3. Un deuxième pilier rénové

Le Sénat a vocation à s'intéresser à la ruralité (40 ( * )) . Aujourd'hui, le développement rural n'est qu'un demi-succès. Selon la réglementation de la Commission, le champ couvert par le développement rural est large, la panoplie des aides est grande. Que manque-t-il alors ? Plutôt qu'une batterie d'aides, une politique de développement rural aurait plus de justification et plus d'utilité si elle s'inscrivait à la fois dans une stratégie et dans une perspective de long terme. Il faut moins travailler sur des axes que sur des enjeux de développement. Quatre priorités pourraient orienter la politique de développement rural : réaffirmer l'importance du deuxième pilier, inscrire la France dans ce mouvement, travailler en synergie avec les acteurs locaux, envisager le développement rural dans une perspective de long terme.

a) Travailler en synergie avec les acteurs locaux

La relation économique, culturelle, sociale, et même identitaire, évidente entre l'agriculture et le monde rural est menacée. L'objectif d'une politique de développement rural d'aujourd'hui n'est pas seulement d'améliorer la compétitivité, l'environnement et la qualité de vie, mais aussi de renforcer les liens entre l'agriculteur et son environnement social.

« Isoler le paysan, c'est le tuer » tranche M. Gérard Peltre, président du groupe consultatif du développement rural de la Commission européenne. Il faut, au-delà, des actions en faveur de la compétitivité et de l'environnement, développer des synergies avec les acteurs locaux, les élus, les voisins, les professionnels de santé, les touristes, les commerçants, les cafés et restaurants, les prescripteurs et les consommateurs.

De même, le groupe de travail ne peut pas manquer d'être frappé par les performances de l'agriculture allemande. La mentalité, toute orientée vers la performance, la compétitivité, la conquête de parts de marchés n'explique pas tout. L'organisation peut aussi jouer un rôle. L'Allemagne a érigé la cogestion en modèle. Le partenariat entre l'administration et le principal syndicat agricole allemand, la DBV - Deutscher Bauernverband - est un exemple qui pourrait être médité. Ce partenariat ne peut être envisagé et réussi qu'avec un partenaire fort et puissant. La France doit mener une réflexion sur ce sujet.

Créer du lien pour donner du sens. Alors, la politique de développement rural redeviendra une vraie politique et non une panoplie d'actions.

b) S'engager dans une perspective de long terme

La PAC est une politique de l'instant, qui, autrefois, « intervenait » lorsque le marché était par trop déséquilibré, et qui, aujourd'hui, maintient les revenus. Même la politique de développement rural est surtout une politique d'aménagement. La PAC s'est trop peu engagée dans une perspective de long terme. Elle s'est désintéressée, notamment, des facteurs de production : le sol et l'eau, autrement dit, la qualité de la terre et la disponibilité de l'eau. Il est temps de changer de perspective, cibler les crises d'aujourd'hui pour anticiper les enjeux de demain. Tel pourrait être un axe de la politique de développement rural.

La PAC et l'eau

La double inconséquence

Il n'y a pas d'agriculture sans eau. L'eau fait les rendements. Même si les besoins en eau varient beaucoup selon les secteurs - l'élevage en particulier exige de grandes quantités d'eau -, partout, en France, en Europe et dans le monde, l'agriculture a été et/ou restera là où il y a de l'eau. Pourtant, l'Union européenne peut être accusée d'une double inconséquence : elle a privilégié l'aspect qualitatif - avec des résultats d'ailleurs mitigés- en omettant le quantitatif, la gestion durable de l'eau.

- La PAC et la qualité de l'eau

C'est essentiellement par la mobilisation autour de la dégradation de la qualité de l'eau que les excès de la PAC ont été dénoncés. La contamination des nappes phréatiques par les nitrates et les pesticides ou les effets des rejets des lisiers azotés liés aux concentrations d'élevage sur les côtes bretonnes - les trop fameuses algues vertes- témoigneraient des dérives d'une agriculture « productiviste ». La condamnation est sans appel : « 30 ans de scandales d'État, la face cachée de la PAC » dénonce WWF.

