EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 1er juin 2011, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, sur les délégations de compétences dans le domaine du logement (aides à la pierre et contingents préfectoraux) .
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Le rapport de contrôle que je vous présente fait suite à une « interpellation » de Gérard Miquel, lors de la présentation du rapport sur le projet de budget 2011 de la mission « Ville et logement ». Il s'était interrogé sur l'existence d'un bilan de la délégation des crédits d'aide à la pierre aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou aux départements. La période est également propice puisque l'année 2011 marque l'entrée dans une phase de renouvellement des conventions de délégations dont les premières ont été signées en 2005 et qui ont une durée de six ans. J'évoquerai également le sujet beaucoup plus limité des délégations des contingents préfectoraux de réservation de logements sociaux, qui présentent des similitudes puisqu'il s'agit de la même modalité juridique et que leur création figurait dans le même texte législatif.
Un bref rappel du cadre d'exercice des délégations d'aides à la pierre est nécessaire. C'est une faculté ouverte à l'occasion de l'acte II de la décentralisation par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 qui se distingue juridiquement du transfert de compétence, l'Etat restant garant du droit au logement. Toutefois la délégation avait été présentée à l'époque par le Gouvernement comme une étape sur la voie de la décentralisation.
La délégation couvre le financement global des aides à la pierre en direction du parc de logement locatif social (LLS) et du parc privé, à travers les subventions de l'agence nationale de l'habitat (ANAH). Les bénéficiaires sont les EPCI dotés d'un programme local de l'habitat (PLH) et départements qui n'interviennent que sur les territoires non couverts par des EPCI délégataires. La durée des conventions est de six ans renouvelables, sans que ce renouvellement ait un caractère systématique.
Le premier volet du bilan des délégations est quantitatif. En 2011, il y a 108 délégataires, 27 départements et 81 EPCI. Cet effectif a connu une montée en puissance rapide surtout pour les départements. Mais on constate une stagnation du nombre des délégataires depuis 2008. En 2011, un département, les Côtes d'Armor, s'est retiré à la suite de la prise de délégation par une communauté d'agglomération. Ce tassement s'explique par le fait que le potentiel des délégataires est « saturé », tous ceux qui avaient un réel intérêt à se saisir de cette opportunité l'ayant déjà fait. Toutefois, la prise de délégations est assez hétérogène sur le territoire. On note en particulier que l'implication des départements est plus forte dans les régions de l'Ouest et de l'Est de la France et que la signature d'une convention de délégation est exceptionnelle en Ile de France.
La part des crédits délégués dans l'ensemble des aides à la pierre montre l'importance de la délégation. Elle est supérieure à la moitié depuis 2007 en ce qui concerne les crédits à destination du logement locatif social ; pour les subventions de l'ANAH, elle évolue entre 43 % et 50 %.
Le volet qualitatif du bilan des délégations est plus délicat à établir.
La délégation a eu un effet d'entrainement certain sur l'implication croissante des EPCI et des départements dans la politique du logement et de l'habitat depuis 2004. Cet engagement se vérifie par plusieurs paramètres : la création de services spécifiques au sein des collectivités, l'approfondissement des exercices de programmation et l'effort financier des collectivités venant en complément de celui de l'Etat. Pour les départements, l'effort budgétaire a été doublé entre 2004 et 2007 et atteignait en 2007, selon l'Association des départements de France, entre 1 et 1,3 milliard d'euros. Il en est de même pour les EPCI qui ont multiplié par 3,5 leur apport financier. Pour autant, les résultats obtenus en termes de construction de logements sont difficilement attribuables avec certitude aux vertus du mode de gestion en délégation.
Depuis 2007, le nombre de logements financés en territoire délégué est supérieur à celui des logements financés hors territoire de délégation et la production en territoire délégué atteint 49 % du total de la production de logements sur 2005-2010
De même depuis 2007, les sommes engagées par les territoires délégués sont supérieures à celles engagées hors territoires de délégation et représentent 54 % de l'ensemble des financements, soit 1,6 milliard sur 3,024 milliards d'euros sur la période 2005-2010.
Mais ces chiffres sont aussi dus au fait que les territoires les plus tendus sont en régime de délégation.
M. Jean Arthuis , président . - Comment déterminer si la délégation donne de meilleurs résultats ?
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - C'est bien là que réside la difficulté. L'examen plus fin des territoires délégués et des territoires gérés par l'Etat ne permet pas de dégager des conclusions générales si l'on compare les résultats obtenus au regard des objectifs de production de logements.
