Mercredi 9 avril 2008 - Audition de M. Alain Bauer, Président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance (OND)
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Statut :
Département de l'Institut national des hautes
études de sécurité,
Composition : - 2 sénateurs, - 2 députés, - 2 maires, - 1 professeur d'université, - 1 chercheur, - 1 membre du Barreau, - 1 journaliste de la presse écrite, - 1 journaliste de la presse audiovisuelle, - 1 personne qualifiée de l'Union sociale pour l'Habitat, - 1 personne qualifiée pour les assurances, - 1 personne qualifiée pour les banques, - 1 personne qualifiée pour les transports, - 1 représentant des entreprises de sécurité, - 1 représentant des sociétés de conseil et d'audit en sécurité, - le directeur général de la police nationale, - le directeur général de la gendarmerie nationale,
- 1 membre désigné par chacun des ministres de
la Justice, de l'Éducation,
- 1 représentant de l'INSEE, - le délégué ministériel de la sécurité routière. Mission et pouvoirs : - recueillir et analyser les statistiques relatives à la délinquance ; - communiquer les conclusions aux ministres et partenaires ; - assurer la mise en cohérence des indicateurs, données et analyses ; - faciliter les échanges avec d'autres observatoires ; - animer un réseau de correspondants ; - organiser la communication au public de ces données. |
Rappelant que l'Observatoire national de la délinquance avait été imaginé à la suite des travaux parlementaires de MM. Christophe Caresche et Robert Pandraud en juin 2002, M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a indiqué que sa création effective avait eu lieu sous le gouvernement suivant, traduisant ainsi la préoccupation partagée de disposer de données fiables en matière de délinquance.
Il a souligné que la situation prévalant avant sa création n'était pas satisfaisante, l'autorité chargée de produire, diffuser et commenter les statistiques étant celle chargée de lutter contre la délinquance.
Estimant que l'examen des seuls chiffres globaux de la délinquance était insuffisant pour en saisir la réalité, il a souligné que les enquêtes de victimation développées par l'observatoire permettaient dorénavant de comparer les crimes ou délits que les victimes subissaient et la manière dont elles ressentaient ces agressions par rapport aux faits constatés par les forces de l'ordre dans l'état 4001.
A cet égard, il a rendu hommage à M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur en 1999, qui avait initié à cette époque la première enquête de victimation. Il s'est félicité de ce que ces enquêtes soient devenues régulières depuis 2003 et n'aient cessé de se perfectionner. Il a en particulier indiqué que l'enquête menée en 2007 était la plus grande enquête statistique conduite en France après celle du recensement. Il a précisé que ces enquêtes se déroulaient en face à face, ce qui permettait en particulier de sonder les violences intrafamiliales.
Indiquant que les enquêtes de victimation avaient porté pour la première fois en 2007 sur les atteintes physiques aux personnes, il a déclaré que les violences intrafamiliales constituaient à l'heure actuelle la première catégorie de violences constatées.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a expliqué que dans un premier temps l'OND avait accompli un travail d'analyse des statistiques issues de l'activité des forces de l'ordre afin en particulier de leur rendre une cohérence et une lisibilité. Ainsi, à propos des violences aux personnes, il a observé que l'état 4001 ne comportait pas un indicateur de ces violences, les vols avec violence étant par exemple comptabilisés dans les atteintes aux biens et les non-paiements de pensions alimentaires dans les atteintes aux personnes. Il a indiqué que cette situation avait conduit l'OND à créer son propre outil de mesure des violences aux personnes.
Constatant que les incertitudes sur la fiabilité des statistiques résultaient notamment de certaines pratiques des services de police et de gendarmerie, il a indiqué que la collecte des statistiques de la délinquance par ces derniers obéissait à un phénomène de « tas de sable », selon lequel pendant la première année de service, le responsable prenant ses fonctions devait apurer le tas de sable des statistiques laissé par son prédécesseur, pendant la deuxième année, les statistiques collectées étaient à peu près fiables, et pendant la troisième année, le responsable, soucieux de quitter le service en obtenant une promotion, avait tendance à reporter l'enregistrement des actes de délinquance portés à sa connaissance pour montrer une amélioration de ses résultats.
