000 ETPT. Il existe toujours soixante compagnies, dont onze comportaient six sections. Celles-ci disposent désormais de quatre sections. Parallèlement, a été fermé un certain nombre d'unités mobiles zonales, d'où une interrogation sur la place des forces mobiles en France. Le métier de base des CRS est le maintien de l'ordre ce qui représente, aujourd'hui, entre 10 et 15 % de leurs missions. On pourrait réduire plus drastiquement leurs effectifs. Toutefois, certaines périodes nécessitent de les mobiliser à 100 %, notamment lors de l'organisation du G8 ou du G20. Ils assument également des missions de sécurisation ou de rétablissement de l'ordre an cas de violences urbaines. En revanche, la baisse des effectifs de la Police doit épargner les commissariats de la sécurité publique et de la police judiciaire. En effet, les résultats en matière de lutte contre la délinquance sont liés à la qualité des investigations. En d'autres termes, il nous paraît impossible d'envisager une baisse d'effectifs sur deux métiers de la police nationale : l'investigation et la présence policière dans la rue avec, par exemple, les patrouilleurs.

La Police nationale dispose d'un parc automobile de 28 000 véhicules, contre 33 000 auparavant. Nous en achèterons 1 000 nouveaux cette année : aussi, il nous faudrait 28 ans pour renouveler l'ensemble de notre parc. Or, rappelons que nos voitures sont utilisées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par conséquent, notre position n'est pas tenable sur le long terme.

Le budget global de la Police nationale augmente légèrement chaque année. Sur 9 milliards d'euros, 8 milliards sont consacrés à rémunérer les policiers et le milliard d'euros restant permet de financer les équipements, les voitures, les gilets pare-balles, les missions et des outils de plus en plus sophistiqués pour assurer les missions de la DCRI. Nous avons disposé d'un budget d'1,11 milliard d'euros en 2006, 1,77 milliard d'euros en 2008, 1,29 milliard d'euros en 2009, 1,32 milliard en 2010, 965 millions d'euros en 2011et les prévisions pour 2012 et 2013 s'établissent respectivement à 889 millions et 873 millions d'euros. 2011 est la première année où notre budget de fonctionnement est inférieur au milliard d'euros, ce qui nous oblige à opérer des choix, comme celui de ne pas renouveler les gilets pare-balles. Tout ceci développe un sentiment de paupérisation chez les policiers. Or, ces derniers doivent être fiers de leur matériel et de leur uniforme. Ainsi, mon inquiétude pour les prochaines années est de faire face au renouvellement de l'équipement.

Mme Catherine Deroche - Pouvez-vous préciser les cas qui génèrent, dans un premier temps, des dépenses importantes avant d'engranger des économies à plus long terme ?

M. Frédéric Péchenard - Il s'agit, par exemple, de la police d'agglomération. Nous avons beaucoup travaillé avec la Gendarmerie depuis quatre ans, afin de dégager des synergies pour que nos forces soient complémentaires malgré des cultures et des habitudes de travail différentes. Le second objectif est de poursuivre le redéploiement police - gendarmerie sous la forme d'une police d'agglomération, mise en place à Paris, Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux. Dans un même bassin de délinquance, il doit y avoir un seul chef et une seule force de l'ordre, quelle qu'elle soit. Quel était le sens d'une gendarmerie à Rillieux-la-Pape alors que Lyon est dans un secteur de Police nationale ou d'un commissariat à Fourmies alors que l'ensemble des communes alentour est en zone Gendarmerie ?

Ce redéploiement nous permettra, à terme, de bénéficier d'économies. Occuper de nouvelles implantations territoriales est source de coûts : on ne s'installe pas dans les mêmes locaux pour assurer les mêmes missions. On est parfois obligés d'affecter des moyens supplémentaires afin de rassurer les élus locaux qui sont très attachés à leur commissariat ou à leur gendarmerie.

M. Raymond Couderc - Dans les effectifs officiels des commissariats, une partie d'entre eux n'est pas opérationnelle en raison du bénéfice de congés de récupération liés à des services antérieurs, pouvant s'étaler jusqu'à six mois. Ces situations ont dû faciliter vos objectifs de réduction d'effectifs dans la mesure où ces personnels n'affectent pas la réalité de la présence de la Police sur le terrain.

M. Frédéric Péchenard - Cette situation pose en réalité un problème car elle concerne tous les services de la Police. Les policiers bénéficient d'un compte épargne-temps et la loi leur permet d'en bénéficier ce qui leur permet parfois d'être absent pendant six mois. A cela s'ajoutent les congés maladie, les policiers blessés au cours de missions et les décharges syndicales - la police disposant de neuf syndicats importants et représentatifs. Tout ceci explique la différence entre l'effectif idéal ou théorique et l'effectif réel.

M. François Patriat, président - Dans le domaine de la sécurité, beaucoup d'élus locaux se plaignent de disposer d'un effectif de police réduit et ressentent plus d'insécurité dans leur commune.

M. Frédéric Péchenard - Depuis quatre ans, j'ai toujours entendu, de la part des commissariats que je visite, la demande d'augmenter les effectifs. Le problème est en réalité que, dans les petites circonscriptions, les policiers sont accaparés par les tâches indues. Par exemple, le commissariat de Verdun, qui dispose d'une cinquantaine de policiers, s'organise pour disposer de deux patrouilles, nuit et jour, en permanence. Si un détenu est hospitalisé, il ne reste plus qu'une patrouille. Une vraie réflexion doit être menée sur ces missions.

M. François Patriat, président - Je vous remercie.

ANNEXE

Mai 2011

NOTE

sur

Les réformes récentes de l'Administration

_____

Angleterre - Canada - Italie - Pays-Bas

_____

Cette note a été publiée dans le rapport d'information de M. Dominique de LEGGE, sénateur, « ............ » fait au nom de la Mission commune d'information sur les conséquences de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, n° ... (2010-2011) - ... 2011.

Ce rapport est disponible sur internet à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport......

DIRECTION DE L'INITIATIVE PARLEMENTAIRE

ET DES DÉLÉGATIONS

LC 2011-8

LES RÉFORMES RÉCENTES DE L'ADMINISTRATION

NOTE DE SYNTHÈSE

Les pouvoirs publics anglais, canadiens, italiens et néerlandais ont, au cours de ces dernières années, mis en oeuvre des mesures de modernisation de leurs administrations dont la nature et l'avancement sont largement fonction de l'histoire et des caractères propres à chacun de ces pays. La présente note de synthèse n'a, non plus que les exemples fournis pour chacun de ces États du reste, pas vocation à l'exhaustivité. Elle souligne certains traits et illustre plusieurs des mouvements de fond qui caractérisent les transformations des administrations de quatre États d'un niveau de développement comparable à celui de la France où l'on met en oeuvre une « révision générale des politiques publiques ».

Ces réformes ont en commun de tendre à :

- améliorer l'efficacité de la dépense publique ;

- accroître le contrôle des résultats ;

- mieux valoriser les performances des services et des agents ;

- renforcer la transparence de l'action administrative en fluidifiant les relations avec les usagers ;

- et enfin alléger et optimiser les procédures administratives.

1. - Amélioration de l'efficacité de la dépense publique

Des mesures traditionnelles ont été prises pour optimiser la dépense publique en diminuant les coûts, que ceux-ci résultent d'achats et de frais de personnels ou de structure.

C'est ainsi que l'Angleterre a entrepris de diminuer les dépenses résultant des marchés publics en permettant à l'État de regrouper ses commandes pour bénéficier de prix moins élevés et en renégociant certains contrats. Elle souhaite aussi, ce qui constitue une innovation, augmenter le rendement des dépenses en permettant à de nouveaux acteurs relevant du statut coopératif de dispenser des services publics à moindre coût en lieu et place des « opérateurs historiques ».

Aux Pays-Bas, la volonté de réduire les coûts de fonctionnement et les frais de structure des administrations du royaume s'est traduite par :

- la modification de l'organisation des services de conseil (limitation du nombre de leurs membres permanents au profit de membres associés, mise en commun des moyens techniques et rationalisation des procédures) ;

- l'unification des procédures de recrutement des agents publics grâce à la rédaction d'un répertoire national des emplois qui limite le nombre des fiches de postes et permet des recrutements communs d'agents quel que soit leur ministère d'affectation ;

- le rapprochement des administrations nationales au plan géographique et immobilier, avec la localisation de plusieurs ministères dans un seul immeuble.

Enfin en organisant une revue systématique des programmes dans le cadre d'un cycle quadriennal, le Canada, réaffecte au moins 5 % des dépenses des programmes les moins performants vers ceux qui ont le meilleur rendement.

2. - Accroissement du contrôle des résultats

En matière de surveillance des résultats de l'action des administrations, la palette des initiatives est large avec :

- au Canada, un modèle intégré et formalisé de contrôle de gestion qui permet d'évaluer le rendement de l'action administrative et les performances opérationnelles en fonction d'une échelle commune et une gestion des ressources humaines qui rapproche, dans le cadre de la planification des emplois, le recrutement des besoins opérationnels ;

- et la systématisation de l'analyse de satisfaction des usagers dans des domaines aussi variés que les services chargés de l'emploi ou les prisons aux Pays-Bas.

