Audition de M. Didier HOUSSIN,
directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports
(mercredi 30 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons une nouvelle fois, et toujours avec le même intérêt, M. Didier Houssin, directeur général de la santé, pour faire le point avec lui sur un certain nombre de questions, puisque nous arrivons au terme de nos auditions.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Didier Houssin prête serment.

M. François Autain, président - Si vous le souhaitez, vous pouvez faire une intervention liminaire, à moins que vous ne préfériez qu'on passe directement aux questions.

M. Didier Houssin - Je n'ai pas prévu d'intervention liminaire.

M. François Autain, président - Monsieur le rapporteur, vous avez donc la parole.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai trois groupes de questions, sur le H5N1 et le H1N1, l'OMS, et les contrats. Je vais vous poser les questions concernant les virus d'abord.

Quelle est l'importance du stock de vaccins H5N1 acquis par la France ? A quoi vont servir ces vaccins et jusqu'à quelle date sont-ils utilisables ?

Pour le A (H1N1), vous avez indiqué, lors de votre audition par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, que vous saviez dès le courant du mois de mai, par des études génétiques, que le virus H1N1 ne portait pas de gènes de virulence connus. Pourriez-vous nous en dire plus ? Vos propos faisaient-ils référence à des études réalisées en France ou aux informations publiées début mai par le Wall Street Journal par le scientifique américain Peter Palese ? Surtout, n'aurait-il pas fallu communiquer clairement sur ces éléments d'information plutôt que d'entretenir les incertitudes et de favoriser l'alarmisme ?

M. Didier Houssin - En ce qui concerne le virus H5N1, comme vous le savez, l'extension de l'épizootie s'était fortement intensifiée durant l'été 2005 - ce qui m'a valu d'être désigné comme délégué interministériel le 30 août 2005 - et la question se posait du choix d'une stratégie vaccinale dans l'éventualité où ce virus acquerrait un potentiel de transmission interhumaine.

C'est la raison pour laquelle le ministère de la santé a lancé un appel d'offres, avec deux objectifs. D'abord tenter de produire des vaccins dits prépandémiques, en vue de protéger certaines populations.

Ensuite, établir des contrats de réservation auprès d'industriels, des contrats « dormants » ou Advance Purchase Agreements , pour d'éventuels achats de vaccins pandémiques, au cas où le virus se propagerait de manière très importante.

Quelle était l'idée de ces vaccins prépandémiques ? Il s'agissait de pouvoir proposer une réelle production à certaines catégories de professionnels, en particulier ceux de la filière avicole, dès lors qu'il y aurait une amorce de contamination en France. Celle-ci est d'ailleurs survenue : souvenez-vous de cet élevage de l'Ain qui avait été atteint par le virus au mois de novembre ou décembre 2005.

Avec un vaccin nous pouvions protéger les éleveurs, les professionnels chargés de l'abattage des oiseaux et, éventuellement, tout voyageur qui, pour des raisons professionnelles, serait susceptible d'aller dans des pays fortement contaminés.

L'acquisition d'un stock de vaccins prépandémiques H5N1 était, en même temps, une incitation pour des industriels à développer ce type de vaccins, qui n'étaient pas encore disponibles. Trois industriels avaient répondu à l'appel d'offres : Solvay, Chiron, qui était le prédécesseur de Novartis, et Sanofi Pasteur.

GSK n'avait pas répondu à l'appel d'offres pour des raisons que je n'ai jamais très bien comprises. Il est possible qu'ils ne s'estimaient pas prêts.

M. François Autain, président - C'est ce qu'ils nous ont dit.

M. Didier Houssin - La commission d'appel d'offres a retenu deux industriels : Chiron et Sanofi.

Dans les deux contrats, était prévu l'achat ferme d'une petite quantité de vaccins prépandémiques, 2,4 ou 2,5 millions de doses au total, réparties entre les deux industriels.

Il y avait aussi la partie contrats de réservation qui, elle, a été activée lors de la pandémie, mais cette fois-ci contre un autre virus : ce cas était prévu.

Les doses de vaccins H5N1 sont toujours stockées auprès des industriels. La validité de ces antigènes, qui sont conservés en vrac, est régulièrement évaluée, mais elle ne durera pas cinquante ans !

J'avoue qu'on n'a pas fait récemment le point. Si vous le souhaitez, je pourrai obtenir cette information sans difficulté.

La deuxième question que vous posez m'amène à revenir sur la question suivante : qu'est-ce qui rend un virus dangereux ? Il y a, un peu schématiquement, deux manières pour un virus d'être mortel.

Soit, comme le virus Ebola, il a une forte virulence. Un virus est un parasite. Il essaie de s'installer, si possible, de rester, de se multiplier et de se transmettre. C'est sa stratégie d'ensemble. Un virus comme Ebola, qui entraîne une mortalité de l'ordre de 80 %, est considéré comme un virus très virulent. Un virus très virulent n'a pas une grande capacité à se propager.

M. François Autain, président - Vous dites qu'un virus tueur se propage moins qu'un virus qui l'est moins. Est-ce fondé scientifiquement ?

M. Didier Houssin - On le constate chaque fois qu'il y a des émergences du virus Ebola, par exemple. On est très inquiet, car il peut toujours y avoir un voyageur, et dix ou vingt personnes peuvent être contaminées, mais ce sont des virus qui tuent tellement vite et souvent, que le processus de propagation s'interrompt.

Si vous prenez dix personnes contaminées par le virus, vous avez huit morts. Si vous prenez un virus beaucoup moins virulent, qui ne tue qu'une personne sur dix mais qui a, en revanche, une capacité de propagation importante, il est capable de contaminer cent personnes et, au bout du compte, vous allez avoir le même nombre de morts, mais par un autre mécanisme, qui est ce qu'on appelle le taux d'attaque, c'est-à-dire la capacité du virus à pénétrer plus ou moins dans la population.

Ce petit développement m'amène à parler de ce qu'on a constaté début mai, concernant le virus H1N1. Les analyses de séquençage génétique du virus ont été faites, principalement dans des pays étrangers, car le virus circulait essentiellement aux Etats-Unis et au Mexique. Il a été constaté que ce virus ne portait pas les gènes de virulence connus du virus de la grippe espagnole ou du H5N1.

Des virologues comme M. Bruno Lina ou Mme Sylvie Van der Werf pourraient vous en dire plus, car ils ont une vision très précise de ce qu'est un gène de virulence : c'est un gène qui pilote certaines protéines, que ce soit au niveau de l'expression de la membrane, au niveau du mécanisme de réplication du virus, ou au niveau de son adaptation à certains environnements thermiques.

Parmi les gènes de virulence des virus de la grippe, nous en connaissons certains. On ne les retrouvait pas dans le virus H1N1.

Ce qui, dans un sens, était un petit peu rassurant, mais pas suffisamment pour nous faire considérer que l'affaire était sans gravité.

Pourquoi ? Il y avait malgré tout la possibilité que survienne une mutation capable de conférer des gènes de virulence à ce virus, comme celle qui s'est produite en novembre en Norvège - Dieu merci, ce virus ne s'est pas propagé - et puis l'analyse du virus ne nous disait rien sur son taux d'attaque.

On avait toutes les raisons de penser de mai à septembre, et je dirai même jusqu'à la fin de l'année 2009, que, compte tenu du caractère nouveau de ce virus, la population était immunologiquement naïve, en dehors d'informations assez précoces sur les personnes de plus de 65 ans, dont certaines avaient peut-être une mémoire d'anticorps identifiable.

Les analyses et les scénarios offerts par l'InVS identifiaient des taux d'attaque plutôt élevés, ce qui d'ailleurs a été constaté dans certaines zones de l'hémisphère Sud. En revanche, ce qui n'était pas prédit et qui a été la bonne surprise, c'est que, en dépit d'un taux d'attaque élevé, dans la grande majorité des cas, la maladie s'est révélée bénigne.

Mais, si nous sommes bons en épidémiologie et en virologie, nous ne le sommes pas assez en immunologie. Ce n'est que très tard qu'on a eu une idée précise de la réelle réceptivité de la population à un virus de ce type.

A cet égard, une publication de Daron Greenbaum, dans Proceedings of the National Academy of Sciences , à la fin de l'année 2009, est très intéressante, en particulier, sur le rôle des cellules T, un des vecteurs de l'immunité. On avait probablement sous-estimé le fait que ce virus partageait des éléments communs avec d'autres anciens virus, qui ont peut-être conféré une immunité à une grande partie de la population.

Une des leçons à tirer, c'est que face à un phénomène d'allure épidémique grave, il faut être en mesure, très vite si possible, d'apprécier la réceptivité de la population, pas seulement par des études sérologiques mais aussi par des études de l'immunité acquise même si ce n'est pas simple.

