Mercredi 16 avril 2008 - Audition de M. Roger Beauvois, Président, et de Mme Nathalie Duhamel, Secrétaire générale, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS)

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Statut :

Autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2000-494
du 6 juin 2000 portant création d'une commission nationale de déontologie
de la sécurité

Composition : 14 membres :

- le président, nommé par décret du Président de la République,

- 2 sénateurs,

- 2 députés,

- 1 conseiller d'Etat,

- 1 magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation,

- 1 conseiller maître de la Cour des comptes,

- 6 personnalités qualifiées, désignées par les autres membres de la CNDS.

Mission et pouvoirs :

Contrôler le respect de la déontologie par les autorités publiques (police nationale, gendarmerie nationale, administration pénitentiaire, administration des douanes, police municipale, gardes-champêtres ou forestiers), certains services publics de surveillance (transports en commun) et les personnes privées (services de gardiennage, de surveillance, de transports de fonds) exerçant des activités de sécurité sur le territoire national. Saisie par les citoyens, par l'intermédiaire d'un parlementaire, elle peut adresser des avis ou recommandations aux autorités concernées, leur demander de saisir les corps d'inspection compétents ou porter à la connaissance du procureur de la République les faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale.

M. Roger Beauvois, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a indiqué que la CNDS, créée par la loi du 6 juin 2000, avait, depuis son installation le 1 er janvier 2001, reçu 618 dossiers et en avait traité 418, soulignant la forte croissance de son activité au fil des ans. En 2007, la CNDS a examiné 117 dossiers qui ont donné lieu à 86 avis, constatant 44 manquements à la déontologie, et prononçant 31 décisions d'irrecevabilité (classement sans suite, saisine hors-délai ou hors-compétence). Sur les 117 dossiers, 5 ont fait l'objet d'une transmission au ministère public et 11 d'une demande de poursuites disciplinaires auprès des ministères concernés.

Après avoir déclaré que les dossiers concernaient essentiellement la police (62 % d'entre eux), la gendarmerie (18 %) et les établissements pénitentiaires (12 %), M. Roger Beauvois a relevé les principaux manquements constatés par la CNDS, tant en ce qui concerne la police et la gendarmerie que l'administration pénitentiaire :

- usage abusif de la garde à vue : il a rappelé que l'opportunité et la durée de cette mesure ne se justifiaient que par « les nécessités de l'enquête » et que l'absence d'acte d'investigation (notamment d'audition sur les faits reprochés) pendant une durée excessive au cours de la garde à vue pouvait s'analyser comme une « garde à vue-sanction » illégale. Il a, en outre, déploré les conditions matérielles de garde à vue, compte tenu de la vétusté des locaux ;

- fouilles à corps injustifiées : il a indiqué que certains dossiers attestaient le non-respect de la circulaire du 11 mars 2003 du ministre de l'intérieur relative à la dignité des personnes placées en garde à vue, qui dispose que la fouille à corps « ne peut être appliquée que si la personne est suspectée de dissimuler des objets dangereux pour elle-même ou pour autrui », citant des cas où, compte tenu des circonstances (faits de faible importance, personne inconnue des services de police, absence de heurts au moment de l'interpellation...), la CNDS avait jugé une fouille à corps disproportionnée au regard du danger présumé ;

- banalisation du menottage : il a regretté, au nom de l'exigence de sécurité, le recours systématique au menottage, notamment dans les transports de personnes, même quand ces dernières sont physiquement incapables de prendre la fuite ou d'agresser les agents de sécurité, telles les femmes enceintes ou les personnes handicapées. Il a ajouté que le menottage abusif contrevenait aux dispositions de l'article 803 du code de procédure pénale ;

- violences illégitimes : il a souligné que certaines violences policières pouvaient être évitées par le dialogue et une meilleure maîtrise des gestes d'intervention ;

- usages des armes de service : il a invité les forces de police et de gendarmerie à faire preuve de discernement avant de sortir une arme pour procéder à une interpellation ;

- traitement des personnes en état d'ivresse : après avoir regretté le faible encadrement juridique du recours au placement en cellule de dégrisement et des conditions de son déroulement, il a recommandé qu'une réflexion d'ensemble soit menée afin de permettre une surveillance effective des personnes concernées, souvent psychologiquement très fragiles, et de garantir ainsi la protection de leur intégrité physique.