La modification des modalités d'audit a, quant à, elle été entreprise, aussi bien :

- en Italie où ces structures sont remplacées dans l'ensemble des administrations de l'État et dans les collectivités locales qui le souhaitent, par des « organismes indépendant d'évaluation » de la performance ;

- qu'en Angleterre où le Gouvernement nourrit le projet de renforcer l'intervention de spécialistes de l'audit et du contrôle de gestion venus du secteur privé dans le domaine de l'audit des finances locales auparavant confié à un organisme public indépendant.

3. - La valorisation des performances s'avère une préoccupation commune aux quatre États

Elle se traduit tout d'abord par des innovations en Angleterre, avec la création des « obligations à impact social », ces titres financiers qui ne seront remboursés à des investisseurs privés que si les résultats attendus en matière de politiques sociales sont réellement atteints, et par une spécificité propre à l'Italie, où l'on a créé une autorité administrative indépendante nationale chargée de diffuser la « culture de l'évaluation » dans toutes les administrations publiques et d'en préciser les modalités.

Elle se caractérise, ensuite, par des initiatives communes dans le domaine des rémunérations de tout ou partie des agents publics puisque l'on envisage de modifier le système de rétribution des dirigeants des administrations afin d'y inclure une partie variable en fonction des résultats, aussi bien Outre-Manche qu'au-delà des Alpes où les administrations doivent publier leurs objectifs et leurs résultats afin que l'on puisse mesurer leurs performances.

Ces mesures se doublent, en Italie, de la possibilité de verser des rémunérations aux agents publics en fonction des gains de productivité du service auquel ils participent (l'Angleterre a le même projet) ou, à terme, de calculer leur rémunération au mérite (encore que la crise économique ait mis à mal les projets en la matière).

4. - Renforcement de la transparence et fluidification des contacts avec les usagers

La « transparence » constitue un « point de passage obligé » des mots d'ordre des politiques de modernisation de l'administration des quatre pays. Elle concerne la publication sur internet :

- des rétributions, aussi bien en Angleterre (rémunération les plus importantes des agents publics) qu'en Italie (montant des primes versées au titre des performances) ;

- des « plans d'affaire » ( business plans ) des administrations (Angleterre) et des objectifs et des résultats qu'elles obtiennent (Italie) ;

- des dépenses et contrats les plus importants (Angleterre et Canada) ;

- ou encore des données quantitatives relatives à l'administration auxquelles les usagers ont, ipso facto, un accès total (Angleterre, Canada et Italie).

Les pouvoirs publics sont, à l'évidence, conscients de la nécessité d'améliorer les relations avec les usagers qu'il s'agisse de :

- lancer une consultation nationale sur les mesures de réforme de l'administration (Angleterre, Canada et Italie) ;

- organiser un service public national unifié sous la forme d'un « guichet unique » pour le traitement des demandes de renseignement des administrés (Angleterre, Canada, Italie et Pays-Bas) ;

- ou encore de créer un site unique pour l'ensemble des ministères (Pays-Bas).

L'initiative de l'Italie, qui a ouvert à ses administrés la faculté de mettre en cause la responsabilité des gestionnaires de services publics lorsque ceux-ci sont défectueux semble cependant, quant à elle, faire figure d'exception.

5. - Allégement et optimisation des procédures

L'allègement des procédures et des contrôles s'allie enfin à la volonté affichée de mieux « calibrer » l'ampleur des procédures avec leur objectif.

On note ainsi que des efforts pour alléger les procédures en :

- limitant les formalités administratives pesant sur les entreprises qui « doublonnent » et en multipliant les « guichets uniques » (Canada et Pays-Bas) ;

- laissant aux administrés, dans les questions mineures, la possibilité de recourir à la certification sur l'honneur, de sorte que l'administration effectue avant tout des contrôles a posteriori (Italie) ;

- élargissant le domaine de l'autorisation tacite de l'administration (Pays-Bas) ;

- unifiant les procédures pour permettre à plusieurs administrations d'examiner un même dossier simultanément (Pays-Bas, Italie) ;

- diffusant, un modèle unique d'arrêté relatif au régime des subventions, établi avec la collaboration des associations représentant les communes (Pays-Bas) ;

- et en renforçant le « ciblage » des contrôles pour améliorer leur efficacité dans le même État.

LES RÉFORMES RÉCENTES DE L'ADMINISTRATION

ANGLETERRE

Le gouvernement britannique élu en mai 2010, a entamé une réforme qui devrait notamment passer, pour les services publics, par l'externalisation ( outsourcing ), la privatisation partielle et le recours à de nouveaux modèles de fourniture. Cette réforme, qui a fait l'objet d'une consultation entre le 26 novembre 2010 et le 5 janvier 2011, sera exposée dans un livre blanc dont la date de publication vient d'être reportée à juillet 2011.

Elle tend à :

- une centralisation des marchés de fourniture de l'État ;

- un renforcement de la transparence ;

- une plus grande diversité dans la mise en oeuvre des services publics ;

- une meilleure prise en compte des résultats ;

- et, enfin, une réforme des rémunérations.

1. - Vers une centralisation des marchés publics de fournitures de l'État

On a créé en juin 2010, au sein du cabinet du Premier ministre, le groupe « Efficacité et Réforme » ( Efficiency and Reform Group ) qui réunit des compétences disséminées jusque-là dans différents ministères afin d'accroître l'efficacité du gouvernement central d'ici à 2014-2015, de conduire les changements et de faciliter le fonctionnement des ministères dans un contexte de réduction budgétaire. A court terme, ce groupe doit réduire les coûts par un moratoire sur les dépenses, négocier les contrats avec les plus gros fournisseurs et dresser un état des lieux des principaux projets. Auparavant, d'ici fin 2011, il est chargé d'opérer la centralisation des contrats de fourniture, de renégocier les principaux d'entre eux, d'instituer des outils de mesures de performance et de désigner les autorités respectivement chargées de conduire les principaux projets et de gérer le patrimoine immobilier.

Depuis juillet 2010, les contrats conclus avec les 50 plus gros fournisseurs des ministères en biens de consommation, équipements et services ont été renégociés.

En août de l'année passée, le nouveau gouvernement a, en outre, chargé Sir Philip Green de passer en revue l'efficacité des dépenses de l'État et plus particulièrement d'étudier les fournitures, l'immobilier et les principaux contrats. Dans son rapport publié en octobre 2010 ( Efficiency Review ), Sir Philip Green relève le manque d'efficacité des dépenses et le gaspillage d'argent public qui en découle, estimant que l'État ne sait pas tirer profit de son nom, de sa solvabilité et du volume de ses achats. Les mêmes fournitures de base sont achetées à des prix différents par chaque ministère (il en va de même pour les multiples contrats signés avec les plus importants fournisseurs par chaque ministère), l'État est le plus grand propriétaire/locataire du pays mais l'utilisation et la gestion de son patrimoine immobilier sont inefficaces. Au surplus, les contrats relatifs à l'informatique et aux nouvelles technologies s'avèrent non seulement chers et dépourvus de flexibilité mais de durées trop longues. Le rapport recommande par conséquent au Gouvernement d'agir comme un client unique pour améliorer le rapport qualité/prix ( Best value for money ) en centralisant les achats de fournitures de toutes sortes et en n'autorisant plus les ministères à passer de tels contrats de manière séparée.

En octobre 2010, le Gouvernement a créé une unité chargée de gérer les biens propriété de l'État ( Government Property Unit ).

Un responsable en chef des marchés ( Chief Procurement Officer ), nommé le 19 avril 2011, centralise et améliore la passation des marchés publics de fourniture et d'équipement de l'État.

2. - Vers plus de transparence et de responsabilité envers les citoyens

• De la part de l'État central

En mai 2010, le nouveau gouvernement a lancé l'initiative pour la transparence ( Transparency Initiative ) et créé un comité de la transparence ( Transparency Board ) au sein du cabinet du Premier ministre.

En juin suivant, ce gouvernement a publié sur son site internet les noms, grades, intitulés de postes et salaires annuels de la plupart des hauts fonctionnaires dont la rémunération dépasse 150 000 £, soit un peu plus de 170 000 €. Ces informations ont ensuite été complétées par la publication de données relatives aux autres titulaires de la haute fonction publique et, en octobre 2010, par la mise en ligne des organigrammes des ministères.

En novembre dernier, le Gouvernement qui a pour objectif d'être « le plus ouvert et le plus transparent du monde » a publié, sur la page web Transparence ( Transparency ) de son site internet, les plans d'affaires ( Business Plans ) de chaque ministère.

Ces plans indiquent les objectifs et les priorités 2014 2015, les actions, les moyens et les échéanciers que les ministères mettent en oeuvre pour réaliser les réformes annoncées, ainsi que leur contribution à la transparence. Chacun est tenu de publier sur internet un rapport mensuel faisant état des progrès dans la réalisation des objectifs fixés. Le Gouvernement estime que les ministères doivent avant tout rendre des comptes aux citoyens ( democratic accountability ).