M. François Autain, président - Concernant ces études qui vous permettaient dès le mois de mai de savoir que la virulence de ce virus était relativement modérée, pouvez-vous nous donner quelques références bibliographiques ?

M. Didier Houssin - Je ne les ai pas de tête, mais je peux vous les obtenir très facilement. On a essayé de mobiliser le plus tôt possible la recherche. J'ai le souvenir d'un séminaire qu'on a organisé en France avec l'ensemble des équipes de recherche concernées au mois de juillet. Il y avait eu en particulier un exposé de M. Bruno Lina sur les gènes de virulence du virus H1N1.

M. François Autain, président - Pourquoi n'avez-vous pas rendues publiques ces informations à l'époque ? Cela aurait certainement été important dans la situation que nous connaissions. Cela aurait pu éviter d'éventuelles paniques : il n'y en a pas eu, mais on pouvait craindre ce risque, compte tenu des informations venues du Mexique qui, ensuite, ne se sont pas révélées fiables.

M. Didier Houssin - J'ai le souvenir d'avoir dit, y compris dans les médias, que nous avions des éléments rassurants et des éléments qui l'étaient moins. Dans les éléments rassurants, il y avait le fait que ce virus ne portait pas de gènes de virulence connus. Dans les éléments moins rassurants, on ne pouvait pas totalement écarter l'idée d'une mutation, notamment en termes de résistance aux antiviraux, mais aussi en termes de virulence, ce qui s'est produit en Norvège. Il y avait aussi le caractère préoccupant lié au taux d'attaque élevé.

M. François Autain, président - Vous n'aviez pas connaissance de cette tribune du Wall Street Journal qui a été écrite par un microbiologiste américain, M. Peter Palese ?

M. Didier Houssin - Je faisais plutôt référence à des articles de revues scientifiques.

M. François Autain, président - C'est scientifique aussi, mais je reconnais que ce n'est pas dans une revue scientifique. Vous avez communiqué sur la bénignité du virus comme sur le risque de mutation ?

M. Didier Houssin - Je peux essayer de retrouver dans les différentes interventions que j'ai pu faire dans les médias. J'ai voulu respecter cette sorte de balancement entre les aspects rassurants et moins rassurants, justement pour essayer de montrer le caractère malgré tout incertain de ce qu'on pouvait prédire.

M. Alain Milon, rapporteur - S'il y a quelque chose à retenir de la discussion que nous venons d'avoir, c'est qu'il faut essayer d'avoir les moyens de mesure de réceptivité de la population afin de pouvoir adapter le plan de lutte contre la pandémie.

M. Didier Houssin - Face à un phénomène infectieux émergent, je crois qu'il est très important de se pencher sur le virus, sur ce qui est en train de se passer du point de vue clinique, d'identifier les symptômes. Il faut aussi essayer de connaître très vite la réaction du système immunitaire par rapport à un élément émergent.

On pensait qu'il y avait une réceptivité très grande. Prenons un exemple : la situation du chikungunya à la Réunion à la fin 2005. C'était un virus a priori connu, dont a posteriori on a constaté qu'il avait génétiquement bougé. D'où un taux d'attaque extrêmement élevé.

Face à un tel phénomène ou à d'autres phénomènes analogues, il est important d'essayer de connaître très vite la réceptivité de la population.

M. Alain Milon, rapporteur - Il faut se donner les moyens de le faire.

M. Didier Houssin - Oui, c'est surtout un problème de préparation. Je retire la leçon suivante de cette pandémie : par rapport au chikungunya, on a été meilleurs sur la mobilisation de la recherche, mais on a encore une difficulté : on n'est pas capables aujourd'hui de mobiliser facilement des fonds en urgence en faveur de la recherche.

Il faudrait pouvoir anticiper cela. On a des idées sur la question. Je réfléchis à une solution. Au même titre qu'on a fait des dossiers mock-up pour les autorisations de mise sur le marché de médicaments, je verrais bien une sorte de « dossier de recherche mock-up » qui aurait les composantes recherche fondamentale, recherche clinique, en sciences sociales et humaines, qui seraient scientifiquement évaluées. Celui-ci resterait un dossier générique qui serait sélectionné par l'Agence nationale de la recherche. Il serait « mis au réfrigérateur » et, le moment venu, il ressortirait, tout en étant à nouveau évalué. Cela permettrait de gagner du temps et de résoudre les problèmes de financement. C'est une idée qui mérite d'être expertisée.

M. François Autain, président - M. Jean-François Delfraissy se plaint amèrement de ne pas avoir à sa disposition les moyens qui lui permettraient de poursuivre cette recherche, tout au moins de la mener quand elle est opportune.

M. Didier Houssin - Je suis très reconnaissant à M. Jean-Fançois Delfraissy. Lorsque je lui ai écrit le 4 mai, pour se mobiliser, il a été très réactif. L'alliance AVISAN l'a désigné. Il a animé cela de manière tout à fait excellente.

Nous avons tous constaté qu'une des difficultés qu'il faut anticiper est l'organisation du financement. Il n'y a pas de financements de la recherche « en attente ». Il faut arriver à organiser cette capacité à mobiliser rapidement des moyens. Il faut aussi le faire dans des conditions d'évaluation scientifique rigoureuse.

C'est pourquoi on pourrait imaginer une évaluation a priori sur une stratégie de recherche. Concernant les agents infectieux, cela va toujours être la même chose : identifier l'agent, sa virulence, monter des projets de recherche clinique, déterminer le corps médical concerné, la vaccinologie... Cela va toujours être un peu pareil.

M. François Autain, président - Toujours sur cette question de l'évaluation des risques, vous avez dit qu'il y avait de bonnes raisons, dès le mois de mai, de penser que cette grippe ne serait pas plus grave qu'une grippe saisonnière. Je caricature votre pensée, pardonnez-moi.

M. Didier Houssin - Je n'ai pas dit cela. Nous n'étions pas du tout rassurés sur le taux d'attaque, donc sur la mortalité au bout du compte.

M. François Autain, président - Je vais vous informer de ce que disait l'InVS un mois après. Il indiquait qu'en juin « il se confirme que la majorité des cas sont bénins, et la létalité du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. La pandémie est qualifiée de modérément grave sur l'échelle de l'OMS, les hypothèses les plus pessimistes sont donc abandonnées » . Je ne fais que citer le texte que nous a remis Mme Françoise Weber, la directrice de l'InVS, lors de son audition.

J'ai eu la surprise de constater que l'InVS vous avait rendu, le 28 septembre 2009, c'est-à-dire deux mois après, un avis qui n'a pas du tout cette tonalité plutôt rassurante, puisqu'il se termine sur cette phrase : « Enfin, le nombre de décès varie entre 6 400 et 96 000, soit deux à trente fois plus pour la grippe saisonnière » .

N'y a-t-il pas eu quelques contradictions dans l'évaluation du risque ? Quand l'InVS est-il crédible ? Est-ce lorsqu'il indique au mois de juin que le risque est inférieur à celui d'une grippe saisonnière ou lorsqu'il dit, le 28 septembre, que ce risque est de deux à trente fois plus élevé que pour la grippe saisonnière ? Il y a quelque chose qui mériterait peut-être d'être clarifié.

Vous me direz que c'est une question que j'aurais dû peut-être poser à Mme Weber. Malheureusement, je n'avais pas tous ces documents à ce moment-là. Si vous pouvez clarifier cette apparente contradiction, cela nous aiderait beaucoup.

M. Didier Houssin - C'est une question absolument fondamentale. Il est clair que l'appréciation de la situation faite par l'Institut de veille sanitaire et les organismes du même type, CDC d'Atlanta, etc., était un élément déterminant de la conduite à tenir. Ils nous disaient : soit cela peut être grave, soit il n'y a pas de souci.

Je comprends votre perception d'une contradiction, mais je crois que c'est une perception qui mérite d'être analysée. La position de l'InVS a été une position stable, jusqu'à l'avis du mois de septembre. L'InVS faisait une estimation qui, même dans le scénario le plus optimiste, ne pouvait pas nous laisser inertes, et a conduit à ce que nous préconisions à la ministre le lancement de la campagne de vaccination.

C'est la raison pour laquelle il faut bien analyser les trois évaluations faites par l'InVS. De ce point de vue, un document très intéressant vient de paraître dans le tout dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire qui s'appelle : « De l'estimé à l'observé » . On perçoit très bien les trois demandes qu'on avait faites dans le temps à l'Institut de veille sanitaire. On a vu les positions qu'ils ont prises en termes d'estimation de ce qui pouvait se passer. Vous verrez que ces estimations, même si elles se sont un petit peu améliorées dans le temps, conservaient une dimension tout à fait préoccupante en termes de risques d'hospitalisation et de mortalité.

