III. LES ORIENTATIONS POSSIBLES

A. LA QUESTION ENVIRONNEMENTALE EN DÉBAT

1. Le traitement des questions environnementales aujourd'hui

La PAC n'achoppe pas sur des questions de production, de qualité, mais sur les revenus des agriculteurs et sur les questions environnementales. « Les dégâts environnementaux de la PAC productiviste » ont été maintes fois dénoncés par une partie de l'opinion publique. En une génération, la figure du paysan nourricier est remplacée par celle de l'agriculteur pollueur. En deux générations, la crainte de l'empoisonnement s'est substituée à la peur séculaire de la pénurie.

La plupart des agriculteurs sont profondément meurtris par cette situation. Il y a beaucoup d'excès et d'injustice dans ces accusations et beaucoup de maladresses aussi. Il ne peut y avoir de solution qu'à travers un travail en commun, qui associerait les différentes composantes de la société civile et le monde agricole. L'exécution médiatique, comme les peurs entretenues (42 ( * )) , ne sont pas les meilleurs moyens pour y parvenir.

Pour sa part, le monde agricole est trop longtemps resté dans une posture défensive vis-à-vis des questions environnementales. L'erreur stratégique de la profession est d'avoir toujours considéré l'environnement comme une contrainte alors qu'il peut être aussi un élément de valorisation. Le monde agricole a aussi sous estimé l'ampleur de l'inquiétude, la force de la contestation. Certains dégâts d'image seront longs à réparer.

Il ne s'agit pas de commenter ces accusations et de se poser en arbitre, mais d'examiner comment, sous l'angle institutionnel, l'Union européenne a abordé cette question environnementale et comment elle envisage de le faire.

a) La situation actuelle : la conditionnalité

La conditionnalité est une percée conceptuelle et même une révolution budgétaire. Partout dans le monde, et depuis toujours, toute l'organisation budgétaire est fondée sur le système des paiements, des soutiens, des subventions destinées à soutenir une production ou une action. Les premières normes agri-environnementales à la fin des années 80 sont sur ce modèle budgétaire classique (une prime est destinée à compenser la perte de profit et le surcoût lié au changement de pratiques agronomiques).

La conditionnalité est un renversement conceptuel. L'Union européenne n'intervient plus pour appuyer une action, mais subordonne - conditionne - le paiement des aides aux revenus au respect de règles et de pratiques agricoles définies par l'Union et/ou l'État. En 2003, la conditionnalité alors facultative au gré des États, devient obligatoire et devient même le pivot de la réforme de la généralisation des aides directes.


Le régime de conditionnalité

Le versement des aides du premier pilier aux agriculteurs est subordonné à une conditionnalité. Les règles sont définies par le règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la PAC. Le principe est que l'attribution des paiements communautaire est subordonnée au respect :

- de 19 règlements et directives en matière d'environnement (5 textes), identification des animaux (4 textes), santé publique et sécurité alimentaire (4 textes) santé animale (3 textes), bien-être animal (3 textes) ;

- de bonnes conditions agricoles et environnementales - BCAE - qui, elles, sont définies par les États membres selon les conditions nationales et régionales. Les BCAE visent surtout la préservation des sols : maintien des terres dans de bonnes conditions agronomiques, maintien des surfaces en herbe, maintien des particularités topographiques des parcelles (sous forme de bordures de champs, de bandes-tampons le long des cours d'eau, de jachères mellifères), qui devront représenter 1 % de la SAU des exploitations en 2010, 3 % en 2011 et 5 % en 2012.

La conditionnalité s'applique aux aides directes du premier pilier, ainsi qu'à certaines aides du 2 ème pilier - ICHN - MAE -, même si dans ces derniers cas, il ne faut pas confondre les clauses contractuelles pour lesquelles l'agriculteur est rémunéré et la conditionnalité par laquelle il peut être sanctionné. Le respect des BCAE s'impose pour bénéficier des aides directes, même lorsque la surface éligible aux aides n'est pas exploitée à des fins de production agricole.

