Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,
ministre de la santé et
des sports
(mercredi 30 juin 2010)
M. François Autain, président - Madame la ministre, je vous donne la parole puisque vous souhaitez faire une intervention liminaire. Ensuite, le rapporteur vous posera ses questions.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je jure bien entendu que je dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Au terme de vos auditions sur les éléments d'informations délivrés aux gouvernants et au Gouvernement par les experts, leur indépendance, les éventuelles incidences des possibles conflits d'intérêts dans les prises de décision des pouvoirs publics, je me réjouis d'avoir à nouveau l'occasion de m'exprimer devant votre commission.
Lors de ma première audition, j'avais tenu à vous présenter les valeurs qui m'avaient animée en tant que ministre de la santé, face à une menace potentiellement grave et chargée d'une grande incertitude. Aujourd'hui, vous arrivez à l'étape finale de votre travail. Je suis la dernière à nouveau auditionnée.
M. François Autain, président - Vous avez été la première, madame.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je boucle la boucle. Je sais que vous avez à coeur, comme moi, de tirer les enseignements de cette pandémie. Il est de notre responsabilité, chacun à notre place politique, de préparer l'avenir pour garantir la sécurité et préserver la santé des Français.
Je sais que vous entendez faire des propositions concrètes au Gouvernement, pour rendre plus opérationnels, plus efficaces et plus impartiaux les avis d'experts qui forment le socle de la décision des gouvernants.
Pour commencer et répondre aux critiques que j'entends ici ou là, je veux le dire avec force : face à cette pandémie grippale, nous avions l'impérieuse nécessité de nous préparer. Nous ne partions pas de rien, au contraire. Le contexte récent - les années 2003-2005 - était marqué par l'irruption de nouvelles menaces : l'émergence de la grippe aviaire ou du SRAS.
Sous l'impulsion de l'Organisation mondiale de la santé, la France a fait un important travail de préparation dans le domaine de la veille sanitaire, de l'expertise et de la planification. Dès 2005, nous avons disposé d'un plan national de prévention et de lutte contre la pandémie grippale qui reprenait l'architecture du plan OMS.
Ce plan, nous n'avons cessé de l'adapter, de le fignoler au cours des années. Cinq ans plus tard, dans sa quatrième édition, il a singulièrement gagné en adaptabilité, prenant en compte, au-delà des seules questions sanitaires, la nécessité de la solidarité et la continuité de la vie sociale.
Le plan, j'ai employé l'image, a été la première victime du virus H1N1. On s'y attendait d'ailleurs. Nous le savons bien, la menace ne prend jamais la forme que l'on avait attendue. Nous attendions un virus aviaire, virulent, venant d'Asie. Nous avons eu un virus porcin, très contagieux, venant d'Amérique. Nous nous étions préparés au pire. Le pire n'est pas venu, tant mieux, même si, au passage, je n'oublie pas les centaines de familles endeuillées.
Aujourd'hui, certains nous reprochent de nous être trop préparés. Nous nous serions, selon certains, laissés enfermer d'emblée dans un carcan, un scénario noir trop pessimiste, ne correspondant pas à la réalité de la menace, telle qu'elle s'est ensuite concrétisée. C'est sur ces deux points que je voudrais revenir.
Le premier point d'abord : en tant que responsables politiques, nous avons une obligation de préparation. Tous les autres Etats qui ont des systèmes de santé comparables au nôtre l'ont fait. Cette obligation est sans doute particulièrement importante dans notre pays, qui a traversé de grandes crises sanitaires, au cours desquelles il a été reproché au pouvoir politique, quel qu'il soit et quelle que soit sa couleur, de n'avoir pas su se préparer.
Je peux rappeler les termes très durs de la mission conduite au Sénat sur la canicule en 2003 : « La vague de chaleur de l'été 2003 a déclenché avec une rapidité fulgurante une catastrophe sanitaire à laquelle notre pays n'était manifestement pas préparé. (...) Au plus fort de la crise, la réponse de la société française dans son ensemble a été tardive, insuffisante, inadaptée et désordonnée. »
Je rappelle également les conclusions de la commission d'enquête de vos collègues de l'Assemblée nationale, toujours à propos de la canicule : « Une gestion de crise empirique, une catastrophe imprévue et mal décelée , une crise subie » .
Aujourd'hui, je ne suis pas la seule à le dire : la menace H1N1 a été mieux gérée que bien d'autres épisodes précédents, et les intenses efforts de préparation qui ont été consentis ont permis de mobiliser très rapidement tous les acteurs, de détecter précocement la menace, de déclencher des mesures adaptées.
Le deuxième point est que nous n'avons pas appliqué aveuglément un plan. J'ai souvent employé le terme de boîte à outils, et j'utilise à nouveau cette image. Nous avons utilisé cette boîte à outils quand cela a été nécessaire. Je rappellerai que nous ne sommes jamais passés en situation 6, car la réalité de la menace, modérée, n'amenait pas à avoir besoin d'utiliser les mesures qui sont prévues dans cette phase 6.
C'est la raison pour laquelle j'ai amené un tableau récapitulatif que je tiens à la disposition de votre commission, pour qu'il soit porté en annexe. Il montre que nous n'avons pas appliqué un modèle autoritaire et centralisé, que nous nous sommes sans cesse adaptés aux éléments d'information qui nous parvenaient.
Cette souplesse est d'ailleurs inscrite dans le plan. Je cite l'avertissement qui apparaît dès la deuxième page : « Le plan est un outil opérationnel, fondé sur des mesures normées que les autorités peuvent décider d'appliquer en fonction de la situation concrète rencontrée. »
C'est ce que nous avons fait. La gravité d'une pandémie n'est pas seulement la résultante de la virulence du virus : c'est la résultante de la confrontation de cette virulence à la préparation de notre système de soins. Nous nous sommes donc prémunis de l'incertitude sur la gravité, en proposant la vaccination à tous. Nous avons préparé notre système de soins. Il ne faut pas, comme je l'ai vu, balayer le plan pandémie d'un revers de main.
Il ne faut pas s'y tromper : le virus H5N1 n'a pas disparu. Il était considéré comme une menace crédible hier. Rien n'est changé, et ce sera peut-être l'alerte de demain. N'oublions pas que ce qui a été le plus difficile pour l'Etat est de mettre en oeuvre la campagne de vaccination. C'est l'une des rares mesures que le plan ne prévoyait pas, et nous avons souffert de cette impréparation. Personne n'avait imaginé qu'on pourrait avoir un vaccin avant une première vague pandémique.
Nous nous étions donc préparés, et je reste certaine que nous avons bien fait. En avons-nous trop fait ensuite ? C'est la question qui est posée. Beaucoup jugent trop importante - certains ont dit démesurée - l'ampleur des moyens que nous avons mobilisés et, en particulier, le dimensionnement de nos acquisitions de vaccins.
Nous avons su très tôt que le H1N1 n'était pas le H5N1, que sa virulence était beaucoup plus modérée. Je l'ai dit d'ailleurs quelques jours après la première alerte. Je tiens à votre disposition les discours que j'ai tenus.
L'OMS a assorti, dès le 11 juin, c'est-à-dire un mois et demi après l'alerte, son passage en phase 6 d'une appréciation de la sévérité de la grippe : « Mild » a-t-elle dit, en y ajoutant toutes les réserves nécessaires sur l'imprévisibilité de l'évolution du virus.
Une virulence modérée, mais nous avons dû supporter tout au long de la pandémie l'incertitude quant à une possible mutation, l'acquisition de facteurs de virulence, voire de résistance, de contagiosité. Je vous ai amené une autre fiche qui indique bien les différents éléments d'information et d'incertitude qui, tout au long de cette crise pandémique, arrivent à notre connaissance et qui font que nous nous adaptons, nous réagissons.
Face à ce virus, nous avons disposé d'un moyen de prévention : la vaccination. Il aurait été irresponsable de ne pas l'utiliser.
Début juillet, nous étions face à un avenir incertain. J'ai proposé au Gouvernement de permettre à chacun de se protéger et un premier élément de choix, soit 94 millions de doses, correspondant à 47 millions de vaccins, puisque nous étions dans le cadre d'un schéma vaccinal à deux doses, en tenant compte de ce que nous pouvions savoir sur l'adhésion de nos concitoyens à la vaccination.
Je suis restée très attentive et vigilante. J'ai observé ce qui se passait dans l'hémisphère Sud. En septembre, l'expérience de ces territoires nous a apporté des indications pour le moins contrastées. Avec un taux d'attaque modéré, les structures de réanimation et de soins intensifs ont parfois été, comme en Australie, au bord de la rupture. Objectivement, je ne pouvais pas être complètement rassurée.
Fin novembre, le virus mutait en Norvège. Cette mutation était responsable de formes graves. Heureusement, mais cela n'a été visible, avéré, qu'au bout de plusieurs semaines, ce virus mutant n'a pas acquis la capacité de se transmettre, mais au début le signalement n'indiquait pas qu'il ne se transmettrait pas. En novembre, je n'avais donc toujours pas d'éléments pour être rassurée.
Ce n'est qu'une fois le pic pandémique atteint que nous avons acquis la certitude - nous sommes exactement le 22 décembre - que la morbidité et la mortalité seraient modérées. J'ai pris alors les mesures nécessaires en allégeant le dispositif de vaccination et en résiliant plus de la moitié de nos commandes de vaccins.
Je le disais il y a quelques instants, les acquisitions ont été dimensionnées pour pouvoir proposer la vaccination à l'ensemble de la population, selon un schéma vaccinal à deux injections. Il y avait une exception pour la tranche la plus âgée de la population, à laquelle il était envisagé de ne proposer qu'une seule injection, compte tenu de l'état d'immunité préexistant au virus H1N1, immunité historique, oserais-je dire dont nous avons eu connaissance tôt.