Il faut lire les mots de Mme Françoise Weber, au mois de juin, que vous venez de citer, comme une appréciation par rapport à une situation qui aurait pu être encore pire. Nous avions effectivement en tête la pandémie de 1918. Ce qui se dessinait en mai-juin n'était pas la pandémie de 1918. Ce n'était pas, pour autant, une affaire qui semblait si bénigne que cela. Si vous voulez avoir une comparaison objective des positions qui ont été prises par l'InVS, l'article du BEH y fait référence.

M. Alain Milon, rapporteur - J'aimerais savoir quel jugement vous portez sur la gestion par l'OMS de la pandémie grippale. Estimez-vous justifié le maintien récemment décidé, au moins jusqu'à la mi-juillet, d'une alerte de niveau 6 ? Qu'attendez-vous des travaux du comité d'examen du Règlement sanitaire international présidé par M. Harvey Fineberg ? Quels renforcements vous paraissent appeler les procédures de contrôle des conflits d'intérêts à l'OMS ? Que pensez-vous de l' European Scientific Working Group on Influenza (ESWI) et de ses rapports avec l'OMS en tant que telle et à travers les scientifiques qui en font partie ?

M. Didier Houssin - Ces questions vont me permettre de revenir sur l'hypothèse de la résolution qui a conduit à la création de la commission d'enquête, c'est-à-dire celle d'une gigantesque manipulation fomentée par l'industrie pour vendre des vaccins et des médicaments.

Cette hypothèse s'appuyait sur l'idée qu'à tous les échelons, nationaux, européens et internationaux, notamment de l'OMS, l'expertise était influencée, sinon aux mains de l'industrie, et que celle-ci avait préparé la construction d'une fausse pandémie. Lors de ma précédente audition, j'avais avancé trois arguments qui me semblaient être des arguments à l'encontre de cette hypothèse. Depuis, des éléments nouveaux méritent d'être mis en avant. Ils me semblent aller aussi contre la thèse d'un complot fomenté par l'industrie pharmaceutique.

Le premier est le rapport du Conseil de l'Europe « Gestion de la pandémie H1N1, Nécessité de plus de transparence » , adopté le 24 juin 2010. Il faisait suite à la motion déposée en décembre 2009, intitulée « Fausse pandémie, une menace pour la santé » . Ce rapport du Conseil de l'Europe reconnaît l'extrême complexité des décisions qui ont dû être prises en urgence sur tous les niveaux, mais surtout, et c'est le point central, il reconnaît, aux pages 10 et 11, « que l'OMS n'a pas eu l'intention de modifier la définition d'une pandémie pour accélérer l'annonce d'un tel événement en juin 2009, que les modifications apportées aux descriptions et aux indicateurs de la maladie, au moment où une infection majeure de grippe était imminente, étaient inopportunes et ont été réalisées d'une manière qui peut être considérée comme manquant de transparence. Ces modifications ont également alimenté les doutes sur une pression morale exercée sur les décideurs, et les observateurs critiques de la situation en sont venus à se demander si cette modification intempestive était absolument nécessaire et à qui elle profitait le plus » . Je viens de citer le rapport du Conseil de l'Europe.

Même le rapport du Conseil de l'Europe, qui est un rapport très critique, ne retient pas l'hypothèse d'un complot fomenté par l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président - Il pose tout de même la question « A qui profite le crime ? » . Chacun peut répondre comme il veut. Votre thèse n'est pas la mienne.

M. Didier Houssin - Il y a un élément d'information nouveau : le rapport du Conseil de l'Europe est un rapport critique sur l'OMS - je vais dire sur quels points -, mais il ne retient pas l'hypothèse d'un complot fomenté par l'industrie pharmaceutique. Il fait d'autres critiques, mais il ne retient pas celle-là.

M. François Autain, président - Nous n'avons jamais employé le terme de complot. On ne peut pas déduire de ce rapport que l'industrie pharmaceutique n'exerce aucune influence sur l'OMS. On ne peut pas en arriver là. Ce n'est pas ma conclusion, mais c'est peut-être la vôtre. Un article du British Medical Journal , publié la veille du rapport, va dans ce sens. Des liens très importants existent entre les experts qui travaillent à l'OMS et les laboratoires où ils travaillent dans le même temps. Il y a une confusion des genres qui, au minimum, doit nous donner à réfléchir. C'est dans ce sens que nous devons essayer de travailler.

M. Didier Houssin - J'en viens à la question que posait M. le rapporteur. Les critiques qui peuvent être faites au niveau de l'OMS portent plus sur la question de la transparence vis-à-vis de l'indépendance de l'expertise à certains niveaux. Il reste toute une série de recommandations qui sont à retenir. Une décision récente vient d'être prise au niveau de l'OMS : les deux personnes qui siégeaient au sein du Comité d'urgence et du Comité d'évaluation se retirent du Comité d'évaluation.

C'est une initiative qui va dans le sens d'une plus grande transparence concernant l'indépendance du processus d'évaluation. Par ailleurs, les initiatives prises récemment au niveau de l'OMS, pour renforcer le dispositif de déclaration des liens d'intérêts et de gestion des potentiels conflits d'intérêts, décisions prises par la directrice générale, il y a trois jours, sont également des éléments qui vont dans le sens de la recommandation du Conseil de l'Europe et du British Medical Journal, dans le sens d'un renforcement de la garantie qu'on peut apporter en termes d'indépendance de l'expertise.

La première chose qu'on peut dire, pour répondre à votre question, est qu'il faut tirer des leçons en termes de crédibilité de l'expertise. Cela passe vraisemblablement par des procédures peut-être mieux appliquées concernant la publicité des liens d'intérêts et la gestion d'éventuels conflits d'intérêts. Par ailleurs, je crois qu'il ne faut pas sous-estimer le rôle positif que l'OMS a joué dans la première mise en application du Règlement sanitaire international (RSI).

Le RSI est un acquis mondial extrêmement important, puisqu'il oblige les Etats à signaler des événements sanitaires de portée internationale. Souvenons-nous de l'épidémie de SRAS : un Etat a été mis en accusation au bout d'un certain temps, parce qu'il n'avait pas signalé un phénomène épidémique qui survenait en son sein.

Dans cette première circonstance, un signalement a été fait à l'OMS par les autorités mexicaines, auxquelles il faut rendre hommage. Le dispositif a fonctionné comme prévu, c'est-à-dire que l'OMS a été réactive. Il y a eu la mise en place du Comité d'urgence. Des décisions et des recommandations ont été prises. Je crois qu'on ne peut pas faire le reproche à l'OMS d'avoir incité les Etats à se préparer durant toute la période de la grippe aviaire et d'avoir réagi au moment de cette émergence du virus H1N1.

L'OMS a effectué un travail de préparation, elle a été réactive, elle a mis en route le RSI, activé ce processus, fait des recommandations aux Etats, y compris dans la retenue, car une des recommandations formulées par l'OMS le 12 ou le 13 juin a été de ne pas fermer les frontières et de ne pas suspendre les vols. C'était une mesure proportionnée. En revanche, il y a des leçons à tirer sur la question de l'expertise, c'est un point tout à fait clair.

M. François Autain, président - D'après ce que vous dites, l'OMS n'a pas grand-chose à se reprocher, mis à part un manque de transparence. Pourquoi a-t-elle estimé nécessaire de faire cet audit, si tout fonctionne bien ? A ma connaissance, le Gouvernement n'a pas demandé d'audit en ce qui concerne la gestion de la grippe dans notre pays, car tout a bien fonctionné. A l'OMS, tout a bien fonctionné aussi. Pourtant, il y a un audit. Je ne comprends pas pourquoi, mais vous allez me l'expliquer.

M. Didier Houssin - Le Règlement sanitaire international prévoit une évaluation par un Comité d'évaluation. La directrice générale a dit, sans hésiter, que l'OMS se soumettrait à une évaluation indépendante. La personne nommée pour animer le comité d'évaluation est M. Harvey Fineberg qui dirige l' Institut of Medicine aux Etats-Unis. Il a une bonne expérience de l'évaluation de la pandémie grippale, du moins de la vaccination contre la grippe aux Etats-Unis en 1976.

Ce matin, j'ai été entendu par le comité d'évaluation qui est en train de commencer ces travaux. L'OMS s'est elle-même spontanément soumise à un travail d'évaluation indépendant.

M. François Autain, président - Spontanément ?

M. Didier Houssin - J'en ai l'impression, en lisant les déclarations de Mme Margaret Chan. Elle a dit, sans hésiter, que l'OMS se soumettrait à une évaluation indépendante. Elle tient déjà compte, je crois, de certaines recommandations, notamment celles du Conseil de l'Europe et du British Medical Journal à travers les deux initiatives qui viennent d'être prises les jours passés.

M. Alain Milon, rapporteur - La dernière ayant été prise vendredi dernier.

M. François Autain, président - Je voulais vous poser une question concernant l' European Scientific Working Group on Influenza. Que pensez-vous de l'ESWI et de ses rapports avec l'OMS en tant que telle et à travers les scientifiques qui en font partie ? Nous en avons auditionné au moins un, sinon deux, qui font partie de cette organisation.