La directive européenne sur l'eau visant notamment au « bon état écologique des eaux en 2015 » et la mise en oeuvre de l'écoconditionnalité depuis 2003, tendent à limiter ces dérives.

Parmi les mesures, on citera par exemple l'application - tardive - de la directive « Nitrates » de 1991 applicable dans les « zones vulnérables » (définies par rapport au seuil de 50 mg de nitrate par litre) visant à enregistrer et fixer un calendrier d'épandage, restreindre voire interdire certains intrants, préserver des zones tampons ou des bandes enherbées, etc.

Même si l'on pourra déplorer que certains dossiers restent encore dans une quasi-impasse, même s'il eut mieux valu corriger des pratiques plus tôt, même si, enfin, il faut admettre que les efforts entrepris n'auront un effet sur la qualité des eaux que dans plusieurs années, les agriculteurs ont fait leur l'objectif de la qualité de l'eau.

Le temps de percolation des sols est lent et varie selon leur nature. La terre a de la mémoire. Il y a sans doute eu beaucoup de retard, beaucoup de gâchis aussi, notamment en termes de dégradation d'image, mais les agriculteurs sont devenus les acteurs de cette reconquête. Les agences de l'eau ont été très actives dans ce domaine.

- La PAC et la quantité d'eau

Il y avait du retard sur l'appréhension de la qualité de l'eau, il y a un aveuglement sur la question de la quantité.

Tout orientée sur « l'accroissement de la productivité » inscrit dans le traité de Rome, la PAC a favorisé l'irrigation. Une terre irriguée a de meilleurs rendements, et, dans un système de prix garantis, offre de meilleurs revenus. L'écart est particulièrement net pour le maïs. La PAC a donc organisé des subventions additionnelles pour le maïs et/ou pour l'irrigation. Ce système a perduré après la réforme de 2003 puisque les DPU fondés sur des références historiques ont figé la situation : les paiements découplés d'aujourd'hui sont liés à des choix d'irrigation passés et les investissements dans ce domaine donnent même lieu à des DPU supplémentaires.

La répétition de sécheresses et l'apparition de conflits d'usage avec d'autres consommateurs (habitants, ostréiculture, tourisme...) ont conduit à s'interroger sur la pertinence et la pérennité d'un tel système. L'incohérence est à son comble en cas de sécheresse puisque plus un département est irrigué et plus il est vulnérable aux épisodes de sécheresse. L'agriculteur serait pénalisé s'il n'était pas soutenu des deux côtés, en recevant des primes européennes pour irrigation, et des indemnités nationales en cas de sécheresse... (41 ( * ))

Trois dispositions modestes ont été adoptées pour atténuer ce qui ressemble à une certaine incohérence. Les règles de conditionnalité impliquent désormais des autorisations de prélèvement et des dispositifs de comptage d'eau. Les mesures de développement rural offrent aussi des soutiens aux dispositifs économisant l'eau. Enfin, le bilan de santé de 2008 a rehaussé la question de l'eau au rang des « nouveaux défis ». Mais ces mesures semblent encore bien limitées.

La PAC trouverait une légitimité à s'intéresser à ce sujet, en se préoccupant de la collecte et de la disponibilité de l'eau à usages agricoles. Il va de soi que la régulation des aspects quantitatifs ne peut être organisée qu'à l'échelon de bassin (périmètre des agences de l'eau).


* (40) Cf. Deuxième « Rendez-vous du Sénat » consacré à « La ruralité aujourd'hui » - 28 octobre 2010. L'audition de M. Gérard Peltre, président du groupe consultatif du développement rural de la Commission européenne, a été également très utile au groupe de travail.

* (41) Pierre Boulanger - Groupe d'économie mondiale - « Subventions agricoles et gestion quantitative des ressources en eau » - Septembre 2007.

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