Sur la page « Transparence » du site web précité, figurent plusieurs rubriques dont :

- « qui fait quoi au Gouvernement et sa rémunération » ;

- « l'agenda des ministres » où sont mentionnées les personnes rencontrées, le motif de la rencontre, les cadeaux reçus et les déplacements à l'étranger ;

- « les marchés publics en détails » ;

- « comment votre argent est dépensé » qui dresse un état mensuel de toutes les dépenses publiques et contrats d'une valeur supérieure à 25 000 £, soit environ 28 000 €, par ministère ;

- et « toutes les autres données relatives au Gouvernement » pour permettre aux citoyens de juger de l'efficacité des réformes.

• De la part des collectivités locales

A compter du 31 janvier 2011, les collectivités locales sont tenues de publier sur leur site internet dans les formats informatiques requis :

- les dépenses supérieures à 500 £, soit environ 565 € ;

- tous les contrats et appels d'offres supérieurs à 500 £ ;

- les informations relatives aux rémunérations supérieures à 58 200 £ (soit environ 67 000 €) ;

- et leurs organigrammes.

Les collectivités locales sont tenues de fournir des données sur les personnels :

- de catégorie supérieure percevant un salaire qui dépasse 150 000 £ en mentionnant le nom (sauf en cas de refus de l'intéressé reconnu légitime par l'administration) et l'intitulé du poste ;

- de catégorie supérieure percevant entre 50 000 £ et 150 000 £ (entre 57 600 € et 170 000 € environ) mentionnant seulement l'intitulé du poste ;

- appartenant aux autres catégories et percevant plus de 50 000 £.

Les rémunérations sont indiquées sur une échelle graduée en tranches de 5 000 £.

A la demande des collectivités locales, tout ou partie de ces informations peuvent être reprises sur d'autres sites officiels régionaux ou nationaux comme celui des services publics britanniques ( direct.gov.uk ) ou le site des statistiques nationales ( data.gov.uk ).

Des guides sur la publication de ces données ainsi qu'un code de bonnes pratiques sur la transparence des données pour les collectivités locales ont fait l'objet de consultations et devraient être publiés sous peu.

3. - Vers une « privatisation » de l'audit des finances locales

Le 13 août 2010, le secrétaire d'État chargé des collectivités locales a annoncé le projet du Gouvernement de modifier le système de contrôle des finances locales en supprimant notamment la Commission d'audit (Audit Commission), organisme public indépendant chargé de surveiller « l'économie, l'effectivité et l'efficacité » des services publics locaux pour obtenir le meilleur rapport qualité/prix.

L'Audit Commission nomme notamment les auditeurs chargés d'examiner les comptes des collectivités locales et de leurs services publics (police, pompiers, urgences, logement social, santé...). 70 % des audits internes sont effectués par des personnels de la commission et 30 % par ceux de grands cabinets d'audit privés avec lesquels la commission a passé des contrats. Le Gouvernement entend transférer l'audit interne au secteur privé selon des modalités qui restent à définir, ce qui, estime-t-il, devrait représenter une économie de 50 millions de livres par an, soit environ 57,6 millions d'euros.

En mars 2011, le Gouvernement a publié un document intitulé L'avenir de l'audit public local ( Future of local public audit ) qui sert de base à une consultation qui doit s'achever le 30 juin 2011. Il y propose notamment de renforcer l'élément local et la décentralisation ( localism and decentralisation ) en permettant aux collectivités locales les plus importantes (recettes/dépenses supérieures à 6,5 millions de livres, soit environ 7,5 millions d'euros) de nommer, à partir d'une liste officielle, l'auditeur chargé de les contrôler. La décision serait prise par l'assemblée délibérante sur proposition d'un comité d'audit ( audit committee ), dont le président, le vice-président et la majorité des membres seraient indépendants de la collectivité locale contrôlée. Dotés d'une expérience financière récente et appropriée, les élus qui y siégeraient ne devraient pas être membres de l'exécutif de cette collectivité locale. Le public aurait la possibilité de faire valoir ses observations sur le choix de l'auditeur. Les collectivités locales de plus petite taille seraient soumises à un dispositif allégé inspiré de celui applicable aux organisations caritatives : l'étendue du contrôle et le niveau de qualification de l'auditeur varieraient selon l'importance des recettes ou des dépenses.

4. - Vers plus de diversité dans la fourniture des services publics

Pour le Gouvernement, davantage de petites et moyennes entreprises (PME) doivent répondre aux appels d'offres : 25 % des marchés publics devraient être passés avec des PME. A cette fin, le site « Transparence » évoqué supra et les sites internet des collectivités locales publient des informations nécessaires à leur passation.

En août 2010, les pouvoirs publics ont annoncé vouloir donner la possibilité aux employés du service public qui souhaitent prendre en charge la fourniture d'un service public local avec l'objectif de le rendre plus efficace, de se regrouper dans une sorte de coopérative du secteur public appelée « mutualité » ( mutual ), dont ils seraient les gestionnaires. Une douzaine de mutualités « pionnières » ( Pathfinder mutuals ) se sont ainsi constituées grâce aux conseils gratuits des coopératives britanniques les plus connues : regroupement d'employés du National Health Service pour aider les personnes sans domicile fixe à Leicester, d'employés de collectivités locales pour les services à l'enfance, de plusieurs collèges pour la création d'un organisme certifié pour la remise de prix...

Ces « mutualités » pourront recevoir des financements du Fonds d'investissement aux entreprises du secteur social ( Social Enterprise Investment Fund ), créé en 2007 pour encourager le développement des entreprises sociales qui oeuvrent dans le domaine de la santé et des prestations sociales et géré par la société The Social Investment Business pour le compte du ministère de la Santé.

Le Gouvernement souhaite que ces « mutualités » ainsi que les coopératives, les organismes caritatifs et les entreprises à but social puissent soumissionner plus facilement pour la fourniture d'un service public. Entre le 26 novembre 2010 et le 5 janvier 2011, une consultation a été lancée sur ce sujet avec la publication du livre vert Modernising Commissioning : Increasing the role of charities, social enterprises, mutuals and cooperatives in public service delivery . Les résultats de cette consultation devraient être publiés dans le livre blanc sur la réforme des services publics.

5. - Vers l'introduction d'un paiement suivant les résultats pour la fourniture de certains services publics

Le Gouvernement poursuit la réalisation du projet relatif à l'« obligation à impact social » ( Social Impact Bond, SIB ), annoncé par le ministre de la Justice du gouvernement travailliste Jack Straw en mars 2010.

La SIB est un instrument financier élaboré par Social Finance, une société de conseil en finances créée en 2007 pour le développement du marché des placements sociaux au Royaume-Uni. Cet instrument permet au Gouvernement de lever des fonds auprès d'investisseurs privés qui achètent les SIB, en général des organisations et des fondations caritatives, pour les investir dans des programmes sociaux de prévention qui ne permettront d'économiser l'argent public qu'à long terme. Le Gouvernement ne s'engage à rembourser ces obligations assorties d'intérêts, à l'expiration du délai prévu, que si les résultats « sociaux » sont avérés, l'argent public économisé du fait des résultats obtenus finançant le remboursement. En l'absence de résultat, les investisseurs sociaux perdent tout leur investissement.

En septembre 2010, le ministère de la Justice a vendu 5 millions de livres de SIB (environ 5,7 millions d'euros) à des organisations caritatives et à des philanthropes pour financer la réalisation d'un programme de prévention de la récidive d'une durée de six années auprès de 3 000 prisonniers de la prison de Peterborough condamnés à de courtes peines. Si le taux de récidive diminue d'au moins 7,5 %, les investisseurs récupéreront 8 millions de livres au bout de six ans. Si tel n'est pas le cas, ils perdront leur investissement initial.

6. - Vers une réforme des rémunérations dans le secteur public

En mai 2010, le Gouvernement a confié à Will Hutton, vice-président du think tank The Work Foundation, la mission d'étudier la réduction des plus hautes rémunérations du secteur public. Il devait notamment répondre à la question suivante : « pour introduire un système de rémunération juste ( Fair Pay ) dans le secteur public, faut-il limiter la rémunération du directeur d'une administration à vingt fois celle de la plus petite rémunération versée dans celle-ci ? ».

Dans son rapport, Hutton Review of Fair Pay in the public sector , de mars 2011, Will Hutton répond par la négative à la question posée et recommande notamment que les directeurs relevant du secteur public soient payés selon leurs mérites, en fonction de leurs résultats. Une partie de leur rémunération de base (10 % sont suggérés) ne serait, à l'avenir, versée que si des objectifs préalablement déterminés sont atteints. Les directeurs peu performants seraient ainsi sanctionnés par une perte de rémunération alors que ceux qui dépassent les objectifs recevraient en plus de la totalité de leur rémunération de base une rémunération supplémentaire. Le même rapport propose d'étendre ensuite ce système aux cadres intermédiaires sur la base du volontariat.

Il encourage également les administrations à étudier le moyen de faire profiter tous les personnels, outre les cadres, des gains de productivité résultant notamment de la réussite des business plans évoqués supra , par la mise en place de plans de participation.

Il recommande que soient publiés des rapports annuels sur la rémunération juste ( Fair Pay report ) pour permettre aux contribuables d'analyser les salaires des dirigeants du service public en relation avec leurs responsabilités et de suivre les changements réalisés. Ces rapports indiqueraient notamment :

- le ratio entre le total des salaires les plus élevés et le total des salaires médians accompagné d'explications sur son évolution ;

- et le détail de la rémunération annuelle de chaque directeur (nom et poste), de ses principales missions et résultats.

