Mercredi 9 avril 2008 - Audition de M. Etienne Apaire, Président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT)

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Statut :

Mission interministérielle créée par décret n° 96-350 du 24 avril 1996,
en remplacement de la Mission permanente de lutte contre la toxicomanie

Composition :

- 1 président,

- 1 délégué,

- le comité permanent composé de ministres et secrétaires d'Etat.

Mission et pouvoirs :

-coordonner l'action du gouvernement dans le domaine de la prévention, la prise en charge sanitaire et sociale, la répression, la formation, la communication, la recherche et les échanges internationaux ; compétences étendues à l'abus d'alcool, au tabac et médicament psychotropes ;

- préparer les plans gouvernementaux de lutte contre les drogues et veiller à leur application.

M. Etienne Apaire, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie, a observé qu'au cours des quinze dernières années, quel que soit le gouvernement, la lutte contre la consommation de drogue avait privilégié une approche sanitaire dirigée principalement contre les consommations abusives révélatrices d'une addiction, les consommations occasionnelles étant considérées comme moins graves.

Il a estimé que le bilan de cette stratégie démontrait ses insuffisances et son échec. Il a ainsi souligné que la France figurait parmi les plus gros consommateurs de cannabis, en particulier pour les moins de dix-sept ans -seuls les jeunes espagnols et tchèques en consommant plus- et que la consommation de cocaïne et de drogues de synthèse avait été multipliée par deux depuis 2002. En revanche, concernant l'héroïne, il a indiqué que 100.000 personnes étaient désormais sous produits de substitution et que la consommation était stabilisée.

A propos des drogues licites, s'il a jugé que des résultats encourageants avaient été enregistrés contre le tabagisme, en revanche, il a déploré le bilan en matière d'alcool. Il a indiqué que quatre millions de personnes avaient une consommation excessive supérieure à quatre verres d'alcool par jour. Il a également souligné l'évolution des modes de consommation avec la diminution chez les jeunes d'une consommation traditionnelle, dite « conviviale », au profit d'une consommation de « défonce » dont le seul but était de parvenir le plus rapidement possible à une ivresse très élevée. Il a relevé que cette tendance provenait des pays de l'Europe du nord.

M. Etienne Apaire a jugé que la distinction entre les drogues licites et illicites n'était pas le seul critère pertinent pour définir les priorités de la lutte contre les drogues. Il a notamment considéré que l'impact sur l'ordre public était une donnée essentielle et qu'à cet égard, l'alcool posait de très grandes difficultés et représentait un coût énorme pour la société. En outre, il a attiré l'attention sur le développement de la polytoxicomanie, notamment la consommation simultanée d'alcool et d'autres substances, laquelle tendrait à brouiller la frontière entre drogues licites et illicites. Il a indiqué que l'absorption concomitante d'alcool et d'autres drogues était à l'origine de près de 20 % des accidents du travail.

Après plus de quinze années d'une stratégie ciblée sur les consommations abusives, il a déclaré que l'adoption de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance avait constitué une rupture importante marquée par le souci que chaque infraction constatée en matière d'usage de stupéfiants reçoive une réponse pénale ferme et adaptée.

Il a ainsi rappelé que la loi du 5 mars 2007 :

- avait élargi la possibilité de prononcer une injonction thérapeutique rénovée à tous les stades de la procédure, y compris à l'égard des mineurs ;

- permettait de prononcer une mesure d'injonction thérapeutique dans le cadre d'une composition pénale, désormais ouverte aux mineurs de plus de treize ans, en cas d'usage de stupéfiants ou de consommation habituelle et excessive de produits alcooliques ;

- avait étendu le champ d'application de la procédure de l'ordonnance pénale à l'usage de stupéfiant ;

- avait érigé en une circonstance aggravante le fait de commettre certaines infractions en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants ;

- avait introduit à titre de peine complémentaire l'obligation d'accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants.

Concernant ces stages, M. Etienne Apaire a précisé qu'ils se mettaient progressivement en place et qu'ils seraient à la charge de la personne condamnée. Il a indiqué que sur 100.000 personnes actuellement interpellées chaque année pour usage de stupéfiants, 80.000 faisaient l'objet d'un simple rappel à la loi ou d'une admonestation. Ces personnes seraient désormais condamnées à accomplir ce stage de sensibilisation d'un coût estimé à 250 euros. Il a relativisé ce coût relativement élevé en le comparant avec les dépenses mensuelles moyennes d'un consommateur de cannabis et/ou de tabac comprises entre 80 et 160 euros.

Il a ensuite annoncé la présentation d'un plan gouvernemental à la fin du premier semestre 2008, ce plan devant s'inscrire dans la perspective d'une stratégie européenne de lutte contre les drogues.

Il a indiqué que ce plan serait en particulier axé sur la réaffirmation de la prohibition de toute consommation de stupéfiants. Il a estimé que chaque adulte devrait faire respecter l'interdit. Il a constaté que de nombreux parents avaient abandonné ce rôle, certains pensant même que la consommation de cannabis était désormais autorisée. Il a enfin déclaré que beaucoup d'adultes commettaient l'erreur de considérer la consommation de drogues comme une simple passade de jeunesse, alors que les études scientifiques démontrent qu'une addiction est d'autant plus forte et durable que la première consommation est précoce.

M. Etienne Apaire a ensuite expliqué que dans la lutte contre les stupéfiants la France devait faire face à plusieurs attaques extérieures.