Toutefois, il a estimé que la récurrence de ces discordances statistiques n'aboutissait pas pour autant à masquer les grandes tendances de l'évolution de la délinquance sur le long terme. Il a ajouté qu'en matière de délinquance, les chiffres mensuels ou annuels étaient rarement significatifs en eux-mêmes, seules, les tendances à moyen et long terme étant véritablement intéressantes.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a précisé que l'examen des mains courantes informatisées dans les commissariats, qui recensent des faits ne donnant pas lieu à dépôt de plainte, avait permis à l'observatoire de prendre connaissance d'environ 1 million d'actes de délinquance supplémentaires et de constater l'importance des violences intrafamiliales ou de l'alcoolisme sur la voie publique.
Il a ajouté que l'observatoire avait également recueilli des informations auprès des organisations professionnelles afin de collecter les données relatives aux violences sur les arbitres, sur les sapeurs-pompiers ou encore sur les personnels hospitaliers.
Estimant que les tendances relevées par l'observatoire, issues de la comparaison entre ces statistiques et les enquêtes de victimation étaient plutôt fiables, il a noté que les atteintes aux biens étaient en diminution et que les atteintes aux personnes se stabilisaient à un niveau élevé.
Il a déclaré que le principal chantier en cours à l'OND portait sur la notion d'élucidation des crimes et des délits, cette notion étant abusivement assimilée à un indicateur de l'efficacité des services. Il a indiqué que le taux d'élucidation n'était pas un taux de succès.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a expliqué que le taux d'élucidation serait désormais analysé par catégorie d'infractions et qu'il serait subdivisé en taux d'identification, taux d'interpellation et taux de défèrement.
A plus longue échéance, il a indiqué espérer la mise en oeuvre de connexions entre les données statistiques des ministères de l'intérieur et de la justice de manière à reconstituer la continuité statistique de la chaîne pénale. Toutefois, il a fait observer que les statistiques du ministère de la justice étaient peu fiables et qu'un travail similaire à celui entrepris sur les statistiques de la police et de la gendarmerie restait à mener sur les statistiques de la justice. Il a déclaré que l'OND était prête à accomplir ce travail si on le lui demandait.
Concernant le taux d'élucidation, il a indiqué, d'une part, que pour des infractions ne nécessitant pas le dépôt de plainte, le constat de l'infraction allait de pair avec son élucidation et que le taux d'élucidation pouvait ainsi être de 100%, et, d'autre part, que l'observatoire avait même relevé des anomalies dans les statistiques de la gendarmerie nationale où les taux étaient parfois supérieurs à 100%.
Rappelant que les enquêtes de victimation actuelles ne concernaient que des personnes âgées de quinze ans et plus, il a affirmé que l'observatoire tentait de mettre en place une enquête nationale de victimation scolaire en concertation avec le ministère de l'éducation nationale, afin de répondre aux inquiétudes des personnels enseignants craignant que cette procédure ne soit à l'origine d'une stigmatisation des établissements visés par cette enquête.
Il a également indiqué que l'observatoire menait actuellement une analyse de la collecte statistique des faits de délinquance à la préfecture de police de Paris. Il a déclaré qu'entre un quart et un tiers des transcriptions des mains courantes sur document papier en mains courantes informatisées étaient entachées d'erreurs, en particulier sur les adresses. Il a notamment expliqué ces résultats par le manque de motivation et de qualification des personnels.
Il a précisé que l'observatoire travaillait à la constitution d'un dispositif de cartographie de la délinquance à Paris et qu'un tel dispositif pourrait par la suite être instauré au plan national.
M. Jacques Mahéas a estimé que l'outil statistique en matière de délinquance restait peu fiable, indiquant que les tendances qu'il mettait en exergue ne correspondaient en particulier pas à la situation vécue en Seine-Saint-Denis.