Un code de la rémunération juste ( Fair Pay Code ) est joint au rapport. Chaque ministère a jusqu'à juillet 2011 pour faire des propositions quant à son application.

LES RÉFORMES RÉCENTES DE L'ADMINISTRATION

CANADA

Le parlement canadien a été dissous le 26 mars 2011, lors de la discussion budgétaire, à la suite de l'adoption d'une motion de censure présentée par les libéraux contre le gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper. Les élections fédérales ont eu lieu le 2 mai 2011 et la composition du nouveau gouvernement Harper a été annoncée le 18 mai 2011.

Dans son programme électoral, le parti conservateur a déclaré vouloir réduire le déficit en 2014 au lieu de 2015 en réalisant davantage d'économies et notamment en ne remplaçant pas tous les fonctionnaires partant à la retraite au sein de la fonction publique fédérale qui employait 283 000 personnes en 2010.

On s'intéressera, infra , aux réformes concernant la seule administration fédérale, en évoquant la modernisation de celle-ci par :

- le recours à de nouveaux instruments de gestion ;

- des mesures prises en matière de transparence ;

- la réduction des contraintes concernant les entreprises ;

- et l'initiative « Service Canada » qui tend à faciliter l'accès aux services fédéraux.

Un rapport sur la mise en oeuvre de la loi de modernisation de la fonction publique, L.C.2003 ch. 22, entrée en vigueur en 2005, sera déposé devant le Parlement en 2011.

1. - Le recours à des instruments de gestion

En la matière, les pouvoirs publics se sont penchés aussi bien sur la gestion du rendement que sur celles des dépenses et des ressources humaines.

a) Gestion du rendement

La gestion moderne des ressources en vue de rendre l'administration fédérale plus efficace constitue une priorité depuis le lancement de la politique de réduction du déficit et de coupes budgétaires au milieu des années 1990. Créé en 2003 et perfectionné depuis lors, le Cadre de responsabilisation de gestion (CRG) (Management Accountability Framework) fournit aux gestionnaires des ministères et des organismes publics fédéraux « un modèle exhaustif et intégré de gestion et d'amélioration de la gestion ».

Le CRG se présente comme la synthèse des conditions favorables à une bonne gestion à mettre en place pour parvenir à un rendement organisationnel élevé. Il est constitué actuellement de 15 composantes de gestion (CG) :

CG 1

Valeurs et éthique

CG 2

Gestion des résultats

CG 3

Gouvernance et planification

CG 4

Service axé sur les citoyens

CG 5

Vérification interne

CG 6

Évaluation

CG 7

Gestion financière et contrôle

CG 8

Gestion de la sécurité

CG 9

Gestion intégrée des risques

CG 10

Gestion des personnes

CG 11

Approvisionnement

CG 12

Gestion de l'information

CG 13

Technologie de l'information

CG 14

Gestion des biens

CG 15

Planification des investissements et gestion des projets

Toutes ces composantes sont assorties d'« éléments de preuve » qui permettent de mesurer la qualité de la gestion dans le domaine en question.

Chaque année, le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) qui a pour mission « de veiller à l'amélioration continue de la manière dont le gouvernement fédéral gère ses ressources pour atteindre ses objectifs » se livre à une évaluation du CRG à partir des informations transmises par les ministères et organismes publics. Chaque composante de gestion est notée d'après l'échelle suivante : « fort, acceptable, possibilité d'amélioration ou attention requise ».

Le processus d'évaluation annuelle du cadre de responsabilisation de gestion se déroule en sept étapes décrites comme suit par le rapport d'évaluation quinquennale réalisé en 2009 par les firmes Pricewaterhouse Coopers LLP et Interis Consulting Inc. :

- établissement des priorités pour l'année à venir par le STC ;

- préparation et présentation des documents par les ministères ;

- évaluation par le SCT et transmission des résultats provisoires aux ministères ;

- finalisation des résultats et présentation de rapports simplifiés par le SCT ;

- communication aux ministères des résultats et des objectifs prioritaires pour l'année suivante ;

- publication des résultats de l'évaluation du CRG sur le site du Conseil du Trésor ;

- et analyse rétrospective en vue d'améliorer le processus et la méthodologie.

Même s'il formule des recommandations pour l'amélioration de cet outil de gestion, le rapport d'évaluation quinquennale précité juge que « le CRG est un cadre efficace et pertinent. [...] Il offre aux administrateurs généraux et au SCT un portrait global de l'état de rendement de gestion d'un ministère ou d'un organisme. Le CRG constitue un outil précieux pour soutenir l'établissement des priorités et mettre l'accent sur les pratiques de gestion dans l'ensemble de l'administration fédérale ».

b) Gestion des dépenses

En 2007, le gouvernement fédéral a institué un nouveau système de gestion des dépenses pour une utilisation optimale des ressources et leur affectation à des programmes efficaces répondant aux besoins prioritaires de la population.

Ce système repose sur une évaluation continue durant un cycle quadriennal de toutes les dépenses de programme directes du gouvernement fédéral, connue sous le nom d'« examens stratégiques » (Strategic Reviews) .

Tous les ministères et les organismes publics fédéraux sont tenus de se livrer à un examen stratégique avec l'aide de conseillers externes indépendants et de « cerner un total de 5 % de leurs dépenses de programmes à plus faible priorité et à plus faible rendement ». Ils doivent également formuler des recommandations de réaffectation de ces 5 % d'économies dans le cadre du processus annuel de planification budgétaire. Les fonds destinés à des programmes inefficaces sont ainsi rapidement réinvestis dans les priorités budgétaires.

c) Gestion des ressources humaines

Chaque ministère, chaque organisme public fédéral se sert de la méthode de planification intégrée des activités et des ressources humaines (Integrated Human Resources and business planning) afin d'optimiser l'utilisation de ses ressources humaines. Cette méthode, née dans les années 1980, s'est perfectionnée avec le temps et apparaît aujourd'hui essentielle. Le dix-huitième rapport annuel au Premier ministre sur la fonction publique du Canada pour l'année budgétaire finissant le 31 mars 2011 constate une amélioration de la situation des ministères qui « établissent désormais des liens entre leurs plans de ressources humaines et les plans opérationnels généraux ».

La planification intégrée « permet de déterminer les besoins en ressources humaines actuels et futurs d'une organisation en vue d'atteindre ses objectifs. La planification des ressources humaines doit servir à faire le lien entre la gestion des ressources humaines et le plan stratégique de l'ensemble de l'organisation ».

Depuis mars 2008, tous les ministères ont mis en ligne leur plan intégré des activités et des ressources humaines. En décembre suivant, un rapport a été publié sur la planification intégrée des ressources humaines et des activités dans la fonction publique fédérale et sur les meilleures pratiques.

Le plan intégré des activités et des ressources humaines est élaboré en tenant compte « des facteurs environnementaux, des priorités gouvernementales et d'autres facteurs cruciaux comme le Plan d'action pour le renouvellement de la fonction publique ».

Depuis plusieurs années, le Gouvernement se préoccupe du renouvellement de la fonction publique fédérale car il fait face à un très grand nombre de départs. En 2010, plus de la moitié du personnel avait été recruté depuis l'année 2000 et 9 330 départs et départs en retraite étaient comptabilisés pour le seul exercice 2009-2010.

En avril 2007, le secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a publié un guide de la planification intégrée contenant « une liste de contrôle pour la planification intégrée des ressources humaines et des activités » assortie de documents de planification destinés à aider les ministères. Cette liste prévoit cinq étapes :

- détermination des objectifs opérationnels ;

- analyse de l'environnement ;

- établissement des priorités liées aux ressources humaines pour permettre d'atteindre des objectifs opérationnels ;

- analyse des écarts relevés entre l'effectif actuel, l'effectif futur et les objectifs opérationnels ;

- et mesure, surveillance et signalement des progrès.

Compte tenu des contraintes budgétaires, le plan d'action pour le renouvellement de la fonction publique 2010-2011 préconise une meilleure planification, un recrutement ciblé, qui tienne compte des besoins opérationnels, le perfectionnement des personnels « au moyen d'une méthode systématique et intégrée de gestion du rendement et de l'apprentissage » et le renouvellement des composantes du milieu du travail.

Sur ce dernier point, il déclare qu'«il faut miser sur la collaboration, faire appel aux nouvelles technologies, se concentrer sur l'innovation, réduire le nombre de règles et de rapports inutiles et bien gérer les renseignements et les risques».

Le plan intégré des activités et des ressources humaines de chaque ministère contient un plan d'action pour le renouvellement de la fonction publique.

2. - La transparence

En la matière, le Gouvernement veut améliorer la situation en facilitant l'accès :

- aux informations relatives aux finances et aux ressources humaines ;

- et à un grand nombre de données gouvernementales pour passer à un « gouvernement ouvert ».

a) Communication des informations relatives aux finances et aux ressources humaines

Depuis 2003, le Gouvernement a souhaité mettre en oeuvre une politique de transparence, une « divulgation proactive », qui oblige les ministères et organismes du secteur public à rendre des comptes sur l'utilisation des finances publiques et sur les ressources humaines afin d'améliorer la gestion et de faciliter la surveillance par les contribuables et les parlementaires.

