2. Des instruments spécifiques
En plus d'affirmer sa volonté politique d'intervenir en matière sociale, l'Union européenne a progressivement élaboré une série d'outils destinés à faciliter son action dans ce domaine.
a) Des outils décisionnels
Traditionnellement, l'action de l'Union européenne dans ses différents domaines de compétences suppose l'adoption de normes juridiques (règlements ou directives). En matière sociale, l'Union privilégie l'utilisation de la directive , qui lie l'État membre quant aux résultats à atteindre mais lui laisse le choix de la forme et des moyens à mettre en oeuvre. Formule plus souple et plus flexible que le règlement, la directive apparaît en effet plus adaptée dans un domaine dans lequel les États membres conservent, pour l'essentiel, leur souveraineté.
Les directives adoptées en matière sociale sont, par ailleurs, régies par deux principes essentiels. D'une part, elles ne fixent que des dispositions minimales, ce qui signifie que les États membres restent libres d'adopter des normes plus favorables. D'autre part, elles s'accompagnent d'une clause de non-régression. Autrement dit, les États membres ne sont pas autorisés à abaisser leur législation sous prétexte que la directive aurait fixé un seuil minimal inférieur.
Toutefois, la spécificité et les contraintes inhérentes à toute forme d'action dans le domaine social, notamment la primauté accordée aux États dans les questions sociales, ont néanmoins conduit à la création de nouveaux outils en complément de l'arsenal juridique traditionnel.
(1) Un outil de dialogue : la mise en place du dialogue social européen
Depuis les débuts de la construction européenne, la Commission européenne débat avec les partenaires sociaux sur les propositions et la mise en oeuvre de la politique sociale menée à l'échelon européen. Cette consultation informelle s'est cependant transformée, au fil du temps, en un dialogue structuré. On lie généralement l'émergence du dialogue social européen aux entretiens de Val Duchesse en 1985. Organisés sous l'impulsion de Jacques Delors, ils visaient à associer les partenaires sociaux à l'achèvement du marché intérieur. Ils marquent surtout le début du dialogue social européen. À partir de cette date, les organisations interprofessionnelles représentées au niveau européen entament un processus de dialogue, qui se traduit par l'adoption de résolutions, de déclarations et d'avis communs. Même s'ils ne sont pas contraignants, ces documents revêtent une portée symbolique forte. D'aucuns estiment qu'ils ont contribué à faire évoluer les mentalités dans les fédérations nationales, à légitimer la politique économique et sociale européenne et, par conséquent, à faciliter sa mise en oeuvre.
Le dialogue social franchit un nouveau pas avec l'adoption du traité de Maastricht et du protocole sur la politique sociale qui lui est annexé. Ce protocole édicte un certain nombre de règles destinées à mieux associer les partenaires sociaux à l'élaboration de la politique sociale européenne. Il impose à la Commission de consulter systématiquement les partenaires sociaux, avant de présenter des propositions dans le domaine social, sur l'orientation possible que pourrait prendre celui-ci. Il la contraint également à les consulter sur le contenu des propositions qu'elle élabore en matière sociale. Les partenaires sociaux ont alors deux possibilités : soit ils rendent un avis sur le contenu de la proposition envisagée, soit ils décident de négocier un accord sur la question traitée, auquel cas ils disposent d'un délai de neuf mois durant lequel la Commission suspend ses travaux. Le protocole social autorise également les partenaires sociaux à négocier un accord, sur le sujet de leur choix, sans attendre une proposition de la Commission. Cette possibilité, accordée aux partenaires sociaux, de négocier des accords, désignés sous le nom d'accords-cadres, a véritablement permis de les intégrer dans le processus normatif communautaire. En effet, ces accords-cadres peuvent ensuite être transposés par la Commission sous forme de directives, qui sont ensuite soumises à l'approbation du Conseil. En ce sens, ils disposent d'un véritable pouvoir d'initiative et d'élaboration des normes européennes en matière sociale. Dans les années 1990, les partenaires sociaux ont ainsi négocié trois accords-cadres, qui ont été mis en oeuvre par des directives : en 1995 sur le congé parental ; en 1997 sur les contrats de travail à temps partiel ; et en 1999 sur les contrats de travail à durée déterminée.