Les résultats sont contrastés à l'extrême entre les territoires de programmation, indépendamment de leur mode de gestion et la délégation n'est pas déterminante. Les écarts résultent plutôt des difficultés propres aux territoires et parfois du manque de réalisme des objectifs qui reflétaient les ambitions du plan de cohésion sociale.
En termes de performance purement qualitative de l'action publique, le bilan des délégations est mitigé. On note une complexité accrue des procédures dans le circuit administratif de programmation des aides à la pierre qui doit s'adapter à la coexistence de plusieurs types de territoires de programmation. Pour les subventions de l'ANAH, il m'a été indiqué que les temps moyens de traitement d'un dossier d'aide sont augmentés de trois jours supplémentaires pour le délégataire compte tenu des délais de transmission.
Plus fondamentalement, on peut déplorer, de la part de l'Etat, le refus de modifier ses pratiques, notamment pour la répartition régionale des crédits d'aides à la pierre. La détermination des enveloppes régionales n'a pas évolué par rapport à ce qu'elle était avant la délégation.
Quant au bilan en termes de dépenses de fonctionnement et de personnel, il n'a jamais été fait. Mais s'il est sûr que les délégataires ont recruté, l'Etat n'a pas forcément réduit d'autant ses effectifs. D'abord, parce que ses services assurent toujours l'instruction des dossiers de financement sur près de 80 % des territoires de délégation. Mais aussi parce que la délégation de compétence induit une activité supplémentaire liée au pilotage des conventions qui doit être assurée par les agents des services déconcentrés ou de l'ANAH, que l'instruction des dossiers ait été prise par le délégataire ou non.
Enfin, de la part des délégataires comme du côté de l'Etat, on note des lacunes importantes dans le suivi des résultats, la remontée d'information et l'appréciation de la performance qui reste une préoccupation mineure. Ce point a particulièrement été mis en valeur par un audit national de la Direction générale des finances publiques en 2010.
Depuis les années 2009-2010, après une phase d'engouement, on observe un désenchantement des collectivités territoriales à l'égard des délégations. Cela s'explique à la fois par un changement de contexte et par une évolution du modèle des conventions devenu moins attrayant pour les collectivités.
Les premières délégations d'aides à la pierre ont été mises en place dans le contexte favorable et sans doute déterminant du Plan de cohésion sociale (PCS) marqué par une très forte ambition de l'Etat en faveur du logement social. C'était aussi la période de la création ou du renforcement des instruments de la politique locale de l'habitat : programme local de l'habitat (PLH) et plan départemental de l'habitat (PDH). Ce contexte a changé ; il est marqué désormais par la restriction des aides à la pierre, que le plan de relance aura compensé momentanément. Ainsi, après le chiffre record de 131 509 logements sociaux financés au cours de l'exercice 2010, la nouvelle programmation pour 2011 est établie sur un total de 119 000 logements, en diminution dans toutes les régions sauf l'Ile de France et Provence-Alpes-Côte d'Azur. La baisse des crédits se double en outre d'un recentrage accentué sur les zones tendues qui ne sont pas nécessairement les territoires en délégation.
Ces nouvelles orientations concernent aussi l'ANAH qui avait connu des années fastes avec le PCS. Un nouveau régime d'aides est entré en vigueur le 1 er janvier 2011. Il a été l'occasion de revoir les priorités en réduisant les aides vis-à-vis des propriétaires bailleurs au profit des propriétaires occupants modestes.
Les délégataires, notamment les départements, se trouvent placés dans une situation plus difficile et moins prévisible. Ils sont confrontés en premier lieu à des incertitudes budgétaires mais aussi à l'impact de la révision de la carte intercommunale et à la redistribution des délégations qui pourrait en résulter. L'intervention des départements n'étant que supplétive, l'émergence de communautés plus puissantes pourrait remettre en jeu les attributions de délégations entre le niveau départemental et celui de l'intercommunalité.
A ce contexte tendu s'ajoutent les conditions plus restrictives des conventions de délégation qui résultent à la fois des modalités de financement de l'ANAH et des nouvelles conventions types.