Sont ainsi publiées chaque trimestre sur les sites Web des ministères et organismes publics :

- depuis 2003, les frais de voyage et d'accueil des ministres et des cadres de la haute fonction publique ;

- à compter de 2004, les contrats de plus de 10 000 dollars canadiens (environ 7 250 euros) conclus par les institutions fédérales ainsi que les reclassifications de postes ;

- depuis 2005, l'octroi de subventions et de contributions supérieures à 25 000 dollars canadiens (environ 18 000 euros).

Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, L.C.2005, ch. 46, le 15 avril 2007, tout « acte répréhensible » commis au sein des ministères doit être rendu public. Selon l'article 8 de la loi précitée, il peut s'agir :

- du fait de contrevenir à une loi fédérale ;

- de l'usage abusif des fonds ou biens publics ;

- des cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public ;

- du fait de causer - par action ou par omission - un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l'environnement ;

- de la contravention grave au code de conduite établi par le Conseil du Trésor et à celui rédigé par le ministère concerné ;

- et du fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l'un des actes répréhensibles précédemment décrits.

Le site du Secrétariat du Conseil du Trésor et le site VisibleGovernment.ca « un organisme sans but lucratif qui contribue au développement d'outils en ligne favorisant la transparence des pouvoirs publics » centralisent toutes ces informations.

b) Renforcement du « gouvernement ouvert » (Open Government)

Au cours de ces dernières années, le Gouvernement a réfléchi à « l'intégration de la nouvelle génération de médias numériques à la structure et au fonctionnement de l'administration » (projet « Gouvernement 2.0 »).

Le 18 mars 2011, le gouvernement Harper a présenté une déclaration sur le renforcement du gouvernement ouvert qui repose sur trois piliers : les « données ouvertes » (open dates) , l'« information accessible » (open information) et le « dialogue ouvert » (open dialogue) .

Les « données ouvertes » « consistent à présenter les données gouvernementales dans un format plus convivial et dans des formats lisibles par machine afin que les citoyens, les organisations du secteur privé et les organismes non gouvernementaux puissent les utiliser de façon novatrice et améliorée ».

Certains ministères avaient déjà conduit des expérimentations sur ces « données ouvertes ». Le ministère des Ressources naturelles a, par exemple, mis en service trois portails qui diffusent des données brutes sur les réseaux routiers, les limites des circonscriptions électorales et les cartes topographiques du Canada. Les accords de licence qui les régissent donnent aux utilisateurs « une licence non exclusive, sans frais ni redevances exigibles et le droit d'exercer tous les droits de propriété intellectuelle sur les données ».

Le Gouvernement a également lancé un site internet qu'il testera entre mars 2011 et mars 2012. Ce Portail « données ouvertes » constitue un guichet unique permettant à tous les Canadiens d'accéder à plus de 260 000 ensembles de données fournis par dix ministères. Ce site, qui doit s'enrichir au fil des mois, va permettre le développement d'applications destinées à réutiliser ces éléments « à des fins commerciales, pour la recherche ou des services communautaires » et de créer ainsi des débouchés économiques.

L'opération « information accessible » rend quant à elle « l'information gouvernementale plus facile à trouver et plus accessible aux Canadiens ». A compter du 1 er avril 2011, tous les ministères et organismes publics sont tenus de publier sur leur site des résumés des demandes d'information traitées par leurs soins.

L'opération « dialogue ouvert » « permettra aux Canadiens d'intervenir davantage dans les politiques et les priorités du Gouvernement et de participer de façon plus directe au processus décisionnel ». Un site « Consultations auprès des Canadiens » regroupe toutes les consultations en cours (et archivées) et leur permet de répondre en ligne.

3. - La réduction des contraintes administratives fédérales pesant sur les entreprises

L'objectif du Gouvernement est de réduire le temps et les ressources que les entreprises, et notamment les plus petites d'entre elles, consacrent en vue de se conformer à la règlementation fédérale.

Sur son site, la « Commission sur la réduction de la paperasse fédérale » indique qu'entre 2007 et 2009 le Gouvernement « a réduit de 20 % la paperasse dans le cadre de l'Initiative de la réduction de la paperasserie. 80 000 exigences réglementaires et obligations relatives à l'information ont été éliminées ; pour y arriver, on a rationnalisé la réglementation, éliminé les exigences faisant double emploi ainsi que les obligations qui se chevauchaient, et réduit les exigences en matière de renseignements ».

Suite à l'adoption du budget fédéral 2010, le Gouvernement a institué la « Commission sur la réduction de la paperasse fédérale » qui s'est livrée à une vaste consultation des entreprises aussi bien en ligne qu'en organisant des tables-rondes de décembre 2010 à mars 2011. Elle est chargée d'évaluer si le respect de la réglementation impose des coûts inutiles aux entreprises et de recommander des solutions pour alléger ce fardeau à court et à long terme.

4. - L'accès aux programmes et aux services du gouvernement fédéral

En septembre 2005, le Gouvernement a créé « Service Canada » qui offre un accès rapide et facile à l'ensemble des programmes et services fédéraux qui accordent des prestations sociales (prestations chômage, retraite, naissance d'un enfant ...), en téléphonant à une ligne d'information unique, en se connectant au site internet, ou en se déplaçant dans une agence.

LES RÉFORMES RÉCENTES DE L'ADMINISTRATION

ITALIE

Depuis le vote de la loi n° 19 du 4 mars 2009, l'Italie a entrepris une transformation du fonctionnement de son secteur public connue sous le nom de « Réforme Brunetta », du nom du ministre chargé de sa mise en oeuvre.

Les contempteurs de l'administration italienne lui reprochant un absentéisme important, un coût croissant et une faible satisfaction des usagers, la réforme tend à améliorer la productivité de l'administration et la qualité du service. Elle s'appuie sur une modernisation du management, un renforcement de la transparence et l'usage des nouvelles technologies.

1. - Management et évaluation des performances

La modernisation du management repose sur la définition d'objectifs en matière de performance et l'attribution de majorations salariales au mérite pour les dirigeants des administrations.

• Définition d'objectifs en matière de performance

Le décret n° 15 du 27 octobre 2009 dispose que les administrations doivent rédiger chaque année, avant le 31 janvier, un « plan de la performance » triennal établi compte tenu de la programmation budgétaire qui détermine les objectifs stratégiques et, avant le 30 juin, un « rapport sur la performance » relatif à l'année précédente. Les dirigeants d'administrations qui n'auraient pas rédigé ces documents ne peuvent percevoir la fraction de leur rémunération calculée en fonction de leur performance (voir infra ), tandis que l'administration dont ils font partie ne peut engager de personnel. Cette règle est aussi applicable au versement de primes de performance dans les collectivités locales (au sens italien du terme : communes et provinces).

• Attribution de majorations salariales au mérite

Le décret n° 15 du 27 octobre 2009 prévoit de nouvelles modalités de valorisation du mérite des agents publics : traitement accessoire, bonus annuel, prime pour l'innovation, augmentations indiciaires, attribution de responsabilités nouvelles et enfin accès à des parcours spécifiques de formation. Il renvoie à la négociation collective leurs modalités d'application pratique, tout en prévoyant que les 25 premiers pour cent - au plus - des agents pourront bénéficier de la hausse maximale du traitement accessoire, qu'au plus 50 % des agents bénéficieront de 50 % de l'augmentation et que les 25 % restant, au maximum, ne recevront pas d'augmentation à ce titre. Les primes versées aux agents les plus efficaces pourront provenir du « dividende de l'efficacité » correspondant à un maximum de 30 % des économies réalisées par les administrations si le rapport sur la performance validé par l'organisme d'évaluation (voir infra ) établit que ces sommes résultent bien de restructurations et de réorganisations, du service auquel participent les personnels bénéficiaires.

Le même décret prévoit que les régions doivent déterminer, pour le personnel dirigeant qu'elles emploient, les modalités d'attributions d'une rémunération au mérite, dans des conditions analogues à celles applicables aux employés de l'État. Elles transmettent, de même que les collectivités locales (toujours entendues au sens italien du terme, c'est-à-dire communes et provinces) le contenu des règles qu'elles ont adoptées en la matière à la Conférence permanente pour les rapports entre l'État, les régions et les provinces autonomes.

En pratique, cependant, la loi de finances rectificative pour 2010, adoptée à la suite de la crise économique mondiale, a institué diverses mesures qui empêchent la mise en oeuvre de la rémunération au mérite, à l'instar du blocage des rémunérations des employés du secteur public jusqu'en 2010, de la suspension des négociations contractuelles entre 2010 et 2012 et d'une diminution des traitements des agents dont le revenu annuel excède 90 000 euros. Un accord conclu avec plusieurs syndicats en février 2011 a cependant prévu que la fraction variable des rémunérations ne pourrait pas diminuer par rapport à son niveau 2010 du fait de l'entrée en vigueur des dispositions votées en 2009.

La réforme tend à faciliter le recrutement des managers issus du secteur public par concours pour 50 % des postes vacants chaque année. Ceux recrutés par contrat de droit privé seront aussi sélectionnés par concours pour une durée maximale de trois ans.