M. Roger Beauvois a ensuite signalé la publication, en même temps que le rapport annuel d'activité, d'une étude relative aux conditions d'accès aux soins des personnes privées de liberté, soulignant que, saisie depuis sa création de 127 dossiers sur ce thème, la CNDS avait pu constater parfois de graves négligences des forces de sécurité en la matière. Il a ajouté que la privation de liberté ne devait pas entraîner la suppression des droits fondamentaux de la personne malade.

Il s'est par ailleurs inquiété de ce que certaines réclamations ayant entraîné la saisine de la Commission fassent l'objet d'une procédure pour « dénonciation calomnieuse » engagée par les agents mis en cause, citant un exemple récent où ces derniers ont obtenu de la justice la condamnation du plaignant à des dommages et intérêts, avant même que la CNDS n'ait rendu son avis sur le dossier. Il a redouté que ce type d'action contentieuse ne dissuade les témoins et victimes de saisir la Commission. Il a également regretté que certains agents de sécurité considèrent une convocation pour audition à la CNDS comme constitutive en soi d'un préjudice moral.

Il a déclaré avoir demandé à la garde des Sceaux, en octobre 2007, d'adresser aux parquets des directives de politique pénale afin, d'une part, de retenir la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris en tant que lieu de commission des faits, et ce afin de faciliter les échanges entre la CNDS et le parquet, d'autre part, d'inviter le ministère public à prendre l'attache de la Commission pour connaître le sens de l'avis rendu sur le fait dénoncé et disposer ainsi d'éléments d'information complémentaires avant d'exercer, le cas échéant, l'action publique. Il a indiqué avoir reçu une réponse négative de la chancellerie sur ces deux points.

Il a enfin mis en avant la faiblesse des moyens humains et matériels alloués à la Commission, eu égard à l'importance de ses missions.

Faisant part de son expérience de membre de la CNDS désigné par le Sénat, M. Jean-Claude Peyronnet a souligné le rôle très positif joué, au sein de la Commission, par le commissaire du gouvernement, créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Rappelant qu'il avait également été désigné par le président du Sénat pour siéger à la CNDS, M. Jean-Patrick Courtois a regretté que cette dernière, et d'une manière générale de nombreux organismes extra-parlementaires, tiennent leur réunion le lundi, jour peu propice à la présence des parlementaires, généralement mobilisés ce jour là dans leur circonscription.

M. Simon Sutour s'est interrogé sur la conduite à tenir par le parlementaire saisi d'une plainte portant sur la déontologie de services de sécurité. Il s'est demandé si la transmission du dossier à la CNDS ne risquait pas d'être comprise par le plaignant comme une approbation de sa démarche et, par les agents de sécurité concernés, comme une mise en cause de leur action.

M. Roger Beauvois a encouragé les parlementaires à transmettre à la CNDS tous les dossiers reçus, même dans les cas où les plaintes ne paraissent pas fondées.

M. Richard Yung a indiqué que certains détenus subissaient parfois un placement en cellule disciplinaire sans pouvoir être défendus par un avocat, fût-il commis d'office, devant la commission de discipline.

M. Roger Beauvois a indiqué n'avoir jamais été saisi de ce type de cas et souligné que ces placements, limités dans le temps, étaient parfois justifiés au regard de la particulière dangerosité des personnes, distinguant le placement préventif et le maintien après la réunion de la commission de discipline.

M. Jacques Mahéas a salué l'action menée par la CNDS et déclaré qu'il avait eu connaissance, dans le département de la Seine-Saint-Denis, de certains manquements à la déontologie des services de sécurité, sous la forme, par exemple, de mesures vexatoires et inutiles. Il a souhaité savoir si la Commission formulait parfois des recommandations d'évolution législative ou réglementaire et, le cas échéant, si elles étaient prises en compte par le gouvernement.

M. Roger Beauvois a souligné que les difficultés relevées, hormis quelques incertitudes concernant le droit applicable aux centres de rétention administrative, résultaient moins de l'absence ou de l'imprécision des textes que de leur non-application, volontaire ou non.