En se fondant sur la compliance observée lors des campanes de vaccination sur la grippe saisonnière - de l'ordre de 65 % pour les catégories de population à qui elle est offerte - et contre la méningite B en Seine-Maritime où elle est supérieure à 85 %, nous avons considéré l'hypothèse que 25 % de la population choisiraient de ne pas se faire vacciner. C'est ce que les spécialistes appellent un taux d'attrition. Le dimensionnement des acquisitions a ainsi été fixé à 47 millions de vaccins, soit 94 millions de doses et validé en réunion interministérielle le 3 juillet 2009.
J'entends aujourd'hui qu'atteindre un tel taux de compliance était illusoire et qu'il aurait été utile d'écouter l'opinion des Français sur le sujet. Je l'ai fait ! Je rappelle qu'à l'époque - je vous ai amené l'évolution des études d'opinion qui est extrêmement intéressante - 67 % de la population disaient avoir l'intention de se faire vacciner en juillet 2009. Nous sommes le 23 juillet.
M. François Autain, président - M. Setbon nous a dit que cela correspondait à 30 % de personnes qui se feraient vacciner.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je dis simplement que 67 % nous disent à l'époque qu'ils ont l'intention de se faire vacciner. Quelque chose est très éclairant dans ces tableaux : comme l'indiquent les sondages, nos concitoyens ont voulu, puis n'ont plus voulu se faire vacciner. Je vous ai amené un document nouveau. Je ne vous l'avais pas amené lors de la première audition, pas plus que les autres tableaux que je vais vous montrer. Il s'agit d'un tableau récapitulatif des sondages d'opinion commandés par le Gouvernement. On peut se poser des questions sur ce changement de cap.
Là encore, les sondages nous indiquent que nos concitoyens ont pris peur, car trop de choses sans doute ont été dites sur les adjuvants, le thiomersal, la rapidité de la préparation des vaccins. On a même parlé d' « expérimentation grandeur nature » .
Puis-je parler à mon tour de désinformation ? Il suffit de regarder aujourd'hui nos résultats de pharmacovigilance pour apprécier l'inutilité de ce faux débat sur la sécurité des vaccins, alors que j'ai toujours dit que je m'entourerais de toutes les garanties nécessaires. J'ai ainsi attendu de disposer des autorisations de mise sur le marché, garantes de qualité et de sécurité, pour les utiliser. A contrario, j'entends aujourd'hui qu'on reproche aux autorités de régulation sanitaires du domaine pharmaceutique d'avoir un système trop procédural, qui a retardé ces autorisations.
J'entends qu'il aurait été bon de l'alléger et de nous aligner sur ce qui a été fait aux Etats-Unis, qui n'ont pas fait pratiquer d'essais cliniques. En fait, j'entends tout et son contraire. Quant à moi, la sécurité était essentielle, je continuerai à m'entourer de toutes les garanties nécessaires. Je reviendrai autant que de besoin sur tous les éléments avec vos questions.
A présent, c'est bien l'avenir que nous devons préparer ensemble. C'est pourquoi je voudrais, avant de conclure, m'attarder un instant sur la question de la coordination européenne. Le dimensionnement de nos acquisitions en juillet 2009 tient beaucoup à la rigidité des contrats d'acquisition qui nous ont été proposés. Nous n'avons pas eu la possibilité de négocier une partie de nos acquisitions en tranches optionnelles, car les industriels avaient besoin de lisibilité pour leur production. Diminuer nos tranches fermes, c'était nous exposer à des livraisons tardives, ce que nous ne voulions pas. L'intérêt était de vacciner la population le plus tôt possible, dans cette grande période d'incertitude. On comprend d'une certaine façon des industriels qu'ils demandent, pour lancer des séries de production, de savoir très clairement nos intentions.
Demain, face à une menace similaire, je suis persuadée que les enjeux seront les mêmes : d'un côté des gouvernements qui veulent disposer du maximum de flexibilité, de l'autre des industriels qui veulent avoir des certitudes pour lancer un processus de fabrication. Pour mieux argumenter face aux industriels, il me semble que la France n'a pas la taille critique nécessaire. L'offre était réduite. M. Didier Houssin vous a cité le chiffre de vingt-sept industriels producteurs.
M. François Autain, président - M. Didier Houssin nous a dit trente-cinq.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Trente-cinq sont capables et vingt-sept ont fait réellement. Ce n'est pas parce qu'on est capable de faire des vaccins qu'on en fabrique réellement.
M. François Autain, président - M. le directeur n'avait pas introduit cette précision qui est absolument indispensable. Je trouvais que trente-cinq, cela faisait beaucoup. Vingt-sept, c'est beaucoup, mais c'est moins.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce sont effectivement trente-cinq industriels producteurs capables de faire les vaccins et vingt-sept qui en ont fait. Seulement quatre sont capables de fabriquer les vaccins selon les normes européennes et sont susceptibles d'avoir une autorisation de mise sur le marché européen. Vous comprenez la gradation. Nous avons des procédures d'autorisation.
M. François Autain, président - En fait, ils sont quatre, pas trente-cinq.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Quatre sont capables de satisfaire aux normes extrêmement sophistiquées d'une autorisation de mise sur le marché européen. Hélas, tous les pays n'ont pas la rigueur de nos législations. C'est une offre extrêmement réduite.
M. François Autain, président - Il n'y a donc pas de concurrence.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il serait nécessaire de mieux structurer la demande européenne, face à cette offre réduite, pour être plus fort. Je souhaite y revenir plus au fond.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne - rappelez-vous, nous sommes au deuxième semestre 2008 - j'avais fait du thème de la sécurité sanitaire le thème de la réunion du conseil qui s'était tenu à Angers en septembre 2008.
Cette réunion a porté ses fruits, puisque nous nous sommes bien coordonnés en matière de surveillance et d'évaluation des mesures de gestion à prendre. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), l'Agence européenne du médicament (EMA), le Comité de sécurité sanitaire (HSC), toutes ces instances ont bien fonctionné.
A mon sens, nous n'avons cependant pas eu le temps d'aller assez loin en matière de coordination sur les acquisitions de stocks stratégiques.
Même si les compétences déléguées à l'Union européenne en matière de santé sont très restreintes - c'est tout à fait vrai, nous y tenons, et je pense que personne ici ne voudrait d'une harmonisation qui, étant donné le très haut niveau de protection sociale et de qualité des soins dans notre pays, ne pourrait être qu'un nivellement par le bas - il me semble que la coordination de nos acquisitions est un champ que nous pouvons explorer plus avant dans le respect des traités.
Lorsque j'ai réuni à Angers mes collègues ministres de la santé, j'ai proposé un exercice de simulation de crise sanitaire, qui reposait sur deux scénarios : une crise de type SRAS venu d'Asie et une crise de type fièvre jaune venue d'Amérique du Sud.
Ces scénarios étaient accompagnés de questions. Les ministres y répondaient anonymement à l'aide d'un boîtier électronique. L'objectif était simple : voir comment les ministres, donc les Etats, se positionnaient face à une alerte sanitaire majeure et dans quelle mesure ces choix souverains étaient compatibles les uns avec les autres. Ainsi, la question de savoir si les ministres envisageaient un stock communautaire de vaccins remporta, en septembre 2008, une écrasante majorité de « contre ».
Seule la France et cinq autres pays se sont prononcés pour le stock commun. Pourquoi ? Sans doute parce que pour les pays les plus riches, l'acquisition de ce que l'on nomme les contre-mesures médicales pouvait se faire en toute indépendance. Sans doute, parce que, pour les pays les moins favorisés, les moyens budgétaires ne sont pas suffisants pour investir dans ce secteur.
M. François Autain, président - Ils peuvent emprunter.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est ainsi qu'à Angers, nous avons progressé sur tous les aspects de la gestion d'une menace sanitaire grave, sauf sur ce volet des contre-mesures médicales. Lorsque la mesure s'est concrétisée, à peine huit mois plus tard, nous ne pouvions plus inverser cette logique. Ainsi, quand à Luxembourg, en octobre 2009, en réunion interministérielle, la Commission européenne est revenue à la charge avec l'idée de gérer au niveau communautaire une partie des stocks de vaccins achetés par les Etats membres, tous lui ont répondu très logiquement qu'il était trop tard. Nous sommes allés en ordre dispersé négocier avec l'industrie pharmaceutique et nous en avons payé le prix. Nous pouvons progresser sur cette question.
Vous l'avez compris, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je souhaitais, pour ma dernière intervention devant vous, conclure sur ce volet européen de la gestion de la pandémie de grippe A (H1N1). La présidence belge de l'Union européenne qui démarre demain, entend mener dans quelques jours un retour d'expérience au niveau communautaire, ce qui est à mes yeux une absolue nécessité. Je ne doute pas que vous pourrez contribuer par vos réflexions à ce nouvel aspect du dossier.
M. François Autain, président - Merci madame la ministre, je passe immédiatement la parole à monsieur le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Mes questions ont trait prioritairement à la recherche. Un groupe de questions concerne la vaccination, les mesures d'hygiène, le renforcement des infrastructures, la lutte contre les pandémies grippales et la coordination européenne. Mes dernières questions porteront sur l'OMS.
En ce qui concerne la recherche, il s'agit plus de questions sur l'avenir. Nous avons entendu le professeur Jean-François Delfraissy qui nous a exposé le programme de recherche sur la grippe H1N1 qu'il a coordonné. Nous avons été un peu surpris d'apprendre qu'à la différence de certains Etats européens, il n'avait pas été prévu de moyens de financement pour ces recherches. Pouvez-vous nous assurer que les projets prévus pourront être financés ?