M. Didier Houssin - Un des points soulignés par le British Medical Journal est le suivant : un guide produit par l'OMS sur l'utilisation des antiviraux a pour auteur principal une personne qui a, sans qu'il y ait de conflit, des liens d'intérêts avec un producteur de médicaments antiviraux. Cela fait partie des éléments qui devront être améliorés. C'est susceptible effectivement de générer le soupçon inutilement. Ces points font partie, à juste titre, des points identifiés par le British Medical Journal.

M. François Autain, président - Puisqu'on est sur la gestion des conflits d'intérêts, estimez-vous satisfaisante la façon dont ces conflits ont été gérés par votre direction générale ? Vous avez reconnu devant l'Assemblée nationale que la gestion des conflits d'intérêts dans les agences sanitaires s'est considérablement améliorée. On peut dire aujourd'hui qu'elle est relativement satisfaisante.

Mais en ce qui concerne la gestion des conflits d'intérêts des instances qui relèvent de l'autorité de la direction générale, on a pu observer que cela n'était pas parfait, c'est le moins qu'on puisse dire. Il y a eu beaucoup de manquements. Je voudrais avoir votre avis là-dessus. Estimez-vous cela satisfaisant ? Envisagez-vous des réformes ?

M. Didier Houssin - Depuis déjà plusieurs années, la direction générale de la santé se préoccupe de cette question de l'expertise, de sa compétence et de son indépendance. A la demande du ministre d'alors, en 2007, j'ai chargé une personne de la Direction générale de la santé, que vous avez d'ailleurs entendue, Mme Marie-Dominique Furet, de faire un travail sur le thème de l'indépendance et de la valorisation de l'expertise.

Ce travail a été effectué et rendu public en 2009 à la Documentation française. Nous avons lancé deux actions sur la base de ce travail : une première en direction de l'enseignement supérieur et de la recherche, afin de voir de quelle manière l'expertise peut être valorisée dans la carrière des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Aujourd'hui, dans ce domaine, on a tendance à valoriser les travaux de recherche et les brevets, mais pas tellement l'activité d'expertise pourtant productrice de connaissances et très utile pour les pouvoirs publics.

Ce travail a été initié en lien avec la conférence des présidents d'université.

Par ailleurs, nous visons l'élaboration d'un projet de charte commune sur l'expertise en lien avec les différentes agences et le Haut Conseil de la santé publique. La ministre, après la proposition que je lui avais faite, a mis en place en mai 2008 le Comité d'animation du système d'agences (CASA).

Un des premiers travaux demandés à ce comité a été d'élaborer une charte de l'expertise qui rassemble en particulier les expériences et les acquis d'un certain nombre d'agences qui travaillent depuis déjà pas mal de temps sur ces sujets. Je pense à l'AFSSAPS, à la Haute Autorité de santé, en particulier. Le Haut Conseil de la santé publique s'inscrit également dans ce cadre.

M. François Autain, président - Nous avons interrogé des membres du Haut Conseil de la santé publique, le président de la Commission des maladies transmissibles, le président du Comité technique des vaccinations. Leurs réponses sont loin d'être satisfaisantes.

Le président du Haut Conseil de la santé publique a indiqué qu'il n'avait pas pu appliquer ce texte sur les liens d'intérêts, pour des problèmes de panne informatique.

Quant au Comité de lutte contre la grippe, créé en 2008, nous n'avons connu les liens d'intérêts de ses membres que fin 2009. Le moins qu'on puisse dire est que vous n'avez pas appliqué les dispositions législatives dans ce domaine.

M. Didier Houssin - Je vais distinguer deux situations : la situation du Haut Conseil de la santé publique et la situation du Comité de lutte contre la grippe.

Le Haut Conseil de la santé publique est une entité autonome qui a, malgré tout, mis en oeuvre, peut-être avec un certain retard, la publicité des déclarations d'intérêt. Sous réserve d'une analyse approfondie, je n'ai pas le sentiment qu'il y ait beaucoup de choses à lui reprocher.

S'agissant du Comité de lutte contre la grippe, il a été mis en place par décret au mois de juillet 2008. La question s'était posée de l'intégrer au Haut Conseil de la santé publique. Il existait déjà, mais sans base juridique véritablement établie. Le Comité de lutte contre la grippe est un organisme composé d'experts internes, de représentants de la DGS, de l'AFSSAPS, de l'InVS et de membres extérieurs.

Il a été installé le 10 septembre 2008. Nous avons enclenché la préparation d'un règlement intérieur et la récupération des déclarations publiques d'intérêt. Elles n'étaient pas toutes parvenues à la fin de l'année 2008. Nous avons fait une relance pour les obtenir.

Je reconnais, et je prends sous ma responsabilité, le fait qu'il y a eu un retard dans la publicité donnée à ces déclarations publiques d'intérêt. A partir de fin avril, il a été nécessaire de faire travailler ce comité très souvent, intensément et longtemps. Entre le 25 avril et le 31 janvier, il a rendu quarante-trois avis, en moyenne un avis tous les cinq jours, dans des réunions qui duraient deux à trois heures. Il s'agissait soit de réunions physiques, soit de réunions téléphoniques.

Ce n'est qu'au mois d'octobre que le règlement intérieur a été adopté, quand on a pu se focaliser sur des sujets qui étaient « moins urgents ». L'ensemble des déclarations publiques d'intérêt ont été rendues publiques le 3 novembre. Je reconnais, et je dis que c'est la responsabilité de la DGS, qu'il y a eu un retard dans la formalisation de ces aspects s'agissant du Comité de lutte contre la grippe.

En revanche, je ne crois pas qu'il y ait de reproches à faire ni à la Haute Autorité de santé, ni à l'AFSSAPS, ni au Haut Conseil de la santé publique.

M. François Autain, président - En ce qui concerne le Haut Conseil de la santé publique - je parle sous le contrôle du rapporteur - son président nous a dit que s'il n'avait pas pu mettre en oeuvre les dispositions relatives aux liens d'intérêts, c'était parce qu'il n'avait pas de secrétariat, donc par manque de moyens. Est-ce une raison valable ou pas ?

M. Didier Houssin - On va renforcer le dispositif de déclarations, vérifications, gestion des conflits, pilotage de toute cette dimension d'expertise. On a commencé à préparer ce travail, et on a un nombre important de commissions du même type. Il faut bien mesurer que cela demande du travail.

M. François Autain, président - Etes-vous favorable à l'application des recommandations du rapport de Mme Marie-Dominique Furet ? Son rapport a été rendu public. Je voulais savoir si on avait quelque chance de voir ce rapport appliqué un jour ou s'il était destiné à rester dans un tiroir.

M. Didier Houssin - Ce rapport a pour nous d'autant plus d'importance que la DGS en est l'auteur. Mme Marie-Dominique Furet est à la direction générale de la santé. Ce rapport est pour nous extrêmement important. Nous n'avons eu qu'une idée en tête : le faire appliquer. En matière de valorisation, cela n'est pas facile parce que cela relève beaucoup de l'enseignement supérieur et de la recherche, et suppose l'accompagnement par les conseils supérieurs des universités.

Le travail fait dans le cadre du Comité d'animation du système d'agences est typiquement une suite du rapport de la direction générale de la santé. Nous considérons ce rapport comme non seulement nôtre, mais destiné à prospérer.

M. François Autain, président - Mme Marie-Dominique Furet en sera certainement ravie.

M. Alain Milon, rapporteur - J'en arrive aux contrats. Pour quelles raisons les marchés Sanofi et Novartis de 2005 prévoyaient-ils déjà des clauses de responsabilité de l'Etat équivalentes à celles des avenants et contrats de 2009 ? Ces clauses pouvaient-elles légalement déroger aux dispositions de la loi française et des textes communautaires ?

Les contrats de 2005 portaient sur la fourniture de « traitements » pouvant correspondre à une ou deux doses de vaccin H5N1, car le schéma de vaccination était alors incertain. Le schéma de vaccination H1N1 étant tout aussi incertain, lors de la conclusion, en 2009, des avenants à ces contrats et des contrats Baxter et GSK, pourquoi les commandes ont-elles été exprimées en doses de vaccins plutôt qu'en traitements ?

Les calendriers purement indicatifs de livraison prévus par les contrats laissaient-ils le moindre recours à l'administration en cas de retards anormaux ou de défaut de livraisons imputables aux fournisseurs ?

Vous aviez à juste titre indiqué, lors de votre première audition, que les laboratoires n'étaient tout simplement pas prêts à répondre à une demande importante de vaccins, et vous l'avez répété tout à l'heure.