La réforme rend les managers responsables du non respect des objectifs qui leurs sont assignés et prévoit des sanctions à leur encontre. Elle leur confère des pouvoirs analogues à ceux des chefs d'entreprises sur le personnel placé sous leur direction pour la gestion des ressources humaines et de la qualité.

La mise en oeuvre de la réforme dans les régions et les collectivités locales passe à la fois par :

- l'adoption de lois régionales destinées à appliquer certains principes de la réforme aux services des régions (ainsi la région du Latium vient-elle de voter une loi à cette fin, comme huit autres régions avant elle) ;

- et des accords avec l'État, à l'exemple de celui conclu entre l'État et la région Latium ou de celui signé entre l'État et l'association des communes italiennes, sur la valorisation du mérite et de la productivité dans l'emploi public local et la création d'une commission spécifique pour aider les communes à s'adapter à la réforme (en décembre 2009, 130 communes, soit toutes les métropoles, 60 % des chefs lieux de provinces, correspondant à une population de 15 millions d'habitants appliquaient le nouveau régime à titre expérimental).

2. - Transparence, accès et participation des usagers

• Transparence et performance

En vertu du décret législatif n° 150 du 27 octobre 2009, une Commission nationale pour l'évaluation, la transparence et l'intégrité des administrations publique (CNIVIT) a été créée. Elle est composée de cinq membres, nommés par le président de la République sur proposition du Gouvernement, après avis favorable des commissions du Parlement, parmi des personnalités qualifiées en matière de management, à l'exclusion des titulaires d'emplois publics. Cette autorité administrative indépendante coordonne et dirige l'exercice des fonctions d'évaluation et garantit la transparence des systèmes d'évaluation. Elle doit conclure des conventions par l'intermédiaire de la Conférence unifiée État-Régions, avec les associations nationales qui représentent les collectivités locales. La première d'entre elles a été signée avec l'association nationale des communes et avec l'association des provinces italiennes en mai 2010.

La CNIVIT coordonne et dirige les fonctions d'évaluation, elle élabore des méthodologies d'amélioration de la performance qu'elle confronte avec des standards internationaux, fournit un support technique aux administrations pour la gestion du « cycle de la performance », définit la structure et les modalités de rédaction du plan et du rapport relatifs à la performance que chaque administration doit rédiger, définit les paramètres et les modèles de référence du système de mesure et d'évaluation de la performance, met au point des lignes directrices pour la confection du programme triennal pour la transparence et l'intégrité, détermine les règles applicables pour la désignation de l'organisme indépendant d'évaluation dont se dote chaque administration, promeut des actions tendant à faire intervenir les citoyens, les entreprises et les syndicats et tient à jour un site Internet consacré à la performance.

Chaque administration doit, quant à elle, notamment publier sur son site institutionnel, dans une section intitulée « Transparence, évaluation et mérite », outre le plan et le rapport sur la performance (voir infra ), le montant des crédits disponibles pour verser des primes liées à la performance, celui des primes effectivement payées, l'analyse des modalités de répartition des primes, les normes et les CV des composantes de l'organisme indépendant d'évaluation ainsi que les rétributions des dirigeants, en distinguant la partie fixe et la partie variable. Ces dispositions ne sont pas applicables aux communes.

Les administrations de l'État - l'obligation ne s'impose pas aux communes qui ont cependant la faculté de s'y soumettre - désignent en outre, pour trois ans, parmi des personnes expérimentées en matière de management, à l'exclusion des titulaires de charges publiques, les membres d'un organisme indépendant d'évaluation de la performance qui se substitue aux services de contrôle interne. Cet organisme suit le fonctionnement du système d'évaluation de cette administration, communique les critiques qui lui sont adressées par les usagers, valide le rapport sur la performance et s'assure de sa publication, vérifie l'exactitude des processus de mesure et d'évaluation, propose l'évaluation annuelle des dirigeants et s'assure que l'administration respecte les règles applicables en matière de transparence. Fin 2010, 83 administrations avaient constitué un tel organisme (dont 13 ministères et 69 des 74 entités nationales). La région Latium a, quant à elle, adopté une loi régionale qui reprend le contenu de la loi nationale tant en ce qui concerne les obligations de transparence que la création de l'organisme indépendant d'évaluation.

Définie comme « l'accessibilité totale [...] des informations concernant chaque aspect de l'organisation, des indicateurs relatifs à la gestion et à l'utilisation des ressources » par la CNIVIT, la transparence passe essentiellement par la publication sur Internet des données concernant l'administration. Elle s'applique aussi bien à l'État qu'aux collectivités locales, sous réserve de la protection des données personnelles. La CNIVIT a publié des lignes directrices pour la mise en oeuvre du programme triennal de chaque administration qui doit préciser, outre la nature des informations à rendre publiques, les modalités de leur publication en ligne, la description des initiatives prises en la matière, leur mise en oeuvre (délais, structures compétentes, ressources...), l'indication des modalités d'association des usagers, le fonctionnement de la délivrance de certificats sur Internet qui confèrent aux courriels la même valeur que les lettres recommandées ( posta certificata ) et l'organisation de journées de la transparence à l'attention des associations de consommateurs ou d'usagers, des centres de recherche et de tout observateur qualifié.

En ce qui concerne l'application des règles relatives à la transparence aux collectivités locales, il convient de souligner que :

- les dispositions générales sont d'application directe pour l'ensemble de ces collectivités, qui doivent prendre des mesures pour permettre l'accessibilité aux données visées par la loi, les publier sur leurs sites Internet et garantir la transparence du cycle de gestion de la performance ;

- compte tenu de la grande variété de structures et de taille des communes, il revient à chacune de celles-ci de déterminer le niveau pertinent pour l'application du principe d'évaluation des résultats ;

- l'évaluation des structures locales dans leur ensemble, nouveauté introduite par la loi, est effectuée par la commission nationale pour l'évaluation (CNIVIT), sous réserve de la conclusion d'accords avec l'association nationale des communes italiennes, en fonction de critères homogènes (des expérimentations sont actuellement effectuées pour préparer ces accords) ;

- les communes ne sont pas tenues de constituer un organisme indépendant d'évaluation, mais peuvent le faire, le cas échéant en s'associant avec d'autres communes ;

- enfin que les communes et les provinces ne sont pas tenues d'élaborer des plans et des rapports relatifs à la performance car ces documents sont totalement assimilables à ceux qu'elles adoptent d'ores et déjà pour leur gestion (rapport prévisionnel annexé au budget, compte rendu de gestion et rapport annexé à celui-ci).

• Participation des usagers et « action de groupe »

En novembre 2009, les pouvoirs publics ont lancé une consultation nationale en ligne pour recueillir les suggestions des usagers afin de simplifier les procédures administratives et définir les grandes lignes de la « Réforme Brunetta ».

Le décret législatif n° 198 du 20 décembre 2009 a, en outre, institué un recours relatif à l'efficacité des administrations et des concessionnaires de services publics, pour rétablir le bon fonctionnement d'un tel service. Il s'agit d'une forme originale « d'action de groupe » (voir l'étude de législation comparée n° 206, mai 2010).

3. - Développement de l'« administration numérique »

• Administration en réseau et utilisation des technologies numériques

Le plan « e-gov 2012 » tend à renforcer l'utilisation des nouvelles technologies de l'information dans le secteur de la Justice, notamment pour le traitement des 28 millions de notifications qui occupent 5 000 personnes, soit 12 % des effectifs de ce ministère, pour le paiement en ligne des frais et le traitement télématique de pièces de procédures afin d'abréger d'un tiers la durée des procès. Il institue aussi l'obligation pour les médecins de délivrer les arrêts de maladie sous une forme numérique.

Il se double du projet « réseaux amis » ( Reti amiche ) tendant à faciliter l'accès des usagers aux services publics par courriel et utilisation des sites Internet.

Le service « ligne amie » ( linea amica ) permet aux usagers d'accéder par téléphone, en étant guidés, à toutes les informations concernant les services publics au moyen d'un seul numéro national vert (gratuit) ; d'être rappelés s'il n'est pas possible de répondre à leur demande en direct, de présenter leurs réclamations et d'évaluer le service par téléphone et par courriel. Il réunit 1 000 entités chargées des relations publiques.

• Code de l'administration numérique

Un « Code de l'administration numérique » a été publié par décret en décembre 2010. Il détermine le périmètre dans lequel l'administration utilise les nouvelles technologies de communication (NTC) dans ses rapports avec les usagers dont il précise les droits. Désormais, citoyens et entreprises ayant le droit d'utiliser les NTC dans leurs rapports avec les administrations, celles-ci doivent se doter d'instruments appropriés pour ces échanges (validité des documents indépendamment du support, conservation des documents numérisés, utilisation de l'équivalent numérique de la lettre recommandée...). Ce code dispose que l'État détermine les règles applicables dans tous le pays pour assurer l'interopérabilité des échanges de flux informatiques. Il prescrit la création d'une commission permanente chargée de l'innovation technologique près la conférence permanente pour les rapports entre l'État, les régions et les provinces autonomes.

Le même code prévoit la délivrance d'une carte d'identité électronique ainsi que d'une carte nationale des services publics qui peut être utilisée dans les rapports avec toutes les administrations, y compris comme instrument d'identification et d'authentification du titulaire pour réaliser un paiement. Il prévoit la constitution d'un répertoire national des données territoriales, entendues comme celles qui concernent toutes les informations géographiquement localisées. La création d'un cadastre numérique national accompagne aussi cette entreprise qui passe également par la constitution d'un état-civil numérique. Un comité ad hoc détermine les règles techniques pour la réalisation des bases de données territoriales et les échanges de données entre les administrations nationales et locales.