Un récent communiqué de presse de l'INSERM évoquait l'un de ces projets qui vise à évaluer au plan immunologique et génétique les cas de grippe sévères survenus sans facteur de risque. Ce projet serait en cours de validation par les autorités réglementaires. Pouvez-vous là aussi nous assurer qu'il sera mené à bien car il nous paraît très important pour l'avenir d'élucider les causes des formes graves ou mortelles de la grippe H1N1 ?
D'une manière plus générale, la grippe H1N1 ne met-elle pas en évidence l'importance de développer les recherches en immunologie ? Ce sont sans doute, comme l'ont montré les travaux dont a fait état devant nous le professeur Philippe Kourilsky, des phénomènes d'immunité cellulaire qui expliquent le caractère généralement bénin de la grippe A et le nombre de cas asymptomatiques. Ne serait-il donc pas souhaitable de développer les recherches sur l'immunité croisée au niveau cellulaire ?
Pouvons-nous également continuer de nous satisfaire d'une mesure incertaine de l'efficacité des vaccins ? Ne faudrait-il pas, par conséquent, mener des recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale ?
Je suis un petit peu loin de votre discours introductif, mais je voudrais arriver aux conclusions de mon rapport et aux propositions que je pourrais faire.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je vais aller dans votre sens et dire l'absolue nécessité de développer la recherche sur ces sujets globaux. Les crédits consacrés à la recherche, en particulier à la recherche biomédicale, sont une priorité. Des crédits, dans le cadre de ces dépenses à venir, sont consacrés à des cohortes. Une cohorte spécialement dédiée à la grippe est à l'étude pour être retenue. Nous avons un certain nombre de programmes dans le cadre du PHRC (programme hospitalier de recherche clinique). Je vais passer la parole, si vous m'y autorisez, à M. Didier Houssin. C'est lui qui pilote tout cela avec le comité recherche. Il va vous en dire beaucoup plus.
M. Didier Houssin - Il faut souligner l'importance de la recherche en immunologie, comme cela a été indiqué. Je rejoins tout à fait l'opinion exprimée par M. Philippe Kourilsky, dans son audition. Il a une vision tout à fait claire des nécessités en matière de recherche dans ce domaine. On peut joindre à cela toutes les problématiques relatives à la démonstration de l'efficacité vaccinale sur le plan immunologique.
C'est un des points qui méritera d'être développé : comment, dans une situation d'urgence pouvoir mobiliser des moyens suffisants ? L'idée qui a été évoquée, lors de la discussion précédente, était qu'au même titre qu'on a préparé ces dossiers « mock-up » pour les autorisations de produits de santé, on pourrait imaginer faire des dossiers « mock-up » d'autorisation de recherche, qui auraient des contingents de recherche fondamentale, recherche clinique, recherche sciences sociales et humaines, et qui seraient soumis à l'évaluation de l'Agence nationale de la recherche. Ces projets seraient en quelque sorte présélectionnés, comme des coquilles qu'on pourrait remplir le jour venu, ce qui permettrait de sanctuariser des financements autour de ce type d'approche.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je retiens qu'il n'y a pas tant de problèmes de financement de la recherche, car on est vraiment décidé à « mettre le paquet » de façon tout à fait considérable. Dans les cohortes, on me signalait même que ce n'est pas une cohorte qui est consacrée à la grippe mais bien deux. Tout cela mobilisera aussi des chercheurs qui souhaitent s'y consacrer. Si vous souhaitez avoir la liste des programmes, nous vous les ferons porter.
M. Alain Milon, rapporteur - Je le souhaiterais en effet.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Un rapport a été fait. Vous pouvez le mettre en annexe de votre rapport.
M. Alain Milon, rapporteur - Concernant la dernière question posée relative aux mesures de l'efficacité sur la vaccination antigrippale, je parlais de la grippe saisonnière, de manière à savoir si cette vaccination est efficace. Je suppose que oui, mais j'aimerais en avoir des certitudes scientifiques.
J'en viens aux vaccinations. Le directeur général de la CNAM nous a annoncé, la semaine dernière, que le nombre de vaccinations antipneumococciques, dont nous avons déjà parlé dans votre première audition, a pratiquement quintuplé en 2009, ce qui est, en soi, une très bonne nouvelle et ce qui montre aussi que les médecins généralistes savent promouvoir les actions de prévention. Comptez-vous continuer à encourager le développement de la couverture vaccinale antipneumococcique ? Comment, selon vous, restaurer, s'il faut le faire, la confiance en la vaccination, à laquelle l'épisode de la grippe H1N1 aura sans doute porté une nouvelle atteinte ?
M. François Autain, président - Il faut se louer que cette progression de la vaccination soit observée. En général, on assiste à un recul continu de la vaccination dans notre pays. C'est assez préoccupant. L'épisode que nous venons de vivre va peut-être redonner une certaine actualité à la vaccination. On peut aussi estimer que cela la fasse plutôt reculer.
Je fais partie de ceux qui pensent que cet épisode grippal ne va pas apporter du grain à moudre à ceux qui sont favorables à la vaccination. Je dirais plutôt que ce sont les ligues antivaccinales qui vont malheureusement en profiter.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Merci de me poser cette question sur le vaccin antipneumococcique. C'est une politique délibérée du ministère de la santé, que nous avons menée, de mobilisation sur le vaccin antipneumococcique, alors que j'entends parfois que nous aurions tout misé sur la vaccination anti-H1N1.
Nous avons déployé des politiques globales, politique de prévention avec les gestes barrières, politique d'isolement de certains malades. Nous avons, de façon continue, adapté, selon les indications de la littérature scientifique, les préconisations en matière d'antiviraux. Nous avons rappelé aux médecins la recommandation que nous faisons sur le vaccin antipneumococcique. Je dois dire que ces recommandations ont porté leurs fruits, puisque le nombre a été multiplié par cinq en juillet. Est-ce bien cela ?
M. Didier Houssin - Oui, au point que nous avons été victimes de ce succès, puisque nous nous sommes retrouvés, à un moment donné, en quasi-rupture de stocks. Il est fort possible que cette vaccination a évité un nombre considérable de complications grippales.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On se félicite de la bénignité ou de la moindre sévérité de la grippe A, mais c'est aussi parce que le déploiement des mesures que nous avons prises était extrêmement important, comme par exemple aussi l'achat d'un certain nombre d'appareils de réanimation sophistiqués ou d'oxygénation extracorporelle. Ceci a permis de sauver des gens, avec une gestion qui a pu mettre ces appareils où on en avait vraiment besoin. Nous n'avons pas pratiqué une stratégie du tout vaccin H1N1, comme je l'ai entendu dire stupidement ici ou là.
M. François Autain, président - Cela l'a masqué de façon regrettable.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je suis heureuse de le dire ici. Je note que c'est toujours l'affaire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Dans cette campagne, j'observe toutefois que l'adhésion des professionnels de santé à la vaccination, et à la vaccination antigrippale a considérablement augmenté. Si on considère le taux constaté pour la grippe saisonnière, c'est beaucoup plus important. Nous avons vu, dans un contexte véritablement défavorable, le taux d'adhésion des professionnels à la vaccination augmenter.
Je regrette évidemment les déclarations obscurantistes de certains responsables professionnels.
M. François Autain, président - Infirmiers ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - J'étais sûre que cette déclaration pour le moins étrange ne vous avait pas échappé. Un peu de sérieux scientifique, que diable !
Il faut reconnaître que nous avons une marge de progression dans ce secteur. Le personnel soignant est à l'origine de 50 % des cas de grippes nosocomiales. Le personnel se contamine sur son lieu de travail. L'absentéisme à cause de la grippe est évidemment source de désorganisation dans les établissements hospitaliers et de dégradation de la qualité des soins. J'ai donc demandé que la vaccination contre la grippe saisonnière soit un des indicateurs ICALIN (indice composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales) que nous utilisons pour évaluer les performances des établissements de santé en matière de lutte contre les infections nosocomiales.
Je me fixe, comme vous, une perspective qui est double et que j'identifie comme une obligation pour le ministère dont j'ai la charge : celle de faire grandir notre culture de santé publique et celle de regagner la confiance de nos concitoyens. Des millions de personnes ont été vaccinées. Les discours catastrophistes qui ont été lancés sur de multiples plateaux de télévision par des responsables politiques de tous niveaux se sont révélés infondés. On ne peut pas dire que nous n'avons pas fait une pharmacovigilance de qualité. Certains ont même reproché le côté pointilleux de notre pharmacovigilance.
M. François Autain, président - De manière générale, madame la ministre, je pense qu'on peut dire que si on peut douter de l'efficacité de la vaccination antigrippale, on peut tous être d'accord au moins sur un point : elle est dépourvue de toute nocivité.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Vous faites bien de le rappeler ici.
M. Alain Milon, rapporteur - Je voudrais revenir sur la vaccination des personnels hospitaliers. C'est une loi qui l'avait prévue, mais le Haut Conseil de la santé publique avait donné un avis contraire, du temps de votre prédécesseur, sur la vaccination obligatoire des personnels hospitaliers. Cela signifie-t-il qu'on revient à l'application de la loi ? Ou n'écoute-t-on plus le Haut Conseil de la santé publique ?
M. François Autain, président - C'est même un amendement du Sénat, qui avait été déposé avant qu'on ne recueille l'avis du Comité technique des vaccinations.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - La notion de vaccination obligatoire se heurte à la notion d'éthique, de démarche personnelle et de responsabilité.