M. Bruno Lina a confirmé à la commission d'enquête que les vaccins étaient arrivés trop tard pour assurer un effet barrière et « à la limite de l'intérêt individuel » . Un autre de nos interlocuteurs avait affirmé, dès le mois d'août, qu'ils ne seraient pas livrés avant octobre et ne serviraient donc à rien. Que se serait-il passé si la pandémie avait été grave ?

Pourquoi les résiliations partielles de commandes n'ont-elles été signifiées qu'au début du mois de janvier, plus d'un mois après la confirmation, d'ailleurs tardive, par l'EMA qu'une seule dose de vaccin suffisait dans la plupart des cas ?

M. Didier Houssin - Je vais essayer de répondre à toutes les questions. Si par malheur j'en oublie, n'hésitez pas à me le rappeler.

La question de la responsabilité, s'agissant de vaccins susceptibles d'être utilisés à grande échelle, doit s'envisager sous deux angles. La première responsabilité est celle dite du fait du produit qui est de la responsabilité du producteur. Si par malheur, il survient une contamination durant le processus de production, une impureté, c'est de la responsabilité du producteur. En dehors d'un des industriels, très transitoirement, cette responsabilité du producteur n'a pas été contestée par les producteurs.

La deuxième responsabilité est celle liée à l'utilisation. Celle-ci tourne autour de la question des effets indésirables liés à la vaccination qui, dans la très grande majorité des cas, sont mineurs, ne prêtent pas à conséquence et sont identifiés préalablement dans le cadre des essais cliniques. On a une petite idée, lorsque le vaccin est utilisé et qu'il a une autorisation de mise sur le marché, de ce qui peut se passer en termes d'effets indésirables.

Il peut y avoir cependant des effets indésirables inattendus. Les Etats - c'est la position adoptée en France, mais pas seulement en France - ont pris cette responsabilité pour une raison très simple : les industriels ne peuvent pas prendre cette responsabilité, car ils ne sont pas en mesure de l'assurer. C'est du moins l'explication donnée dans l'analyse faite en 1976 par l'Institute of Medicine de la grippe porcine américaine. C'est une responsabilité qui n'est pas assurable. Les industriels, dans ces conditions, disent qu'ils ne mettront pas à disposition les vaccins, si c'est eux qui doivent prendre cette responsabilité. Il y a une discussion possible en pratique. C'est la raison pour laquelle la France a pris la charge de cet aspect de la responsabilité.

M. Alain Milon, rapporteur - En 1976, aux Etats-Unis, ils ont été obligés de changer les lois pour permettre justement la prise en charge de la responsabilité par l'Etat, puisque ce n'était pas possible autrement. Ce que vous venez de dire est-il légal en France ou va-t-on devoir modifier quelque part certaines lois pour cela ?

M. Didier Houssin - Sous réserve de vérifications du point de vue juridique, le dispositif qui était prévu en France est clairement un dispositif qui s'appuie sur l'ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) dans le cadre de quelque chose qui ressemble à l'aléa thérapeutique. C'est là que nous avions éventuellement une décision à prendre. S'il était apparu des effets indésirables sévères, la question qui aurait pu se poser est la suivante : y a-t-il lieu de suspendre la campagne de vaccination ? C'est quelque chose auquel nous étions éventuellement prêts, mais qui n'a pas eu à être décidé.

M. François Autain, président - Vous avez indiqué que les Etats, dans leur ensemble, à votre connaissance, ont pris cette responsabilité. Tous les Etats ont-ils adopté la même position que la France, à savoir des clauses de responsabilité particulières ? A votre connaissance, existe-t-il des Etats qui ont obtenu des laboratoires que ceux-ci prennent la responsabilité de ces effets indésirables, contrairement à ce qui s'est passé en France ?

M. Didier Houssin - Je n'ai pas eu une connaissance intime de la rédaction des contrats. D'après les échanges informels que j'ai eus, aucun Etat, je crois, n'a accepté la responsabilité du fait du produit. La ministre d'ailleurs avait, de ce point de vue, avec ses collègues européens, dit que nous ne devions pas accepter la responsabilité du fait du produit.

Je ne suis pas sûr que des industriels aient accepté la responsabilité liée à l'utilisation et aux effets indésirables inattendus, mais il faudrait vérifier dans les contrats de chacun des pays. Nous ne l'avons pas fait, mais peut-être avez-vous pu le faire.

M. François Autain, président - Je le découvrirai dans le rapport élaboré par le rapporteur, comme vous, si la commission d'enquête a pu effectuer ces contrôles.

M. Didier Houssin - La deuxième question concernait le nombre de doses et le fait que les avenants aient été passés en doses et non en traitements. En mai 2009, la question s'est réellement posée en termes de capacité de production et de rendement de la production. Nous n'étions plus dans une situation d'anticipation comme en 2005. Nous étions « le nez sur le carreau » avec une question : la capacité de production va-t-elle permettre d'aboutir à des livraisons et en quelles quantités ? C'est la raison pour laquelle les choses ont été envisagées non plus en traitements, mais en doses. Il s'agissait véritablement de compter les doses soit, au départ, deux doses pour chaque personne.

Concernant les calendriers de livraisons, je peux être extrêmement précis. Ces derniers, qui nous ont été fournis par les industriels, étaient toujours indicatifs, c'est-à-dire que ce n'étaient pas des engagements. Les industriels ont fait leurs meilleurs efforts pour que les livraisons soient les plus précoces et les plus abondantes possibles. Ils y sont plus ou moins bien parvenus. Il y a d'ailleurs toujours eu des glissements par rapport au calendrier indicatif.

Quand je disais de façon un peu abrupte que l'industrie n'était pas prête, je pense qu'elle n'était pas prête à produire des quantités très importantes, dans un délai très bref. La résultante de cela a été que les livraisons ont été échelonnées, progressives, avec parfois des hoquets. Les hoquets étant liés non tant à des problèmes de production qu'à des problèmes d'embouteillage.

On a bien vu qu'un des facteurs limitant de la production des vaccins en grande quantité peut être la capacité de mettre en bouteille, d'avoir des façonniers. Si vous examinez les avenants déposés par les industriels auprès de l'EMA, entre octobre et décembre, ils portent souvent sur de nouveaux opérateurs en matière de mise en bouteille, pour essayer de faire face sous cet angle.

M. François Autain, président - Je voudrais vous demander encore une fois s'il n'aurait pas été possible d'introduire dans ces contrats des clauses de révision en fonction des recommandations internationales, en l'occurrence une dose ou deux doses. Cela n'a pas été possible en France. A votre connaissance cela a-t-il été possible dans d'autres pays européens ?

M. Didier Houssin - Sous l'angle des mesures dites conditionnelles, lesquelles portaient essentiellement sur la notion de tranches conditionnelles, pour les Etats qui avaient ce qu'on appelle des contrats de réservation, des APA (Advance Purchase Agreement), les tranches conditionnelles existaient. Dans le contrat que nous avions avec Sanofi et Novartis, il y avait des tranches conditionnelles. Nous avions pu négocier ce dispositif à l'avance.

M. François Autain, président - En disant cela, à quels pays pensez-vous ?

M. Didier Houssin - Je parle de la France. La France avait des tranches conditionnelles avec Sanofi.

M. François Autain, président - On peut imaginer que certains pays avaient des tranches conditionnelles avec GSK par exemple. C'est en cela que je vous demande à quel pays vous pensez.

M. Didier Houssin - Je crois savoir que la Grande-Bretagne avait des tranches conditionnelles avec GSK. Je ne voudrais pas m'avancer, car je n'ai pas mémorisé les cas de l'ensemble des pays.

M. François Autain, président - L'Allemagne peut-être aussi.

M. Didier Houssin - Peut-être l'Allemagne, mais j'en suis quasiment certain pour l'Angleterre. En revanche, il est vrai que nous n'étions pas en position de force vis-à-vis de GSK, puisque nous n'avions pas de contrat de réservation avec eux.

Pour GSK, il a fallu s'insérer dans un dispositif de production, mais nous n'étions pas en position de force pour négocier des tranches conditionnelles. Il fallait surtout essayer d'avoir accès à une part de la production. C'est la raison pour laquelle cela nous est apparu être un point important.

M. François Autain, président - Novartis avait pourtant exigé des commandes fermes, et nous avions pourtant un « Advance Purchase Agreement » .

M. Didier Houssin - Je crois qu'il y avait des tranches conditionnelles avec Novartis aussi. Je ne voudrais pas vous dire d'erreurs. Pour Sanofi, j'en suis certain, mais je le crois aussi pour Novartis. Je vais vérifier ce point.

M. François Autain, président - Selon vous, un Etat n'ayant pas de contrat de réservation n'avait pas la possibilité d'obtenir une clause de révision en fonction du nombre d'injections ?

M. Didier Houssin - Ce n'était pas facile. Je n'ai jamais eu le sentiment qu'on était en position de force suffisante pour pouvoir négocier ce genre de conditions, mais c'est une impression personnelle évidemment.