Les règles précitées sont contrôlées par les services nationaux. Les anomalies sont évaluées par un système de points (exemple : retard de déclaration de naissance d'animal, 2 points, défaut de boucle d'identification, 10 points, capacité de stockage des affluents insuffisante, 50 points ...), permettant d'établir un barème de sanctions financières : 0 à 1 % en cas d'anomalies mineures, 3 à 5 % en cas d'anomalies importantes ou graves, 20 % aux anomalies intentionnelles.

La conditionnalité a aussi deux intérêts politiques : elle répond à une demande sociale et s'inscrit dans une démarche de donnant/donnant, de contrepartie. Il n'est pas indécent de demander, au minimum, le respect de règles européennes avant de verser 50 milliards d'euros.

En 2010, la conditionnalité reste pertinente, comme un instrument qui permet de protéger un patrimoine environnemental commun.

Malgré la force de l'argument, le système actuel présente des inconvénients, que tous les agriculteurs résument d'une même phrase : « laissez-nous travailler ». La lourdeur administrative est bien sûr unanimement dénoncée. Le LTO, principal syndicat agricole néerlandais, pointe l'extrême complexité des règles européennes et avoue préférer négocier directement avec les transformateurs et les distributeurs pour arrêter des standards de production plus verts et valoriser ensuite ces produits auprès du consommateur.

L'écoconditionnalité est perçue comme une contrainte nouvelle, vaguement moralisatrice, doublée d'une menace financière. Le champ est devenu un espace social, mais les gens de la ville n'ont pas à être des censeurs de l'agriculteur à partir du moment où ce dernier est conscient de la nécessité du respect du bien commun.

Mais surtout, le système est jugé à la fois dérisoire et injuste. L'application des BCAE n'est pas homogène selon les États membres. Pour beaucoup d'agriculteurs, l'enjeu du moment est de survivre. Pour d'autres, le défi professionnel est d'affronter la concurrence européenne, voire mondiale. Quand l'enjeu est de passer l'année ou d'exporter 10 tonnes de blé, on n'accepte pas facilement d'être sous la coupe de contrôleurs qui vont vérifier la plantation de haies au bord des champs et mesurer la largeur des bandes enherbées le long d'un cours d'eau. L'écoconditionnalité est perçue comme une concession à la pression sociale et environnementale du moment.

Enfin, cette prise en compte des conditions environnementales de production ne semble jamais aller jusqu'à son terme. Sinon, comment expliquer que l'industrie et la grande distribution continuent de proposer des produits alimentaires qui ont fait plusieurs milliers de kilomètres alors que les produits équivalents sont parfois cultivés à proximité. Une incongruité, une aberration même que toute personne sensée ne peut admettre, rendue possible par la seule logique financière - les coûts plus bas des produits importés - qui ne prend pas en compte le coût écologique, environnemental, du transport. Même si les comparaisons paraissent extrêmement difficiles à établir, il faudra « internaliser les coûts environnementaux » du commerce agricole (43 ( * )) .


* (42) Il y a une confusion - entretenue ? - entre le danger et le risque. Le danger est intrinsèque à un produit, à une matière (le feu par exemple) ; le risque est lié à une probabilité, une durée d'exposition, une dose, un seuil. Même le soleil et l'eau, essentiels à la vie, se transforment en risques quand ils sont présents avec excès.

* (43) L'incongruité peut même se transformer en aberration pour certains produits. L'exemple des pommes est, sur ce point, édifiant : en pleine saison de cueillette en France et en Europe, certains commerces proposent des pommes... d'Amérique du Sud. La plupart des jus de pomme consommés en Europe sont réalisés à partir de concentrés produits... en Chine. Une production rendue possible par le fait que le coût énergétique et environnemental des différentes étapes du circuit (transport/concentration du jus/conditionnement/transport routier/chargement/transport maritime/ déchargement/transport/transformation/conditionnement) n'est pas compté.

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