J'ai tendance à respecter la liberté dans ce domaine et à souhaiter qu'une démarche volontariste et une démarche de conviction permettent de surmonter cela et de gagner des marges tout à fait indispensables. Je note que pour ce qui concerne la grippe H1N1, nous avons enregistré ces marges de progression et de conviction.
M. François Autain, président - J'ai fait état devant M. Michel Setbon des modalités de calcul pour établir le taux d'attrition. Je n'y reviens pas. Vous en avez dit quelques mots lors de votre intervention liminaire.
Vous avez fait un mixte, je crois, entre la vaccination contre la méningite et la vaccination obligatoire. M. Setbon contestait cette méthode et il proposait le recours au taux de vaccination contre la grippe saisonnière qui est de 27 %. Si on avait considéré que pour cette grippe H1N1, le taux global de vaccination n'était pas supérieur à 27 %, on se serait peut-être rapproché un peu plus de la réalité.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je dis avec beaucoup de respect à M. Michel Setbon qu'il a simplement oublié une chose : on ne propose pas la vaccination contre la grippe saisonnière à la totalité de la population. Il considère la population totale. Or, le taux de vaccination dans la population à qui on propose la vaccination contre la grippe saisonnière est de 65 %. C'est cela qu'il convient de voir. A cause de facteurs d'incertitude majeurs et d'une démarche éthique, basée sur les recommandations du Conseil national d'éthique, on proposait la vaccination contre la grippe A (H1N1)v, certes, selon un ordre de priorité, mais à l'ensemble de la population.
Nous étions sur la notion de population-cible. M. Michel Setbon se réfère au taux de 27 %, alors qu'il y a toute une partie de la population à qui on ne propose pas la vaccination contre la grippe saisonnière. Avouez qu'il y a au moins un biais dans cette appréciation. Il n'est pas un spécialiste d'épidémiologie. Cela m'étonnerait beaucoup.
M. François Autain, président - Il est sociologue.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il n'est pas épidémiologiste.
M. François Autain, président - Effectivement. C'est la raison pour laquelle il fait de telles propositions.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce sont des confusions regrettables.
M. Alain Milon, rapporteur - J'ai une question peut-être un peu plus embarrassante sur le graphique que nous avons vu tout à l'heure.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Aucune question ne m'embarrasse.
M. Alain Milon, rapporteur - Sur ce graphique, nous voyons 67 % d'intentions. Disposiez-vous des données relatives à ce sondage en temps réel ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui.
M. Alain Milon, rapporteur - Dès juillet, on avait des intentions à 67 %. Si j'ai bien vu, la commande prévoyait 94 millions de doses, c'est-à-dire qu'on prévoyait de couvrir 75 % de la population. On allait au-delà des intentions.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous tenions compte aussi d'un sentiment d'irréalité, puisque la menace n'était pas constatée par la population. Nous avons fait rentrer plusieurs chiffres dans cette évaluation, c'est-à-dire l'évaluation de l'opinion publique qui n'est pas encore mobilisée contre un risque éventuel, et le chiffre de 65 % de la population qui sont appelés à se faire vacciner contre une grippe qu'ils ne considèrent pas non plus comme dangereuse.
Les gens ne sont pas effrayés par la grippe saisonnière, heureusement, et ils sont vaccinés à 65 %. Ils n'ont pas envie d'attraper la grippe. Le taux de vaccination pour la méningite à méningoccoques, dont la gravité est beaucoup plus perceptible pour les gens, est de 85 %. On a tenu compte de ces chiffres. On peut toujours pinailler sur ces chiffres : aurait-il fallu prendre 72, 71 ou 76 ? On est dans la cible.
M. Alain Milon, rapporteur - J'arrive aux mesures d'hygiène. Au cours de la campagne contre la grippe A (H1N1)v, les mesures d'hygiène ont montré leur efficacité et ont été très largement suivies par la population. Nous l'avons déjà dit quand nous nous sommes rencontrés. Comptez-vous renouveler, l'automne prochain, des campagnes de sensibilisation dans ce domaine ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Absolument. Nous avons eu un double effet bénéfique. Nous avons très certainement stoppé la propagation du virus H1N1, mais aussi nous avons très notablement diminué les gastroentérites et les bronchiolites, alors que nous étions en plein pic pandémique au mois de décembre. Ceci a été observé dans l'ensemble du système médical français, aussi bien en médecine de ville qu'en médecine hospitalière.
Nous avions pratiquement un million de consultations supplémentaires liées à la grippe A (H1N1)v, pas tout à fait 900 000. Nous savions très bien que la bascule se fait vers le système hospitalier et entraîne des désordres à partir de 700 000 consultations supplémentaires. Quand il y a tout d'un coup 700 000 consultations supplémentaires dans le système, il y a un effet de bascule vers le système hospitalier. Nous ne l'avons pas observé, ce qui est tout à fait extraordinaire, et c'est la première fois depuis des années.
Bien sûr, il y a eu des tensions sur le système hospitalier, il y en a toujours en hiver, mais nous faisions un million de consultations supplémentaires, le système devrait basculer et il ne bascule pas. Nous avions pris aussi un certain nombre de dispositions. Nous avions mobilisé des personnels, etc., mais nous n'avons pas observé de désordres. C'est dû aussi au fait qu'il y a eu moins de bronchiolites et moins de gastroentérites. Il faut recommencer, car la mobilisation s'épuise. Nous avons des chiffres : 40 % des Français ont modifié leur comportement. C'est énorme pour une campagne de communication.
M. Alain Milon, rapporteur - On nous a dit aussi que certains Etats, comme les Etats-Unis, veillent à consacrer une partie de leurs dépenses de réponse aux crises sanitaires en infrastructures pérennes. D'autres, comme l'Italie ont également créé des établissements spécialisés dans les maladies infectieuses. En France, le renforcement des moyens de réanimation a certainement été un élément très positif de la réponse à la pandémie grippale. Ne serait-il pas indiqué, dans la perspective probable de nouvelles maladies infectieuses émergentes, de développer des moyens d'accueil adaptés dans les établissements de santé ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Votre question comporte plusieurs éléments. Il y a évidemment la question hospitalière, la question de la prise en charge des cas graves. Des choses ont été faites. Nous avons eu une bonne réactivité. Nous avons apporté les moyens nécessaires au secteur hospitalier. Nous avons rencontré des urgentistes, des neurologues, des pédiatres avec lesquels nous avons travaillé sur tous ces sujets. Nous avons fait jouer toutes les techniques que nous avons, par exemple de déprogrammation, pour pouvoir adapter notre système hospitalier aux besoins.
La structuration de la médecine de ville est un sujet qui est posé, et je sais, monsieur le rapporteur que vous vous y êtes attaché. C'est un sujet qui est devant nous. L'adaptation de la médecine de ville, de la médecine de proximité à une grande crise sanitaire n'est pas faite. Le premier élément est la création des agences régionales de santé. La première réponse est cela. Dans cette crise, je me suis souvent dit que ces agences régionales auraient pu mutualiser les moyens entre l'hôpital, la médecine de ville, le médico-social et l'assurance maladie.
Nous avons toujours eu des problèmes pour trouver les interfaces au niveau d'une administration sanitaire. Nous avons une administration sanitaire et médico-sociale trop morcelée pour affronter une crise, mais c'est aussi le cas pour l'organisation de la médecine de ville.
Bien entendu, un médecin est capable de vacciner. La question n'a jamais été là. C'est même un luxe que de faire vacciner un patient par un médecin généraliste. C'est appeler un polytechnicien pour changer le joint de son lavabo. Il n'y a pas de mépris vis-à-vis des médecins. Des étudiants en soins infirmiers, dès la première année, ont vacciné, car c'est un acte extrêmement simple. Avoir laissé croire que je pensais qu'un médecin n'était pas capable de vacciner est un procès absurde qui m'a été fait par certains, mais qui sont d'une mauvaise foi tout à fait évidente.
L'organisation de la médecine de ville en crise est un modèle qui reste à construire. C'est la raison pour laquelle, en rencontrant les médecins, je leur ai demandé de réfléchir à cela. Nous allons, à partir du mois de septembre, faire tout un travail de retour d'expérience. J'ai demandé de réfléchir à cette organisation sanitaire en temps de crise, qui doit reposer sur une structuration dormante, capable de se réveiller, de devenir opérationnelle au moment d'une crise sanitaire. Je ne veux pas préempter les résultats de ces travaux. On voit bien que ce n'est pas la volonté d'une personne isolée qui peut permettre de résoudre les problèmes logistiques insensés - on a parlé d'enfer logistique - qui se poseraient si la vaccination devait reposer en totalité ou partiellement sur la médecine de ville.
J'utilise une expression que j'ai déjà employée devant d'autres instances. Il ne s'agit pas de transformer notre système en une succession de forts Bastiani où des médecins transformés en lieutenant Drogo attendraient une quelconque invasion. Je ne refais pas Le Désert des Tartares de Dino Buzatti.
M. François Autain, président - En matière de grippe H1N1, on a attendu quelque chose qui n'est jamais venu. Le virus n'était pas le bon. Ce n'était pas celui qu'on attendait.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Rappelez-vous la fin du livre de Dino Buzatti : les envahisseurs arrivent et c'est Drogo qui part parce qu'il est trop malade et qu'il est en train de mourir. C'est le beau message du Désert des Tartares.
M. Alain Milon, rapporteur - J'aime bien ce livre, mais nous n'allons pas en discuter ici.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Dino Buzatti est un auteur que tout le monde voudrait avoir lu mais que personne ne désire lire. Je parle souvent du Désert des Tartares et j'engage ceux qui ne l'ont pas lu à le faire. Vous réfléchirez à la grippe H1N1.