Relevant que l'informatisation des mains-courantes constituait certes un progrès, il s'est interrogé sur leur maintien, soulignant qu'à sa connaissance la gendarmerie nationale n'en disposait pas. Il a estimé que l'état 4001 n'était pas un outil statistique satisfaisant.
Il a critiqué le fait que l'OND dépende du seul ministère de l'intérieur. Il a jugé souhaitable que, comme l'avaient suggéré MM. Christophe Caresche et Robert Pandraud, cet organisme soit placé sous la tutelle conjointe des ministres de l'intérieur, de la justice, de l'économie, du budget, ainsi que de la défense.
Il a estimé par ailleurs qu'un consensus politique pouvait être trouvé pour abandonner définitivement l'état 4001, ce système statistique présentant beaucoup trop de défauts.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a mis en exergue le fait que la recherche d'une augmentation du taux d'élucidation pouvait avoir pour effet d'augmenter le taux de délinquance, en particulier dans le cadre des infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers ou relatives à l'usage de stupéfiants. Il a souligné que les statistiques dépendaient alors de la seule activité des services de police ou de gendarmerie.
Il a indiqué que, si formellement la gendarmerie nationale ne disposait pas de mains-courantes, elle utilisait un outil semblable, constitué de messages d'information. Il a relevé que les services de gendarmerie étaient ainsi à l'origine de plus du quart du nombre total des mains-courantes sur l'ensemble du territoire.
Il a rappelé que les mains-courantes étaient à l'origine des outils de gestion des ressources humaines dans les services de police et de gendarmerie, qui permettaient notamment de retracer les activités qui ne se rattachaient pas directement à la recherche d'une infraction, citant l'exemple du transfèrement des détenus qui occupe de 25 à 30 % des effectifs des directions départementales de la sécurité publique.
Il a ajouté que l'OND estimait qu'environ 120.000 délits figuraient dans les mains-courantes, qui ne devraient pourtant pas y être mentionnés.
Il a indiqué que le conseil d'orientation de l'Observatoire national de la délinquance avait déjà émis une proposition tendant à le placer sous la tutelle des ministères compétents, ajoutant que la présence du ministère de la santé serait aussi souhaitable.
Enfin, il a déclaré que l'OND n'avait jamais été complaisant à propos de la fiabilité de l'état 4001. Il a ajouté que les résultats obtenus en parallèle par le biais des enquêtes de victimation avaient considérablement enrichi la connaissance de la délinquance. Il s'est félicité de ce que ces enquêtes figurent désormais parmi les plus réputées dans le monde.
M. Jacques Mahéas a critiqué le fait que les publications les plus récentes de l'Observatoire pouvaient faire croire à une baisse des violences aux personnes, alors qu'en réalité seul un ralentissement de l'augmentation de ces violences est constaté.
M. Pierre-Yves Collombat s'est demandé si le mode de comptabilisation des faits de délinquance retenu par l'Observatoire était pertinent pour retracer les évolutions mensuelles de la délinquance.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a souligné que les statistiques de l'Observatoire commentaient les évolutions de la délinquance sur les 20 derniers mois, et ne portaient pas sur les chiffres bruts. Il a fait observer que ce choix permettait d'éviter les difficultés de comptabilisation rencontrées auparavant, considérant que des analyses seulement mensuelles ou même annuelles n'étaient pas susceptibles de dégager les évolutions réelles de la délinquance, lesquelles ne pouvaient être appréhendées que dans un temps long.
Il a ajouté que l'outil statistique devait en tout état de cause être sans cesse réévalué et, le cas échéant, reconstruit.
Il a indiqué qu'à titre personnel il aurait souhaité la disparition de l'état 4001. Il a néanmoins relevé que la réforme de cet outil statistique ainsi que sa correction grâce aux résultats des enquêtes de victimation avaient eu pour effet d'atténuer ses défauts les plus criants.