M. François Autain, président - Il y a peut-être meilleurs négociateurs que les négociateurs français. C'est possible. Pourquoi pas ?

Mme Marie-Thérèse Hermange - Avez-vous essayé de négocier ?

M. Didier Houssin - Bien sûr, nous avons essayé de négocier. Pour faire la comparaison, il faudrait poser la question également à des Etats qui n'avaient pas non plus de contrats de réservation, et savoir s'ils ont obtenu des tranches conditionnelles. J'en serais un petit peu surpris.

Comme je l'avais expliqué à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le fait qui nous a mis en difficulté est que le vaccin adjuvanté Emerflu, susceptible d'avoir une autorisation en début 2009, ne l'a pas eue. Notre principal prestataire ne pouvait donc pas livrer ce vaccin adjuvanté. On s'est donc tourné vers le seul susceptible de livrer rapidement, c'est-à-dire GSK.

M. François Autain, président - Dans cette affaire, le laboratoire, GSK pour ne pas le nommer, n'a-t-il pas un peu chargé la barque ? Ne pensez-vous pas qu'ils se sont comportés beaucoup plus en commerçants qu'en agents comptables d'une certaine conception de la santé publique ? Vous me direz que ce n'est pas leur métier, mais enfin !

M. Didier Houssin - Il faut malgré tout voir les aspects positifs. Nous avions la possibilité de mettre à disposition un vaccin qui nous paraissait être une mesure de prévention importante. Ces laboratoires sont des entreprises de dimension mondiale. Nous avions comme interlocuteurs la représentation française, mais l'affaire se jouait au niveau des usines de production à l'échelle mondiale. Je n'ai jamais eu le sentiment que nous avions en face de nous des gens qui n'avaient pas une vision sanitaire. D'un autre côté, vous avez raison, ce sont aussi des gens qui vendent un produit.

M. François Autain, président - Vous avez le sentiment d'avoir bien négocié. Avez-vous des regrets ? Comme vous le dites souvent dans les interviews que je lis de vous dans la presse, si c'était à refaire, vous referiez sensiblement la même chose.

M. Didier Houssin - Je disais que je referais la même chose, si j'avais les mêmes éléments de connaissance.

M. François Autain, président - Je n'ai pas lu cela. Je fais référence à votre interview dans Libération . Il y en a peut-être d'autres. J'avais été frappé, et je m'étais dit que vous ne tiriez pas vraiment de leçon.

M. Didier Houssin - Au contraire, monsieur le président, nous tirons des leçons, car il y a énormément de choses à apprendre. Effectivement, si nous étions confrontés au même événement, avec les connaissances que nous avons aujourd'hui, bien sûr que nous agirions différemment.

M. François Autain, président - Ce n'est pas ce que je vous ai demandé, bien entendu, sinon ce serait trop facile.

M. Didier Houssin - En revanche, je veux dire que beaucoup de décisions ont été prises sous contraintes, qui ne permettaient pas véritablement des choix. Les vrais choix n'ont d'ailleurs pas attiré une grande attention. Ils étaient les suivants : gratuité ou pas gratuité, ordre de priorité, obligation vaccinale ou pas, là, des options ont été prises par le Gouvernement et qui auraient pu être différentes. Beaucoup d'autres décisions ont été prises sous contraintes et ne laissaient pas beaucoup de place à des options.

M. François Autain, président - Pouvez-vous répondre à la troisième question de M. le rapporteur ?

M. Didier Houssin - Concernant la question du retard dans la livraison des vaccins, j'ai toujours eu le sentiment que nous faisions un petit peu la course avec le virus, et qu'il n'était pas certain que nous allions pouvoir atteindre notre objectif qui était de vacciner si possible ceux qui le souhaiteraient, mais en quantité suffisamment importante avant le pic pandémique. Effectivement, les choses se sont un peu superposées.

On a eu la chance que la fermeture des classes, au début de novembre en Ile-de-France, ait ralenti la propagation du virus. Il y a eu, malgré tout, un certain parallélisme entre la dynamique de l'épidémie et la dynamique de livraison des vaccins. Je suis d'accord avec M. Bruno Lina, quand il dit qu'on n'a malheureusement pas été en avance comme on l'aurait souhaité. C'était déjà très inattendu qu'on puisse même espérer être en même temps.

M. François Autain, président - Vous avez commandé des vaccins alors que vous étiez à peu près persuadé qu'ils arriveraient trop tard.

M. Didier Houssin - Non, nous espérions clairement qu'il puisse y avoir une quantité de vaccins suffisamment importante avant l'accentuation du phénomène épidémique.

Quant à la résiliation, elle a été décidée par la ministre, lorsqu'il nous est apparu que les données étaient suffisamment claires sur la question concernant une ou deux doses, ça n'a été le cas qu'en novembre. Par ailleurs, nous voulions être suffisamment approvisionnés pour ne pas nous exposer à des phénomènes d'interruption d'approvisionnement. C'est la raison pour laquelle la décision a été prise lorsqu'il nous a semblé possible qu'elle soit prise.

M. François Autain, président - Vous ne faisiez pas beaucoup confiance à vos fournisseurs...

M. Didier Houssin - Ce n'est pas cela, mais nous constations qu'il y avait des glissements dans les calendriers de livraison. On se disait qu'il ne fallait pas s'exposer à un glissement majeur.

M. Alain Milon, rapporteur - Nous avons le calendrier sous les yeux. Il est vrai que GSK a commencé à livrer à partir de la semaine 41. Sanofi n'a commencé à livrer qu'à partir de la semaine 46. Il y a des écarts énormes, avec des semaines sans aucune livraison : semaine 45 pour GSK, semaine 51, etc. Il y a eu des trous importants.

M. Didier Houssin - En sachant que pour Sanofi, un rétablissement est intervenu qui, au départ, n'était pas véritablement prévu et s'est fait autour du vaccin non adjuvanté. Je dois dire que cela a été une solution très satisfaisante, notamment pour les personnes pour lesquelles ce type de vaccin était recommandé. Au départ, on s'attendait à un retard beaucoup plus important du côté de Sanofi, du fait que l'autorisation du vaccin Humenza adjuvanté n'est intervenue qu'en février 2010.

M. François Autain, président - Du coup, après la bataille. Je voudrais que nous revenions sur les conditions dans lesquelles vous avez fixé les 94 millions de doses, et plus si affinité, jusqu'à 130 millions de doses.

Lors de votre première audition, vous avez indiqué que vous vous en étiez référé aux experts. J'ai beaucoup cherché, car vous n'avez pas été très explicite. Peut-être est-ce aussi notre faute, nous n'avons peut-être pas posé les questions qu'il fallait. En consultant les avis du Haut Conseil de la santé publique, je n'ai pas trouvé la réponse à cette question.

J'ai consulté les comptes rendus du Comité de lutte contre la grippe, quand je les ai reçus, mais cela n'a pas suffi non plus. Je me suis reporté au petit rapport qui se trouvait dans une note annotée du Comité de lutte contre la grippe. C'était le compte rendu d'une réunion téléphonique du 10 mai 2009. Il y avait en référence le texte de recommandation du Comité, accompagné d'une note de proposition d'achat de vaccins transmise à la ministre en charge de la santé. Je n'avais pas ce document.

Quand je l'ai eu, j'ai un peu mieux compris, puisque ce document était accompagné d'une lettre de saisine de votre part, datée du 8 mai. Je crois savoir qu'il fallait faire vite, puisque le laboratoire vous tenait. Si le 12 mai à minuit, vous n'aviez pas signé, c'était fini, vous n'auriez plus rien. Le chantage a remarquablement bien fonctionné.

Pour vous couvrir, vous avez demandé l'avis du Comité de lutte contre la grippe, qui a, en vingt-quatre heures, élaboré ce document, ce qui, en d'autres circonstances, nécessite plus de temps, pour une structure comme le Haut Conseil de la santé publique. C'est d'ailleurs cette procédure que vous avez utilisée pour le H5N1 en 2008, puisque vous aviez saisi le Haut Conseil de la santé publique pour savoir quelles étaient les modalités de vaccination H5N1 qu'il fallait retenir.

Une réponse est intervenue fin 2008. La réponse qui vous a été fournie pour H1N1 par le Comité de lutte contre la grippe n'était finalement qu'une copie du rapport qui avait été effectué pour le Haut Conseil de la santé publique, mais sur le H5N1.

Je comprends qu'en quarante-huit heures, malgré leur grande compétence, les membres du Comité de lutte contre la grippe n'avaient pas le temps d'élaborer un rapport, tel qu'il aurait été nécessaire, dans une crise comme celle de la grippe H1N1. Mais je voudrais savoir pour quelles raisons vous n'avez pas saisi le Haut Conseil de la santé publique, comme vous l'aviez fait en 2008.