M. Alain Milon, rapporteur - Je passe aux questions que j'ai préparées sur la lutte contre la pandémie grippale. Depuis le début de la préparation à une éventuelle pandémie de grippe H5N1, l'OMS a largement recommandé le soutien des Etats membres au développement de la production de vaccins antipandémiques par divers moyens - développement des capacités de production, de la culture sur cellules, incitations financières ou fiscales.
Elle n'a cependant pas mis l'accent, comme l'avait regretté l'an dernier le représentant du Royaume-Uni au Conseil exécutif de l'OMS sur une stratégie vaccinale à long terme orientée vers la recherche et le développement de vaccins dits « à large spectre » ou universels. Des recherches dans ce domaine sont pourtant en cours aux Etats-Unis. La France ne devrait-elle pas soutenir une telle orientation ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui !
M. Alain Milon, rapporteur - Une des personnalités entendues par la commission a fait observer que la grippe a peu de chance de nos jours d'être une maladie très dangereuse dans les pays développés qui sont pourtant les plus à même de stocker des antiviraux et d'acheter des vaccins. Les dons prévus au bénéfice des pays les plus pauvres, dont la population est vulnérable, ne semblent pas de nature à réduire ce déséquilibre. Comment pourrait-on, selon vous, rendre plus équitable l'accès aux moyens de lutte contre une pandémie grippale ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - La question que vous posez me permet de rappeler d'abord que la France, comme les Etats-Unis, est un pays qui a accepté de donner une part importante, par le biais de l'OMS, de ses acquisitions de vaccins, et dès le début de la pandémie. Elle a accepté d'en donner 10 %.
M. François Autain, président - Le don que vous avez effectué représente à peu près 75 millions d'euros. Viendra-t-il en déduction du coût global de la vaccination ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui, mais on le met quand même dans les tableaux. Cela fait partie de l'aide au développement, de même que la France est le deuxième contributeur mondial sur le Sida ou le premier contributeur européen. Je crois qu'il est de la dignité et de l'honneur de la France de développer des politiques de coopération. Alain Milon a bien fait de dire que c'est dans ces pays que l'effet de la grippe est certainement beaucoup plus important et déstabilisant.
M. François Autain, président - Pour peu qu'il y en ait.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Bien sûr.
M. François Autain, président - En Afrique, ils attendent toujours. Il y a d'autres virus.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On ne peut que le regretter, mais je pense qu'il serait hasardeux, étant donné les déficiences du réseau de veille sanitaire, de tirer la moindre conclusion sur l'existence ou non de la pandémie grippale en Afrique.
La France continuera bien sûr à apporter son aide. La France s'honore à se déployer dans deux axes : renforcer les capacités des systèmes de santé de ces pays ; apporter son expertise à développer des systèmes d'assurance maladie universelle. Avant de donner des produits, il faut permettre aux gens de s'en servir et d'y avoir accès. Les mesures d'urgence doivent s'accompagner d'actions en profondeur. C'est ce que nous faisons.
M. Alain Milon, rapporteur - J'en viens à quelques questions sur l'OMS. Quel jugement portez-vous sur la gestion par l'OMS de la pandémie grippale ? Estimez-vous justifié le maintien récemment décidé, au moins jusqu'à la mi-juillet, d'une alerte de niveau 6 ? Qu'attendez-vous des travaux du Comité d'examen du Règlement sanitaire international (RSI) présidé par M. Harvey Fineberg ? Quels renforcements vous paraissent appeler les procédures de contrôle des conflits d'intérêts à l'OMS ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je voudrais vous passer un nouveau tableau, si vous me le permettez. Beaucoup des incompréhensions et des procès qui ont été faits à l'OMS sont partis d'un prétendu changement de la définition de la pandémie entre 2005 et 2009. Ce tableau va permettre de lever un certain nombre de difficultés.
Des fiches de couleur vont vous permettre de mieux voir. Les premières lignes directrices de l'OMS, en matière de pandémie, sont parues en 1999 et ont été régulièrement actualisées. Cette actualisation prend en compte celle des connaissances. Une première a eu lieu en 2005, puis une deuxième en 2009. Un nouveau travail d'actualisation est en cours et devra aboutir en 2014.
C'est une coïncidence s'il y a eu un travail d'actualisation qui est paru au moment du surgissement de la pandémie H1N1. Ce n'est pas la pandémie qui a entraîné une actualisation de la définition de l'OMS. Ce travail était en préparation en continu. A partir du moment où la version est sortie en 2005, il y avait un travail de préparation qui continuait et qui est sorti en 2009. Je crois que cette actualisation est à mettre au crédit de l'OMS. Nous l'avons fait de la même façon pour le plan pandémique grippal dans notre pays.
Il faut vraiment séparer deux notions : la définition de la pandémie et la définition des phases de pandémie. Il y a, là aussi, beaucoup de confusions. L'OMS n'a pas cherché à définir la pandémie, ni dans le document de 2005, ni dans le document de 2009. La définition de la pandémie n'a pas varié au cours du temps.
Les trois critères sont la globalité de l'épidémie, un caractère planétaire, l'émergence d'un virus nouveau, et la naïveté immunitaire d'une majeure partie de la population, même si nous avons vu que les personnes de plus de 65 ans avaient rencontré sans doute le virus ou étaient susceptibles de l'avoir rencontré. Pour ce qui concerne le H1N1, les critères de définition de la pandémie qui sont déjà anciens n'ont pas varié.
La gravité n'est pas un critère de la pandémie. Je pense que c'est à chacun d'évaluer la gravité de la pandémie. Cette gravité peut rencontrer différentes appréciations selon chaque pays. Les critères qui sont actuellement retenus nous permettent de considérer cela. La notion de gravité est une notion qu'il conviendrait là aussi de définir selon des critères scientifiques qui restent à préciser.
M. Alain Milon, rapporteur - On voit clairement que la gravité à Paris et à Mexico n'est pas la même.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce n'est pas du tout la même chose, et on peut penser qu'un virus qui va se propager dans un pays où il n'y a pratiquement pas d'organisation sanitaire, avec une majorité de population très jeune, va rencontrer, comme c'est souvent le cas dans des pays en voie de développement, donc très pauvres, une mortalité considérable. La gravité sera considérée comme sévère dans ce pays et elle ne le sera pas dans le nôtre qui a une population plus âgée, non naïve immunitairement, mieux préparée. La notion de gravité est une notion difficile, monsieur le docteur Autain, à apprécier.
M. François Autain, président - On peut avoir des pandémies de rhumes de cerveau.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On parle de pandémie d'obésité.
M. François Autain, président - Ce sont des pandémies qui durent. Ce sont des endémies.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui, des pandémies peuvent se transformer en endémies.
M. François Autain, président - Il y a même des pandémies perpétuelles. On est bien parti pour un renouvellement semestriel de pandémies.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Non. Dans les trois critères, nous avons l'émergence d'un nouveau virus.
M. François Autain, président - Ce virus n'était pas aussi nouveau qu'on a bien voulu le dire.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je ne vais pas rentrer dans un débat d'experts en épidémiologie.
M. François Autain, président - Les experts sont très divisés sur ce point.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les critères me paraissent pertinents.
En revanche, la définition des phases pandémiques est intéressante pour nous, car elle détermine l'utilisation ou non des outils de la fameuse boîte à outils dont je parlais tout à l'heure.
Contrairement à ce qui a été annoncé - c'est la raison pour laquelle j'ai apporté le tableau car j'ai entendu dire beaucoup d'âneries sur le sujet -, cette nouvelle classification proposée en 2009 n'est pas plus extensive. Elle est au contraire plus restrictive et plus précise. Je vais prendre l'exemple de la phase 6, puisque c'est elle qui pose problème.
En 2005, la phase 6 était définie par une « transmission accrue et durable dans la population générale » . Elle ne comprenait aucun caractère objectif. Elle pouvait donner lieu à des interprétations variées. Elle aurait très probablement entraîné un déclenchement beaucoup plus précoce de la phase 6.
En 2009, la phase 6 est définie par la diffusion du virus de façon soutenue dans au moins deux régions OMS. Il s'agit d'un critère objectif qui a été appliqué.
M. François Autain, président - Cela n'a pas traîné, même pas deux mois.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il a été dit que l'OMS avait révisé ses définitions à cause de la pandémie - c'est faux -, qu'elle les avait révisées d'une manière édulcorée - c'est faux aussi. C'est tout. Je ne peux que constater que ce procès est infondé.
M. Alain Milon, rapporteur - Quand on regarde le site Internet de l'OMS, on s'aperçoit qu'entre le 1 er mai et le 15 mai 2009, la définition de la pandémie a changé. Je suis d'accord avec vous, mais sur le site cela a changé.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Cela n'a pas empêché l'OMS, même si cela ne rentrait pas dans ses critères de définition, de qualifier l'épidémie de modérée.
M. Alain Milon, rapporteur - Tout à fait, dès le 15 mai, mais la définition a changé entre le début mai et le 15 mai 2009. C'est ce qui pose problème.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les définitions qui nous étaient données étaient parfaitement claires. Concernant l'expertise au niveau de l'OMS, à travers toutes les commissions d'enquête qui ont été faites, le concept de complot mondial a volé en éclats. Nous sommes revenus à des choses plus raisonnables.
Il y a deux comités d'experts, le groupe consultatif stratégique d'experts de la vaccination, dans lequel il n'y a pas d'ailleurs d'experts français, depuis 2005, et le Comité d'urgence de la grippe, dont on a à disposition les différentes convocations et les différents rapports. La directrice générale de l'OMS souhaite rendre plus transparentes les procédures, pour améliorer les choses. Je souscrirai à toute démarche allant en ce sens.