Il a ainsi indiqué que notre pays devait se préparer à affronter un « tsunami de cocaïne », rappelant que d'ores et déjà la consommation de ce stupéfiant avait été multipliée par deux depuis 2002. Il a précisé que les cartels sud-américains considéraient l'Europe comme un nouveau marché à conquérir en raison de la stagnation, voire de la diminution, de la consommation aux Etats-Unis et du cours élevé de l'euro par rapport au dollar. Il a expliqué que l'essor de la cocaïne en France et en Europe était d'autant plus rapide que les réseaux de distribution étaient ceux du cannabis. Il a en outre ajouté que cette drogue et ses dérivés, comme le crack, risquaient de provoquer, dans certains quartiers difficiles aujourd'hui épargnés, des problèmes majeurs d'ordre public, en raison des propriétés excitantes de ces substances à l'inverse du cannabis.

Concernant l'héroïne, bien que l'Europe soit jusqu'à présent épargnée, il a observé que la production record de pavot en Afghanistan constituait un danger potentiel à moyen terme.

M. Etienne Apaire a conclu en soulignant la nécessité de mutualiser la lutte contre la drogue, la France ne pouvant seule faire face au défi.

M. Robert Badinter a demandé si une action particulière était menée dans les établissements scolaires pour sensibiliser les enfants aux dangers de la drogue.

Faisant le bilan des campagnes d'information précédentes, M. Etienne Apaire a jugé que les messages mettant en avant les dangers pour la santé étaient inefficaces. En revanche, il a plaidé en faveur de campagnes axées sur la réaffirmation de la prohibition de la consommation et des sanctions encourues.

En outre, il a souhaité que les prochaines campagnes ne soient pas uniquement à destination des jeunes, mais également des adultes, qui sont les premiers garants du respect de la règle par les plus jeunes. Pour illustrer le bien-fondé de cette stratégie, il s'est référé aux succès remportés dans la lutte contre la violence routière depuis 2002.

Maire d'une commune de Seine-Saint-Denis, M. Jacques Mahéas s'est déclaré confronté chaque jour aux ravages de l'alcool pour la société et la sécurité. Une des principales difficultés résidait dans la multiplication des lieux de ventes d'alcool en dehors de tout contrôle sérieux des douanes. A toute heure de la soirée et du début de la nuit, il était possible de se procurer diverses sortes d'alcool.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a déclaré que la prévention ne suffisait pas et que la hausse spectaculaire de la consommation de cannabis depuis vingt ans s'expliquait également par le développement et la diversification des réseaux de trafiquants. Elle s'est interrogée sur l'efficacité de la lutte contre les réseaux criminels.

M. Pierre-Yves Collombat a indiqué qu'une stratégie fondée sur le rétablissement de la règle ne pouvait être crédible qu'à la condition qu'elle s'applique à tous les secteurs de la société, en particulier en matière économique. A cet égard, il a demandé si une action résolue avait été réellement engagée pour lutter contre le blanchiment de l'argent de la drogue et le financement des réseaux.

M. François Zocchetto a demandé si la bienveillance de notre législation à l'égard de l'alcool n'était pas seulement justifiée par le fait que la France en est un producteur important. Il a craint que ce double langage n'affaiblisse considérablement la portée du discours tenu aux jeunes sur les autres drogues. A titre d'exemple, il a exprimé son étonnement face à la présence d'alcool dans les stations-service, y compris de premix , mélanges de soda et d'alcool. A titre de comparaison, il a indiqué que dans de nombreux pays européens, la vente d'alcool était limitée à certaines heures.

Sur le problème de la consommation d'alcool, M. Etienne Apaire a indiqué que dans le cadre de la préparation d'un plan « Santé des jeunes », des discussions avaient été engagées avec les distributeurs pour mieux contrôler la vente d'alcool aux mineurs. Concernant le point particulier de l'interdiction de la vente d'alcool dans les stations-service, il a précisé que la décision de principe avait été prise lors de la réunion du dernier comité interministériel de la sécurité routière.

Sur la question de l'efficacité de la lutte contre les trafiquants, il a estimé que la distinction entre consommateur et revendeur était souvent très ténue, de nombreux consommateurs réguliers, en particulier les plus jeunes, commençant à trafiquer pour satisfaire leurs besoins personnels. Par ailleurs, il a jugé que la législation en matière de lutte contre le blanchiment était satisfaisante dans l'ensemble. Il a toutefois indiqué que la confiscation des avoirs criminels était encore trop complexe et mériterait d'être simplifiée en passant d'une procédure civile à une procédure pénale. Il a annoncé la présentation d'un projet de loi sur ce sujet.

M. Etienne Apaire a également observé que l'action des policiers était culturellement ciblée sur la saisie de stupéfiants et l'interpellation des trafiquants, et non sur la saisie des avoirs criminels. Il a indiqué qu'un changement de culture et d'approche permettrait certainement des progrès importants, comme en Espagne et en Italie. Néanmoins, il a estimé que l'argent de la drogue était souvent placé à l'étranger et qu'il était donc souvent difficile d'obtenir des résultats rapides.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que la lutte contre le blanchiment avait beaucoup progressé et que notre législation était constamment perfectionnée.

M. Charles Gautier s'est fait l'écho de l'incompréhension de nombreux citoyens face à l'incapacité de l'Etat à endiguer la consommation d'une drogue illicite comme le cannabis, alors que simultanément la lutte contre le tabagisme, drogue licite, rencontre certains succès. Il a demandé si ce paradoxe avait une explication.

M. Etienne Apaire a répondu que la lutte contre la consommation de stupéfiants ne pouvait réussir qu'à la condition que chaque citoyen en prenne sa part. A cet égard, il a jugé que les stages de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants allaient transformer la réponse pénale et amener des familles entières à réfléchir aux dangers de la drogue. En effet, il a indiqué que ces stages exigeraient la présence des parents aux côtés de leur enfant.

Concernant l'alcool, il a précisé que si la décision d'interdire la vente d'alcool aux mineurs était prise, celle-ci vaudrait pour tous les lieux de vente.

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