A côté de ces initiatives de l'État, on note enfin que la région Piémont a créé un ministère chargé de la simplification des procédures administratives, notamment dans les relations avec les entreprises et, en l'an 2000, un observatoire régional de la réforme administrative auquel participent des personnalités de la société civile, des chefs d'entreprises, et des représentants des provinces pour suivre les effets de la réforme qu'elle a entreprise. Elle a également prévu que ses administrations déterminent leurs propres chartes de service public, incluant des objectifs quantifiés et mesurables, la mesure de la performance étant décentralisée au niveau de chacune de ces entités.

Parmi les mesures d'allègement des procédures administratives la région a notamment mis en oeuvre l'auto-certification des demandeurs d'autorisations diverses lors du dépôt de leurs dossiers (l'administration n'a plus qu'à effectuer des vérifications sur l'exactitude de ces déclarations) et l'examen simultané des dossiers par plusieurs administrations pour réduire ces délais. Le gouvernement régional met en outre en oeuvre une vérification durable a posteriori des effets de la réglementation qu'il a instituée.

LES RÉFORMES RÉCENTES DE L'ADMINISTRATION

PAYS-BAS

Les autorités des Pays-Bas ont conçu, en 2006, un programme de réduction de la taille et d'amélioration de la qualité de l'administration du Royaume (services de l'État) destiné à être mis en oeuvre de 2007 à 2011. Elles se sont notamment appuyées sur le rapport « Dépasser la compartimentation » rédigé par les secrétaires généraux des ministères dont les conclusions ont été reprises par le Gouvernement. L'avancement du programme, qui n'a concerné ni la police ni la justice, s'est accompagné de la publication de rapports d'étape et d'évaluations. On s'intéressera plus spécialement infra aux actions menées en matière :

- de management et d'évaluation des performances ;

- d'amélioration de la mise en oeuvre des politiques publiques ;

- et utilisation des nouvelles technologies.

1. - Management et évaluation des performances

Dans ce domaine, les efforts ont porté sur l'accroissement de la flexibilité des emplois au sein d'une administration nationale « décompartimentée » et sur une réforme de la gestion du personnel.

• Flexibilité et coopération au service d'« un seul Gouvernement »

L'amélioration de la flexibilité et de la coopération entre les administrations passe par la réaffectation des moyens humains là où ils sont nécessaires. Dans les organismes de conseil dont l'organisation a été rationnalisée on a, par exemple, prévu la limitation du nombre de membres permanents et favorisé le recours à des membres associés. Les moyens techniques et logistiques ont également été mis en commun, afin de favoriser, par la localisation sur un même site, une meilleure collaboration. On a, du reste, dans un souci de rationalisation, encouragé les organismes de conseil à rendre des avis communs à plusieurs d'entre eux.

En matière de localisation des administrations du royaume, une attention particulière a été prêtée :

- au rapprochement géographique des services administratifs nationaux les uns des autres, en les localisant à moins de 10 minutes à pieds ;

- en installant les services centraux des départements ministériels (8 sur 13) au coeur de La Haye et en faisant cohabiter deux ministères par bâtiment, en abandonnant l'idée qu'à un ministère devait correspondre un immeuble (l'économie attendue, à terme, de ce projet s'élève à 40 millions d'euros) ;

- à la rationalisation de la gestion des moyens par la gestion en commun des services techniques de quatre ministères, dans un premier temps (Intérieur, Affaires sociales, Logement et Transports), opération qui a occasionné une diminution des frais de personnel y afférent de 25 %, sans préjudice de son extension à d'autres départements ministériels ;

- à l'harmonisation des caractéristiques des postes de travail individuels en fonction de critères nationaux, tant en ce qui concerne l'environnement informatique, pour assurer la flexibilité des personnels, que par la définition de normes physiques standardisées pour la réalisation des locaux (bureaux...), aussi bien lors de la rénovation que de la construction de locaux.

Au plan managérial, la volonté de faire collaborer toutes les administrations au service « d'un seul gouvernement » s'est traduite par la volonté de « décompartimenter » les services au profit d'une « unité fonctionnelle » pour la gestion des programmes communs à plusieurs administrations. Dans le même esprit, la réforme à permis :

- une diminution du nombre des « fiches de postes » relatives à l'administration du royaume de plusieurs milliers à 50 et une suppression de l'emploi spécifique auprès d'un seul ministère au profit d'un emploi « fongible » dans tous les services de l'administration soumise à l'autorité du Gouvernement ;

- l'attribution d'un badge unique, le Rijkpas , à tous les fonctionnaires, qui leur permet non seulement d'entrer dans leurs propres locaux et dans ceux d'autres ministères, mais d'avoir aussi accès aux installations informatiques et réseaux qui leur sont utiles, et qui sert aussi de carte d'identité professionnelle (l'opération, lancée dans deux ministères à l'origine à été étendue à dix d'entre eux en 2010 et sera généralisée) ;

- la création d'un logo unique pour toutes les administrations de l'État ;

- et enfin la constitution d'un seul site internet pour l'ensemble des ministères du royaume, outre la diffusion d'une lettre d'information commune à toutes les administrations nationales.

• Gestion du personnel

L'amélioration de la qualité du travail des fonctionnaires se traduit, dans le cadre de la réforme, par :

- la généralisation d'instances analogues aux « cercles de qualité » dans lesquelles les fonctionnaires des ministères peuvent parler du fonctionnement du service auquel ils contribuent afin de l'améliorer ;

- et la création d'une académie nationale de gestion et d'une académie pour le haut management destinées à améliorer la formation des hauts fonctionnaires, afin de disposer non seulement d'une administration d'un format réduit, mais de personnels hautement qualifiés en matière de management.

La « flexibilisation » de la gestion du personnel de l'administration de l'État passe aussi par celle des emplois des fonctionnaires. A cette fin, on a constitué un organigramme national des fonctions, sorte de « répertoire des métiers », pour rendre les fonctions exercées dans les différents ministères comparables et transparentes. Les pouvoirs publics tentent, en outre, une harmonisation de la politique du personnel qui passe, en premier lieu, par des campagnes de recrutement réalisées désormais sous l'égide de l'unique logo qui symbolise l'administration de l'État et, en second lieu, par une harmonisation des conditions de travail au sein des différentes branches de l'administration nationale dans le cadre d'une négociation avec les organisations représentatives du personnel.

Une directive nationale permet l'emploi d'agents extérieurs à l'administration dans la limite de 13 % des frais de personnels.

Ces diverses mesures ont favorisé les réaffectations d'effectifs, entraînant une diminution d'un quart du nombre des emplois vacants entre 2008 et 2009.

2. - Amélioration de la mise en oeuvre des politiques publiques

En termes généraux, la réforme semble avoir donné satisfaction aux usagers. Les pouvoirs publics soulignent que les réclamations adressées à l'équivalent du médiateur de la République au sujet de l'administration du royaume ont diminué de 6,5 % en 2009.

L'amélioration de l'efficience dans la mise en oeuvre des politiques publiques a aussi bien concerné le domaine juridique que la communication. Elle s'est doublée de plusieurs mesures tendant, par un allègement des procédures, à une réduction des coûts de gestion administrative.

• Amélioration des performances dans le domaine juridique

Un soin particulier a été apporté à l'amélioration des compétences juridiques des fonctionnaires de l'État par :

- l'ouverture d'une école supérieure dispensant une formation en matière de rédaction des lois ;

- et le recours à des spécialistes dans les domaines juridiques, comptables et financiers.

• Accroissement des performances en matière de communication

Le programme de modernisation de l'administration du royaume a débouché sur :

- la création de « Postbus 51 », adresse centrale où les citoyens peuvent poser leurs questions par téléphone quelle que soit l'administration qu'elles concernent ;

- la diminution du nombre des campagnes de publicité pour éviter de noyer la société sous les messages ;

- et la systématisation de l'analyse de la satisfaction des usagers (des expériences ont notamment concerné la satisfaction des personnes qui ont recours à l'équivalent de l'Agence nationale pour l'emploi, d'une part, et des prisonniers placés dans des établissements pénitentiaires, d'autre part).

• Allègements des procédures

Un important volet du programme concerne l'allègement des procédures administratives afin de limiter les coûts qu'elles induisent, notamment en ce qui concerne le traitement des demandes d'autorisations administratives et les conditions du déroulement des opérations de contrôle et de surveillance qu'exerce l'administration du royaume.

A l'issue d'un passage en revue des modalités de délivrance des diverses autorisations administratives, quarante-cinq régimes spécifiques ont été supprimés. En outre, la délivrance de l'accord tacite de l'administration pour l'obtention d'une autorisation ( lex silentio positivo ) a été étendue de 24 à 89 régimes différents.