Le financement de l'ANAH étant désormais assuré sur les fonds d'Action logement, ex-1% patronal, et non plus sur crédits budgétaires, aucune fongibilité n'est plus autorisée entre les crédits LLS et les crédits pour le parc privé. C'est une contrainte supplémentaire qui retire de la souplesse puisqu'auparavant, les conventions autorisaient le basculement partiel des crédits entre les deux formes d'action.
Par ailleurs, faisant suite aux critiques formulées par plusieurs audits, la gestion budgétaire des délégations est devenue plus stricte. De nouvelles clauses ont été introduites pour mettre un terme à certaines dérives et lacunes. Ainsi, par exemple, les conventions dites de « première génération » ne comportaient aucune clause de réajustement budgétaire en cas d'insuffisance de réalisation d'un ou des objectifs fixés. Le représentant de l'Etat n'avait que la possibilité de résilier la convention, disposition qui n'a jamais été mise en oeuvre. Ce point a été très récemment corrigé et désormais le montant des droits à engagement alloués au délégataire pourra être révisé en cas de résultats insuffisants.
Il en est de même des avances de trésorerie dont pouvaient disposer les délégataires compte tenu des règles particulières de versement. L'échéancier de paiement sur quatre ans des crédits de paiement qui était intégré aux conventions obligeait les services de l'État à verser 77,5 % des crédits sur cette durée, quel que soit l'état de réalisation de la convention. De ce fait, certains délégataires avaient bénéficié d'avances de trésorerie qui atteignaient 238 millions d'euros à fin 2009.
Sur un plan plus anecdotique, les nouvelles conventions doivent intégrer une communication sur les autres aides de l'Etat (TVA à taux réduit, exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties et aides de circuit) et les obligations de remontée d'information ont été renforcées.
Tous ces éléments pèsent sur les relations entre l'Etat et les délégataires. Selon les informations qui m'ont été données quelques retraits du système de délégation sont envisagés principalement du côté des départements, même s'il faut rester prudent sur ces annonces.
Evidemment on peut s'interroger sur la capacité de l'Etat à reprendre la gestion de ces aides à la pierre dans l'ensemble des territoires où il les a déléguées.
M. Serge Dassault . - Qui peut profiter de ce système de délégation d'aides à la pierre ? Les communes en ont-elles le bénéfice ? Je voudrais également redire à quel point je trouve choquant que les communes qui apportent leur garantie aux emprunts contractés pour la construction de logements sociaux ne bénéficient pas, en retour, de réservations de logements dans les mêmes proportions.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Les seules collectivités qui peuvent demander la délégation des aides à la pierre sont les EPCI disposant d'un PLH et les départements. En ce qui concerne les garanties, il faut relativiser le risque encouru par les communes car il existe, en cas de défaillance d'un bailleur, la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Enfin, sur les réservations, il y a aussi des contingents pour l'Etat - nous allons les évoquer - et ceux du 1% Logement.
M. Jean-Jacques Jégou . - De plus, la garantie apportée par la collectivité ne compte pas dans l'endettement de la commune.
M. Jean Arthuis , président . - Le système de garantie est en effet extravagant. Mais j'ai toujours eu sur ce point un « conflit » avec la CGLLS...
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Revenons aux propositions qui pourraient être formulées pour améliorer la situation des délégations d'aides à la pierre. Il conviendrait en premier lieu que l'Etat se dote des instruments de connaissance qui permettent un vrai suivi des délégations et des comparaisons incontestables.
La deuxième piste consiste à offrir une palette de choix au délégataire. En examinant la situation du département du Lot et celle des Hauts-de-Seine, on voit bien à quel point l'application uniforme d'orientations nationales peut être inadaptée aux circonstances locales. Il faut introduire plus de souplesse dans la définition des objectifs et les modalités de mise en place des aides. Cela passe peut être par le découplage des conventions LLS et parc privé. Des collectivités peuvent être intéressées par un aspect seulement, notamment dans les zones les moins tendues. L'ANAH doit également faire preuve de plus de souplesse dans la définition de ses priorités et mieux prendre en compte des besoins des territoires. Il faut aussi ne plus imposer des changements d'orientation de manière brutale sans égard pour les actions engagées par les délégataires sur la base des priorités initiales.
Enfin, les délégataires ont besoin de visibilité budgétaire et l'Etat doit adapter les durées de conventionnement à sa propre capacité de programmation des crédits.