Vous me direz que la réponse est peut-être dans la question. Le temps pressait, et c'est sans doute pour cette raison que vous avez saisi le Comité de lutte contre la grippe, car vous estimiez, avec quelque raison, obtenir une réponse beaucoup plus rapide que si vous saisissiez le Haut Conseil de la santé publique.

Mais la réponse qui vous a été apportée offre moins de garanties que si elle émanait du Haut Conseil de la santé publique, surtout s'agissant du nombre de doses à commander. Dans cet avis du Comité de lutte contre la grippe, j'ai recherché les données scientifiques qui permettaient d'expliciter l'indication sur le nombre de doses à commander. Malheureusement, je n'en ai pas trouvé.

Les recommandations qui étaient faites étaient assez vagues : avoir des vaccins pour toute la population et, à défaut, vacciner certaines tranches de la population en fonction de l'efficacité estimée par la modélisation sur l'évolution de la pandémie.

Il n'y avait absolument aucune base scientifique qui permettait d'expliquer le recours à un nombre aussi important de vaccins. Je comprends qu'il vous était nécessaire de vous entourer d'un certain nombre de garanties, mais comme l'a très bien dit le président du Comité technique des vaccinations, la décision d'acheter 94 millions de doses est une décision politique. J'ai cru comprendre que le président du CTV - Daniel Floret - ne voulait pas assumer cette responsabilité mais peut-être est-ce une interprétation de ma part.

M. Didier Houssin - Pour répondre à votre question, il faut resituer tout le travail préparatoire qui a été fait autour de la question des vaccins en situation pandémique. Comme vous l'avez dit, nous avions depuis plusieurs années réfléchi à la question de la vaccination, aussi bien dans le contexte du Comité de lutte contre la grippe, que dans celui du Haut Conseil de la santé publique, puisque nous avions un avis de 2008 sur ce sujet, bien sûr dans le contexte H5N1, mais qui n'était pas un contexte malgré tout si différent sur certains aspects du contexte H1N1. Lorsque l'affaire a démarré, nous n'étions pas absolument certains de la manière dont les choses allaient tourner.

M. François Autain, président - Jusqu'au mois de mai ?

M. Didier Houssin - Non, jusqu'aux mois de septembre, octobre, novembre. Rappelez-vous l'avis et les prévisions de l'InVS.

M. François Autain, président - Au mois de juin pour l'InVS, ce n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière. Je vous l'ai lu tout à l'heure.

M. Didier Houssin - J'ai bien compris, mais vous avez lu aussi l'avis de septembre. Nous avions de quoi nous inquiéter.

M. François Autain, président - D'où le problème.

M. Didier Houssin - J'ai essayé d'expliquer qu'il n'y avait pas de contradictions dans les avis de l'InVS, qu'il y avait au contraire une continuité, seulement une apparence d'instabilité.

M. François Autain, président - Méfions-nous des apparences.

M. Didier Houssin - J'en reviens à votre question. Nous avions également l'avis du Comité consultatif national d'éthique du mois de février 2009, qui nous donnait un éclairage important sur un aspect concernant la vaccination.

M. François Autain, président - Il est relatif au H5N1 aussi.

M. Didier Houssin - Il était relatif à la préparation à une pandémie grippale. C'était générique. Je voudrais bien préciser les choses. Il est vrai que dans une situation un peu urgente, nous avons été amenés à saisir le Comité de lutte contre la grippe le 8 mai, comme vous l'avez dit, mais il ne s'agissait là que de dessiner une orientation. Je tiens à bien préciser que la décision formelle d'acquisition a été prise par le Premier ministre, le 3 juillet 2009.

Tout ce qui a précédé n'était que du domaine de l'intention. Je voudrais appeler votre attention sur la saisine du Haut Conseil de la santé publique le 11 juin et sur les réponses qui ont été apportées par le Haut Conseil de la santé publique d'abord, par le Comité technique des vaccinations, puis par le Haut Conseil dans sa formation commission spécialisée maladies transmissibles, qui ont clairement indiqué l'importance, à leurs yeux, d'une vaccination large.

M. François Autain, président - Ceci était postérieur.

M. Didier Houssin - Pas du tout. C'était antérieur à la décision du 3 juillet. C'était fin juin.

M. François Autain, président - C'est quand même postérieur au mois de mai.

M. Didier Houssin - Au mois de mai, nous n'avions pas pris de décision. On avait simplement dit à GSK qu'on était intéressés.

M. François Autain, président - Monsieur le directeur, on n'avait pas pris de décision, mais enfin...

M. Didier Houssin - Il s'agissait d'une lettre d'intention.

M. François Autain, président - Je lis le passage manuscrit de la lettre que vous avez adressée à Mme la ministre : « Il me semble que la proposition faite par GSK doit être acceptée car elle est à même d'offrir la solution de vaccination la plus précoce dans l'éventualité d'une vague pandémique à l'automne. » Effectivement, la décision n'était pas prise, mais on était sur la voie ! C'était le 11 mai.

M. Didier Houssin - Nous étions tout à fait sur la voie, mais il n'y avait pas de décision prise. C'était simplement une préconisation qui permettait de valider, si la ministre en était d'accord, les lettres d'intention, ce qui a été fait. Je rappelle que la décision formelle a été prise par le Premier ministre le 3 juillet. D'ailleurs, la notification des contrats n'a été faite qu'à partir du 15-20 juillet.

On a bien tenu à essayer de faire en sorte - c'était d'ailleurs une des leçons du rapport de l'Institute of Medicine - que les décisions politiques soient appuyées sur l'expertise et qu'on tienne compte de l'avis de l'InVS, de l'AFSSAPS et de la synthèse du Haut Conseil. C'est la raison pour laquelle on a interrogé le Haut Conseil le 11 juin. Le Comité technique des vaccinations a donné un avis le 22 juin. Le Haut Conseil, dans sa séance du 25 juin, a validé l'avis du Comité technique des vaccinations.

M. François Autain, président - Pour moi, la commande a eu lieu le 14 mai 2009. Il y a quand même eu cette lettre d'intention. Ce n'était pas gratuit puisque vous versiez avec cette lettre 75 millions d'euros hors taxes. « Cette commande fera l'objet d'une réservation immédiate, dont le coût sera facturé par GSK à raison de 1,5 euro hors taxes par dose de vaccin, soit la somme totale de 75 millions d'euros hors taxes. »

Vous me direz qu'il est toujours possible de revenir là-dessus, mais pour moi, le 14 mai - la suite le prouve - les choses étaient faites. Les avis du Haut Conseil ont été ensuite de simples formalités. L'essentiel a eu lieu au cours de ces quatre journées du mois de mai sur des bases scientifiques très légères. La pathogénicité du virus n'est absolument pas prise en compte. Ils n'ont pas eu le temps. Il ne faut pas demander l'impossible. Ils n'ont eu que quarante-huit heures. C'est troublant.

M. Didier Houssin - Je dois dire, monsieur le président, que je ne partage pas du tout votre analyse.

M. François Autain, président - C'est bien le problème, justement.

M. Didier Houssin - Je ne partage pas du tout votre analyse. Une expertise a été effectivement demandée au Comité de lutte contre la grippe - comme c'était son rôle - qui nous a donné une orientation, laquelle nous a permis de poursuivre les pourparlers et d'aller vers une lettre d'intention. On a bien pris la précaution de solliciter l'avis du Haut Conseil de la santé publique, en particulier du Comité technique des vaccinations, qui est sa composante la plus compétente en matière de vaccination. On a eu un avis le 22 juin, puis l'avis final de la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil le 26 juin.

Sur cette base, il a été possible de recommander à la ministre la décision politique d'acquisition de vaccins. Je dois dire que, parallèlement, on a bien sûr essayé de savoir ce que faisaient les pays voisins. Nous avions également le sentiment que l'ensemble de ces pays, en tout cas les Etats européens, les Etats-Unis et le Canada, s'engageaient également vers une acquisition de vaccins dans des quantités qui parfois étaient identiques, voire supérieures, mais en tout cas dans des proportions tout à fait voisines. Nous ne pensions donc pas avoir un comportement aberrant en matière de commandes de vaccins.

M. François Autain, président - Heureusement, tous les pays en Europe n'ont pas commis les erreurs que vous avez commises.

M. Alain Milon, rapporteur - Si le Haut Conseil avait infirmé la possibilité d'une pandémie, aurait-on pu revenir sur les contrats qui avaient été prévus le 14 mai et les arrêter ?

M. Didier Houssin - Je tiens à bien préciser que le 14 mai, il n'y a pas eu de contrats.

M. Alain Milon, rapporteur - Il y a eu 72 millions d'euros de versés.

M. Didier Houssin - Ils n'ont été payés qu'en septembre.

M. François Autain, président - Il y a eu un engagement quand même.

M. Didier Houssin - C'est une lettre d'intention.

M. Alain Milon, rapporteur - J'aimerais avoir une réponse à ma question. Si le Haut Conseil avait dit qu'il n'y avait pas de risque, pouvait-on tout arrêter ?