Un programme de modernisation des contrôles concerne aussi bien les installations industrielles à risques que certaines entreprises (transports...), ainsi que le secteur des produits alimentaires et celui des services publics (le contrôle des crèches a, par exemple, été revu). Ces modifications ont notamment permis :

- une plus grande sélectivité dans les inspections, qui relèvent désormais de neuf grands domaines standardisés ;

- l'application d'un « principe de confiance » qui conduit à contrôler davantage les systèmes existants que les expérimentations ;

- l'amélioration des compétences des agents contrôleurs par des programmes de formation appropriés ;

- l'ouverture d'un guichet unique pour les inspections et la mise en réseau des données collectées pendant les inspections afin d'éviter d'obliger un usager à saisir plusieurs fois les mêmes données ;

- la limitation du nombre d'inspections nationales pour une même entité à deux par an ;

- et la création d'une structure unique d'étude, de recherche et de conseil publique pour éviter de multiplier les organismes travaillant « en parallèle » pour différentes administrations.

Dans le domaine financier, une expérimentation a été menée dans six ministères, pour alléger les procédures budgétaires. Le Parlement a, en outre, adopté un cadre uniforme pour l'attribution des subventions qui est désormais utilisé pour l'ensemble des administrations de l'État, y compris l'équivalent des autorités administratives indépendantes.

Des discussions sont en cours pour permettre son application dans les provinces.

L'association des communes néerlandaises a pris une part active au programme d'allègement de la réglementation et d'amélioration du service. Elle a, en particulier, en collaboration avec les ministères de l'Intérieur et des Finances, travaillé à l'unification des procédures de demandes de subventions en réalisant un formulaire simplifié et standardisé, utilisable par toutes les communes. Le projet d'arrêté-type susceptible d'être approuvé par ces dernières pour la demande et l'attribution de subventions unifie les concepts et allège les procédures. Il tend aussi à respecter un principe de proportionnalité entre la nature des exigences et le montant des fonds publics engagés et à allonger le délai de versement des subventions. Au surplus, les communes peuvent obtenir le label « Preuve de bon service » ( Bewijs van goede dienst ) qui leur est attribué lorsque les procédures qu'elles mettent en oeuvre répondent aux principales attentes des entreprises en matière de satisfaction des usagers, de délais et de rapidité de délivrance du service (200 communes où sont localisées plus de la moitié des entreprises néerlandaises devraient être concernées en 2011).

• Réduction des coûts de l'administration

La diminution des coûts induits pour les entreprises par les processus administratifs a été systématiquement recherchée, avec, en particulier :

- des réductions des charges administratives, notamment en matière de comptes annuels, de facturation et de déclaration de TVA (l'entreprise peut choisir de faire celle-ci mensuellement ou chaque trimestre) ;

- la fixation de deux échéances annuelles fixes pour l'entrée en vigueur de modifications législatives importantes pour les entreprises ;

- et la réduction du délai moyen d'attente aux guichets communaux de 7,7 à 5,8 minutes ;

La méthode employée aurait permis de réduire ce type de charges induites de 25,5 % en durée et de 22,2 % en coût, aussi bien dans les administrations de l'État que dans celles des communes.

A ces initiatives en direction des entreprises s'ajoute la création d'un site internet où les entrepreneurs trouveront, à terme, pour 62 branches, un recueil des règles applicables, outre les modalités de délivrance des autorisations, d'octroi des subventions et de paiement des charges sociales.

Enfin pour favoriser une gestion durable, un programme spécifique tend à faire prendre en compte la durabilité des effets des choix de l'administration comme l'un de ses critères d'appréciation, notamment pour la consommation d'énergie dans les transports (par exemple par l'utilisation de véhicules de service électrique...), mais aussi dans la construction de bâtiments publics (pour accroître de 2 % par an jusqu'en 2020 les économies réalisées en matière de consommation énergétique).

3. - Utilisation des nouvelles technologies

Les nouvelles technologies ont enfin été utilisées de façon systématique au cours de ces dernières années puisque :

- depuis 2009, les banques et les administrations ont déterminé les étapes du processus qui conduit à l'utilisation du référentiel standard « XBRL » pour l'élaboration des états financiers dans leurs échanges de données ;

- trois applications informatiques ont été mises en service pour faciliter l'« inspection-numérique » : grâce à la constitution d'un « dossier numérique », d'un « espace d'inspection partagé » et à la rédaction de « rapports partagés d'inspection » ;

- et que l'on a enfin nommé un responsable des technologies de l'information et de la communication, plus spécialement chargé de suivre ces questions, dans chaque ministère.

Faisant le bilan de ces réformes, l'administration du royaume observe qu'en 2009 le nombre de plaintes adressées à l'équivalent néerlandais du médiateur de la République français a diminué de plus de 6 %. Elle ajoute que si l'appréciation des citoyens reste globalement négative en ce qui concerne l'administration considérée dans son ensemble, elle s'avère positive lorsqu'il s'agit d'évaluer l'activité des administrations de proximité.

LES RÉFORMES RÉCENTES DE L'ADMINISTRATION

ANNEXE : DOCUMENTS ANALYSÉS

CANADA

a) Textes législatifs

Loi de modernisation de la fonction publique, L.C.2003, ch. 22

Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, L.C.2005, ch. 46

b) Autres documents

Guide de la planification intégrée du Conseil du Trésor du Canada, avril 2007

Rapport du groupe d'experts sur la planification intégrée des ressources humaines et des activités dans la fonction publique fédérale, décembre 2008

Rapport d'évaluation quinquennale du cadre de responsabilisation de gestion par PricewaterhouseCoopers LLPet Interis Consulting Inc, 2009

Dix-huitième rapport annuel au Premier ministre sur la fonction publique du Canada pour l'année finissant le 31 mars 2011

ITALIE

a) Texte législatifs et règlementaires

Decreto legislativo 27 ottobre 2009, n° 150, Attuazione della legge 4 marzo 2009, n° 15 in materia di ottimizzazione della produttività del lavoro pubblico e di efficienza e trasparenza delle pubbliche amministrazioni

Décret législatif n° 150 du 27 octobre 2009, portant mise en oeuvre de la loi n° 15 du 4 mars 2009 en matière d'optimisation de la productivité du travail public, d'efficacité et de transparence des administrations publiques

Commissione per la valutazione, la Trasparenza e l'Integrità delle amministrazioni pubbliche, delibera n° 105/2010, Linee guida per la predisposizione del programma triennale per la trasparenza e l'integrità, 14 ottobre 2010

Commission pour l'évaluation, la transparence et l'intégrité des administrations publiques, délibération n° 105/2010, lignes directrices pour la mise en oeuvre du programme triennal pour la transparence et l'intégrité, 14 octobre 2010

b) Autres documents

OECD, Modernising the Public Administration. A Study on Italy, 2010

[...], la modernisation de l'administration publique [...]

Associazione nazionale comuni italiani (ANCI), L'applicazione del decreto legislativo n° 150/2009 negli enti locali, le prime linee guida dell'ANCI

Association nationale des communes italiennes, l'application du décret législatif n° 150/2009 dans les collectivités locales, les premières lignes directrices de l'ANCI [...]

OCDE, J. P. Garcia Villareal, Successful Practices and policies to promote regulatory Reform ans Entrepreneurship at the Subnational Level, 2010

[...] pratiques et politiques efficaces pour la promotion de réformes réglementaires et de l'esprit d'entreprise au niveau infra-national [...]

PAYS-BAS

Policy Document on central Government Reform in the Netherlands, presented to Parliament on 25 september 2007, by the Minister of the Interior and Kingdom Relations

Livre blanc sur la réforme du gouvernement du royaume des Pays-Bas présenté au Parlement le 25 septembre 2007 par le ministre de l'Intérieur et des relations du royaume

Inspectieraad, Voortgangsrapportage, Programma Vernieuwing Toezicht, Januari 2009

Conseil de l'Inspection, Rapport sur l'avancement du programme de modernisation du contrôle [...]

Lecture of Prof. Roel Bekker, Institute for Government, London, 31 March 2010

Conférence du professeur Roel Bekker, [...]

Ministerie van Binnenlandse Zaken en Koninkrijksrelaties, Vijfde voortgangsrapportage Programma Vernieuwing Rijksdienst, 20 mei 2010

Ministère de l'Intérieur et des relations du royaume, cinquième rapport sur l'avancement du Programme Modernisation de l'administration du royaume, 20 mai 2010

SIRA consulting, Eindrapportage meting effecten Admnistratieve en Bestuurlijke lasten model algemene subsidieverordening, Nieuwegein, 1 december 2010

Rapport final sur la mesure des effets des coûts administratifs, modèle de l'arrêté général des subventions [...]

Site Internet de l'association des communes néerlandaises ( Vereniging van Nederlanse Gemeenten ) : http://.vng.nl

ROYAUME-UNI (ANGLETERRE)

Efficiency Review (October 2010)

rapport sur l'efficacité (octobre 2010)

Modernising Commissioning : Increasing the role of charities, social enterprises, mutuals and cooperatives in public service delivery, green paper (December 2010)

La modernisation des délégations : accroître le rôle des associations caritatives, des entreprises sociales, des mutualités et des coopératives dans la fourniture des services publics, livre vert (décembre 2010)

Future of local public audit, consultation (March 2011)

Consultation sur l'avenir de l'audit public local (mars 2011)

Hutton Review of Fair Pay in the public sector (March 2011)

Rapport Hutton sur la juste rémunération (mars 2011)

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page