M. François Autain, président - Connaît-on les membres du Comité d'urgence ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous ne connaissons que M. John Mackenzie. Il vient de démissionner.
M. Didier Houssin - M. John Mackenzie était le président du Comité d'urgence. C'est le seul dont l'identité était connue. Il a été désigné pour faire partie du Comité d'évaluation du Règlement sanitaire international, ce qui a soulevé des interrogations légitimes. Il y a quarante-huit heures ou trois jours, l'OMS a enregistré la démission de M. John Mackenzie du Comité d'évaluation, ce qui paraît une sage initiative.
M. François Autain, président - Voilà un conflit d'intérêts réglé. Concernant la commande des 94 millions de doses de vaccins, je voulais savoir pourquoi la lettre d'intention que le ministère a envoyée le 14 mai 2009 n'a pas été signée par vous mais par votre directeur de cabinet. Je rappelle que celle-ci portait sur cette commande dont le coût sera facturé par GSK à raison de 1,5 euro hors taxes par dose de vaccin, soit la somme totale de 75 millions d'euros hors taxes, c'est-à-dire que vous engagiez les finances de l'Etat pour 75 millions d'euros.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Mon directeur de cabinet a une délégation de signature de sa ministre. En l'occurrence, la signature de mon directeur de cabinet vaut ma signature.
M. François Autain, président - Je l'entends bien. Vous considérez que c'est une lettre pour laquelle il n'est pas nécessaire que le ministre signe.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est une lettre d'intention, ce n'est pas une lettre de commande. Cette affaire a fait l'objet de discussions approfondies entre mon directeur de cabinet et moi-même, et au plus haut niveau de l'Etat. Il n'y a absolument aucun problème. Ce n'est pas une lettre qui a été signée dans mon dos par mon directeur de cabinet.
M. François Autain, président - Ce n'est pas le sens de ma question, ou alors je me suis mal exprimé. Vous ne pouvez pas signer toutes les lettres bien entendu, mais il y a des lettres qui sont plus ou moins importantes. J'aurais tendance à classer cette lettre parmi les lettres importantes. C'est la raison pour laquelle j'ai trouvé étonnant que vous ne l'ayez pas signée, c'est tout.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je donne délégation générale de signature.
M. François Autain, président - Sur ce plan, il n'y a aucun problème. Une seconde question concerne l'état des négociations avec GSK : où en êtes-vous ? Dans le décompte que vous faisiez des dépenses liées à la campagne de vaccination, j'ai eu l'heureuse surprise de constater que ce chiffre diminuait au fil des mois. C'est bien, ce qui fait qu'aujourd'hui le prix de l'injection n'est plus qu'à 100 euros. Ce qui est évidemment beaucoup plus acceptable. Je voulais savoir où vous en étiez. Vous intégrez à ces dépenses 48 millions d'euros, qui incluent la totalité du montant des résiliations pour l'ensemble.
Pour GSK, où en êtes-vous ? Quelle est la nature des demandes de GSK ? Ont-elles des chances d'aboutir ? J'ai lu le compte rendu de l'Assemblée nationale, il y a quinze jours, de l'audition de son directeur, où il était question de ces problèmes. Les négociations étaient bloquées. Je voulais savoir si, depuis quinze jours, la situation avait évolué.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - J'ai indiqué très clairement que je n'entendais pas faire de différence entre les montants des résiliations, qu'il n'y avait aucune raison que certains laboratoires bénéficient d'un traitement de faveur. Je dois dire que deux laboratoires ont accepté cela. J'ai notifié, dans le cadre de ces démarches, il y a deux mois, à GSK, les conditions de la résiliation qui ont été celles des deux autres laboratoires. J'attends.
M. François Autain, président - Combien de temps pouvez-vous attendre ? Quelle est la suite ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ou ils accepteront la notification ou ils n'accepteront pas.
M. François Autain, président - De quel délai disposent-ils pour former un recours ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Jusqu'en septembre.
M. François Autain, président - Si en septembre il n'y a pas de recours, c'est terminé. S'il y a un recours ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous verrons bien.
M. François Autain, président - Vous êtes optimiste. C'est l'essentiel.
M. Alain Milon, rapporteur - Quand nous sommes allés à Berlin, nous avons appris que les Allemands ont été un petit peu plus subtils que nous. Ils ne paient pas d'indemnité, mais ils versent une subvention à GSK.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ils ont été aussi moins exigeants que nous. Je ne veux pas m'avancer et je ne veux pas crier victoire, mais quand on fera les comptes, à la fin de cette affaire, vous verrez que la France se sera bien débrouillée et que nous aurons bien négocié.
M. François Autain, président - Ce n'est pas l'impression qui ressort des premières investigations que nous avons faites.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous comparerons.
M. François Autain, président - Nous sommes allés à Berlin, à Londres, à Genève, à Madrid. Cela ne nous est pas apparu comme tel. Je ne parle pas de la Pologne.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est un sujet sur lequel je me suis expliquée.
M. François Autain, président - Il n'est pas nécessaire qu'on revienne sur ce sujet. On s'est tout dit. A l'issue des déplacements que nous avons menés dans ces pays, il n'apparaît pas que la France soit le pays qui ait le mieux négocié avec les laboratoires.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Pour quel pourcentage de leurs commandes ?
M. François Autain, président - Voulez-vous, s'il vous plaît, préciser la question ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Le pourcentage de la commande résilié par les Allemands était beaucoup moins important.
M. François Autain, président - Je ne parle pas de cela. Je parle des modalités de passation des contrats. C'est autre chose.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je parle de la résiliation.
M. François Autain, président - Il est vrai que quand on en est là, cela veut dire qu'on a beaucoup péché en amont.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Cette qualification de « péché » n'engage que vous et je la réfute de la façon la plus claire.
M. François Autain, président - Je n'avais pas l'intention de parler au nom de quiconque. Je parlais en mon nom personnel.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je suis devant une commission d'enquête. Le simple fait de ne pas réagir vaut acceptation. Je m'honore d'avoir voulu proposer la vaccination à l'ensemble de la population. J'ai mené, dans cette affaire, une démarche éthique et technique. On peut postérieurement dire un certain nombre de choses. Cette façon de me comporter comme ministre de la santé, non seulement je ne m'en excuse pas, mais je la revendique.
M. François Autain, président - Je l'ai bien compris.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les choses vont sans dire, mais je préfère les redire.
M. François Autain, président - On peut très bien imaginer qu'on ait pu opérer différemment, d'autant plus qu'on observe que certains pays se sont comportés différemment.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Certainement, des pays se sont comportés différemment, d'autres pays ont décidé d'acheter un nombre de doses qui correspondait au double de leur population, comme le Royaume-Uni. D'autres pays ont fait des choix autres. Je m'honore que la France ait fait le choix qu'elle a fait. Nous avons chacun notre façon de se comporter. Je note toutefois que je n'ai pas rencontré beaucoup d'acteurs politiques qui ont contesté les choix de la France au mois de juillet.
J'ai quand même été interpellée par un député de la gauche. Un député Vert m'a sommée d'acheter 120 millions de lunettes de piscine et 120 millions de combinaisons de peinture, ainsi que 7 milliards de masques ! Je reconnais que je n'ai pas acheté les 120 millions de lunettes de piscine et les 120 millions de combinaisons de peinture, ni les 7 milliards de masques.
M. François Autain, président - Il y en a déjà 1,5 milliard !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Puisque vous avez parlé de péché, je le confesse.
M. François Autain, président - Vous voyez bien que vous avez péché !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - J'en ai à me faire pardonner. Demain, quand vous serez ministre de la santé et que vous aurez à faire repeindre votre garage, vous pourrez faire appel à nos services, mais bien entendu, comme tout homme de gauche résolu, vous allez en vélo.
M. François Autain, président - Revenons à notre sujet. On fait état de vos accords en ce qui concerne la commande des 94 millions de doses, étant entendu qu'il y avait à l'époque possibilité d'agir autrement, puisque des gouvernements se sont comportés autrement avec beaucoup de succès.
Je reconnais que vous n'avez jamais, dans vos déclarations pour ces commandes de vaccins, fait référence ni au principe de précaution ni au principe de prévention. Vous vous êtes sans cesse référée à l'éthique. Mais si l'éthique imposait de permettre que toute personne qui souhaite se faire vacciner puisse avoir accès à la vaccination, on peut s'interroger pour savoir s'il était nécessaire pour cela de commander autant de doses de vaccins. Vous nous avez montré des courbes d'intention tout à l'heure. Il est évident que la lecture de ces courbes aurait dû permettre au Gouvernement de se montrer plus modéré en matière de commandes. A l'époque, on avait des sondages en très grand nombre. Il n'y avait pas seulement celui de M. Michel Setbon.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - M. Michel Setbon n'a pas fait de sondages.
M. François Autain, président - Pour le HCSP.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je croyais que M. Setbon avait fait faire des sondages en tant que personne privée.
M. François Autain, président - Nous ne l'avons pas auditionné en tant que personne privée. Nous l'avons auditionné en tant que membre du CNRS.
Il aurait été, me semble-t-il, plus rationnel de se fonder sur les sondages plutôt que sur une hypothétique demande des Français, d'autant plus qu'il s'agissait d'une première en matière de vaccination. Cette vaccination universelle était quelque chose de tout à fait nouveau, qui n'avait jamais eu lieu.
On a commandé ces vaccins alors qu'on ne savait pas quelle allait être la stratégie de la vaccination. C'est cela qui n'est pas très satisfaisant, au moins pour l'esprit. Quand on s'aperçoit, avec le recul, des résultats, on se dit qu'il aurait peut-être mieux valu, avant de commander les vaccins, avoir une certaine idée de la stratégie. Or, ce n'est absolument pas le cas. On a fait les choses à l'envers.