M. Robert Badinter s'est félicité de ce qu'un organisme tel que l'OND ait été institué en France, soulignant que jusqu'alors les données statistiques, aux mains du ministère de l'intérieur, témoignaient d'une « fantaisie » orchestrée par les gouvernements. Il a jugé cette création d'autant plus salutaire que les données statistiques font, par nature, l'objet d'une intense exploitation politique. Il a en conséquence souhaité que l'Observatoire accède à un statut réellement pluridisciplinaire tout en étant soumis à la tutelle conjointe des ministres de la justice, de l'intérieur et de la défense.
Il a plaidé en faveur d'un traitement uniforme des données brutes que sont les faits portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie, afin d'éviter la situation actuelle qui se caractérise par l'appréciation au cas par cas, par l'autorité de police ou de gendarmerie, de l'opportunité d'enregistrer ou d'inscrire en main-courante les faits qui leur sont relatés.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a confirmé son souhait que l'Observatoire ait un statut interministériel, insistant pour que cette évolution se réalise dans le cadre d'une mutualisation des moyens des instituts existants, tels que l'Institut national des hautes études de sécurité, et indiquant que si cette voie était choisie, les crédits attribués à l'Observatoire pourraient être réduits.
Il a estimé nécessaire de mettre en place un système de dépôt de plaintes informatisé ainsi qu'un fichier central de dépôt des plaintes ne permettant aucun choix d'opportunité des autorités de police ou de gendarmerie. Il a jugé, dans un tel cas, qu'il faudrait alors créer, à l'instar du Canada, un comité de contrôle dont la mission serait de décider si la plainte est légitime ou non.
M. Alex Türk, se référant à sa propre fonction de président de la CNIL, a ensuite questionné M. Alain Bauer sur le contrôle de la vidéosurveillance, ce dernier étant également président de la commission nationale de la vidéosurveillance.
Il a déclaré qu'une grande confusion régnait sur le régime juridique de la vidéosurveillance. Il a en particulier noté que les systèmes de vidéosurveillance installés depuis ces dernières années étaient désormais quasiment tous des systèmes numériques dont l'exploitation se prêtait plus facilement soit à la constitution de fichiers, soit à une connexion avec un fichier préexistant. Par ailleurs, il a indiqué qu'il fallait anticiper sur le développement prochain de systèmes de vidéosurveillance à reconnaissance faciale.
Il a ensuite fait état d'un sondage indiquant que si 71 % des personnes sondées étaient favorables à la vidéosurveillance, 79 % étaient également attentives à ce que le respect de la liberté individuelle et de la vie privée soit garanti.
Il a jugé que le dispositif légal en vigueur n'était pas satisfaisant avec, d'une part, des commissions départementales chargées de rendre un avis sur les demandes d'installation de système de vidéosurveillance souvent débordées et, d'autre part, une compétence marginale de la CNIL.
Se faisant l'écho de la proposition récente de M. Alain Bauer de créer une nouvelle autorité administrative indépendante en charge de la vidéosurveillance, il a jugé qu'il serait préférable de confier cette compétence à la CNIL qui jouit d'une notoriété importante et qui a d'ores et déjà acquis une certaine autorité sur ces questions. Il a ajouté que dans une période de rigueur budgétaire il serait plus coûteux de créer une nouvelle autorité.
M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance , a rappelé qu'en 1992 il avait défendu l'attribution à la CNIL de la compétence en matière de vidéosurveillance.
Toutefois, il a indiqué que le phénomène avait pris un essor particulier depuis quinze ans et qu'il n'était pas certain que la CNIL puisse faire face au surcroît de travail. Il a également posé la question du principe de spécialité des autorités administratives indépendantes.
En outre, il a expliqué que le fait que les systèmes de vidéosurveillance sont désormais numériques n'impliquait pas automatiquement la compétence de la CNIL.
Il a en revanche déclaré qu'il était convaincu de la nécessité de confier à une autorité administrative indépendante des pouvoirs de contrôle et de sanction en matière de vidéosurveillance.