Mme Nathalie Duhamel, Secrétaire générale de la CNDS, a mis en avant la nécessité, d'une part, de ne menotter que les détenus présentant un danger réel, d'autre part, de respecter le secret médical et la confidentialité durant l'examen médical des détenus.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis des crédits de l'administration pénitentiaire, a souhaité savoir, d'une part, s'il existe des statistiques précises sur le taux de suivi des préconisations de sanctions disciplinaires de la CNDS, d'autre part, comment s'articulent les relations entre la CNDS et les délégués du Médiateur de la République dans les prisons ainsi qu'avec le futur contrôleur général des lieux privatifs de liberté.

Mme Nathalie Duhamel a regretté que des agents de l'administration pénitentiaire condamnés par la justice pour des manquements à la déontologie fassent parfois l'objet d'une simple mutation disciplinaire, tandis que certains agents, qui ont prêté leur concours à l'action de la CNDS, subissent de fortes pressions psychologiques exercées par leurs collègues sans pouvoir obtenir de mutation dans l'intérêt du service.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a signalé que le contrôleur aurait une compétence beaucoup plus large que la CNDS, laquelle conserverait le contrôle du respect de la déontologie.

M. Roger Beauvois a signalé que la CNDS ne s'appuyait que très exceptionnellement sur le réseau des délégués du Médiateur de la République dans les prisons pour l'instruction des dossiers.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Direction de l'action du gouvernement » en 2005 et 2006, a rappelé qu'à trois reprises, le Sénat avait adopté à l'unanimité, contre l'avis du gouvernement, un amendement tendant à créer, au sein de la mission budgétaire « Direction de l'action du gouvernement », un programme spécifique regroupant les autorités administratives indépendantes placées dans cette mission, dont fait partie la CNDS. Elle a souligné que si l'amendement, soutenu par la commission des lois comme par la commission des finances du Sénat, n'avait jamais été confirmé par l'Assemblée nationale, elle avait, avec M. François Marc, rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat de la mission « Direction de l'action du gouvernement », rencontré le 9 avril dernier M. Jean-Pierre Brard, rapporteur spécial de cette mission à l'Assemblée nationale, qui avait paru disposé à donner satisfaction à cet amendement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2009.

M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est réjoui de cette perspective, qui permettrait d'écarter tout risque de coupes dans les budgets des autorités administratives indépendantes.

Après avoir regretté que les avis de la CNDS ne soient pas toujours suivis par les ministères concernés, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a souligné le rôle joué par cette instance, en particulier dans les centres de rétention administrative et les centres éducatifs fermés. Elle s'est demandé si la multiplicité des organes chargés de la protection des droits ne nuisait pas à l'efficacité de leur action, rappelant que l'avant-projet de loi de réforme des institutions prévoit la création d'un défenseur des droits du citoyen, sorte d' « ombudsman à la française ».

Conscient que le nombre important d'instances de défense des droits fondamentaux déroute parfois le citoyen, M. Roger Beauvois a toutefois plaidé pour leur maintien compte tenu de leurs spécificités, ajoutant que la disparition de la CNDS, reconnue par la Cour européenne des droits de l'Homme, serait mal perçue à l'étranger.

Revenant sur la question du filtre parlementaire, M. Jean-Pierre Sueur a souligné que des parlementaires décidaient parfois de ne pas transmettre à la CNDS un dossier alléguant un manquement à la déontologie d'un agent de sécurité, alors même que les conditions formelles de saisine étaient réunies, et ce afin de ne pas donner l'impression de cautionner la démarche du plaignant et, partant, de mettre en cause les agents visés. Il s'est demandé si, dans ces conditions, il ne serait pas préférable de prévoir une possibilité de saisine directe de la CNDS par toute personne s'estimant victime ou témoin d'un manquement à la déontologie des forces de sécurité.

M. Roger Beauvois a craint qu'une saisine directe n'engorge l'institution. Il a souligné que les parlementaires devaient faire oeuvre de pédagogie à l'égard des agents de sécurité afin de leur faire comprendre que la CNDS était une instance de dialogue susceptible de les rapprocher des citoyens, et non de les en éloigner.

M. Jean-Claude Peyronnet a fait observer que la saisine directe changerait la nature de la CNDS. Il a constaté que le nombre limité de dossiers reçu fournissait un très bon échantillon représentatif lui permettant de prononcer des décisions susceptibles de guider la conduite de tous.

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