On a commencé par commander les vaccins. Ensuite, on a élaboré une stratégie. On avait prévu que cette vaccination devait se faire en quatre mois. On devait vacciner 75 % de la population. Heureusement, le risque n'a pas été celui qu'on pensait. Si les gens se sont détournés de la vaccination, c'est parce qu'ils regardaient autour d'eux. Ils s'apercevaient qu'il n'y avait pas de grippe autour d'eux, qu'il n'y avait pas ce risque qu'on leur présentait, à la télévision notamment, en dramatisant. Cela ne correspondait pas à ce qu'ils observaient sur le terrain.
J'aurais compris qu'on se fonde sur des données scientifiques, qu'on recueille sur ce sujet l'avis d'experts, mais cela n'a pas été le cas.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je suis assez étonnée qu'un médecin, donc un scientifique comme vous, tienne ce discours. Nous avons su très tôt que nous aurions des vaccins à notre disposition. C'est cela la difficulté de la chose. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, on a des vaccins avant de rencontrer le flux pandémique. C'est une chance.
D'une certaine façon, les extraordinaires évolutions de la science, l'extraordinaire réactivité de l'industrie pharmaceutique nous ont permis cela. Evidemment il eût été beaucoup plus facile de dire qu'on allait laisser se développer le flux pandémique, sans avoir ce qu'il serait. J'ai entendu un médecin généraliste dire qu'il savait que ce n'était pas grave parce qu'en juillet il n'avait rencontré aucun cas de grippe dans son cabinet de consultations. Il faut un minimum de sérieux sur le plan scientifique.
Je ne fais pas confiance aux « radios trottoirs ». J'essaie de consulter un certain nombre d'experts qui, tous, m'ont dit leur grande incertitude sur les évolutions de la pandémie. Je réponds ici à la deuxième question que vous m'avez posée.
Je me trouve, moi ministre de la santé, avec la perspective d'une grippe qui, dans l'état actuel des connaissances, peut être une grippe qui aura des conséquences notables sur la santé de mes concitoyens, qui peut causer des morts, et j'ai la possibilité d'avoir un vaccin. Imaginez-vous, monsieur François Autain, que vous êtes ministre de la santé confronté au pic pandémique du 11 décembre, alors que la France est le seul pays d'Europe occidentale où l'épidémie continue de progresser...
M. François Autain, président - On n'avait pas besoin de 94 millions de vaccins pour cela.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est pour cela qu'il faut acheter 94 millions de vaccins et qu'il faut avoir une capacité de vaccination. Enfin, 47 millions de vaccins.
M. François Autain, président - On s'est compris. Mais il n'y avait pas besoin d'en avoir 94 millions. C'est cela le problème.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Vous me dites qu'il faut attendre, avec une capacité de production de l'industrie pharmaceutique qui est limitée. La capacité totale de production de vaccins des fabricants à haut niveau technologique est réduite ; ils sont quatre, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, soit une capacité de 900 millions de vaccins.
Le président Obama voulait, à ce moment-là, préempter 600 millions de doses pour vacciner l'ensemble de sa population. Il ne va pas pouvoir le faire à cause des faibles capacités de production de l'industrie pharmaceutique. C'est vous dire la tension qu'il y avait.
Bien entendu, les laboratoires ont besoin de savoir le niveau de commandes. Vous ne passez pas de commandes à une entreprise, qu'elle fabrique des voitures, des vélos ou des machines à laver en disant : « Je souhaite acheter une machine à laver, mais sous condition. Je vais vérifier si dans six mois j'ai assez de linge sale. » On arrive tout d'un coup à une absurdité en termes industriels, vous voudrez bien le considérer. Les modulations que vous préconisez n'existent pas.
M. François Autain, président - Nous en avons rencontré.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les laboratoires demandent un certain nombre de tranches fermes. Des pays ont eu la possibilité d'obtenir des tranches conditionnelles, mais en raison d'engagements qui avaient été pris auparavant, et que la France n'avait pas pris. Ce sont des cas sur lesquels nous nous sommes déjà expliqués.
Il est vrai que je n'ai pas mis en avant le principe de précaution. J'ai bien mis en avant une démarche éthique.
M. François Autain, président - Vous avez eu raison car ce n'est pas de la précaution.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je le dis et je le redis. La précaution est face à un danger non avéré, et ce danger était avéré.
M. Alain Milon, rapporteur - Il me semble qu'en 1976, le vaccin existait.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui, c'est possible.
M. Alain Milon, rapporteur - Dans le cadre de ce qui s'est passé aux Etats-Unis, lorsque Gérald Ford est intervenu, le vaccin existait. C'est la deuxième pandémie où on a un vaccin à disposition. La différence avec 1976, c'est que cette fois-ci, les actions des ministres peuvent être fragmentées. Il peut y avoir une phase d'achat, une phase de prise de décision de vaccination, puis une phase de lancement de campagne de vaccination, comme on l'a dit tout à l'heure.
J'aimerais revenir un instant sur le graphique qui a été montré tout à l'heure. On se rend compte qu'il y a une diminution importante des intentions de vaccination vers le début novembre, puis une augmentation fin novembre, probablement parce que le vaccin est arrivé entre-temps.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On voit bien que deux choses contribuent à la baisse, c'est en tout cas mon analyse. Elle s'explique d'abord par la campagne active de méfiance vis-à-vis de la vaccination qui est menée, mais elle tient aussi à la constatation partagée de plus en plus par la communauté scientifique que l'épidémie va être moins sévère que ce à quoi on pouvait s'attendre. Ce qui fait relever la courbe, c'est qu'on voit que la grippe arrive vraiment, qu'on voit des cas.
M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous les sondages de décembre ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous pourrons vous les trouver.
M. Didier Houssin - Aux Etats-Unis, en 1976, on a eu la possibilité de fabriquer un vaccin, un peu dans les conditions que nous avons rencontrées. La situation a été très différente en raison de l'absence totale de circulation du virus. Là, nous avons été confrontés à un phénomène pandémique qui a une réalité.
Concernant les sondages, qui ont été nombreux, on observe, en gros, un plateau sur la période juillet/août. Il y a une très nette cassure dans les quinze premiers jours de septembre, puis une diminution progressive. Le phénomène de rupture, au niveau des sondages, est vraiment sur les quinze premiers jours de septembre.
Mme Christiane Kammermann - Je commencerai tout simplement par féliciter notre ministre. Monsieur le président, j'ai bien observé, bien écouté tout ce qui s'est passé, comme tout le monde d'ailleurs, pendant cette période difficile. J'ai trouvé qu'elle s'est comportée d'une façon merveilleuse. Elle a été attaquée. Elle a eu de très grosses responsabilités qu'elle a su prendre avec courage.
Je vous félicite, madame la ministre. Je sais que si la situation l'exige, vous serez à la hauteur de la même façon.
Vous disiez que la France doit être à la hauteur, si jamais quelque chose se représentait et qu'il faut développer la recherche en immunologie. Avez-vous un plan à ce sujet ? Ce n'est pas facile, mais je pense que c'est important pour l'avenir.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il y a deux choses. Ai-je un plan sur la recherche ? Ai-je un plan sur la pandémie grippale elle-même ? Les deux peut-être ?
M. Didier Houssin - Sur le plan concernant la recherche en immunologie, l'idée pourrait être que dès qu'émerge un phénomène d'allure épidémique, on soit aussi attentif à la connaissance de l'agent infectieux, ce qui est fait en matière de virologie, de génétique du virus.
En matière d'épidémiologie, il s'agit de continuer à faire ce que nous faisons actuellement en termes d'analyses de situations cliniques, de les collecter, de faire des synthèses. Il faut, sans attendre, engager immédiatement des analyses sur la réceptivité de différents types de population, en différents endroits, à la fois sur le plan de la sérologie, des anticorps vis-à-vis de cet agent infectieux, et aussi de l'immunité cellulaire.
Cela nécessite la mise en place de toute une organisation qui se fera d'autant mieux qu'on sera sensibilisé et qu'on anticipera.
Je voudrais revenir sur un point qui a été évoqué tout à l'heure. On a eu les dossiers « mock-up » pour les autorisations de vaccins. Il s'agirait pour l'avenir de constituer un programme de recherche générique avec des composantes de recherche fondamentale et clinique, de recherche en vaccinologie, en sciences sociales et humaines. Il s'agirait de soumettre ce dossier générique à une expertise scientifique qui, si elle le sélectionne, nécessitera la prévision d'un financement.
Pour un agent infectieux, comme cela a été le cas pour le chikungunya ou pour la pandémie grippale, on aurait en quelque sorte en réserve un projet de recherche financé dont on n'aurait plus qu'à remplir les contenus, ce qui nous permettrait d'avoir sanctuarisé un financement. S'il n'est pas utilisé dans l'année, il pourrait être reporté l'année suivante. Cela permettrait d'anticiper ce problème du financement de la recherche.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je voulais apporter ma réponse à la question de Mme Christiane Kammermann. Elle me permet de répondre à une question lancinante, récurrente, qui est la question des leçons qu'on peut tirer de cette pandémie. C'est peut-être la conclusion que je pourrais apporter grâce à vous, en vous remerciant de ce que vous avez dit. Il est vrai que j'ai voulu être une ministre en responsabilité. Je ne dis pas que j'ai tout fait bien, bien entendu. J'ai essayé de faire au mieux pour mes compatriotes.
Tout cela, je ne l'ai pas fait seule. C'est ce qui est important et il convient aussi de remercier la communauté soignante, les fonctionnaires, les médecins libéraux, les professionnels de santé, les administrations territoriales qui se sont déployées sur le terrain. Finalement, il y a eu de nombreux points positifs dans cette épidémie H1N1. Je souhaiterais que les travaux de votre commission d'enquête instruisent le procès à charge et à décharge.