M. Didier Houssin - C'est la raison pour laquelle nous avons pris la précaution de nous assurer, avant le lancement de la campagne, que nous avions des feux verts du côté de l'expertise. On a interrogé l'Institut de veille sanitaire qui nous a donné son avis - qui n'était pas si rassurant que cela. Deuxièmement, nous avons réinterrogé le Haut Conseil de la santé publique pour savoir s'il y avait lieu de lancer la campagne. La réponse a été oui.

M. Alain Milon, rapporteur - Et si la réponse avait été non ?

M. Didier Houssin - On aurait dit à la ministre que le Haut Conseil de la santé publique ne nous recommandait pas de lancer la campagne. Je dois dire que nous avons également concerté avec nos collègues, et nous avons constaté que l'ensemble des pays déclenchaient leurs campagnes dans les mêmes proportions.

Si, effectivement, le Haut Conseil avait dit qu'il ne se passait plus rien, et qu'il n'y avait pas lieu de lancer une campagne de vaccination, si l'Institut de veille sanitaire nous avait dit que ce virus avait arrêté de circuler et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, et si on avait constaté que nos collègues dans les autres pays faisaient la même observation, nous aurions renoncé, et nous aurions peut-être, à ce moment-là, résilié ou pris une décision concernant les contrats.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est important. Dans cette démarche, vous avez mis régulièrement des garde-fous qui vous permettaient, d'avancer, d'arrêter ou même de faire marche arrière dans certaines conditions.

M. Didier Houssin - J'ai eu en permanence à l'esprit les conclusions du rapport de l'Institute of Medicine sur ce qui s'était passé en 1976. Mon homologue du CDC américain avait « mis dans une même seringue » l'acquisition des vaccins, l'ordre de priorité et le lancement de la campagne. Le président Gérald Ford avait pris une décision globale.

La conclusion du rapport de l'Institute of Medicine est celle-ci : il ne faut pas mettre les responsables politiques dans une telle situation, il faut faire en sorte qu'ils aient la possibilité, s'ils le jugent nécessaire, de stopper et de revenir en arrière. D'où l'importance que nous avons attaché à faire en sorte, pour chacune des trois décisions importantes - l'acquisition, l'ordre de priorité, le lancement de la campagne et les questions d'organisation de la campagne de vaccination qu'on peut ranger dans ce cadre - que la décision politique soit précédée d'un travail d'expertise, l'administration faisant ensuite une préconisation aux responsables politiques, dans le cadre de sa mission.

M. Alain Milon, rapporteur - Je trouve cette démarche intéressante. Si on arrive à la phase 3, qu'on se rend compte que ce n'est pas utile et qu'on arrête cette phase 3, y a-t-il des possibilités de revenir en arrière dans le plan qui est mis en place ?

M. Didier Houssin - On avait envisagé cette situation essentiellement sous l'angle d'effets indésirables inattendus, c'est-à-dire d'une vaccination qui se serait révélée « à risques ».

Effectivement, on avait des possibilités de stopper l'organisation de la campagne. On n'aurait pas installé les centres de vaccination. Sur les contrats, on se serait retrouvé dans la situation qu'on a connue trois mois plus tard, autour de la question de la résiliation.

M. Alain Milon, rapporteur - D'où la nécessité de réfléchir à l'avenir.

M. Didier Houssin - C'est certain. C'est une leçon extrêmement importante. A l'avenir, il faut qu'on arrive à faire en sorte de ne pas se trouver sous la pression du temps et de l'industrie et de pouvoir imposer l'obtention de tranches conditionnelles, de conditions, etc.

M. François Autain, président - Je trouve que le problème ne se posait pas en ces termes. La lettre d'intention a été envoyée le 14 mai 2009. Vous avez saisi le Haut Conseil de la santé publique à plusieurs reprises. Il y a eu cet avis du mois de juin, qui ne portait pas du tout sur la quantité. A chaque fois, vous avez informé le Haut Conseil de la santé publique que vous aviez commandé tant de millions de vaccins. Vous ne lui avez jamais demandé son avis sur la quantité de vaccins à commander.

La seule chose qu'il s'est permis de dire est qu'il fallait faire attention en raison des adjuvants mal connus et de l'ignorance sur l'immunogénicité de ce nouveau vaccin. Il n'a jamais donné un avis, contrairement au Comité de lutte contre la grippe, sur le nombre de vaccins.

Quand vous avez ensuite saisi, au mois d'août, je crois, le Haut Conseil sur les publics prioritaires, il était évidemment trop tard. Vous aviez des commandes fermes. Ou vous résiliez tout, ou vous ne résiliez rien. Vous n'aviez aucune possibilité, aucune marge de manoeuvre. C'était tout ou rien. C'est complètement absurde. Il est évident qu'on n'avait pas besoin d'autant de vaccins, mais il serait tout aussi absurde de dire qu'on n'avait pas besoin de vaccin du tout, même si ce vaccin est intervenu, on le reconnaît tous, trop tard.

Je ne vois vraiment pas en quoi l'avis du Haut Conseil de la santé publique sollicité pouvait en quoi que ce soit modifier la commande que vous aviez faite, même si la lettre d'intention ne formalise pas la commande. Cette décision étant intervenue en juillet, je pense qu'il était trop tard après pour pouvoir la remettre en cause, même si l'avis du Haut Conseil avait été très négatif, ce qui, à l'époque, était très improbable.

M. Didier Houssin - Sur ce point, je pense que vous avez raison. On ne peut pas demander aux experts plus que ce qu'ils peuvent dire. Leur analyse était fondée sur l'état des connaissances, dans un domaine où il y avait de grandes incertitudes. Il est vrai que la décision politique se fait au croisement, malgré tout, d'une doctrine qui avait été élaborée préalablement, dans le cadre de la préparation à une pandémie, d'un avis éthique qui a son importance concernant l'accès à la vaccination, d'informations disponibles sur ce qu'on savait de la compliance vaccinale possible et de l'insensibilité de certaines populations au virus.

Il est vrai que ce n'est pas au Haut Conseil de la santé publique qu'on a demandé un dimensionnement précis. Les avis que nous avons eus, malgré tout, sur l'opportunité, la pertinence de la vaccination, l'identification des catégories pour lesquelles il pourrait y avoir un intérêt à vacciner, nous ont conduits à échafauder un dimensionnement qui a été une décision - je le reconnais - politique, qui a été le point d'équilibre entre différentes analyses.

M. François Autain, président - Nous sommes d'accord sur ce point.

M. Didier Houssin - Je ne pense pas qu'il aurait été correct, compte tenu de ce qu'on savait, de demander aux experts du Haut Conseil de la santé publique qu'ils nous disent la quantité qu'il fallait acheter.

M. François Autain, président - Le Comité de lutte contre la grippe a été très clair. Il n'allait pas jusqu'à 130 millions de doses, c'est vrai.

M. Didier Houssin - Il a rappelé l'importance de la vaccination. Il a rappelé quelles pourraient être les catégories concernées. Il est vrai que l'avis du mois de juin nous a confortés dans cette orientation.

M. François Autain, président - Il recommandait l'achat de 108 millions de doses, dans l'hypothèse d'une vaccination à deux doses. Vous alliez un petit peu plus loin, puisque vous êtes allé jusqu'à 130 millions de doses, dont 94 millions de doses en commande ferme.

De manière étonnante, le Comité de lutte contre la grippe peut donner des avis concernant la quantité, mais vous venez de dire que le Haut Conseil de la santé publique ne le pouvait pas. Ceci m'étonne car ce dernier est une structure qui a beaucoup plus de poids que le Comité de lutte contre la grippe. Cela m'étonne que vous ne lui ayez pas demandé cette information, ce conseil en tout cas.

M. Didier Houssin - Il ne faut pas sous-estimer le Comité de lutte contre la grippe, qui a des représentants des différentes agences concernées et également une compétence particulière en matière de grippe.

M. Alain Milon, rapporteur - Le président a dit que GSK avait imposé à l'Etat français la commande ferme d'un certain nombre de vaccins au 12 mai, à minuit. Est-ce le cas ?

M. Didier Houssin - GSK a demandé qu'il y ait une expression d'intérêt claire de la part de la France à une date qui était effectivement précoce, mais ce n'était pas une intention de commande ferme. Il est vrai qu'une contrainte de temps était mise et tenait au fait simplement que GSK avait la nécessité de répartir sa production en fonction des différents pays demandeurs. Nous devions apporter une réponse sur l'intérêt que nous avions pour ce produit le 12 mai à minuit.

M. François Autain, président - Il nous reste à vous remercier, monsieur le directeur général, de vous être prêté avec autant de patience au jeu des questions. Nous vous remercions aussi des réponses que vous nous avez apportées.

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