M. Jean Arthuis , président . - Il faudrait aussi songer à adapter les moyens en personnels.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Faut-il pour autant aller au-delà et reposer la question du passage de la délégation au transfert de compétence ? Il me semble qu'aujourd'hui ni l'Etat ni les collectivités n'y sont prêts. Et cela me semble inenvisageable compte tenu du contexte budgétaire. Mais il faut que l'Etat fasse des efforts pour redonner de l'attractivité aux délégations.
Dans le domaine du logement, l'Etat applique également le procédé de la délégation de compétence à la gestion des contingents préfectoraux de réservation de logements sociaux, dont je rappelle qu'il représente 30 % au plus des logements d'organismes d'HLM, dont 5 % au bénéfice des fonctionnaires.
Historiquement, la délégation a été proposée par certaines préfectures, à titre expérimental, à quelques collectivités en avance en termes de politique de l'habitat parmi lesquelles trois communes des Hauts-de-Seine et celles du syndicat mixte du Mantois dans les Yvelines.
Cette expérimentation a été « légalisée » par la loi du 13 août 2004, à l'initiative du Sénat et après un débat agité qui a abouti à un compromis. Alors que l'idée de départ était celle d'un transfert de compétence sans condition de l'Etat aux maires, le texte prévoit qu'il s'agit d'une délégation très encadrée par l'Etat dont le préfet reste juge de l'opportunité.
Force est de constater que l'Etat n'a pas favorisé cette faculté dont la mise en oeuvre reste très localisée à quatre-vingt-cinq communes, toutes en Ile-de-France, essentiellement dans les Hauts de Seine et le Val d'Oise, et à un seul EPCI, celui de Compiègne.
Pourtant ce type de délégation a obtenu d'excellents résultats. Son principal avantage a été de permettre la reconstitution des contingents mal connus grâce à un travail d'inventaire préalable.
Les collectivités délégataires sont également mieux impliquées et associées notamment grâce au bilan annuel contradictoire et à l'obligation de justifier des résultats des affectations de logements au regard de priorités clairement fixées dans la convention de délégation et ses avenants.
Enfin, ce système permet une bonne application du droit au logement opposable que j'ai pu constater dans le département des Hauts-de-Seine en particulier.
Le préfet intègre ses propres priorités dans les objectifs des conventions. Il peut également s'assurer du respect des priorités du Plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD).
Je pense donc qu'une généralisation de ce type de délégation aux communes qui le souhaiteraient serait tout à fait profitable.
M. Jean Arthuis , président . - Votre analyse donne quelques arguments aux collectivités pour ne pas aller vers la délégation des aides à la pierre. Quelle est l'opinion du Président du Conseil général du Lot ?
M. Gérard Miquel . - Je remercie Philippe Dallier d'avoir choisi d'illustrer son enquête avec l'exemple du Lot. Je signale en préambule que nous n'avons pas bénéficié d'avances de trésorerie mais que nous avons un stock de dossiers important. Le département n'aurait pas pris la délégation si la communauté d'agglomération de Cahors l'avait obtenue. Elle demandait 30% des crédits. Finalement, avec la délégation au département, elle en a consommé 80% ! Nous avons beaucoup de dossiers en instance, liés à des opérations programmées et il est toujours difficile, alors que des démarches ont été engagées auprès des habitants, d'opposer des refus faute de crédits. Pourtant nous avons passé des conventions avec la région qui contribue au financement. Ce qui me semble nécessaire c'est plus de souplesse dans les choix pour le niveau local et nous redoutons la tentation centralisatrice de l'Etat.
M. Jean Arthuis , président . - Allez-vous renouveler la convention ?
M. Gérard Miquel . - Nous espérons bien continuer.
M. Jean Arthuis , président . - La délégation a-t-elle entraîné la création d'emplois dans le Lot ?
M. Gérard Miquel . - Nous nous sommes appuyés sur les services existants. Mais nous sommes prêts à prendre l'instruction des dossiers si l'Etat nous accorde de la souplesse !
M. Jean-Pierre Fourcade . - Sur les contingents préfectoraux, les communes des Hauts-de-Seine peuvent, dans le cadre du droit au logement opposable, appliquer une priorité aux demandeurs qui habitent la commune ou y travaillent.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - C'est bien encore une marque des différences de traitement des communes selon les préfectures d'Ile-de-France. La généralisation des délégations aux communes volontaires permettrait d'harmoniser les pratiques de l'Etat en retenant les plus performantes.
A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, a donné acte de sa communication à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information