Des points sont extrêmement positifs. D'abord, la réactivité à l'alerte. On peut se plaindre que l'alerte ait été trop importante, mais cette alerte a existé, c'est extrêmement précieux. Nous avons, à travers le monde et dans notre pays, mis en place des clignotants qui nous permettent en temps réel d'agréger les résultats et de connaître très précisément tout ce qui se passe à tout moment sur la planète. Il y a eu une très grande réactivité à l'alerte.
Il y a eu une grande adéquation des mesures proposées face à ce nouveau virus : les centres 15 ont effectué la régularisation de la prise en charge, signalé les cas à l'Institut de veille sanitaire. Les services d'urgence et de maladies infectieuses ont isolé et mis sous traitement les patients. Les laboratoires hospitaliers ont réalisé les diagnostics biologiques. Nous avons pu ainsi ralentir la pénétration du virus dans notre pays.
Je constate qu'il s'est écoulé près d'un mois entre l'apparition des premiers cas apportés du Mexique et l'apparition de cas secondaires qui signent une transmission virale autochtone.
Je signale également que nous avons eu des différences d'évolution tout à fait notables avec le Royaume-Uni, qui n'avait pas fait la même démarche que nous. Cela nous a permis de nous préparer, ce qui est extrêmement important.
Concernant le deuxième point, vous en avez déjà parlé. C'est l'acceptation par nos concitoyens des mesures barrières. En termes de santé publique, nous avons remporté une grande victoire. Elle reste à conforter, car elle n'est jamais définitive.
Le troisième point est la capacité de notre système de soins à faire face à une épidémie nouvelle. Les établissements de santé, les médecins traitants ont su s'adapter aux particularités de la prise en charge. Ils ont été nombreux dans les centres de vaccination et ils ont pris en charge les malades. Quand il y a un million de consultations supplémentaires en ville, qui les prend en charge ? De nombreux pays ont créé de telles structures.
M. François Autain, président - Nous sommes le seul pays à avoir créé des structures ad hoc.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce n'est pas vrai, de nombreux pays ont créé des structures ad hoc . Ne dites pas de contre-vérités. Le quatrième point a trait au vaccin.
Nous pouvons vous faire la liste des pays qui ont créé des centres de vaccination en Europe : le Canada, les Etats-Unis et d'autres pays qui ne sont pas des pays sous-développés.
M. François Autain, président - En Allemagne, en Espagne et en Pologne, il n'y avait pas de centres dédiés à la vaccination.
M. Alain Milon, rapporteur - L'organisation de la médecine générale est différente, il est vrai.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Comme l'a écrit Alfred Jarry : « Quant à l'action, elle se passe en Pologne, c'est-à-dire nulle part. »
M. Alain Milon, rapporteur - C'est dommage pour la Pologne.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce n'est qu'une citation littéraire !
Le cinquième point positif est la rapidité avec laquelle l'Institut Pasteur a pu mettre au point, dès le 5 mai, un test de diagnostic fiable alors que l'alerte avait été donnée fin avril. Cela nous a permis de suivre l'épidémie, c'est-à-dire de dire que cette grippe qu'on rencontrait était bien du H1N1. On a pu affirmer le diagnostic d'infection liée au virus pandémique.
Le sixième point a trait à la mobilisation de l'appareil d'Etat. J'ai été dans de nombreux centres de vaccination. Bien sûr, on peut ergoter, on peut dire qu'il y a eu des dysfonctionnements, mais ces structures étaient des structures non pérennes, dans lesquelles se sont réunis un médecin de PMI, une secrétaire de préfecture, un bénévole de la Croix-Rouge, un contrat aidé. Ces gens-là ont mis tout leur coeur à se mobiliser pour faire de la vaccination, avec des structures qui ont pratiquement surgi de terre, spontanément, pour répondre aux besoins de la population.
Cela a fonctionné dans 90 % des cas. Les dysfonctionnements qui ont été enregistrés ont été réparés en une semaine. L'administration a montré une capacité d'adaptation extraordinaire et je souhaite rendre hommage à ses personnels.
Il y a donc des points qu'il faut enregistrer et qui me donnent confiance dans la capacité de notre pays à affronter une pandémie plus grave.
Il y a aussi des points négatifs qu'il faut enregistrer ou des points améliorables qu'il faut noter.
Le premier point est sans doute la difficulté de communication. Comment communiquer avec la population, avec les médecins, avec un certain nombre d'acteurs ? Nous n'avons sans doute pas suffisamment tenu compte des nouvelles techniques de communication. Non pas pour nous, car nous avons déployé tous les sites Internet et autres objets de communication. Lorsque j'interrogeais certains professionnels de santé, ils me disaient qu'ils n'étaient pas suffisamment informés. Je leur demandais ce qu'ils voulaient, les assurant que je le ferais pour eux. On constatait que tout avait été fait.
Nous n'avons pas mesuré, en revanche, que tous les moyens de communication actuels permettent à n'importe quel expert autoproclamé d'aller publier n'importe quels messages. Ceci est extrêmement troublant. J'ai fait le constat, à maintes reprises, que la voix d'un grand scientifique ne pesait pas plus que le témoignage anecdotique ou la croyance d'un auditeur ou d'un lecteur. On est dans une société où il n'y a aucune hiérarchie entre les émetteurs, ce qui constitue un gros problème.
Le deuxième point apparaît comme un paradoxe. J'ai toujours voulu tenir un langage de vérité. Finalement, vous avez vu les incertitudes se lever. J'ai sans arrêt voulu adapter le plan et la communication à ce qui se passait. C'était parfois difficile, car je mesurais les marges d'incertitude. Je disais qu'il fallait faire comme cela à un certain moment, puis nous avons eu connaissance du virus et tout d'un coup on pouvait passer le relais à la médecine de ville, le 21 juillet.
La vérité dans la communication se retourne parfois contre l'émetteur. Il faut responsabiliser nos concitoyens sans être anxiogènes. Si vous pouvez faire ce travail de proposition d'outils de communication, j'en serais tout à fait heureuse.
Le troisième point est directement corrélé au premier : il s'agit de la marge de progression qu'on a spécifiquement avec les professionnels de santé. J'ai mis en oeuvre tout l'ensemble des moyens de communication que nous avons développés avec les professionnels de santé.
Pourtant, un certain nombre d'entre eux estiment qu'il n'y avait pas assez d'information. C'est à se demander si aucun n'est abonné à un quotidien. Se rajoutent à cela les lettres que j'ai faites personnellement à chaque médecin, les sites du ministère, les réunions organisées par les préfets. Il faut sans doute développer d'autres moyens de communication, je ne sais lesquels, qui permettraient de mieux informer les médecins.
Quatrième élément : il faut rétablir le climat de confiance entre experts et opinion publique. Le principal problème n'étant pas de reconstituer la confiance entre l'opinion publique et les experts, mas bien entre les experts et l'opinion publique. Je vous garantis que l'expertise est irremplaçable et le risque est qu'elle peut nous faire défaut demain.
Les experts ont été soumis à un procès en incompétence et à une mise en cause de leur honorabilité qui sont préoccupants. Je redoute qu'un certain nombre de nos meilleurs spécialistes refusent de s'engager dans une démarche de conseil et d'expertise lors d'une prochaine pandémie.
Autre progression : l'acceptation de la vaccination, nous en avons déjà parlé. Même si l'acceptation a progressé chez les professionnels de santé, nous avons des marges de progression dans la population. Comment organiser un système de vaccination de grande ampleur ? C'est à cela que nous sommes confrontés en urgence. C'est ce que nous sommes en train de bâtir avec l'ensemble du système de santé.
Nous ne nous faisons pas d'illusion : la réponse qui consisterait à dire de façon un peu simpliste que l'on n'avait qu'à inviter les généralistes à vacciner montre très vite ses limites. Les difficultés qu'on a rencontrées, on les aurait rencontrées, de la même façon, dans les cabinets de médecins.
Je terminerai en disant qu'il faut garder notre capacité d'adaptation. Il faut des plans, mais il faut aussi rester souple. Il faut que nous puissions, sans arrêt, nous remettre en cause. On adore les cathédrales administratives dans notre pays. Il faut savoir s'en extraire.
Tout au long de la pandémie grippale, j'ai voulu m'extraire des cathédrales administratives. J'y suis finalement assez bien parvenue. Je me demande parfois si nos compatriotes n'auraient pas voulu un grand plan, construit telle une maison en pierre de taille, dont on ne serait jamais sorti, pour avoir éternellement le même message. J'ai préféré, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, leur tenir un langage de vérité, d'adaptabilité, et avant tout éthique.
M. Alain Milon, rapporteur - Les cathédrales, madame la ministre, n'attirent plus personne. Ce sont les stades qui attirent du monde.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Après la Coupe du monde d'Afrique du Sud, je vous retrouve avec plaisir. Même vous, monsieur François Autain, je vous retrouve avec plaisir.
Connaissez-vous la chanson punk qui dit : « The lunactics have taken over the asylum... » .Ce qui signifie « Les fous avaient pris la commande de l'hôpital psychiatrique » .
M. François Autain, président - Madame la ministre, nous tenons à vous remercier pour cette contribution. Je crois que vous avez dit qu'il fallait savoir se remettre en cause. Je pense que les uns et les autres nous nous quitterons sur cet engagement, car il est vrai que si nous ne nous remettons pas en cause, nous n'avancerons pas. Je suis persuadé que la commission d'enquête aura de nombreuses propositions à formuler dans son rapport.