À partir du sommet de Laeken en décembre 2001, les partenaires sociaux acquièrent une plus grande autonomie. Ils se voient accorder le droit de fixer leur propre programme de travail pluriannuel. Dans ce contexte, ils ont conclu plusieurs accords-cadres nés d'initiatives autonomes : un sur le télétravail en 2002 ; un autre sur le stress lié au travail en 2004 et un dernier sur le harcèlement et la violence au travail en 2007. Ces accords-cadres n'ont pas été transposés sous forme de directives, mais ont été mis en oeuvre, au niveau national, par les partenaires sociaux nationaux.
Le dialogue social européen associe quatre organisations interprofessionnelles : l'une représente les travailleurs, la Confédération européenne des syndicats (CES) ; les trois autres les employeurs. Il s'agit de Business Europe (anciennement UNICE), du Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d'intérêt économique général (CEEP), et de l'Union européenne de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME).
L'association des partenaires sociaux aux initiatives de la Commission a permis d'obtenir de réelles avancées en matière sociale et de faciliter la mise en oeuvre des politiques sociales européennes au niveau national. Son rôle apparaît donc essentiel. Le dialogue social européen n'est d'ailleurs pas uniquement présent au niveau interprofessionnel. Il connaît également un important volet sectoriel.
Le dialogue social sectoriel s'est en effet développé très tôt au niveau européen, par la mise en place de comités paritaires - composés à parité de représentants des employeurs et des travailleurs désignés par les gouvernements - dans les secteurs où existait une politique commune. Il s'est développé peu à peu avec la création de nouveaux comités dans d'autres secteurs. Il remplit une double fonction : d'une part, il constitue une instance privilégiée de dialogue sur les aspects sociaux d'un secteur particulier ; d'autre part, il joue un rôle consultatif important auprès de la Commission européenne.
(2) Des outils de convergence : la stratégie pour l'emploi et la méthode ouverte de coordination
L'Union européenne a, par ailleurs, élaboré des instruments de soft law afin de lui permettre d'apporter des réponses à des questions d'intérêt commun, mais qui relèvent de domaines dans lesquels les États membres présentent des situations extrêmement hétérogènes et veulent conserver leur autonomie.
À la suite du traité d'Amsterdam, qui introduit dans le traité sur l'Union européenne un titre consacré à l'emploi, l'Union européenne a élaboré une stratégie européenne pour l'emploi qui vise à coordonner les politiques nationales en matière d'emploi dans le but de promouvoir une main d'oeuvre plus qualifiée et l'améliorer la réactivité du marché du travail aux changements économiques. Cette stratégie est mise en oeuvre par une nouvelle méthode de travail créée à cette occasion, la méthode ouverte de coordination . Cette méthode est véritablement formalisée à l'occasion du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, qui clarifie ses principes et décide de l'utiliser pour la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne.
La méthode ouverte de coordination est un instrument de gouvernance souple, qui vise à faire converger les politiques nationales afin de réaliser certains objectifs communs. Elle s'appuie notamment sur l'échange d'informations et de bonnes pratiques, ainsi que sur la supervision multilatérale. Elle se fonde sur l'élaboration, au niveau européen, de lignes directrices à long terme assorties d'objectifs à court, moyen et long terme, qui sont ensuite déclinés en indicateurs qualitatifs et quantitatifs afin de permettre de mesurer les progrès accomplis par les États membres dans la réalisation des objectifs. Ces mesures sont ensuite traduites par les États membres en politiques nationales, dans le cadre de plans d'action nationaux, dont les résultats font périodiquement l'objet d'une évaluation multilatérale sous l'autorité de la Commission. Cette dernière s'attache à comparer les performances et à valoriser les meilleures pratiques.
Le principal mérite de cette méthode réside dans sa flexibilité et, de fait, dans sa capacité à contribuer à la convergence progressive des politiques nationales, dans des domaines où les réticences des États membres ne permettent pas d'envisager une harmonisation par le droit communautaire.
Elle est aujourd'hui utilisée dans divers domaines sociaux : l'emploi (1997), l'inclusion sociale (2000), les retraites (2001), les soins de santé, la modernisation de la protection sociale (2002), ainsi que l'éducation et la formation (2002). Toutefois, il convient d'observer que, selon les domaines, les lignes directrices proposées aux États membres sont plus ou moins contraignantes. Certaines ne sont parfois assorties d'aucun objectif chiffré. De ce fait, les résultats de cette méthode tendent à être variables selon les domaines dans lesquels elle a été appliquée.